ETAT DE LA QUESTION
LES MÉDICAMENTS SERONT-ILS DE PLUS EN PLUS CHERS ?
Anne LIESSE
DÉCEMBRE 2019
1. Introduction
Déremboursement des médicaments, prix exorbitants, indisponibilités en pharmacie, pénuries, retrait de certains médicaments, absence de recherche et développement pour certaines maladies, etc. sont autant de réalités qui se multiplient et deviennent de plus en plus complexes à résoudre. Pour les malades et leur entourage, ainsi que les pharmaciens, il peut s’agir d’un véritable casse-tête pour trouver des alternatives.
Pourquoi y a-t-il des pénuries de médicaments ? Pourquoi les nouveaux médicaments coûteront de plus en plus chers ? Comment est fixé le prix d’un médicament ? Pourquoi faut-il développer autrement les médicaments ?
Cette note dresse les grands constats et présente la problématique actuelle en matière de médicaments en interrogeant les mécanismes à l’œuvre. Elle propose ensuite des pistes de réflexions pour une politique sociale du médicament.
2. Les constats
Des pénuries de plus en plus nombreuses
Les pénuries sont de plus en plus nombreuses : collyres, antibiotiques, vaccins, médicaments pour des maladies cardiaques, des cancers ou des traitements psychiatriques, etc. Au 9 décembre 2019, 648 médicaments étaient répertoriés comme étant indisponibles sur le site de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS)1
S’il existe parfois des alternatives de traitement, ce n’est pas le cas pour tous les médicaments. Il y a de plus en plus de cas où il n’y a pas de solution adaptée. Le patient doit alors soit arrêter le traitement un certain temps, soit, quand ce n’est pas possible, choisir un traitement moins optimal, de second choix.
Des maladies « oubliées »
L’investissement dans la recherche est (quasiment) inexistant dans certains domaines. Par exemples, de nombreux traitements se font encore attendre pour certains cancers, dans le cadre de maladies orphelines, pour la maladie d’Alzheimer, etc. A contrario, il est très poussé pour certaines maladies alors qu’il existe déjà une multitude de médicaments très semblables.
Globalement, la Recherche et le développement pharmaceutiques sont axés à 90 % sur des maladies qui ne représentent que 10 % de la charge mondiale de morbidité. Les 90 % restants se manifestent sur des marchés commercialement inintéressants2
Des médicaments prometteurs impayables
Grâce aux avancées de la recherche, une troisième génération de médicaments (l’immunothérapie) arrive sur le marché. Après la génération des médicaments de provenance chimique (le principe actif découle de la synthèse chimique et donc non vivante ; ce sont des médicaments assez simples de fabrication), sont arrivés les médicaments biologiques (plus complexes, ils proviennent d’organismes vivants ou de leurs cellules). Aujourd’hui, une nouvelle génération de médicaments basés sur la génétique (qui corrige/reprogramme le gène déficient) devient disponible. Ce sont des médicaments innovants extrêmement prometteurs, qui offrent des perspectives aux patients atteints de maladies auparavant incurables. C’est donc une excellente chose mais en même temps, ces médicaments posent d’énormes dilemmes car ils sont hors de prix. C’est l’exemple du Zolgensma3, médicament très innovant destiné aux enfants de moins de deux ans atteints d’atrophie musculaire spinale (maladie héréditaire mortelle). Basé sur une thérapie génique, il coute 1,9 million d’euros pour une seule prise.
1 https://banquededonneesmedicaments.fagg-afmps.be/#/query/supply-problem/human
2 Médecins du Monde, Test-Achats, Kom op tegen Kanker. (2018). Accessibilité et développement des médicaments. Recommandations politiques.
3 Médicament autorisé en 2019 aux USA. En Europe, il est en cours d’examen En Belgique, la presse a largement relayé le cas de la petite Pia (9 mois), atteinte de cette maladie rare.
Des dépenses pour les patients et la société qui ne cessent d’augmenter
Le coût des médicaments augmente pour les patients et la sécurité sociale. Par exemple, en 2017, le remboursement a diminué pour des antibiotiques, les corticostéroïdes pour le nez et les grandes boîtes de médicaments contre l’ulcère gastrique/le reflux. Le coût pour le patient a augmenté pour plus de 300 médicaments.
Dans les dépenses de santé à charge des patients, les ménages paient de leurs poches un tiers de ces dépenses4 pour des médicaments. « 34% des familles belges considèrent le prix des médicaments comme une charge moyenne ou lourde. Pour les ménages précaires, cette proportion atteint 79%. Plus globalement, 26% admettent que les montants des soins de santé sont difficiles ou très difficiles à concilier avec leur budget disponible5 ».
Au total, en Belgique, ce sont 6,5 milliards d’euros qui sont dépensés annuellement pour l’achat de médicaments. Les ménages sortent directement de leurs poches 2,5 milliards d’euros et la sécurité sociale paie 4 milliards d’euros pour le remboursement des médicaments6. Ces dépenses ne cessent d’augmenter. Ainsi, par exemple, sur la période de 2015 à 2018, la croissance des dépenses de la sécurité sociale pour les médicaments s’est élevée à plus de 10%.
3. La recherche et le développement des médicaments
Beaucoup, voire la plupart, des grandes découvertes biomédicales sont basées sur des recherches menées par des universités, des laboratoires et des instituts de recherche subsidiés par les pouvoirs publics.
Ces recherches fondamentales qui aboutissent à la découverte de nouveaux médicaments sont financées en grande partie par les contribuables. Pourtant, ces fonds publics, investis dans une recherche visant à produire un bien collectif (de nouvelles connaissances), se retrouvent privatisés lors de la phase de développement des médicaments. Le contribuable paie donc doublement : d’abord pour financer une grande partie de la recherche qui participe au développement des médicaments (via l’impôt), ensuite en payant des prix exorbitants lorsque ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché (via les cotisations sociales et en tickets modérateurs).
Pour que le citoyen bénéficie d’un juste retour de sa contribution à la recherche et au développement des médicaments, il est urgent de conditionner, si possible au niveau européen, le financement public des recherches à une garantie d’un coût abordable pour le patient. Il s’agit aussi de garantir la disponibilité des médicaments développés au moyen de ces fonds publics (auxquels ces recherches ont contribué). Ces conditions devraient figurer dans les contrats que les autorités publiques concluent directement avec les chercheurs et/ou les firmes pharmaceutiques. De plus, un cadre commun pour l’octroi socialement responsable de licences devrait être convenu et appliqué. Les autorités publiques et les instituts de recherche devraient contrôler l’application des principes convenus et prendre des mesures lorsque ceux-ci sont enfreints.
4. La fixation des prix
Plusieurs mesures ont été prises au fil du temps pour améliorer l’accès aux médicaments. Citons la prescription de génériques, la prescription en dénomination commune internationale7, le droit de substitution du pharmacien pour certains médicaments, le système de baisse de prix obligatoire lorsqu’un médicament générique remboursable est mis sur le marché, etc. Ces mesures sont cependant loin d’être suffisantes pour garantir un accès aux médicaments pour tous.
4 Les dépenses nationales en soins de santé – 13ème édition- bulletin hebdomadaire du 29 mars 2018, N°12, Assurinfo.
5 https://medecinsdumonde.be/actualites-publications/actualites/1-belge-sur-5-ne-peut-pas-se-payer-de-soins-dentaires-ou-psy#undefined
6 Le remboursement se fait en tiers-payant, c’est-à-dire que la part payée par l’assurance maladie est directement enlevée du prix de la boite de médicaments. Le patient ne paie que sa quote-part à la pharmacie.
7 La prescription en dénomination commune internationale consiste à prescrire le principe actif à la place de la marque. Elle permet au pharmacien de délivrer le médicament le moins cher.
Le monopole des firmes pharmaceutiques
Quand un nouveau médicament est mis au point par une entreprise pharmaceutique, celle-ci reçoit un brevet. Un brevet repose sur la propriété intellectuelle d’une molécule qui empêche toute autre entreprise de commercialiser une copie de ce médicament original pendant une durée qui peut aller jusqu’à 25 années et demie. Pendant ce temps, la molécule sera rentabilisée. Ce n’est qu’après l’expiration de ce brevet que le médicament d›origine pourra être soumis à la concurrence et que des génériques pourront être produits et mis sur le marché.
Ce système de brevet conduit à un rapport de force asymétrique entre les firmes pharmaceutiques et les autorités. Cela influence considérablement la fixation du prix des médicaments. C’est ainsi qu’une firme italienne a abusé de son monopole sans aucun scrupule en multipliant par plus de 300 fois le prix d’un médicament traitant une maladie génétique rare mortelle, passant de 38 euros à 12.750 euros8
En pratique, après avoir reçu une autorisation de mise sur le marché, la firme pharmaceutique introduit auprès du Service public fédéral (SPF) Économie une demande de fixation du prix de son médicament. Si elle souhaite que son médicament puisse être remboursé aux patients, elle introduit également une demande à l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI). Une fois la demande introduite, la commission de remboursement des médicaments analyse le dossier. Elle évalue quelle est l’indication du médicament, analyse l’efficacité relative et les risques, analyse quels sont les patients qui obtiendront le plus de gain, compare le prix avec d’autres médicaments existants, etc. Cependant, la commission d’avis ne peut ni imposer un prix ni imposer un remboursement que la firme refuse. Les autorités publiques ont peu de marge de manœuvre et n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter un prix très élevé. Le décalage est de plus en plus avéré entre le prix auquel sont vendus certains médicaments protégés par des brevets et ce qu’ils coûtent réellement aux firmes qui les produisent.
Le prix demandé par les firmes pharmaceutiques devrait être plus transparent. Il devrait être lié au coût de production et non à ce que la firme pharmaceutique estime que le marché est prêt à payer.
Lorsque la santé publique est en danger, par exemple lorsqu’un médicament est inaccessible en raison d’une pénurie ou d’un prix demandé anormalement élevé, les autorités publiques, les producteurs de médicaments mais également les groupements de patients ou de citoyens, devraient pouvoir recourir, de manière limitée, aux licences obligatoires.
Parallèlement, il est indispensable de responsabiliser davantage l’ensemble de l’industrie pharmaceutique dans le cadre du budget qui est alloué aux médicaments. Par exemple, en imposant le remboursement intégral de tout dépassement de celui-ci.
Le manque de transparence dans la fixation des prix
Depuis une dizaine d’années, il existe en Belgique un système qui, initialement, devait permettre aux patients d’obtenir plus rapidement un médicament innovant (et son remboursement) parce qu’il n’existe pas d’autres traitements et qu’il constitue donc la seule solution à court terme pour ces patients et cela, même si certaines incertitudes subsistent encore, notamment à propos de son efficacité.
Le prix de ces médicaments est négocié entre la firme pharmaceutique et le gouvernement, puis fixé dans une convention confidentielle. C’est pour cela qu’on les appelle les contrats secrets. Ainsi, par exemple, si une firme refuse de baisser son prix, pour ne pas devoir le diminuer dans d’autres pays, elle peut négocier un contrat. Le prix facial reste élevé mais la firme pharmaceutique restitue une partie des coûts. Un tel contrat est censé être un accord temporaire dans lequel le gouvernement impose des conditions supplémentaires à la firme pharmaceutique ou demande une réduction.
Ces dernières années, ce système a été largement utilisé. Si ces nouveaux médicaments sont souvent très attendus par les patients, ils sont excessivement chers (cf. « des médicaments prometteurs impayables »). Les coûts exorbitants des traitements dus aux marges bénéficiaires importantes exigées par l’industrie pharmaceutique rendent le financement des médicaments par notre sécurité sociale de plus en plus difficile. Cela met sous pression le budget de la sécurité sociale et réduit les efforts menés dans les autres secteurs de la santé car les
8 https://plus.lesoir.be/216603/article/2019-04-05/le-prix-dun-medicament-multiplie-par-360-pourquoi-est-ce-un-scandale
moyens disponibles n’augmentent malheureusement pas proportionnellement aux dépenses. Cela hypothèque les efforts réalisés dans ces autres secteurs. Il n’est dès lors plus possible de répondre aux nouveaux besoins ou d’améliorer les remboursements existants.
La conclusion d’une convention devrait rester une exception. Ces médicaments doivent être limités tant que toutes les vérifications de sécurité, de qualité et de balance risques/bénéfices ne pas confirmées.
De façon générale, le prix fixé devrait redevenir plus transparent et plus équilibré. Il faut mettre davantage l’accent sur le bénéfice pour le patient et sur la soutenabilité à long terme pour l’assurance maladie. Il faut s’assurer que les médicaments soient réellement innovants, c’est-à-dire qu’ils apportent une réelle plus-value thérapeutique en comparaison avec d’autres traitements disponibles.
5. Des
accessibles
la meilleure qualité possible et garantis à long terme
Pour garantir des médicaments abordables pour tous, qu’ils soient de la meilleure qualité possible et qu’ils soient garantis à long terme, il faut développer un modèle plus équilibré entre les besoins de la santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique.
Ce modèle devra répondre aux priorités de santé en développant la recherche en fonction des besoins et en s’assurant que les médicaments présentent une réelle plus-value. Le prix payé pour les nouveaux médicaments devra être plus équilibré entre la santé des citoyens et le profit des firmes pharmaceutiques. Enfin, des mesures devront être prises pour garantir que les médicaments sur le marché ainsi que les innovations (comme les thérapies géniques qui vont arriver sur le marché) pourront toujours être financés par la sécurité sociale. Les autorités doivent pouvoir intervenir lorsqu’une firme décide de retirer du marché un médicament important pour la qualité ou l’accessibilité des soins ou lorsqu’elle organise une pénurie.
Une collaboration européenne sera nécessaire pour négocier avec plus de poids le juste prix, l’accès et le remboursement avec les firmes pharmaceutiques. C’est pourquoi, les États membres de l’Union européenne devront collaborer davantage et dans une même direction.
C’est idéalement à l’échelle européenne qu’il faudra établir une liste des priorités des besoins médicaux et sociétaux en matière de recherche et de développement des médicaments. La valeur d’un nouveau médicament par rapport aux meilleurs(s) traitement(s) existant(s) doit également faire l’objet d’études comparatives avant de pouvoir enregistrer un nouveau médicament.
Pour avancer vers un modèle plus social, chaque acteur devra être responsabilisé : l’autorité publique, les instituts de recherche, les sociétés pharmaceutiques, les prescripteurs, les pharmaciens, les patients.
L’autorité publique devra œuvrer au niveau belge et européen pour garantir l’accès aux médicaments de qualité pour tous et la viabilité de la sécurité sociale.
Les prescripteurs devront baser leurs prescriptions sur des directives scientifiques et non sur des injonctions du marketing. Ils ont également une responsabilité dans la prescription et à la délivrance des médicaments les moins chers à qualité égale.
Les pharmaciens devront également être autorisés à délivrer systématiquement le médicament le moins cher de la même qualité.
Les patients devront également être informé de la possibilité d’acheter un médicament identique mais d’une marque différente et moins chère. Ils devront aussi être informés des enjeux, des pratiques et des limites du système actuel.
médicaments
à tous, de