LA CHUTE DE DEXIA : IMPACT SUR LES FINANCES PUBLIQUES BELGES
Florian LEMAIRE & Florent LEGRAND DECEMBRE

Introduction
Cette note est structurée en deux grandes parties. Dans la première partie, nous développons une présentation chronologique de l’évolution de la banque Dexia entre 1993 et 2011. Dans la seconde partie, nous nous focalisons sur les interventions des pouvoirs publics belges qui se traduiront par différentes recapitalisations et octrois de garanties lors de différentes crises.
1. Du crédit communal à Dexia
En 1993, la ratification du traité de Maastricht officialise la volonté européenne d’établir un marché unique. Au niveau bancaire, l’élargissement du marché a principalement pour conséquence un mouvement de fusion et d’acquisition dans une logique de survie.
En Belgique, le « crédit communal » suit cette vague de changements en scrutant les possibilités de nouveaux partenaires. Dans les années 1990, le crédit communal est une institution financière puissante en Belgique. Cette institution est leader du financement des communes, détenant 80% de ce marché, mais est aussi largement développée comme banque de détail. Si le bilan financier de Dexia est composé de 3503 milliards de francs belges, son patron (François Narmon) craint cependant les conséquences du processus d’élargissement du marché européen. En conséquence, cette banque cherche à s’agrandir et à renforcer son positionnement. Trois possibilités sont développées : le rassemblement des sept instituts publics de crédits en trois groupes (proposition de l’ancien ministre des finances Philippe Maystadt), un rapprochement avec la générale de banque et la formation d’un groupe européen de banque-assurance constitué du crédit communal, de la BBL et de la Royale belge. L’échec de ces trois projets entraîne la recherche de partenaires en dehors des frontières belges. Le crédit communal prend ainsi la décision de reprendre la Banque Internationale de Luxembourg (BIL) et se rapproche du crédit local de France. Ce dernier est à l’époque une institution financière dont l’activité principale est le financement du secteur local. Ce rapprochement aboutit, en novembre 1996, à la création du groupe Dexia1 qui s’articule autour de trois domaines d’activités :
- le financement des investissements publics et des pouvoirs locaux, avec pour objectif de devenir un leader mondial dans ce domaine ; - une banque générale pour les particuliers ;
la gestion d’actifs.
Cette fusion n’est pas motivée de la même manière du côté belge ou français. Le crédit local belge a pour objectif de s’agrandir afin de devenir un acteur important sur le marché bancaire européen. Le crédit local français a quant à lui besoin de diversifier ses sources de liquidité.
1https://www.ulg.ac.be/upload/docs/application/pdf/201203/dexiarapportetudiants.pdf#:~:text=Concernant%20les%20swaps%20et%20comme,d'une%2 0garantie%20appel%C3%A9e%20collat%C3%A9ral.
Le groupe binational Dexia est alors composé de Dexia banque Belgique et de Dexia Crédit Local2. Les deux entités présentent la particularité d’avoir une clientèle et un actionnariat composé de pouvoirs locaux belges et français. Cette nouvelle banque va toutefois entrer en bourse et les activités du groupe vont s’internationaliser.
Le premier-ministre belge de l’époque, Jean-Luc Dehaene, a un rôle très important dans ce processus. Les décisions de la banque doivent ainsi être analysées en prenant en compte les objectifs des dirigeants belges de l’époque. En 1996, la Belgique souhaite réduire son déficit et sa dette, afin notamment de mieux respecter les critères relatifs à l’intégration au marché unique. La vente le 20 novembre 1996 de plus de 30% des actions des collectivités locales, regroupées dans le « Holding communal », rapporte près de 35 milliards de francs belges à celles-ci. Ce processus participe ainsi à l’effort de réduction de l’endettement des pouvoirs publics belges.
Afin de mieux clarifier la structure juridique du groupe, les holdings Dexia Belgique et Dexia France vont former SA Dexia en 1999.
2. La situation avant la crise économique et financière de 2008
Au début des années 2000, Dexia met en place une stratégie ayant pour but de devenir un groupe d’envergure mondiale. Si cette banque était importante en Belgique, ce n’était pas le cas en Europe. Deux périodes d’expansion rapide, caractérisée par de nombreuses acquisitions, se succèdent.
La première correspond à l’expansion en Belgique et aux Pays-Bas. En 2000, Dexia va ainsi racheter les banques d’affaires néerlandaises Labouchère pour 2,6 milliards d’euros, Kempen & Xo pour 1 milliard d’euros et Artesia pour 3,3 milliards d’euros. Cette dernière était détenue à 100% par Arco, le bras financier du mouvement ouvrier chrétien (MOC) flamand. Arco rentre alors au capital de Dexia à hauteur de 15%. Cela correspond au même pourcentage que celui détenu par le Holding communal. En Wallonie, Dexia va également s’associer avec la banque Ethias.
Pour devenir le leader mondial du financement des collectivités locales, Dexia va ensuite continuer à acheter des obligations de collectivités locales du monde entier. Dans ce cadre, le groupe va acquérir « Financier Security Assurance » (FSA). Ce « rehausseur de crédit »3 américain se portait garant des obligations financières de ses clients contre une prime qui bénéficiait d’une très bonne note de la part des agences de notation (AAA).
En moins de trois ans (2000-2003), le groupe Dexia débourse ainsi huit milliards d’euros. Ses investissements ne se focalisent plus uniquement dans la capitalisation des pouvoirs locaux comme annoncé à la naissance du groupe. De la même manière que de nombreuses institutions financières de l’époque, la technique utilisée consiste à emprunter à court terme sur le marché interbancaire à des taux très bas, afin de prêter à un rendement supérieur sur le long terme. L’achat de la banque d’affaires Labouchère symbolise les échecs de cette période. Un an après son acquisition, cette banque est mise en liquidation. Le coût de l’opération est de deux milliards d’euros pour Dexia.
2 Dexia crédit local présentait également la particularité d’être déjà cotée en bourse.
3 Un réhausseur de crédit est un établissement financier spécialisé qui apporte sa garantie à un emprunteur, celui-ci peut donc s’endetter à des taux plus faibles.
Cette garantie permet à ses bénéficiaires d’emprunter plus facilement, de bénéficier d’une meilleure notation pour leurs emprunts, tout en garantissant de meilleurs rendements aux investisseurs
Entre 2004 et 2005, le groupe quadruple ses emprunts à court terme et à taux bas, gardant la même politique qui fonctionne uniquement en période de bonne conjoncture économique. En conséquence, le bilan de Dexia grossit4 . Entre 2000 et 2008, il augmente de presque 150% comme le démontre cette figure :
Entre 2003 et 2008, on remarque ainsi plus particulièrement que le bilan de Dexia passe de 350 à 651 milliards d’euros. Cette évolution correspond parfaitement à un objectif d’expansion. Il est cependant de plus en plus composé d’obligations risquées. De plus, la direction bicéphale de Dexia ne permet pas d’unifier le groupe. Les relations entre Pierre Richard (directeur français) et François Narmon (directeur belge) sont conflictuelles. Cette situation a pour conséquence un manque cruel de transparence entre les différentes branches du groupe.

En 2006, des changements au sein du management vont rapidement permettre de mettre en lumière que la hausse du « gap de liquidité »5 peut causer d’énormes problèmes au groupe Dexia en cas d’augmentation des taux d’intérêts sur les marchés financiers. En outre, on constate que ce groupe n’a pas effectué une consolidation de ses fonds propres. Ceux-ci ne représentent ainsi que 3% de ses actifs en 2007. En additionnant ces différents éléments, nous constatons que le ratio de solvabilité de Dexia est très inquiétant. L’analyse du rapport annuel de Dexia en 2007 ne montre cependant pas d’inquiétude significative sur la situation du groupe. Jusqu’en 2007, la stratégie de Dexia semble être appréciée par les régulateurs, par les agences de notations et par les investisseurs. Il n’y a en outre aucune mention dans ce rapport des produits financiers problématiques de FSA.
Avant le début de la crise économique et financière de 2008, Dexia a ainsi fait le choix de développer une politique d’acquisition importante faisant augmenter son bilan de manière importante. Le groupe utilise une technique d’emprunts à taux bas, qui s’avère être risquée en cas de ralentissement économique. Ces éléments sont les prémices de la chute de Dexia, et vont permettre de comprendre son incapacité à affronter la crise économique de 2008.
4 Commission d’enquête Dexia (2012) consulter sur : Chambre des représentants (2012), Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA. Chambre 3e session de la 53e législature. https://www.dekamer.be/kvvcr/pdf_sections/comm/dexia/53K1862002.pdf
(consulté le 16/03/2020)
3. Le premier choc suite à l’acquisition de la FSA
Les gros problèmes de Dexia débutent réellement en 2007. Ils résultent de la situation financière de sa filiale américaine (FSA). Ce « rehausseur de crédit » est spécialisé dans l’octroi de garanties aux municipalités américaines qui émettent des emprunts publics. Si elle est bien notée par les agences de notation, FSA développe toutefois une stratégie d’expansion et va se doter d’une division « produits financiers ». Cette division choisit d’investir dans des « subprimes ». De manière simplifiée, on peut définir les subprimes comme des crédits hypothécaires accordés à des personnes disposant de capacités de remboursement moins importantes, le risque de défaut étant compensé par un taux d’intérêt plus important. Des citoyens américains empruntaient ainsi des montant importants à taux variable, en mettant en garantie leurs biens immobiliers. Avec la crise économique et l’effondrement du marché immobilier, FSA va subir des pertes importantes. Dexia doit alors voler au secours de sa filiale, en mobilisant d’abord 340 millions d’euros début 20086 puis en se portant garant des engagements de FSA. Le problème ne s’arrête cependant pas là. Cette filiale américaine vend également des contrats d’investissements avec un rendement garanti. En 2008, on constate que ces contrats d’investissements représentent 18 milliards de dollars. Cependant, FSA possède un portefeuille ne pouvant garantir les rendements de seulement 13 milliards de dollars. Par conséquent, le groupe FSA ne peut plus garantir ses engagements.
Cette histoire américaine a d’importantes conséquences pour Dexia : son cours de bourse chute, certains investissements de sa filiale lui coûtent près de trois milliards d’euros et elle doit faire appel à la réserve fédérale américaine pour ce qui constituera le record mondial d’emprunt d’urgence pourvue par cette institution7. Dexia finit par vendre en partie sa filiale fin 2008, mais sans se débarrasser de certains produits financiers toxiques (17 milliards de dollars) détenus par FSA.
4. Les conséquences de la crise des subprimes
La crise américaine des subprimes va se transformer en crise économique et financière se diffusant dans le monde entier. De nombreuses institutions bancaires vont alors être très fortement impactées, notamment dans leur capacité à se financer. Concernant Dexia, l’agence de notation «Standard&Poor’s » va revoir la note octroyée pour les activités de cette banque, passant de AA à AA-. Cette notation négative va engendrer à long terme une dégradation de sa capacité d’emprunter sur les marchés. Par conséquent, sa stratégie basée sur les emprunts à court terme et à taux bas est fortement altérée8. Pour rendre compte de la situation catastrophique de cette banque, on peut notamment souligner que la valeur de l’action Dexia passe de 17,23€ à 3,20€9 à la fin de l’année 2008.
Malgré une intervention de la banque centrale européenne (BCE) pour stabiliser les marchés financiers, Dexia est obligée d’augmenter son capital afin de répondre à ses obligations. En outre, la situation de crise engendre un retrait de 15 milliards d’euros de dépôts, ce qui constitue un coût dur pour les liquidités du groupe. Une réaction étatique semble inévitable face à cette situation. Les ministres des finances français (Christine Lagarde) et belge (Didier Reynders) trouvent alors un accord, qui se concrétise par une intervention égale des deux pays. Le lundi 29 septembre 2008, les Etats français et belge injectent ainsi trois milliards d’euros dans Dexia, le Luxembourg mobilisant quant à lui 376 millions d’euros directement pour la BIL.
6 Dexia (2007). Rapport annuel 2007 de Dexia. Bruxelles, www.Dexia.com (consulté le 24/02/2020).
7 La réserve fédérale américaine a prêté 33,5 milliards de dollars à Dexia qui les a remboursés en janvier 2010.
8 En octobre 2008, 40% du bilan de Dexia est financé à court terme Dexia (2011). Rapport annuel 2011 de Dexia crédit local, www.Dexia.com (consulté le 03/03/2020).
9 Dexia (2008). Rapport annuel 2008 de Dexia. Bruxelles, www.Dexia.com (Consulté le 24/02/2020), p.49.
Au niveau belge, ces trois milliards sont repartis entre l’entité fédérale, les entités fédérées et les trois grands actionnaires emblématiques de Dexia (Arco-Ethias-Holding communal)10 :
- Holding communal : 500 millions d’euros
- Arco : 350 millions d’euros
- Ethias : 150 millions d’euros
- Etat fédéral : 1 milliards d’euros
- Communauté flamande : 500 millions d’euros
- Région wallonne : 350 millions €
- Région Bruxelles-Capitale : 150 millions €
L’actionnariat de Dexia entre fin 2007 et fin 2008 évolue alors de cette manière :
Source : rapport annuel Dexia, retraité dans le 166ième cahier de la Cour des comptes
Cette intervention étatique s’est déroulée avec l’aval de la Commission européenne11, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes12. Cette recapitalisation est considérée comme une aide d’Etat. La Commission européenne oblige alors Dexia à effectuer une réduction de son bilan de 35% jusqu’en 2014, mais aussi à recentrer ses activités sur son objet initial. La nouvelle direction de Dexia poursuit alors cet objectif avec le plan de transformation de novembre 2008. Ce plan s’articule autour de trois axes fondamentaux :
- La réduction du profil de risque du groupe ;
- La priorité donnée aux clients et aux métiers historiques du groupe ;
- L’adaptation de la structure de coûts.
A la suite de la recapitalisation belge du groupe, les Etats belge et français requièrent le départ du management en place. Ce changement du management ne permet toutefois pas de rassurer le marché, l’action SA Dexia continuant à chuter. La solution développée par le nouveau duo de Pierre Mariani / JeanLuc Dehaene consiste à développer une garantie13 de financement par les Etats belges et français et à
10 Source : Commission européenne (2008). « Aide d’Etat NN49/2008 Belgique ». Aide d’Etat en faveur de Dexia en forme de garantie sur les obligations.
11 « En tant que mesure de sauvetage d'urgence, satisfait aux conditions définies précédemment et qu’elle est compatible avec le marché commun sur base de l'Article 87 du Traité ». Commission européenne (2008), Aide d'État NN 49/2008 – Belgique, Bruxelles.
12 Cour des comptes (2009-2010). « 166ième cahier de la cour des comptes ». Observations et documents soumis à la chambre des représentants.
13 « Garantie octroyée par l’État sur le financement d’une banque. Ceci signifie que l’État se porte garant de l’exécution des obligations de paiement de Dexia vis-à-vis d’une grande partie de ses créanciers. Pour jouir de cette garantie, Dexia paye une prime annuelle à l’État. »
demander une participation luxembourgeoise pour l’une des composantes de Dexia (BIL). Les dirigeants se mettent une première fois d’accord sur une garantie de 150 milliards d’euros, qui sera, dans un second temps, réduite à 100 milliards d’euros le 1er novembre 2009. Cette garantie est répartie de façon inégale entre les Etats. La Belgique en supporte en effet 60,5 %
Sollicitation de la garantie belge par Dexia SA (2008-2010)
Moyenne (en milliards d’euros)
Source : Banque nationale de Belgique (BNB)
Cette clé de répartition fait courir un risque important aux finances publiques belges. Dans ces circonstances, l’Etat belge va tout mettre en œuvre pour sauver Dexia et cette garantie va rassurer les marchés financiers. Le 9 octobre 2008, l’action SA Dexia rebondit en effet de 16%. La Commission européenne avalise ces garanties, mais demande aux Etats membres de leur fournir un plan de restructuration au cours de l’année 2009. Début 2009, le rapport annuel de Dexia montre une perte de trois milliards d’euros.
La commission européenne recommande à Dexia de réduire son bilan, c’est-à-dire d’arrêter certaines activités et de céder certains actifs. Du côté français, on demande à Eric Gisler d’étudier les crédits toxiques qui constituent l’un des problèmes majeurs pour les municipalités françaises. Ces dernières ont en effet eu recours de manière outrancière à ces crédits. Afin de dépasser la catastrophe de l’année 2008, Dexia prévoit un plan de licenciement de 900 postes (permettant une économie de 600 millions d’euros). Les actionnaires sont eux aussi impactés. Dexia décide ainsi de ne pas leur verser de dividende jusqu’au 31 décembre 2011. Ce plan de restructuration est envoyé à la Commission européenne, afin que celle-ci en examine la pertinence. Le vice-président de la Commission en charge de la concurrence (Joaquίn Almunia) déclare alors : « le plan de restructuration de Dexia est conforme aux orientations de la Commission et conduira Dexia, au terme de la période de restructuration, à se recentrer sur son cœur d'activité et à rétablir sa viabilité à long terme, notamment grâce à des ressources financières plus stables »14. La bonne exécution du plan de restructuration est examinée chaque année par un expert mandaté par la Commission européenne. Concernant la liquidité du groupe, la Commission impose trois ratios permettant d’augmenter son financement à long terme et de réduire son problème de liquidité. L’objectif fixé est de sortir du système de garantie d’Etat pour le 30 juin 2010. Le rapport de la Cour des comptes sur l’impact de la crise financière pour les institutions bancaires mentionne ainsi que « l’État ne garantit plus les emprunts interbancaires contractés par Dexia SA après le 30 juin 2010. En revanche, l’État garantit toujours les emprunts contractés par Dexia SA avant cette date et qui arrivent à échéance au plus tard le 31 octobre 2014 »15 En échange de cette garantie, l’Etat bénéficie d’une rémunération de plus de 200 millions d’euros pour les années 2009 et 201016
De manière générale, le plan de restructuration a été respecté par le groupe Dexia. Toutefois, le constat de la commission en 2009 sur les ratios de liquidités est toujours bien présent. Dexia ne prend en effet en compte que le financement à court terme, sans faire particulièrement attention à la possibilité d’une augmentation rapide de ses coûts de liquidité. En cas de diminution des aides d’Etat ou de développement d’une nouvelle crise, il était déjà possible de déduire que la variation des taux d’intérêts mettrait en péril les liquidités du groupe et la survie de celui-ci.
14 Communiqué de presse du rapport de la commission (Aide d’Etat) du 26 février 2010.
15 Impact de la crise financière sur les institutions bancaires (Cour des comptes,2010), p.14.
16 SPF finances, Trésorerie (Cour des comptes, 2010), p.15.
5. D’un stress-test réussi à une crise de la dette souveraine
La Banque Nationale de Belgique (BNB) et l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) font passer à Dexia un « stress-test »17 prévoyant des hypothèses où la banque se trouverait dans une situation défavorable. L’objectif est d’analyser ses capacités de réaction à, par exemple, un ralentissement de la croissance. En juillet 2011, l’ABE annonce la réussite de ce test. Selon celui-ci, Dexia dispose ainsi de fonds permettant d’affronter une situation de stress (ou crise) d’une durée de deux ans.
L’analyse du test effectué montre toutefois des manquements, notamment en termes de prise en considération de l’ensemble des risques que doit affronter Dexia18. On peut ainsi souligner que l’objectif central de ce test n’était pas de refléter totalement la situation économique réelle de cette banque, mais plutôt de rassurer les marchés financiers.
Quelques mois plus tard, la crise des dettes souveraines (2010-2011) éclate, ce qui complique fortement le financement interbancaire. En outre, la méfiance des investisseurs ne permet plus d’obtenir du financement dans des volumes et des conditions satisfaisantes pour les banques.
Alors que Dexia a déjà dû affronter la forte dépression de 2008, elle doit alors faire face à une nouvelle crise en 2011. Pour comprendre cette problématique, il faut revenir quelque peu sur la stratégie de cette banque basée sur le développement d’emprunts à court terme et à taux bas sur les marchés. Avec les sommes récoltées, l’objectif était d’octroyer des crédits à ces clients (notamment les communes belges) ou d’acheter des portefeuilles d’obligations à long terme. Pour diminuer les risques encourus par cette stratégie, Dexia fait le choix de couvrir son portefeuille d’obligations contre la hausse des taux d’intérêts via ce que l’on appelle des « swaps de taux d’intérêts ». Le problème de cette technique financière est qu’en cas de baisse des taux d’intérêts, la banque doit verser une garantie (que l’on appelle des « collatéraux »). Toute la problématique de Dexia est qu’elle manque déjà de liquidité. Si ces garanties sont activées, ce manque de liquidité est encore renforcé. Au cours des derniers mois de son existence, Dexia se trouve alors dans une situation très compliquée en raison de la diminution des taux d’intérêts des obligations d’état allemandes. Ces taux servent en effet de référence aux « contrats de swaps ». Le montant demandé en collatéral est alors colossal. Pour donner une idée aux lecteurs, une baisse de 1% du taux rendait nécessaire la sortie de douze milliards de collatéral supplémentaire. En se couvrant essentiellement via des swaps, Dexia n’a pas respecté le principe essentiel de la non-concentration des risques. Cet élément a encore renforcé la situation catastrophique dans laquelle se trouvait le groupe19
En mai 2011, le CEO (Pierre Mariani) annonce une perte de 3,6 milliards d’euros. Dès lors, il devient inévitable pour cette banque de vendre les produits financiers gardés au sein de son ancienne filiale américaine (FSA). Malgré cela, le volume d’obligations du groupe reste un problème majeur. Il ne répond en effet toujours pas aux exigences fixées dans le rapport de la Commission européenne réalisé après la crise économique et financière de 2008 (cfr. supra).
L’analyse du rapport de la commission parlementaire belge (réalisé en 2012) dévoile alors l’existence de discussions à cette époque entre la BNB, l’Etat belge et l’Etat français sur l’élaboration d’un plan de démantèlement du groupe. En effet, la garantie de l’Etat belge apportée à Dexia arrive à échéance fin 2011. Cela rend la banque Dexia possiblement plus vulnérable. Dans ces circonstances, en septembre 2011, l’Etat belge demande à la banque suisse UBS d’analyser la situation de Dexia. Le rapport d’UBS met alors en
17 Il permet d’évaluer la résistance d’institutions financières en période de crise économique.
18 On peut notamment mettre en exergue le calcul de la solvabilité du groupe, et plus particulièrement des coûts relatifs aux liquidités nécessaires à la survie de Dexia.
19 En septembre 2011 lors de l’éclatement de la crise, Dexia doit alors mobiliser 44 milliards d’euros. Ce montant correspond à la moitié de ses besoins de financements pour répondre à ses engagements dans les swaps.
lumière l’exposition du groupe aux dettes italiennes et grecques (4,5 milliards de titres souverains). Ces pays seront particulièrement touchés par la crise de la dette souveraine.
L’ensemble de ces éléments a pour conséquence une mise sous surveillance de l’agence de notation Standard and Poor’s. La BNB échafaude alors différentes hypothèses de « bad bank »20 ou de « good bank »21, mais le démantèlement du groupe apparait comme inévitable. Le 29 septembre 2011, l’agence de notation Moody’s énonce des réticences sur les capacités de financement du groupe pour supporter ce nouveau choc. Dans la foulée, des négociations étatiques francobelges vont avoir lieu. Du côté belge, on envisage la nationalisation de Dexia banque Belgique (DBB) qui est une grande pourvoyeuse de liquidités pour le groupe Dexia. La mise sous surveillance négative de Moody’s va endommager gravement la stabilité financière de Dexia. Rapidement, l’action SA Dexia plonge de 10%, ses sources de financements disparaissent, et le groupe perd sept milliards d’euros de dépôts à la suite de cette annonce. Le 6 octobre 2011, Dexia ne dispose plus que de 10,8 milliards d’euros de financement à court terme, ce qui est extrêmement peu par rapport à son époque dorée.
Une intervention étatique semble une nouvelle fois inévitable. Les discussions entre les ministres des finances de l’époque (François Fillon et Didier Reynders) vont aboutir au démantèlement de Dexia. Les deux Etats s’engagent à garantir la sécurité des déposants et des créanciers, et mettent en place un nouveau système de garantie de 90 milliards d’euros au bénéficie de Dexia22. L’Etat belge intervient dans cette garantie à hauteur de 60,5% durant dix ans (jusque 2021). En outre, il nationalise le 10 octobre 2011 Dexia banque Belgique pour quatre milliards d’euros. Cette nationalisation s’effectue avec pour objectif de réduire les risques systémiques, et de pérenniser l’activité commerciale de DBB.
Après 15 ans de rêves d’expansion et d’erreurs accumulées, Dexia SA n’est plus. Le tableau ci-dessous permet de résumer les évènements majeurs de la vie de cette banque.
Date Evènement majeurs
1860-1996 Crédit communal de Belgique
1996 Alliance avec le crédit local de France, création de Dexia SA
2000 Rachat de FSA
2001 Achat d’Artesia (création du lien avec Arco)
2006 Achat d’une banque turque pour 2,6 milliards d’euros (Denizbank)
2008 Crise économique et financière
Recapitalisation de Dexia SA
Garanties octroyées à Dexia SA
2011 Crise des dettes souveraines
Démantèlement et résolution ordonnée de Dexia SA
Vente de Dexia banque Belgique à l’Etat belge
2012 Création de Belfius
6. Belfius et la fin de vie de Dexia
Comme énoncé plus haut, une commission d’enquête parlementaire va voir le jour en 2012 afin d’examiner les circonstances qui ont contraint au démantèlement de Dexia. A la différence de la commission parlementaire spéciale prévue initialement, cette commission d’enquête parlementaire permet à ses membres d’agir comme de véritables juges d’instruction. En mars 2012, elle remet un rapport de plus de 400 pages devant la chambre des représentants. Plusieurs recommandations ressortiront de ce rapport. On pourra notamment y lire que depuis 2009, une séparation était déjà préconisée entre les activités de la banque de dépôts et de la banque d’affaires. La commission prône aussi un meilleur contrôle et un renforcement de la gouvernance, notamment au travers d’une amélioration de la compétence des administrateurs choisis. Dans ce cadre, des représentants de l’autorité des services et des marchés financiers (FSMA) et de la BNB deviennent observateurs au sein du conseil d’administration. Cette commission d’enquête souligne également l’intérêt de détacher un maximum Dexia Banque Belgique de Dexia.
L’Etat fédéral possédant 100% des parts de DDB, il décide de mettre en place un nouveau conseil d’administration ainsi qu’un nouveau président du comité de direction (Jos Clijsters). Afin de se différencier de Dexia23, un changement de nom s’impose : Belfius. Cette nouvelle banque-assurance belge conserve la spécificité de se spécialiser sur les collectivités locales. Toutes les communes et provinces belges développent alors un contrat avec Belfius. Pour gagner la confiance des pouvoirs locaux, Belfius leur accorde en effet des prêts sous garanties afin de financer leurs projets (leurs dépenses extraordinaires). Cette banque propose aussi des produits de gestion de trésorerie et de dette, mais aussi la mise en place de différents outils permettant d’effectuer des études d’analyse financière individualisées. Enfin, de la même manière qu’une banque de dépôt classique, Belfius possède une clientèle de particuliers et d’entreprises. Le business plan remis par Belfius à la Commission européenne va alors démontrer la viabilité de cette banque et son souhait de se positionner comme une banque de dépôt ainsi qu’un acteur de bancassurance24 important en Belgique. Cette banque s’engage alors à réduire ses coûts de financement, à diminuer ses activités de trading, à ne pas payer de dividendes ou encore à ne pas réaliser de nouvelles acquisitions jusqu’en 2014. La Commission souligne dès lors que : « le plan de restructuration de DBB/Belfius contient des éléments suffisants pouvant être qualifiés de mesures de viabilité, de contributions propres et de mesures compensatoires, ce qui exclut toute mesure ou engagement supplémentaire de la part de DBB/Belfius »25.
Concernant Dexia, le rapport annuel du groupe début 2012 annonce une perte de 11,6 milliards d’euros pour l’année écoulée. Les gouvernements français et belge s’accordent sur les garanties définitives pour le groupe Dexia de 85 milliards d’euros. Dans le même temps, Dexia avait l’obligation de supprimer ses crédits non sécurisés et la Commission européenne n’avait toujours pas rendu de décision définitive. Elle autorisait temporairement les garanties fournis par les Etats pour maintenir la viabilité du système financier, tout en étudiant en profondeur le plan de sauvetage de Dexia. Afin de convaincre la Commission, un nouveau plan de sauvetage est envoyé en septembre 2012, avec comme perspective une nouvelle recapitalisation de Dexia. En novembre 2012, l’Etat belge et français injectent finalement respectivement 2.9 milliards d’euros et 2.6 milliards d’euros. Cette recapitalisation de 5,5 milliards d’euros octroi aux Etats des actions préférentielles avec droit de vote. En outre, la diminution de 10% des garanties, correspondant à une diminution de dix milliards d’euros, permet aux Etats de moins lier leur sort au groupe Dexia. Ce nouveau financement a pour objectif de permettre à ce groupe de mener convenablement son démantèlement. Avec cette nouvelle aide, les Etats belge et français détiennent alors respectivement 50.02% et 44.40% du capital de Dexia SA. La Commission européenne souligne la nécessité de cette intervention, afin de respecter les règles prudentielles et d’éviter une liquidation incontrôlée. L’année 2013 correspond alors au début de la mise en œuvre de son plan de restructuration.
23 Il y a toujours néanmoins une ligne de crédit entre Dexia et Belfius pour un montant de 12 milliards d’euros.
24 Belfius va commercialiser ses contrats d’assurance à travers le réseau bancaire.
25 Décision de la commission concernant l’aide d’Etat en faveur de DDB/Belfius (p.63)
7. Les conséquences pour les finances publiques belges
Comme nous venons de le constater dans le chapitre précédent, l’Etat belge a injecté en un an près de sept milliards d’euros dans Dexia Banque Belgique et dans Dexia SA. L’enjeu des lignes qui suivent est alors d’interroger l’intégration de ces opérations dans les processus relatifs à la gouvernance budgétaire européenne. Si ces éléments peuvent sembler technique, ils sont très importants pour la vie politique des Etats européens. Les règles européennes, développées notamment au travers du pacte de stabilité et de croissance, ont en effet un impact direct sur les marges de manœuvre d’un Etat. Sans rentrer dans les détails, l’enjeu est ici de savoir si les interventions publiques en faveur de Dexia ont été acceptés par la Commission européenne et la manière avec laquelle elles ont été comptabilisées (en termes de dépenses ou d’investissements).
7.1 L’influence du rachat de DBB (201) et de la recapitalisation de Dexia (2012)
7.1.1 Le rapport de la Commission européenne sur le rachat de DBB/Belfius et de la recapitalisation de Dexia (28/12/2012)
La Commission européenne26 peut autoriser ou interdire les aides publiques d’Etat. Dans le cadre de la crise financière, cette institution a vérifié que les mesures adoptées par les Etats membres ne nuisent pas au principe de concurrence. Au vu de l’importance de la crise, la Commission a adopté des règles temporaires relatives au soutien des banques par les Etats. Celles-ci doivent toutefois prendre des mesures adéquates (restructuration) pour répondre à leurs problèmes si elles veulent bénéficier des aides d’Etat.
Entre le rachat de DBB par l’Etat belge et le rapport de l’analyse de la Commission européenne, un an s’est écoulé. La Commission a d’abord autorisé temporairement le rachat par l’Etat belge pour une question de stabilité financière. Toutefois, l’Etat belge devait remettre un plan de restructuration avant avril. Entre temps, Dexia Banque Belgique est devenue Belfius. Ce changement a retardé le plan de restructuration.
En novembre 2012, la Belgique notifie son plan de restructuration à la suite de la nouvelle recapitalisation et de la diminution de la garantie dans Dexia. En analysant ce plan, la Commission européenne constate que pour stabiliser la situation financière du groupe et faire face à la situation de fonds propres négatifs, l’intervention (recapitalisation de 5,5 milliards d’euros) sécurise le démantèlement du groupe. Cette augmentation de capital réservée aux États belge et français se traduit par l’attribution aux États d’actions préférentielles leur donnant priorité, à concurrence de 8% de la valeur nominale des actions par an, sur toute distribution de dividendes que Dexia effectuerait. Par conséquent, une amélioration future de la situation financière de Dexia bénéficie d’abord aux Etats belge et français.
La Commission européenne considère que les garanties octroyées sont des « aides d’Etat »27, mais souligne l’importance primordiale de ces interventions étatiques. Aucun investisseur privé n’aurait en effet pris ce risque. Ces interventions permettent d’éviter une liquidation immédiate et sont acceptées par la commission européenne. Le paiement de la recapitalisation aura lieu le 31 décembre 2012.
La commission ouvre également une procédure relative au rachat de DBB, afin d’analyser l’évaluation du prix du rachat par l’Etat belge (quatre milliards d’euros). Elle conclut alors que « le prix de vente de DBB/Belfius était surévalué et supérieur à ce qu'un investisseur privé aurait accepté »28. On peut dès lors aisément penser2 que le rachat de DBB est également une mesure de soutien fournie à Dexia. Par conséquent, le rachat de DBB/Belfius par l’Etat belge est considéré comme une aide d’Etat n’entravant pas la concurrence pour la Commission.
7.1.2 L’analyse réalisée par Eurostat en 2012
Si ces interventions sont acceptées par les autorités européennes, il faut encore savoir comment elles vont être comptabilisées. Durant la crise, l’Office de statistique de l’Union européenne (Eurostat) a analysé les transactions financières émanant des États vers les banques, afin de déterminer si on peut considérer ces interventions comme une transaction financière avec retour sur investissement ou un transfert de capital aggravant le déficit de ceux-ci. Jean-Marc Delporte, président du comité de direction du SPF économie et président du conseil de l’institut des comptes nationaux (ICN), a proposé que la recapitalisation du groupe Dexia soit considérée comme un investissement. La Belgique se trouve à cette époque dans une position délicate : son déficit budgétaire en 2012 atteint les 2,8% du PIB. Si les interventions publiques en faveur de Dexia sont comptabilisées comme des dépenses, le déficit public de l’année 2012 dépassera alors obligatoirement les 3% du PIB. En effet, la commission européenne estime que la recapitalisation de Dexia a un impact de 0,8% du PIB sur le déficit belge.
Ce seuil de 3% est important en raison des règles de gouvernance budgétaire européenne. Un pays européen qui dépasse les 3% de déficit s’expose en effet à ce que l’on appelle une « procédure de déficit excessif ». Cette procédure prévoit que le pays européen en question doit fournir un plan avec des mesures et des politiques visant à diminuer ce déficit, mais aussi un calendrier pour réaliser celles-ci. Si le pays ne respecte pas les recommandations formulées par les autorités européennes et ne diminue pas son déficit, il s’expose alors à des amendes financières. On comprend dès lors que la comptabilisation des interventions publiques en faveur des banques devient une question politique centrale.
Ces recapitalisations peuvent ainsi peser lourd sur les finances publiques belges si elles sont comptabilisées comme des transactions financières impactant le déficit du pays. A contrario, si la Commission européenne considère ces opérations comme des investissements, ils n’influenceront pas directement le déficit.
En Belgique, cette problématique est encore plus forte car ce pays avait déjà été placé en décembre 2009 sous procédure de déficit excessif par les autorités européennes. L’Etat belge avait alors dû développer un « pacte de stabilité » (2011-2014), qui prévoyait notamment un redressement du solde structurel de 0,75% du PIB. L’objectif fixé était de sortir de cette procédure de déficit excessif en 2012 et d’équilibrer les finances publiques pour 2015.
La première année du pacte, les autorités belges ont atteint les objectifs de celui-ci, avec un solde de financement meilleur que celui espéré. La décision d’Eurostat est alors cruciale pour les résultats de l’année 2012. Dans son avis, Eurostat souligne que la recapitalisation est bien conforme aux règles européennes sur les aides d’état. Le retour sur investissement est toutefois considéré comme insuffisant pour ne pas être comptabilisé dans le déficit29
Le gouvernement avait pourtant construit son budget 2013 en considérant que les interventions en faveur de Dexia étaient des investissements30. Le déficit de l’ensemble des administrations publiques est alors de près de 4% du PIB à la fin de 2012, et ce résultat s’éloigne des objectifs de 2,8% du PIB prévus par le programme de stabilité (2011-2014). La procédure de déficit excessif ne se termine ainsi pas en 2012, et contraint en mai 2013 la Commission européenne à mettre la Belgique en demeure afin de prendre des mesures permettant un assainissement de ses finances publiques. Cela démontre une nouvelle fois l’impact de ces interventions, développées entre 2008 et 2012 au travers de recapitalisations ou d’octrois de garanties, sur les finances publiques belges.
8. Les différentes interventions publiques
Après avoir récapitulé les différentes interventions publiques au travers des aides d’Etat et des garanties octroyées à Dexia, nous mettons en exergue les dividendes fournis par Belfius.
8.1 Les aides d’état fournies à Dexia
Développé par Jérome Vanstalle en 201831, le tableau ci-dessous permet de synthétiser l’ensemble des aides d’Etat (en millions d’euros) dont a bénéficié Dexia :
Le tableau ci-dessous synthétise les montants totaux (en millions d’euros) de ces interventions.
30 Dans l’exposé général du budget de 2013, on retrouve ainsi cette phrase : « les chiffres mentionnés partent de l’hypothèse que la part belge dans l’augmentation de capital de Dexia est enregistrée comme une transaction financière dans les comptes publics » Exposé général du budget 2012 (La Chambre, p.10).
31 Vanstalle, J. (2018) Dexia : déjà dix ans dans les limbes, Bruxelles : CPCP, Analyse n°345, http://www.cpcp.be/publications/dexia.
32 Notamment Ethias et le fonds du logement bruxellois.
Comme le montrent ces tableaux, la chute de Dexia n’impacte pas seulement l’état fédéral mais aussi les entités régionales et communales. Le coût total approche ainsi les dix milliards d’euros. La chute du holding communal, le bras financier des communes, va également toucher les finances de ces entités. Le holding communal et Arco ont notamment participé à la recapitalisation de Dexia (en 2006 et de manière plus importante en 2008) en empruntant à cette même banque. Ces montages financiers posent question et entraîneront des pertes importantes pour ces actionnaires. Les communes seront également sollicitées pour recapitaliser le Holding communal alors en difficulté. Malheureusement, avec la descente aux enfers de l’action Dexia, les parts détenues par ces deux actionnaires historiques ne vaudront plus grand chose. Arco va alors chuter dans la foulée de l’effondrement de Dexia, mettant à mal l’épargne de quelques 800.000 coopérateurs flamands, alors que le Holding communal sera finalement liquidé après le développement d’un accord entre les différentes entités (état fédéral, régions et DBB). Si nous avons ainsi mis en exergue l’impact de la chute de Dexia sur les finances publiques fédérales, on constate ainsi une perte importante pour certaines communes.
8.2 Les garanties fournies à Dexia
Nous avons ici évoqué les interventions directes des pouvoirs publics. Outre ces interventions, l’Etat belge a décidé d’octroyer de nombreuses garanties à différentes banques depuis 2008 afin de rassurer les marchés de la viabilité de ces institutions bancaires. En pratique, cela signifie que si l’institution bancaire ne remplit pas ses obligations, l’Etat doit voler à son secours. Les garanties constituent ainsi des engagements conditionnels, qui ne sont activés qu’en cas de défaillance des emprunteurs.
La figure ci-dessous montre l’évolution des montants des garanties fournies par l’Etat belge à Dexia.
Le législateur belge indique, en 201334, que les garanties sont limitées à 25 milliards d’euros par institution bancaire. Le parlement fédéral a toutefois ratifié une exception pour Dexia. Elle est alors la seule institution pouvant bénéficier d’une garantie plus élevée. En outre, le plan de résolution approuvé par la Commission européenne arrivant à échéance en 2021, il fut prolongé jusque 2031.
Depuis 2015, Dexia est la seule institution bancaire à encore bénéficier de garanties de l’Etat belge. La réduction du bilan à néant de la « bad bank Dexia » risque encore de prendre quelques années, et les sources de financement de celle-ci s’avèrent peu nombreuses. En 2016, une augmentation de la garantie a encore une fois montré le risque pour les finances publiques belges lié à celle-ci. En raison de cette incapacité à fonctionner sans garantie, le journal néerlandophone « De Tijd » soulignait d’ailleurs en mars 2012 que « le financement de Dexia devrait encore peser plus de 60 ans sur les finances publiques belges ». Si les garanties sont extrêmement élevées, elles permettent néanmoins de dégager une petite rémunération pour l’Etat. Pour donner un ordre d’idée aux lecteurs, le montant effectivement couvert par l’Etat en 2019 était de 33,1 milliards d’euros alors que la rémunération liée à ces garanties était de 17,2 millions d’euros selon le rapport de la Cour des comptes de juin 201935
8.3 Les dividendes apportés par Belfius
Après avoir abordé par la problématique des aides d’Etat et des garanties fournies à Dexia, il est important de souligner les dividendes versés par Belfius à l’Etat belge. Détenue à 100% par celui-ci, cette banque a ainsi versé 725,6 millions d’euros de dividendes à son actionnaire. Le gouvernement de Charles Michel a pourtant plusieurs fois réaffirmé la volonté de mettre Belfius en bourse. Le ministre des finances soulignait notamment en 2018 que l’Etat n’avait pas vocation à contrôler une banque et que cette mise en bourse rapporterait une manne conséquente aux finances publiques. Plus de deux millions d’euros ont d’ailleurs été mobilisés cette année-là pour préparer ce processus d’entrée en bourse. Le problème Arco, l’instabilité des marchés financiers ou encore la chute du gouvernement ont ensuite été mobilisés comme des arguments permettant de justifier un report de cette mise en bourse.
Conclusion
Cette analyse de la chute de Dexia a permis de mettre en exergue trois points importants. Le premier élément concerne la stratégie poursuivie par cette banque qui voulait devenir le leader mondial du financement des collectivités locales. Son modèle de développement, caractérisé par une logique de profit à court terme, et ses multiples acquisitions risquées vont fortement fragiliser Dexia. La crise
34 Loi du 17 juin 2013 portant des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable qui modifie l’article 36/24 de la loi du 22 février 1998 précitée.
35 Le taux de rémunération de la garantie est de cinq points de base (commission mensuelle de 0.05%). Cour des Comptes (2019) « 176ième cahier de la cour des comptes ».

économique et financière (2008) et la crise des dettes souveraines (2010-2011), qui vont déstabiliser l’ensemble des institutions bancaires, seront des révélateurs des mauvais choix effectués.
Le deuxième élément est relatif à la gestion du groupe Dexia. Les nombreux rapports relatifs à la chute de Dexia ou la commission parlementaire ont souligné les problématiques concernant le manque de coordination entre les divisions du groupe (avec des rivalités et un manque de centralisation de la communication), les décisions du conseil d’administration, le rôle de certains actionnaires36 ou encore plus fondamentalement la compétence de certains gestionnaires.
Enfin, nous avons surtout analysé les différentes interventions publiques mises en place pour sauver cette banque et leur impact sur les finances publiques belges. N’arrivant plus à subvenir à ses besoins, le groupe Dexia a en effet fait appel plusieurs fois aux Etats belges et français. Nous avons ainsi mis en exergue l’importance des aides d’état et des garanties (jusque 2031) fournies à cette banque. Les problèmes financiers d’une banque privée ont ainsi directement impacté les finances publiques d’un Etat, et ont été jusqu’à mettre en procédure de déficit excessif la Belgique. On constat ainsi une liaison entre la situation d’une banque et les finances d’un Etat. Aujourd’hui encore, Dexia est la seule institution bancaire à laquelle l’Etat belge octroie des garanties pour les emprunts de cette banque afin qu’elle liquide les derniers actifs toxiques présents dans son bilan. Cette histoire a fait ressurgir le débat d’une nécessaire réforme des activités développées par les banques, particulièrement la séparation entre l’activité de caisse d’épargne et de banque d’investissement, mais aussi plus fondamentalement la nécessaire régulation des marchés financiers.
L’avenir de la nouvelle banque Belfius est à présent au centre de l’actualité. Détenue à 100% par l’Etat belge, un débat politique s’est ouvert. Ce débat concerne à la fois le rôle de cette banque et le type d’actionnaires à la tête de celle-ci. Dit autrement, cette banque doit-elle continuer à jouer un rôle de banque privée classique en étant détenue par les pouvoirs publics ?