6 minute read

La santé mentale et nos aînés : réfléchir et adapter le cadre - décembre 2022

PAR ME MIRIAM MORISSETTE, ASSOCIÉE THERRIEN COUTURE JOLICOEUR

Au fil de ma carrière, j’ai collaboré avec plusieurs établissements de santé mentale pour les représenter devant les tribunaux dans des dossiers d’évaluation psychiatrique, de garde en établissement et d’autorisation de soins. Chaque année, il y en a des centaines de ces cas où l’on voit des personnes dans leur plus grande vulnérabilité. Tous les dossiers sont différents parce que derrière chacun d’eux se trouve une personne, son histoire et une maladie : la psychose, la bipolarité, la démence, le trouble obsessionnel compulsif, alimentaire, de la personnalité, l’anxiété ou la dépression. Ce qui m’a marquée ce n’est pas la maladie, mais davantage la souffrance, la difficulté à trouver des ressources, l’épuisement des familles et la limite de notre système au cadre rigide à offrir des services. Ma compréhension de la maladie mentale est qu’elle survient lorsque le cerveau sort de son mécanisme normal et habituel par un dérèglement du rythme, de l’enchaînement ou à cause d’une mauvaise connexion. Nous devons donc analyser où le mécanisme s’est déréglé et le remonter pour qu’il fonctionne à nouveau, mais différemment.

Auprès des centaines de patients que j’ai représentés, j’ai aussi vu de belles histoires. Une avocate de l’aide juridique qui a accompagné une patiente, avec les agents de l’hôpital, après une procédure de garde en établissement, pour aller chercher le chat de cette dernière à la maison et le garder pendant son hospitalisation. Le chat était le dernier rempart de cette dame pour la raccrocher à la vie et l’abandonner, même temporairement, constituait sa plus grande réticence à recevoir les soins. L’avocate avait compris que la patiente n’aurait pas l’esprit tranquille pour se donner le temps de se soigner tant que son chat ne serait pas pris en charge.

J’ai aussi rencontré un médecin psychiatre qui refusait de suivre les règles strictes des rendez-vous en consultation externe à la clinique de l’hôpital. Il réalisait des consultations sur un banc de parc que choisissaient ses patients qui, traumatisés par la période Duplessis, refusaient de se rendre à l’hôpital pour leur rendez-vous. Ce médecin croyait fermement que la médecine devait être accessible même hors du bâtiment, et ce, pour le bien des patients. Il donnait ainsi aux patients la chance d’être vus dans un endroit plus propice à leur bien-être. Qui se sent bien dans un cabinet de médecin ?

Je me souviens aussi d’un homme âgé et dément qui, vu l’interdiction stricte de consommation d’alcool dans l’établissement, fuguait presque quotidiennement du CHSLD où il était hébergé pour se rendre dans une taverne y consommer une bière. Après discussion avec l’équipe clinique et légale, nous considérions qu’une prescription médicale autorisant la consommation d’alcool, une bière en 4 petits verres, était moins néfaste pour ce patient que des mesures de contention ou l’ajout de médication, sans compter les ressources à déployer pour contenir et rechercher le patient fugueur.

Dans chacune de ces histoires heureuses, un professionnel avait décidé de penser autrement afin d’adapter la dispensation des services et des soins de santé mentale aux besoins de la personne elle-même.

Avant d’aller plus loin, je vous déconseille formellement de tomber dans l’anarchie ou la désobéissance civile ! Quand l’application de la règle stricte porte atteinte aux droits fondamentaux, dont le droit à la vie, à l’intégrité, à la dignité, à la sécurité et à la vie privée de la personne, prenez plutôt un pas de recul. Dans ces situations, il faut réfléchir autrement pour trouver une avenue éthique à une situation juridique et médicale visant la personne humaine.

L’INSPIRATION DES PAYS SCANDINAVES

Lors d’un voyage d’études en Suède, j’ai vu de nouveaux modèles et des approches inspirantes pour intervenir en santé mentale, plus particulièrement auprès de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer et de démence. Les résultats sont probants, l’utilisation de la médication est bien en deçà de nos statistiques, les mesures de contention minimales et le recours à la loi et aux tribunaux presque inexistant. Les modèles sont uniques et adaptés à la clientèle, autant les interventions, les soins que les bâtiments. La technologie est au cœur des interventions afin d’induire des comportements et d’assurer une prestation plus humaine et moins intrusive.

À titre d’exemple, la domotique sert aux déplacements des patients lors des transitions de la journée. Pendant l’heure des repas, la luminosité est maximale dans la salle à manger et inversement dans les autres espaces communs. À l’heure du coucher, la lumière des espaces communs baisse et celle des chambres augmente afin d’amener les résidents à se déplacer d’une manière instinctive. Tous les comportements sont induits par la lumière et non par des interventions du personnel ou de la médication.

Pendant la nuit, les détecteurs de mouvement dans les chambres informent le personnel des éveils et des lieux où ils doivent intervenir. Aucune intrusion dans les chambres n’est réalisée pour assurer la surveillance, permettant un sommeil plus continu. La médication pendant la nuit est quasi inexistante parce qu’on refuse de troubler le sommeil des patients par les bruits ou les lumières des corridors.

Lors des soins d’hygiène, ce sont les voix des proches et les images racontant la vie de la personne qui inondent la pièce pour rassurer la personne. Le soin devient unique, chaleureux et humain. La personne sent qu’elle est dans un univers connu et elle apprécie le moment d’intimité.

Lors de la pause d’après-midi dans les unités, ce sont les préposés qui préparent la collation, souvent des petits fours, des madeleines ou des biscuits avec du thé et du café. L’odeur embaume la pièce et c’est aussi le temps des discussions chaleureuses. Le personnel partage ce moment de joie et de simplicité avec les résidents. Le personnel peut ainsi constater l’état de santé mentale et physique de chaque résident dans son quotidien.

CONCLUSION

Pour intervenir auprès des personnes ayant des problèmes de santé mentale, il faut d’abord et avant tout comprendre leur réalité, les écouter et consulter les membres de leur famille pour bien comprendre ce qu’ils désirent, connaître leur histoire, leurs craintes et surtout s’assurer de toujours intervenir avec humanité.

J’aimerais terminer cet article en vous souhaitant tous de prendre soin de votre santé mentale et de porter attention à celle des êtres qui vous entourent.

This article is from: