ETAT DE LA QUESTION
L’INCAPACITÉ DE TRAVAIL : VERS QUELLE ÉVOLUTION ?
Anne LIESSE
DÉCEMBRE 2018
1. Introduction
Ces dix dernières années, le budget total des indemnités d’incapacité de travail1 a plus que doublé pour atteindre 8,3 milliards d’euros. Pour la première fois, en 2017, les dépenses des indemnités de l’incapacité de travail ont dépassé celles du chômage.
Le nombre de travailleurs en incapacité de travail poursuit sa forte croissance. Cette croissance est la résultante de la combinaison de tendances qui sont désormais bien connues. Ces tendances sont essentiellement de deux ordres : d’une part, l’évolution démographique et sociale et, d’autre part, le développement de nouvelles maladies dues au stress au travail qui se poursuit. La tension devient de plus en plus aigüe entre l’augmentation des dépenses et les cotisations du travail qui n’augmentent pas dans les mêmes proportions.
Ces constats invitent à se questionner sur l’approche de la santé et du bien-être des travailleurs. Notre système d’incapacité de travail est-il suffisamment efficace et protecteur pour les travailleurs ? Notre système répondil efficacement à l’évolution des nouvelles affections liées à l’évolution du marché du travail ? Le modèle de réintégration des malades longue durée mis en place sous cette législature répond-il aux besoins des travailleurs ? L’augmentation de l’âge de la retraite et la suppression des pré-retraites ainsi que de certains congés sont-elles judicieuses dans un contexte de pénurie de certains métiers et compte tenu du nombre de demandeurs d’emploi ?
Notre régime d’incapacité de travail doit pouvoir assurer le droit à tous les bénéficiaires (salariés, indépendants ou demandeurs d’emploi) de pouvoir non seulement disposer d’un revenu de remplacement décent pendant la durée de maladie mais également de véritables perspectives de réhabilitation. Un système de prévention et d’accompagnement du travailleur malade avec une réhabilitation positive doit être mis en place.
2. L’incapacité de travail : une branche de la sécurité sociale
Les travailleurs salariés, les demandeurs d’emploi, les travailleurs indépendants et les ouvriers mineurs qui ne peuvent plus travailler à cause d’une maladie ou d’un accident (hors maladie professionnelle ou accident de travail qui font l’objet d’une indemnisation spécifique) ont droit à des indemnités d’incapacité de travail.
Ce droit existe grâce à notre sécurité sociale. La sécurité sociale est un système basé sur la solidarité entre toutes les personnes. Les travailleurs acceptent de mettre une partie de leur salaire dans une caisse solidarisée et, en échange, ils en bénéficient en cas de coup dur. La sécurité sociale est un système solidaire entre les personnes en bonne santé et les malades, les actifs et les pensionnés, les personnes ayant des revenus et les personnes sans ressources, les travailleurs et les chômeurs, etc. C’est un système juste : chaque travailleur cotise proportionnellement à ses revenus auprès de la sécurité sociale et chacun reçoit en fonction de ses besoins.
La sécurité sociale est composée de plusieurs branches : le chômage, les pensions, les soins de santé, les indemnités pour maladies, les indemnités de maternité, les accidents du travail, les maladies professionnelles, les vacances annuelles. Le présent Etat de la question s’intéressera à la branche des indemnités pour maladie et, spécifiquement, aux indemnités pour maladie des travailleurs salariés2. Les travailleurs salariés comprennent les travailleurs (employés et ouvriers), et les demandeurs d’emploi qui perçoivent une indemnité de chômage. Il n’abordera pas les maladies professionnelles ou les accidents du travail qui font partie d’une autre branche de la sécurité sociale et qui disposent de règles spécifiques.
3. Le régime d’incapacité de travail des salariés
Le régime des travailleurs salariés couvre les employés, les ouvriers et les chômeurs. La seule nuance qui subsiste encore entre les employés et ouvriers porte sur la période de salaire garanti. Pour les employés, un mois de salaire
1 Le budget d’incapacité de travail comprend les indemnités d’incapacité de travail primaire, d’invalidité et pour les congés de maternité et de paternité.
2 Le régime des indépendants et le régime des fonctionnaires ne seront pas analysés. Les règles et le fonctionnement de ces deux régimes sont tout à fait distincts du régime des salariés.
est garanti par l’employeur. Pour les ouvriers, deux semaines de salaire sont garanties. Ensuite, si l’incapacité de travail se prolonge, c’est la sécurité sociale via la mutuelle qui verse des indemnités de maladie. Ces indemnités correspondent à des revenus de remplacement pour les travailleurs malades. Pendant la première année de maladie, on parle d’incapacité de travail primaire. Après une année de maladie ininterrompue, on parle d’invalidité. Le calcul des indemnités est différent en fonction de la durée de maladie.
Lorsque le travailleur est en incapacité primaire, du deuxième au sixième mois, l’indemnité s’élève à 60% du salaire plafonné. Le principe qui s’applique pendant cette période est le principe du plafond, c’est-à-dire que les travailleurs reçoivent une proportion de leur salaire avec un montant maximal. Ce système limite les indemnités des personnes qui ont un salaire très élevé. Le but est de garantir un revenu de remplacement à tous les travailleurs qui tombent malades selon le principe d’assurance.
A partir du septième mois de l’incapacité de travail jusqu’à la fin du douzième mois, l’indemnité est toujours de 60% du salaire plafonné2. Toutefois, le système de plafond est remplacé par un système de plancher. On garantit au travailleur qu’il recevra un montant minimal d’indemnité, même si le pourcentage du salaire plafonné devait conduire à accorder un montant d’indemnité inférieur à celui-ci. Ce montant minimal varie selon la situation familiale (chef de ménage, isolé, cohabitant) et selon la qualité de travailleur (régulier ou non). Ce système garanti une sécurité minimale, en particulier pour les personnes qui ont un faible revenu.
A partir du treizième mois, la période d’invalidité débute. L’indemnité correspond à un pourcentage du salaire brut plafonné. Le plafond dépend de la situation familiale3. Le pourcentage est déterminé par la situation familiale (65 % pour un travailleur avec charge de famille, 55 % pour un isolé, 40 % pour un cohabitant).
Sous certaines conditions, en incapacité de travail, la reprise d’un travail adapté avec l’autorisation du médecinconseil de la mutualité est encouragée. Dans ce cas, une indemnité d’incapacité de travail continue à être versée avec toutefois une réduction du montant des indemnités d’incapacité lorsque le temps de travail adapté dépasse un cinquième temps.
4. Les chiffres de l’incapacité de travail des salariés
En 2016, 430.230 personnes ont eu une période d’incapacité de travail d’au moins un jour en dehors de la période couverte par le salaire garanti4. Parmi elles, 63.152 personnes, soit environ 15%, entrent en invalidité.
Les incapacités de longue durée qui entrent en invalidité (autres) se situent principalement dans les groupes d’âge entre 45 et 59 ans.
Les deux causes principales d’entrée en invalidité sont les troubles mentaux et les affections du système ostéoarticulaire.
En vingt ans, le nombre de travailleurs salariés invalides (maladie d’un an et plus) a plus que doublé. Il atteint le chiffre de 366.293 invalides en 2016]5. Le taux total d’invalidité a également fortement augmenté en passant de 5,25% en 1996 à 8,87% en 2016. La Belgique suit en cela une évolution observée dans la plupart des pays de l’OCDE.
Le graphique ci-dessous montre la forte croissance du nombre d’invalides, en particulier chez les femmes. Outre la participation accrue des femmes au marché du travail, le relèvement de l’âge de la pension a pour conséquence qu’elles restent dans le système d’invalidité jusqu’à un âge plus avancé. Dans le passé, ces femmes sortaient de l’invalidité à l’âge de 60 ans. Elles passaient alors à un régime de pension.
3 Pour les invalidités qui débutent à partir du 1er janvier 2018, il est de 92,64 euros brut par jour pour les personnes avec charge de famille, de 78,39 euros brut/jour pour les isolés et de 57,01euros par jour pour les cohabitants. Il s’agit aussi d’un régime en six jours, peu importe le régime de travail avant le début de l’incapacité.
4 file://office.fonsoc.be/share/utilisateurs/anne.liesse/Mes%20documents/incapacite/etude_si_absenteisme_incapacite_primaire_analyse_2011_2016.pdf
5 https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/etude_si_facteurs_explicatifs_invalides_2007_2016.pdf
Invalides par sexe
Source : INAMI, Service des indemnités, Etude, Facteurs explicatifs de l’augmentation du nombre d’invalides – Régime général et régime des indépendants. 2018, p. 15.
Comme le montre le graphique suivant, le nombre d’ouvriers en incapacité de travail est d’environ 2,5 fois plus élevé que celui des employés. Cela amène à questionner la prolongation de la durée de carrière tout en ne permettant pas de sortie du marché du travail, en particulier pour les métiers ouvriers.

Invalides par sexe et état social
Source : INAMI, Service des indemnités, Etude, Facteurs explicatifs de l’augmentation du nombre d’invalides –Régime général et régime des indépendants. 2018, p. 17.
Les travailleurs en invalidité peuvent être répartis en 17 groupes de maladies. Les tumeurs, les troubles psychiques, les maladies du système nerveux, les maladies cardiovasculaires, les maladies du système locomoteur et du tissu conjonctif ainsi que les lésions traumatiques et les intoxications constituent 6 groupes de maladies qui représentent 88,57% du nombre total d’invalides en 2016. Le graphique suivant montre que les troubles psychiques et les maladies du système locomoteur et du tissu conjonctif constituent les deux causes principales de l’invalidité.

Pourcentage d’invalides par groupe de maladies – Total
Source : INAMI, Service des indemnités, Etude, Facteurs explicatifs de l’augmentation du nombre d’invalides –Régime général et régime des indépendants. 2018, p. 17.


Enfin, les entrées en invalidité se situent principalement dans le groupe d’âge 45-59 ans. Les personnes sortent de l’invalidité lorsqu’elles reprennent le travail, lorsque l’âge de la retraite est atteint, lorsque l’invalidité est refusée ou, bien entendu, si elles sont décédées.
Lorsqu’ils le peuvent et le souhaitent, les travailleurs qui tombent malades devraient pouvoir bénéficier d’un accompagnement pour réintégrer progressivement leur travail ou bénéficier d’un travail adapté. Un système d’autorisation de reprise du travail et des parcours de réintégration au travail existent. Pour l’année 2016, ce sont 72.334 autorisations de reprises partielles d’activité qui ont été délivrées, soit deux fois plus par rapport à l’année 2013 où 34.447 personnes étaient concernées.
5. Comprendre les causes et l’évolution de la croissance exponentielle du nombre de travailleurs en invalidité
Le système d’indemnisation de l’incapacité de travail est un excellent baromètre de notre monde du travail. Il est traversé par deux tendances inquiétantes de l’évolution du marché du travail : d’une part, la persistance d’un taux d’emploi très bas pour les 55-64 ans (que les mesures coercitives en matière de pensions ne vont certainement pas aider à résoudre) et, d’autre part, des décrochages de plus en plus précoces observés chez les jeunes travailleurs en raison, notamment, de l’augmentation constante du stress au travail, mal endémique de ce début de siècle.
Les causes de l’augmentation du nombre de travailleurs salariés en invalidité sont désormais bien connues. Elles pèsent mécaniquement sur le nombre de personnes à risque et le nombre effectif de travailleurs malades.
Tout d’abord, le vieillissement de la population active. Sur ces dix dernières années, la population des 20-64 ans a augmenté de 10%. Dès lors, le nombre de travailleurs indemnisables susceptibles d’entrer en incapacité de travail augmente fortement, surtout dans les catégories d’âge plus avancées. De plus, la population active travaillant de plus en plus longtemps, le risque d’invalidité augmente. Cela entraîne une augmentation mécanique du nombre d’invalides.
Ensuite, la participation accrue des femmes au marché du travail. Le taux de participation des femmes sur le marché du travail jusqu’à un âge plus avancé a très fortement augmenté. Le nombre de femmes titulaires indemnisables a gonflé la cohorte des travailleurs. Elles ont augmenté de 32% entre 1997 et 2016. On constate, en outre, que les femmes sont plus vulnérables en matière d’incapacité de travail. Elles présentent davantage de risques de tomber en incapacité de travail.
Enfin, la hausse du nombre des maladies psychosociales et des maladies musculo-squelettiques qui se poursuit. Les pathologies du système locomoteur sont la première cause d’invalidité dans le secteur ouvrier (31% chez les hommes et 34% chez les femmes, en 20166). Viennent ensuite les troubles psychiques. Chez les employés, ce sont les affections psychiques qui sont responsables de plus de 41% du nombre total d’invalidités (année 2016).
Si l’évolution des tendances démographiques et sociales et le développement des nouvelles affections liées au stress professionnel (burn-out, dépression, etc.) expliquent en grande partie la croissance du nombre d’invalides, il faut aussi considérer les effets de vases communicants entre les différentes branches de la sécurité sociale.
6. Les conséquences des décisions du Gouvernement MR N-VA
Pour répondre à la tension devenant de plus en plus aigüe entre l’augmentation des dépenses et les cotisations du travail qui n’augmentent pas proportionnellement autant, le Gouvernement fédéral MR N-VA a choisi de prendre des mesures pour réduire les dépenses. L’objectif de ces mesures était d’atteindre un équilibre budgétaire entre les dépenses et les recettes de la sécurité sociale et non d’adapter le système d’incapacité aux besoins des travailleurs.
La compression des dépenses a été réalisée par deux voies. La première vise à réduire les montants de l’incapacité de travail et les bénéficiaires. La deuxième vise à lutter contre la fraude en responsabilisant les médecins, les mutuelles, les patients par plus de nouvelles règles, plus de contrôles et une sanction. Il a également mis en œuvre des trajets de réintégration au travail des malades de longue durée. Les employeurs ont quant à eux été associés dans les trajets de réintégration mais sans obligation d’adapter le poste de travail de ses travailleurs.
6.1. La révision des montants de l’incapacité de travail des salariés
La mesure de limitation pour les chômeurs qui tombent malades
Jusqu’au 31 décembre 2014, lorsqu’un demandeur d’emploi percevait des allocations de chômage et tombait malade, le montant des indemnités d’incapacité de travail était aligné sur le montant des allocations de chômage (qu’il aurait reçues s’il n’était pas tombé malade). Ce mécanisme s’appliquait pendant les six premiers mois de l’incapacité. Cela signifie que le chômeur recevait le montant qui lui était le plus favorable.
Depuis le 1er janvier 2015, si le montant des allocations de chômage est plus élevé que le montant de l’incapacité de travail, la personne reçoit le montant de l’incapacité (c’est-à-dire le montant le plus bas). Dans les faits, le chômeur qui tombe malade est pénalisé car une allocation de chômage est égale à un pourcentage de 65 % de la rémunération brute plafonnée et le montant de l’incapacité de travail est équivalent à 60% de la rémunération perdue plafonnée. Le montant de l’allocation de chômage est plus avantageuse, d’autant qu’il existe un montant
6 https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/etude_si_facteurs_explicatifs_invalides_2007_2016.pdf
minimum. Le système de minima dans le système d’incapacité n’existe qu’à partir du septième mois. Il s’agit véritablement d’une double peine : non seulement l’assuré est malade mais, en plus, on lui réduit le montant des indemnités d’incapacité.
La révision du salaire de référence
Depuis le 31 décembre 20167, le montant des indemnités est déterminé sur la base de la rémunération journalière moyenne à laquelle le travailleur avait droit le dernier jour du deuxième trimestre précédent celui du risque8. Avant le 31 décembre 2016, le calcul de l’indemnité se faisait sur base du dernier salaire perçu.
De plus, les primes (et avantages similaires) qui ne sont pas liées aux prestations ainsi que les heures supplémentaires qui ne représentent pas 10% au moins de la rémunération totale ne sont plus prises en compte dans le salaire de référence. Vu la progression liée à l’ancienneté, le salaire de référence est donc moins élevé que le salaire au moment de la maladie.
La neutralisation du salaire garanti
La « neutralisation du salaire garanti » signifie qu’en cas de rechute ou d’une autre maladie ou accident (à l’exception d’une maladie d’origine professionnelle ou d’un accident du travail), le travailleur n’a pas droit au salaire garanti. Il perçoit directement des indemnités d’incapacité de travail via sa mutualité. Il n’existe plus de distinction entre « rechute » et « autre maladie ou accident ». Concrètement, cela s’applique à tous les cas de figure : en cas de reprise d’un travail adapté ou d’un autre travail chez un même employeur ou chez un autre employeur, au cours d’une période de reconnaissance de l’incapacité de travail, lorsque le travailleur doit cesser son activité en cas de maladie (autre qu’une maladie professionnelle) ou d’accident (autre qu’un accident du travail ou survenu sur le chemin du travail). Cela s’applique aussi au cours d’une période de reconnaissance de l’incapacité de travail et pour laquelle le salaire garanti initial n’a pas encore été totalement payé par cet employeur du fait de cette reprise (il y a donc encore un solde). Cette mesure est d’application depuis le 9 janvier 2017.
La prolongation du stage pour les incapacités de travail
Depuis le 1er avril 2017, le stage requis pour l’ouverture du droit aux indemnités d’incapacité de travail est passé de 6 mois à 12 mois. Cela signifie que si le travailleur tombe malade pendant la première année de travail (période de stage), il ne recevra pas d’indemnité d’incapacité de travail. Cette mesure touche principalement les jeunes qui entrent sur le marché de l’emploi.
La modification des règles de cumul d’une indemnité et d’un revenu professionnel en cas de reprise partielle du travail (autorisé)
Dans l’ancien système, le revenu perçu par l’assuré dans le cadre de son travail autorisé constituait l’élément clé. Il maintenait ses indemnités complètes si le montant du revenu professionnel perçu dans le cadre de son activité autorisée se situait sous la première tranche de revenus. Il n’y avait pas de limite dans le temps pour le travail adapté.
Depuis le 1er avril 2018, l’assuré perçoit des indemnités complètes pour autant que le travail adapté n’excède pas 1/5 temps (20%). Si le travail autorisé dépasse 1/5 temps (20%), l’indemnité est réduite de 20%. Ainsi, par exemple, une personne qui reprend un travail adapté à mi-temps (19 heures en moyenne par semaine de travail adapté pour 38 heures en moyenne par semaine de travail à temps plein) verra ses indemnités réduites de 30 % (50 % - 20 %). Concrètement, si les indemnités d’incapacité primaire s’élèvent, par exemple, à 70 euros brut par jour, les indemnités passeront à 49 euros brut par jour. Les revenus sont quant à eux adaptés au temps de travail presté (dans ce cas-ci, le salaire sera équivalent à un mi-temps).
Cette mesure s’avère extrêmement défavorable aux bas revenus et ne constitue plus un incitant à reprendre le travail volontairement.
6.2. La lutte contre la fraude
Jusqu’au 1er juillet 2016, un double contrôle était effectué lors de l’entrée en invalidité, soit après un an de maladie. Ce double filtre est maintenant avancé de 6 mois et est réalisé au septième mois d’incapacité de travail. Concrètement, cela signifie que les médecins inspecteurs de l’INAMI peuvent dès lors mettre fin à l’incapacité de travail à partir du premier jour du septième mois et même contre une décision du médecin conseil (médecin de la mutuelle). Avancer ce double filtre a clairement pour but de limiter le nombre d’entrées en invalidité.
Les médecins prescripteurs sont quant à eux responsabilisés face à l’octroi de jours de congé d’incapacité. Ils sont suspectés par le Gouvernement MR N-VA de délivrer trop facilement des certificats médicaux et sont mis sous monitoring. Ils doivent désormais inscrire une date de fin sur le certificat. Selon une étude des Mutualités libres réalisée en avril 2017, ce nouveau certificat permet de réduite de 9 jours la période moyenne d’arrêt de travail. Les médecins ne peuvent plus prescrire une période indéterminée d’arrêt de travail.
Concernant les trajets de réintégration des malades de longue durée, les mutuelles sont elles aussi responsabilisées via un mécanisme de paiement en fonction du nombre de travailleurs réintégrés. Cette problématique a fait l’objet d’un Etat de la question de l’IEV, rédigé par Benoit Anciaux9
7. Vers un système qui promeut un environnement de travail favorable a la sante du travailleur et au bien-être au travail
La sécurité sociale moderne ne peut plus se concevoir uniquement sous l’angle d’une indemnisation du risque social. Afin de répondre aux besoins de la population, elle doit aussi offrir une série de services à ses bénéficiaires en vue d’augmenter leur niveau de protection.
Un travailleur écarté du marché de l’emploi en raison de la maladie ou du handicap a droit, dans le cadre d’un trajet intégré, à des soins de qualité, une indemnisation correcte et des perspectives de retour à l’emploi (si sa santé le permet bien entendu). Cette vision positive du retour à l’emploi devrait s’envisager en termes de droits et non de contraintes.
Les programmes obligatoires de retour à l’emploi, tels que mis en place par le gouvernement fédéral MR N-VA, ne donnent aucun résultat dès lors qu’ils sont conçus en fonction d’objectifs purement budgétaires. Ils sont basés sur l’idée fausse que les travailleurs malades se complaisent dans les aides sociales alors que tous les indicateurs démontrent, au contraire, que ceux-ci souhaitent reprendre le travail dès que leur état de santé le permet et qu’ils ne sont en rien responsables des obstacles qui se dressent sur ce chemin.
La responsabilisation ne doit pas être imposée à travers une pénalisation financière. Il faut, au contraire, définir des programmes incitatifs basés sur des obligations de moyens comme, par exemple, la mise en place d’un suivi individualisé systématique des travailleurs ayant décroché ou sur le point de le faire.
Le droit du travail devrait également être plus protecteur. Le licenciement pour cause d’inaptitude physique reste trop facile. Le droit du travail devrait intégrer une période de protection comme par exemple une obligation à charge de l’employeur d’offrir aux travailleurs malades un plan de reclassement ou de formation.
D’autre part, la législation ne tient pas assez compte des besoins des personnes souffrant de maladies chroniques. Le monde du travail belge est un des moins inclusifs pour ces personnes. Elles ne peuvent être enfermés dans un système binaire travail/non travail et doivent pouvoir bénéficier d’aménagements de carrière pour s’absenter pendant leurs traitements ou prendre des périodes plus ou moins longues de congés de maladie pour vivre sereinement les aléas de leur pathologie sans risquer de perdre leur emploi. Sans évolution positive en faveur du travailleur, une part très importante de la force de travail restera sur le carreau.
Si notre pays peut se targuer de disposer d’un bon système curatif, il compte de plus en plus de jeunes en
9 Benoît Anciaux, Incapacité de travail : le trajet de réintégration professionnelle, Etat de la question de l’IEV, décembre 2017, https://www.iev.be/#/Note_Analyse/Incapacite_de_travail__le_trajet_de_reintegration_professionnelle/9431.
incapacité de travail de longue durée suite à des problématiques psychiques. La prise en charge des problèmes de santé mentale présente de nombreuses carences dans notre système de soins de santé et sur les lieux du travail. Ainsi, par exemple, le burn-out est symptomatique de notre époque de compétition exacerbée, de pression permanente et d’immédiateté. Il progresse de manière inquiétante. Il est grand temps de l’admettre et de le reconnaître comme une maladie professionnelle et non de le considérer comme un simple risque lié au travail. Les troubles de santé mentale sont et seront un des principaux défis de notre système de sécurité sociale, avec le vieillissement. Selon l’OMS, il s’agira de la deuxième cause d’invalidité dans le monde à l’horizon 2030.
Les nouveaux défis de la prévention invitent à réfléchir au décloisonnement des politiques actuelles. Il faut mettre en place un véritable réseau préventif tissé autour du travailleur pour l’aider à prévenir l’incapacité de travail. Ce réseau pourrait être basé sur la détection précoce des risques d’invalidité et sur des stratégies de maintien sur le poste du travail. Il associerait les médecins traitants, les médecins conseils et les médecins du travail.
Lorsqu’ils tombent malades, un soutien approprié aux travailleurs en incapacité de travail est nécessaire. Ensuite, il faut favoriser le retour sur le marché du travail.
Enfin, il est indispensable d’entamer une réflexion sur la transition entre l’invalidité, la pension de retraite et le chômage afin d’éviter les jeux de vases communicants qui se développent entre ces trois régimes de la sécurité sociale au fur et à mesure que le Gouvernement MR NVA prend des mesures de restriction tant dans le chômage que dans les pensions.
8. Conclusion
Toutes les incapacités de travail ne sont bien entendu pas évitables mais leur survenance peut être repoussée et leur durée réduite grâce à des interventions précoces et coordonnées entre les différents acteurs.
A l’heure actuelle, notre sécurité sociale n’est pas outillée pour faire face aux défis de la santé au travail.
Sans évolution favorable au bien-être du travailleur, la force de travail de demain entrera donc sur le marché de l’emploi avec un passif en termes de santé mentale plus important que toutes les générations qui l’ont précédée. Il s’agit d’une bombe à retardement pour notre système de l’indemnisation de l’incapacité de travail. Le sousinvestissement chronique dans la médecine du travail et les systèmes de prévention des risques psychosociaux amplifieront cette tendance.