ETAT DE LA QUESTION
ANALYSE DES CAUSES DE LA MONTÉE DU POPULISME
DANS NOS SOCIÉTÉS OCCIDENTALES
Nathan LALLEMAND
DÉCEMBRE 2019
1. Introduction
Le populisme est un phénomène difficile à catégoriser. En près de 150 ans d’histoire il a pris des formes multiples. Cependant, une constante persiste : le populisme apparait toujours en réaction à une crise politique, économique, sociale, identitaire et/ou démocratique pour s’opposer à un modèle de société (potentiellement) dominant qui ne satisfait pas le peuple1
L’histoire se répète. Une nouvelle vague de populisme d’une large ampleur frappe actuellement nos sociétés occidentales. Ce phénomène est un indicateur de mécontentement populaire face à l’état de notre société et de nos institutions2
Dans cet état de la question, nous allons parcourir les principales tendances politiques, sociales, économiques et démocratiques qui sont à l’origine du regain de succès du populisme. Ensuite, nous allons explorer des pistes de solutions pour répondre aux problématiques abordées dans la première partie de cette analyse.
2. Le populisme
Depuis son apparition à la fin du 19ème siècle, le populisme a regroupé de nombreux mouvements aux idéologies parfois très différentes. Si ce terme est sur toutes les lèvres, sa définition reste pourtant floue. Que se cache-t-il réellement derrière ce phénomène ? Quelle est l’essence du populisme ? Pour répondre à ces questions, nous allons parcourir brièvement l’histoire du populisme et observer la situation actuelle afin d’identifier les dénominateurs communs qui lient les populistes d’hier et d’aujourd’hui entre eux.
2.1. L’histoire du populisme aux 19ème et 20ème siècles
Le terme populisme fait son apparition dans le dictionnaire français en 1929. Cependant les premiers mouvements définis comme populistes remontent à la fin du 19ème siècle. En 150 ans d’histoire quatre grandes vagues de populisme ont pu être identifiées3
La première vague de populisme démarre entre 1850 et 1880 dans l’empire russe avec le mouvement Narodniki, porté par Alexandre Herzen. Ce mouvement se développe au moment où le tsar Alexandre II abolit le servage des moujiks (paysans qui représentent alors une large majorité de la population de l’empire russe) mettant ces derniers dans une situation économique très précaires. Les Narodniks s’opposent alors aux injustices liées à la politique de modernisation du tsarisme et à l’occident, qui gagne en influence sur la Russie. Ils s’adressent aux moujiks en proposant un modèle de société proche du socialisme4. Les Narodniks veulent créer des réseaux de coopératives portés par le peuple pour régénéré une communauté nationale qui ne soit pas contaminée par l’idéologie occidentale5
La première vague se poursuit fin des années 1880 avec le Boulangisme. Ce mouvement est lancé par le général George Boulanger dans une France qui porte encore les stigmates de la commune de Paris et de la défaite contre l’Allemagne qui lui a couté l’Alsace et la Lorraine. Le pays est alors frappé par une crise économique persistante qui s’accompagne d’un chômage de masse. Boulanger dénonce les divisions causées par l’alternance entre la gauche et la droite et l’immobilisme de la démocratie parlementaire. Il se pose en leader charismatique, nationaliste, ni de droite, ni de gauche, pour défendre un Etat fort avec un système de démocratie plébiscitaire proche du suffrage universel6
En 1892, le troisième et dernier mouvement de la première vague de populisme fait son apparition avec le People’s Party aux Etat Unis. Le People’s Party progresse dans un climat de révolte sociale. Il s’adresse aux petits agriculteurs de l’ouest, aux mineurs et aux classes défavorisées. Il prône un discours anti-élite, hostile envers les grandes fortunes et les partis traditionnels (républicains et démocrates). Tout comme le boulangisme, ce mouvement est difficile à situer sur l’axe gauche-droite car il combine des idées nationalistes et racistes avec des
1 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
2 Idem
3 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
4 Ancyclopedia Britanica ; Naradniki - Russian social movement : https://www.britannica.com/event/Narodnik
5 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
6 Idem
propositions progressistes comme le droit de vote pour les femmes et la nationalisation des chemins de fer7.
La première vague de populisme ne fut pas couronnée de succès. Les Narodniks ne domineront jamais la Russie et seront écrasés par les Bolcheviks en 1917. Boulanger se suicide en 1891 après une défaite électorale. Le People’s Party disparait dans les années 1920 sans jamais avoir accédé à la présidence. Cependant, ces mouvements ont posé des bases qui inspireront les vagues subséquentes de populisme.
La deuxième vague de populisme fait son apparition pendant l’entre-deux-guerres. Mussolini arrive au pouvoir en 1922 en Italie dans un contexte de crise économique et de déception suite au traité de paix de 1919. Hitler devient Chancelier de la République de Weimar 11 ans plus tard dans un contexte similaire. L’Allemagne est sortie humiliée de la première Guerre mondiale. De plus, elle traverse une situation économique extrêmement compliquée avec les retombées de la crise de 1929 combinée à des problèmes d’hyperinflation. Ces deux leaders charismatiques prônent une politique nationaliste et xénophobe avec des accents sociaux. Leurs mouvements évolueront vers le fascisme avant de s’effondrer violemment à la fin de la deuxième Guerre mondiale.
La deuxième vague de populisme se poursuit en Amérique latine dans les années 1930. Le continent est alors frappé par les répercussions de la crise économique de 1929. Les prix des matières premières sont en chute libre, affectant gravement le niveau de vie des classes populaires dans ces pays exportateurs de produits agricoles. Le peuple est de plus en plus écrasé par une oligarchie méprisante qui se radicalise pour conserver ses privilèges dans un climat social tendu. L’Amérique latine assiste alors à une flambée des populismes avec notamment l’arrivée au pouvoir de Juan Perón en Argentine, de José Maria Velsco Ibarra en Equateur, de Vitor Raul Haya de la Torre au Pérou et de Getulio Vargas au Brésil. Ces leaders charismatiques se posent en défenseurs du peuple face à l’oligarchie. Ils réaffirment une identité nationale forte pour lutter contre l’impérialisme américain8
La troisième vague de populisme a lieu essentiellement en Afrique et en Asie, juste après la décolonisation. Les Etats venant de retrouver leur indépendance tentent de se reconstruire sous forme de démocratie. Les jeunes institutions sont fébriles et paraissent illégitimes, les partis politiques manquent de crédibilité et leurs politiques sont inefficaces. Des leaders charismatiques populistes émergent alors en opposition au pouvoir récemment mis en place, pour développer une politique nationaliste avec un culte de la personne. On assiste alors à l’arrivée au pouvoir de Kwame Nkrumah au Ghana, Amhad Sukarno en Indonésie, Sékou Touré en Guinée, Gamal Abdel Nasser en Egypte.
Une quatrième vague de populisme de moindre ampleur a eu lieu en Europe du Nord pendant les trente glorieuses. Ce mouvement nait en révolte contre la mondialisation galopante. Il s’agit d’un populisme ethnonationaliste, conservateur et anti migration. Les figures de proue de ces mouvements sont Le Reich nordique (NRP) en Suède, le Parti rural finlandais (SMP) en Finlande, le Parti du progrès au Danemark et le Parti du progrès en Norvège. Le poujadisme qui est né en France dans les années 50 pourrait également s’inscrire dans cette vague9.
Bien qu’il n’y eu pas de vague de populisme à proprement parlé entre les années 1970 et les années 2000, certains événements marquants méritent d’être mentionnés comme la percée du front nationale qui obtient 35 sièges au parlement français en 1986. Deux ans plus tard, en 1988, Jean-Marie le Pen récolte 14,4 % des voix au premier tour des élections présidentielles10. En Belgique, le dimanche noir fut également particulièrement marquant lorsque le Vlaams Blok passa de 2 à 13 sièges aux élections législatives de 199111
En conclusion, de nombreux mouvements populistes ont vu le jour entre la fin du 19ème et la fin du 20ème siècle. Ces mouvements regroupent des idéologies parfois très différentes, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ce manque d’unité découle en partie du fait que, contrairement au capitalisme et au communisme, il n’y a jamais eu de grands penseurs qui aient réussi à systématiser l’idéologie populiste. Outre les divergences idéologiques, certaines similitudes peuvent cependant être relevées :
• Tous les mouvements populistes sont apparus en période de crise politique, économique, sociale, démocratique et/ou identitaire ;
• Ils se posent en défenseur du peuple face aux élites ;
• Ils sont dirigés par des leaders charismatiques, avec un certain culte du chef ;
• Les leaders populistes qui ont réussi à se hisser au pouvoir ont généralement pris un virage autoritariste avant de s’effondrer souvent avec une certaine violence12
2.2. La cinquième vague : le populisme du 21ème siècle
La cinquième vague de populisme commence timidement au début des années 2000 avec quelques évènements marquants tels que le score du Vlaams Belang à l’élection législative de 2003 et 2007, le succès du FPO en Autriche avec Jörg Haider, ou encore le passage de Jean-Marie Le Pen au 2ème tour des élections présidentielles françaises de 2002. Les partis s’affirmant de la démocratie libérale ont dominé largement le paysage politique des pays occidentaux jusqu’au milieu des années 2010. Pourtant depuis quelques années nous assistons à une montée fulgurante du populisme.
En juin 2016, les citoyens britanniques ont défié les sondages en votant majoritairement pour le Brexit. Quelques mois plus tard, Donald Trump est élu président des Etats unis à la surprise générale. Depuis lors, les victoires populistes se sont multipliées :
• Marine Le Pen passe en tête au 2ème tour de la présidentielle en France et avec Mélenchon ils rassemblent plus de 40% des voix au premier tour13 ;
• Andrej Babis réalise le meilleur score aux législatives en république tchèque ;
• La Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles montent au gouvernement en Italie ;
• Les Démocrates de Suède obtiennent un score historique aux élections de 2018, pour ne citer qu’eux ;
• Le populisme de droite a refait son apparition en Espagne. Le parti Vox récolte 15 % des voix aux élections générales de 2019. Avec les populistes de gauche de Podemos ils rassemblent 28% des voix14
Les résultats des élections de mai 2019 confirment la tendance de la montée du populisme. En Flandre, le Vlaams Belang a triplé son score pour atteindre 18,5% des votes. En Wallonie, le PTB réalise également une percée fulgurante avec 13,7% des voix soit plus du double de son score de 2014. Par ailleurs, les trois partis populistes européens : Le Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), Le Groupe Europe des Nations et des Libertés (ENL) et Le Groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) réalisent un score historique en obtenant pas moins de 175 sièges sur 751 au parlement européen15
En 2019, trois pays européens avaient des gouvernements populistes: La Hongrie, la République tchèque et la Pologne. En plus de cette liste nous pouvons mentionner l’Italie, l’Autriche, la Slovaquie et la Bulgarie qui ont des gouvernements de coalition comprenant des partis populistes16
Ce phénomène s’étend au-delà des frontières de l’occident avec notamment l’élection de Rodrigo Duterte aux Philippines et Recep Tayyip Erdogan en Turquie.
Cette cinquième vague a pris une ampleur importante. Les votes populistes ont augmenté significativement dans pratiquement tous les états occidentaux au cours des 10 dernières années. De plus, près d’une dizaine de pays occidentaux ont actuellement un gouvernement composé partiellement ou totalement de populistes17. A l’heure actuelle, il est difficile de dire si nous avons déjà atteint la crête de la vague ou si ce phénomène va encore gagner en importance dans les prochaines années.
12 Tarragoni F & al ; Migrants : les naufragés des populismes ; PAC ; 2016
13 https://www.lemonde.fr/data/france/presidentielle-2017/
14 El Pais ; Elecciones generales 2019 10N ; 2019 : https://resultados.elpais.com/elecciones/generales.html
15 2019 : Parlement Européen – Résultats des élections européennes des années 2019 https://resultats-elections.eu/
16 2018 : Vi. Lequeux - Europe : ces pays où gouvernent les populistes https://www.touteleurope.eu/actualite/europe-ces-pays-ou-gouvernent-les-populistes.html
17 Italie, République Tchèque, Hongrie, Pologne, Autriche, Slovaquie, Bulgarie, Etats Unis, Royaume Unis.
Les populistes de la cinquième vague dénoncent systématiquement les problèmes suivants :
• La crise économique de 2008, son impact sur l’emploi, le niveau de vie, l’austérité et les injustices ;
• La mondialisation, les délocalisations d’entreprises, la migration et la perte de souveraineté des états qu’elle entraine ;
• La crise de notre système démocratique avec la perte de pouvoir des partis traditionnels face aux géants de la finance, aux multinationales et aux organisations internationale sans légitimité démocratiques18
Cependant, les idéologies des mouvements qui s’inscrivent dans cette vague de populisme sont particulièrement hétérogènes. Par conséquent, l’analyse et les réponses qui seront apportées aux problématiques précitées varient fortement d’un parti à l’autre.
La majorité des mouvements appartenant à cette cinquième vague sont des populismes de droite identitaire. Ils dénoncent principalement l’ouverture des frontières, la migration, la menace terroriste, la disparition de la culture nationale. Ils sont conservateurs et nationalistes avec des accents xénophobes. Ils se posent en défenseurs du peuple (considéré comme le « peuple nation », excluant les étrangers et les minorités) face à des menaces extérieures (mondialisation, migration, Islam) qu’ils jugent de plus en plus virulentes. Il faut toutefois noter de fortes disparités sur le plan socioéconomique. Certains populistes identitaires comme le Parti pour la liberté néerlandais (PVV) ou la Ligue italienne défendent une ligne néolibérale tandis que d’autres comme le Rassemblement national ou Victor Orban incluent une composante sociale assez forte dans leur programme19
De l’autre côté du spectre, il existe des partis populistes de gauche, comme la France Insoumise et le PTB, dont les préoccupations principales sont les questions sociales et non la sécurité et la migration. Ils dénoncent également la mondialisation, la crise économique et la faiblesse de nos systèmes démocratiques. Cependant, leur regard est fort différent de celui des populistes identitaires de droite. Ils se posent en défenseur du peuple (considéré comme les classes moyennes et défavorisées) face au grand capital, aux multinationales et aux géants de la finance qui creusent les inégalités pour leur enrichissement personnel20
Au milieu du spectre idéologique du populisme moderne, on retrouve certains partis qui sont difficilement positionnable sur l’échiquier politique car ils combinent des éléments des populistes identitaires de droites et des populistes de gauche. Le mouvement 5 étoiles (M5S) en Italie est un exemple particulièrement intéressant car ce parti défend simultanément des positions conservatrices sur l’immigration et des positions progressistes sur les droits des homosexuels et transsexuels. Ils sont à la fois nationalistes, souverainistes et pro-européens. En 2019, ils ont participé à deux gouvernements de coalition différents formés d’abord avec la Ligue (extrême droite) et ensuite avec le Parti démocrate italien (centre gauche)21
Cette diversité idéologique se retrouve parfois au sein d’un même pays comme par exemple en France, avec La France insoumise (FI) et le Rassemblement National (RN) ou en Espagne avec Vox et Podemos, qui sont respectivement des populismes d’extrême gauche et d’extrême droite.
Il est encore trop tôt pour présager de l’évolution de cette vague de populisme. Prendra-t-elle un virage totalitaire comme les populistes européens de l’entre-deux-guerres ? S’effondrera-t-elle rapidement comme le boulangisme ? Ou parviendra-t-elle à dominer durablement le paysage politique, ce qui serait inédit pour un mouvement populiste occidental ?
Il existe de nombreuses similitudes entre le populisme identitaire de droite actuel et le populisme européen de l’entre-deux-guerres. Premièrement, le contexte est comparable, l’Occident traverse une crise identitaire car il est en train de perdre sa position économique et culturelle dominante face aux pays émergeants tout comme l’Europe a perdu sa position dominante face au Etats-Unis après la première Guerre mondiale. Deuxièmement, la crise économique de 2008 a laissé des stigmates comparables à ceux de la crise de 1929. Enfin, on retrouve de nombreux points communs entre les discours fascistes des années 1930 et les discours des populistes identitaires de droite : la peur de l’immigration, la diabolisation d’une minorité religieuse, la notion de peuple-nation uni contre
18 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
19 Idem
20 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
21
le reste du monde, la tentation totalitariste,… Sans compter les éléments de discours communs à l’ensemble des populistes (voir chapitre suivant)22
2.3. Définition du populisme – Dénominateur commun
Aujourd’hui, le terme « populisme » est couramment utilisé dans la sphère politique et médiatique, souvent de manière péjorative, pour désigner des mouvements politiques démagogues et dangereux. Cependant, la définition du populisme reste relativement floue. Cela découle principalement du fait qu’il n’y ait pas d’unité idéologique entre les diffèrents mouvements populistes23. Il est difficile de trouver des convergences entre les valeurs du Vlaams Belang et celles du PTB. Pourtant il s’agit bien de deux partis populistes qui coexistent actuellement dans notre pays. Il est, par conséquent, impossible de définir un programme ou une idéologie qui rassemble l’ensemble des populistes.
Cependant, il existe des dénominateurs communs qui rassemblent la quasi-totalité des mouvements populistes à travers l’histoire et les continents :
1. Le populisme nait toujours dans un contexte de crises multiples :
• Une crise des mécanismes démocratiques et représentatifs qui crée une distance entre le peuple et le pouvoir et remet le fonctionnement des institutions en question ;
• Une crise politique qui se traduit par une insatisfaction d’une partie importante des citoyens face à l’offre politique traditionnelle ;
• Une crise économique et sociale qui nourrit un sentiment d’injustice au sein de la population ;
2. Le populisme est « dégagiste ». Il se construit sur la critique des autres mouvements politiques, généralement les partis au pouvoir, qu’ils qualifient d’incompétents, immoraux et éloignés du peuple et de ses intérêts. Ils tiennent le pouvoir en place comme responsable des crises précitées et s’opposent à celui-ci ;
3. Les populistes ont tendance à proposer des mesures simplistes et radicales pour lutter contre ce qu’ils estiment être les causes des crises démocratiques, politiques, économiques et sociales dont ils sont le produit ;
4. Les populistes tiennent des discours démagogues opposant le peuple qu’ils présentent comme le détenteur de la vérité et de la morale face à des élites méprisantes et malveillantes ;
5. Les partis populistes sont centralisés derrière un leader charismatique qui incarne le peuple et sa volonté. Il y a une certaine forme de culte du chef. Ce fonctionnement crée un paradoxe évident sur la position du leader qui est au-dessus de tout mais représente le peuple ;
6. Les structures intermédiaires (parlements, tribunaux, médias,...) sont généralement dénigrées, affaiblies voir supprimées car elles sont considérées comme des entraves à la volonté du peuple incarnée par un leader charismatique qui doit reprendre les plein pouvoir ;
7. Le souverainisme est le plus ferme et probablement le seul dénominateur commun sur le plan programmatique. Les populistes prônent systématiquement un regain de souveraineté nationale (ou régionale) face une menace extérieure. Pour les populistes actuels cette menace est la mondialisation. Ce souverainisme prend toutefois des formes bien différentes d’un mouvement à l’autre. Les populistes identitaires de droite l’expriment souvent à travers des politiques nationalistes, protectionnistes et anti migration tandis que les populistes de gauche affirment souvent leur souverainisme à travers le rejet de l’austérité en se posant comme un bastion anticapitaliste dans une économie libérale mondialisée. Cette volonté souverainiste se traduit généralement par une défiance envers les organisations internationales.24
En conclusion, le populisme ne possède pas d’idéologie propre. Au contraire, il est symptomatique d’un vide
idéologique créé par l’échec d’une pensée dominante. Le populisme se construit en opposition au programme et théories d’une idéologie. Il ne peut donc pas être défini comme un mouvement politique mais plutôt comme un phénomène de mécontentement populaire face à l’état de la politique, de l’économie de la démocratie et des institutions25
3. Les causes de la montée du populisme
Comme nous l’avons vu dans les précédents chapitres, l’Occident fait actuellement face à une vague massive de populisme. Ce phénomène est symptomatique d’un mécontentement populaire causé par des crises démocratique, sociale, économique et politique. Dans ce chapitre, nous allons tenter d’identifier ces crises et leurs origines, en vue de trouver des solutions structurelles qui permettent d’endiguer ce phénomène.
Appréhender un phénomène international est toujours extrêmement complexe. Les causes de la montée du populisme sont de natures variées et peuvent être analysées sous des angles différents : sociologique, culturel, psychologique, philosophique, etc.
Dans le cadre de cette analyse, nous allons aborder la question sous un angle politique en nous concentrant essentiellement sur les causes politiques, économiques et démocratiques de la montée du populisme. Ces dernières peuvent être résumées par trois tendances :
• Les dérives du néolibéralisme ;
• Les technologies de l’information et l’ère de la post vérité ;
• La crise des démocraties libérales.
3.1. Les dérives du néolibéralisme
Le néolibéralisme est une forme exacerbée de capitalisme qui tend à dominer la politique économique des pays occidentaux depuis près de quatre décennies. Nous allons voir comment ce modèle a fortement favorisé la montée des populistes en créant quatre crises : sociale, économique, idéologique et environnementale.
3.1.1. Le néolibéralisme
Le néolibéralisme est un mouvement politique et économique anti-interventionniste. Cette doctrine se base sur l’idée que les marchés s’autorégulent et convergent automatiquement vers l’équilibre, garantissant ainsi le bienêtre du plus grand nombre. Le rôle de l’état doit donc se limiter à garantir la liberté de marché. Ce modèle est théorisé par l’économiste Friedrich August von Hayek dans les années 1930. Il sera ensuite défendu par Milton Friedman26. La théorie néolibérale sera pour la première fois mise en application par Margaret Thatcher au Royaumes Uni et par Renald Reagan aux Etats Unis au début des années 1980.
Depuis sa mise en application, le néolibéralisme a eu une influence énorme, en particulier dans les pays occidentaux. L’ensemble des Etats n’a pas nécessairement eu des gouvernements à tendance néolibérale en continu mais ils ont été contraints de se soumettre à certaines règles imposées par cette politique sur la scène internationale.
Bien qu’il existe des nuances dans les différentes politiques néolibérales appliquées au cours des 40 dernières années, les grandes caractéristiques de ce modèle peuvent être définies comme suit par les 10 principes du « consensus de Washington » :
1. Une discipline budgétaire forte avec un minimum de déficit ;
2. Des dépenses publiques plus efficaces avec un retour sur investissement maximum ;
3. Des taux de taxation plus faibles ;
4. Une libéralisation financière ;
5. Un taux de change unique et compétitif ;
6. Une libéralisation des échanges internationaux ;
7. L’élimination des barrières à l’investissement direct étranger ;
8. La privatisation des entreprises publiques;
9. La dérèglementation des marchés ;
10. Une protection accrue de la propriété privée27
3.1.2. La crise sociale
Les dirigeants néolibéraux ont libéralisé les marchés internationaux (point 6 du consensus de Washington). Les pays ont plus facilement pu commercer entre eux ce qui a provoqué une forte augmentation des échanges internationaux. L’économie s’est mondialisée. Il est devenu de plus en plus facile pour une entreprise de déplacer son siège dans un pays où elle sera moins taxée et de délocaliser sa production là où le coût des travailleurs est moins élevé. Par conséquent, les pays ont commencé à rentrer dans un jeu de concurrence fiscale pour attirer les entreprises synonymes d’emplois, de rentrées fiscales et de croissance économique. En baissant les impôts des multinationales et en limitant les salaires de ses travailleurs, un pays pouvait ainsi attirer les entreprises des pays voisins.
Cette course vers le bas à fortement nuit à la justice fiscale. Les citoyens les plus riches, détenteurs de capital ont vu leurs taxes baisser tandis que les travailleurs des classes moyenne et défavorisée n’ont pas bénéficié de hausse significative de leur salaire (pourtant on observe une forte augmentation de la productivité des travailleurs au cours des 40 dernières années grâce aux nouvelles technologies). De plus, l’industrie des pays occidentaux est automatisée ou délocalisée dans des pays émergeant où le coût de la main-d’œuvre est plus faible. De nombreux emplois peu qualifiés à bas revenu sont ainsi menacés ou perdus. Par conséquent, en Europe, depuis les années 1980, la part du revenu national captée par les 10% les plus riches a augmenté. Les revenus moyens des 1 % les plus riches ont augmenté deux fois plus rapidement que ceux des 50 % les plus pauvres28
Les inégalités ne se creusent pas qu’entre les individus, elles se creusent également entre les grandes villes et les campagnes. Le capital continue de se concentrer géographiquement ce qui provoque un exode rural. Les campagnes se dévitalisent. Les populations restées dans la périphérie bénéficient de moins en moins d’infrastructures et services publics (surtout dans les pays où ces services ont été privatisés). Ce phénomène est en grande partie responsable du mouvement des gilets jaunes.
L’augmentation des inégalités est encore plus marquée aux Etats-Unis, pays néolibéral par excellence, qu’en Europe. En revanche, les pays qui sont parvenus à maintenir une fiscalité progressive avec des dépenses sociales importantes et une régulation plus juste des salaires grâce à la concertation sociale sont beaucoup moins touchés par l’augmentation des inégalités. C’est le cas en Belgique29
La dynamique de concentration du capital engendrée par les politiques néolibérales a créé de nombreuses injustices : les employés sous-payés voient les rémunérations des actionnaires monter en flèche, les ouvriers sont licenciés par milliers pour que leur entreprise puisse réduire ses coûts en délocalisant sa production à
27 Matthieu Mucherie ; Consensus de Washington (Le) ; Melchior ; http://www.melchior.fr/notion/le-consensus-de-washington
28 1980-2017 Inégalités et redistribution en Europe, Thomas Blanchet, Lucas Chancel, Amory Gethin https://wid.world/document/european-inequality-wil-summary-2019-fr-pdf/
29 1980-2017 Inégalités et redistribution en Europe, Thomas Blanchet, Lucas Chancel, Amory Gethin https://wid.world/document/european-inequality-wil-summary-2019-fr-pdf/
l’étranger, les habitants des communes rurales sont délaissés,... Les populistes se nourrissent de la frustration de ces tranches défavorisées de la population. Ils instrumentalisent cette crise sociale en se posant comme défenseur du peuple face aux élites qui s’accaparent leurs richesses et les humilient. Il s’agit d’une démarche caractéristique des mouvements populistes telle que décrite au chapitre 2.3 de cette analyse.
3.1.3. La crise financière et économique de 2008
La politique néolibérale de dérégulation et d’ouverture des marchés financiers (points 4 et 7 du consensus de Washington) dans les pays occidentaux a posé les bases de la crise économique de 2008. Cette politique a permis aux banques de prendre des risques inconsidérés pour maximiser leurs profits dans le mépris complet du bien-être des citoyens. Le néolibéralisme a également encouragé le développement d’échanges de plus en plus complexes entre les banques sur la scène internationale, les rendant interdépendantes et accentuant ainsi le risque d’un effet domino à l’échelle mondiale.
Voici comment le néolibéralisme a mené à la crise économique de 2008 : une politique trop laxiste en matière de crédit a permis aux ménages de demander des emprunts hypothécaires souvent au-delà de leur capacité de remboursement. Ces prêts à risques appelés « subprimes » sont garantis par une hypothèque sur le bien immobilier qui est acheté. Comme plus de ménages ont pu acheter un logement grâce à ces prêts, la demande de logement a augmenté, ce qui a fait grimper les prix, créant ainsi une bulle immobilière. En 2006, les taux d’intérêts augmentent, les ménages sont alors incapables de rembourser leurs emprunts, leurs logements sont saisis et remis en vente par les banques. Il y a alors de plus en plus de vendeurs pour moins d’acheteurs, ce qui fait chuter les prix de l’immobilier. La bulle explose. Les prix s’effondrent et la valeur des subprimes détenues par les banques chute avec eux, la valeur d’un « subprime » dépendant de la valeur du bien immobilier qui fait office de garantie.
Pendant ce temps, des contrôles trop laxistes sur les marchés financiers ont permis aux banques américaines de créer des titres complexes et opaques dans lesquels elles cachent des subprimes pourris en vue de les revendre à des investisseurs aux Etats-Unis et en Europe. Les banques et les investisseurs deviennent alors méfiants. Ils arrêtent d’acheter des titres aux banques, ce qui leur fait perdre énormément d’argent. Elles n’ont pas assez de liquidité pour absorber cette perte et menacent de tomber en faillite. C’est ce qu’on appelle la crise des subprimes.
Partout en Europe et aux Etats-Unis les banques sont au bord de la faillite, si elles s’effondrent l’économie mondiale est à terre. Pour éviter cette catastrophe les Etats s’endettent pour sauver les banques. Des trilliards d’euros sont alors investis avec l’argent des contribuables pour réparer les erreurs commises par les banquiers. Les dettes souveraines explosent passant de 79% à 89% du PIB de l’Union Européenne entre 2009 et 201130
Toujours dans une logique néolibérale de discipline budgétaire et de maitrise des déficits (point 1 du consensus de Washington) l’Union européenne impose aux Etats de mener des politiques d’austérité pour éviter d’augmenter davantage la dette. Partout en Europe les citoyens subissent ces restrictions : réduction du montant des pensions, des dépenses en soins de santé, blocage des salaires, appauvrissement des services publics,…
La crise de 2008 a provoqué un ralentissement de l’économie mondiale. Certains pays ont été plus touchés que d’autres. Le taux de chômage s’est envolé dans de nombreux pays européens, particulièrement chez les jeunes. Plus de 10 ans après, le taux de croissance reste faible et le nombre de chômeurs reste très élevé en Europe. Les victimes de ce marasme économique se comptent par millions. Elles nourrissent une rancœur amère contre le système financier et l’incapacité des politiques à rétablir la justice sociale.
Plus de 10 ans après, les économies occidentales n’ont pas retrouvé leur niveau de croissance économique d’avant crise. Elles ne les retrouveront probablement jamais car la croissance économique devrait continuer de baisser tendanciellement dans les pays développés31. Le problème est que le fonctionnement d’une économie libérale est basé sur la croissance. Elle est indispensable pour maintenir un niveau d’emploi acceptable et permettre aux Etats de rembourser leurs dettes.
Les taux d’intérêts sont par conséquent maintenus artificiellement bas pour stimuler l’économie et permettre aux Etats endettés de payer leurs intérêts. Nous sommes en train de recréer la situation d’avant 2008. D’après le FMI, nous devrions subir une autre crise économique majeure dans les années 202032. Avec le niveau de dette
publique actuel, les conséquences de cette crise pourraient potentiellement être pires qu’en 2008.
En conclusion, la crise de 2008 a été déclenchée par la cupidité des élites financières dans l’indifférence des politiques et a été payée par les travailleurs. Les banquiers n’ont pas dû assumer les conséquences de leurs actes. En revanche, les contribuables qui n’ont aucune part de responsabilité dans cette crise ont payé pour sauver les banques avant de subir des politiques d’austérité et un ralentissement économique. La crise de 2008 a donc fortement renforcé le sentiment d’injustice des citoyens déjà sujets à des inégalités croissantes. Dans ce contexte, il est totalement compréhensible que les discours dégagistes anti-élite et anti-système percolent. Tout ceci a créé un terreau fertile pour les idées populistes qui se nourrissent de la frustration collective.
3.1.4. La crise de l’empathie
Le néolibéralisme est un mouvement profondément individualiste. Cette position se base en grande partie sur les théories d’Adam Smith, considéré comme le père du capitalisme. Il expliquait, dans son célèbre ouvrage « La richesse des nations » publié en 1776, que les citoyens cherchaient prioritairement à améliorer leur situation économique et qu’en poursuivant cet objectif égoïste, ils participaient à la richesse de leur nation et donc à l’intérêt général. Il décrit les lois du marché comme une « main invisible » qui fait en sorte que la somme d’actions individuelles poursuivies égoïstement par les acteurs économiques réponde au besoin de la société toute entière33.
Il est important de préciser que cette idée, qui a façonné le libéralisme, n’est qu’un passage de quelques paragraphes dans La richesse des nations, ouvrage de 800 pages. Le concept de « main invisible » n’est d’ailleurs cité qu’une seule fois dans l’œuvre de Smith. Ce dernier croit certes en une certaine forme d’autorégulation des marchés mais admet par ailleurs que l’homme n’est pas guidé par son seul égoïsme et défend des interventions de l’Etat dans l’économie34
Cependant, la notion de « main invisible » est devenue l’un des principes fondamentaux du libéralisme. Elle est à la base de deux principes clefs de la théorie néolibérale :
• Tous les acteurs économiques (citoyens, entreprises,…) poursuivent uniquement leurs intérêts personnels, ils ont pour seul objectif de maximiser leurs profits ;
• Grace aux mécanismes de marché, les acteurs économiques contribuent à l’intérêt général en maximisant égoïstement leurs profits personnels35
En d’autres termes, tout le monde est individualiste et c’est bon pour la société. Apres 40 ans de néolibéralisme cette vision a impacté les mentalités. Les mouvements collectifs et l’utopisme ont progressivement laissé place à l’individualisme et au cynisme. Le néolibéralisme a ainsi créé un vide idéologique, une crise de l’empathie36
L’individualisme empêche les citoyens de construire collectivement une nouvelle idéologie. Il explique en partie la résilience du néolibéralisme. Malgré l’échec évident de ce modèle, nous n’avons pas encore réussi à rassembler la population derrière une alternative crédible qui soit largement partagée. Comme décrit au chapitre 2.3., ce vide idéologique est propice à l’émergence du populisme37
3.1.5. La crise environnementale
Le maintien du système capitaliste néolibéral dans lequel nous vivons repose sur la croissance économique. Les filets de sécurité qui permettent de soutenir les citoyens en cas de crise (tels que la sécurité sociale) tendent à être sacrifiés sur l’autel du libre marché. La paix sociale dépend en effet de l’emploi qui dépend de la croissance. Lorsque la croissance s’arrête de manière durable, ce modèle s’effondre comme un château de carte. Le problème est que, toute chose étant égale par ailleurs, une augmentation du PIB implique une augmentation de l’extraction des ressources et des émissions de gaz à effet de serre.
Il existe une quantité limitée de ressources minières et d’énergies fossiles dans les sols. La terre ne peut produire
qu’une quantité finie de nourriture et de biomasse chaque année38. Le 29 juillet 2019 nous avions consommé plus de ressources que la terre ne pouvait produire durant toute l’année. Si l’humanité entière consommait autant de ressources que le belge moyen, nous aurions déjà consommé l’entièreté des ressources disponibles le 6 avril39. Il nous faudrait 1,6 terre pour continuer à consommer comme nous le faisons sur le long terme. Nous vivons donc à crédit, en épuisant des ressources qui prendront parfois des milliers d’années à se renouveler40.
Il est cependant possible de décloisonner croissance économique et extraction des ressources en passant d’un mode de production linéaire (extraction de matière première > production > consommation > déchet) à un modèle d’économie circulaire dans laquelle les déchets sont réutilisés comme matière première. Par ailleurs la technologie peut nous permettre d’accroitre dans une certaine mesure la quantité de matières premières extractibles de manière durable.
Similairement, il est possible de stimuler la croissance économique sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre, en passant aux énergies renouvelables et en reboisant nos terres. Cependant, de telles transitions demandent d’importants investissements et une planification de long terme avec des interventions des pouvoirs publics. Or, les néolibéraux sont farouchement opposés à l’interventionnisme et aux investissements publics (voir point 3.1.1.). Ils comptent sur les lois du marché pour régler tous types de nuisances générées par l’économie.
Les mécanismes autorégulateurs des marchés décrits par Hayek et Friedman41 opèrent à court terme et ne prennent pas en compte les externalités négatives (pollution, gaz à effet de serre, bruits,…) engendrés par les acteurs économiques. En d’autres termes, les dégâts occasionnés sur l’environnement et les intérêts de l’humanité à long terme sont complétement négligés. De ce fait, le modèle néolibéral est incapable de répondre à l’urgence climatique et environnementale. La dérégulation des marchés et la mondialisation ont d’ailleurs fortement contribué à ces problématiques. La température a déjà augmenté d’approximativement 1°C depuis l’ère préindustrielle42 et 60% des animaux vertébrés ont disparu de la surface du globe depuis les années 197043. En suivant la trajectoire actuelle, nous allons droit dans le mur. Il sera très compliqué de changer de cap sans sortir complétement de cette logique libre de marché. Des interventions des pouvoirs publics seront nécessaires.
La crise environnementale est aussi une source d’injustice. L’empreinte carbone d’un ménage augmente avec ses revenus. Les riches polluent donc plus que les pauvres. Ils prennent d’avantage l’avion, vivent dans de plus grandes maisons, consomment plus de biens,... Par ailleurs, les multinationales occasionnent des dégâts immenses sur l’environnement et émettent des quantités colossales de gaz à effet de serre. Les vingt entreprises les plus polluantes sont responsables à elles seules de 35% des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées aux énergies fossiles émises entre 1965 et 201744. Pourtant, les citoyens fragilisés sont plus sensibles aux conséquences du réchauffement climatique. Ils sont en effet les premiers affectés par les pénuries de ressources, leur logement se trouve plus souvent en zone inondable, ils n’ont pas de piscine ni de climatiseur pour affronter les canicules de plus en plus virulentes. De plus, ces ménages voient leur facture d’énergie augmenter pour financer la transition énergétique. Cette augmentation du coût de l’énergie affecte principalement les bas revenus.
En conclusion, le néolibéralisme est face à un problème insolvable qui le mène inévitablement vers son effondrement. Sa dépendance à la croissance économique et son attachement presque dogmatique au libre marché font de l’économie mondiale une machine aveugle qui détruit l’environnement, dérèglent le climat et creusent les inégalités. Pourtant, la croissance continue de baisser et les problèmes engendrés deviendront bientôt insoutenables si nous ne changeons pas radicalement de cap. Les citoyens de la classe moyenne et les plus précaires sont les premières victimes. Ils sont fortement menacés par le chômage et souffrent davantage des politiques d’austérité. De plus, les ménages les plus pauvres contribuent proportionnellement plus que les plus riches au financement de la transition énergétique, alors qu’ils émettent moins de gaz à effet de serre que ces derniers. Face à ces injustices et à ces sombres perspectives, les citoyens sont facilement séduits par les discours dégagistes et les mesures radicales des populistes.
3.2. Les technologies de l’information et la post vérité
Le paysage médiatique a été bouleversé ces dernières années par l’arrivée des réseaux sociaux. Jusque dans les années 2000, les médias traditionnels dominaient largement le monde de l’information. Les campagnes électorales se déroulaient essentiellement sur le terrain, à la télévision et dans les journaux. En 2006, Facebook et Twitter arrivent sur le marché. Le nombre d’utilisateurs augmente rapidement. Facebook en compte 0,5 milliard en 2010, 1 milliard en 2012 et 2,5 milliards au milieu de l’année 2019. Ce chiffre continue de grimper45. Twitter compte quant à lui aux alentours de 320 millions d’utilisateurs dans le monde46. Instagram a été créé en 2010 et compte déjà plus d’un milliard d’utilisateurs. Les messages politiques se sont multipliés sur ces plateformes qui sont progressivement devenues un espace clef de propagande politique, particulièrement en période de campagne électorale.
Les réseaux sociaux ont ouvert un nouvel espace d’expression aux partis populistes qui étaient peu visibles dans les médias traditionnels de certains pays à cause des cordons sanitaires. Les populistes ont alors saisi cette opportunité pour se faire entendre. Ils s’approprient et dominent rapidement ce terrain. Ils sont généralement plus actifs sur les réseaux sociaux que les partis modérés. À titre d’illustration, durant la campagne de 2019 en Flandre, le Vlaams Belang a dépensé 400.000 euros en publicité sponsorisée sur Facebook contre 173.000 euros pour la N-VA (Facebook et Google), 112.000 € pour le sp.a (Facebook), 56.000 euro pour l’Open VLD (Facebook et Google) et environ 20.000 euros pour le CD&V et Groen (Facebook)47. Par ailleurs, les puissances étrangères ont désormais un nouvel outil pour influencer les élections d’un autre pays pour faire élire un dirigeant qui leur sera plus favorable. Les preuves s’accumulent quant à l’ingérence de la Russie dans l’élection de Donald Trump en 2016.
Dans les médias traditionnels, les informations sont généralement vérifiées et correctement analysées. Sur les réseaux sociaux, n’importe qui peut transmettre une information erronée ou mal interprétée et être entendu. Ces informations sont ensuite relayées par d’autres internautes et s’étendent comme une tache d’huile. On assiste ainsi à l’avènement des « fake news ». Ces dernières peuvent rapidement être vue par des millions de personnes et affecter l’opinion publique. Des études psychologiques ont montré que même après qu’une information ait été reconnue comme fausse, elle continuera à biaiser la perception de ceux qui l’auront entendue48. Les populistes en sont conscients et n’hésitent pas à rependre et même créer de fausses informations sur la toile dans le but de nuire à leurs opposants. Les tweets tonitruants du président Trump en sont une bonne illustration.
Par ailleurs, le format des messages partagés sur les réseaux sociaux bénéficie davantage aux populistes. Les tweets en 140 ou 280 caractères, les commentaires et les vidéos Facebook de 3 minutes maximum, ne permettent que d’exprimer des discours simplistes. Les messages chocs dégagistes percolent davantage que les discours nuancés. De plus, les internautes avec des positions antisystème s’expriment généralement davantage que les plus modérés ce qui les rend plus visibles. Les partis traditionnels ne sont pas outillés pour ce type de communication. Leurs messages nuancés sont peu relayés et rapidement décrédibilisés par des commentaires haineux.
De plus, Facebook conforte les extrémistes dans leurs positions. Car ces derniers auront tendance à n’avoir que des amis qui partagent leurs convictions politiques. Par ailleurs, les algorithmes de Facebook ne rendent visibles que les messages qui vont dans le sens des convictions des utilisateurs, créant une « bulle » dans laquelle les internautes ne perçoivent que les messages qui les confortent dans leurs a priori. Dans le cadre du documentaire « La Nouvelle Fabrique de l’opinion », des investigateurs français ont créé de faux profils Facebook avec des positions politiques différentes. Ils ont constaté que dans les fils d’actualités des différents profils il n’y avait aucun contenu commun. Les internautes favorables à Marine Le Pen ne recevaient que des actualités du Rassemblement national et les pro-Macron que des infos de la République en marche49
En conclusion, les réseaux sociaux sont le terrain de jeux des populistes. Ils leurs permettent d’exprimer leurs opinons et banalisent leurs discours. Toutes les victoires récentes des populistes reposent en partie sur leurs communications dans les réseaux sociaux : le scandale de Cambridge Analytica a aidé à Trump à accéder à la Maison Blanche, les campagnes agressives sur Facebook et Twitter ont contribué à faire pencher le vote du Brexit vers le « leave » et ont permis au Vlaams belang de réaliser un score historique,… Les exemples sont encore nombreux. Le constat est clair, les réseaux sociaux sont un vecteur de propagande politique qui favorise les populistes et les extrémistes.
45 https://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/1125265-nombre-d-utilisateurs-de-facebook-dans-le- monde/
46 http://www.alexitauzin.com/2013/04/combien-dutilisateurs-de-facebook.html
47 https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2019/05/17/vlaamse-partijen-facebook/
48 Murphy G & al ; False Memories for Fake News During Ireland’s Abortion Referendum; Association for psychological science (APS) ; 2019 : https://journals.sagepub. com/doi/pdf/10.1177/0956797619864887
49 2019 : Spicee ; Thomas Huchon - La nouvelle fabrique de l’opinion https://www.spicee.com/fr/program-guest/la-nouvelle-fabrique-de-lopinion-1422
3.3. La crise des démocraties libérales
Nos démocraties représentatives libérales battent de l’aile. Les citoyens se sentent de moins en moins représentés par leurs dirigeants politiques. Selon une étude de l’IWEPS, 76 % des wallons pensent que les démocraties ont du mal à prendre de décisions et 77,5 % pensent que le processus démocratique est trop complexe et trop lent50 Une enquête menée par le consortium universitaire RepResent (UA, KULeuven, VUB, UCLouvain et ULB) a révélé que les élections de mai 2019 étaient les plus instables de l’histoire de la Belgique. Près d’un électeur sur trois a changé de parti entre les élections fédérales de 2014 et celles de 2019, ce qui témoigne d’un fort mécontentement au sein de la population. Cette tendance est présente dans de nombreux pays occidentaux51. Par exemple dans un sondage Ipsos en France, 62% des personnes interrogés estiment que les élites politiques sont corrompues52
Cette perte de confiance trouve en partie ses sources dans des problématiques décrites aux points 3.1 et 3.2. Premièrement, les politiques néolibérales ont accéléré la mondialisation de notre économie et ont permis une forte concentration des capitaux. De nombreuses entreprises sont aujourd’hui actives partout dans le monde, elles produisent et commercent sur plusieurs continents. Dans un climat de dérégulation économique, la taille de ces entreprises s’est accrue en même temps que leur marché. La valeur boursière et le chiffre d’affaires des grandes multinationales ont explosé ces dernières années. En 2017, le chiffre d’affaires de Walmart dépassait le PIB de la Belgique53. Une seule entreprise peut donc produire plus de richesses qu’un pays tout entier. La valeur boursière d’Apple a dépassé les 1.000 milliards de dollars en 2018, soit environ le PIB de la Pologne, pays développé de 39 millions d’habitants54. L’économie s’est donc mondialisée et la politique est restée essentiellement nationale. Face à ce changement d’échelle les gouvernements nationaux et régionaux ont perdu une partie de leur pouvoir au profit de multinationales sans réelle légitimité démocratique. Cette situation accommode les néolibéraux qui sont favorables à un transfert de pouvoir de la sphère politique vers la sphère économique. En revanche elle complique l’émergence de modèles politiques alternatifs, de gauche.
Par ailleurs, les divers scandales provoqués par des politiciens qui ont trahi leurs valeurs pour s’enrichir ont contribué à convaincre le peuple que la sphère économique domine la politique. Publifin et le Kazakhgate en sont deux exemples récents parmi beaucoup d’autres.
L’Union européenne est une solution intéressante pour rééquilibrer les rapports de force entre le pouvoir politique et l’économique sur le vieux continent. Malheureusement, l’orientation néolibérale des politiques européennes basée sur le libre marché et la rigueur budgétaire ne permettent pas un tel rééquilibrage. Par ailleurs, en dépit de son importance, l’UE a du mal à convaincre de sa représentativité démocratique pour plusieurs raisons :
• Les nominations des dirigeants (Commissaires européens, Présidents du Parlement et du Conseil européen,…) sont trop opaques ;
• Le fonctionnement des institutions européennes est très complexe et n’est pas compris par une large majorité d’Européens ;
• Les grandes entreprises investissent des sommes importantes en lobbying pour influencer dans leur propre intérêt les décisions des dirigeants européens, avec parfois un mépris total pour le bien-être des citoyens ;
• Moins le niveau de pouvoir est local moins les actions sont visibles. Les politiques de l’Union européenne ne sont donc pas facilement perceptibles par la population. Les bénéfices apparaissent beaucoup plus concrets pour les citoyens lorsqu’une commune crée une piste cyclable dans leur rue que lorsque l’EU adopte un plan pluriannuel pour le climat. Pourtant l’impact de cette dernière mesure sera beaucoup plus important. Ce biais ne joue pas en faveur de l’EU.
Dans une société mondialisée, les organisations internationales prennent de plus en plus d’importance. Le Fond monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation des Nation Unies (ONU), l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), sont quelques exemples parmi d’autres organisations qui exercent un pouvoir important sur la scène internationale. Pourtant leurs modes de gouvernance semblent
50 https://absp.be/Blog/2018/03/05/insatisfait-de-la-democratie-quelle-est-la-part-des-insatisfaits-en-wallonie- et-quelle-forme-prend-cette-insatisfaction/
51 10-07-2019 : Article de La Libre - Antoine Clevers : Le matraquage anti-Écolo du MR pendant la campagne a porté ses fruits
52 Badie B & Vidal D ; L’état du monde 2019 : Le retour des populismes ; La découverte ; 2019
53 https://www.iweps.be/indicateur-statistique/pib-en-volume/ et https://www.journaldunet.fr/business/dictionnaire-comptable-et-fiscal/1198401-chiffre-d-affaires-ca-definition-traduction/
54 https://data.oecd.org/gdp/gross-domestic-product-gdp.htm
opaques et non démocratiques. Ces organisations gèrent des problématiques tellement complexes qu’elles ne peuvent être dirigées que par des technocrates souvent inconnus du grand public. Ce qui crée un sentiment d’illégitimité auprès des citoyens.
Notre société est donc soumise aux contraintes d’organisations internationales et de multinationales sans réelle légitimité démocratique. Le peuple semble avoir de moins en moins de pouvoir et pourtant les réseaux sociaux lui permettent de se faire entendre de plus en plus facilement, ce qui exacerbe les frustrations. Ce passage du livre « Les Enfants du vide » de Raphael Glucksmann résume bien cette problématique : « C’est un paradoxe de l’époque : donner le pouvoir aux technocrates et en même temps donner la parole à tous, forger une aristocratie du savoir et en même temps vivre au rythme des réseaux sociaux. Cela ne peut simplement pas marcher. Au moment où les citoyens se révoltent et envoient paitre les élites, s’ouvre alors l’ère du populisme »55
Dans un tel contexte il n’est pas étonnant que les dirigeants populistes aient le vent en poupe. Ils exploitent ce sentiment de frustration avec un discours anti-élite. Au travers de leur politique souverainiste, ils veulent reprendre le pouvoir aux technocrates pour le rendre au peuple.
3.4. Conclusion
En environ 40 ans d’existence, le néolibéralisme a eu une influence énorme sur notre société. Ce mouvement politique a creusé les inégalités, posé les bases de la crise économique de 2008, créer un vide idéologique et accéléré l’épuisement des ressources de notre planète. Ce système a démontré ses limites et fortement renforcé le sentiment d’injustice chez les citoyens.
Les politiques néolibérales combinées au progrès technologique ont accéléré la mondialisation de notre économie. Nous vivons désormais dans une société globalisée et extrêmement complexe. Dans ce contexte, les multinationales ont atteint des dimensions gigantesques et gagné en influence face aux gouvernements nationaux. Les organisations internationales sans réelle légitimité démocratique prennent de plus en plus de place sur la scène mondiale. Par conséquent, les citoyens ne se sentent plus représentés démocratiquement.
Dans ce contexte de mécontentement populaire, de nouvelles technologies de l’information et de la communication ont fait leur apparition. Les réseaux sociaux ont permis à tout le monde de se faire entendre avec la même voix. Les populistes y ont trouvé un terrain fertile pour transmettre leurs messages chocs et simplistes qui seront relayés par les citoyens frustrés d’un système injuste sur lequel ils pensent avoir perdu toute emprise.
Nous arrivons à la fin d’une ère, la fin d’un système. Le néolibéralisme a démontré ses limites en causant de multiples crises. Il est indispensable de changer radicalement de cap mais la direction que nous allons emprunter reste encore à définir. Les transitions ne sont jamais indolores. L’histoire démontre qu’il y a toujours une période de bouleversement entre la fin d’un modèle dépassé et le début d’un nouveau. Le populisme est le fruit de ce chaos.
4. Les réponses
Comme nous l’avons vu dans cette analyse, toutes les conditions sont réunies pour l’émergence du populisme. En revanche, il est incertain que le populisme constitue une réponse structurelle aux crises que nous traversons. Au cours de l’histoire, les mouvements populistes n’ont jamais réussi à convaincre durablement. Certains ont pris un virage autoritariste et d’autres se sont effondrés violement. Par ailleurs, la similitude entre les mouvements populistes identitaires de droite, qui dominent largement la vague actuelle de populisme, et les fascistes de l’entredeux-guerre laisse présager un certain danger56.
Il est donc essentiel de chercher une autre voie pour endiguer la montée du populisme. Nous devons envisager cette menace comme une opportunité de repenser un nouveau modèle de société plus juste, durable et démocratique. Dans ce chapitre nous allons explorer des pistes de solutions pour répondre aux problématiques analysées dans la première partie de cet état de la question.
4.1. Du néolibéralisme vers l’écosocialisme
En faisant de la croissance économique sa priorité, le néolibéralisme a creusé les inégalités et créé une crise économique et environnementale qui a été payée par les citoyens, en particulier les plus fragiles d’entre eux. Cette politique a favorisé la montée du populisme en créant un sentiment d’injustice et de frustration au sein de la population. Il est indispensable de changer radicalement de cap pour évoluer vers une société juste, durable et inclusive, dont l’objectif principal serait de maximiser le bien-être du plus grand nombre tout en minimisant notre impact sur l’environnement. Ce modèle se nomme l’écosocialisme.
Afin de sortir de la logique néolibérale, nous devons premièrement revoir nos objectifs. La croissance du PIB ne doit plus être une fin en soi. Nous devons nous concentrer sur des indicateurs alternatifs qui prennent en compte le bien-être du plus grand nombre, le niveau d’inégalité et l’empreinte environnementale. Voici un exemple qui illustre ce besoin de changement : en se basant uniquement sur la croissance, il n’est pas souhaitable d’améliorer la qualité de l’air dans les villes car cela réduira les dépenses en soins de santé ce qui fera reculer le PIB. Pourtant de telles mesures amélioreraient la qualité de vie des citoyens et minimiseraient notre impact sur l’environnement.
Par ailleurs, il est probable que les taux de croissance économique des pays occidentaux continuent de baisser tendanciellement sur le long terme. Il est donc essentiel de prévoir les aménagements nécessaires pour réduire notre dépendance à la croissance économique tout en garantissant un meilleur niveau de vie pour l’ensemble de la population en particulier les classes moyennes et défavorisées. Ce changement de modèle économique passe notamment par une réduction collective du temps de travail. Cette mesure permet de créer plus d’emplois et d’offrir une meilleure qualité de vie pour les travailleurs sans croissance économique. Il convient également de renforcer et de moderniser la sécurité sociale pour protéger mieux les citoyens dans un monde en plein changement.
La communauté scientifique est aujourd’hui unanime sur le fait que le réchauffement climatique, la destruction de l’environnement et la perte de biodiversité qui en découle engendreront des conséquences dramatiques pour l’ensemble des êtres vivants sur terre si nous ne prenons pas des mesures drastiques rapidement. Il est donc essentiel de mener au plus vite un plan de transition écologique avec mesures fortes en matière d’énergie, de logement, de mobilité, d’alimentation et d’aménagement du territoire. Cette contrainte écologique va nous demander de repenser complètement notre manière de produire et de consommer.
Les questions sociales et environnementales sont intimement liées. D’une part, les effets du réchauffement climatique (désertification, inondations, pénurie de ressources, vagues de chaleur,…) principalement causés par les multinationales et le train de vie des plus riches, affectent davantage les populations les plus fragilisées. Il est donc essentiel d’organiser un système de solidarité à l’échelle mondiale pour pouvoir les protéger contre ces phénomènes. La crise environnementale ne peut pas rester un vecteur d’injustice sociale. Il faut arrêter d’opposer fin du mois et fin du monde et permettre aux classes moyennes et précaires de prendre part à la transition vers une société plus durable en leur donnant accès à une mobilité propre, à des logements moins énergivores et à des produits de consommations écoresponsables. Comme nous l’avons vu avec le mouvement des gilets jaunes, il est impossible de maintenir un plan ambitieux de transition écologique sur la durée s’il ne bénéficie pas au plus grand nombre. Comme toutes les mesures environnementales ont des effets redistributifs sur les richesses, la nécessité de transition écologique peut et doit être perçue comme une opportunité de construire une société plus juste et plus égalitaire.
Pour mettre en place ce projet de société, il faudra que les pouvoirs publics aient un rôle planificateur et régulateur sur l’économie. Comme nous l’avons vu au point 3.1.5 de cette note, le libre marché ne prend pas en considération les questions sociales et environnementales sans intervention de l’Etat. Des services publics renforcés devraient être développés, y compris dans les zones rurales. Cela ne doit évidemment pas entraver l’initiative citoyenne privée et son pouvoir innovant. Les projets d’économie sociale, d’économie circulaire et d’économie régénératrice doivent être encouragés.
Il sera nécessaire de revoir la fiscalité pour financer la transition vers l’écosocialisme. Premièrement, une fiscalité verte incitative devra être mise en place pour orienter les investisseurs, les producteurs et les consommateurs vers des produits plus respectueux de l’environnement sans nuire au pouvoir d’achat des citoyens les plus précaires. Deuxièmement, une fiscalité progressive orientée davantage sur le capital devra être développée pour réduire les inégalités.
En conclusion, pour endiguer la montée du populisme sur le long terme, il faudra redonner confiance aux citoyens en construisant une politique plus juste et plus durable. Une fiscalité progressive permettra de financer une transition environnementale inclusive et de mettre en place les aménagements nécessaires pour permettre aux
classes moyennes et défavorisées de bénéficier d’un meilleur niveau de vie. Avec une économie mieux régulée et une meilleure sécurité sociale, les citoyens seront mieux protégés face aux crises.
4.2. L’éducation et la régulation des réseaux sociaux
Comme expliqué au point 3.2, l’avènement des réseaux sociaux a contribué aux succès des populistes. Leurs messages simplistes y sont plus facilement relayés et les algorithmes des réseaux sociaux tendent à conforter les internautes radicaux dans leurs idées en créant des « bulles » autour d’eux. Par ailleurs, la toile est inondée de fake news visant à manipuler les citoyens.
Un premier élément pour lutter contre cette problématique est de mieux réguler internet. Les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux et les moteurs de recherches pour filtrer les informations doivent être transparents. Il convient d’imposer des standards internationaux pour garantir la diversité des sources d’informations sur la toile et éviter la création de « bulles ». Il faut tisser un cordon sanitaire autour des extrémistes en sanctionnant et en supprimant les propos haineux diffusés sur le web qui menacent notre démocratie.
Il convient également de renforcer les moyens des autorités publiques chargées de contrôler la mise en application de ces régulations. Ces organisations doivent également lutter efficacement contre les tentatives de plus en plus nombreuses d’ingérences de pays étrangers dans les élections démocratiques. Dans cette perspective, il est essentiel d’amplifier la collaboration entre nos services de renseignement et de sécurité et les gestionnaires de réseaux sociaux en matière de lutte contre les faux profils et de propagation de fake news.
Ensuite, il est essentiel d’éduquer la population au numérique et à l’esprit critique dès le plus jeune âge. Un travail de vulgarisation doit être fait pour enseigner le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherches à l’école. Cela permettrait aux élèves de comprendre les processus de création de bulles et de réduire le biais de l’information perçue par les internautes. La critique des sources d’informations et la détection des fake news est un autre élément capital à inclure dans ce programme d’enseignement. Il convient également d’encourager les initiatives d’éducation permanente intergénérationnelles pour continuer à enseigner le fonctionnement des réseaux sociaux tout au long de la vie, avec une attention particulière pour citoyens les plus fragilisés.
Enfin, il faut soutenir les sources d’informations fiables et garantir la pluralité de l’information sur internet. Dans cette perspective, il convient d’épauler les médias locaux et publics pour qu’ils parviennent à s’adapter à la révolution numérique et gardent une bonne visibilité sur le web. Il est essentiel de faire en sorte que les médias crédibles (traditionnels ou non) restent les garants d’une information de qualité, impartiale et vérifiée. Leur mission doit être d’aider les citoyens à comprendre l’actualité et de fournir des analyses sérieuses sur des thématiques variées. L’information doit être compréhensible par tous et accessible à tous. Les journalistes doivent être compétents dans leurs domaines d’expertises et observer un code de déontologie clair et transparent qui respecte des valeurs démocratiques. Il est également important de lutter contre la marchandisation des médias afin qu’ils ne soient pas incités à faire le jeu des populistes en publiant des articles chocs57
Afin de lutter contre les fake news, il est essentiel de créer de nouveaux outils de vérification et de soutenir les organisations actives dans ce domaine. Il convient de nouer des partenariats entre acteurs du numérique (réseaux sociaux et moteurs de recherches) et les médias pour créer un écosystème d’informations sain en ligne et lutter contre la désinformation. Dans cette perspective il peut s’avérer utile de créer un label garantissant que l’information provienne d’une source fiable.
En conclusion, pour lutter contre la montée du populisme, il est essentiel de renforcer les régulations et le contrôle du web, d’éduquer d’avantage la population sur l’information numérique et de soutenir les médias crédibles pour défendre la qualité et la pluralité de l’information. Ces actions devraient permettre aux citoyens d’être moins affectés par les biais d’information et les fake news. Les discours nuancés et rationnels auront alors une chance de trouver leur place dans le paysage numérique. Cela décrédibilisera les messages simplistes et les fake news colportés par les réseaux sociaux au détriment des populistes.
4.3. Un nouveau modèle démocratique
Les électeurs occidentaux sont de moins en moins convaincus par la démocratie libérale. Ils ne se sentent plus correctement représentés par les dirigeants qu’ils élisent. En cause, comme évoqué plus haut, les multinationales qui prennent de plus en plus d’ampleur sur la scène internationale et exercent une influence croissante sur les gouvernements nationaux. L’Europe, trop complexe et trop lointaine, peine à convaincre les citoyens de sa représentativité démocratique. Par ailleurs, nous vivions dans une société mondialisée extrêmement complexe dans laquelle les organisations internationales et leurs technocrates sont devenus indispensables. Ils exercent leur pouvoir dans l’ombre avec peu de considérations pour la volonté des électeurs. Pour répondre à ces problématiques, il est essentiel d’évoluer vers un nouveau modèle démocratique.
Nous devons revoir le fonctionnement de notre démocratie pour la rendre plus représentative (du peuple). Premièrement, il convient d’améliorer les règles de bonne gouvernance et de contrôle des élus afin de renforcer la transparence et d’éviter les scandales. Deuxièmement, les exécutifs doivent devenir plus représentatifs de la diversité de la population en comptant d’avantage de femmes, de minorités ethniques et de jeunes. Enfin, les corps intermédiaires (syndicats, mutuelles,…) doivent davantage être impliqués dans le développement des politiques pour défendre les intérêts des groupes de la population qu’ils représentent et pour servir de contrepouvoir salutaire.
Par ailleurs, il est essentiel que les démocraties deviennent plus participatives. En impliquant les citoyens dans les décisions politiques, les dirigeants peuvent les sensibiliser aux enjeux de société et leur redonner du pouvoir. Des électeurs mieux renseignés et davantage écoutés ont moins tendance à se tourner vers les populistes. Plusieurs mesures sont envisageables : le gouvernement peut organiser des référendums, sur des questions éthiques par exemple, afin de remettre certaines décisions dans les mains du peuple, tout en garantissant l’accès à une information compréhensible pour l’ensemble de la population et en luttant contre les campagnes de désinformation. Des chambres citoyennes pourraient être créées dans les organes législatifs (parlement, conseil communal,…) avec des citoyens tirés au sort. Il serait également intéressant d’instaurer une possibilité « d’initiative citoyenne » et un « droit de pétition » permettant aux citoyens de déposer des propositions de mesures législatives qui devront être examinées par les assemblées législatives. Cette liste de mesures est loin d’être exhaustive. La démocratie participative a d’autant plus de sens à l’heure actuelle que sa mise en application sera facilitée par les réseaux sociaux et les nouveaux outils de communication.
La démocratie représentative reste indispensable pour mener une politique cohérente sur le long terme qui puisse relever les grands défis sociétaux auxquels nous faisons face. Par conséquent, la démocratie représentative devrait être complétée par la démocratie participative sans être remplacée par cette dernière. L’objectif doit être de créer des synergies entre ces deux modes de gouvernance afin de redonner confiance aux citoyens et s’assurer que leurs voix soient entendues.
La mondialisation a certes eu des effets pervers, elle ne peut être perçue comme une fin en soi. Cependant, si elle est correctement régulée, elle peut être bénéfique sur les plans économique, social et diplomatique. Par ailleurs les organisations supranationales sont indispensables pour coordonner les efforts des différents pays afin de répondre aux grands défis mondiaux tels le rattrapage des pays en voie de développement et la protection de l’environnement. C’est pourquoi elles doivent être renforcées et modernisées.
Concernant l’Europe, quatre grands changements doivent être opérés pour regagner la confiance des citoyens européens :
• L’Union européenne doit devenir plus démocratique. Le Président de la Commission devrait être élu directement par les européens. Il convient également de donner plus de pouvoir au Parlement européen (dont les membres sont élus), tels que la pleine initiative législative et un contrôle renforcé sur la commission ;
• L’Europe doit devenir plus transparente, les procès-verbaux et les votes de nos dirigeants nationaux au sein du Conseil européen devront être systématiquement publiés. Par ailleurs, les députés européens devraient également rendre des comptes et le contrôle des lobbies devrait être largement renforcé ;
• L’Europe doit protéger davantage ses citoyens. Il s’agit d’évoluer vers une Europe sociale et pas seulement économique. Au même titre que les autres niveaux de pouvoir, l’Europe doit accomplir la transition du modèle néolibéral vers le modèle écosocial. Les bénéfices d’une telle politique seraient d’avantage ressentis par les électeurs, en particulier les plus fragiles d’entre eux ;
• La démocratie participative doit être renforcée au niveau de l’Union européenne, notamment à travers la
publicité du mécanisme de promotion citoyenne.
Par ailleurs, il faut aller dans le sens d’une démocratisation des organisations internationales et sortir de la logique néolibérale dans laquelle les intérêts géopolitiques des grandes puissances mondiales priment sur les droits humains, sociaux et environnementaux. Dans cette perspective, le multilatéralisme de l’ONU doit primer davantage sur l’interventionnisme de l’OTAN. Il convient de renforcer la légitimité démocratique de l’ONU notamment en d’abrogeant le droit de véto des membres permanents de son conseil de sécurité. Les organisations internationales doivent faire l’objet d’un contrôle démocratique renforcé et devenir plus transparentes. Enfin, il est essentiel de s’assurer que tous les traités transnationaux respectent les droits de l’homme ainsi que les droits sociaux, sanitaires et environnementaux58
5. Conclusion
Nous nous trouvons dans une période charnière de l’histoire. Après 40 ans de règne, le régime politique à dominance néolibérale a atteint ses limites en laissant derrière lui des défis planétaires : les inégalités se creusent, nous sortons endettés d’une crise économique majeure et nous sommes menacés par les conséquences du réchauffement climatique et de la surexploitation des ressources de notre planète. De plus, la démocratie libérale connaît une crise sans précédent. Les citoyens ne se sentent plus représentés par les dirigeants politiques, ils ne comprennent pas le fonctionnement opaque de notre société mondialisée qui semble dominée par des multinationales et des technocrates sans réelle légitimité démocratique.
Dans ce contexte de bouleversement, les citoyens sont perdus, effrayés et nourrissent un sentiment amer d’injustice. C’est à ce moment précis de l’histoire que les réseaux sociaux font leur apparition, permettant à tout le monde d’exprimer leurs frustrations. Les populistes y ont trouvé un terrain fertile pour transmettre leurs messages chocs et simplistes qui seront relayés par les citoyens frustrés d’un système injuste sur lequel ils pensent avoir perdu toute emprise. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant d’assister à un sursaut du populisme.
Nous sommes en train de basculer inexorablement vers un nouveau modèle de société qui reste encore à définir. Le populisme n’est pas une réponse crédible car il est dénué d’idéologie et a pour seule base le rejet du système actuel. Notre futur modèle de société devra au contraire être basé sur une idéologie nouvelle qui rassemble les citoyens dans une démarche constructive. C’est l’un des grands défis de notre temps. Pour y répondre, il conviendra d’attaquer le problème à la racine en apaisant les mécontentements des citoyens avec un projet de société écosocialiste plus juste, plus durable et plus inclusif. Un travail devra être effectué pour limiter la propagation des discours haineux sur internet et faire des réseaux sociaux un espace de communication apaisée. Enfin, il est essentiel de voir émerger un nouveau système démocratique plus représentatif, plus participatif et plus transparent.
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RÉSUMÉ
Le « populisme » est un terme couramment utilisé dans la sphère médiatique et politique. Il s’agit pourtant d’un phénomène difficilement définissable. En près de 150 ans d’histoire il a pris des formes multiples. Cependant il existe un dénominateur commun qui rassemble l’entièreté des mouvements populistes de gauche comme de droite : Le populisme apparait toujours en réaction à des crises multiples pour s’opposer à un modèle de société dominant qui ne satisfait pas le peuple. C’est l’objet de la première partie de cette note.
Dans la deuxième partie de cette analyse, rédigée par Nathan Lallemand, nous analysons les mécanismes qui ont permis l’émergence de ces crises. Nous définissons les grandes caractéristiques des politiques économiques néolibérales qui dominent majoritairement les pays occidentaux depuis plusieurs décennies, les dynamiques propres à ces politiques et leurs conséquences. Nous voyons également comment les effets pervers de l’avènement des réseaux sociaux et de la mondialisation ont pu se conjuguer pour donner naissance à une crise démocratique propice à la montée du populisme.
La troisième partie, est consacrée aux solutions. Il s’agit d’esquisser les grandes lignes d’un nouveau modèle qui répondrait au mieux aux crises que nous traversons.
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