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Introduction

“Les indécis perdent la moitié de leur vie ; les énergiques en doublent la valeur”. Devise de Félixa Wart-Blondiau

Si Edouard Anseele (1856-1938), un des fondateurs du Parti ouvrier belge (P.O.B.), disait déjà que Jolimont, ce hameau industrieux au cœur de la Région du Centre, avait été le « Bethléem socialiste »1 , on peut aller encore plus loin en disant qu’il constituait la pouponnière de femmes et d’hommes d’exception au parcours admirable. Félixa Wart-Blondiau a été de cette première moisson.

En effet, les vies de ces acteurs dépassent à bien des égards l’entendement dans des contextes socioéconomiques qui ne laissaient présager que la misère. Peut-on se figurer encore ces ouvriers usés par les travaux inhumains et abêtis par la répétition de tâches ingrates ? S’imagine-t-on ces enfants exploités dès le plus jeune âge, 12 heures par jour du lundi au samedi, le tout pour des salaires dérisoires ? On peine à prendre la mesure de ce désastre social qui a creusé l’écart entre les plus riches et le peuple. La réponse n’a étonnamment pas été le désespoir mais une solidarité toute fraternelle face aux ignominies commises par les dominants. La force de la mobilisation communautaire et l’empowerment qui en découle sont forts, concrets et symboliques. C’est ainsi que sont nés le mouvement socialiste et ses premières Maisons du Peuple.

Il n’y a qu’une seule ombre à ce beau tableau rouge : la place des femmes issues du monde ouvrier. Elles sont juridiquement d’éternels êtres incapables, enchaînées à leur père, puis à leur mari. Leur destin est d’autant plus cruel qu’elles ne ménagent pas leurs efforts pour obtenir des droits. La discrimination intersectionnelle, ici liée au genre et à la classe sociale, les condamne dès leur naissance au second rôle. Il faut donc souligner l’énergie déployée par certaines pionnières, comme la célèbre gantoise Emilie Claeys (1855-1943), qui ont tenté de briser ce fameux plafond de verre avec des moyens somme toute limités. Leur activisme est le corollaire d’une inventivité qui force le respect2 Pour l’équivalent wallon, Félixa Wart-Blondiau, c'est plus spécifiquement « l’artivisme » avant la lettre qui domine, c’est-à-dire l’art au service d’une cause, tant pour ses combats politiques que pour la défense du dialecte. Par ailleurs, son action en faveur d’une démocratisation culturelle et d'une certaine forme de formation continue, en particulier pour les femmes, témoigne d’une implication sociétale rare et, ainsi, remarquable.

Félixa a été abordée brièvement dans le cadre de travaux sur le théâtre ouvrier par Anne-Françoise Perin en 19793 et par Paul Aron en 19954. Freddy Joris, lors du centenaire du P.O.B., avait aussi épinglé cette « toute jeune fille (…) qui jouera un rôle remarquable dans le mouvement culturel socialiste »5 Elle a également été évoquée à de nombreuses reprises dans de courtes notices de sérieux dictionnaires biographiques6. Dans bien des cas, son autodidaxie, mise systématiquement en avant, ne

1 CACHAPRES, « Lettre du Centre. ‘L’Mouchon d’Aunias’ », dans Journal de Charleroi, 5 juillet 1928, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1290032).

2 Catherine JACQUES, « Le féminisme en Belgique de la fin du 19e siècle aux années 1970 », dans Courrier hebdomadaire du CRiSP, n° 2012-2013, 2009, pp. 14-15.

3 3 Anne-François PERIN, Théâtre ouvrier en Wallonie (1900-1940). Bilan d’une recherche, Bruxelles, Direction générale de la Jeunesse et des Loisirs du Ministère de l’Éducation nationale et de la Culture française, 1979, pp. 49-51 (Coll. JEB-Théâtre, n°5).

4 Paul ARON, La mémoire en jeu : une histoire du théâtre de langue française en Belgique (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Théâtre national de la Communauté française de Belgique, 1995, p. 160.

5 Freddy JORIS, Soignies[-]Thuin, Bruxelles, Présence et Action Culturelles, 1985, p. 47, 78 et 194. (Coll. Mémoire ouvrière –Histoire des fédérations, n° 10).

6 Roger DARQUENNE et Jean PUISSANT, « Blondiau Félixa », dans Dictionnaire biographique des militants du mouvement ouvrier en Belgique. A-B, t. 1, Bruxelles, Éditions Vie Ouvrière A.S.B.L., [s.d.], p. 141 (rééditée en ligne dans Le dictionnaire biographique. Le Maitron. Mouvement ouvrier. Mouvement social : https://maitron.fr/spip.php?article139352). Jean PUISSANT,

rend pas compte des efforts des institutions innovantes pour combler les lacunes scolaires des militants de l’époque, à travers le développement d’une offre culturelle de qualité Pourtant, certains auteurs avaient déjà mis en évidence l’existence, au sein du mouvement coopératif jolimontois, d’un « noyau d’une vie culturelle prolifique », particulièrement florissant après la mise en œuvre de la loi des huit heures (1921), sans qu’aucune étude approfondie ne lui ait été consacrée7. Si le terrain restera largement en friche après cette recherche, ressusciter une de ses promotrices majeures permettra d’ouvrir la voie à une réflexion plus globale.

Cette nouvelle biographie s’inscrit donc dans une relecture de tous ces travaux à la lumière d’un dépouillement systématique des quotidiens socialistes et d’autres ouvrages de propagande, ainsi que d’archives personnelles, en mettant en perspective les interactions entre les dynamiques institutionnelles et les parcours individuels. Cette étude vise, particulièrement, à commémorer les 150 ans de la naissance de Félixa Wart-Blondiau en contribuant à l’histoire du mouvement ouvrier socialiste, ainsi qu’à l’histoire des femmes et du féminisme.

« Blondiau Félixa (1875-1959), épouse Wart », dans Éliane GUBIN et AL (dir.), Dictionnaire des femmes belges XIXe et XXe siècle, Bruxelles, Racines, 2006, p. 61.

7 Charles DINEUR et al., Le Progrès de Jolimont. Naissance et développement d’une coopérative dans le Centre. 1886-1936, La Louvière, Écomusée régional du Centre, 1988, p. 5

1 Naissance d’une étoile montante

Félixa a presque accompagné toutes les étapes marquantes de la Maison du Peuple – la première au monde ! – et d’une des plus importantes coopératives socialistes, Au Progrès, puisqu’elle naît le 14 janvier 1875. Non loin de là, son père, Victor Blondiau (1840-1901) (ill. 1), tient Au café du Borain, un cabaret où se rencontrent déjà des hommes engagés qui lisent Le Peuple, le quotidien du jeune

P.O.B.8. C’est à leur côté qu’elle évolue et qu’elle apprend ainsi la politique.

Ill. 1. – Victor Blondiau et sa fille Félixa vers 1890. Victor, houilleur, est un convaincu de première heure puisqu’il est membre fondateur de la « La Solidarité », une des plus anciennes caisses de secours de la Première Internationale, établie à la BasseHestre (Fayt-lez-Manage), créée en 1869. C’est cette proto-mutuelle, en partenariat avec le syndicat l’Union des Métiers, qui participera, en 1872, à l’achat de la première Maison du Peuple à Jolimont. Un de ses beaux-fils, Eugène Accorsi (1870-1942), prendra la relève dans cette même société mutuelle9

8 Le Peuple, 31 juillet 1892. R. C., « Portrait en taille douce. La Muse de Jolimont : Félixa Wart-Blondiau », dans Le Jolimontois. Journal hebdomadaire de petite information, de sports et de publicité, n° 23, 30 janvier 1948, pp. 1-2.

9 « Avis », dans Le Peuple, 8 juillet 1895, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390035).

Parmi les piliers de comptoir figure un certain Docteur Adolphe Caffet (1863-1902) (ill. 2), considéré comme le père de la littérature patoisante dans le Centre, reconnu pour ses qualités d’auteur et de revuiste wallon. Caffet était le meilleur ami d’Arthur Audiart (1855-1923), coiffeur à Jolimont, qui était, comme son comparse, un auteur à succès. C’est eux qui repèrent le potentiel artistique de Félixa, alors âgée de 14 ans, avant de l’initier au théâtre. Pour sa première, elle monte sur les planches en 1890 lors d'une fête donnée par les Jeunes Gardes Socialistes10

Ill. 2. – Ce texte a été écrit et récité par Félixa à l’occasion de l’inauguration du mémorial érigé pour le souvenir du maître à HaineSaint-Paul, le 5 septembre 1926. Le docteur Caffet a écrit des revues qui sentent bon le terroir. Son chef-d’œuvre est un mélodrame français-wallon, achevé par Arthur Audiart, intitulé Georgette, qui conte les déboires du monde des mineurs (encore joué en 1946 !). Plus tard, certains verront dans cette œuvre une des sources d’inspiration de la pièce Florisa de Félixa11

Mais Arthur Audiart ne s’arrête pas là. Il soutient activement une jeune troupe de théâtre amateur, Le Progrès, qui voit le jour le 21 décembre 1890 dans le giron de la coopérative jolimontoise (ill. 3). Félixa est parmi les fondateurs. C’est là que son talent s’exprimera le mieux ainsi que dans d’autres cercles de Maisons du Peuple du Centre. Ainsi, elle est rapidement reconnue par toutes et tous, grâce à une

10 Theo LAUTREILLE, « Ceux dont on parle », dans Le Peuple illustrée, [vers 8 août 1920].

11 « L’inauguration du mémorial Caffet à Haine-St-Paul », dans Journal de Charleroi, 6 septembre 1926, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1288668) et « Lettre du Centre. Par T.S.F. », dans Journal de Charleroi, 17 mars 1930, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1290632).

excellente diction et un jeu d’acteur irréprochable12. Son exemple sert à la propagande socialiste locale, « pour que toutes les jeunes filles en fassent autant »13. Elle assurera au total près de 700 représentations dans diverses troupes jusque dans les années 193014 .

Ill. 3. – Photographie d’une partie de la troupe Le Progrès lors d’une excursion au Luxembourg, en 1910. On y reconnait Léon Parée (1), François Wart (2), G. Conreur (3), J. Lambert (4), Émile Rousseau (5), Fl. Gardy (6), N. Prévost (7), Gustave Dehon (8), E. Sauvage (9), L. Lourant (10), Azelaire (11), J. Brognon (12), Joseph Dumont (13), Jean Moguet (14) et Charles Nopère (15).

2 Propagandiste dans l’âme

Félixa n’a pas eu la chance d’aller au-delà de l’école primaire. On la prédestine au métier de couturière. Malgré cette voie toute tracée, elle trouve l’énergie de poursuivre son instruction scolaire en empruntant les cahiers de ses amies15. Grâce à cette curiosité et à son passe-temps théâtral, on l’enrôle très tôt dans l’école d’orateurs de Jolimont dès 1895, où elle reçoit une formation mêlant cours de français, art oratoire et lectures socialistes16. Pour nourrir leurs réflexions, les élèves ont à leur disposition la riche bibliothèque de la Maison du Peuple17

Durant trois ans, Félixa sillonne le Hainaut et au-delà pour donner des conférences sur les femmes et le socialisme dans des événements souvent récréatifs. S’il s’agit souvent de duo, il n’est pas rare de la

12 Gaston HOYAUX, La littérature patoisante dans le Centre, La Louvière, Éditions « Labor », 1931, pp. 11-22 et pp. 43-47.

13 « Denier de propagande pour le développement de la presse socialiste », dans Le Peuple, 16 novembre 1892, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1389084).

14 MYEN DEL ROQUETTE, « Chansonniers wallons. Felixa Wart-Blondiau de Jolimont », dans La Province, 15 mai 1947.

15 Félixa WART-BLONDIAU, En hommage à l’occasion de son 80e anniversaire. 1875-1955. Bouquets de pensées, La Louvière, Presses coopératives ouvrières, 1955, p. XI.

16 DE LA SOCIALE, Histoire du socialisme et de la coopération dans le Centre, La Louvière, Ch. Chermanne, 1894, p. 149.

17 À cette époque jusque 1905, la coopérative détenait les 8000 ouvrages de la bibliothèque de César De Paepe. ID , ibid., p. 191-193.

voir assumer seule l’animation. Lorsqu’elle est accompagnée, elle assure la première partie de véritables stars du P.O.B., rompues à la tâche, tels que les avocats Émile Vinck (1870-1950) et Léon

Defuisseaux (1841-1906) ou le député Louis Bertrand (1856-1943) (ill. 4). En tout, elle participe à pas moins de 26 événements, totalisant près de 1.500 kilomètres de trajet18

Ill. 4. – Lettre de Désiré Maroille (1862-1919) à Félixa Blondiau dans le cadre de sa grande tournée de conférences, le 7 juin 1897. Le député est aussi le directeur de la Coopérative ouvrière de Frameries (créée en 1885), et c’est à ce titre qu’il contacte la jeune propagandiste pour donner une conférence aux côtés d’un ténor borain : « Je connais votre talent[,] votre bon cœur et[,] ensuite[,] votre dévouement [;] c’est ce qui me permet de pouvoir compter sur vous ».

L’objectif de ces réunions est de propager le programme socialiste en insistant sur l’émancipation des femmes. Pour ce faire, elle décrit leur situation injuste dans la société par rapport à celle des hommes, tout en expliquant qu’à terme, elles devront jouer un rôle important à leurs côtés. Pour le moment, il est essentiel de seconder pères et maris dans leurs multiples revendications économiques et sociales, notamment en les aidant à vulgariser les idées socialistes et les principes d’organisation ouvrière. Ceci devait sans doute constituer un préalable indispensable avant de reprendre le combat féministe. D’ailleurs, c’est ainsi qu’elle conclut en les enjoignant à venir grossir les rangs rouges pour la conquête

18 Ces activités ont été relevées dans Le Peuple entre le 14 septembre 1895 et le 12 septembre 1897.

de leurs droits19. Les comptes rendus montrent un réel enthousiasme du public pour cette ambassadrice de la cause féminine, à tel point qu’à Mignault, une salle est nommée « Félixa » pour garder le souvenir de son passage20 !

3 Créatrice engagée

Lors de ces conférences ou sur les planches, Félixa se trouve souvent aux côtés de François Wart (1876-1959), lui aussi fils d’un pionnier socialiste, Abel Wart (1853-1889). Ils ne tardent pas à former un couple à la ville comme à la scène (ill. 5)21 . En 1899, la naissance de leur premier enfant, Abel, vient combler le couple, qui se marie l’année suivante. Au tournant du siècle, elle travaille toujours comme couturière, tandis que François est employé comptable Au Progrès. En 1910, au moment de la naissance de leur second fils, Georges, Félixa est ménagère22. Pourtant, ses activités de loisir se professionnalisent peu à peu. À tel point qu’en 1918, lorsqu’elle tient le rôle-titre dans « La Tosca » de Victorien Sardou (ill. 6), on lui propose un contrat « alléchant » qu’elle décline. Ses idéaux d’amateurisme et d’éducation populaire prennent définitivement le dessus.

19 Reconstruction de son discours grâce aux articles suivants : « La propagande. Bersillies-l’Abbaye », dans Le Peuple, 18 septembre 1896, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390647), « Arrondissement de Thuin. A Morlanwelz », dans Le Peuple, 3 novembre 1896, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390693), « Dans le Centre. Aux Houdeng », dans Le Peuple, 19 novembre 1896, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390709), « La ville. Pour leurs sœurs de travail », dans Le Peuple, 2 mars 1897, p. 1 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390821), « A Andenne », dans Le Peuple, 2 avril 1897, p. 1 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1390856) et « La propagande. A Basècles », dans Le Peuple, 27 août 1897, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1391016).

20 Gaston HOYAUX, « Journée socialiste à Mignault », dans Le Peuple, 13 mai 1924, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1397629).

21 On les retrouve dans Titine d’Arthur Audiart où François « fait un amoureux convaincu » et donne la république à Félixa, la vedette de la pièce, ou encore dans L’abbé Nicodème de Jules Des Essarts. « Théâtres, fêtes et réunions. Binche », dans Journal de Charleroi, 7 décembre 1904, p. 4 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1282494) et « Le Centre. Jolimont. L’Abbé Nicodème », dans Journal de Charleroi, 25 janvier 1908, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1283601).

22 Toutes ces informations proviennent des archives de l’État civil d’Haine-Saint-Paul consultables ici : acte n° 1 de 1900 du registre des mariages (https://agatha.arch.be/data/images/524/524_9999_999_1349189_000/0_1071) ; acte n° 112 du registre des naissances de 1899 pour Abel (https://agatha.arch.be/data/images/524/524_9999_999_1349189_000/0_0313) et acte n° 96 du registre des naissances de 1910 pour Georges (https://agatha.arch.be/data/images/524/524_9997_997_55022_002/0_0432).

Ill. 5. – François et Félixa croqués pour illustrer l’enquête, À travers le Centre, du journaliste Jules Lekeu (1862-1933) en 1907. Ce n’est pas la première fois que Félixa apparaît dans la presse, mais l’enthousiasme qu’elle suscite ici laisse présager un grand destin pour cette infatigable militante.

Ill. 6. – Pendant la Grande Guerre, le cercle dramatique Le Progrès ne démérite pas. Les représentations s’enchaînent pour culminer en 1918. La Tosca, tragédie bien connue, est sublimée par les artistes amateurs de la troupe, dirigée par François Wart. En 1921, un des acteurs, G. Lamaurice, assiste de nouveau à la pièce au Théâtre Molière à Bruxelles mais cette fois-ci, jouée par des professionnels. Il rapporte à ses amis : « J’ai été tout désillusionné de voir, que pour des artistes d’une aussi grande valeur, je dois les considérer moins forts que nous (…). Ceci est donc pour vous encourager, car vous pouvez certainement, vous considérer comme des artistes. »

Le 19 août 1903, Félixa met donc en place un cercle théâtral qu’elle nomme symboliquement « La Plébéienne » (ill. 7). Avec beaucoup de difficultés23, elle part recruter d’autres couturières, comme elle, et des apprenties de la verrerie, en vantant auprès des parents les avantages d’un tel projet où le réapprentissage de la lecture est central24. La devise du groupement annonce l’agenda de ce puissant outil d’éducation populaire : « La propagande par le plaisir, le plaisir par la propagande »25

Dans ce cadre, les 32 participantes apprennent la déclamation et le chant, ainsi que les idées socialistes à travers les thèmes abordés dans les spectacles. Par ce biais, Félixa jette les bases d’un véritable laboratoire de stimulation intellectuelle et de propagande immersive pour jeunes ouvrières. Elle les emmène aussi en excursion : à Bruxelles, à Anvers ou à Frameries. Malgré tout, l’initiative est éphémère, puisque le cercle disparaît en 190826

Avec le soutien d’un certain Alfred Marlière, elle réitère l’expérience de 1907 à 1913 avec un autre groupe de 36 fillettes qu’elle appelle « Les Enfants du Peuple » à Baume (hameau de La Louvière). Ce dernier est une section du groupe de libre-pensée L’Aurore27. Une dernière phalange du genre, intitulée les « Pupilles du Peuple », connaîtra ses heures de gloire à Jolimont de 1912 à 1914 avec 26 actrices en herbe28

23 Voir ses archives non inventoriées, en particulier le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 153, où se trouve une lettre de J. Rousseau, datée du 10 janvier 1904 (reproduite dans l’annexe n° 1).

24 Jules LEKEU, À travers le Centre. Croquis et mœurs. Enquête ouvrière et industrielle, Bruxelles, Rousche & Michotte, 1907, pp. 155-156.

25 « Dans le Centre. Jolimont », dans Le Peuple, 19 août 1903, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1393161).

26 Pour les dates de ses cercles, il faut se reporter – avec précaution – à ses archives non inventoriées, en particulier le tome n°1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 18.

27 « Le Centre. Lettre du Centre », dans Journal de Charleroi, 30 décembre 1908, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1283936).

28 Félixa WART-BLONDIAU, En hommage… op. cit., p. XIII et « Félixa Wart-Blondiau n’est plus », dans Le Peuple, 5 août 1959. Consulter aussi la notice biographique comprise dans ses archives (non inventoriées).

Ill. 7. – Première page du cahier qui allait accompagner le groupement La Plébéienne, entamé le 30 juillet 1903. C’est un témoignage d’autant plus unique qu’il constitue une des premières traces d’une organisation ouvrière féministe en Wallonie. En effet, avant 1914, l’historienne Catherine Jacques a bien montré que le féminisme était avant tout un phénomène bruxellois et bourgeois. Félixa devient donc une pionnière en assumant ce rôle éducatif pour aider les ouvrières, d’une part, à combler les lacunes d’une éducation bâclée et, d’autre part, à développer une conscience politique.

À cette occasion, la directrice Félixa commence à écrire ses premières œuvres pour ses protégées, tant en français qu’en wallon, qui sont ses deux langues maternelles29. Elle compose des couplets « savoureusement » troussés sur des thèmes tels que la mutualité, la coopération, mais aussi sur le libre-penseur Francisco Ferrer (1859-1909), récemment exécuté. Elle écrit aussi plusieurs courtes pièces : In campagne électorale (en octobre 190330), Par l’action syndicale (1905) et Le truc de la

29 Nadine BODSON et al., La femme et la littérature dialectale en Wallonie. Catalogue de l'exposition organisée par la Bibliothèque des dialectes de Wallonie au Foyer d'exposition des Chiroux du 12 au 30 septembre 1984, Liège, Les Chiroux, 1984, p. 30.

30 Relevé dans le discours de Gaston Hoyaux lors de la cérémonie du 16 janvier 1955 à Jolimont (archives non inventoriées).

bossue (1909)31. C’est là ses premières créations théâtrales personnelles, marquant le début d’une longue série.

De fait, elle se spécialise dans le registre des bouffonneries, qui seront, quant à elles, interprétées par le cercle dramatique Le Progrès. Le 12 novembre 1911, le public assiste ainsi à la première de Sans maronnes (Sans pantalons) et, le 8 février 1914, de En’ maiso hantée ou l’pourcha Colas (Une maison hantée ou le cochon Colas), une pièce qui sera primée par la Province du Hainaut32. Dans la foulée, son premier recueil, intitulé Bouquets d’Pensées (1913), est publié, regroupant ses principaux poèmes, chants et saynètes33. Ces premières reconnaissances marquent le début d’une nouvelle période pour Félixa, qu’on appellera bientôt « la muse de Jolimont » (ill. 8)34 .

Ill. 8. – Félixa à 38 ans, en 1913. C’est à ce moment qu’elle commence à prendre la pose comme autrice pour accompagner son nouveau statut de femme de lettres. Elle sera plus tard en contact avec l’écrivaine française Lya Berger (1877-1941), qui a entamé un répertoire des poétesses belges. Elle lui donnera le titre qui la suivra toute sa vie de « muse de Jolimont ».

31 « Le Centre. Lettre du Centre », dans Journal de Charleroi, 30 décembre 1908, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1283936) et « Lettre du Centre. Baume », dans Journal de Charleroi, 2 décembre 1909, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1284267).

32 Félixa WART-BLONDIAU, Deux œuvres wallonnes. En’ maiso hantée ou l’pourcha Colas […]. Sans marronnes […], La Louvière, Imprimerie coopérative ouvrière, [s.d.].

33 ID., Patois du Centre. Bouquets d’Pensées. Œuvrettes en patois, Haine-Saint-Pierre, E. Saintes, [1913].

34 Lya BERGER, Les femmes poètes de Belgique. La vie littéraire et sociale des femmes belges, Paris, Perrin et Cie, 1925, p. 264.

4 Militante dévouée

Malgré les prémices de ses succès théâtraux, l’autrice n’oublie pas le volet purement politique et les organisations ouvrières. Elle s’attache surtout à obtenir l’adhésion des femmes à diverses initiatives. On constate alors que ses réflexions artistiques trouvent un prolongement naturel dans d’autres actions de terrain. En avril 1914, Félixa devient ainsi la présidente du Comité d’administration de La Femme Prévoyante35, une forme primitive et régionale de ce qui deviendra, en 1922, la grande mutualité féminine nationale, créée par Marie Spaak-Janson (1873-1960) et Arthur Jauniaux (1883-1949).

À la suite de ses nouvelles fonctions, elle entame une tournée de propagande pour l’organisation des femmes36. Ses harangues ne sont pas sans rappeler celles qu’elle prononçait sans doute quelques années plus tôt :

« Femmes ! Nous avons, comme les hommes, le droit et le devoir de songer à nous garantir contre toutes les éventualités ! Soyons prévoyantes ! »37

Malheureusement, alors que plusieurs autres sections s’ouvraient dans la région du Centre, les organisatrices ont dû rapidement faire marche arrière. Celles qui s’étaient laissé convaincre par cette propagande ont été remboursées. En effet, la guerre allait mettre entre parenthèses ce beau projet.

« Mais les racines étaient restées dans le terrain », comme le soulignera plus tard Félixa qui allait reprendre après-guerre la présidence de la section locale du mouvement mutualiste féminin38

5 Sur tous les fronts

Pendant la Première Guerre mondiale, Félixa devient cette dame d’œuvres socialistes qui terminera d’asseoir son statut de femme « admirable » de la Région du Centre, selon les mots de ses contemporains39. Quand elle n’organise pas la soupe populaire, elle soutient, en effet, les déportés en envoyant des centaines de requêtes au Marquis de Villalobar (1864-1926), un diplomate espagnol très actif pendant la guerre. Elle est aussi déléguée visiteuse à l’œuvre des nourrissons et marraine des Orphelins de Guerre40

Alors qu’elle se dévoue pour les éprouvés de la Grande Guerre, elle continue ses activités littéraires et théâtrales. Elle fait ainsi partie d’un collectif de poètes de la région du Centre, La Nervie, qui publie une Anthologie, vendue au profit d’œuvres de bienfaisance. Elle écrit enfin son chef-d'œuvre Florisa, mélodrame qui sera joué le 15 octobre 1916 au Progrès. C’est sans doute pour éloigner le public des horreurs quotidiennes qu’elle situe cette histoire d’amour paysanne avant la guerre. Le succès est

35 « Le Centre. Jolimont. Mutualité de retraite », dans Journal de Charleroi, 6 avril 1914, p. 3 (https://uurl.kbr.be/1285814).

36 « Le Centre. Les conférences pour femmes », dans Journal de Charleroi, 29 avril 1914, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1285836) et « Le Centre. Houdeng-Goegnies. Appel aux femmes », dans Journal de Charleroi, 29 mai 1914, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1285866).

37 Félixa WART-BLONDIAU, « Le Centre. Fédération des Mutualités Socialistes du Centre. ‘La Femme Prévoyante’, Mutualité féminine. Une section dans chaque Maison du Peuple », dans Journal de Charleroi, 11 avril 1914, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1285819).

38 « Jolimont. A la Femme prévoyante », [vers 1930]. Cette coupure de presse se trouve dans ses archives non inventoriées, plus précisément dans le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 12.

39 Gaston HOYAUX, La littérature patoisante… op. cit., pp. 46-47.

40 Félixa WART-BLONDIAU, En hommage… op. cit., p. XIII. Sous le pseudonyme de « Cigale », elle signe plusieurs articles pendant la guerre (cf. ses archives non inventoriées, en particulier le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 6 et p. 26).

retentissant et les critiques dithyrambiques41. Celle-ci connaîtra plusieurs centaines de représentations sur des décennies (ill. 9 et 10)42

Ill. 9. – Prospectus de la pièce Florisa jouée au Théâtre du Progrès, en 1920. Depuis le 12 novembre 1911, la nouvelle salle de spectacle peut accueillir désormais 1.200 spectateurs. L’éclairage à l’électricité et le chauffage sont de véritables atouts pour les pièces jouées sur les planches. Félixa bénéficie donc d’un très bon cadre pour se produire et, surtout, créer. L’alchimie entre les conditions techniques, le jeu d’acteurs et l’histoire fait de ce spectacle le plus grand succès de la Jolimontoise. Il sera joué au moins à 209 reprises jusque mars 1953.

41 EGLANTINE, « Billet du jeudi. Florisa », 1916. Cette coupure de presse se trouve dans ses archives non inventoriées, plus précisément dans le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 55. Celle-ci est reproduite en annexe n° 2.

42 Nadine BODSON et al , op. cit., p. 31.

Ill. 10. – Une des rares photographies liées à la pièce, vers 1916

Son expérience de 14-18 la marque profondément, comme en témoignent ses nombreuses créations théâtrales d’après-guerre sur ce thème. C’est dans ce sens qu’il faut lire sa pièce Madelon, jouée pour la première le 23 mars 1919, où transparaissent un profond patriotisme et une certaine haine des « Boches ». Cette œuvre revancharde, écrite à chaud dans l’immédiate après-guerre, est bientôt contrebalancée par le Pardon qui renoue avec l’antimilitarisme et l’internationalisme, deux valeurs défendues par les socialistes bien avant le conflit.

On l’aura compris, ces histoires ont une forte portée politique avec un message clair. C’est l’apogée des pièces dites à thèse, très prisées par les camarades43. Cette véritable mode se traduit concrètement par un long portrait, publié dans Le Peuple, qui célèbre cette autrice aux multiples succès qu’on recommande de lire partout dans le pays44. Cet appel dépasse toutes les attentes puisqu’elle sera jouée jusqu’en France45

6 Des convictions chevillées au corps

Le contexte politique d’après-guerre est plus favorable aux femmes, puisque certaines veuves de guerre obtiennent pour la première fois le droit de vote. Ainsi, en 1919, Félixa publie des textes « à [ses] compagnes » ou « à [ses] sœurs » dans lesquels elle les enjoint à poursuivre la lutte de leurs maris pour la liberté et l’égalité avec « un coup de crayon libérateur »46. Le P.O.B., effectivement inquiet de la menace catholique aux prochaines élections, fait de Félixa une sorte d’égérie des socialistes régionaux qui veulent, grâce à elle, gagner les voix féminines. On lui confie ainsi la présidence d’un important rassemblement à Jolimont, lors d’une prise de parole d’Émile Vandervelde (1866-1938), le Patron du parti, lors de la campagne pour les législatives de 192147

Dans ce contexte où la pression catholique reste forte, on ne sera pas surpris de voir se développer des activités du courant de libre-pensée et du rationalisme pour les femmes en Belgique, en particulier dans la Région du Centre et dans celle de Charleroi. La Ligue belge des Femmes rationalistes, qui vient d’être fondée le 1er avril 1920, choisit Félixa Wart-Blondiau comme déléguée du Centre. Elle baigne dans cet univers depuis son mariage avec François qui est issu d’une des familles de libres-penseurs convaincus et actifs48. Lui-même dirige Les Disciples d’Abel Wart à Fayt, du nom de son vénéré père (ill. 11). L’activité de Félixa au sein de cette ligue s’estompe après 1921, au contraire de son mari qui maintient son engagement pendant des décennies. Toutefois, elle reste profondément marquée par la libre-pensée et l’anticléricalisme qui sont des thèmes centraux de son œuvre, notamment dans la pièce Les sacrifiés (1924)49 .

43 Anne-François PERIN, op. cit., pp. 49-51.

44 Théo LAUTREILLE, « Coin de la Jeunesse. Pour nos Cercles dramatiques. Les œuvres d’une militante », dans Le Peuple, 8 mars 1921, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1396491).

45 « Blondiau, Félixa (épouse Wart) », dans La Belgique active. Province de Hainaut. Biographie des personnalités, Bruxelles, Édition et illustration, 1934, p. 24.

46 Félixa WART-BLONDIAU, « A mes Compagnes », dans Journal de Charleroi, 27 juillet 1919, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1286149). Voir aussi ses archives non inventoriées, en particulier le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie » où se trouvent deux coupures de presse « Le Coup de Balai. A mes sœurs... » (p. 3) et « A mes sœurs... et à mon mystérieux anonyme » (p. 4) qui datent probablement de 1919.

47 « Vandervelde à Jolimont. Trois milles Auditeurs ovationnent le Tribun socialiste », dans Le Peuple, 26 octobre 1921, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1396719).

48 « La Ligue belge des Femmes Rationalistes vient d’être fondée », dans Journal de Charleroi, 1er avril 1920, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1286392), « Chronique régionale. Carnières. Libre-Pensée », dans Journal de Charleroi, 22 mai 1920, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1286440) et « Chronique régionale. Carnières. Fête civile », dans Journal de Charleroi, 29 mai 1920, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1286446).

49 Anne-François PERIN, op. cit., pp. 45-49.

Ill. 11. – Seule photographie connue d’Abel Wart, vers 1885. Ajusteur ou ouvrier forgeron de son état, il est reconnu comme un des premiers socialistes de la région et « le » propagandiste de la libre-pensée. Il pensait que la trinité, formée par le socialisme, le rationalisme et la république, s’alimentait naturellement et logiquement.

7 « Première dame » du Centre

Les années d’entre-deux-guerres voient la prospérité de la coopérative Au Progrès dans un contexte socio-économique instable, marqué par la montée du fascisme. Plus que jamais, Félixa reste une fervente propagandiste attachée à la promotion – toute en poésie – du mouvement socialiste et, en particulier, de la coopération (ill. 12)50. Lorsque son mari accède à la direction de la coopérative en 1927, elle devient véritablement la « première dame » socialiste de la Région du Centre.

50 « (…) Un appel en faveur de la Coopération est ensuite adressé aux femmes. Les enfants, dans leurs jeux, sont coopérateurs. Les hirondelles, les abeilles sont coopératrices. La coopération est la loi de la nature. (…) ». Dans « Chronique régionale. Braine-le-Comte. Soirée du 1er mai », dans Journal de Charleroi, 7 mai 1926, p. 4 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1288551).

Paradoxalement, son implication dans les activités théâtrales à Jolimont s’estompe. Vers 1924-1925, la programmation du Cercle dramatique Le Progrès est entièrement renouvelée51. De nouvelles revues en vogue à Paris, écrites par Gaston Hoyaux (1894-1968), accaparent l’agenda de la troupe et, par conséquent, évincent Félixa et ses pièces à thèse52 Pour autant, elle n’abandonnera jamais l’écriture.

Ill. 12 – Manuscrit d’une chanson en wallon intitulé Couplets des Brasseurs du Progrès, vers 1911. Celle -ci a été créée pour les 25 ans de la coopérative de Jolimont pour célébrer un de ses produits phares. Le troisième couplet peut être traduit ainsi : « À côté de l’avantage / Que va donner nos boissons / Si vous en faites usage / Elle améliorera votre pension ! / Ainsi ayez à cœur / Tous, braves compagnons / D’être coopérateurs / ‘Au Progrès’ de Jolimont / Ouvriers de partout / C’est votre intérêt / De boire la bière du Progrès ».

Félixa jouit d’une très grande aura dans le monde de la coopération. Souvent présentée en tant qu’épouse du directeur de la coopérative, elle s’est en effet impliquée davantage – et assez naturellement – dans la Ligue nationale des Coopératrices dans la Région du Centre (ill. 13)53, en plus de ses autres présidences. Par ce biais, elle continue son combat pour amener les femmes à marcher dans la voie du socialisme que ce soit à travers la coopération ou la mutualité. Tous les canaux sont bons pour mobiliser : des articles54, de conférences55 ou de visites dans des locaux de la coopérative jolimontoise ou dans les locaux d’autres institutions56. Grâce à ses activités dans la Ligue des

51 « Jolimont. Vie artistique », dans Journal de Charleroi, 4 janvier 1947, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1296123).

52 Anne-François PERIN, op. cit., pp. 59-60.

53 « Ligue nationale des coopératrices. Dans le Centre », dans Journal de Charleroi, 2 février 1928, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1289883).

54 Félixa WART-BLONDIAU, « Pour les ménagères. Comment intéresser les femmes à la coopération », dans Coopérateur belge, janvier 1934.

55 « Chronique régionale. Godarville. Fête des mères », dans Journal de Charleroi, 4 juin 1927, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1289162).

56 « Lettre du Centre. Les ‘Femmes coopératrices’ visitent ‘Le Progrès’ de Jolimont », dans Journal de Charleroi, 18 mai 1928, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1289986) et « L’Anniversaire de ‘La Concorde’ fut célébré partout avec enthousiasme. Les meilleurs orateurs du parti ont fait une fructueuse propagande pour la coopération socialiste », dans Journal de Charleroi,

Coopératrices, elle est amenée à rencontrer et à échanger avec d’autres femmes de pouvoir du P.O.B., parmi lesquelles on peut citer Isabelle Blume (1892-1975), Lucie Dejardin (1875-1945) et bien d’autres.

Ill. 13 – Carte de la Ligue des Coopératrices du Centre pour la Chaîne de la Paix, vers 1925. Cette ligue a tenu sa première réunion le 8 octobre 1923, à la Maison du Peuple de La Louvière. Son but ? Recruter de nouvelles affiliées pour la coopération socialiste. On a ici un témoignage original de recrutement sur le thème du pacifisme. Il est vraisemblable que le texte soit de Félixa puisqu’il fait assez explicitement référence à une de ses pièces et d’autres créations.

Pour arriver à son dessein, elle privilégie aussi l’image de la mère dans tous ses discours avec, parfois, des accents pathétiques quand elle brosse le portrait de celle de Joseph Wauters (1877-1929) (ill. 14)57 Dans ce même ordre d’idées, elle embrasse enfin l’initiative de Paul Pastur (1866-1938) qui appelle à fêter les mères en 192658. Elle insiste sur la nécessité de l’événement auprès de ses camarades59 et participe activement aux premières éditions dans la Région du Centre60

13 avril 1931, p.2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1291012). En 1938, elle organise une excursion de Solières à Fallais (cf. ses archives non inventoriées, en particulier le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 19).

57 « Lettre du Centre. A la Ligue des Coopératrices », dans Journal de Charleroi, 9 juillet 1930, p. 4 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1290742) et « Dans le Centre. Morlanwelz. Jeudi récréatif », dans Journal de Charleroi, 3 avril 1932, p. 5 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1291363).

58 « Une heureuse et touchante initiative. La fête des mères », dans Journal de Charleroi, 5 juillet 1926, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1288608).

59 « Un important Congrès féminin dans le Centre », dans Le Peuple, 11 août 1926, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1398432).

60 « Chronique régionale. Godarville. Fête des mères », dans Journal de Charleroi, 4 juin 1927, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1289162) et « Lettre du Centre. La fête des mères », dans Journal de Charleroi, 7 mai 1933, p. 6 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1291753).

Ill. 14 – Photographie de Caroline Sera (1847-1938), mère de Joseph Wauters, vers 1930. En tant qu’amie intime, Félixa utilise son parcours, présenté comme celui d’une mère courage, qui a mené ses deux fils « vers le droit chemin du socialisme ». Ce discours où la noblesse et le courage sont particulièrement présents doit servir comme image d’Épinal de la parfaite famille socialiste.

Progressivement, elle se retire de ses obligations. Ainsi, en janvier 1935, elle quitte La Femme Prévoyante qui la remercie d’avoir « quelque peu déserté [son foyer] pour consacrer le meilleur [d’ellemême] à l’émancipation de [ses] soeurs de classe »61”. Son implication au sein du mouvement coopératif semble quant à lui prendre fin en même temps que la retraite de François Wart, en 194262

61 Discours d'une déléguée du comité de la Femme prévoyante de Jolimont, daté du 2 janvier 1935, trouvé dans ses archives non inventoriées, plus précisément dans le tome n° 1 du recueil « Une vie bien remplie », p. 140.

62 « Société coopérative ‘Au Progrès’ Jolimont [-] Haine-Saint-Paul », dans Journal de Charleroi, 10 janvier 1942, p. 3 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1294683).

63 Félixa Wart-Blondiau, « Œuvres du soutien aux Enfants des Chômeurs du Centre. Haut les cœurs ! », dans Journal de Charleroi, 4 août 1932, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1291484).

8 Fin du spectacle

Grâce à ce retrait relatif de la vie active, Félixa se consacre pleinement au monde de l’enfance, qu’elle accompagne depuis tant d’années, et à la création artistique. Ces deux aspects de sa vie s’entremêlent d’ailleurs de manière particulièrement harmonieuse.

Si elle est déjà active dans l’Œuvre du soutien aux enfants des chômeurs63 et dans d’autres initiatives, c’est surtout dans l’Orphelinat rationaliste du Hainaut (aujourd’hui Le Gai Logi) (ill. 15), succursale de celui de Forest, que le couple Wart s’investit. François est le comptable de l’institution, tandis que Félixa est administratrice et marraine de ces petits malheureux qu’elle distrait régulièrement grâce à ses contes64. De 1927 à 1938, elle s’est fait une véritable spécialité de ce genre, notamment à travers le rendez-vous intitulé « L’heure du conte » (ill. 16), où une cinquantaine d’enfants jolimontois se rassemblaient régulièrement pour l’écouter religieusement. Par ailleurs, on l’entend, de plus en plus, sur les ondes, où elle égaye les petits – comme les grands – avec des histoires pleines de finesse, comme celle d’un saint Nicolas décidé à faire grève pour protester contre les horreurs de la guerre65 Le droit de grève et le pacifisme, des valeurs qui lui sont chères, sont ainsi subtilement mis en avant.

Ill. 15 – Félixa et ses protégés de l’Orphelinat rationaliste du Hainaut (O.R.H.) lors d’une visite à Nieuport, vers 1935. Pour contrer la mainmise des catholiques sur les orphelinats, les socialistes mettent en place des alternatives. En 1932, après dix ans de discussion, l’O.R.H. devient une A.S.B.L. mais ce n’est seulement qu’aux alentours de mai 1934 que les premiers enfants arrivent à Écaussinnes66

63 Félixa Wart-Blondiau, « Œuvres du soutien aux Enfants des Chômeurs du Centre. Haut les cœurs ! », dans Journal de Charleroi, 4 août 1932, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1291484).

64 « La Saint-Nicolas à l’Orphelinat Rationaliste d’Ecaussinnes », dans Journal de Charleroi, 9 décembre 1946, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1296102).

65 M. L., « R.N.B. A Radio-Hainaut Saint-Nicolas fait grève. Une création wallonne de Mme Félixa Wart-Blondiau », dans Journal de Charleroi, 11 décembre 1945, p. 4 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1295798).

66 Victor ERNEST, « L’O.R.H. – Une œuvre nouvelle », dans Le Peuple, 16 mai 1934, p. 1 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1292119).

Ill. 16 – Les enfants de L’Heure du conte à Jolimont, vers 1935, et lettre de remerciements d’une maman, le 16 décembre 1937.

Félixa écrit également abondamment dans le Mouchon d’Aunia pour le compte des Scriveûs du Cente, dont elle est la présidente d’honneur67. En parallèle, elle continue à créer pour le théâtre, se trouvant souvent derrière le rideau ou le micro pour donner vie à ses créations. Citons pour l’exemple ses comédies dramatiques (Christine en 1954) ou ses drames (In coup d’iau en 1956).

Après avoir fêté en grande pompe ses 75 ans avec de magnifiques témoignages de sympathie68 , l’année 1955 marque peut-être le dernier hommage de son vivant pour sa carrière d’une longévité extraordinaire (ill. 17). À l’occasion de ses Wit X69 (huit [fois] dix), son recueil Bouquets de pensées est réédité dans une version largement augmentée, avec une très belle préface signée par Alexandre André (1897-1989), un des promoteurs reconnus des arts du Hainaut. Il y souligne la continuité et la qualité

67 Félixa WART-BLONDIAU, En hommage… op. cit., p. XIII.

68 Cf. notamment à FRANKIE, « Lettre à quelqu’un qui fête aujourd’hui son septante-cinquième anniversaire et ses noces d’or », 15 janvier 1950. Cette coupure de presse est extraite de ses archives non inventoriées. Celle-ci est reproduite en annexe n° 3.

69 Du nom d’un de ses poèmes. Dans Félixa WART-BLONDIAU, En hommage… op. cit., p. 120.

remarquable de son travail pour la promotion et la défense d’une région à travers sa langue et ses gens70. Son hommage fait écho au constat d’un autre qui, bien plus tôt, s’étonnait que Jolimont avait acquis une telle célébrité, grâce à son vivier d’artistes patoisants, parmi lesquels Félixa trône comme une reine71. À tout seigneur tout honneur, cette « Madone du Peuple », selon l’expression d’Alexandre André, l’a en effet fait rayonner de bien des manières et a offert en héritage un patrimoine d’exception qui donne ses lettres de noblesse à toute une région.

Ill. 17 – Félixa lit son discours à l’occasion de l’anniversaire de ses 80 ans, en 1955. À ses côtés, avec les lunettes noires, se trouve Gaston Hoyaux, bourgmestre d’Haine-Saint-Paul. C’est sous sa direction que seront poursuivies les activités théâtrales du Progrès de Jolimont.

Félixa Blondiau-Wart décède le 30 juillet 1959 (ill. 18). À cette occasion, ses amis du Peuple n’ont pas jugé nécessaire de rappeler les innombrables prix et décorations qu’elle a collectionnés tout au long de sa carrière, car elle a conquis bien plus précieux : l’estime du public, grâce à cette passion et cette générosité devenues légendaires72. Le jour même de sa mort, elle écrivait encore des vers – en wallon, bien sûr – qui viennent mettre un point final, sublime et magistral, à la vie d’une étoile désormais éteinte :

« I faura birade couminchi pa fet m’valise [Il faudra bientôt faire mes valises]

Les grandès vacances approch’tè pour mi à grands pas [Les grandes vacances appprochent

70 ID., ibid., pp. VII-IX.

71 « Lettre du Centre. A une citoyenne dévouée », dans Journal de Charleroi, 8 juin 1928, p. 2 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1290005).

72 « Les funérailles de Felixa Wart-Blondiau ont eu lieu à Jolimont », dans Le Peuple, 12 août 1959.

pour moi à grands pas]

Iun après l’aute, les djous nos intrin-tè par là [L’un après l’autre, les jours nous entrainent parlà]

I’n faut ni avoû peu, i vaut mieu qu’on s’èl dise [Il ne faut pas avoir peur, il vaut mieux qu’on se le dise] »73

Ill. 18 – Ernest Haucotte (1902-1983), président du groupement Lès Scriveûs du Cente, rend hommage à Félixa devant son cercueil, 10 août 1959. Elle leur laisse en héritage des dizaines de textes et aussi leur drapeau qu’elle avait imaginé et commandé auprès de sa belle-fille, Marthe Bernard, épouse d’Abel Wart.

9 Postérité

9.1 Traces mémorielles

Après son décès, la mémoire de Félixa est restée vivante pour ses amis et ses proches, d’autant plus qu’elle leur avait laissé « un message d’optimisme et de rayonnante bonté »74. Quelques événements ont ainsi permis de sauvegarder pour un temps le souvenir de son existence, surtout localement

Le 22 septembre 1963, une plaque commémorative a été apposée sur la maison de la « muse de Jolimont » sur l’initiative de l’Association des Commerçants et Propriétaires de Jolimont avec le patronage des « Scriveux du Centre » et de l’Institut Provincial et des Loisirs du Hainaut (ill. 19)75. Par la suite, plusieurs articles, parus ici et là, ont rappelé pendant quelques décennies que Félixa avait marqué à de nombreuses reprises l’histoire de la région du Centre et du socialisme. Il y aura aussi, en 1984, 25 ans après sa disparition, une rue que les autorités de La Louvière ont rebaptisée en son honneur et qui permet encore aujourd’hui de garder vivant son nom (ill. 20).

73 « Félixa Wart-Blondiau n’est plus », dans Le Peuple, 5 août 1959.

74 Arille NACHTERGAEL, Jolimont… mon terroir, Fayt-lez-Manage, E. Minot et fils, 1969, p. 39.

75 « Jolimont. De nombreuses personnalités et groupements divers ont rendu hommage à la mémoire de Félixa Wart-Blondiau et assisté à la pose d'une plaque commémorative sur sa maison natale », dans Indépendance, 24 septembre 1963.

Ill. 19 – L’Harmonie du Progrès précède les drapeaux de divers groupements pour rendre honneur à cette vie aux tonalités chantantes et poétiques, le 22 septembre 1963.

Ill. 20 – La rue Félixa Wart part de la chaussée de Jolimont et rencontre la rue de l’Union des Métiers, celle de la Solidarité et celle de la Libération pour aboutir à la rue Ferrer… Félixa aurait trouvé une histoire pour conter ce chemin qui épouse si bien les contours de son existence et de ses convictions.

Si elle n’a pas totalement sombré dans l’oubli dans le monde scientifique, c’est sans doute grâce à l’action d’un de ses amis, Roger Pinon (1920-2012), qui a eu – et c’est peu de le dire – une véritable

passion pour le folklore wallon. Lors de ses recherches académiques, il avait rencontré Félixa, les 23 et 24 août 1954, pour l’enregistrer pendant de longues sessions chez elle. Ce n’est sans doute pas un hasard si Roger Pinon souffle l’idée d’une exposition sur « La femme et la littérature dialectale en Wallonie » à ses comparses de La Bibliothèque des dialectes de Wallonie pour 1984, c’est-à-dire tout juste un quart de siècle après la mort de Félixa. L’exposition donne la part belle à cette figure du Hainaut à travers 16 objets, de photographies à des tracts théâtraux, qui illustrent son parcours. Tous ceux-ci sortent pour la première fois des collections de Georges Wart qui garde religieusement les souvenirs de « mère », comme il la nommait.

Dans le même esprit, en janvier 1986, l’Ecomusée de Bois-du-Luc, sous la direction de Jacques Liébin (1939-2020), commence à recueillir des archives sur le théâtre dialectal. Leurs travaux les amènent à sortir de l’oubli « la seule femme écrivain patoisante de la région » en publiant une biographie dans divers journaux76. Eux aussi sont mis en contact avec Georges Wart qui leur prête des documents sur Félixa, notamment une photographie perdue du groupe La Plébéienne, pour l’exposition qui se tient à l’Hôpital de Tivoli à La Louvière, en octobre 198677 .

Si Lès Scriveûs du Cente n’ont jamais oublié leur présidente d’honneur78, la mémoire autour de Félixa n’a été que très récemment réactivée. En 2021, la Ville de La Louvière a eu l’heureuse idée de protéger et de promouvoir, notamment grâce à une publication, les sépultures d’importance historique locale. La belle tombe du couple François Wart et Félixa Blondiau – qui se trouve dans le vieux cimetière de Jolimont – fait ainsi partie du premier inventaire (ill. 21)79. Enfin, lors du 150ème anniversaire du Progrès de Jolimont, organisée par le Parti socialiste, le 19 août 2022, Félixa Wart-Blondiau est le visage majeur de l’exposition, comme emblème du mouvement coopératif socialiste et du féminisme80

76 Evelyne MASURE-HANNECART, « Félixa Wart-Blondiau, d’Haine-Saint-Paul : la seule femme écrivain patoisante de la région », dans La Nouvelle Gazette (Centre), 4 janvier 1986. ID., « Félixa Wart-Blondiau (1875-1959) : une grande dame de notre littérature patoisante », dans Le Journal – Le Peuple et Indépendance (édition du Centre), 6 janvier 1986. ID., « Une grande dame de la littérature patoisante. Félixa Wart-Blondiau », dans El Mouchon d’Aunia, n° 3, juillet-août-septembre 1993, pp. 37-39.

77 Charles DINEUR et al., op. cit., p. 5 et pp. 11-12.

78 Christian FAUCONNIER, « A lès cîns qu’ont fét l’èrlouéye dè no walon du cente. Félixa Wart Blondiau (1875-1959) », dans El Mouchon d’Aunia, n° 5, mai 2005, pp. 34-35.

79 Thierry DELPLANCQ, Parcelles de vies. Une promenade insolite dans les cimetières louviérois, La Louvière, Archives de la Ville et du CPAS de La Louvière, 2021, p. 46.

80 Joffrey LIÉNART, État de la question : 150ème anniversaire de la première Maison du Peuple de Belgique, Bruxelles, Institut Émile Vandervelde, 2022, pp. 11-12. Martine PAUWELS, « Paul Magnette sera présent à Jolimont pour l’expo des 150 ans », dans Sudinfo, 19 août 2022, p. 6.

Ill. 21 – Stèle du caveau de Félixa et François. D’un premier coup d’œil, on pourrait croire que celle-ci, avec le livre Bouquet de pensées et la plume dans son encrier, au-dessus desquels reposent des pensées, ne fait référence qu’à Félixa. Pourtant, l’ensemble est encadré de deux flambeaux qui évoquent clairement François. Comment ne pas y voir une allusion explicite à la libre-pensée, au triomphe de la Lumière, qui est un symbole fort, repris d’ailleurs dans le monument Francisco Ferrer à Bruxelles ?

9.2 Ses archives

Lors de la préparation de cette biographie, des recherches d’envergure ont été menées pour pister tous les documents qui existaient encore la concernant. La presse socialiste numérisée – aussi utile qu’indispensable – avait en effet de sérieuses limites pour explorer les différentes facettes de ce personnage. Ainsi, quatre découvertes majeures ont été faites très récemment. Il n’est pas à exclure que d’autres émergent encore dans le sillage de ce travail.

Ainsi, début 2020, en menant notre enquête et en découvrant les liens qui unissaient Roger Pinon à Félixa Wart-Blondiau, nous avons été amené à contacter nos confrères du Musée de la Vie wallonne. Ces derniers conservent en effet une collection de ses captations sonores et, parmi celle-ci, ont été retrouvées plusieurs bobines des enregistrements de Félixa. Ainsi, sa voix, qui n’avait plus été entendue depuis plus de six décennies, vibrait à nouveau. Grâce à eux, on peut se rendre compte de l’étendue de son répertoire qui est d’une richesse extraordinaire, tant en français qu’en wallon. Ces archives exceptionnelles comportent 205 chansons, comptines, formulettes, prières et incantations pour une durée totale de 1 heure et 51 minutes. Depuis leur redécouverte, elles ont été numérisées et sont maintenant accessibles librement81

Par ailleurs, le Réseau louviérois de Lecture publique a eu l’heureuse initiative de conserver au sein de ses collections une section dédiée aux œuvres wallonnes. Ainsi, par miracle, a été sauvé l’ensemble

81 Musée de la Vie wallonne, Art et documents audiovisuels, document sonore : « chansons, formulettes et incantations de Jolimont », 23 et 24 août 1954 (n° d’inventaire MVW-3000108). En ligne : https://collections.viewallonne.be/#/query/7c73cf96b8f0-4a72-9269-bf5fa11ef749 (consulté le 27 décembre 2024).

des publications théâtrales de Félixa, y compris les œuvres d’après-guerre qui semblaient irrémédiablement perdues. Assurément, il y a là un trésor patrimonial insoupçonné à explorer.

De la même manière, les Archives de la Ville et du CPAS de La Louvière regorgent de pépites documentaires liées à Félixa. Par exemple, ce centre conserve le très riche fonds Lès Scriveûs du Cente. Celui-ci constitue une excellente voie pour affiner nos connaissances sur les auteurs louviérois. L’inventaire qui est en cours s’annonce des plus prometteurs. En effet, il résulte d’un premier coup de sonde que de nombreuses photocopies de manuscrits de Félixa envoyés pour Èl Mouchon d’Aunia y sont conservés, ainsi qu’une partie de sa bibliothèque personnelle qui a visiblement abouti chez les Scriveûs. Pour cette dernière, grâce au cachet de Georges Wart, il sera possible, à terme, de définir avec certitude les ouvrages de Félixa qui ont transité dans ce groupement patoisant. L’intérêt de cette bibliothèque est double. D’abord, on étudiera davantage les centres d’intérêt de Félixa – voire ses sources d’inspiration – qu’on ne peut que deviner en l’état actuel des choses. Ensuite, on reconstituera une partie de son réseau de sociabilité puisqu’une partie des livres et opuscules ont été dédicacés par les auteurs. Il s’agit peut-être là des documents que Georges Wart avait donnés à l’Écomusée de Boisdu-Luc dans les années 1980, lorsque celui-ci s’occupait de constituer une collection autour du patrimoine littéraire local.

Enfin, alors que les derniers éléments de ce texte avaient été rassemblés, il restait une inconnue. Félixa avait-elle encore des descendants et, dans l’affirmative, existait-il encore des archives personnelles ? Au cours de l’analyse des journaux, un articulet annonçait la naissance d’un Franz à Haine-Saint-Paul, fils de Georges Wart82... L’histoire paraissait trop belle pour être simple. Et pourtant, il n’a pas été nécessaire de faire de bien longues recherches pour tomber sur le bon docteur Wart qui habite à Landelies. Très vite, il a proposé de mener des recherches dans son grenier et de nous faire découvrir le résultat. Le jour de notre visite, le 20 décembre 2024, il y avait sur la table à manger des centaines de documents, la plupart avaient été déjà triés par Georges Wart. On y trouve des photographies, des manuscrits inédits, des journaux intimes, les carnets de ses groupements féminins, de la correspondance, des coupures de presse et des programmes théâtraux. Le docteur Wart avait à cœur de préserver cet héritage et a décidé de tout confier aux bons soins de l’Institut Émile Vandervelde pour que les chercheurs puissent continuer à approfondir les connaissances autour de cette autrice qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.

82 « La Louvière et le Centre. Haine-Saint-Paul. Heureux événement », dans Journal de Charleroi, 22-23 mars 1947, p. 4 (en ligne : https://uurl.kbr.be/1296189).

10 Conclusion

« L’Homme n’est rien de lui-même. Il n’est qu’une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance », disait Albert Camus. Félixa Wart-Blondiau incarne parfaitement cette vérité. Toute femme ou tout homme a la possibilité d’évoluer, de s’instruire et de se passionner. Il ne tient qu’à eux de saisir les opportunités pour se réaliser. Ces opportunités, cependant, ne naissent pas seules : elles sont le fruit d'une action collective rendue possible par des conditions socio-économiques précises. Dans un contexte marqué par l'industrialisation et les inégalités sociales criantes, la solidarité s’est exprimée à travers le développement du socialisme et des innombrables associations du mouvement dans la Région du Centre, en particulier à Jolimont. Ces initiatives collectives ont permis de créer des espaces de formation, de réflexion et d’émancipation qui donnaient les clés pour renverser les systèmes de domination, maintenus et voulus par les patrons et l’Église.

Qu’il s’agisse des cercles de libre-pensée, des troupes de théâtre ou des centres de propagande, sans oublier les indispensables bibliothèques, cette école socialiste révolutionnaire – qui pallie avec succès un système éducatif élitiste – a donné les clés pour l’émancipation des ouvrières et des ouvriers. Félixa est en quelque sorte l’aboutissement d’une utopie collective. Elle, comme ses camarades, pleinement formés, ont su convaincre d’autres de participer à l’expérience. Cette émulation a permis de pérenniser un réseau parallèle, porté par un programme qui s’inscrit dans ce courant pédagogique qu’on appellera plus tard l’« éducation nouvelle », fondé sur la participation active des individus à leur propre formation.

Le destin de Félixa montre aussi à quel point la coopération ne s’est jamais cantonnée à la distribution du pain et de la bière à moindre coût. Toutes ces sociétés ont également nourri l’âme d’affiliés en les imprégnant de discours sur le suffrage universel, le pacifisme, la sécurité sociale et bien d’autres enjeux. Si les Belges ont gagné tant d’acquis, c’est parce que ces combats ont été magnifiquement incarnés, à l’échelon local, par une masse invisible de militantes et militants aussi loyaux qu’ingénieux, sur plusieurs décennies. Félixa, par son œuvre exceptionnelle, est devenue l’emblème de ces luttes discrètes mais décisives. Puisse donc cet héritage résonner encore longtemps auprès des générations actuelles et à venir.

11 Œuvres théâtrales et radiophoniques

Il est impossible de répertorier toute la foisonnante production littéraire de Félixa Wart-Blondiau qui a, en plus, signé certains de ses textes avec un pseudonyme – FLUXIA, Felix A. ou Cigale – ou avec son monogramme. C’est donc un vœu que nous formulons ici de voir ce premier inventaire complété.

11.1 Datées

« In campagne électorale », saynète en wallon créée le 11 octobre 1903, à Jolimont, par le cercle « La Plébéienne ».

« Par l’action syndicale », comédie en un acte (français-wallon), créée le 26 novembre 1905, à Jolimont, par le cercle « La Plébéienne ».

« Le truc de la bossue », (français-wallon), scène comique en un acte, créée le 25 décembre 1909, à Baume, par le cercle « Les Enfants du Peuple ».

« Sans maronnes », comédie en un acte et deux tableaux, créée le 12 novembre 1911, à Jolimont, par le cercle dramatique « Le Progrès ».

« Analyse originale », monologue en prose, 1912.

« El Pourcha Colas » ou « En’ maison hantée », bouffonnerie en un acte, créée le 8 février 1914, à Jolimont, par le cercle dramatique « Le Progrès ». Œuvre primée par la province du Hainaut.

« Les deux frères », piécette en français en un acte, créée à Jolimont par les Pupilles de Jolimont, le 2 mars 1916.

« Le marquis de Rikiki », sketch en français en un acte, créé à Jolimont par les Pupilles de Jolimont, le 2 mars 1916.

« Florisa », (français-wallon), tragi-comédie en cinq actes et six tableaux, créée le 15 octobre 16, à Jolimont, par le cercle dramatique « Le Progrès ». Œuvre primée par la province de Hainaut.

« Vendredi 13 » ou « Ce sacré tabac », comédie en un acte créée à Jolimont par le cercle dramatique

« Le Progrès », le 5 mai 1918.

« Madelon », comédie dramatique en cinq actes, en collaboration avec Louis Desmet, créée à Jolimont, le 23 mars 1919 par le cercle dramatique « Le Progrès ».

« A Collarmont », tragi-comédie en un acte, créée le 29 janvier 1921, à Jolimont, par le cercle dramatique « Le Progrès ».

« Lison et Lisette », comédie-dramatique en trois actes. Œuvre primée par la province de Hainaut, créée le même jour à Wasmes, par le cercle « La Jeune Garde Socialiste » et à Bois-d’Haine, par le cercle dramatique « La Jeunesse du Thiriau », le 13 novembre 1921.

« Le pardon », lever de rideau symbolique. Œuvre primée par la province de Hainaut, créée le 25 décembre 1921, à la Maison du Peuple de Soignies, par le cercle dramatique « Les Républicains ».

« Les sacrifiés », comédie dramatique en cinq actes avec prologue et épilogue, créée à Jolimont par le cercle dramatique « Le Progrès », le 20 janvier 1924.

« Zig et puce », pièce-sketch en français, créé à Jolimont par les Pupilles de Jolimont, le 5 avril 1925.

« Viv’ no mouman ! », piècette ou sketch en wallon en un acte, créée le 30 mai 1927, à Jolimont, par les pupilles.

« El’ Mahoumet ou Allez Omer », pièce en wallon, en deux tableaux, créée le 10 janvier 1930, à SaintVaast, par le cercle « Les Jeunes ».

« Fauvette », tragédie en un acte, primée au concours littéraire de Charleroi et créée le 7 février 1932, par le cercle d’Anderlues-Lalue.

« Par la coopération », un acte en français, créé à Bruxelles par les Enfants du Peuple, en mars 1932.

« Les petites coopératrices », pièce en français, créée à Saint-Gilles par les Enfants du Peuple, le 4 décembre 1932.

« La première pension de bobonne », un acte pour les enfants en français, 1932 (?).

« Les deux mamans », comédie en français en un acte pour la Fêtes de Mères, créée à Jolimont par les Pupilles de Jolimont, le 27 mars 1936.

« Djean èyè Djène », revue ou pot-pourri de comptines et de rengaines en wallon. Grande mise en scène avec un prologue, cinq tableaux et trois actes, écrite en 1944. Non créé.

« Dans le sac », sketch sur Hitler, créé à Naast par la Renaissance, le 17 décembre 1944.

« El’ Boulome dè strangne », sketch en wallon créé a tournoi de la Victoire à La Louvière le 22 juillet 1945. Cette création a obtenu 90/100 avec les félicitations du Président du jury.

« Saint Nicolas mil nèf sint quarante chonk » ou « En’ grève au paradis », sketch radiophonique en wallon, créée le 8 décembre 1945. Primé.

« Les persèkutès », comédie dramatique en wallon en trois actes, en 1945. Pièce primée.

« El concours du Raclos », sketch en wallon, 1945 ou 1946.

« Les éprouvés », comédie dramatique en français en deux actes, écrite en 1946 (non créée ?).

« Les sapinc », comédie radiophonique, créée à Radio-Hainaut en juin 1949.

« Zamé deux sans twâs », comédie en un acte, écrite le 5 septembre 1950.

« Istware de gangsters au restameu », 1951.

« Fauvette », 1951.

« Bzzz ou Au d’seur des nuâdges », en trois actes en collaboration avec Vandendries, créée par la troupe du V. Moulin, le 21 octobre 1952.

« Zank a rèvè », sketch créé par les enfants de l’école des garçons à Jolimont à l’occasion de la distribution des prix, le 4 juillet 1953.

« Christine », comédie dramatique, 1954.

« In coup d’iau », pièce dramatique, 1956.

11.2

Non dateés

« Floretta », comédie dramatique en français en 4 actes et 5 tableaux.

« La cousine », tragédie en un acte en français.

« L’inspiration », lever de rideau en français.

12 Annexes

12.1 Annexe n° 1

Cette lettre se trouve dans le premier recueil, intitulé « Une vie bien remplie » (page 153), réalisé par Georges Wart. Il s’agit du seul témoignage de reconnaissance directe des élèves de Félixa pour son apostolat féminin.

“A notre chère Directrice.

Chère directrice

Jolimont le 10 janvier 1904

Nous avons résolu, mes compagnes et moi de profiter de notre première grande soirée pour vous témoigner toute la sympathique affection dont vous êtes doublement digne par votre noble attitude.

En effet, n’avez-vous pas vaincu les préjugés ridicules qui consistent à diminuer la valeur de la femme lorsque celle-ci sort de ce qu’on est convenu d’appeler les règles conventionnelles ?

Vous vous êtes attelée à une charge bien lourde, et certes, c’est un honneur pour vous et pour les femmes en général que vous ayez fait cette intéressante expérience de mettre sur les planches plus de vingt-cinq jeunes filles qui sont fières de se trouver en votre bonne société et qui se moquent des potinages qui ne sont plus de mise aujourd’hui.

Et ceci ne prouve-t-il pas, surabondamment, que les femmes peuvent prendre goût, tout aussi bien que les hommes, à la culture de l’art dramatique et musical ?

Au surplus, s’il est beau de voir des jeunes filles affranchies du joug de la routine, campées sur la scène pour faire de l’art, il y a également le côté social et philosophique dela [sic] question qui n’est pas à dédaigner.

Et c’est vous, citoyenne Blondiau qui avez contribuer [sic] à réaliser de tels prodigues [sic] Aussi, nous nous en sommes reconnaissantes toutes et pour vous prouver les sentiments qui nous animent à votre égard nous vous prions d’accepter ce modeste présent humble souvenir d’élèves qui rendent justice à leur aimable et dévouée directrice.

Vive Félixa Blondiau !

Vive le cercle d’agrément “La Plébéienne”

/signé/ J. Rousseau.”

12.2 Annexe n° 2

Cette coupure de presse se trouve également dans le premier recueil, intitulé « Une vie bien remplie » (page 55), réalisé par Georges Wart. L’article est daté de 1916 mais le journal est inconnu. Son auteur défend Félixa et son œuvre qui est rapprochée injustement de Georgette du docteur Caffet. La citation de l’écrivain britannique Douglas William Jerrold (1803-1857) laisse supposer que se cache un fin lettré derrière ce joli pseudonyme.

« Billet du jeudi – Florisa.

A la camarade Félixa.

Toute une vie de labeur consacrée à la défense d’une cause, d’un idéal ; tous les loisirs de l’existence en éveil pour inculquer au peuple le goût du beau : tour à tour actrice, poëte [sic] de notre terroir, auteur dramatique, collaboratrice aux œuvres de solidarité. C’est beaucoup et c’est assez pour que dans certains milieux l’on obtienne des colifichets, des félicitations et qu’on connaisse la gloire….

Malgré tout vous l’avez, amie Félixa, cette gloire qui est la récompense de tous les cœurs qu’animent le courage et la persévérance. Certains pourraient vous jalouser ou vous critiquer, c’est le petit nombre, croyez-moi. Votre pièce je l’ai lue et relue et je dois dire qu’ils versent dans une grossière erreur, ceuxlà qui voudraient y trouver une analogie avec Georgette ou une autre pièce. Certes il y a dans Florisa le triomphe des cœurs sincères comme on rencontre autre part, mais n’est-ce pas là ce que votre cœur de femme et d’épouse désire le plus ardemment ?

Des snobs, doublés de pédantisme prétentieux critiquent le [mot manquant] trop souvent sans savoir pourquoi, pour le plaisir de critiquer. Mais les vrais artistes, ceux qui voient sincèrement, reconnaissent le grand effort qu’il vous a fallu déployer pour charpenter votre chef-d’œuvre populaire.

Votre apostolat dans les milieux ouvriers mérite ce critérium du beau.

Mais, j’y pense, pour d’aucuns (les hommes sont ainsi faits qu’ils voient toujours en la femme un être inférieur) vous avez le grand tort d’être une autodidacte ; de là sans doute leurs sarcasmes et leur faconde pour vos efforts.

Laissez-les, mon amie, rions de ces censeurs incapables de comprendre la beauté de l’idéal et nous rappelant la belle pensée de Douglas-Yerrold [sic] : « Un diamant est un diamant, quand même pour vous le mettriez au doigt d’un mendiant. Seulement, au doigt d’un mendiant, personne ne voudrait croire que ce fût un diamant. »

Le talent pauvre est pareil à cette pierre précieuse : ce n’est souvent qu’après la mort qu’on reconnaît la valeur réelle de celles et ceux qui le possédaient.

Cependant, amie Félixa, votre diamant a été reconnu de belle eau car, les belles fleurs et les bonnes paroles qui vous furent données l’autre soir, dans une atmosphère de beauté et de bonté artistiques, sont les signes que vous n’êtes pas inconnue.

/signé/ EGLANTINE. »

12.3 Annexe n° 3

Cette coupure de presse provient aussi des archives héritées par Georges Wart. On trouve ce bel éloge dans un dossier consacré à ce double jubilé À travers ce texte, c’est surtout l’action féministe et le dévouement pour la cause ouvrière qui sautent aux yeux. Malgré ce bilan fabuleux, les célébrations seront en demi-teinte, car son amie Amélie Hoyaux (1891-1950), née Nopère, elle aussi actrice dès les débuts de la troupe Le Progrès, vient de décéder dans un accident de la route.

« Lettre à quelqu’un qui fête aujourd’hui son septante-cinquième anniversaire et ses noces d’or.

La Louvière, le 15 janvier 1950. A la citoyenne Félixa Wart-Blondiau, Chaussée, à Jolimont.

Ma chère Félixa,

Tu comptes donc aujourd’hui trois quarts de siècle d’existence et un demi-siècle de bons et loyaux services avec notre ami François. Je dois t’avouer que j’ai téléphoné à Gondry, le secrétaire communal de Haine-Saint-Paul, pour lui demander si l’on n’était pas occupé à me monter un bateau. Il paraît que non. Les “scriveux”, tes amis, me l’ont d’ailleurs confirmé.

C’est que vous paraissez tellement jeunes, tous les deux !

Je n’ai pas l’intention - ce n’est d’ailleurs pas l’endroit - de retracer ta belle et noble vie, une bien remplie, au service de la classe ouvrière et de son émancipation économique, sociale, politique, intellectuelle. Ce n’est pas à nos lecteurs qu’il faut parler de l’auteur de “Florisa”, du subtil chansonnier, de la femme d’œuvres, du puissant acteur, qui, depuis 1903 (“La Plébéenne [sic], tu te souviens ?) a défrayé la chronique des centaines de fois. Ce ne serait plus une lettre : ce serait un roman. Un roman de l’émancipation de la femme de la classe ouvrière, depuis les luttes héroïques de l’Internationale socialiste.

Je n’en ai pas l’intention car j’aurais peur d’être terriblement incomplet. Et puis, cette énumération fastidieuse, cela aurait l’air de dire que ton activité aussi dynamique que multiple est close. Alors qu’il ne s’agit nullement de parler de cela, n’est-ce pas, Félixa.

La preuve, c’est que je suis quasi certain que, tantôt, quand entourée de ton mari, de tes enfants et petits-enfants, tu vas accueillir dans ta charmante demeure de Jolimont, au pied de la Maison du Peuple, devenue grande, tes amis les écrivains wallons du Centre, tu vas leur déclamer “un-petitquelque-chose". Pas vrai, Félixa ?

Non, ce que je voudrais te dire, modestement certes, en ce jour doublement anniversaire pour toi, c’est toute l’affection que ces milliers de braves gens qui forment la classe ouvrière du Centre et d’ailleurs, te portent, ma chère Félixa, pour tout ce que tu as fait pour eux. Pour tout ce que tu as fait, tout simplement, pour eux. Avec ton dynamisme de vingt ans, que ce fût en 1895, en 1915, en 1930 ou... en 1950 déjà.

Et c’est un honneur pour moi que de pouvoir parler aujourd’hui en leur nom à tous. Mais il me faut évoquer ici la mémoire de quelqu’un qui aurait été à tes côtés, ce dimanche soir, si un destin d’une cruelle stupidité ne l’avait pas enlevée à l’affection de tous, il y a une semaine. Comme Amélie va manquer dans cette aimable assemblée et que de souvenir, vous deux, vous auriez pu égrener !

Il est temps que je termine. Je ne puis le faire sans t’adresser, à toi et à François, mes plus vives félicitations et mes ardents souhaits de longue et heureuse vie. Puissiez-vous conserver, tous les deux cet allant et cet extraordinaire dynamisme qui sont les vôtres et que vous avez puisé dans le travail, dans la lutte pour les pauvres et le peuple, et dans la solidité de votre union et de vos destinées !

Et toi, ma chère Félixa, puisses-tu continuer à alimenter, de ta plume alerte, le répertoire dialectal de précieuses œuvres !

Tiens, pendant un bon quart de siècle.

Bien affectueusement,

/Signé/ FRANKIE.”

13 Bibliographie

Dictionnaire biographique des militants du mouvement ouvrier en Belgique. A-B, t. 1, Bruxelles, Éditions Vie Ouvrière A.S.B.L., [s.d.].

La Belgique active. Province de Hainaut. Biographie des personnalités, Bruxelles, Édition et illustration, 1934.

Paul ARON, La mémoire en jeu : une histoire du théâtre de langue française en Belgique (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Théâtre national de la Communauté française de Belgique, 1995.

Lya BERGER, Les femmes poètes de Belgique. La vie littéraire et sociale des femmes belges, Paris, Perrin et Cie, 1925.

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Gaston HOYAUX, La littérature patoisante dans le Centre, La Louvière, Éditions « Labor », 1931.

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Freddy JORIS, Soignies[-]Thuin, Bruxelles, Présence et Action Culturelles, 1985. (Coll. Mémoire ouvrière – Histoire des fédérations, n° 10).

Jules LEKEU, À travers le Centre. Croquis et mœurs. Enquête ouvrière et industrielle, Bruxelles, Rousche & Michotte, 1907.

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ID., « Félixa Wart-Blondiau (1875-1959) : une grande dame de notre littérature patoisante », dans Le Journal – Le Peuple et Indépendance (édition du Centre), 6 janvier 1986.

ID., « Une grande dame de la littérature patoisante. Félixa Wart-Blondiau », dans El Mouchon d’Aunia, n° 3, juillet-août-septembre 1993, pp. 37-39.

Arille NACHTERGAEL, Jolimont… mon terroir, Fayt-lez-Manage, E. Minot et fils, 1969.

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Anne-François PERIN, Théâtre ouvrier en Wallonie (1900-1940). Bilan d’une recherche, Bruxelles, Direction générale de la Jeunesse et des Loisirs du Ministère de l’Éducation nationale et de la Culture française, 1979, pp. 49-51 (Coll. JEB-Théâtre, n° 5)

Félixa WART-BLONDIAU, En hommage à l’occasion de son 80e anniversaire. 1875-1955. Bouquets de pensées, La Louvière, Presses coopératives ouvrières, 1955.

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