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Où en est la transition énergétique ? La vérité par les chiffres !

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Les Aftral Days

Les Aftral Days

À l’heure où la Commission européenne annonce de nouveaux objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les constructeurs de véhicules industriels, visant -45 % en 2030 et -90 % en 2040, où en était réellement le marché dans sa mutation en 2022 ?

Dans la surenchère d’annonces entre le Parlement européen* et la Commission européenne visant à éliminer le moteur thermique appliqué aux véhicules industriels, on peut se poser la question de savoir où en est réellement la mutation du transport routier vers la sortie du pétrole. Une certaine confusion se fait jour dans les derniers communiqués de la Commission européenne qui ont fait suite à sa présentation du 14 février 2023. Elle y mélange les objectifs de décarbonation (les énergies fossiles contribuant aux émissions de dioxyde de carbone lors de leur combustion) et ceux d’amélioration de la qualité de l’air (via les normes sur les émissions de gaz d’échappement, dont Euro VII également présenté par la Commission européenne en janvier 2023). La conférence de presse des présidents de commissions transports et environnement au Parlement européen fait de même.

Plus que jamais, l’objectif proclamé est de pousser coûte que coûte la mobilité électrique à batteries, sachant que d’ici à 2025, les constructeurs doivent baisser les émissions de -15 % par rappor t à 2019. Pour 2030, l’objectif initial était d’atteindre -30 %, mais la Commission européenne a annoncé le 14 février dernier vouloir porter cet objectif à -45 %. En outre, les constructeurs sont tenus de mettre à la route, en 2025, au moins 2 % de leurs immatriculations en mode zéro émission, soit, en clair, de l’électrique (à batteries ou avec pile à combustible hydrogène). Faute de quoi, ils seront soumis à de lourdes amendes en cas de non atteinte de ces objectifs.

Les données de AAA Data que trm24.fr a pu consulter sur les immatriculations de véhicules industriels (de plus de 5,1 t de PTAC) pour l’année 2022 sont éclairantes et prouvent qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Que faut-il en retenir ?

Diesel, GNV, B100 : le trio de tête

D’une part, l’écrasante majorité des véhicules industriels sont animés par un moteur diesel fonctionnant au gazole (code GO à la case énergie du certificat d’immatriculation). Sont-ils pour autant condamnés à fonctionner avec un combustible d’origine fossile ? Non, nous le verrons par la suite. D’autre part, et malgré tout le battage médiatique et politique fait autour de l’électromobilité, la première alternative en France est représentée par le GNV. Malgré un contexte difficile en raison des prix excessivement élevés du méthane en 2022, les immatriculations sont plus élevées qu’en 2021. Leur croissance est très lente mais d’une parfaite régularité depuis 2017. Cette part est même plus forte si l’on ajoute aux véhicules GNV à allumage commandé (code GN) les GNV à allumage par compression, à savoir les dual fuel de Volvo (code 1A). En troisième position vient le B100 exclusif (code B1 à la case énergie des certificats d’immatriculation), qui fait une percée remarquée puisqu’en 2022 ces véhicules enregistrent 779 cartes grises. À comparer aux 79 unités de 2021 et au fait qu’il était tout simplement inexistant avant cette date. Le B100 exclusif profite d’une offre multimarques (à ce jour MAN, Renault Trucks et Volvo Trucks commercialisent de tels véhicules) et d’une pluralité de fournisseurs de B100. La conjonction des deux ••• contribue à sa légitimité commerciale. Le phénomène pourrait encore prendre de l’ampleur, car Scania France étudie très sérieusement la possibilité d’homologuer une offre en énergie B1 (soit B100 exclusif). Cette croissance rapide explique peut-être l’attitude particulièrement agressive de certains distributeurs de GNV, qui ont attaqué en Conseil d’État l’arrêté ministériel du 11 avril 2022 attribuant le bénéfice de la vignette Crit’Air 1 aux véhicules fonctionnant au B100 exclusif.

Le Conseil d’État, jugeant sur le fond, leur a donné raison le 25 janvier 2023, mais il se contente d’invalider l’arrêté sur des motifs de forme. Il convient de signaler que cet acte administratif avait été remplacé (et était devenu caduc), avant la décision du Conseil d’État, par un autre arrêté ministériel le 4 octobre 2023 remettant à jour les différentes catégories d’énergies éligibles aux vignettes Crit’Air.

L’électrique à la traîne

En quatrième place vient l’énergie préférée des politiques, qu’ils soient à Strasbourg, Bruxelles ou Paris : l’électricité, avec 141 immatriculations enregistrées en 2022. Implacable réalité des chiffres de AAA Data qui contraste singulièrement avec la place qu’occupent ces véhicules dans la communication des constructeurs.

« Tout ça pour ça » est-on tenté d’écrire ! Pour atteindre les objectifs fixés par l’Europe, il y a donc beaucoup de chemin à parcourir. Le problème est pourtant simple : avec un prix d’achat (hors infrastructures de recharge) qui atteint trois fois le prix d’un véhicule diesel, et des conditions d’exploitation très particulières posées par l’autonomie réduite de ces machines par rapport au diesel ou à l’hybride, l’électrique à batterie ne peut à ce stade de la technologie de stockage d’énergie et des infrastructures qu’être une solution marginale.

À la cinquième place vient l’éthanol, alias ED95, qui fut l’invité surprise de la COP21 et l’heureux bénéficiaire de la vignette Crit’Air 1 lors de l’établissement de cette dernière. On peut y voir, comme pour le B100, un cadeau fait à l’agriculture française à la recherche de débouchés pour ses sous-produits (ici l’alcool). Le fiasco commercial de l’éthanol s’explique simplement : contrairement au B100 exclusif où plusieurs fournisseurs et constructeurs se sont engagés, l’éthanol est resté dépendant de Résinor et de Scania, seul constructeur motoriste à avoir commercialisé des camions fonctionnant avec ce combustible.

Les obstacles à l’hybride

Les hybrides diesels/électriques sont également marginalisés. Une rareté qui tient au fait que la solution ne bénéficie de la vignette Crit’Air 1 qu’à la condition expresse que le véhicule soit un hybride rechargeable. Sans cette faculté à rouler en mode zéro émission, il reste en Crit’Air 2 comme un diesel Euro VI. Pourquoi dès lors investir de telles sommes dans un véhicule n’accordant qu’un bénéfice réduit pour entrer dans les ZFE-m ? En effet, ces hybrides s’apparentant à des véhicules bi-modes coûtent près de deux fois le prix d’un véhicule diesel conventionnel.

En somme, en France c’est tout ou rien : soit l’hybride est du type rechargeable et peut rouler en pur électrique (comme un véhicule bi-mode), auquel cas il peut bénéficier d’une vignette Crit’Air 1, soit il n’a aucun bénéfice dans la nomenclature des vignettes Crit’Air. On peut regretter que cette option d’hybridation, performante tant en termes d’économie de gazole que d’agrément et de polyvalence (comme en atteste l’une de nos prises en main pour trm24.fr, voir https://trm24.fr/la-prise-enmain-du-scania-p280-6x24nb/) soit condamnée en France à la marginalité. Ce n’est pas le cas ailleurs en Europe. Pour un surcoût moindre (au prix, il est vrai d’autres complexités en termes d’exploitation), les acheteurs en France ont d’autres options pour bénéficier de la vignette Crit ‘Air 1. L’AAA Data a enregistré 1 véhicule essence. On peut supposer qu’il s’agit là de modèles pickup US importés de façon isolée, car aucun camion lourd n’utilise plus cette énergie depuis que les sapeurs-pompiers ont entériné le moteur diesel pour leurs véhicules d’intervention au mitan des années 1970. Encore plus surprenant est l’enregistrement d’un exemplaire de véhicule déclaré comme hybride gazole et gazogène. Notre administration est décidément pleine de ressources.

Diesels et GNV : condamnés aux énergies fossiles ?

Prompts à jeter l’anathème sur les véhicules diesel et GNV sous couvert d’écologie, les opposants à ces motorisations thermiques oublient un fait : ces moteurs peuvent fonctionner avec des carburants non fossiles comme les B100, HVO (pour les diesels) ou biométhane (pour le GNV). Alors pourquoi tant d’acharnement ? Et surtout, pourquoi une telle discrimination à propos du B100 : un B100 flexible (code GO) offre les mêmes avantages de décarbonation qu’un B100 exclusif (code B1), tout simplement parce que, comme le nom l’indique, le B100 flexible autorise indifféremment le passage au gazole conventionnel (qui contient déjà 7 % d’huiles à bases d’ester méthyliques d’acides gras) ou aux carburants non fossiles comme les HVO, bioHVO et B100. Idem pour le GNV : un moteur fonctionnant au méthane ne fera pas la différence entre biométhane et méthane d’origine fossile. La raison en est simple : en termes de chimie, le produit est le même et se résume à CH4. Avec en prime la possibilité que le biométhane « de qualité réseau », selon la terminologie de GRDF, soit plus pur en- core que le méthane d’origine fossile ! On peut donc se poser la question de savoir si le Parlement européen et la Commission européenne ne se trompent pas de combat. La confusion lue dans le document justifiant les positions de la Commission inquiète. En effet, il y est écrit que le CO2 est un polluant. Erreur fondamentale : le CO2 n’est qu’un traceur des émissions de carbone dans l’atmosphère, jugées comme contribuant au dérèglement climatique. Ce gaz inerte fait d’ailleurs naturellement partie de la composition de l’air au même titre que l’azote ou l’oxygène. Réduire les émissions de gaz à effet de serre peut se faire en utilisant des biocarburants et des agrocarburants, puisque le gaz carbonique relâché dans l’atmosphère aura été préalablement capturé durant leur croissance par les végétaux et autres ressources organiques ayant servi à la production du combustible. L’origine de ces bio et agrocarburants est d’ailleurs réglementée via la directive RED II (directive sur les énergies renouvelables) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/ FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0557

Voilà qui clôt la discussion sur l’épuisement des sols et des ressources naturelles si souvent invoqué par leurs opposants. Quant au bioGNV, le biométhane issu de la collecte et du traitement des déchets et généré par les méthaniseurs évite justement un rejet de méthane fatal lors de la décomposition incontrôlée de ces produits.

Les dernières résolutions de la commission des transports et du tourisme du Parlement européen et les propositions de la Commission européenne du mois de février 2023 interrogent quant à leur finalité : elles ne visent pas à réduire les émissions de CO2 (donc le recours aux énergies fossiles), mais bien à forcer le passage à l’électromobilité.

Jean-Philippe Pastre pastre@trm24.fr

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