le casier judiciaire alimente t-il la recidive-2018

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ETAT DE LA QUESTION

LE CASIER JUDICIAIRE ALIMENTE-T-IL LA RÉCIDIVE ?

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles SEPTEMBRE
2018
Olivier Legrand
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Le casier judiciaire central : fonctionnement 3 3. En pratique : un obstacle à la réinsertion 4 4. Le casier judiciaire aux Pays-Bas : un modèle à suivre ? 5 5. Pour une réforme en profondeur du casier judiciaire 7 Conclusion 8

1. Introduction

Rares sont les sujets qui peuvent se prévaloir de susciter un désintérêt aussi marqué que le casier judiciaire.

Sur le plan académique, le casier judiciaire n’a fait l’objet que de très rares publications1 depuis sa création, le 31 décembre 1888, par simple circulaire ministérielle. Il est d’ailleurs significatif qu’il ait fallu plus d’un siècle pour que le législateur consacre enfin son existence, par une loi du 8 août 1997, adoptée dans le sillage de l’affaire Dutroux.

Malgré cette absence évidente d’attrait en termes de réflexion, surtout lorsqu’on le compare à des sujets aussi en vogue que l’avenir de la cour d’assises ou la lutte contre le terrorisme, le casier judiciaire mérite que l’on s’y intéresse, tant son fonctionnement actuel est insatisfaisant.

A bien des égards, cette « institution » se trouve au cœur des courants, le plus souvent contradictoires, qui traversent notre droit pénal. Entre obsession prédictive, embûche à la réinsertion, managérialisme pénal et amplification des inégalités sociales, le casier judiciaire en dit long sur la justice elle-même.

2. Le casier judiciaire central : fonctionnement

Ce n’est donc que par l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 1997 relative au registre central du casier judiciaire que l’extrait de casier judiciaire a légalement été consacré, entraînant la disparition du « certificat de bonnes conduites, vie et mœurs », qui n’est donc plus d’actualité2

Le casier judiciaire est tenu au Service public fédéral Justice par un service qui lui spécifiquement dédié. Il reprend toute une série de données, à commencer par les condamnations pénales, en compris les peines de travail, mais aussi certaines mesures qui, à proprement parler, ne sont pas des condamnations, telles que les suspensions du prononcé3

Il s’agit, avant tout, d’un instrument destiné aux autorités publiques. Certaines, à commencer par les autorités judiciaires, y ont un accès quasiment absolu et peuvent prendre connaissance de toutes les informations qu’il contient, à des très rares exceptions près4. Les autres autorités, les bourgmestres par exemple, ont accès à un casier judiciaire dont certaines informations sont soustraites5

Le particulier, lui, n’a droit qu’à l’obtention, auprès de son administration communale, d’un simple extrait de son casier judiciaire. Il se limite aux peines d’emprisonnement, fermes ou avec sursis, voire d’autres peines ou mesures en fonction du modèle demandé et de l’écoulement du temps.

Il existe deux modèles d’extrait, selon l’usage auquel il est destiné6

Le modèle 1 est le modèle standard, délivré dans la grande majorité des cas. Le modèle 2, plus détaillé, est délivré lorsqu’il est demandé pour accéder à une activité qui relève de l’éducation, de la guidance psycho-médico-sociale, de l’aide à la jeunesse, de la protection infantile et de l’animation ou de l’encadrement de mineurs.

1 Voir toutefois les travaux de V. SERON, ainsi que l’ouvrage collectif publié sous l’impulsion du Centre de droit public de l’ULB et de la Ligue des droits de l’Homme, auquel il est fréquemment fait référence dans le cadre du présent Etat de la question : J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011.

2 P. DE HERT et R. SAELENS, « La signification du casier judiciaire et de l’extrait de casier judiciaire pour le (candidat-) travailleur. Une meilleure régulation aux Pays-Bas ? », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 223.

3 Voir l’art. 589 du Code d’instruction criminelle.

4 Telles que les mesures d’amnistie.

5 Comme les suspensions du prononcé, les condamnations effacées, les condamnations qui ont fait l’objet d’une réhabilitation ou encore les simples déclarations de culpabilité.

6 http://www.justice-en-ligne.be/rubrique157.html

Etat de la Question 2018 • IEV 3

Après un certain temps, il est possible de faire disparaître les condamnations de l’extrait de casier judiciaire remis aux particuliers :

• Certaines condamnations sont supprimées automatiquement du casier judiciaire et disparaissent par voie de conséquence de l’extrait de casier judiciaire par la procédure de l’effacement : cette possibilité est réservée aux seules peines de police7, qui seront donc effacées après un délai de trois ans ;

• D’autres condamnations ne seront plus mentionnées après un certain délai à l’extrait de casier judiciaire, tout en subsistant au casier judiciaire : elles ne figurent plus à l’extrait de casier judiciaire après un délai de trois ans à compter de la décision définitive, permettant à certains condamnés, notamment pour des faits de roulage, de retrouver leur « virginité » ;

• Toutes les condamnations peuvent faire l’objet d’une réhabilitation, soumise à des conditions de temps, de fond et de forme : la réhabilitation ne peut être accordée, par la chambre des mises en accusation, que si le condamné a subi sa peine de privation de liberté, s’est acquitté des dommages et intérêts vis-à-vis des victimes, dispose d’une résidence certaine et a fait preuve d’amendement et de bonne conduite pendant un temps d’épreuve8

3. En pratique : un obstacle à la réinsertion

En apparence, le système de casier judiciaire belge ne souffre d’aucun vice majeur. Relativement simple, il permet aux autorités de disposer d’un accès aisé et rapide au passé judiciaire des citoyens, tout en instaurant, à leur profit, des possibilités de retrouver un casier judiciaire vierge.

Sauf qu’à l’analyse, le fonctionnement du casier judiciaire s’apparente trop souvent à un véritable boulet qui empêche de vivre normalement.

Quotidiennement, des justiciables attraits devant le tribunal de police pour des faits objectivement mineurs, comme un stationnement interdit, voire un simple excès de vitesse, se retrouvent confrontés à la stigmatisation d’un casier judiciaire9. Certes, les condamnations de police sont effacées après trois ans mais, dans l’intervalle, les personnes concernées ne pourront faire valoir un casier judiciaire vierge.

La procédure de réhabilitation, elle, ne joue pas le rôle qui devrait être le sien et, trop souvent, fait obstacle à ce que des personnes qui ont purgé leur peine redeviennent, aux yeux de la société, des citoyens à part entière : « Mal connue, cette procédure ne fait pas partie des priorités : il faut entre un an et demi et deux ans pour obtenir une décision. Le droit à l’oubli en est à tout le moins malmené. Or, on constate que la réinsertion, en particulier professionnelle, d’un condamné permet de limiter les risques de récidive. En rendant plus difficile la réinsertion, en augmentant les difficultés pour trouver un emploi, on augmente les risques de récidive. »10

Mais le principal problème est le recours trop généralisé, par les tiers, au casier judiciaire dans des cas où il n’est pas justifié.

Certes, la loi prévoit qu’on ne peut pas demander d’extrait au sujet du passé judiciaire de quelqu’un d’autre. Seule la personne concernée peut obtenir un extrait du casier judiciaire comportant le relevé des informations qui la concernent personnellement.

Sauf qu’employeurs, assureurs, bailleurs, pour ne citer qu’eux, exigent fréquemment du candidat qu’il produise son extrait de casier judiciaire11 : « Le titulaire ne décide pas lui-même de remettre ce document : il se retrouve

7 Mais pas les déchéances de permis de conduire, pourtant fréquemment prononcées.

8 Temps d’épreuve qui va de 3 ans (6 en cas de récidive) à 5 ans (10 an cas de récidive) selon que le condamné a fait l’objet d’une peine inférieure ou supérieure à 5 ans de prison.

9 O. VENET, « De l’autre côté du miroir : les obstacles et les remèdes à la stigmatisation », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 223.

10 Idem, p. 177.

11 V. DEGREEF, « Surveiller et punir… les personnes condamnées par le casier judiciaire », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 21.

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dans une situation où il n’a pas d’autre choix que de tendre le bâton pour se faire battre. »12

Le candidat peut évidemment se retrancher derrière son droit à la vie privée pour refuser de communiquer son extrait de casier judiciaire mais cela risque de sérieusement hypothéquer ses chances13

Or, l’extrait de casier judiciaire diffuse incontestablement une identité négative et pourra avoir pour conséquence que la personne se voit refuser un travail, un logement ou une assurance.

En cela, l’existence d’un casier judiciaire porte clairement atteinte à l’effectivité des droits tant civils et politiques qu’économiques et sociaux. De même, l’obstacle à l’emploi que constitue l’existence d’un casier judiciaire contredit frontalement les attentes adressées au condamné en termes de citoyenneté responsable et de réintégration sociale14

Tout cela n’est pas sans incidence sur le risque de récidive, que le fonctionnement actuel du casier judiciaire contribue à renforcer : « A l’heure où l’insertion représente un mot d’ordre sociétal, la diffusion d’une information sur le passé criminel n’a-t-elle pas pour principal effet de freiner les possibilités de reclassement ou de mettre en danger le maintien de l’insertion ? »15 Poser la question, c’est y répondre…

Privés de toute chance d’obtenir un emploi, nombre de condamnés, à plus forte raisons les ex-détenus, en sont réduits à reprendre des activités délinquantes : « Ce maintien du condamné dans le rappel de sa condamnation après qu’il a purgé sa peine est contraire au principe selon lequel la dette envers la société est payée lorsque la peine de prison a été effectuée ou le temps de sursis respecté. C’est une sorte de double peine qui subsiste sans réelle limite de temps. »16

Au point de faire dire à certains auteurs que « le casier judiciaire, qui était initialement envisagé comme un « instrument de mesure de l’inadaptabilité sociale » en devient carrément le producteur. »17

4. Le casier judiciaire aux Pays-Bas : un modèle à suivre ?

Tant qu’il sera possible d’exiger d’une personne qu’elle produise son extrait de casier judiciaire, ce dernier sera à la fois surexploité et survalorisé comme élément permettant d’évaluer le mérite, les capacités, les propensions et perspectives de la personne concernée. « Si le souci, pour certaines catégories d’emplois, de connaître les antécédents judiciaires d’un travailleur peut être opportun ou accepté sous certaines modalités, le recours à l’extrait de casier judiciaire est beaucoup trop généralisé dans des professions où il n’est pas nécessaire »18

C’est sur la base de ce constat que le législateur néerlandais a, par une loi du 1er avril 2004, mis en place un système qui s’écarte sensiblement de celui que nous connaissons.

En résumé, le système néerlandais fonctionne comme suit :

• Quand une personne dépose sa candidature pour une fonction, l’employeur peut demander que le candidat remette un « certificat concernant la conduite » (verklaring omtrent het gedrag).

• Ce certificat est délivré par l’Organe central du certificat relatif au comportement (Centraal Orgaan Verklaring omtrent het Gedrag), qui dépend du Ministre de la Justice, après une enquête concernant le comportement de l’intéressé « à la lumière du risque pour la société et ce en rapport avec le but pour lequel ce certificat est demandé »19

12 Idem, p. 32.

13 V. VAN DER PLANCKE, A. ROUVROY, V. VERBRUGGEN, « Quand le casier séquestre nos libertés », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 87.

14 Idem, p. 99.

15 M-A DEVRESSE, « Traces et justice pénale : a neverending story », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 437.

16 O. VENET, o.c., p. 177.

17 Idem, p. 439.

18 Idem.

19 P. DE HERT et R. SAELENS, « La signification du casier judiciaire et de l’extrait de casier judiciaire pour le (candidat-) travailleur. Une meilleure régulation aux Pays-Bas ? », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 244. Voir également E. KURTOVIC et M. ROVIRA, « Contrast between Spain and the Netherlands in the hidden obstacles to re-entry into the labour market due to a criminal record », European Journal of Criminology, 2017, Vol. 14(5), pp. 505-521.

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• Le certificat ne contient aucune mention de l’éventuel passé pénal de l’intéressé : seul en ressort le constat selon lequel le comportement du candidat ne soulève aucune objection pour la fonction à laquelle il postule. Par conséquent, l’octroi d’un certificat ne signifie donc pas que l’intéressé n’a pas d’antécédents pénaux.

• A l’inverse, lorsque l’autorité estime que le passé pénal du candidat à fait obstacle à l’accès à la fonction, elle ne délivrera pas de certificat. Dans ce cas, l’employeur, bien que n’ayant pas connaissance des antécédents pénaux du candidat, saura clairement à quoi s’en tenir.

Une différence fondamentale avec le système belge est qu’une indication écrite du destinataire de la demande est fournie : « Cela signifie que l’employeur devra exposer quel risque l’activité concernée peut engendrer et quelles précautions doivent dès lors être prises. A cette fin, il devra préciser son identité, la fonction spécifique à attribuer et les activités que celles-ci implique. Les autorités peuvent refuser la délivrance du certificat si un fait délictueux est mentionné dans la documentation judiciaire du demandeur, fait susceptible de faire obstacle au bon exercice de l’activité en question eu égard au risque encouru par la société »20

Au contraire de la situation en Belgique, l’employeur n’est pas responsable de l’évaluation du passé pénal du candidat : ce sont les pouvoirs publics qui s’en chargent et mettent en balance l’intérêt du demandeur avec le risque pour la société, au travers d’un processus de screening.

Prenons l’exemple d’un chauffeur de taxi condamné pour cause de conduite sous influence.

En Belgique, la condamnation figurera indéfiniment, sauf réhabilitation, sur son extrait de casier judiciaire et risquera de resurgir chaque fois que la personne postulera à un emploi, quel qu’il soit, ou encore lorsqu’il se mettra en recherche de logement, s’il est locataire.

Aux Pays-Bas, la même condamnation entraînera en principe le refus de certificat s’il demande à exercer la même activité de chauffeur de taxi. Mais la même demande recevra en principe une réponse positive dans le cas où la personne souhaite exercer une activité sans lien avec la conduite de véhicules.

Autre exemple : la demande d’une personne qui effectue des tâches de nettoyage dans une crèche sera jugée différemment de celle qui effectue les mêmes prestations dans un bureau21

Enfin, contrairement à ce qui prévaut chez nous, après l’écoulement d’un délai de cinq ans, l’existence de la condamnation ne sera plus considérée comme ayant une valeur prédictive suffisante et il n’en sera plus nécessairement tenu compte pour l’octroi du certificat22

Cela étant dit, le système néerlandais n’est certainement pas parfait.

Certains critiquent notamment le fait que, dans le cadre d’examen de la demande de certificat, il soit insuffisamment tenu compte des circonstances particulières propres à la personne concernée. De même, des condamnés n’osent pas introduire de demande de certificat, anticipant une issue négative et s’auto-excluant en quelque sorte de certaines fonctions23

Il n’en demeure pas moins que ce dispositif semble parvenir, mieux que le nôtre, à concilier la protection de la société avec la réinsertion socio-professionnelle des personnes condamnées.

Certains chercheurs avancent en outre que le taux de criminalité des personnes auxquelles un certificat a été refusé chute, en moyenne, de moitié. Il semblerait donc que le refus de certificat serve, en quelque sorte, d’avertissement et incite les personnes concernées à ne pas commettre de nouvelles infractions, contribuant à nouveau à réduire la récidive24

20 Idem, p. 245.

21 Idem, p. 246.

22 https://www.justis.nl/binaries/Brief%20Tweede%20Kamer%20-%20onderzoek%20naar%20de%20Verklaring%20omtrent%20het%20Gedrag_tcm34-243040. pdf, p. 2.

23 https://www.volkskrant.nl/nieuws-achtergrond/verklaring-omtrent-gedrag-wordt-populairder-heeft-het-effect-~b2736bde/, p. 2.

24 Idem.

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5. Pour une réforme en profondeur du casier judiciaire

Coller une étiquette de délinquant à un individu n’aboutit qu’à le stigmatiser, ce qui n’est positif ni pour lui, ni pour la société, au vu du risque accru de récidive : « Quel est le sens en effet de menacer par le rappel incessant de l’intervention judiciaire, un projet social qui a parfois été patiemment élaboré au sein de la justice elle-même avec l’aide de certains de ses auxiliaires et dont la poursuite rencontre également certains de ses objectifs ? »25

Au regard de ce qui précède, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a du travail pour rendre le casier judiciaire belge non seulement plus juste mais aussi plus efficace. A ce jour, il n’existe malheureusement aucune étude chiffrant le coût économique du casier judiciaire. Mais personne n’oserait sérieusement contester le fait qu’il favorise la récidive.

Partant, une réforme semble indispensable, d’autant plus que, comme on l’a vu, il est parfaitement possible de développer un système qui parvient à mieux réconcilier l’indispensable protection de la société avec une meilleure réinsertion des personnes condamnées.

Une série d’améliorations ponctuelles au système actuel peuvent être proposées. La plupart d’entre elles n’entraînent aucun coût et pourraient être rapidement mises en œuvre, dans l’attente d’une réflexion globale sur la transposition, en Belgique d’un système de casier judiciaire inspiré de celui des Pays-Bas.

L’effacement automatique de l’extrait de casier judiciaire après un certain délai

Aux Pays-Bas, ce délai est en principe de cinq ans. Au-delà, on estime que la valeur prédictive d’une condamnation n’est plus suffisamment pertinente. Un tel système pourrait être mis en place chez nous, au-delà de ce qui existe déjà pour seules les peines de police26, quitte à permettre au juge de modaliser le délai ou prévoir des exceptions là où c’est nécessaire, notamment lorsque le modèle 2 est exigé (voir supra, point 2).

La possibilité pour le juge de décider une dispense d’inscription dans l’extrait de casier judiciaire

Ce qui est proposé, ici, c’est de donner la possibilité au juge, au cas par cas et après avoir entendu les parties, de prévoir que la condamnation ne figure pas dans l’extrait de casier judiciaire, pour ne pas compromettre les chances de réinsertion de la personne. La condamnation figurera, en revanche, dans le casier judiciaire en tant que tel.

Améliorer la procédure de réhabilitation

Dans l’état actuel des choses, la procédure de réhabilitation prend beaucoup trop de temps et passe largement à côté des objectifs que la loi lui assigne. Pire : elle envoie souvent un signal très négatif à des personnes qui tentent de se réinsérer, alors qu’il faudrait au contraire les encourager.

A minima, il faudrait que l’examen des demandes de réhabilitation ait lieu dans des délais plus raisonnables, ce qui est avant tout une question de priorité de politique criminelle mais aussi, bien entendu, de moyens.

Une option, plus ambitieuse, serait d’inscrire la réhabilitation dans un processus de « désistance », comme le propose Fergus McNeill : l’idée serait de rendre la réhabilitation publique, si le demandeur y consent, de manière à l’aider à surmonter le stigmate social induit par la condamnation27

Enfin, il faudrait prévoir la mention obligatoire, dans le jugement de condamnation, de la possibilité de demander la réhabilitation après un certain délai. Cette procédure est en effet largement méconnue.

25 M-A DEVRESSE, o.c., p. 443.

26 Voir supra, point 2.

27 F. McNEIL, 2012, “Four forms of ‘offender’ rehabilitation: towards an interdisciplinary perspective”, Legal and Criminological Psychology, 17(1), 2012, pp. 1836: “Such engagement requires ‘psychological rehabilitation’ (which is principally concerned with promoting positive individual-level change in the offender) to articulate its relationships with at least three other forms of rehabilitation. The first of these concerns the practical expression of Beccaria’s concern with -

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L’ouverture d’une réflexion sur l’inclusion des antécédents judiciaires parmi les critères énumérés dans les législations anti-discrimination

Un tiers, comme un employeur, n’a en principe pas le droit d’exiger la production de l’extrait de casier judiciaire, sauf bien entendu dans les hypothèses où la loi elle-même imposer un casier judiciaire (fonctionnaires, militaires, agents de gardiennage, ainsi que certains emplois exercés en présence de mineurs). Il n’en demeure pas moins que, comme on l’a vu, de nombreux employeurs le demandent quand même.

Pour assurer l’effectivité de cet interdit, une piste de réflexion consisterait à inclure les antécédents judiciaires parmi les critères qui figurent dans la législation anti-discrimination. Ceci n’empêchera pas de tenir compte pour certaines fonctions, comme aujourd’hui, des antécédents judiciaires mais une décision de refus basée sur ces éléments devra reposer sur une justification objective et raisonnable.

Une politique uniforme et cohérente de consultation et d’évaluation des extraits du casier judiciaire lors du recrutement

Toute norme ou toute pratique administrative interdisant, de manière générale, l’accès aux emplois publics, parapublics ou à certains emplois privés aux personnes qui n’ont pas un casier judiciaire vierge, devrait être reconnue comme discriminatoire. Seule la nature de l’infraction recensée devrait permettre des refus de candidature, en mesurant s’il existe une justification objective et raisonnable à ce refus28

Plus généralement, il faut que les pouvoirs publics montrent l’exemple en n’excluant pas systématiquement, comme c’est trop souvent le cas, de leurs propres recrutements les personnes avec un casier judiciaire.

L’ouverture d’une réflexion sur l’introduction, en Belgique, du modèle néerlandais de casier judiciaire

Au-delà de ces mesures ponctuelles, dont les effets positifs cumulés ne doivent toutefois pas être sous-estimés, il est souhaitable d’ouvrir une réflexion sur la mise en place, à l’instar des Pays-Bas, d’un système permettant à l’Etat, via une commission administrative indépendante, d’assumer en lieu et place de l’employeur la lourde responsabilité de l’évaluation du passé pénal du candidat à un emploi.

Conclusion

Si l’on veut lutter efficacement contre la récidive et mettre inscrire réellement la réinsertion au cœur de notre politique pénale, il est urgent de trouver un meilleur équilibre entre mémoire et oubli. Prenons garde sinon que le casier judiciaire ne redevienne, comme sous l’Ancien Régime, cette marque indélébile qui prolonge, sans fin, les effets de la peine29

.....................................

the requalification of citizens; this is the problem of ‘legal or judicial rehabilitation’, when, how and to what extent a criminal record and the stigma that it represents can ever be set aside, sealed or surpassed. Maruna’s (2011b) has recently argued cogently that efforts to sponsor rehabilitation and reform must address the collateral consequences of conviction – mostly notably its stigmatising and exclusionary effects - or be doomed to fail. No amount of supporting offenders to change themselves can be sufficient to the tasks and challenges of rehabilitation and desistance, if legal and practical barriers to reintegration are left in place.”

29

Le casier judiciaire : entre mémoire et oubli, quel équilibre aujourd’hui ? », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 275.

Etat de la Question 2018 • IEV 8
28 Voir V. VAN DER PLANCKE, A. ROUVROY, V. VERBRUGGEN, o.c., p. 94. S. GRUNWALD, «

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RÉSUMÉ

Rares sont les sujets qui peuvent se prévaloir de susciter un désintérêt aussi marqué que le casier judiciaire. Sur le plan académique, le casier judiciaire n’a fait l’objet que de très rares publications depuis sa création, le 31 décembre 1888, par simple circulaire ministérielle. Il est d’ailleurs significatif qu’il ait fallu plus d’un siècle pour que le législateur consacre enfin son existence, par une loi du 8 août 1997, adoptée dans le sillage de l’affaire Dutroux.

Le casier judiciaire mérite pourtant que l’on s’y intéresse, tant son fonctionnement actuel est insatisfaisant. A bien des égards, il se trouve au cœur des courants, le plus souvent contradictoires, qui traversent notre droit pénal. Entre obsession prédictive, embûche à la réinsertion, « managérialisme » pénal et amplification des inégalités sociales, le casier judiciaire en dit long sur la justice elle-même.

Le présent Etat de la question de l’IEV commence par exposer le fonctionnement du casier judiciaire pour ensuite expliquer en quoi, tel qu’il est utilisé aujourd’hui, il constitue un obstacle à la réinsertion. Enfin, différentes pistes de réforme sont esquissées, notamment à la lumière des avancées engrangées dans ce domaine aux Pays-Bas.

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