les avantages extra-legaux-2019

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ETAT DE LA QUESTION

LES AVANTAGES EXTRA-LÉGAUX : QUEL IMPACT POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

Benoit ANCIAUX

DÉCEMBRE 2019

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Réduction de l’assiette des cotisations sociales 3 3. Incertitude quant aux subventions de l’Etat 4 4. La notion de rémunération en droit du travail 4 4.1. Les avantages évaluables en argent 4 4.1.1. La rémunération en nature admise par la loi 5 4.1.2. Les avantages de toute nature 6 5. Les avantages de toute nature en droit de la Sécurité sociale 7 6. Optimiser les salaires : ça paie ! 8 7. Les conséquences pour le travailleur des avantages extra-légaux 9 8. Conclusion 9

1. Introduction

Depuis sa naissance au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, notre Sécurité sociale a toujours été financée par les cotisations des travailleurs et des employeurs. Ce principe de base est fondamental car il apporte « responsabilité et solidarité interpersonnelles » mais aussi parce qu’il donne à la Sécurité sociale toute sa légitimité, qui repose sur ceux qui l’ont construite et qui en assurent - forcément - la gestion (les partenaires sociaux).

Au fil du temps, le législateur a consacré une forme de tripartisme dans la gestion de la Sécurité sociale. Et c’est bien normal étant donné l’évolution de la structure de financement. En effet, aux cotisations liées au travail se sont ajoutées d’autres sources de financement (une partie des recettes TVA, par exemple) pour faire face à des dépenses croissantes (comme le vieillissement démographique) mais aussi pour « compenser » les réductions de cotisations patronales qui ont ponctué les politiques de l’emploi pendant des décennies (et singulièrement sous la précédente législature).

Reste qu’aujourd’hui les recettes ne suivent plus par rapport aux dépenses. Si les cotisations représentent encore la part la plus importante du financement de la Sécurité sociale des travailleurs salariés, elles régressent1 et elles ne permettent plus de couvrir les dépenses qu’à concurrence de moins de 60% (contre environ 75% en 1990 et 68% en 2000). En 2019, le déficit de la Sécurité sociale est estimé à près de 1,5 milliard d’euros. D’ici 2021 et 2024, il atteindra respectivement les 4 milliards et les 6,3 milliards en l’absence de mesures structurelles (et ce sans compter le dépassement de la norme de croissance de 1,5% du budget des soins de santé)2

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Depuis des décennies, on a assisté à des réductions des prétendues « charges patronales » mais également à l’apparition de nombreux avantages extra-légaux qui se superposent et qui échappent aux cotisations normales de Sécurité sociale. Au point que la notion de « rémunération » devienne opaque sauf pour quelques experts qui arrivent à démêler le dédale d’une réglementation prolifique pour séparer le « vrai du faux ». De surcroît, les législations connaissent leurs propres principes, règles et exceptions, suivant que l’avantage extra-légal est abordé sous l’angle du droit social ou du droit fiscal. L’absence d’uniformité fait l’objet d’une jurisprudence abondante qui complique inutilement la politique salariale et qui représente finalement un coût pour le travail.

Au-delà de ce constat, on ne peut pas ignorer la responsabilité du gouvernement dans la dégradation de l’assiette des cotisations liées au travail et dans l’affaiblissement du financement général de la Sécurité sociale - voir points 1 et 2.

Nous devons toujours garder à l’esprit que le rétrécissement de la part des cotisations liées au travail dans le financement de notre Sécurité sociale présente un danger indéniable, celui d’une « fiscalisation » des recettes qui lierait de plus en plus notre modèle social aux choix politiques des majorités en place et qui aboutirait à des formes de sélectivité, voire de privatisation, justifiées par l’affaiblissement du principe d’assurance sociale et donc de la proportionnalité des prestations.

La présente analyse n’a pas pour ambition de dessiner les contours de ce que devrait être le refinancement de la Sécurité sociale mais de s’interroger sur l’affaiblissement de la notion de « rémunération », qui est au cœur même de l’assurance sociale, au regard de la croissance des avantages extra-légaux qui viennent la compléter.

2. Réduction de l’assiette des cotisations sociales

Sous la présente législature, force est de constater que le gouvernement a considérablement affaibli la part des cotisations dans le financement de la Sécurité sociale.

Le tax-shift (10 milliards à l’horizon 2020, soit 2% du PIB) a porté un coup très dur à la Sécurité sociale car il

1 Alors qu’en 2018 l’ONSS chiffrait la part des cotisations à 77%, le budget 2019 (provisoire) n’estime plus cette part qu’à 70% - Source : Gestion globale de la sécurité sociale 27 septembre 2019.

2 Constat du Comité de gestion de la Sécurité sociale (rapport sur le budget 2019-2020 et les prévisions pluriannuelles 2021-2024). Voir aussi l’article du Vif (novembre 2019) - Comment sauver notre sécurité sociale ? (Ewald Pironet, rédacteur du Knack) - https://www.levif.be/...securite-sociale/article-normal-1215493. html

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n’est pas financé à 100% par le financement alternatif3. Le nombre d’emplois créés s’est surtout soldé par une multiplication des emplois précaires, dont la progression a été plus rapide que les emplois à temps plein4, ce qui rend aléatoire la croissance du volume des cotisations. A cela il faut ajouter que bon nombre d’emplois sont exonérés de cotisations patronales (ex : les « premiers » travailleurs dans les petites et moyennes entreprises) ou font l’objet d’un très faible taux de prélèvement.

Précédée d’un saut d’index « compétitif »5 de 12,5 milliards sur la masse salariale, la réforme de la loi de 1996 s’est faite sur base de paramètres qui freinent l’évolution des salaires bruts et donc aussi celle des cotisations sociales6

3. Incertitude quant aux subventions de l’Etat

La réforme du financement de la Sécurité sociale7 a conditionné la dotation d’équilibre8, à partir de 2020, à des facteurs de « responsabilisation », dont le fil conducteur est le rendement des décisions budgétaires9

D’autre part, la subvention classique de l’Etat est majorée d’un coefficient démographique mais celui-ci dépend de plusieurs facteurs dont une croissance du PIB d’au moins 1,5%. Lier le coefficient à une notion de performance économique fait dangereusement basculer la solidarité collective dans la sphère marchande.

4. La notion de rémunération en droit du travail

L’article 2 de la loi du 12 avril 1965 « concernant la protection de la rémunération des travailleurs » entend par « rémunération » :

« 1° le salaire en espèces10 auquel le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement11 ;

2° le pourboire ou service auquel le travailleur a droit en raison de son engagement ou en vertu de l’usage ;

3° les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement »

Sont explicitement exclus de la notion de rémunération un certain nombre d’avantages, notamment le pécule de vacances, les indemnités (payées directement ou indirectement par l’employeur) qui sont des compléments aux avantages accordés par les diverses branches de la Sécurité sociale (ex : le chômage avec complément d’entreprise, sauf exceptions) ou encore les paiements en espèce, en actions ou parts s’ils sont conformes à la loi du 22 mai 200112

4.1. Les avantages évaluables en argent

Un avantage « évaluable en argent » ne suffit pas pour qu’il soit considéré comme une rémunération. Trois autres conditions sont nécessaires : le travailleur doit avoir droit à cet avantage, l’avantage doit être à charge de

3 Le gouvernement misant sur des « effets retour ».

4 Analyse du marché du travail pour le 4ème trimestre 2018, ONSS. Un calcul nous permet d’affirmer que les emplois précaires ont progressé (du 4ème trimestre 2014 à la fin du 4ème trimestre 2018) de 10% contre 7% pour les emplois à temps plein.

5 12,5 milliards sur la masse salariale. Contrairement aux sauts d’index « budgétaires » des années 80, le saut d’index « compétitif » appauvrit le financement de la sécurité sociale.

6 Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité.

7 Loi du 18 avril 2017 portant réforme du financement de la sécurité sociale.

8 La dotation d’équilibre a été mise en place suite aux conséquences socio-économiques de la crise financière et bancaire de 2008 et créée afin de venir pallier l’insuffisance des autres sources de financement et de maintenir l’équilibre du budget de la Sécurité sociale.

9 La Sécurité sociale doit ainsi contribuer au Pacte de stabilité.

10 Il ne s’agit pas seulement du salaire ordinaire, mais aussi des sursalaires, des suppléments pour travail de nuit, etc.

11 Les termes « en raison de son engagement » ne visent pas que le salaire en espèces en raison de l’exécution du travail. Ils permettent aussi d’inclure les sommes dues en raison de la suspension ou de la cessation de la relation de travail. Exemples : le salaire garanti en cas de maladie ou d’accident ou la rémunération afférente aux jours fériés (suspension de l’exécution du contrat de travail), les indemnités de licenciement (y compris celles qui résultent d’un licenciement abusif et celles qui donnent droit à une indemnité de fermeture due par l’employeur).

12 Loi du 22 mai 2001 relative au régime de participation des travailleurs au capital des sociétés et à l’établissement d’une prime bénéficiaire pour les travailleurs.

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l’employeur et il doit être octroyé en raison de l’engagement.

L’expression « auxquels le travailleur a droit » a suscité de très nombreuses controverses quant à la nature juridique des avantages en question. On comprendra que l’enjeu était de savoir si ces avantages devaient ou ne devaient pas entrer en ligne de compte pour le calcul des cotisations sociales. Certains ont toujours considéré que le « droit » devait nécessairement découler d’une obligation de l’employeur de payer l’avantage en vertu d’une convention collective de travail, d’une convention individuelle, d’un règlement, d’une loi ou de l’usage (répondant à des critères de constance et de fixité). A défaut, l’avantage n’est qu’une « libéralité » et ne constitue donc pas de la rémunération. D’autres ont opposé une conception restrictive de la notion de « libéralité » qui ne vise que des avantages octroyés à titre exceptionnel et qui ne sont pas la « contrepartie » du travail effectué en exécution du contrat de travail13

Quant à la condition « à charge de l’employeur », on restera prudent car l’Office National de Sécurité sociale (ONSS) semble considérer - et avec raison - qu’un avantage accordé aux travailleurs par un tiers est de la rémunération pour autant qu’il existe un lien causal avec leur occupation. Le cas typique est celui d’une société mère qui accorde des avantages (des actions par exemple) aux travailleurs de ses filiales. Etant donné que la loi ne précise pas si l’avantage « à charge de l’employeur » doit être direct ou indirect, le débat est particulièrement compliqué sur le plan juridique.

Il est très important de faire la distinction entre, d’une part, les « avantage en nature » qui sont prévus par la loi (voir point 3.1.1.) et, d’autre part, les « avantages de toute nature » qui sont considérés comme un complément à la rémunération normale pour autant qu’ils puissent être utilisés à des fins autres que strictement professionnelles (voir point 3.1.2.). Dans l’hypothèse où l’avantage ne peut être utilisé qu’à des fins professionnelles, il s’agit d’un outil de travail.

On comprendra qu’à l’inverse des avantages en nature, les avantages de toute nature ne peuvent en aucun cas être pris en compte pour déterminer si le travailleur perçoit bien la rémunération minimum à laquelle il a droit conformément aux barèmes du secteur dont il relève.

4.1.1. La rémunération en nature admise par la loi

Si la rémunération en espèces (monnaie scripturale) est le principe obligatoire de la loi du 12 avril 1965, une partie de la rémunération peut néanmoins être payée en nature « lorsque ce mode de paiement est de pratique courante ou souhaitable en raison de la nature de l’industrie ou de la profession en cause ». Comme on peut le constater, les circonstances qui permettent l’octroi en nature d’une partie de la rémunération ne sont pas très claires. Le législateur a néanmoins prévu des conditions et des limites strictes quant aux avantages qui peuvent être accordés à titre de rémunération en nature.

En effet, il ne faut pas perdre de vue que toute la philosophie qui sous-tend la loi de 1965 est d’assurer au travailleur la libre disposition de la rémunération (en espèces) qui lui est due : « Il est interdit à l’employeur de restreindre de quelque manière que ce soit la liberté du travailleur de disposer de sa rémunération à son gré »14 Ceci explique aussi que la rémunération en nature ne peut jamais être imposée au travailleur.

Préalablement, au plus tard au moment de son entrée en service, le travailleur doit être informé par écrit de la partie de la rémunération qui sera payée en nature et celle-ci doit bien entendu être évaluée dans la notification qui lui est adressée.

Seules les rémunérations en nature suivantes sont admises par la loi :

1° le logement ;

2° le gaz, l’électricité, l’eau, le chauffage et les combustibles ;

3° la jouissance d’un terrain ;

13 Ainsi l’ONSS considère les cadeaux (en nature ou en espèces) et les chèques-cadeaux comme de la rémunération sauf s’ils sont accordés à l’occasion de certains évènements précis (Saint-Nicolas, Noël, nouvel an, mise à la retraite et distinction honorifique) et qu’ils ne dépassent pas un certain montant qui diffère d’ailleurs selon l’évènement.

14 Article 3 de la loi du 12 avril 1965 précitée

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4° la nourriture consommée sur les lieux de travail ;

5° les outils, le costume de service ou de travail ainsi que leur entretien, pour autant qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’en impose la fourniture ou l’entretien à l’employeur ;

6° les matières ou matériaux nécessaires au travail et dont le travailleur a la charge aux termes de son engagement ou de l’usage.

La part de la rémunération payée en nature est un avantage pour le travailleur parce qu’elle doit être évaluée, selon le cas, soit au prix de revient, soit forfaitairement aux montants fixés par la législation sur la Sécurité sociale pour le calcul des cotisations sociales15. Autrement dit, le fait qu’une partie de la rémunération soit - au moment de son paiement - retenue au titre d’avantage en nature est d’un intérêt pour le travailleur même s’il ne perçoit au total que la rémunération minimum auquel il a droit, les avantages en nature devant être pris en compte pour déterminer si la rémunération est conforme aux barèmes sectoriels.

Les limites dans lesquelles la rémunération en nature peut être payée sont fixées par la loi. La part de la rémunération qui peut être versée en nature est limitée au maximum à 20% de la rémunération brute totale, à 40% lorsqu’il est mis à disposition du travailleur une maison ou un appartement et à 50% pour les concierges, les travailleurs domestiques, les apprentis ou stagiaires, à condition que ces catégories de travailleurs soient complètement logés et nourris chez l’employeur.

Comme les avantages en nature constituent un élément possible de la rémunération, ils sont soumis aux cotisations normales de Sécurité sociale16 et au précompte professionnel.

4.1.2. Les avantages de toute nature

Comme on l’a vu, les avantages de toute nature sont des avantages extra-légaux qui viennent en complément de la rémunération habituelle.

On les définit parfois comme étant la fourniture d’un bien ou d’un service (y compris en espèces) permettant au travailleur de faire l’économie de frais qu’il « aurait dû normalement supporter lui-même ». Notons que cette définition n’est pas tout à fait satisfaisante. Elle n’épuise pas toutes les réalités desdits avantages. On devrait plutôt parler « d’opportunités » pour le travailleur. Elle reflète mieux la réalité des avantages en nature avec la nuance que ces derniers ne sont pas un complément à la rémunération mais bien une partie intégrante de celle-ci.

Les avantages de toute nature qui sont accordés aux travailleurs sont très nombreux17. En voici une liste non exhaustive :

• voitures de société, carte « carburant », gratuité de parking, … ;

• allocation de mobilité et budget mobilité18 ;

• bicyclettes d’entreprise ;

• indemnités de déplacement domicile-lieu de travail (transport personnel et transports publics) ;

• assurance hospitalisation ;

• second pilier de pension ;

15 Dans le cas de la mise à disposition d’un appartement ou d’une maison, c’est la valeur d’usage qui doit être prise en compte

16 Actuellement 25% de cotisations patronales et 13,07% de cotisations personnelles

17 Le professeur Stevens de la KUL en répertorie pas moins de 84 (auditions en Commission des Affaires sociales de la Chambre des Représentants - 5 novembre 2019) : De Financiering van de SZ, de stand van het land en enkele beleidsvragen met bijzondere aandacht voor aanvullende pensioenen (Prof. dr. Yves Stevens).

18 Ces deux avantages alternatifs à la « classique » voiture de société (et toujours sur une base volontaire) ont été décidés sous la précédente législature. Ils ne sont pas négatifs en soi mais ne facilitent en rien le système des avantages extra-légaux liés aux déplacements. Exemple : Allocation de mobilité, cash for car et budget mobilité. Vous y retrouvez-vous encore ? (Partena Professional - 21 mars 2018) - https://www.partena-professional.be/fr/knowledge-center/infoflashes/ allocation-de...

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• primes de fin d’année et treizième mois ;

• participation dans le capital (octroi d’actions ou de parts) et primes bénéficiaires ;

• options sur actions ;

• avantages non récurrents liés aux résultats19 ;

• fourniture de repas à un prix inférieur au prix coûtant (restaurant d’entreprise) ;

• chèques repas, chèques sport/culture, éco-chèques ;

• crèches d’entreprise ;

• téléphonie (mobile et/ou fixe) ;

• matériel informatique, abonnement internet ;

• mise à disposition d’un logement ;

• prêt gratuit ou à un taux avantageux.

Cette liste ne comprend pas les avantages que la loi de 1965 exclut de la notion de rémunération. Il s’agit par exemple du pécule de vacances, des compléments d’avantages octroyés par la Sécurité sociale, de la participation dans le capital de l’entreprise (octroi d’actions ou de parts), ...

5. Les avantages de toute nature en droit de la Sécurité sociale

Pour savoir si les avantages de toute nature sont soumis aux cotisations de Sécurité sociale, il faut se référer à l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la Sécurité sociale. L’article 14, §2, de la loi de 1969 précise que la notion de rémunération est déterminée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 mais que « le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, élargir ou restreindre la notion ainsi déterminée ».

Outre le fait que la notion de « rémunération » n’est pas toujours identique à celle du droit fiscal, le droit de la Sécurité sociale introduit beaucoup d’exceptions, au point que l’on est en droit de se demander si la loi de 1965 n’est pas en partie « vidée de sa substance » en ce qu’elle définit comme rémunération

Les dérogations peuvent porter tant sur ce que la loi de 1965 ne considère pas comme de la rémunération que sur ce qu’elle considère comme de la rémunération. Ainsi, par exemple, l’indemnité de fermeture et celle correspondant à la rémunération du jour férié ne sont pas considérées comme rémunération par l’ONSS. Par contre, le pécule de vacances de base (ou simple)20 est bien considéré comme rémunération.

Il importe de bien comprendre que l’exclusion de la notion de rémunération en droit social ne signifie pas pour autant que l’employeur et/ou le travailleur ne sont pas redevables d’une cotisation dite « spéciale » ou de « solidarité » au profit de la Sécurité sociale.

Prenons quelques exemples21

19 A ne pas confondre avec la prime bénéficiaire. Les avantages non récurrents liés aux résultats dépendent d’objectifs clairement définis dont la réalisation est par nature incertaine (CCT n°90 du 20 décembre 2007 ; loi du 21 décembre 2007 portant exécution de l’accord interprofessionnel 2007-2008).

20 Rémunération normale des jours de vacances.

21 Ces exemples sont nécessairement simplifiés. A chaque avantage extra-légal correspond une réglementation spécifique et parfois complexe. La présente analyse n’a pas pour objectif de les détailler.

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Si le pécule de vacances dans sa composante « rémunération normale des jours de vacances » est considéré comme une rémunération par l’ONSS, le double pécule ne l’est pas mais fait l’objet d’une retenue à charge du travailleur dont le taux est exactement le même que celui d’une cotisation normale de Sécurité sociale, soit 13,07%.

L’usage d’une voiture de société est exclu de la notion de rémunération mais cet avantage est soumis à une cotisation patronale de solidarité, dite « cotisation CO2 », qui est forfaitaire en fonction du taux d’émission de CO2 et du type de carburant. Tout véhicule de société est légalement présumé être à la disposition du travailleur pour un usage autre que strictement professionnel22. La cotisation est également due pour les déplacements domicilelieu de travail23, et ce même si tout autre usage privé est interdit.

Une cotisation patronale spéciale de 8,86% est due sur tous les versements effectués par les employeurs dans le cadre du second pilier de pension.

La participation dans le capital et les primes bénéficiaires ne constituent pas de la rémunération si elles répondent aux conditions prescrites par la loi. La prime bénéficiaire est soumise à une cotisation de solidarité de 13,07% à charge du travailleur (l’employeur n’est redevable d’aucune cotisation). Les stock-options sont de la rémunération à concurrence de l’avantage qu’ils procurent.

Sur les avantages non récurrents liés aux résultats de l’entreprise, il est prélevé une cotisation patronale de solidarité de 33% et une cotisation des travailleurs de 13,07%. On relèvera le paradoxe - très étonnant - selon lequel un objectif atteint avec l’adhésion des travailleurs se voit imposer une cotisation patronale de 33% alors que les primes bénéficiaires, (dont l’octroi dépend uniquement de la réalisation des bénéfices lors de l’exercice comptable) en sont exonérées.

Le chèque repas est l’avantage extra-légal « n°1 » en Belgique24. Il est exonéré de cotisations ONSS. Pour l’employeur, c’est un moyen d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés avec une économie de près de 52% par rapport à une augmentation de salaire. Le régime de chômage avec complément d’entreprise et le régime de chômage avec indemnités complémentaires pour travailleurs âgés (les pseudo-prépensions) font l’objet d’un système complexe de cotisations spéciales et de retenues dont l’objectif est de freiner le retrait prématuré du marché de travail aux frais de la collectivité.

6. Optimiser les salaires : ça paie !

En matière d’avantages extra-légaux, les secrétariats sociaux et les sociétés de consultance excellent dans la recherche et l’information afin que les employeurs puissent « optimiser » leur politique salariale tout en « récompensant » leurs travailleurs, souvent par des plans cafétéria25. Les avantages salariaux qui viennent s’ajouter à la rémunération classique sont, pour la plupart, assortis d’un régime distinct en matière de Sécurité sociale, ce qui conduit à une réglementation pléthorique qui fragmente la politique salariale.

On examinera les conséquences, pour le travailleur, de ce qui est présenté comme du « Win-Win » au point 6 de notre analyse.

Peut-on chiffrer l’ampleur du « manque à gagner » pour la Sécurité sociale ?

La réponse est négative. Il n’existe à ce jour que très peu de projections et elles sont toujours partielles. Ainsi, la récente étude de SD Worx26 en collaboration avec le Service public fédéral (SPF) Sécurité sociale et l’ONSS (juillet 2019) fait état d’une « masse salariale non-assujettie » de 6,8 milliards pour seulement 11 avantages extra-

22 Autrement dit, en cas de contrôle par les services d’inspection de l’ONSS, il appartient à l’employeur de prouver que l’usage est strictement d’ordre professionnel. La simple interdiction de l’usage privé ne suffit pas. Un système cohérent de contrôle (et de sanction) doit avoir été mis en place. Reste à savoir l’ampleur de la fraude (elle est certaine) par rapport aux moyens dont dispose l’ONSS.

23 Avec des nuances pour les transports collectifs. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une convention collective de travail (CCT).

24 250 millions de chèques distribués chaque année au profit d’un tiers des travailleurs. Cela représente environ 6% de la consommation totale des denrées alimentaires.

25 Un plan cafétéria est un « package » salarial flexible. Le travailleur choisit ses avantages extra-légaux et peut même parfois opter pour des avantages différents chaque année. C’est un outil efficace pour retenir et motiver le personnel mais on peut se demander si ce type de plan ne constitue pas une forme de concurrence déloyale.

26 Société d’aide aux entreprises (gestion des ressources humaines, des rémunérations, du temps de travail, …).

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légaux. Si on y applique les cotisations normales de Sécurité sociale (25% de cotisations patronales et 13,07% de cotisations personnelles), on obtient déjà le chiffre de 2,6 milliards de cotisations « manquées », dont la part la plus importante, après les chèques-repas mais avant les voitures de société, concerne les actions et Warrants27

Encore une fois, seuls 11 avantages ont été étudiés (il manque par exemple les primes du second pilier de pension ou encore celles de l’assurance hospitalisation). La perte de recettes est donc assurément plus importante, même s’il convient de nuancer les chiffres en fonction des cotisations spécifiques mais aussi de s’interroger sur l’apport de ces avantages extra-légaux tant sur le plan fiscal que sur le plan économique28

7. Les conséquences pour le travailleur des avantages extralégaux

Si l’octroi d’avantages extra-légaux est un « gain » pour l’employeur qui évite ainsi augmentations salariales classiques et cotisations ordinaires, le travailleur doit bien comprendre que « l’immédiateté » du bénéfice qu’il en retire a son revers. Il y perdra à court, moyen ou long terme parce qu’il se constitue moins de droits en matière de Sécurité sociale.

De plus, la prolifération des formes alternatives de rémunération entraînant une baisse des recettes pour la Sécurité sociale, il n’est pas faux de dire que le travailleur risque d’être doublement pénalisé.

Les avantages extra-légaux creusent aussi les inégalités entre les travailleurs. Ce sont les cadres qui en profitent le plus. En abandonnant des augmentations de salaire brut pour conserver ou augmenter tous les « gains faciles », ils tirent la Sécurité sociale vers le bas et divisent le monde du travail quant aux négociations salariales. Il s’agit d’un véritable défi pour le maintien de la solidarité interpersonnelle.

Faut-il pour autant supprimer les avantages extra-légaux ?

Certainement pas car il existe des avantages qui ont une utilité sociale ou environnementale. Prenons par exemple les chèques repas. Leur finalité est de permettre aux travailleurs de se restaurer lors de leurs journées effectives de travail parce qu’il n’existe pas de restaurant d’entreprise. Les supprimer - comme certains le souhaitentpour les remplacer par une augmentation de salaire exonéré de toutes charges sociale et fiscale équivaut à introduire une discrimination entre travailleurs et un choc pour l’HORECA qui subirait un effet de thésaurisation et/ou de dépenses non liées à la « vraie » finalité de l’avantage. Autres exemples : les éco-chèques, les chèques sport/culture, les indemnités de déplacement, l’assurance hospitalisation, les crèches d’entreprise, le matériel informatique (qui favorise le télétravail), ...

Concernant les voitures de société, l’importance de l’enjeu climatique appelle à une réforme urgente mais dans le cadre d’une politique globale de mobilité. Il est incontestable que cet avantage imaginé pour atténuer le coût salarial encourage l’usage de la voiture à des fins non professionnelles et qu’il engendre une kyrielle d’effets négatifs (qualité de l’air, engorgement des routes, etc.)29

Enfin, nous l’avons vu, les différentes formes « d’intéressement » des travailleurs se caractérisent par leur illogisme en ce qui concerne leur contribution au financement de la Sécurité sociale et leur injustice quant à leur attribution.

8. Conclusion

La croissance des rémunérations alternatives doit nous interpeller car elle a un impact direct sur le financement de la Sécurité sociale.

27 Les warrants (forme de stock-options) permettent au travailleur de payer une prime qui, la plupart du temps, est très inférieure au prix de l’actif sous-jacent.

28 Le non-assujettissement total ou partiel aux cotisations sociales peut augmenter la base imposable et donc l’impôt. Ceci justifierait que l’on se penche sur la question du financement alternatif (une part du précompte mobilier est actuellement attribuée à la sécurité sociale, mais est-elle suffisante ?). Les avantages extra-légaux participent à la richesse nationale (et donc à l’augmentation du PIB). Ici aussi se pose la question du financement de la sécurité sociale.

29 Voyez l’article de L’Echo du 26 novembre 2019 - Magnette pour 100% de voitures de société « zéro émission » L’informateur a retenu une réforme radicale de cet avantage fiscal décrié

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Ce ne sont pas les avantages en tant que tels qui posent un problème mais plutôt leur « suivi » et leur mode d’assujettissement à la Sécurité sociale. Il convient donc en premier lieu de dresser un inventaire exhaustif de tous les avantages extra-légaux et plans cafétéria en Belgique (ce qui n’existe pas à ce jour)30, d’examiner régulièrement leur évolution dans la part salariale et d’arrêter l’inflation à laquelle on assiste depuis plusieurs années. Sur ce dernier point, les employeurs et ceux qui leur fournissent des conseils font preuve d’une imagination débordante en matière de rémunérations alternatives et on peut supposer que certaines d’entre elles - profitant de la complexité législative - sont à la limite de la légalité.

Une radioscopie complète mais pour quel enseignement ?

Faire la part/le « tri » entre les avantages réellement utiles sur le plan social et environnemental et ceux qui ne le sont pas - ou moins- et qui constituent des échappatoires commodes aux augmentations salariales. L’objectif n’est pas de supprimer tel ou tel avantage mais bien de mesurer leur pertinence par rapport au financement de notre protection sociale et ce peu importe la pression qu’exerceront ceux qui tirent profit de l’existence de ces formes alternatives de rémunération.

Enfin, il serait utile de sensibiliser les travailleurs à la problématique. En effet, beaucoup d’entre eux ignorent que leurs avantages extra-légaux n’auront aucun impact sur leur pension, sur une éventuelle indemnité de maladie, sur d’éventuelles allocations de chômage, etc. Lorsque le travailleur prendra sa retraite ou s’il est confronté à un accident dans son parcours professionnel, la pilule peut s’avérer très amère ...

Pour terminer, nous reprenons cette phrase extraite d’une publication du SETCa31 : « Les avantages extralégaux doivent venir en supplément d’une rémunération juste et non en soutien à une rémunération affaiblie ».

30 Voyez la question orale de la députée N. Lanjri à la Ministre M. De Block en Commission des Affaires sociales du 5 novembre 2019 (et la réponse plutôt édifiante de la Ministre). Voir également l’entretien avec R. Vertenueil, président de la FGTB, dans La Libre Belgique du 20 novembre 2019 - L’impôt des sociétés doit aussi financer la sécurité sociale 31 Squared (mai 2015) - Les avantages extralégaux (page 23).

Etat de la Question 2019 • IEV 10

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RÉSUMÉ

La notion de « rémunération » diffère selon qu’elle est traitée sous l’angle du droit du travail ou sous celui du droit de la sécurité sociale.

Les avantages de toute nature - qu’il ne convient pas de confondre avec la rémunération en nature - ont tendance à affaiblir la rémunération normale et par voie de conséquence les recettes traditionnelles de la sécurité sociale.

Il existe assurément des avantages extra-légaux qui présentent une utilité certaine sur le plan social ou environnemental. Il convient dès lors de les préserver, au besoin de les améliorer, mais il faut d’abord les identifier en les séparant de ceux qui n’ont pour seul objectif que d’éluder les cotisations normales de sécurité sociale. Les employeurs et les sociétés de consultance excellent en cette matière qui s’apparente parfois à des formes d’ingénierie sociale. De telles pratiques fragmentent la politique salariale, creusent les inégalités entre les travailleurs et fragilisent la concertation sociale.

Très souvent, les travailleurs ne sont pas conscients que moins de salaire brut c’est aussi moins de droits sociaux lorsqu’ils prendront leur retraite ou s’ils sont victimes d’un accident dans leur parcours professionnel (maladie, accident du travail, chômage …). Il en résulte que « l’immédiateté » de l’avantage de toute nature n’est pas nécessairement une bonne chose et qu’elle peut réserver bien des surprises

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