ETAT DE LA QUESTION
LE 100e ANNIVERSAIRE DE L’INDEX
Jean LefèvreIntroduction
L’indexation automatique des salaires et des allocations demeure un acquis social fondamental. Elle donne à chacun l’assurance d’obtenir un pouvoir d’achat garantissant un lien systématique entre les revenus et l’augmentation du coût de la vie. C’est une forme importante de stabilité et de sécurité pour chaque citoyen. Présentée parfois comme un coût pour les entreprises et l’Etat, l’indexation est avant tout un instrument public de défense des plus faibles dans la société. L’année 2020 marque le centième anniversaire de l’indice des prix à la consommation en Belgique. La présente note entend présenter brièvement les origines de l’index, expliquer les motivations premières de ses « inventeurs », suivre son évolution et, enfin, montrer combien le combat pour l’index reste toujours d’actualité après 100 ans d’existence.
La situation socio-économique en Belgique avant la naissance de l’index
La question de l’instauration d’un indice des prix à la consommation surgit à la fin du 19ème siècle. Cette période sans inflations se caractérise par une forte stabilité, le franc belge gardant pratiquement la même valeur entre 1835 et 1912.
Des statisticiens et des économistes commencent à s’interesser à la question à partir de 1890. Les prix augmentent en effet en raison de la prospérité renaissante de l’économie européenne. Les syndicats belges, bien qu’encore assez faibles, demandent des augmentations de salaires en réponse, tandis que le Ministère du Travail entreprend de suivre l’évolution des prix à partir de 1895.
Le phénonème étant général en Europe, nombre de scientifiques (Arthur Bowley et Georges Wood en Angleterre, Emile Levasseur en France, Riccardo Bachi en Italie, Hector Denis et Emile Waxweiler en Belgique) tentent d’apporter une réponse à ce problème en établissant un lien entre l’augmentation des prix et des salaires. Lors d’un congrès organisé à La Haye en 1911, ces derniers promeuvent l’idée d’étudier dans plusieurs pays un indice de proportion des prix1 des produits dans les petits commerces2, qui pourrait être transposable dans plusieurs pays. Ils proposent d’appliquer des calculs similaires à ceux pratiqués par les services statistiques aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Japon.
L’éclatement de la Première Guerre Mondiale va bouleverser l’ancien système monétaire. La guerre nécessite des dépenses gigantesques et la grande quantité d’argent en circulation n’est plus en équilibre par rapport à la faible quantité de produits en circulation. Lorsque l’occupant allemand impose un cours officiel dans les pays occupés, multiplie les réquisitions et ferme des usines, le chômage connait une hausse exponentielle tandis que les salariés, encore actifs, voient leurs salaires diminuer. L’appauvrissement concerne aussi bien les ouvriers que les classes moyennes et la bourgeoisie. L’inflation et la spéculation, par conséquent, prennent leur envol (voir plus bas)3
A la sortie de la guerre, le 12 novembre 1918, tandis que la Belgique compte un million de chômeurs, les salaires nominaux sont restés au stade de 1914, et les prix ont été multipliés par cinq depuis le début du conflit. En conséquence, les salaires réels ont fortement diminué lors de cette période. Certains produits sont même devenus dix fois plus cher, à l’exemple des grains de café, utilisés comme monnaie d’échange… Cette situation perdure jusqu’en 1920 et reste particulièrement frappante en Belgique où l’on observe une augmentation des prix au détail de 371 % entre 1914 et 19204
En 1919, les travailleurs réclament un salaire équivalent, en pouvoir d’achat, à celui qu’ils percevaient avant la guerre. La lutte contre la « vie chère » est menée parallèlement à la demande de journée de travail de huit heures. Le patronat entend quant à lui maintenir la situation existante et s’oppose aux revendications au nom de la priorité à donner à la reconstruction du pays. Face à une tension sociale croissante, le congrès du Parti Ouvrier belge d’avril 1919, le premier après la guerre, fait du combat contre la « vie chère » une des premières revendications adressées à l’attention du gouvernement. Une des demandes est de mesurer l’évolution des prix et de faire en
1 L’intention est d’exprimer le prix des produits dans l’année en cours par rapport à une année de base qui a une valeur de 100, additionner le prix de divers biens et services, calculer la moyenne, puis d’obtenir un chiffre qui montre l’évolution des prix.
2 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, Bruxelles, 22/11/2018.
3 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, Bruxelles, 22/11/2018.
4 220 % en France et en Italie, 155% en Grande-Bretagne et 107% aux USA. Voir: Peter Scholliers, Koopkracht en indexkoppeling. De Brusselse levenstandaard tijdens en na de Eerste Wereldoorlog, 1914-1925, p. 333.
sorte que le gouvernement puisse proposer un indice fiable et neutre pour revaloriser les salaires5.
En mars 1920, plusieurs manifestes à l’intention du gouvernement sont publiés6 :
• Le Conseil général du Parti ouvrier déclare « que la question de la vie chère, de ses causes, de ses remèdes qui peuvent y être appliquées sera exposée et placée sur le même plan que celle pour les huit heures et les salaires au pays par une campagne de presse et par des meetings » .
• La Confédération générale des Syndicats chrétiens et libres, après avoir admis que « la hausse croissante des salaires est un des motifs de l’augmentation du prix de la vie », conclu que les « premiers facteurs de renchérissement de la vie incombe au gouvernement et aux pouvoirs publics »7 .
Soucieux de maintenir des bas salaires afin de soutenir la compétitivité de leurs produits, les industriels belges craignent dans un premier temps de perdre toute compétitivité, et refusent d’accepter des hausses salariales ou même d’instaurer des premières formes d’index.
La reconnaissance du suffrage universel, même si elle est considérée comme une grande avancée pouvant « calmer » les travailleurs, ne permet toutefois pas à ces derniers de manger à leur faim8. De grandes grèves éclatent entre 1920 et 1924. Les travailleurs descendent massivement dans les rues en demandant simultanement la journée des huit heures, une augmentation des salaires et l’existence légale des syndicats9. Les centaines de milliers d’ouvriers, qui se syndicalisent après 191810, perturbent les équilibres anciens et parviennent à se faire entendre. La « bourgeoisie » est encore effrayée en 1919-1920 par l’extension de la révolution bolchévique qui semble s’étendre en Europe de l’Ouest (en passant par l’Allemagne) ainsi que par l’extension des grèves en Europe. Les hésitations des partis socialistes européens de s’allier, ou non, à la troisième internationale, ne font que renforcer cette frayeur.
Les grèves constituent une réussite incotestable et sont révélatrices de vrais changements sociétaux par rapport à 1914 : 36 % des grèves connaissent un dénouement satisfaisant pour les grèvistes11 et 71% des grèves se terminent grâce à des concertations. Souvent couplée aux négociations collectives, l’idée d’une indexation des salaires est finalement acceuillie du bout des doigts par le monde patronal. Elle permet en effet une transparence dans la fixation des salaires et oblige les entreprises concurrentes à négocier dans les mêmes conditions12. Le monde patronal et les syndicats s’adressent dès lors au gouvernement en demandant d’établir un système permettant d’établir l’indexation des salaires. Les gouvernements Delacroix I et II (1918-1920)13 entreprennent dès lors d’entamer des négociations salariales et d’instaurer un index.
Sanctionnées par le gouvernement, les négociations entre patrons et syndicats concernant les salaires et l’index vont progressivement renforcer l’idée que l’instauration d’une paix sociale devient un élement positif pour toutes les parties. Les négociations, fruit d’un consensus, ont également pour effet immédiat de renforcer le rôle des syndicats comme interlocuteurs aux yeux du monde patronal et de l’Etat14. Cette acception constitue un revirement inédit lié à la nouvelle conjoncture politique et économique provoquée par les bouleversements de la guerre.
Les premiers calculs de l’index
Le socialiste Joseph Wauters, alors Ministre de l’Industrie, du Travail et du Ravitaillement, lance les premières démarches. Son intention est d’une part de limiter les tensions entre employeurs et salariés, pouvant mettre à mal l’effort de reconstruction du pays, et d’autre part, de maintenir le pouvoir d’achat.
Wauters demande alors au statisticien Armand Julin, secretaire-général du Ministère et membre du Congrès inter-
5 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, Bruxelles, 22/11/2018.
6 Le Parlement évoquera ces manifestes lors des séances des 15 et 16/03/1919.
7 Jean Neuville, Les commissions paritaires d’industries en Belgique. In: Courrier hebdomadaire du CRISP, n°436-437, Bruxelles, 1969, p. 4.
8 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, Bruxelles, 22/11/2018.
9 Peter Scholliers, Koopkracht en indexkoppeling. De Brusselse levenstandaard tijdens en na de Eerste Wereldoorlog, 1914-1925, p. 339.
10 Le pourcentage d’ouvriers, membres des syndicats socialistes, augmente considérablement entre 1914 (116.000 unités) et 1921 (689.000 unités). Voir : Jean Neuville, Les commissions paritaires d’industries en Belgique. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°436-437, Bruxelles, 1969, p. 6.
11 Chiffres valables pour 1920. Voir: Peter Scholliers, Koopkracht en indexkoppeling. De Brusselse levenstandaard tijdens en na de Eerste Wereldoorlog, 19141925, p. 339.
12 André Mommen, Loonindexering en sociale vreude. Koopkracht en klassenstrijd in België tijdens het interbellum, Centrum voor Hedendaagse Geschiedenis, VUB, Bruxelles, 1985, 391 p.
13 Parti libéral, Parti catholique et Parti Ouvrier belge.
14 André Mommen, Loonindexering en sociale vreude. Koopkracht en klassenstrijd in België tijdens het interbellum, Centrum voor Hedendaagse Geschiedenis, VUB, Bruxelles, 1985, 391 p.
national de 1911 (voir plus haut), d’étudier un indice des prix (ou index) à la consommation, permetant d’effectuer des comparaisons fiables à travers le temps. L’intention est de pouvoir poposer un outil permettant d’adapter les salaires et prestations sociales à l’évolution des prix.
Arnaud Julin effectue pour ce faire des recherches sur les prix et les salaires de 1914, afin de pouvoir les comparer à ceux de 1919. L’objectif est de calculer l’indice en fonction d’articles présentant une charge inévitable dans les budgets des familles (le « panier moyen de la ménagère »). Ces derniers doivent présenter une qualité aisément identifiable, et exister sur le marché tant en 1914 qu’en 1919. La base de référence choisie pour calculer l’index est calculée en comparant les prix de 53 articles en avril 1914 : 33 articles pour l’alimentation, 12 pour les vêtements, cinq pour le chauffage et l’éclairage, six pour les besoins divers (les chaussures par exemple).
La fixation d’un indice fiable et incontestable, basé sur des critères précis permettant de calculer précisément le « panier » de base n’est cependant pas aisé à calculer et forme une source de tensions entre interlocuteurs. Le monde ouvrier ne forme en effet pas encore un groupe homogène, d’autant que les différences régionales sont importantes. Les régions subisssant des bas salaires ne peuvent pas être comparées avec les villes, où les salaires sont meilleurs, mais où les produits et services de première nécessité sont forts différents.
Le relevé des prix est par conséquent réalisé dans 59 localités par des inspecteurs et inspectrices formés pour ce travail. Tous les types d’environnements sociaux et professionnels sont étudiés, des centres urbains et industriels (Bruxelles, Anvers et la région du Centre), aux entités agricoles.
La Revue du Travail, périodique officiel du Ministère de l’Emploi, donne de premiers résultats le 1er mai 191915 Les calculs sont ensuite affinés tout au long de l’année 1919, tandis que les prix de 15.000 biens sont comparés jusqu’au mois de février 1920. Le premier index chiffré des prix de détail des petits commerces de l’histoire de Belgique est publié pour la première fois le 29 février 1920. Ce dernier est directement contesté16. Des journaux catholiques comme Le Bien Public17 ne comprennent pas que des biens comme des chapeaux melons, le riz ou l’électricité aient été pris en considération, ou que les inspecteurs aient également récolté des informations auprès des coopératives. Les chiffres sont ensuite affinés, comparés avec d’autres pays, et rassemblés dans une synthèse publiée par Armand Julin dans le Bulletin du Ravitaillement de la Revue du Travail du mois d’octobre 192018
L’application et le suivi de l’index
Pour règler la revendication de la journée des huit heures (soit six jours par semaine), le gouvernement installe en 1919 les premières commissions paritaires par secteur d’activité (métallurgie, mines). Patrons et syndicats se réunissent pour négocier les modalités de la réduction du temps de travail et son impact sur le salaire des travailleurs. La Commission nationale mixte des mines, par exemple, va plus loin, et débat également du paiement par semaine des salaires, du salaire minimum, des indemnités en cas de maladie, des pensions,… Quelques mois après la publication du nouvel index dans le Bulletin du Ravitaillement, les mineurs et ouvriers du métal voient leurs salaires couplés à l’index19. Le gouvernement, lui, n’hésite pas : une rémunération supplémentaire, calculée selon l’index, est offerte aux fonctionnaires dès juillet 1920 afin de faire face à « la vie chère » (ce système est maintenu jusqu’à aujourd’hui depuis l’arrêté royal du 28 janvier 193520). Les allocations familiales et les pensions évoluent également en fonction de l’index (à l’exception des allocations de chômage).
Si le monde patronal est peu enclin à adopter l’index au début des années 1920, il y a toutefois progressivement recours. Les négociations aboutissent à la signature de conventions collectives et le patronat entérine souvent la liaison des salaires à l’index. Le secteur privé voit une généralisation progressive des « clauses index » s’insérer au sein des conventions collectives. Leur nombre évolue en effet avec succès de 13% en 1920 à 73 % en 1924. L’index est par ailleurs appliqué très rigoureusement, et les syndicats acceptent en 1921 des baisses de salaires lorsque les prix chutent.
15 Un premier « nombre-index du coût de la vie » est fourni en comparant les prix de 22 produits dans six communes différentes entre 1914 et 1919.
16 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, Bruxelles, 22/11/2018.
17 Le Bien public, 09/10/1920, p. 1.
18 Armand Julin, L’Enquête sur les prix du détail en Belgique. In : Revue du Travail, Ministère de l’Industrie du Travail et du Ravitaillement, n°19-20, 1531/10/1920. Bruxelles, pp. 523-551.
19 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In : De Standaard, 22/11/2018.
20 Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 27.
La crise des années 30
Pour réduire le déficit budgétaire, le gouvernement se lance dans une politique déflationniste. L’intention est de faire diminuer le niveau général des prix, afin de réduire les coûts de production et améliorer la compétitivité prix. Il veut à cette fin réduire les dépenses sociales en encadrant très strictement les allocations de chômage et jouer sur les prix pour soutenir les exportations belges. Cette décision implique d’importantes variations dans l’indice des prix. Ce dernier descend et provoque une diminution des salaires21. Une fois la baisse de l’index amorcée, le gouvernement Jaspar II (catholique-libéral), diminue le 17 mars 1931 les salaires des fonctionnaires de 7%. En plus des licenciements, le patronat décide de réduire les salaires sans négociation préalable et sans recourir aux commissions paritaires. La concertation sociale est au point mort.
La politique déflationniste est un échec, elle approfondit la crise au lieu de la résoudre. Le pouvoir d’achat des travailleurs ayant fortement baissé, la consommation des ménages stagne. La politique financière du gouvernement et les mesures d’austérité qu’il décide (limitation des allocations de chômage) aggravent la situation, alors que le pouvoir d’achat des travailleurs est déjà fortement entamé. Pour ceux qui sont au chômage, la baisse du niveau de vie est très importante. Et pour ceux qui restent au travail, avec la crise, les salaires sont comprimés par l’instauration du chômage partiel ou par la suppression des heures supplémentaires. La situation est encore plus grave pour les mineurs, étant donné que leurs salaires dépendent des fluctuations du prix du charbon22
Selon l’historien Peter Scholliers, si le calcul de l’index était fiable en 1920, celui-ci devait toutefois être révisé au cours des années 193023. Même s’il était bien calculé, l’index était fortement vulnérable en raison de grandes pertubations économiques entre 1918 et 1939 (inflation puis déflation entre 1918 et 1922, nouvelles inflations entre 1923 et 1926, prospérité économique entre 1927 et 1929, nouvelle crise économique entre 1930 et 1936). L’index est même contesté par les franges les plus à gauche du POB, estimant qu’il ne parvient qu’à maintenir l’ouvrier dans un standard de vie proche de la pauvreté, ou qu’il serait contraire à la lutte des classes. Les grèves de 1932 et de 193624 ravivent ces critiques, et le POB se voit dans l’obligation de défendre l’index en interne. Face aux incertitudes persistantes, le ministre du Travail Achille Delattre (également leader des syndicats miniers) rappelle au Congrès du POB en mars 1935 : « J’ai dans l’index une confiance absolue, mais vous devez avoir aussi cette confiance »
Après cet épisode difficile, une révision du mode de calcul de l’index s’impose. Une Commission de l’indice des prix de détail, composée de représentants patronaux et syndicaux, est mise en place à partir de 1935. Composée de scientifiques mais aussi de représentants des travailleurs et des employeurs, la Commission est censée avaliser le calcul mensuel de l’index25, répondre aux critiques et faire en sorte que l’index ne soit pas remis en cause. Même s’il est critiqué, l’index est devenu un facteur primordial dans le règlement des conventions collectives et de la paix sociale. A partir de ce moment, le souci des syndicats est de rendre l’index des prix de détails aussi proche que possible de la réalité des habitudes de consommation des travailleurs, de manière à établir un climat de confiance auprès de ceux-ci.
La Commission de l’Index promet des réformes permettant de lier plus efficacement la liaison de l’index aux modifications salariales et des allocations sociales. Ces mesures sont assez uniques dans le monde. En effet, dans un petit pays comme la Belgique, ayant une économie ouverte et influencée par les changements de prix au niveau international, les partenaires sociaux acceptent de lier les salaires à l’index, tandis que le gouvernement soutient l’inflation. D’après l’historien Peter Scholliers, la combinaison de ces trois facteurs explique le succès et la pérénité de l’indexation des salaires en Belgique26
La première révision a lieu en 1939. Bon nombre d’anachronismes avaient été relevés et 33 témoins (produits de référence) sont remplacés, tandis que 62 localités sont désignées pour développer un calcul fiable de l’index
21 Marie-Thérèse Coenen, L’index, ce chiffre qu’on pointe du doigt-1ère partie, CARHOP, 2010, p. 2.
22 Cette part variable permettait aux mineurs de participer aux plus values réalisées en cas de hausse des prix du charbon sur le marché international et national
23 Peter Scholliers, De koopkracht tijdens het interbellum (lonen, prijzen, prijsindex en loonindexering), V.U.B., 1984, promotor: E. Scholliers, co-promotor : J. Hannes.
24 Le 5 juillet 1932 les ouvriers mineurs refusent de nouvelle réduction de 5 % de leur salaire et se mettent en grève. Dans les régions du Borinage, de La Louvière et de Charleroi, de violentes grèves insurrectionelles éclatent lors de l’été 1932. En 1934, les patrons miniers exigent l’abandon de l’indexation des salaires, puis y renoncent après négociations. Quand la situation économique s’améliore, les mesures prises durant la crise sont maintenues. Cela provoque la grève généralisée de 1936. Les syndicats socialiste et chrétien exigent la remise en place d’un index d’un fiable, un salaire minimum de 32 francs par jour pour les ouvriers adultes, et la majoration des allocations familiales. Cette grève relance les commissions paritaires. Il faut attendre la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale et une nouvelle stratégie d’intervention politique avec la dévaluation du franc, la commande de grands travaux publics pour relancer l’économie et améliorer le taux d’emploi pour calmer syndicats et travailleurs. L’État s’inspire des idées de l’économiste J. Keynes et des gouvernements américains Roosevelt pour sortir de la crise.
25 Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 11.
26 Peter Scholliers, Het leven is duur. Maar hoe duur? In: De Standaard, 22/11/2018.
(avec une échelle de modération), en fonction du nombre d’habitants27. L’amélioration progressive des conditions de vie a en effet eu comme conséquence l’abandon par les consommateurs de produits de moins bonne qualité, ou propres aux classes moins aisées. Il devint difficile de faire des comparaisons entre des tissus de 1937 et ceux de 1914. À la suite d’une enquête sur les budgets des familles, la liste des articles est modifiée28. Pour Armand Julin en 1939, l’un des pères de l’index en Belgique (également président de la Commission de l’index à l’époque), le bilan est très positif après presque 20 ans. Considérant qu’il est un instrument fournissant des indications générales, utiles à la pacification des conflits sociaux, l’index « a été étendu au-delà des limites qu’on avait eu au moment de son introduction dans la vie économique de notre pays. Quoiqu’il ne soit que l’indice des prix de détail, il a acquis une autorité incontestable »29 .
La Deuxième Guerre Mondiale et le Pacte social
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale marque l’arrêt de toute négociation sociale (les salaires et les prix sont bloqués30). Dans l’ombre, les partenaires sociaux préparent toutefois la reconstruction du pays. Dès septembre 1944, le gouvernement belge s’engage dans la reconstruction économique du pays. Il décide deux grandes réformes :
• L’une est monétaire et a pour but d’éviter l’inflation. Après la seconde guerre mondiale, les salaires et les prix entrent dans une nouvelle période de turbulence. La disparition d’un grand nombre de marchandises, la détérioration de la qualité des produits, l’existence du marché noir et du rationnement, rend impossible l’établissement de l’indice des prix. Le 16 septembre 1944, alors que la Belgique n’est pas encore totalement libérée, une première Conférence nationale du travail avalise le chapitre « Salaires » du Pacte social et décide d’augmenter de 40 % les salaires par rapport à ceux de mai 1940. Pour éviter l’inflation et le marché noir, le gouvernement applique dans les faits une politique dirigiste des salaires. L’arrêté-loi du 22 janvier 1945 donne une large compétence au Ministère des Affaires économiques qui applique des prix maxima sur une large échelle et remet l’application de l’index à plus tard31. En cas d’augmentation de l’index, le gouvernement exigeait de faire connaître les hausses en question, et avait le pouvoir de prohiber ou de réduire celles-ci32
• L’autre est d’ordre social. Le gouvernement est sollicité par les syndicats et le patronat33 pour intervenir dans le régime salarial des travailleurs, l’instauration d’un système complet de sécurité sociale fondé sur la solidarité, et la mise en place d’un système de concertation paritaire entre patrons et travailleurs. Le 28 décembre 1944, l’arrêté-loi sur la sécurité sociale obligatoire est publié (aussi appelé Pacte social) : tout travailleur y est désormais assujetti, et il percevra un revenu de remplacement en cas de perte de salaire due à la maladie, au décès, à la vieillesse ou à un accident. Le Pacte social organise aussi la concertation entre patrons et travailleurs. Elle se déroule à trois niveaux : dans l’entreprise, avec la délégation syndicale et le conseil d’entreprise (loi de 1948); dans les secteurs, avec les commissions paritaires (1945); au niveau national avec le Conseil central de l’économie (loi de 1948), le Conseil national du travail (1952) et bien plus tard, à partir de 1960, l’accord interprofessionnel (AIP) à négocier tous les deux ans.
Dès 1947, la situation socio-économique se « normalisant », le ministère des Affaires économiques peut reprendre l’élaboration de l’index et sa publication suivant les règles adoptées en 193934
En 1949, la Belgique réussit son pari : le pays renaît avec une nouvelle prospérité économique favorable tant aux travailleurs et à leurs familles qu’aux employeurs. La négociation des salaires au sein des commissions paritaires est dorénavant libre et ne nécessite plus d’interventions gouvernementales. L’index peut désormais reprendre le rôle qu’il jouait avant 194035
27 Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 11.
28 Le lait écrémé, le hareng, l’huile d’olive, le lard américain, le thé, le boudin, le pâté de foie, la bière au tonneau, la chemise de toile, les chaussettes ordinaires, les casquettes, le charbon tout-venant et les bougies furent remplacé par des objets de consommation courante. Ce nouvel index se basait sur 56 articles, pour 62 localités. La base de référence fut la moyenne des prix de ces 56 articles pendant les années 1936-37-38.
29 A. Julin, La réforme de l’index des prix de détail. In : La revue du Travail, Bruxelles, n°5, 05/1939, pp. 701-736, p. 711. Cité dans : Marie-Thérèse Coenen, L’index, ce chiffre qu’on pointe du doigt-1ère partie, CARHOP, 2010, p. 4.
30 Arrêté des secrétaires généraux du 05/08/1940. Voir : J. Moden, L’indexation des salaires. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°997, Bruxelles, 1983, p. 8.
31 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 1
32 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 140.
33 Les grandes lignes gouvernementales viennent du Projet d’accord de solidarité nationale, appelé aussi « Pacte social », conclu pendant la guerre.
34 Il est toutefois à noter que les salaires, comparativement à la période 1936-1938, avaient pratiquement quadruplés. Voir : Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 16.
35 Pour les agents de l’Etat, l’indexation des salaires est remise en vigueur grâce à l’arrêté du Régent du 21/06/1948. Voir : J. Moden, L’indexation des salaires
In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°997, Bruxelles, 1983, p. 9.
Au cours des années 1950, la concurrence étrangère se fait plus forte. Le patronat remet en question la répartition des fruits de la croissance et dénonce des salaires trop élevés par rapport aux pays voisins. Les patrons veulent produire plus et moins cher, en modernisant les machines et outils de productions, quitte à diminuer le nombre d’ouvriers.
1954 : premiers « trucages » du gouvernement
En 1954, patrons et syndicats signent la « Déclaration commune sur la productivité » : ils s’engagent à œuvrer pour une meilleure productivité dont les bénéfices seront répartis équitablement entre travailleurs et employeurs. Pour inciter les travailleurs à s’adapter aux nouvelles techniques et à produire plus, le patronat propose des primes de productivité (primes de fin d’année, vacances) discutées lors des négociations sectorielles. Les défendeurs de l’index soulignent quant à eux que la part des salaires dans la formation des prix d’un bien ou d’un service varie en fonction des secteurs d’activité : il est moins important dans la production d’un kilowatt d’électricité que dans la fabrication d’un pain ou d’un pantalon. Le ministre (libéral) Jean Rey estime encore que les prix belges sont trop élevés et nuisent à la compétitivité des entreprises pour l’exportation. Le gouvernement36, jugeant que le nouvel accord menace l’équilibre budgétaire, engage des premières réformes touchant à la sécurité sociale. En outre, il manipule l’index en fixant d’autorité en août 1954 le prix maximum de trois produits témoins utilisés pour le calculer37 afin d’éviter qu’il n’atteigne l’indice-pivot38. L’objectif poursuivi est de retarder son adaptation et de faire des économies. Le gouvernement tente dans cette opération de retarder l’impact budgétaire d’une croissance des rémunérations de 5 % des traitements et des pensions à charge des pouvoirs publics. La Commission de l’index prend ses distances par rapport à cette décision gouvernementale et rejette, pour la première fois depuis son origine, l’index ainsi manipulé. Désormais, les syndicats vont publier en parallèle l’index « officiel » et l’index « syndical ». Le patronat, pour éviter les conflits sociaux qu’entraînerait immanquablement un « index truqué », accepte de prendre en considération l’indice des prix « réels » pour fixer les salaires. Le 27 octobre 1954, le gouvernement retire les arrêtés. Malgré ce gage de bonne volonté, le mal est en fait. En raison de ces hésitations, les prix évoluent dans le sens de l’ancienne proposition gouvernementale. Cela provoque alors un retard dans la fixation de l’index, mettant à mal l’augmentation « attendue » des salaires des fonctionnaires et des pensions39
La révision de l’index de 1955
Les tentations de plus en plus fréquentes de « chipoter » avec l’index incitent les conscience interlocuteurs sociaux à proposer des réformes de l’index tenant compte d’une meilleure prise en compte des changements liés à la vie courante (on observe par exemple une augmentation considérable de la consommation des fruits). Le mode de fabrication des produits a par exemple subi d’importants changements (généralisation des produits préemballés), sans compter l’introduction de nouvelles matières premières ou la disparition d’autres produits40
Une première remise à jour a lieu en 1955, mais elle ne se fait pas sans difficultés. Il est en effet difficile de trouver une année de référence correcte après la guerre: les années 1945 à 1949 virent en effet une intervention importante du gouvernement dans la fixation des prix et des salaires. Si l’année 1950 remplissait toutes les conditions requises pour servir d’année de référence, le déclenchement de la guerre de Corée et les troubles économiques qui en découlèrent remettent tout en question. L’année 1953 est, in fine, choisie comme année de référence, tandis que la liste des produits soumis à l’index est profondément modifiée41. Enfin, signe d’un changement d’époque, la liste prend en compte certains « services »42 comme le blanchissage, les transports, les journaux, les entrées de cinéma, les coiffeurs...43
36 Le gouvernement en 1954 est de composante libérale-socialiste.
37 La boîte de saumon, l’huile d’arachide, le riz rond du Japon.
38 Chiffre qui sert de palier dans certains systèmes d’indexation : en cas de dépassement de l’indice pivot par l’indice de référence, il y a indexation. Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 39.
39 Marie-Thérèse Coenen, L’index, ce chiffre qu’on pointe du doigt-1ère partie, CARHOP, 2010, pp. 4-5.
40 Le nombre de « produits témoins » passe de 56 en 1939 à 79 en 1955. Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 11.
41 Il y a toujours 65 articles retenus dont les prix sont relevés dans 62 centres. Par exemple, le lait en cruche est remplacé par le lait en bouteille. Dans le secteur de l’habillement, le chapeau melon, qui avait contribué à ridiculiser l’index et qui avait déjà été remplacé par le chapeau mou, disparaît officiellement. Des produits comme les légumes secs sont supprimés mais les fruits exotiques (bananes et oranges) et les petits pains, entrent dans la liste, reflet de nouvelles habitudes de consommation. Une deuxième qualité de charbon fut intégrée pour donner une valeur plus grande au secteur du chauffage.
42 Des enquêtes montrent qu’ils représentent environ 35 % du budget des dépenses d’un ménage.
43 Marie-Thérèse Coenen, L’index, ce chiffre qu’on pointe du doigt-1ère partie, CARHOP, 2010, p. 5.