sociale
essentielle au 21ème siècle
L’invalidité est, à l’inverse du chômage, couverte par plusieurs assurances sociales.
Les risques professionnels, qui ne font pas l’objet de cette étude, sont couverts par le régime des maladies professionnelles et par les assurances contre les accidents du travail. Les invalidités « privées » sont couvertes par l’assurance indemnités pour les travailleurs salariés, les chômeurs et les travailleurs indépendants. Cette assurance sociale est organisée par la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités. Les fonctionnaires statutaires disposent, quant à eux, d’un régime spécifique de « congés de maladie » qui prévoit une indemnisation directe par l’employeur et qui ne rentre pas dans le cadre de la sécurité sociale.
Les critères de reconnaissance d’ouverture du droit à l’assurance indemnités définissent le degré d’invalidité de la personne qui en fait la demande. Pour ouvrir ce droit, la personne qui n’est plus en capacité de travailler doit avoir perdu, sur base de l’évaluation par le médecin conseil de la mutualité à laquelle il est affilié, plus de 66% au moins de sa capacité de gain. Il existe deux causes d’exclusion médicale qui empêchent une indemnisation même si les critères médicaux sont remplis :
• Le lien causal entre cette incapacité et une maladie ou un accident lié au travail
• Une invalidité antérieure à l’entrée sur le marché du travail
L’indemnisation consécutive à la reconnaissance médicale s’étend sur deux périodes :
1°/L’incapacité primaire qui couvre les travailleurs 31ème au 365ème jour d’incapacité. Durant cette période, le travailleur perçoit une indemnité correspondant à 60 % du salaire brut plafonné.
2°/ L’invalidité qui couvre les travailleurs salariés dont l’absence dure plus d’un an. L’indemnité d’invalidité équivaut à un pourcentage du salaire brut plafonné et dépend de la situation familiale du travailleur. Ce pourcentage est de 65 % pour les chefs de famille, 55 % pour les isolés et 40 % pour les cohabitants
Pendant les 30 premiers jours d’incapacité, les personnes en incapacité de travail sont couvertes par la période dite de salaire garanti pendant laquelle le salaire est prise en charge par l’employeur à 100%.
Cette assurance sociale est également ouverte, sous certaines conditions, aux bénéficiaires d’allocations de chômage qui répondent aux mêmes critères médicaux. La différence principale se situe au niveau du montant de l’indemnisation (qui est pendant la première année alignée sur l’allocation de chômage) et, bien entendu, par l’absence de période de salaire garanti.
Les travailleurs indépendants sont également couverts par une assurance indemnités qui repose sur des montants forfaitaires d’indemnités journalières qui sont versées au terme du 7ème jour d’incapacité de travail.
Les assurances des salariés, indépendants et chômeurs sont gérées, depuis leur création en 1944, par les mutualités. Ce choix résulte de l’histoire sociale de la Belgique puisque les mutualités ont, ellesmêmes, succédés aux premières caisses d’entraide mutuelle et précèdent la création, en 1963, de l’INAMI.
La branche « indemnités » de la sécurité sociale belge a été un non-sujet politique jusqu’au début du 21ème siècle. Jusqu’à cette période, la perte d’emploi résultait essentiellement de deux causes :
• La conjoncture économique provoquant le chômage de masse, singulièrement depuis les deux chocs pétroliers
• Les accidents du travail et maladies professionnelles, résultantes de la part importante de l’emploi industriel jusqu’à la fin des années 80
C’est au tournant du 21ème siècle que l’assurance indemnités devient une préoccupation politique de premier plan. Entre 2000 et 2024, le nombre d’invalides reconnus et indemnisés passe de 184.000 à plus de 500.000, tous régimes confondus (salariés, chômeurs et indépendants)
Pour expliquer cette hausse spectaculaire, nous écartons l’hypothèse d’une fraude massive et généralisée aux prestations de sécurité sociale. Aucun élément matériel ne permet de poser cette hypothèse. Par ailleurs, s’il est indéniable que la fraude sociale est une réalité, les moyens employés pour la combattre se sont considérablement renforcés ces dernières années sous l’effet de la modernisation de l’administration, elle est de mieux en mieux maîtrisée.
Pour cerner l’ampleur du problème, citons trois données importantes1 :
• La Belgique consacrait, en 2019, l’équivalent de 3,2% de son PIB aux dépenses d’indemnisation de l’incapacité de travail alors que la moyenne de l’OCDE s’élevait, à cette date, à 1,9%. Seuls la Suède, la Norvège et le Danemark connaissent un niveau supérieur de dépenses.
• A l’échelle de l’OCDE, les dépenses liées à l’incapacité de travail sont presque trois fois supérieures aux dépenses d’indemnisation du chômage. La Belgique a longtemps fait figure d’exception mais cette tendance s’est inversée à partir de 2015 et les dépenses actuelles de l’assurance indemnités sont aujourd’hui un peu plus de deux fois supérieures à celle du chômage.
• Le risque d’incapacité de travail augmente avec l’âge : en Belgique, environ un quart de la population active entre 50 et 64 ans est en invalidité. En Allemagne et au Royaume-Uni, ce taux avoisine les 30%.
Bien entendu, ces comparaisons internationales doivent être maniées avec beaucoup de prudence. A l’inverse du chômage qui est comparé au travers d’une norme internationale (la définition internationale du chômage de l’Organisation Internationale du Travail), il n’existe pas de définition standardisée du taux d’invalidité. Il existe de très grandes variations de prise en charge de ce « risque social » par les systèmes de sécurité sociale. Le régime belge de l’indemnisation de l’incapacité de travail « privée » est un des plus étendus, là où dans d’autres régimes cette indemnisation est résiduelle par rapport à la prise en charge plus étendue des risques professionnels ou une prise en charge du handicap en dehors de la sécurité sociale. Ces différences rendent quasiment impossible la comparaison des taux d’invalidité par pays, à l’inverse du chômage.
Il n’en reste pas moins que, sans grand bruit médiatique, l’invalidité est devenue une question essentielle pour la sécurité sociale belge mais également un indicateur très important de la relation complexe entre marché du travail et société.
En Belgique. jusqu’à la fin des années 90, l’invalidité semblait une question maîtrisée. Le nombres de titulaires concernés n’évoluait pas et les dépenses restaient très stables. Dans le même temps, au Pays-Bas, la réussite du fameux « modèle des Polders »2 se dégradait sous le poids des dépenses en invalidité. La recette d’un taux de chômage très bas (à l’époque il se situait en-dessous de 5%) devenait subitement moins évidente. Par un jeu de vases communicants, suite aux restrictions intervenues dans l’octroi des allocations de chômage, les chômeurs néerlandais avaient, pour partie, basculé dans le régime d’indemnisation de l’invalidité.
1 Source OCDE
2 C’est ainsi que l’on désigne couramment le modèle de concertation économique et sociale mis en place suite aux accords de Wassenaar en 1982 entre l’Etat, les syndicats et les fédérations d’employeurs pour assurer la création d’emploi aux PaysBas
On vérifiait une fois de plus une loi d’airain en sécurité sociale : bien au-delà de la fraude ou de « shopping social», il existe un mouvement mécanique des assurés sociaux vers les régimes dits « résiduaires » lorsque des réformes sont entreprises dans les régimes principaux (essentiellement le chômage et les pensions).
Au-delà des incantations du marché demandant toujours plus de réformes, l’incapacité de travail prenait progressivement, dans une partie de ces pays, le pas sur le chômage comme cause principale de sortie du marché de l’emploi.
La Belgique a connu une évolution similaire mais qui a été longtemps tempérée par deux secteurs de la sécurité sociale : les pensions et les prépensions.
Les choses ont commencé à évoluer avec le relèvement progressif entre 1997 et 2009 de l’âge de départ à la pension des femmes de 60 à 65 ans, en application des directives européennes en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes. Le choix politique qui est pris, pour des raisons budgétaires assez évidentes, fut d’aligner l’âge du départ à la pension sur la valeur la plus élevée, à savoir celles des hommes.
L’autre élément « perturbateur » est la réforme, en 2005, par le Gouvernement Verhofstadt du régime de chômage avec complément d’entreprises (mieux connu sous le terme de prépensions conventionnelles). Cette réforme vise à limiter le recours par les entreprises à ce mécanisme de restructuration « à bon compte » via un relèvement de l’âge limite à partir duquel un travailleur peut bénéficier de ce régime.
Ces deux décisions auront un impact important sur le régime de l’assurance indemnités. En effet, l’élargissement de la base de travailleurs potentiellement concernés a un impact « mécanique » sur les transferts démographiques des pensions et des prépensions sur l’invalidité. L’ effet de vases communicants est amplifié par la très faible capacité de notre marché du travail à garder ou remettre à l’emploi les travailleurs de plus de 55 ans.
La dynamique est cependant moins automatique et plus complexe qu’il n’y paraît. Les restrictions décidées dans les régimes précités ne mènent pas automatiquement les assurés sociaux vers la maladie et donc vers le médecin conseil de sa mutuelle (qui évalue en première instance l’incapacité primaire durant la première année avant de soumettre, au bout d’une année, une proposition d’entrée en invalidité auprès de l’INAMI qui statue en dernier ressort). Mais l’érosion de la protection sociale et de la santé des travailleurs âgés ne les conduit pas non plus vers la reprise du travail.
Deux facteurs démographiques jouent également un rôle « mécanique » très important dans cette évolution :
• Le vieillissement de la population active qui est une réalité engendrée par le pic démographique des années 50/60. Les personnes entrées sur le marché du travail durant les années 70 et 80 approchent progressivement de la fin de carrière et subissent des problèmes de santé liés à l’âge que l’amélioration constante de notre système de soins de santé ne permet pas toujours d’absorber
• L’augmentation constante de la participation des femmes sur le marché du travail, un facteur de progrès social que personne ne songerait à remettre en question, a pour corollaire, une hausse des titulaires indemnisables le nombre de travailleurs « éligibles », s’ils répondent aux critères médicaux, à une indemnité d’invalidité. L’évolution du taux d’emploi des femmes a, en effet, été spectaculaire au cours des trois dernières décennies, passant de 50 % au milieu des années 1990 à 67 % en 20213
Il faut aussi relever que l’augmentation des dépenses de l’assurance indemnités ne découle pas que de la hausse du nombre de personnes indemnisées Celle-ci peut également résulter de choix politiques positifs. Un de ces choix est le rétablissement par la Violette (la coalition socialiste-libérale dirigée par Guy Verhofstadt), en 2004, d’un mécanisme de liaison des allocations sociales au bienêtre.
3 Conseil Supérieur de l’Emploi, « la participation des femmes sur le marché de l’emploi », janvier 2023
Le rétablissement de ce mécanisme devenait impératif. Le Gouvernement Martens-Gol avait supprimé cette liaison au bien-être dans le cadre de ses mesures de réductions des dépenses publiques. La fin de cette liaison a eu pour conséquence une diminution du taux de remplacement des allocations sociales et a provoqué ainsi un important décrochage de celles-ci par rapport à l’enchérissement du coût de la vie.
Depuis 2004, les partenaires sociaux s’entendent, dans le cadre des accords interprofessionnels, sur la répartition d’une enveloppe financière entre les différents secteurs de la sécurité sociale. Ce mécanisme, assorti au maintien de l’indexation des prestations a permis de combler une partie du décrochage créé au début des années 80.
Selon les prévisions de l’ONSS (Office National de Sécurité Sociale), les dépenses de l’assurance indemnités s’élèvent à 13,2 milliards d’euros en 2024, ce qui en fait le troisième « poste » de dépenses de la sécurité sociale après les pensions et les soins de santé4
Les critères démographiques et macroéconomiques ne suffisent pas à expliquer à eux-seuls cette évolution à la fois des dépenses et des effectifs de l’assurance-indemnités.
On observe concomitamment des changements substantiels dans les catégories de maladies indemnisées. Lors de sa création, après la seconde guerre mondiale, l’assurance invalidité indemnisait les maladies et accidents de l’époque : pathologies cardio-vasculaires, maladies du système respiratoire, cancer, accidents de la route, etc…
En 2022 (date des dernières statistiques disponibles), les deux principaux groupes de maladies indemnisés sont les problèmes de santé mentale et les maladies musculosquelettiques qui représentent, ensemble, plus de 69% des cas d’invalidité5
Au premier rang des préoccupations, les problèmes de santé mentale qui constituent la première cause d’invalidité. Environ 37% des causes de sorties pour « raisons médicales » du marché du travail trouvent, dans notre pays, leurs causes dans la situation psychique et mentale des individus6. La très grande variété de problèmes couverts (du burn-out à la schizophrénie en passant par les problèmes induits par les assuétudes) ne permet pas de tirer des conclusions univoques mais la dégradation de la situation de la santé mentale de toutes nos sociétés industrialisées (dans les pays nordiques cette part d’indemnisation monte souvent jusqu’à 50%) devrait nous inciter à une réflexion en profondeur sur les politiques menées jusqu’à présent en matière de bien-être au travail et de santé mentale en général.
Il y a près de 185.000 invalides7 qui, en Belgique, sont indemnisés pour une maladie mentale modérée à sévère.
Ce chiffre est en constante augmentation et c’est la catégorie d’invalides qui a augmenté le plus rapidement ces dernières années. A titre d’exemple, on compte, entre 2017 et 2022, 37.000 invalides indemnisés supplémentaires pour des maladies psychiques et mentales
Les solutions à ce problème sont à rechercher, en premier lieu, dans la prévention et la prise en charge de ces situations par l’assurance-maladie
Tant pour la dépression que pour les autres maladies mentales, une somme de facteurs s’agrègent (hérédité, environnement de travail, facteurs biologiques, etc…) et la prévention jouera, dans ce domaine, essentiellement un rôle de détection des personnes à risque. Cette approche consiste à prendre en considération une série de signaux : la détérioration de la santé mentale des enfants et des adolescents (la maladie ne s’arrête, hélas, pas à l’âge adulte), la nécessité de renforcer et de soutenir la première ligne de soins (notamment les médecins généralistes) et d’une manière générale à transformer les systèmes de santé mentale pour les rendre plus accessibles. De ce point de vue, le remboursement par l’assurance-maladie, depuis 2022, des consultations des psychologues de
4 Données ONSS et BNB
5 « Aperçu de la situation de l’invalidité pour la période 2017-2022 » - Note au Comité de gestion de l’assurance indemnités des travailleurs salariés – Service de indemnités – INAMI – Octobre 2023
6 Source INAMI
7 Idem
première ligne constitue un pas important dans la direction d’un meilleurs accès aux soins de santé mentale.
La hausse considérable de pathologies mentales liées au travail oblige également à se poser de l’état de la santé au travail de la population active en Belgique. Certains indicateurs (comme la prévalence du stress) démontrent que cette situation s’est dégradées ces deux dernières décennies et que cette dégradation s’est amplifiée depuis le Covid8. Nous faisons face à un phénomène épidémiologique qui concerne l’ensemble des troubles de santé mentale et en premier de la hausse des cas de dépressions et de burn-out. Il s’agit d’un phénomène mondial qui n’est pas propre à notre pays. L’OMS estime en effet que ces troubles sont en train de devenir la première cause d’invalidité dans le monde entier9
L’irruption de la santé mentale dans les questions de santé au travail brouille les frontières traditionnelles de la sécurité sociale. En effet, en dehors du burn-out, il est assez difficile d’orienter des diagnostics qui permettent d’identifier le trouble de santé mentale comme un facteur de causalité unique de l’incapacité de travail. Ces maladies sont souvent multifactorielles et l’identification d’une cause unique peut s’avérer très complexe.
Le régime de reconnaissance des maladies professionnelles n’a pas été adapté à cette nouvelle réalité en se fondant, essentiellement, sur une liste fermée de pathologies pour lesquelles une présomption « automatique » de lien directe de cause à effets entre la maladie et la profession exercée. Cette liste n’a que très peu évolué ces dernières années et n’intègre aucun trouble de santé mental. Par opposition à la liste fermée, la possibilité d’indemnisation existe pour l’ensemble des pathologies mais c’est à la personne malade d’apporter la preuve du lien causal entre son état de santé et sa profession, ce qui, dans la pratique, arrive très rarement et au terme d’un long parcours administratif qui décourage la plupart des personnes atteintes de ces maladies, de se tourner vers ce système d’indemnisation.
Il ne faut pas nier la composante « politique » de cette absence d’adaptation. En effet, les systèmes d’indemnisation des risques professionnels indemnisent, en Belgique, de manière plus importante les personnes en incapacité de travail que l’assurance indemnités avec un taux de remplacement, comme nous l’avons déjà vu, plus élevé. Une « ouverture » plus grande de ces systèmes aurait des conséquences budgétaires importantes : il est probable, en effet, qu’un nombre plus importants de travailleurs auraient probablement droit à une indemnisation de leur trouble de santé mentale dans le cadre du régime des maladies professionnelles. La Belgique a connu une timide avancée avec la reconnaissance en 2017 du burn-out comme maladie liée au travail10. Cette reconnaissance ne permet pas d’indemniser automatiquement les burn-out par Fedris, l’organisme compétent en la matière.
Les travailleurs victimes de burn-out doivent donc apporter la preuve du lien de causalité entre la maladie et leur occupation professionnelle ce qui constitue un frein très important à l’indemnisation. Mais cette décision, prise par la Ministre des affaires sociales de l’époque, Maggie De Block, ouvre la voie à la mise en œuvre dans le secteur privé de programmes de prévention et de sensibilisation à cette problématique.
La persistance de ces « zones grises » entre régime d’indemnisation et la difficulté d’appréhender la causalité entre travail et troubles de santé mentale expliquent pourquoi l’essentiel des incapacités de travail liées à ces troubles sont toujours indemnisées par le régime de l’assurance indemnités et également pourquoi c’est ce régime qui voit ses dépenses et des effectifs augmenter.
Un paradoxe rend cette question encore plus complexe : si le travail peut avoir des impacts négatifs sur la santé, le « bon » travail constitue également un excellent facteur de guérison. Particulièrement visés par la stigmatisation sociale et l’isolement générés par le décrochage professionnel, les personnes souffrant de ces maladies voient leurs problèmes accentués par l'incapacité de travail. La pratique scientifique montre que des reprises de travail graduelles, bien encadrées, permettent des retours durables à une vie professionnelle stabilisée et, par-là, une amélioration de la situation globale de santé.
8 Sciensano. Dixième enquête de santé COVID-19 : Résultats préliminaires. Bruxelles, Belgique. Avril 2022
9 https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care
10 https://www.beswic.be/fr/blog/le-burn-out-en-tant-que-maladie-liee-au-travail
On peut, bien entendu, se lancer dans un débat sur la valeur du travail, sur l’utilité de le définir comme un des principaux vecteurs de socialisation et d’émancipation économique, et par là évoquer les pistes menant à un revenu universel, mais ce débat ne doit pas occulter le fait que nous continuons à vivre dans une société organisée autour du travail et qu’un des objectifs des politiques sociales est d’offrir des perspectives de réinsertion professionnelle aux centaines de milliers de citoyens qui sont privés, pour diverses raisons, d’un emploi.
Au-delà de la prévention et de l’indispensable amélioration des conditions de travail (qui passe aussi par un questionnement sur les conséquences psychiques des nouvelles formes de travail : télétravail, le nomadisme « connecté » en permanence, etc…), il faut aussi privilégier une approche plus proactive de la prise en charge de l’invalidité.
Le premier obstacle à cette prise en charge se situe au niveau de l’organisation même de la sécurité sociale qui a été décrit plus haut avec un système assez rigide de lien causal entre état de santé et profession et qui est peu adapté à des situations médico-sociales de plus en plus complexes.
Par ailleurs, un système basé uniquement sur l’indemnisation du risque social11 ne permet plus d’appréhender le problème de l’incapacité de travail dans sa complexité. L’allocation indemnise mais ne réhabilite pas. Or dans un monde du travail et une société où la solidarité est de plus en plus fragmentée, les usagers sociaux ont besoin non seulement d’une indemnité mais également un dispositif de soutien les aidant à sortir, progressivement, de l’invalidité. Il existera toujours une part importante et non réductible de situation menant à une invalidité permanente. Cette situation impose de cibler les actions de prévention et de retour au travail sur les situations qui peuvent réellement déboucher sur un retour au travail. Pour autant, bien entendu, que celui-ci soit médicalement bien balisé et qu’il fasse l’objet d’une concertation où le patient/usager social occupe une position dans le choix volontaire du retour au travail et dans son mode opératoire. C’est le sens des trajets de retour au travail des malades de longue durée qui ont été progressivement développés en Belgique depuis le début des années 2000.
2. Le retour au travail des malades de longue
durée : entre ajustement financier et investissement social
2.1. Qu’est-ce que le retour au travail des malades de longue durée ?
Le retour au travail d’un travailleur malade peut prendre différentes formes.
Le cas le plus fréquent est celui d’un retour au travail spontané. En fonction des statistiques établies par l’INAMI et par les différentes mutualités, il s’agit de la situation la plus fréquente. La plupart des travailleurs qui entrent en incapacité de travail après la fin de la période du salaire garanti (à savoir le salaire par l’employeur durant le premier mois de la maladie), reprendront leur travail « naturellement » avant l’écoulement de la première année d’indemnisation et le plus souvent dans les six premiers mois d’absence.
11 « Le risque social est décrit comme une éventualité qui se présente dans la vie d’une personne et qui peut menacer sa sécurité d’existence » in E. Alfandari, L’évolution de la notion de risque social, dans J. Van Langendonck (éd.), The New Social Risks, Londres, Kluwer Law International, (29) 34-35, 1996
Cette reprise spontanée peut être rendue difficile voire impossible par différents évènements :
• La prolongation de l’arrêt de maladie pour une longue durée, principalement en raison d’une maladie chronique.
• La fin du contrat de travail pour force majeure médicale.
• La nécessité de procéder à des aménagements du poste de travail qui retardent voire rendent impossible le retour au travail.
La définition même de « malades de longue durée » est sujette à discussion. Elle n’a, en tout cas, pas été définie dans la loi avant l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre instaurant le trajet de retour au travail que nous décrirons plus loin et qui fixe à 10 semaines après l’entrée en incapacité de travail, le délai pour qu’un trajet soit entamé. On peut donc considérer que le législateur considère qu’un travailleur en incapacité de travail est considéré comme « malade de longue durée » à partir de 10 semaines d’absence. Même si dans de nombreuses situations, un retour spontané pourra encore intervenir passé ce délai.
Outre les situations décrites ci-dessus, certains travailleurs pourront bénéficier d’une reprise partielle d’activité professionnelle soit chez leur employeur d’origine, soit chez un nouvel employeur. Cette reprise partielle est, improprement, désignée sous le terme de « mi-temps médical » alors qu’elle n’impose aucune condition maximale de durée de temps de travail. La confusion provient du fait que le travailleur peut reprendre un travail adapté, et conserve ainsi le bénéfice de son indemnité INAMI (réduite au prorata de son temps de travail) à condition de conserver une réduction de sa capacité de gain d’au moins 50%.
La diversité de ces situations rend difficile la mise en place de programmes de soutien axé autour d’un seul type de solutions On peut en déduire la nécessité de faire correspondre une réponse individualisée à chaque situation même si, bien entendu, les possibilités de mettre en place des approches « sur mesure » ne sont pas illimitées.
2.2.
Les politiques de retour au travail des malades de longue durée en Belgique
2.2.1. Les premières politiques de retour au travail
En observant la situation dans les pays membres de l’OCDE, nous pouvons constater qu’il existe trois manières principales de traiter cette question.
Une première approche purement « comptable » vise à restreindre l’accès aux prestations sociales d’invalidité en en restreignant les critères d’octroi. Le présupposé qui fonde cette approche est que la mauvaise qualité des systèmes d’évaluation médicale de l’invalidité conduit à diriger puis « enfermer » dans l’indemnisation des personnes qui seraient, médicalement, aptes à travailler. Le retour à l’emploi se fait alors « naturellement » puisqu’une fois sorties des systèmes d’indemnisation de l’invalidité, les personnes dont la situation médicale a été réévaluée en fonction de nouveaux critères retournent « naturellement » vers le marché de l’emploi. C’est le choix opéré au Royaume-Uni à partir des années 1990. Dans un premier temps les résultats sont positifs sur le nombre d’invalides puisque la révision des critères d’évaluation induit forcément une diminution du nombre de cas. Mais sur un plus long terme, ces politiques ne font que provoquer un glissement des cas d’invalidité vers les régimes d’aides sociales comme les allocations pour personnes handicapées ou les régimes résiduaires d’aide sociale. L’échec de cette stratégie a conduit le Gouvernement britannique actuel à envisager une nouvelle réforme des prestations d’invalidité et à ne réserver celles-ci qu’aux malades souffrant d’un cancer ou d’une maladie jugée irréversible. Les autres catégories de malades de longue seraient considérées comme des similaires à celles de demandeurs d’emploi « classiques » et leur situation médicale/capacité de reprise d’un travail ne seraient plus évaluées par un médecin mais par des accompagnateur des agences publiques d’emploi12
12 https://www.disabilityrightsuk.org/news/increase-benefits-and-scrap-wca-proposals-dr-uk-writes-chancellor-ahead-hisautumn-statement
La seconde approche a été expérimentée aux Pays-Bas à partir de 2004. Avec un taux de personnes en invalidité largement supérieur aux moyennes européennes (9% de la population active, soit deux fois plus que l’Allemagne et la Belgique à la même période), les Pays-Bas ont entrepris une vaste réforme du régime d’invalidité basée sur deux axes principaux :
1°/ Une restriction des conditions d’accès au régime d’indemnisation complète de l’invalidité qui est réservé aux personnes ayant un taux d’invalidité compris entre 80 et 100%
2°/ La responsabilisation des employeurs qui sont tenus d’indemniser pendant les deux premières années les travailleurs qui sont tombés malades au sein de ces entreprises. Une allocation d’invalidité est versée au travailleur malade après deux ans et ne peut lui être octroyée auparavant que s’il son invalidité dépasse 80%. Cette responsabilisation de l’employeur l’oblige à mener des politiques très actives de retour au travail.
La dernière approche, est celle observée dans les pays nordiques ou en Allemagne. Elle est assez similaire à celle du traitement social du chômage, combine le maintien d’un régime d’invalidité classique (après une période réduite de paiement du salaire par l’employeur) et des programmes de réinsertion par le retour au travail.
C’est dans cette approche que la Belgique s’est engagée dans la loi du 13 juillet 2006 portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d'accidents du travail et en matière de réinsertion et l'arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994. Ces dispositifs organisent pour les 3 régimes d’indemnisation de l’a sécurité sociale (maladies professionnelles, accidents du travail et assurance indemnités) des trajets de réintégration.
Ces réformes ont introduit des changements majeurs tant du point organisationnel que du point de vue conceptuel au sein du régime de l’invalidité et ont permis la mise en place d’une politique associant l’indemnisation et la réinsertion ainsi qu’une plus grande systématisation et une plus grande variété d’approche dans les trajets individuels de retour au travail.
Elles sont le point de départ d’une évolution fondamentale dans le soutien des bénéficiaires dans leur retour au travail. Ce processus s’inscrit au cœur d’une approche plus globale : la réhabilitation.
Le droit à la réhabilitation est garanti par l’article 26 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Il doit s’interpréter de la manière la plus large possible. Ce droit s’applique à toute personne visée par la Convention et invite les Etats signataires à développer « des mesures efficaces et appropriées, faisant notamment intervenir l’entraide entre pairs, pour permettre aux personnes handicapées d’atteindre et de conserver le maximum d’autonomie, de réaliser pleinement leur potentiel physique, mental, social et professionnel, et de parvenir à la pleine intégration et à la pleine participation à tous les aspects de la vie »13
Ce texte ratifié par la Belgique est un instrument juridique important qui ouvre la porte à de nouveaux champs d’intervention pour la prise ne charge de l’invalidité. Outre l’accès à une offre de soins accessibles et de qualité, la réhabilitation comprend également un volet important qui visent à la réintégration des invalides sur le marché de l’emploi.
Il s’agit d’un progrès important et de la reconnaissance d’un évolution irréversible : les systèmes de sécurité sociale ne peuvent plus limiter leur action aux soins de santé et à l’indemnisation des dommages médicaux. Ils doivent également fournir à leurs usagers un panel de services permettant d’atteindre les objectifs de la Convention.
En fonction de ces instruments juridiques internationaux, la réhabilitation doit se comprendre comme un continuum holistique d’interventions allant des soins de santé aux politiques de retour à l’emploi en passant par l’indemnisation. Si notre pays pouvait se targuer de disposer d’un système d’indemnisation et de soins performants, il existait des progrès à faire en matière de politique de retour au travail.
13 Convention relative aux droits des personnes handicapées | OHCHR
L’adoption de ces dispositifs en 2006 a été le point de départ de mutations importantes. En près de 20 ans, la Belgique s’est dotée d’un arsenal de mesures permettant d’offrir aux invalides de véritables perspectives en matière de retour au travail.
Ce cheminement a été complexe. Contrairement à la question du chômage, celle de l’invalidité est traitée de manière très différente d’un pays à l’autre et une série de questions préalables ont dû être posées :
• Est-ce que les processus de retour au travail applicables dans les régimes d’indemnisation des risques professionnels (comme les accidents du travail) constituent de bonnes sources d’inspiration ?
• Comment trancher les difficultés à définir une frontière entre invalidité et handicap et dès lors définir dans interventions dans le champ de la sécurité sociale ou de l’assistance ?
• Le modèle fédéral belge peut-il intégrer des processus qui sont la plupart du temps intégrés au sein d’une seule et même institution ?
Les réponses à ces questions ont permis de développer des conclusions assez flexibles sur le choix du modèle. Modèle qui place l’assuré et non les institutions au centre des processus.
La seule expérience qui aurait pu servir de référence à cette nouvelle politique était la mise en place par l’Office National de l’Emploi (ONEM), au début des années 2000, d’un dispositif de suivi actif des demandeurs d’emploi dans leurs recherches, dispositif assorti de sanctions dans les situations où les comportements de recherche ne correspondaient pas à des standards moyens. Celle-ci s’est rapidement montrée peu transposable.
Si les objectifs convergent, à savoir assurer l’indemnisation d’un risque social lié à la perte d’un emploi et la nécessité d’encourager un retour sur le marché du travail, la nature de ces deux régimes de sécurité sociale diffèrent. La reconnaissance de l’incapacité de travail est liée à une série d’évènements assez aléatoires liés à l’évolution de l’état de santé du bénéficiaire. Les limitations fonctionnelles liées à sa maladie sont également très variables, en ce compris pour une même pathologie. Elles nécessitent une approche qui doit être la plus personnalisée possible.
La première conclusion qui est apparue dans le travail préalable à la mise en œuvre des nouvelles dispositions de 2006 fut la nécessité de passer à un véritable modèle de « case management ». Ce cadre de référence est assez innovant dans notre système de sécurité sociale. Les processus y sont traditionnellement fort séquencés dans une ligne du temps statique où les intervenants sont limités dans leurs actions à ce qui relève de leurs missions et ont par conséquent peu de visibilité sur l’ensemble des interventions. Ce modèle d’organisation a prévalu dans l’assurance indemnités de sa création en 1964 jusqu’à ces dernières années.
Le modèle progressivement mis en place repose sur une répartition des tâches entre l’INAMI et les mutualités avec le séquençage suivant des interventions : de la fin de la période du salaire garanti (payé par l’employeur le premier mois) et l’entrée en invalidité, les médecins conseils des mutualité interviennent seuls. A partir de l’entrée en invalidité (après une année d’incapacité de travail), les décisions, qu’elles soient liées à l’entrée ou à la prolongation, dépendent de l’INAMI.
L’énorme pression à la hausse tant au niveau des dépenses que des cas a remis en question ce modèle. La mise en œuvre des politiques de retour à l’emploi a entraîné des modifications assez importantes de ces processus, a transformé les missions de médecins conseil des mutualités dont la mission ne se résume plus à une mission de contrôle de l’incapacité de travail mais doit aussi mettre l’accent sur la nécessité d’évaluer les potentialités restantes du bénéficiaire et ses possibilités de reprise totale ou partielle d’une activité professionnelle.
La reconnaissance de l’incapacité de travail fait intervenir deux types d’intervenants en première ligne à savoir le médecin traitant qui reste le référant principal en matière de traitement médical et le médecin conseil dont la mission est d’établir si oui ou non le client peut continuer à bénéficier d’indemnités.
Le retour à l’emploi implique, lui, d’autres intervenants :
• Le médecin du travail
• Le service interne ou externe de prévention
Et si le retour dans l’entreprise d’origine, que ce soit dans un poste adapté ou non, n’est pas possible, d’autres intervenants seront appelés :
• Les organismes régionaux chargés de l’insertion
• Les organismes communautaires chargés de la formation professionnelle (qui sont à Bruxelles, distincts des précédents).
Ces multiples interactions et interventions rendent indispensables le passage vers un dispositif de case management centralisé au niveau de la mutualité qui reste la principale porte d’entrée vers le programme de retour au travail pour les travailleurs qui ne reprendront pas « spontanément » leur emploi au terme de leur incapacité de travail
C’est la philosophie mise en œuvre progressivement par l’INAMI et les mutualités à partir de 2006 en s’appuyant sur les principes suivants :
1°/ Etablir une collaboration structurelle entre l’INAMI, les mutualités et les Services Publics de l’Emploi, organisés, en Belgique, au niveau des 3 régions du pays (Flandres, Bruxelles, Wallonie).
Après une première déclaration d’intention signée en 2010, l’INAMI, les Unions nationales de Mutualités et les différents Services Publics de l’Emploi ont conclu entre 2012 et 2013 une série de conventions spécifiques réglant cette matière et organisant la coopération entre la sécurité sociale fédérale et les institutions compétentes dans les différentes entités fédérées du pays.
L’objectif de cette coopération est évident : faire bénéficier aux bénéficiaires de l’expertise de ces services. Il aurait été en effet inconséquent de ne pas tirer profit des savoirs des institutions existantes et de développer un circuit parallèle d’insertion et de formation pour les personnes en incapacité de travail. Cette approche nécessite bien entendu certains ajustements dans la mesure où les trajets d’insertion des personnes en incapacité de travail et des chômeurs ne sont pas toujours similaires. Raison pour laquelle, l’INAMI a mis en place, en concertation avec des organismes tiers, une formation en « disablity management », inspirée par le modèle canadien développé par le NIDMAR (National Institute for Disability Management and Research) visant à former les différents intervenants dans ces processus à la spécificité de la réinsertion professionnelle des personnes incapacités.
2°/ Consolider le rôle du médecin conseil comme « porte d’entrée » du trajet. Il décide, en collaboration avec le bénéficiaire, sur base volontaire et donc sans contrainte, l’orientation du trajet de retour au travail et prend tous les contacts nécessaires, soutenu par le service d’orientation socioprofessionnelle de sa mutualité, en vue de la la définition d’un plan définitif qui prendra la forme soit d’un retour sur un poste de travail adapté ou d’un formation professionnelle. Ce plan est ensuite soumis à l’INAMI pour décision.
Les incitants proposés au bénéficiaire du trajet sont assez généreux :
• Remboursement intégral des frais de formation (en ce compris le matériel nécessaire)
• Indemnités horaires et remboursement des frais de déplacement
• Prime de réussite
Les dispositions légales et réglementaires précitées prévoient en outre que durant la durée du trajet, le client bénéficie d’une présomption d’incapacité de travail. Au terme de la formation, il bénéficie encore d’un délai de 6 mois avant de voir son statut révisé en fonction des critères médicaux de la loi du 14 juillet 2014.
Ces programmes de réinsertion présentent deux caractéristiques importantes :
1°/ Ils sont volontaires. Aucune personne ne peut être obligée de les suivre.
2°/ Il découle de ces incitants et du maintien de la présomption d’incapacité de travail, qu’il est plus avantageux pour le bénéficiaire d’opter pour une démarche active de retour vers l’emploi
Entre 2009 et 2016, plus de 3000 trajets d’insertion socioprofessionnelle ont été entamé chaque année. C’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup dans le sens où l’INAMI et ses partenaires sont partis, en 2009, d’une situation où tout était à écrire. Au vu des capacités d’absorption du système n’étant pas infinies, on peut considérer que ce chiffre est un indicateur de réussite de ces politiques.
Peu car au vue du « stock » d’invalides (pour utiliser ce terme économique fort dénigrant mais hélas parlant), cela correspond environ 1% des cas et que tous ces trajets ne conduiront pas forcément à une insertion sur le marché du travail.
A côté des trajets de réinsertion, il est important de garder à l’esprit que la voie la plus utilisée de revenir sur le marché de l’emploi après une incapacité de travail est la reprise partielle d’activité prévue à l’article 100§2. Cette disposition, qui précède toutes les autres mesures en matière de réhabilitation, permet à un assuré social de reprendre graduellement le travail en cumulant un revenu issu de cette activité et une partie de cette indemnités. En 2024, on peut estimer à plus de 80.000, le nombre de personnes qui reprendront une activité par cette voie14. Ce chiffre a quasiment doublé depuis 201515 C’est incontestablement une réussite mais il faut malgré tout en tempérer la portée :
1°/ Le nombre de titulaires indemnisés a également fortement augmenté depuis 2015 même si ce n’est pas dans les mêmes proportions16
2°/ Toutes les formes de reprises partielles d’activité sont reprises dans cette statistique. Qu’elles soient exercées à titre bénévole ou rémunéré. Et quelle qu’en soit la durée (les reprises d’une journée sont comptabilisées au même titre que celles qui durent 12 mois).
Jusqu’à ce jour ce canevas, fixé par la loi de 2006 et ses arrêtés d’exécution, reste le cadre de référence pour la réinsertion socioprofessionnelle des personnes indemnités pour une incapacité de travail ou une invalidité, trajets que nous désignerons comme les trajets INAMI.
2.2.2. La réforme De Block/Peeters et la distinction entre les trajets INAMI et les trajets dits de réintégration
L’accord de Gouvernement du 11 octobre 2014 conclu par la coalition dite « suédoise » annonce la volonté du nouvel exécutif de mettre rapidement en œuvre des trajets systématiques de réinsertion en vue de maîtriser les dépenses d’invalidité.
Durant cette législature, la Ministre des affaires sociales, Maggie De Block et le Ministre de l’emploi, Kris Peeters, mettront, chacun pour ce qui le concerne, deux types de trajets de réintégration basés sur une forme de tronc commun.
Les trajets INAMI évolueront peu par rapport aux législatures antérieures. La « réforme » les intègre dans un continuum d’actions qui débutent dès le début de l’incapacité de travail.
Un arrêté royal organise un nouveau type de trajet de réintégration et entre en vigueur le 1er décembre 2016.
Ce trajet complète une réglementation existante qui organisait l’intervention préalable de la médecine du travail à la procédure de rupture pour force majeure médicale, notamment au travers de visites de
14 https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/frank-vandenbroucke-exige-que-chaque-travailleur-en-invaliditesoit-vu-par-sa-mutuelle/10507834.html
15 Données INAMI
16 346.791 titulaires en 2015 contre plus de 500.000 en 2024
pré-reprises. Le nouvel arrêté royal rend, désormais, systématique le recours au trajet de réintégration qui peut être démarré via une procédure initiée par
1°/ Le travailleur lui-même
2°/ L’employeur à partir du 4ème mois d’incapacité de travail
3°/ Le médecin-conseil
4°/ Le médecin traitant mais uniquement sur base d’un accord préalable du travailleur
C’est le médecin du travail qui supervise ce nouveau trajet et sur base de sa propre analyse des possibilités de réinsertion du travailleur, il prend une décisions qui peut revêtir les formes suivantes :
1°/ La reprise du poste de travail initial après un reprise de travail adapté.
2°/ La reprise du poste de travail initial à terme mais sans possibilité de travail adapté préalable.
3°/ L’inaptitude définitive pour le poste de travail initial mais la possibilité de reprendre chez le même employeur un travail adapté
4°/ L’inaptitude définitive tant pour le travail initial que pour tout autre travail. Cette décision peut conduire l’employeur à une rupture de contrat de travail pur force majeure médicale.
5°/ L’impossibilité médicale de mener un trajet. La situation médicale du travailleur est dès lors réévaluée régulièrement afin de prendre une des 4 décisions « définitives » possibles.
Les trajets de réintégration précédent les trajets INAMI et les intègrent dans un cadre global. Ils visent à la réintégration des travailleurs malades sur leur poste de travail initial ou sur un poste de travail adapté. Ce n’est que lorsque ces deux cas de figures sont impossibles que le trajet INAMI peut réellement débuter.
Théoriquement, ces trajets sont volontaires et un travailleur peut refuser le plan de réintégration. Dans la pratique, ce refus peut mener à une fin de contrat pour force majeure médicale.
L’employeur a également l’obligation de proposer un plan de réintégration si le médecin du travail estime qu’une reprise est possible dans un travail adapté. Si l’employeur refuse cette adaptation, il doit la motiver. Cette motivation peut être contestée par le travailleur devant les tribunaux.
Ces situations visent les travailleurs qui sont encore dans les liens d’un contrat de travail et les trajets SPF n’ont pas d’incidence directe sur l’indemnisation. Leur entrée en vigueur a été fort critiquée par les organisations syndicales que ces nouvelles dispositions ont entraîné une augmentation du nombre de ruptures pour force majeure médicale. Les premiers chiffres de 2017, dévoilés par le service externe de prévention IDEWE, leur donnent raison puisqu’il ressortait que seuls 12% de ces trajets débouchaient sur une reprise du travail adapté alors que 65% conduisaient, eux, à une rupture de contrat de travail17. Cette tendance découlent également des chiffres publiés récemment par la coupole des services externes de prévention, l’ASBL Co-Prev, qui montraient qu’entre le premier trimestre 2022 et le premier trimestre 2023, le nombre de rupture pour force majeure médicale étaient passés de 609 au dernier trimestre 2022 à 6000 au 3ème trimestre 202318
17 Communiqué de presse de la FGTB – 31 janvier 2018
18 La Libre Belgique – 5 décembre 2023
Les trajets INAMI ont quant à eux réaffirmé le rôle crucial du médecin conseil. Sans modifier les dispositions précitées (formation ou reprise partielle d’activité), ils ont été structurés les trajets autour d’une analyse précoce de la situation par le médecin conseil qui oriente le trajet en fonction de 4 possibilités :
1°/ La reprise spontanée du travail au plus tard à la fin du 6ème mois d’incapacité.
2°/ L’incapacité définitive.
3°/ L’incapacité temporaire mais qui ne permet pas une reprise même partielle du travail.
4°/ La reprise du travail après une réadaptation (comme la reprise partielle du travail) ou une formation.
Le plan est volontaire et est soit demandé par la personne reconnue en incapacité de travail/invalidité soit proposé par le médecin conseil. La seule réelle nouveauté, outre la création des 4 catégories précitées, est que ce plan doit désormais être proposé dans les deux mois qui suivent l’incapacité de travail alors que, précédemment, il n’existait aucune obligation pour le médecin conseil de proposer ces trajets de manière systématique. Cette obligation a été critiquée par les mutualités qui la considéraient comme une surcharge administrative dès lors que des personnes manifestement dans l’incapacité de reprendre le travail ou une formation devaient malgré tout être évaluées. L’évolution des chiffres leur ont donné raison puisqu’on a pas observé aucune augmentation notable du nombre de formations suivies par des malades de longue durée suite à l’entrée en vigueur des trajets INAMI.
L’efficacité des trajets INAMI et des trajets de réintégration a été analysée par la Cour des compte dans un rapport d’audit publié en décembre 202119 qui a conclu à la nécessité de poursuivre ces politiques tout en émettant une série de remarques :
1°/ Le faible nombre de trajets entamés en regard avec le nombre d’invalides. Cette situation s’expliquant essentiellement par les moyens financiers mis à disposition des principaux acteurs des trajets (comme les mutualités) pour les enclencher qui restent très limités au regard des enjeux.
2°/ La nécessité de responsabiliser d’avantage l’ensemble des parties à ces processus (mutualités, médecins traitant, employeurs, travailleurs)
3°/ La nécessité de remédier à la pénurie de médecins-conseils qui impacte directement les capacités des mutualités à entamer les trajets INAMI
4°/ La nécessité de mettre en place un système d’échanges d’information et de données relatives aux trajets.
2.2.3. Les réformes de Franck Vandenbroucke et de la Vivaldi
La coalition « Vivaldi » a, une nouvelle fois, réformé ces dispositifs, tout en gardant l’essentiel de leur philosophie initiale.
Pour les trajets INAMI, les principaux changements20 ont été introduits par loi du 12 décembre de 2021 (et ses arrêtés royaux d’exécution) :
1°/ De nouvelles formalités ont été introduites pour rendre plus systématiques les trajets de retour au travail. Désormais, toutes les personnes entrant en incapacité de travail reçoivent un questionnaire à remplir 10 semaines après le début de cette incapacité de travail. Ce questionnaire oriente la décision du médecin-conseil de la mutualité de « classer » le dossier du bénéficiaire dans les 4 catégories précitées.
2°/ Si le médecin-conseil considère que le bénéficiaire peut reprendre le travail, il transfère le dossier auprès d’un Coordinateur Retour au Travail (CRaT), nouvelle fonction organisée (et subventionnée) au
19 Cours des comptes : “malades de longue durée- mesures de réintégration sur le marché du travail », 1er décembre 2021
20 Microsoft Word - Note à la presse Frank Vandenbroucke - le Retour au Travail.docx
sein des mutualités. Cette fonction essentielle existait déjà au sein des mutualités. Elle est désormais reconnue officiellement et fait l’objet d’un encadrement (organisé notamment par l’obligation de suivre la formation en disability management). Le nombre de CRaT financé au sein de l’ensemble mutualités s’élève à 100 ETP.
3°/ Faits nouveaux, les « acteurs » du système sont désormais responsabilisés et des sanctions financières sont applicables en cas de manquements :
• Pour les bénéficiaires qui n’enverraient pas le questionnaire ou ne répondraient pas à certaines convocations dans les délais, une retenue de 2,5% peut être appliquée sur l’indemnité d’incapacité de travail.
• Pour les employeurs, une cotisation annuelle de 2,5% est exigée s’ils dépassent de manière « excessive » les moyennes d’employés en incapacité de travail de leur secteur d’activité
• Pour les mutualités, 10% de la partie variable de leurs frais d’administration21 sera désormais liées à des obligations en terme de retour au travail (comme la fourniture d’une information complète à leurs affiliés ou le référencement systématique des bénéficiaires qui souhaitent suivre une formation vers les organismes régionaux compétents).
• Deux « acteurs » essentiels sont également responsabilisés mais sans pour autant être sujets à sanctions :
o Les organismes régionaux d’emploi et de formation qui sont désormais « contractualisés » avec l’INAMI dans des accords-cadres plus formels que les précédentes conventions et qui se voient également assignés des objectifs quantitatifs plus formels (l’objectif étant d’arriver à terme, 2025, à 20.000 trajets de retour au travail sachant qu’en début de législature ce nombre de trajets était évalué à environ 6000).
o Les médecins traitants qui pourront désormais introduire les certificats d’incapacité de travail et qui recevront des guidelines du Collège national de médecine d’assurance sociale
Parallèlement à ces différents aménagements, le Gouvernement a supprimé deux aides prévues dans les trajets INAMI : les indemnités horaires versées aux personnes suivant des formations et les primes de réussite. Les budgets ainsi dégagés ont permis la création du Fonds Retour au Travail, géré par l’INAMI, qui permet aux personnes licenciées pour raisons médicales de bénéficier d’un service spécialisé et personnalisé (par exemple accompagnement de carrière ou coaching personnalisé) auprès d'un prestataire de services agréé. Une aide de 1800 euros maximale est versée sous la forme d’un voucher permettant d’accéder à des services.
Les trajets SPF ont également fait l’objet de modifications à l’initiative du Ministre fédéral de l’emploi et du travail, Pierre-Yves Dermagne :
1°/ Considérant les gros risques de fins de contrats de travail liés à la réforme de la rupture pour force majeure médicale entrepris par le Gouvernement précédent, la force majeure médicale ne peut plus être une cause de rupture du contrat de travail dans les 9 premiers mois d’incapacité de travail.
2°/ Afin de fluidifier les trajets de réintégrations, ils sont dorénavant accessible au travailleur malade dès le premier jour d’incapacité de travail.
L’ensemble de ces réformes ont fait l’objet d’un rapport suivi de la Cour des Comptes en juillet 2024 dans le cadre de l’audit précité. Il ressort de ce rapport que la Cour estiment que l’essentiel des remarques de l’audit ont été soit intégralement soit partiellement suivies22
21 Les frais d’administration des mutualités sont versés par l’INAMI en deux parties distinctes : une partie fixe calculée en fonction de paramètres objectifs (nombre d’affiliés, situation socio-économie et médicale de ces affiliés) qui correspond à 80% de ces frais et une partie variable liée à la réalisation d’objectifs dans une série de processus-clés de leurs missions qui correspond à 20% de ces frais
22 Malades de longue durée - Mesures de réintégration sur le marché du travail : suivi 2024 des recommandations.
2.2.4.
Les perspectives politiques
A l’heure où cette étude est écrite, nous ne disposons pas encore de l’accord du nouveau gouvernement fédéral qui sera formé suite aux élections du 9 juin 2024.
Cependant, certaines notes de travail ont été diffusées et malgré toute la prudence d’usage qu’il faut manifester à l’égard de ces documents, il est plus que probable que ce futur accord ira dans le sens d’un renforcement des dispositifs de sanctions et de responsabilisation.
On notera, à titre d’exemple, les éléments suivants :
Pour la responsabilisation des employeurs
• Un renforcement du rôle des services externes de prévention, notamment via des contacts « proactifs » vis-à-vis des employés qui présentent un risque accru d’incapacité.
• Une extension de la période de salaire garanti (la période d’un mois pendant laquelle l’employeur prend à sa charge la rémunération du salarié en incapacité de travail). Cette extension se ferait en contrepartie de la suppression de la période de protection de 9 mois contre la rupture pour force majeure médicale instaurée sous la Vivaldi. Ce qui risque de mettre une forte pression sur les salariés malades.
• Une obligation pour les employeurs de “tester” leurs travailleurs en incapacité après 4 semaines. Si des travailleurs qui sont état de travailler ne se sont pas vu proposer un trajet de réintégration, il y’aura une sanction pour l’employeur.
Pour la responsabilisation
des travailleurs
• Le rétablissement du jour de carence pour éviter les abus de recours aux absences d’un jour sans certificat médical. La super nota prévoit aussi de laisser la liberté des entreprises de maintenir l’obligation légale actuelle (pour les entreprises de plus de 50 employés) d’autoriser 3 jours/an d’absences sans certificat médical.
• L’évaluation plus systématique de l’incapacité de travail durant la première année. Si l’évaluation détecte un “potentiel” de retour au travail, l’inscription au Forem/Actiris/VDAB et le trajet de réinsertion deviennent obligatoires. Renforcement des sanctions actuelles (dans des proportions non définies) pour les personnes en incapacité de travail qui ne “collaborent” pas activement à leur trajet de réintégration INAMI.
• L’augmentation des sanctions en cas de « manque de diligence » dans le suivi des entretiens avec les coordinateurs retour au travail et l’envoi des différents formulaires/questionnaires en lien avec les trajets INAMI
• En cas de rechute en incapacité de travail, les travailleurs devront attendre 12 semaines de reprise de travail pour pouvoir bénéficier du salaire garanti. Le travailleur qui n’atteint pas cette période de travail retourne directement vers l’indemnisation INAMI.
• L’augmentation des possibilités de cumul entre salaire et indemnité en cas de reprise partielle du travail en combinant mesures fiscales et réduction de cotisations sociales.
La responsabilisation des médecins
• Les médecins traitants seraient chargés de faire une évaluation des capacités restantes et sont chargés de se concerter avec le médecin du travail compétent pour examiner les possibilités de reprise du travail.
• Des sanctions pour les médecins qui prescrivent trop d’incapacité de travail.
La responsabilisation des mutualités
Les frais d’administration des mutualités seront, encore plus, liés à des obligations de résultats en matière de retour au travail.
La collaboration avec les organismes régionaux d’emploi et de formation
• Ces organismes seront d’avantage impliqués dans les trajets de réintégration, notamment via des contacts plus réguliers avec les services externes de prévention et leur médecin du travail.
• La conclusion de nouveaux accords de coopération entre ces organismes et l’INAMI avec un renforcement de la responsabilisation financière des organismes en matière de résultats.
3. Le retour au travail des malades de longue durée : choisir l’investissement social plutôt que la sanction
Le lien entre santé et travail a, dans les deux dernières décennies, rarement autant occupé les agendas médiatiques et politiques. Certaines de nos certitudes sont en train de tomber. Nous pensions que l’amélioration des conditions de travail et les progrès de la médecin étaient des processus irréversibles et que nous n’aurions pas autant à nous soucier du lien complexe entre santé et travail. Nous devons bien constater que ces évolutions n’ont pas mené à des progrès significatifs en matière de santé au travail.
Cette question se trouve à l’intersection des deux grands défis auxquels sont confrontés la sécurité sociale belge : assurer des soins de santé de qualité à tous et offrir une pension décente aux travailleurs en fin de carrière. Notre sécurité sociale ne peut assurer sa pérennité que si elle prend également en considération cette troisième réalité, celle de l’augmentation constante des invalides.
L’objectif de ce changement de paradigme ne se limite pas à garantir la soutenabilité financière du système. L’augmentation des incapacité de travail est un phénomène qui se poursuivra dans un futur proche en raison d’une multitude de facteurs. Elle sera même, probablement, amplifiée par la relèvement de l’âge légal de la pension (66 ans en 2025 et 67 ans en 2030). Mais la hausse des dépenses et du nombre de bénéficiaires n’est qu’un symptôme. Derrière ces hausses qui semblent parfois incontrôlables, c’est une somme de situations individuelles auxquelles il faut pouvoir répondre avec souplesse et efficacité. Personne ne souhaite réellement être écarté du marché du travail en raison de la maladie. Parfois, hélas, les arrêts maladies sont inévitables. Certains malades ne retrouveront peut-être jamais le chemin du travail. Mais pour tous ceux qui peuvent, ne serait-ce que partiellement, le reprendre, la mission de tous les acteurs concernés, institutions publiques, employeurs, mutualité est de leur permettre d’accéder à cette opportunité de manière librement consentie.
Toute faiblesse et toute menace peut se muer rapidement en opportunité. La hausse des dépenses d’invalidité a obligé la sécurité sociale belge à se réinventer et à se doter, en quelques années, d’instruments performants de retour au travail. Le challenge était important.
Trois questions majeures nous préoccupent pour le futur : la santé mentale, le cancer et les maladies musculosquelettiques. Ces défis de santé publique sont autant de questions brûlantes qui nous obligent à poursuivre le travail entamé depuis quelques années en prenant 4 directions :
1°/ Progresser dans l’intégration des politiques de réhabilitation
La Belgique est certainement un des pays les plus avancés de ce point de vue mais nous pouvons aller plus loin. En intégrant, par exemple, davantage les politiques de soins et de retour à l’emploi. Dans la carte européenne des systèmes d’invalidité, la Belgique fait partie des pays associant les soins de santé et l’indemnisation de l’incapacité de travail au sein d’une même institution. C’est une valeur ajoutée indéniable qui est souvent soulignée dans les comparaisons internationales. C’est aussi la consécration du lien existant entre les soins curatifs et le retour à l’emploi, le (bon) travail étant unanimement perçu comme un facteur influençant positivement l’état de santé. Encore faut-il étendre cette approche à toutes les institutions et pouvoirs compétents en matière de santé.
Le champ de la santé mentale est probablement le premier terrain à investiguer dans ce contexte. Des projets novateurs, centrés sur les publics les plus fragiles, sont en train de se développer au sein du centre d’expertise de l’incapacité de travail de l’INAMI. Ils visent, entre autres, à expérimenter le modèle IPS (Individuel Placement Support) de manière plus systématique ou encore des soins coordonnés pour les bénéficiaires atteints de burn-out. Ils s’inspirent de cette approche intégrée de la réhabilitation qui s’organise dans un véritable continuum et qui soutient le malade du diagnostic jusqu’au retour au travail (quand il est possible) et sont autant de jalons pour l’avenir d’une système de soin santé qui intègre complètement cette dimension. Les conclusions de l’expérimentation menée par l’INAMI dans le projet IPS sont sans équivoques quant à sa valeur ajoutée en terme de possibilités de retour au travail23
2°/ Mieux assurer le lien entre prévention et réhabilitation
« La meilleure réhabilitation est celle que l’on ne doit pas entamer ». Ce truisme nous rappelle qu’avant d’envisager des actions qui visent à réparer un dommage, on peut solutionner beaucoup de problèmes en les anticipant. La Belgique dispose d’un excellent arsenal législatif et réglementaire en matière de bien-être au travail mais de l’avis général, sa traduction sur le terrain reste très imparfaite. Les travailleurs malades de longue sont très souvent perçus comme une charge pour les employeurs et ces derniers restent insuffisamment responsabilités dans ce domaine. Le rôle des conseillers en prévention et des médecins du travail est, sur ce point, en pleine évolution et à côté des missions essentielles en matière de prévention et de surveillance, leurs compétences en matière de disability management émergent progressivement.
Cela pose évidemment la question du rôle, de plus en plus actifs, des employeurs. Et des incitants nécessaires. Mais d’une manière plus fondamentale, cela met en relief la nécessité de nous doter d’outils performants afin de rendre plus performants le marché de l’emploi en ce qui concerne l’inclusion des travailleurs souffrants de limitation fonctionnelle temporaire ou définitive. La Belgique reste, de ce point de vue, un des plus mauvaises élèves de la classe en Europe. Dans notre pays, l’écart entre le taux d’emploi des personnes en situation de handicap et des personnes valides est, en 2022, de 33,6% alors que la moyenne des 27 pays de l’Union européenne est de 21,5%24
Cette situation peut expliquer, en grande partie, les raisons pour lesquelles l’invalidité est devenue un sujet politique très important.
Elle ne se règlera pas d’elle-même. En effet, le vieillissement de la population active et le développement des maladies chroniques sont des tendances lourdes qui ne sont pas prêtes de s’inverser et le maintien voire l’augmentation du taux d’emploi des personnes qui souffrent de limitations « médicales » à l’accès au marché du travail, passe une politique beaucoup plus volontariste pour favoriser leur inclusion. Ces politiques passent par une responsabilisation accrue des employeurs qui n’ont que peu d’obligations de résultats en la matière et qui, si les intentions de la future coalition « Arizona » se concrétisent, pourront mettre fin très facilement au contrat de travail de personnes malades de longue durée.
3°/ Mettre en place des approches sans cesse plus personnalisées de retour à l’emploi
La nature même des invalidités a fortement évolué en quelques décennies. Et la dynamique engagée peut paraître paradoxale. La prévalence de certaines maladies (les trois grands défis mentionnés plus haut : santé mentale, cancer et maladies musculo-squelettiques) semble augmenter mais les espoirs de retours au travail aussi. L’assurance invalidité doit donc sortir progressivement d’une logique assez binaire qui consiste à « découper » l’indemnisation en deux seules séquences : l’entrée et la sortie de l’incapacité de travail au sens où la loi l’entend. La réalité correspond de moins en moins à cette « vérité juridique » et la question des états de santé qui évoluent avec le temps devient de plus en plus centrale à mesure que les maladies chroniques progressent dans notre société.
Ce serait une grosse erreur, aux coûts sociétaux immenses, de considérer que toute personne souffrant d’une maladie chronique potentiellement invalidante doit être jugée définitivement inapte pour le travail. Le droit du travail et notre sécurité sociale doivent davantage coller à ces nouvelles
23 Projet « Individual Placement and Support » (IPS)
24 [Carte] L'accès à l'emploi des personnes handicapées en Europe - Touteleurope.eu
réalités et permettre aux employés et à les employeurs d’envisager sereinement la succession de reprises et de rechutes quasiment inévitables auxquels font face les patients souffrants de maladies chroniques.
Cette approche personnalisée suppose que l’on sorte du dogme des sanctions. La question des sanctions ne devraient pas se poser dès lors que des enquêtes25 montrent qu’une grande majorité de travailleurs en incapacité de travail veulent reprendre (parfois malgré leur état de santé) une activité professionnelle. Par ailleurs, leur efficacité n’a jamais été prouvée. Et l’exemple de « l’activation » des demandeurs d’emploi tend à montrer que c’est même le contraire qui se produit : les sanctions auraient des effets néfastes sur la santé des bénéficiaires d’indemnités de sécurité sociale26
A la manière de la langue d’Esope, la question du retour au travail des malades de longue durée peut être la meilleure et la pire des choses. La meilleure si elle est vue comme l’affirmation d’un véritable droit à l’inclusion sociale organisé sur une base volontaire qui associe la personne à tous les stades de sa maladie ou de son handicap et qui lui offre des perspectives durables de retour sur le marché du travail dans le cadre d’un emploi de qualité. La pire si elle est vue, comme c’est hélas trop souvent le cas, dans une optique de sanction et de « punition » de ces personnes, trop souvent vue comme des « profiteurs » du système.
25 Vlaamse patientenplatform (2014), Securex (2019), Solidaris (2024)
26 Octave De Brouwer, Elisabeth Leduc, Ilan Tojerow, The consequences of job search monitoring for the long-term unemployed: Disability instead of employment?,Journal of Public Economics, Volume 224, 2023,