L'assurance chomage-2018

Page 1

ETAT DE LA QUESTION

L’ASSURANCE CHÔMAGE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

Benoit ANCIAUX

DÉCEMBRE 2018

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
POUR UNE RÉFORME
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Les allocations de chômage 4 2.1. La modulation familiale des allocations 4 2.2. Le plan d’activation de recherche d’emploi 5 2.3. La dégressivité 5 2.3.1. Première période de chômage (12 premiers mois) 6 2.3.2. Deuxième période (36 mois maximum) 6 2.3.3. Troisième période 6 2.3.4. Conclusion 6 2.4. Les attaques directes et indirectes du gouvernement MR N-VA 7 2.4.1. Dégressivité « accélérée » en fonction du passé professionnel 7 2.4.2. Suppression des compléments d’ancienneté 8 2.4.3. Travailleurs à temps partiel avec allocation de garantie de revenus 8 2.4.4. Raisons sociales et familiales 9 2.4.5. Chômage pour raison économique 9 2.4.6. Contrôle de la disponibilité active 9 2.4.8. Visites domiciliaires 10 3. Sécurité sociale et aide sociale 11 4. Les allocations d’insertion 11 4.1. La nature du régime de l’indemnisation sur base des études 11 4.2. La condition méconnue de la nationalité 12 4.3. La limitation dans le temps 12 4.4. Les mesures drastiques prises par le gouvernement MR N-VA 12 5. Une réforme structurelle des allocations de chômage 13 5.1. L’individualisation des droits 13 5.2. La dégressivité des allocations et le principe assurantiel 14
Etat de la Question 2018 • IEV 3 5.3. Les travailleurs à temps partiel 14 5.4. Un soutien réel à la jeunesse 15 5.5. L’activation du comportement de recherche d’emploi 15 6. Conclusion 16

1. Introduction

Mieux adapter l’offre à la demande est le défi le plus important auquel notre marché du travail est (et sera) confronté aujourd’hui (et demain). Il ne s’agit pas d’un phénomène qui touche exclusivement les demandeurs d’emploi mais aussi les travailleurs actifs qui sont de plus en plus exposés aux transformations économiques et technologiques. Tant pour les premiers que pour les seconds, le risque de « déclassement » est réel, surtout pour les moins qualifiés1

« De la destruction de certains emplois à la modification profonde des relations de travail (individualisation des relations entre travailleurs et employeurs, structure en réseau et non plus pyramidale, etc.), la révolution numérique va avoir des conséquences non négligeables sur l’emploi (…). Dans le même temps, l’économie 4.02 créera de nouvelles formes d’emplois desquels découleront des nouveaux statuts »3

De manière générale, on restera prudent sur ce qu’on appelle « les métiers de demain ». Il est préférable d’appréhender le phénomène sous l’angle de l’évolution des fonctions. « Car à l’avenir, on va passer d’une logique de métier à celle de portefeuille de compétences, avec une hybridation progressive des fonctions »4

D’autre part, bien qu’ils évoluent aussi au niveau fonctionnel, des métiers dits « classiques » (carreleur, carrossier, infirmier, boucher, cuisinier, etc.) sont aussi des métiers d’avenir car ils souffrent actuellement de pénuries pour diverses raisons.

Certains se plaisent à penser qu’il suffit d’opposer les chiffres du nombre d’emplois perdus à ceux des métiers en pénurie pour lesquels il y aurait quelques 143.000 offres d’emplois non satisfaites. Le slogan du « il n’y a qu’à » relève du populisme. Il évacue d’emblée quatre problématiques qui sont au cœur même du différentiel entre l’offre et la demande : les qualifications « immédiates » exigées par les employeurs5, les conditions de travail6, les ambitions personnelles du travailleur7 et un régime d’allocations de chômage qui glisse dangereusement sur la pente de l’assistance8

S’il est donc primordial de renforcer les instruments dont disposent les pouvoirs publics et les partenaires sociaux afin qu’ils assurent cette transition9 dans une logique prospective du marché de l’emploi, il est tout aussi important de garantir à la fois des emplois durables et de qualité et des moyens suffisants pour que les demandeurs d’emploi et les travailleurs actifs puissent y accéder et - surtout - s’y maintenir.

Notre marché du travail est confronté à deux tendances lourdes.

La première est le « déclassement » que l’on observe sur le terrain qui aboutit, certes, à une diminution des emplois peu qualifiés mais pas à une diminution des emplois précaires. Au contraire, les travailleurs peu qualifiés sont de plus en plus soumis à la concurrence de personnes de niveau de qualification intermédiaire, qui les évincent même dans la catégorie des professions dites « élémentaires ». Il s’ensuit que les exigences du marché - s’appuyant sur le gouvernement MR N-VA - fragmentent l’emploi au lieu de le construire, avec son cortège d’insécurité : « braderie » salariale, explosion du temps partiel, passage quasi-obligé par l’intérim (avec parfois une « fidélisation » via des contrats à durée indéterminée), moindre protection sociale, etc.

1 Les offres d’emploi qui exigent peu de qualification ne cessent de diminuer.

2 L’économie 4.0 (phénomène de numérisation des activités de l’économie, quatrième révolution industrielle) est entièrement bâtie sur un nouveau concept d’organisation des moyens de production et de distribution. Son fil directeur est la convergence du monde virtuel et de la gestion (finance/marketing) avec le monde réel, c’està-dire en personnalisant - via (entre autres) la robotisation - la production des biens et services (ce qui implique une limitation ou même une disparition des volumes « standardisés »).

3 170 engagements pour un futur idéal (PS), Emploi pour tous (chapitre 5), p. 67.

4 Le Forem a identifié les métiers de demain, interview de Jean-Claude Chalon, directeur du service Analyse et prospective du marché de l’emploi (Amef), dans le journal Le Soir du 2 février 2018.

5 Critères qualitatifs exigés par les employeurs (diplôme avec spécialisation, expérience professionnelle dans le secteur, connaissance approfondie des langues, etc.). Souvent les critères sont excessifs. Les employeurs veulent des travailleurs opérationnels tout de suite (« clés sur porte ») alors que la formation continuée en entreprise est peut-être le meilleur gage de réussite pour éliminer les fonctions dites « critiques ».

6 Les conditions de travail ne se limitent pas à la pénibilité (horaires coupés, travail lourd, …). Elles renvoient aussi à des salaires souvent trop bas par rapport aux exigences des employeurs.

7 On peut souscrire à une obligation de « mise à niveau » dans une activité professionnelle mais, en aucun cas, on ne peut adhérer à un système qui obligerait un demandeur d’emploi à se recycler dans une profession pour laquelle il n’a aucune motivation ou aucune possibilité matérielle de la poursuivre à terme.

8 Un régime de chômage qui n’assure pas la sécurité d’existence est inacceptable et empêche l’assuré social de rechercher un emploi dans de bonnes conditions. Il génère une image négative de soi, de l’isolement social, des problèmes de santé et/ou de logement, etc. On peut se référer notamment à certains passages d’un article publié dans le mensuel Démocratie - Les chômeurs : tous des glandeurs !?, 2 février 2014, revue-democratie.be (rubrique Social > Protection sociale) - Ecrit par Christine Steinbach.

9 Partenariat entre les services régionaux et les opérateurs et/ou acteurs du marché (centres de compétence, etc.), formation en alternance, stages, formation continuée dans les entreprises, mesures sectorielles en faveur des groupes à risque, outplacement de qualité, …

Etat de la Question 2018 • IEV 4

La seconde tendance est l’apparition de nouveaux « concepts » économiques qui remettent parfois ouvertement en cause les fondements de notre droit du travail, de notre modèle social et de notre modèle fiscal. L’ubérisation qui est une forme extrême de l’économie de plateforme10 exploite les failles juridiques de notre système socioéconomique et crée de la concurrence déloyale et du dumping social (faux indépendants, contrats précaires, paiement à la pièce, contournement des lois sociales, etc.). On assiste aussi à la multiplication des boulots dits « d’appoint » qui bénéficient d’une exonération sociale et fiscale : les flexi-jobs (d’abord dans le secteur horeca puis étendus dans d’autres secteurs) et, plus récemment, les prestations effectuées au sein des sites agréés de l’économie de plateforme11 et la mesure « 500 euros par mois » pour les jobs de « proximité » ou de « temps libre » dont les avantages sont curieusement présentés par le gouvernement comme « le prix de la cohésion sociale ».

La « nouvelle économie » qui se dessine démontre la dérégulation de plus en plus forte de notre marché du travail. Le présent Etat de la question n’a pas pour objet d’étudier l’état actuel et les perspectives du marché du travail en Belgique. De nombreuses études existent à ce sujet et, à ce propos, on peut se référer utilement aux travaux prospectifs du FOREM (percevoir les évolutions futures des secteurs et métiers afin d’influencer l’offre de prestation pour répondre aux besoins de demain)12. Notre analyse, ici, se limite à un fondement de notre sécurité sociale, celui de l’assurance chômage qui est mise à mal depuis plusieurs décennies. Elle vise également à approfondir certaines propositions issues du Chantier des idées13

2. Les allocations de chômage

2.1. La modulation familiale des allocations

Dans le régime du chômage, la différentiation « travailleur ayant charge de famille », « travailleur isolé » et « travailleur cohabitant » peut apparaître de diverses manières. La plus connue est le taux différencié (qui n’apparaît aujourd’hui qu’en seconde période de chômage) mais la sélectivité s’exerce aussi via les minimums et les maximums.

Le caractère lié à la famille de notre assurance chômage existait dès le début de la sécurité sociale obligatoire. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à l’article 7, § 1er, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés qui dispose encore aujourd’hui : « Dans les conditions que le Roi détermine, l’Office national de l’emploi a pour mission de (…) i) assurer, avec l’aide des organismes créées ou à créer à cette fin, le payement aux chômeurs involontaires et à leur famille des allocations qui leur sont dues ». La dualité de l’assurance chômage qui s’exprime par un caractère « en partie individuel » et « en partie lié à la famille » sera confirmée par des législations ultérieures. Ainsi, si l’article 7 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés se contente (sans plus) d’affirmer que les assurés sociaux en chômage involontaire complet ou partiel ont droit à un revenu de remplacement, la disposition est immédiatement « rattrapée » par l’article 3 qui définit l’objectif de la sécurité sociale (dans l’ensemble de ses branches) comme étant l’attribution d’un revenu de remplacement (ou de complément) afin de préserver le travailleur des conséquences de certains risques du travail, de certaines situations de famille et conditions de vie.

La sélectivité familiale va être renforcée en période de crise et servir d’appui aux mesures prises pour tenter de maintenir l’équilibre financier de la sécurité sociale.

Dans les années 80, les deux gouvernements Martens-Gol ont surtout réduit les droits des chômeurs non chefs de ménage. Ce sont évidemment les femmes qui payeront l’essentiel de la facture des « inflexions familialistes » de la politique menée par les gouvernements sociaux-chrétiens - libéraux14. Ainsi, les droits des cohabitant(e)s seront réduits à pas moins de quatre reprises : deux atteintes structurelles aux taux d’indemnisation15, une diminution de la seconde période de chômage16 et l’instauration d’un mécanisme d’exclusion pour « chômage anormalement

10 A ce propos, voir L’économie collaborative et l’économie de plateforme pour construire une société plus juste, Nathan Lallemand, Etat de la Question (IEV), décembre 2016.

11 Loi « De Croo ». Si le travailleur (peu importe son statut) perçoit un revenu inférieur à 5.000 euros brut par an, le taux d’imposition est de 10%.

12 https://www.leforem.be

13 170 engagements pour un futur idéal (PS).

14 La contradiction avec les politiques qui visent à encourager les femmes à intégrer le marché du travail saute aux yeux. De plus, l’inégalité de genre est accentuée par les dispenses de disponibilité accordées par l’ONEM qui profitent en très grande majorité aux hommes (prépensions, etc.).

15 Arrêtés royaux du 30 mars 1982 et du 8 août 1986.

16 En 1986, la seconde période (12 mois) sera réduite de 6 mois (avec prolongation de 3 mois par année de travail).

Etat de la Question 2018 • IEV 5

long » dont l’application dépendra des revenus du ménage17. Notons que, depuis 1981, les cohabitants qui entraient en troisième période de chômage étaient déjà pénalisés par l’introduction d’une indemnité forfaitaire (égale à 40% du revenu minimum mensuel moyen garanti) sauf s’ils pouvaient prouver 20 ans de travail salarié ou une incapacité de travail d’au moins 33%.

On peut affirmer que Martens-Gol a été le catalyseur d’un régime de chômage de plus en plus sélectif basé sur l’état de besoin réel ou supposé des ménages. Si l’assurance sociale est par essence antinomique avec une enquête sur les moyens d’existence, cette dissociation doit fortement être nuancée. En effet, afin de déterminer si le taux « chef de ménage » peut être octroyé au travailleur qui perd son emploi, l’état de besoin est appréhendé par divers critères de revenus18 (de remplacement ou même de travail) dont disposent les personnes qui composent la cellule familiale de celui (ou de celle) qui perd son emploi.

Cette logique engendre des inégalités entre assurés sociaux. L’aspect « patriarcal »19 est désexualisé mais au profit de qui est considéré comme le moteur économique d’une cohabitation, l’homme le plus souvent.

2.2. Le plan d’activation de recherche d’emploi

C’est sous le deuxième gouvernement Verhofstadt (2003/2007) que la responsabilité « mesurée » des demandeurs d’emploi a vu le jour par rapport à leur propre insertion sur le marché du travail20

La disponibilité active devient une nouvelle condition pour le maintien21 des allocations de chômage. Auparavant, seule la disponibilité dite « passive » (dont la notion n’était pas aussi vaste qu’aujourd’hui) était contrôlée à l’exception de l’article 80 qui permettait aux chômeurs cohabitants menacés d’exclusion de prouver des efforts exceptionnels dans leur recherche d’emploi.

Le nouveau dispositif est une condition supplémentaire pour le maintien des droits au chômage. Pour les jeunes qui sortent des études, il est aujourd’hui une condition supplémentaire pour l’octroi et le maintien des allocations d’insertion (ex-allocations d’attente). Le plan d’activation a fait couler beaucoup d’encre et a suscité de nombreuses polémiques. Certes, il est impossible d’assurer une parfaite égalité des deux parties dans le processus. Dans le chef du « facilitateur », il y a toujours le risque de la subjectivité réelle ou d’une évaluation dictée par la contrainte qu’elle soit budgétaire ou tout simplement liée à un « effet de groupe »22. Dans le chef du chômeur, de fausses recherches d’emploi et des jeux de manipulation sont également possibles.

La philosophie du plan d’activation ne repose pas sur une « standardisation » qui induirait qu’il existe un « commun dénominateur » dans tout chômeur convoqué pour une évaluation. Une carence constatée dans le comportement doit tenir compte du profil socio-professionnel, de l’âge et des conditions de vie de l’assuré social. C’est l’objet même de la « contractualisation » qui intervient à l’issue d’un premier entretien s’il s’avère négatif.

En résumé, les allocations octroyées aux chefs de ménage et aux isolés sont réduites pendant quatre mois aux montants du revenu d’intégration sociale (RIS) à l’issue d’un second entretien négatif. Quant aux cohabitants, leurs allocations sont purement et simplement supprimées pendant quatre mois. A l’issue d’un troisième entretien négatif, les chefs de ménage et les isolés continuent à percevoir l’équivalent du RIS pendant six mois puis c’est l’exclusion définitive. Par contre, les cohabitants sont directement exclus.

2.3. La dégressivité

Un rappel de la réglementation actuelle s’impose.

La réforme intervenue en 2012 n’a pas modifié le nombre de périodes de chômage (il y en a trois) mais cellesci sont subdivisées autrement, un peu mieux indemnisées pendant les trois premiers mois, plus rapidement dégressives par la suite.

17 Le fameux « article 80 » de la réglementation du chômage.

18 Et non pas des « ressources » (revenu cadastral, revenus de biens mobiliers, etc.) comme dans les enquêtes effectuées par les CPAS pour l’attribution du minimum de moyens d’existence.

19 170 engagements pour un futur idéal, op.cit. (Chapitre 14, Protections sociales, p.139).

20 La responsabilité « mesurée » signifie qu’il n’y a pas une obligation de résultat dans le chef du chômeur mais bien une obligation de moyens.

21 Le maintien et non pas l’octroi des allocations, sauf pour les jeunes qui sortent des études qui verront une accessibilité aux allocations d’insertion de plus en plus contraignante à partir de 2012.

22 Un facilitateur peut subir des pressions de la part de ses collègues parce qu’il serait trop « laxiste ».

Etat de la Question 2018 • IEV 6

2.3.1. Première période de chômage (12 premiers mois)

L’indemnisation est égale à 65% du salaire plafonné pour les trois premiers mois (plafond salarial supérieur). Elle est égale à 60% pour les trois mois suivants (même plafond salarial) et à 60% pour les six derniers mois mais avec un plafond salarial moindre (plafond salarial moyen). Pendant la première période, le taux d’indemnisation et le plafond salarial sont donc les mêmes pour toutes les catégories mais le minimum diffère selon la situation familiale.

La dégressivité s’exerce donc (déjà) de trois manières : le taux diminue de 5% après trois mois de chômage, le plafond salarial diminue après six mois, le minimum est modulé en fonction de la composition du ménage dès le début de la première période.

2.3.2. Deuxième période (36 mois maximum)

Pendant toute la deuxième période, le taux d’indemnisation est différent selon la catégorie à laquelle appartient le chômeur. Les chefs de ménage conservent 60% de leur rémunération plafonnée, les isolés sont indemnisés à concurrence de 55% et les cohabitants à concurrence de 40%.

Le plafond salarial se réduit pour les trois catégories (plafond salarial de base). Le minimum est identique à celui de la première période à l’exception du minimum « cohabitant » qui commence à se réduire à partir de la troisième sous-période.

Dans cette seconde période, il existe trois sous-périodes :

• la première sous-période est fixe (deux mois) ;

• la seconde se calcule à concurrence de deux mois par année de travail salarié (avec un maximum de dix mois) ;

• la troisième (pour autant qu’il reste un solde après les dix mois) se calcule à concurrence de deux mois par année de travail (avec un maximum de 24 mois) mais une dégressivité intervient tous les six mois (donc quatre phases de six mois maximum).

Avec une telle mécanique, on comprendra que celui qui ne comptabilise pas cinq ans de passé professionnel passe rapidement à la troisième période de chômage, donc au forfait. Exemple : un travailleur a un passé professionnel de troi ans. Son indemnité « assurance » couvrira 12 mois (première période) + 2 mois (sous-période fixe de la seconde période) + 6 mois (sous-période variable de la seconde période) = 20 mois. Après cette période, l’indemnité est forfaitaire (troisième période).

Il existe des exceptions qui tiennent compte du passé professionnel (25 ans), de l’incapacité (inaptitude d’au moins 33%) ou de l’âge (55 ans). Pour le chômeur concerné, le montant de l’allocation auquel il a droit au cours de la seconde période est maintenu pour une durée indéterminée.

2.3.3. Troisième période

Les montants sont forfaitaires et n’ont plus aucun lien avec le salaire perdu. Ils varient en fonction de la configuration familiale de l’intéressé.

2.3.4. Conclusion

Les explications qui ont été données ci-dessus n’ont pas la prétention d’épuiser la complexité du fonctionnement de la dégressivité dans toutes les situations que peuvent avoir les demandeurs d’emploi vis-à-vis de l’ONEM. Mais elles démontrent la dérive vers un système où l’idée du « chômeur responsable de sa situation » supplante insidieusement le principe du droit à un revenu de remplacement acceptable.

Notre sécurité sociale a été bâtie (notamment) sur le principe que chaque assujetti doit avoir une perspective claire de ses droits et de l’évolution de ses revenus en cas de perte d’emploi, de maladie ou de départ à la retraite. Quelle est la prévisibilité de sécurité d’existence encore possible pour un demandeur d’emploi indemnisé ?

Etat de la Question 2018 • IEV 7

Il existe un tableau « technique » (avec une multitude de codes différents et de renvois à des dispositions réglementaires) qui se trouve en annexe de l’article 114, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation générale du chômage. Nous le reproduisons, ici, pour que le lecteur comprenne bien ce « à quoi » sont confrontés les chômeurs.

Période

(1) durée indéterminée, s’il est satisfait au § 2, alinéa 2

(2) si non-bénéficiaire du complément d’ancienneté

(3) si bénéficiaire du complément d’ancienneté

(4) la durée à laquelle peut prétendre le chômeur est fixée au § 2, alinéa 3 ou 5

(5) la durée à laquelle peut prétendre le chômeur est fixée au § 2, alinéa 4 ou 5

(6) pas d’application - voir les § 1er, alinéa 3 et 4, § 2 et § 4

(7) pas d’application - voir les §§ 3 et 4

2.4. Les attaques directes et indirectes du gouvernement MR N-VA

La ligne directrice du gouvernement actuel n’est pas de cibler de nouvelles économies sur les cohabitants (dont le statut a été rabaissé à des limites difficilement franchissables) mais de s’en prendre directement et indirectement (par le biais de la réforme des pensions) à tous les chômeurs au travers des divers mécanismes d’assurance et de solidarité.

Les atteintes - version « Michel » - à la redistribution des revenus fondée sur la solidarité se distingue même au niveau du saut d’index dont la linéarité tranche avec les sauts d’index annuels appliqués pendant trois années à partir de 1984, lesquels ont été « adoucis » par une prime de rattrapage accordée aux allocateurs sociaux détenteurs de revenus insuffisants (référence à l’état de besoin). Le slogan MR N-VA des « compensations » accordées par l’enveloppe « bien-être » (réduites à deux reprises sous cette législature) témoigne soit du cynisme soit de la méconnaissance d’une loi que les libéraux ont pourtant votée lors du pacte de solidarité entre les générations. Il faut garder à l’esprit que les tensions au sein des composantes du gouvernement Michel ont parfois abouti à des « aménagements » mais toujours … à la marge !

2.4.1. Dégressivité « accélérée » en fonction du passé professionnel

Depuis le 1er novembre 2016, il faut désormais comptabiliser 25 ans de travail salarié pour échapper à la dégressivité « accélérée ».

Etat de la Question 2018 • IEV 8
d’indemnisation Première période Deuxième période Troisième période Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 1 Phase 2.0 Phases intermédiaires 2.1 à 2.4
de la période, exprimée en mois 3 3 6 2 ou indéterminé (1) maximum 10 ou indéterminé (4)
4 phases intermédiaires de 6 mois ou indéterminé
indétermi-
ayant charge de famille : pourcentage et montant limite 65 pct. limite C 60 pct. limite C 60 pct. limite B 60 pct. limite A 60 pct. limite A (6) (7) Travailleur isolé : pourcentage et montant limite 65 pct. limite C 60 pct. limite C 60 pct. limite B 55 pct. limite AY (2) limite A (3) 55 pct. limite AY (2) limite A (3) (6) (7) Travailleur cohabitant : pourcentage et montant limite 65 pct. limite C 60 pct. limite C 60 pct. limite B 40 pct. limite A 40 pct. limite A (6) (7)
Durée
maximum
(5)
né Travailleur

2.4.2. Suppression des compléments d’ancienneté

A la suite de plusieurs accords interprofessionnels23, des compléments d’ancienneté ont été introduits dans la réglementation du chômage fin des années 80 à l’initiative de Philippe Busquin, Ministre des Affaires sociales de l’époque. Ces compléments étaient financés par une cotisation patronale spécifique (qui sera intégrée plus tard dans la cotisation globale) et ils étaient dus à partir de l’âge de 50 ans moyennant un an de chômage complet, une carrière de salarié d’au moins 20 ans et une demande de dispense de la disponibilité pour le marché du travail. L’objectif était de rapprocher la situation des chômeurs âgés de celle des prépensionnés afin d’enrayer le chômage structurel des jeunes.

Notons que les conditions ont évolué au fil du temps : obligation de maintenir la qualité de demandeur d’emploi jusqu’à un certain âge (avec parfois des implications sur la disponibilité active du chômeur24) et, à partir du 1er juillet 2012, relèvement à 55 ans de l’âge d’octroi des compléments (sans toucher à la condition de carrière).

Concernant le volet « chômage », la suppression des compléments d’ancienneté a été l’une des premières mesures prises par le gouvernement MR N-VA. Elle est effective depuis le 1er janvier 2015. Il existe des dérogations pour les travailleurs licenciés dans le cadre d’une restructuration d’entreprise et pour ceux qui étaient occupés dans un métier lourd mais, pour tous les autres chômeurs, la condition de carrière est désormais de 35 ans et l’âge d’éligibilité augmente de 2 ans chaque année pour atteindre finalement l’âge légal de la pension. Par conséquent, la règle générale de l’octroi de ces compléments s’éteint progressivement.

2.4.3. Travailleurs à temps partiel avec allocation de garantie de revenus

L’allocation de garantie de revenu (AGR) résulte d’un calcul complexe dont l’objectif est de permettre au travailleur à temps partiel involontaire d’obtenir davantage au niveau de ses revenus qu’une allocation de chômage complet. Environ 50.000 personnes (dont 79% de femmes) bénéficient de ce système, ce qui est très peu par rapport au nombre total de travailleurs à temps partiel.

L’AGR consiste à déduire la rémunération nette de l’allocation pour chômage complet, cette dernière étant majorée d’un supplément horaire.

A partir de 2017, l’AGR devait être purement et simplement réduite de 50% pour celles et ceux qui prestent à temps partiel depuis 2 ans. Le gouvernement estimait que ces travailleuses/travailleurs sont responsables de leur « manque de travail » et qu’il leur « suffisait » de décrocher un temps plein. Un déni total de la réalité économique. Dans certains secteurs (la grande distribution, le nettoyage, …), c’est le temps partiel ou c’est rien du tout. Le gouvernement a finalement renoncé à cette mesure pour la remplacer, à partir de 2018, par une cotisation de responsabilisation à charge des employeurs qui ne respecteraient pas leurs obligations vis-à-vis des travailleurs à temps partiel avec AGR25

Depuis le 1er janvier 2015, des mesures d’économies ont néanmoins frappé les travailleurs à temps partiel avec AGR : réduction des suppléments horaires pour les isolés et pour les cohabitants, réintégration du bonus à l’emploi dans la définition de la rémunération nette. C’est sous la pression du PS qu’en 2008, l’inclusion du bonus à l’emploi dans la rémunération nette prise en compte (pour le calcul de l’AGR) avait été supprimée. Cette inclusion augmentait le risque de piège à l’emploi car ce que l’on accordait par le bonus était repris par la réglementation du chômage.

Il convient de noter que les restrictions apportées au bénéfice de l’AGR ne sont pas l’apanage du gouvernement MR N-VA. Déjà en 2004, le régime avait subi une cure d’austérité imposée par les libéraux26

23 Les accords interprofessionnels qui avaient suivi la fermeture, en 1982, de l’entreprise de transformation de cuivre VTR à Machelen (perte de 900 emplois). Les partenaires sociaux avaient été interpellés par des situations dramatiques où des travailleurs âgés licenciés n’avaient pas droit à la prépension et qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de revendre leur maison.

24 En 2013, le contrôle de la disponibilité active a été étendu jusqu’à l’âge de 55 ans.

25 Loi-programme du 25 décembre 2017 (article 156). Depuis la loi-programme du 22 décembre 1989, les travailleurs à temps partiel involontaire ont un droit de priorité pour l’obtention d’un emploi vacant au sein de l’entreprise (travail à temps-plein ou autre travail à temps partiel plus avantageux). Pour le maintien de l’AGR, ces travailleurs sont d’ailleurs tenus d’introduire une telle demande. A défaut de sanction, il est évident que l’obligation patronale restait souvent lettre-morte.

26 Conseil des Ministres de Gembloux du 17 janvier 2004 (gouvernement Verhofstadt II, libéral-socialiste). Les libéraux ont fait « payer » les acquis socialistes obtenus lors du Conseil d’Ostende des 20 et 21 mars 2004 (mécanisme biennal de liaison au bien-être des allocations sociales et des plafonds salariaux).

Etat de la Question 2018 • IEV 9

2.4.4. Raisons sociales et familiales

La dispense de disponibilité pour le marché du travail pour raisons sociales et familiales a été purement et simplement supprimée au 1er janvier 2015. Les chômeurs (en très grande majorité des femmes) n’avaient plus qu’à choisir entre le risque d’une sanction ou la sortie « volontaire » du régime des allocations de chômage. La mesure était d’autant plus scandaleuse qu’elle touchait des personnes qui faisaient preuve d’honnêteté par rapport aux conditions d’octroi et de maintien des allocations de chômage. Il ne faut pas oublier que la dispense ne donne droit qu’à une allocation dérisoire de moins de 300 euros par mois.

Face au tollé général, le Ministre Kris Peeters a adouci la mesure mais uniquement en faveur d’un public restreint, soit les chômeurs qui se déclarent « aidants proches ». Or, la définition de l’aidant proche est strictement d’ordre médical et l’ONEM peut y apporter des restrictions faute d’un cadre légal suffisant. Il n’y a plus de marge pour d’autres situations sociales et familiales (éducation d’un enfant, problèmes de santé, de garderie, de mobilité, etc.). De nombreuses personnes s’exposent désormais à des sanctions pour non disponibilité.

2.4.5. Chômage pour raison économique

En 2013, les taux des allocations de chômage temporaire pour raison économique ont été harmonisés (70% pour tous). L’indemnisation ne dépend donc plus de la situation familiale.

Le gouvernement MR N-VA a non seulement réduit les allocations de 5% (le taux de remplacement passe ainsi de 70% à 65%) mais, depuis le 1er octobre 2016, elles ne sont attribuées - sauf exceptions - qu’aux travailleurs qui répondent aux conditions pour pouvoir bénéficier des allocations ordinaires27. Cette dernière mesure s’attaque à tous les travailleurs qui ne comptabilisent pas le nombre de jours de travail requis pour avoir droit au chômage ordinaire (ce nombre de jours augmente avec l’âge). Autrement dit, ces travailleurs sont doublement pénalisés : les difficultés de l’entreprise (avec parfois les abus patronaux que l’on connaît trop bien) et la privation de toute indemnisation. Pour les travailleurs non éligibles aux allocations ordinaires, ils n’auront « qu’à » puiser dans leurs économies, faire appel au service social de l’entreprise (s’il existe !), à la solidarité familiale ou au CPAS.

2.4.6. Contrôle de la disponibilité active

Depuis le 1er janvier 2015, il n’y avait plus de limite d’âge pour l’application du contrôle du comportement de recherche d’emploi. Celle-ci était donc applicable jusqu’à l’âge de la pension (sous le gouvernement Di Rupo, l’âge limite était de 55 ans). Cette mesure délirante ne concernait pas que les nouveaux entrants, ce qui voulait dire que des chômeurs âgés et des prépensionnés allaient brutalement devoir se justifier sur leur comportement de recherche d’emploi. Sous la pression syndicale, le Groupe des Dix était parvenu en mars 2015 à un accord sur la problématique. L’accord était divisé en deux volets : d’une part, la suppression de l’effet rétroactif ; d’autre part, la suppression de la disponibilité active pour les nouveaux entrants et l’adaptation de la disponibilité passive (dispenses accordées suivant un critère d’âge couplé à une condition de carrière).

Fidèle à ses habitudes d’écorner la concertation sociale, le gouvernement MR N-VA n’a entériné que le premier volet mais, pour le second, il a inventé le concept de « disponibilité adaptée » qui n’est ni entièrement « passive », ni entièrement « active ». Le chômeur doit être inscrit comme demandeur d’emploi et collaborer positivement (sous peine d’être sanctionné) à un accompagnement qui s’effectue conformément à un « plan d’action individuel », c’est-à-dire un plan qui doit tenir compte de son profil (expérience et compétences), de son âge, de ses besoins et de ceux du marché du travail. Ce programme est proposé par le service régional de l’emploi.

En résumé :

• A partir de leur 60e anniversaire, les chômeurs âgés ne sont plus tenus de rechercher activement un emploi mais ils doivent (en principe) répondre à la condition de « disponibilité adaptée » jusqu’à l’âge de la pension ;

• Des dispenses à la « disponibilité adaptée » sont prévues. Elles ne sont jamais automatiques (elles doivent être demandées) et dépendent de conditions strictes.

Etat de la Question 2018 • IEV 10
27 Arrêté royal du 11 septembre 2016 renforçant les conditions d’octroi des allocations de chômage temporaire pour raisons économiques versées par l’ONEM aux travailleurs.

Au regard de la réalité du marché du travail d’aujourd’hui, le gouvernement fait de l’activation une simple fin en soi (« de l’activation pour de l’activation ») parce qu’il sait très bien que les chances de retrouver un emploi sont quasi-inexistantes pour ce public.

2.4.7. Pensions

Dans une optique libérale, les périodes de chômage ne seraient pas tout à fait involontaires (certains se plaisent à penser que le chômeur de longue durée est responsable de sa situation) et elles ne comporteraient aucune « plus-value sociale »28

Le gouvernement MR N-VA a décidé que la deuxième période de chômage ne donne plus des droits à la pension que sur la base d’un droit minimum (« salaire fictif limité »), soit environ 2.000 euros brut (ce qui devrait préserver les très bas salaires). Dans la version initiale du projet, tous les chômeurs (avec ou sans complément d’entreprise) en seconde période et dont le salaire de référence était supérieur au droit minimum étaient visés, à l’exception des chômeurs avec complément d’entreprise (RCC) dans les cas de restructuration ou d’entreprise en difficulté, de métier lourd, de travail de nuit ou de carrière longue29. Après un conflit avec les organisations syndicales et entre les partis de la majorité, il a été convenu que le système ne serait pas applicable aux travailleurs (sans RCC) qui entrent en chômage au plus tôt à partir de 50 ans. Pour ce qui concerne les chômeurs avec RCC, le système imaginé par le Ministre Daniel Bacquelaine est complexe (par ces mesures dérogatoires et transitoires)30 mais le « salaire fictif limité » n’épargnera pas certaines catégories de ces travailleurs.

Les périodes assimilées constituent le principal mécanisme de solidarité dans le régime des pensions. Ce mécanisme est donc rompu par une sélectivité complexe qui pénalisera fortement les chômeurs dont le salaire de référence était moyen ou supérieur. Comme on l’a vu, la deuxième période de chômage dépend de la durée de la carrière. En s’attaquant à cette période pour les droits à la pension, le gouvernement MR N-VA s’en prend aussi au principe d’assurance car celui-ci fonctionne à deux niveaux : le premier a pour objectif de protéger immédiatement le travailleur en cas de perte de ses revenus professionnels (le chômage, la maladie, etc.), le second entend remédier aux conséquences ultérieures de cette perte de revenus (la pension). En outre, le gouvernement ne fait pas de différence entre ceux qui ont peu ou beaucoup travaillé/cotisé. L’exception pour les chômeurs âgés d’au moins 50 ans relève d’un constat selon lequel cette catégorie éprouve des difficultés sur le marché de l’emploi, sans plus.

Les atteintes aux périodes assimilées procèdent d’un mode de pensée qui consiste à dire que l’assurance sociale doit progressivement devenir subsidiaire à la « responsabilité ». Le même raisonnement pourrait très bien être appliqué au régime de l’incapacité de travail si les velléités (récurrentes) des partis de droite de sanctionner les malades de longue durée « récalcitrants » aux plans de réintégration professionnelle devaient un jour aboutir. Le pire a été évité. Les sanctions ne convergent pas (momentanément ?) vers un raisonnement selon lequel l’incapacité ne serait pas tout à fait « involontaire ».

Une deuxième mesure qui restreint les droits des chômeurs pour le calcul de leur pension est la suppression des « 45 années les plus favorables », la ligne directrice de la réforme sur l’unité de carrière étant de « récompenser certains en sanctionnant tous les autres ». Les chômeurs âgés (avec ou sans complément d’entreprise) sont clairement stigmatisés. S’ils dépassent les 45 années quand ils sont au chômage, leur pension se calculera désormais sur les 45 premières années. On comprendra que ce sont les travailleurs qui ont commencé à travailler très tôt qui payeront le coût de la réforme. Le gouvernement estime que les chômeurs âgés n’ont « qu’à » prendre leur pension car ils procèdent souvent d’une forme « d’ingénierie sociale » tirant sur les périodes assimilées pour augmenter le montant de leur pension. Il faut encore mentionner que l’interdiction de la retraite anticipée pour les chômeurs avec complément d’entreprise est désormais levée. Par conséquent, les travailleurs concernés risquent de subir des pressions de la part des employeurs qui ne manqueront pas de voir dans cette nouvelle mesure un nouvel allègement de leurs charges (suppression du complément d’entreprise).

2.4.8. Visites domiciliaires

28 Affirmer que le chômage ne présente aucune « plus-value sociale » est une insulte aux milliers de demandeurs d’emploi qui font des efforts importants pour retrouver un emploi, qui suivent des formations pour améliorer leur employabilité ou pour démarrer une activité d’indépendant, qui se recyclent dans un métier en pénurie ou qui cumulent les efforts avec une activité de bénévole.

29 La réforme n’a évidemment pas d’impact pour les personnes dont le droit au chômage n’est pas subdivisé en périodes (chômage économique, allocations d’insertion, temps partiel avec AGR, etc.).

30 Arrêté royal du 19 décembre 2017 modifiant l’article 24bis et l’article 34 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés. Cet arrêté royal fait actuellement l’objet d’un recours auprès du Conseil d’Etat par les trois organisations syndicales.

Etat de la Question 2018 • IEV 11

En 1999, le PS avait exigé (et obtenu) une avancée majeure vers la fin des contrôles inopinés au domicile des chômeurs qui s’apparentaient à de véritables pratiques policières d’investigation. On se souviendra de cas « emblématiques » comme le relevé du courrier sur la table de salon, celui du nombre de brosses à dents dans la salle de bain, le contrôle de la garde-robe et même l’inspection des lits !

Lors du gouvernement Verhofstadt 1er, c’est la Ministre socialiste Laurette Onkelinx qui a achevé la réforme en interdisant les visites domiciliaires sauf si l’intéressé donne son accord explicite après une audition préalable (le chômeur doit être invité à cette audition au moins 10 jours à l’avance et il a le droit de se faire assister par une tierce personne). Les droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution (inviolabilité du domicile et respect de la vie privée) se sont imposés face aux dérives d’une administration qui avait été jusqu’à justifier ses méthodes au nom de la « prévention contre la fraude ».

Estimant que la législation actuelle donne « un coup de pouce à la fraude au lieu de la décourager », le gouvernement MR N-VA a supprimé l’obligation légale d’avertir préalablement le chômeur soupçonné d’avoir fait une fausse déclaration de composition de ménage31. Non seulement la mesure est intimidante et disproportionnée par rapport au but recherché, mais elle est aussi inutile de l’aveu même de l’ONEM. En effet, les moyens mis à la disposition des fonctionnaires permettent aisément de confronter l’exactitude d’une déclaration de composition familiale avec des éléments qui tendent à la contredire. Ceci dans le cadre d’un débat contradictoire dans les locaux de l’ONEM et non pas lors d’une visite domiciliaire inopinée où, au-delà de l’aspect humiliant pour la personne, des dérapages sont toujours possibles et l’ont d’ailleurs été - largement - dans les années 90.

3. Sécurité sociale et aide sociale

Il est évident que des « passerelles » existent entre notre assurance chômage et notre système d’aide sociale : d’une part, des mécanismes font que des chômeurs peuvent être exclus du bénéfice des allocations et solliciter l’aide du CPAS (« dernier filet » contre l’insécurité d’existence) et, d’autre part, des bénéficiaires de l’aide sociale (RIS ou aide financière ordinaire) peuvent être mis au travail par le CPAS pour renouer le lien d’admissibilité à l’assurance (art. 60, § 7, et 61 de la loi organique).

Etant donné les possibilités de « va et vient » entre les deux régimes et le poids de la solidarité dans l’assurance chômage (qui génère au fil du temps un rapprochement avec les montants du RIS), il n’est pas étonnant que certains plaident pour une limitation dans le temps du bénéfice de l’assurance.

L’argument qui donne du grain à moudre aux partisans d’une telle réforme est la forfaitarisation qui intervient en troisième période de chômage. En outre, le calcul de la pension sur base d’un droit minimum pour une partie des chômeurs qui sont en seconde période est un tremplin pour poursuivre la forfaitarisation. Le lien avec le dernier salaire (tant pour le chômage que pour la pension) serait ainsi progressivement limité aux seuls 12 premiers mois d’inactivité. Ensuite, un « passage » vers l’une ou l’autre forme d’aide sociale aménagée (ou non aménagée) serait organisé avec l’implication des CPAS. Un tel scénario n’est pas une fiction. Il a été évoqué par l’Open VLD et la N-VA lors du conclave budgétaire pour l’année 2017.

4. Les allocations d’insertion

4.1. La nature du régime de l’indemnisation sur base des études

Les allocations d’insertion ne relèvent ni d’une logique assurantielle ni d’une logique d’assistance32

Contrairement à ce que l’on pense parfois, il ne s’agit pas d’un droit « dérivé » dans le sens où il n’est pas requis qu’un lien (de parenté, de cohabitation ou d’alliance) existe entre un jeune qui a terminé ses études et un titulaire de droits directs dans la sécurité sociale des salariés. Ainsi, le droit est ouvert aux enfants des travailleurs indépendants ou des fonctionnaires au même titre que ceux des salariés ou de tout jeune - en principe (voir 4.2.)

Etat de la Question 2018 • IEV 12
31
32
Loi-programme du 10 août 2015.
Il n’y a pas d’enquête sur les revenus pour les allocations d’insertion.

- qui a terminé ses études en Belgique et indépendamment du statut « social » de ses parents.

Les montants attribués sont forfaitaires, non dégressifs, et varient selon la situation de vie du jeune (chef de ménage, isolé ou cohabitant).

4.2. La condition méconnue de la nationalité

L’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose, en son article 7, § 14, alinéa 4, que s’agissant des travailleurs étrangers ou apatrides, « le droit aux allocations sur la base des études suivies ne s’applique que dans les limites d’une convention bilatérale ou internationale (…) ». Concrètement, les allocations sont accordées aux ressortissants d’Etats qui assimilent les ressortissants belges à leurs propres nationaux (pays de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen) et aux ressortissants d’Etats avec lesquels la Belgique a conclu des accords bilatéraux de réciprocité en raison du fait que ces Etats fournissent ou ont fourni par le passé un contingent important de main-d’œuvre (Maroc, Algérie, Tunisie, Turquie).

Dans une question préjudicielle posée par le tribunal du travail de Bruxelles dans un litige qui opposait une ressortissante congolaise à l’ONEM, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que l’article 7, § 14, alinéa 4, de l’arrêté-loi de 1944 ne violait pas les articles de la Constitution invoqués par la demanderesse (lus en combinaison avec certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme)33. Mise à part la condition de nationalité, la ressortissante congolaise remplissait toutes les autres conditions d’octroi des allocations d’insertion de nature à démontrer son lien effectif avec la Belgique.

D’autre part, rappelant qu’il ne saurait être question de discrimination que si la différence de traitement entraîne une restriction disproportionnée des droits des personnes concernées, la Cour constitutionnelle a considéré que la demanderesse avait droit à l’aide sociale accordée par le CPAS et qu’il n’était pas dénué de justification raisonnable - compte tenu entre autres du coût financier du système (qui n’est pas de l’assurance) - de réserver l’allocation d’insertion aux seuls nationaux et aux ressortissants de pays avec lesquels notre pays avait conclu un accord de réciprocité.

4.3. La limitation dans le temps

Lors de la crise institutionnelle de 541 jours que notre pays a connue en 2010-2011, les libéraux flamands ont mis comme condition à leur participation au gouvernement la limitation dans le temps des allocations d’insertion.

Des aménagements au principe ont été rendus possibles pour l’action des députés socialistes. En outre, les députés PS ont déposé une proposition de loi visant à supprimer la limitation des allocations d’insertion dans le temps pour les bénéficiaires qui prouvent une recherche active d’emploi34

4.4. Les mesures drastiques prises par le gouvernement MR N-VA

Depuis le 1er janvier 2015, la demande d’allocation d’insertion doit être introduite avant le 25ème anniversaire (auparavant c’était avant le 30ème anniversaire). Depuis le 1er septembre 2015, les demandeurs d’emploi de moins de 21 ans doivent avoir obtenu le diplôme de l’enseignement secondaire supérieur (y compris dans l’enseignement technique, professionnel et spécialisé) ou avoir terminé avec succès une formation en alternance. Il ne s’agit donc plus d’avoir terminé ses études mais bien de les avoir réussies sous peine de devoir attendre l’âge de 21 ans pour introduire une demande d’allocations.

Le nouveau système s’attaque brutalement aux jeunes qui ont des parcours difficiles, qui ont un retard scolaire ou qui entreprennent de longues études. La perversité de l’abaissement de l’âge maximum réside aussi dans le fait qu’une demande d’allocation ne peut jamais être introduite avant la fin du stage d’insertion. Par conséquent, un jeune qui atteint l’âge de 25 ans au cours de sa période de stage est exclu du bénéfice des allocations (le jeune doit avoir fini son stage à 25 ans moins un jour au plus tard). C’est sans compter aussi que le stage est théoriquement de 12 mois. Il s’agit de 12 mois minimum étant donné qu’il est prolongé si le jeune n’a pas obtenu les deux évaluations positives.

Etat de la Question 2018 • IEV 13
33
34
54
Arrêt n° 9/2017 du 25 janvier 2017 (numéro du rôle : 6356).
Doc
0784/001.

Signalons enfin que le gouvernement a décidé de réduire (ou plutôt « d’inciter à réduire ») le salaire brut des jeunes de moins de 21 ans « sans expérience professionnelle » (notion élastique qui ne se limite pas au premier contrat de travail après la fin des études)35. Si une compensation (exonérée de cotisations et de précompte professionnel) est obligatoire pour ne pas diminuer le salaire net, moins de salaire brut signifie aussi un calcul moins favorable pour les allocations de chômage. La mesure est scandaleuse et présente aussi le risque de « carrousel » (remplacement de jeunes travailleurs non éligibles au système par d’autres qui le sont).

5. Une réforme structurelle des allocations de chômage

5.1. L’individualisation des droits36

La question de l’individualisation des droits transcende évidemment les particularités propres au régime du chômage. Même si quelques progrès ont été enregistrés ces dernières années37, les droits dérivés restent encore fort ancrés dans la sécurité sociale. Pour une compréhension générale de la nécessité d’individualiser les droits sociaux (neutralité, égalité, équité, lutte contre la précarité), nous renvoyons le lecteur à l’Etat de la question publié par l’Institut Emile Vandervelde en décembre 2015 qui est précisément consacré à cette problématique38

Les débats sur les visites domiciliaires des chômeurs et les transmissions automatiques des données énergétiques ont mis en évidence que la nécessité d’éclaircir des situations apparemment contradictoires n’existerait tout simplement pas si les droits sociaux étaient individualisés.

Dans une société où deux revenus sont de plus en plus nécessaires pour répondre aux besoins du ménage, la dégradation du droit à l’assurance pour les chômeurs cohabitants ayant perdu durablement leur emploi constitue une première brèche dans notre système de protection contre la précarité. Non seulement le statut de cohabitant génère des tensions au sein des ménages (report de l’essentiel de la charge économique sur le partenaire qui travaille) avec le risque de « casser les solidarités », mais il est aussi profondément injuste car le travailleur a peutêtre davantage cotisé qu’un autre dont la configuration familiale est différente.

On refusera l’argument de « l’usage efficient des deniers de la sécurité sociale », argument selon lequel c’est précisément la perte d’un salaire unique au sein d’un ménage qui justifie un taux préférentiel. La modulation familiale - qui justifierait une discrimination positive ou négative - est d’autant moins pertinente que les publics ne sont absolument pas homogènes au sein des catégories dans lesquelles, pourtant, on les « range ». Des « chefs de ménage » ou des « cohabitants » peuvent se trouver tout en haut ou tout en bas de l’échelle des salaires. Par ailleurs, les « catégories » ne résistent plus aux nouvelles formes de vie comme, par exemple, la colocation (surtout chez les jeunes) où on exige du chômeur et de ses colocataires (!) de prouver que chacun assume les charges de son « ménage personnel » (nourriture, entretien, loisirs, etc.), ceci indépendamment du partage du loyer et des charges locatives qu’une certaine jurisprudence admet comme étant un mode normal de cohabitation vu le marché immobilier dans les grandes villes. A défaut de pièces justificatives, le chômeur se voit opposer la mise en commun du loyer et des charges locatives y afférentes, et le statut d’isolé lui sera refusé avec, à la clé, récupération des « indus » et éventuellement sanction pour « fausse déclaration ». La réglementation confine à l’absurde.

Que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas, ici, d’opérer une individualisation « au rabais » qui serait complétée par un renvoi auprès de diverses formes d’aide sociale aléatoires octroyées par les CPAS pour répondre à « l’état de besoin » des ménages. Pour concrétiser cette réforme de grande envergure (pas uniquement dans le secteur du chômage), il faudra du temps et un budget important39

L’individualisation exige :

• le maintien des droits acquis. Il n’est évidemment pas question de provoquer un « choc social » dans la population en supprimant d’emblée le statut de « chef de ménage » ;

35 Loi du 14 décembre 2017 relative à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale. Ceci à contre-courant de l’accord des partenaires sociaux du 28 mars 2013 qui supprimait les discriminations salariales basées sur l’âge.

36 170 engagements pour un futur idéal (PS), Protections sociales (chapitre 14) - L’individualisation des droits sociaux : les droits attribués à chacun indépendamment de sa situation familiale (proposition 146, p. 139).

37 En matière de chômage, le taux de remplacement est identique pour tous les chômeurs pendant les 12 premiers mois (quelle que soit leur situation familiale). Une mesure similaire a été prise dans l’incapacité de travail. Dans le secteur des pensions, la pension de survie a laissé place à une allocation de transition.

38 L’individualisation des droits sociaux, Florence Lepoivre, Etat de la question (IEV), décembre 2015.

39 170 engagements pour un futur idéal, p. 139.

Etat de la Question 2018 • IEV 14

• un travail par étapes en donnant la priorité à l’alignement du statut cohabitant sur celui d’isolé ;

• une information auprès des générations qui arrivent sur le marché du travail afin que leur choix de vie ne soit pas influencé par des « calculs » sur le « pour et le contre » (y compris au niveau fiscal) ;

• les ménages monoparentaux confrontés au chômage (total ou partiel) doivent bénéficier d’un régime préférentiel tant que les services d’accueil de l’enfance et les allocations familiales n’apportent pas une solution réellement adaptée à la situation financière de ces ménages. On ne peut pas non plus dissocier cette problématique de celle des inégalités entre femmes et hommes dans la sphère du travail. Le statut « chef de ménage » qui est reconnu à ces femmes qui élèvent seules des enfants s’apparente à une « prime à la solitude ». Lorsqu’elles se remettent en couple ou lorsqu’elles décident de se solidariser avec d’autres personnes pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne (logement, garde et bien-être des enfants, …), elles basculent dans le statut le plus défavorable, celui de cohabitant. En supprimant ce dernier et en progressant dans l’individualisation, on peut très bien envisager l’octroi d’un supplément comme dans le régime des allocations familiales. Ce supplément doit être au moins égal à la différence entre le taux ménage actuel et le taux isolé40

5.2. La dégressivité des allocations et le principe assurantiel

La dégressivité des allocations de chômage est un vecteur d’anxiété et de contre-productivité dans le chef d’une personne à la recherche d’un emploi. La disponibilité pour le marché du travail ne se gagne pas en imaginant des « mécanismes » qui aspirent progressivement le chômeur dans la pauvreté et donc dans la « débrouille » au quotidien.

On a parfois prétendu que la réforme de 2012 avait renforcé le principe d’assurance. En réalité, le « prix de l’assurance » a surtout été soldé par un passage plus rapide dans la troisième période de chômage, sauf exceptions en fonction de l’âge, du passé professionnel ou de l’incapacité. Les 65% pour tous en début de chômage, c’est positif mais cela ne vaut que pour 3 mois. La seconde période est pernicieuse dans la mesure où les chômeurs (qui n’entrent pas dans les exceptions) subissent une dégressivité « accélérée ». Ceux qui n’ont pas 5 ans de passé professionnel passent rapidement en troisième période. Les autres bénéficient d’un « sursis » de 24 mois maximum (avec le couperet des phases de 6 mois).

Mettre fin à la dégressivité41 est techniquement complexe et exige des moyens budgétaires importants d’autant plus qu’une autre réforme doit être menée en parallèle, soit celle de l’individualisation du droit.

Le démantèlement des sous-périodes de la seconde période de chômage implique évidemment la suppression de la troisième période de chômage. Le forfait n’est rien d’autre que l’antichambre de la limitation dans le temps des allocations. Il n’a pas sa place dans un régime d’assurance sociale.

5.3. Les travailleurs à temps partiel

La distinction entre les travailleurs à temps partiel involontaire (statut « maintien des droits ») avec AGR et sans AGR résulte d’un pur calcul budgétaire qui n’a pas de sens par rapport à la réalité souvent précaire que vivent ces travailleurs (des femmes pour la plupart). En effet, il suffit que le salaire dépasse de quelques euros l’allocation de chômage complet (majorée du supplément horaire) pour que le travailleur soit privé de l’allocation complémentaire.

Le « maintien des droits » doit s’accompagner :

• d’une allocation suffisante pour un plus grand nombre de travailleurs à temps partiel involontaire (ce qui implique une réforme du calcul de l’AGR, notamment l’augmentation du supplément horaire et la neutralisation du bonus à l’emploi). Parallèlement, il tombe sous le sens que le droit doit aussi être individualisé ;

• d’une suppression du contrôle de la disponibilité active des travailleurs à temps partiel avec AGR ;

• d’une réforme de la récente cotisation de responsabilisation à charge de l’employeur (mise en place par le

40 En ce sens, p. 139 des 170 engagements pour un futur idéal

41 « (…) Afin de respecter le principe fondamental qui régit la sécurité sociale, à savoir le caractère assurantiel de celle-ci, la suppression de la dégressivité des allocations de chômage, qui n’a pas démontré la moindre utilité dans la lutte contre le chômage et qui a uniquement pour conséquence de précipiter les chômeurs de longue durée dans la pauvreté » (proposition 65 des 170 engagements pour un futur ideal, des allocations de chômage adaptées aux nouvelles réalités, p. 74).

Etat de la Question 2018 • IEV 15

gouvernement MR N-VA). Le principe est positif mais le contrôle et, surtout, le champ d’application et le mode de calcul ne sont pas transparents (risque de tension entre les « anciens » et les « nouveaux » travailleurs à temps partiel au sein des entreprises).

5.4. Un soutien réel à la jeunesse

En ce qui concerne les allocations d’insertion, le caractère dérogatoire au principe d’assurance qui sous-tend l’assurance chômage doit être maintenu afin de permettre à tous les jeunes de s’insérer sur le marché de travail dans des conditions acceptables. On rappellera que les allocations d’insertion ont pour objectif non pas d’indemniser un travailleur qui a été privé de son travail pour des raisons indépendantes de sa volonté mais de faciliter l’accès des jeunes au marché du travail42.

Par conséquent, la mécanique d’exclusion des jeunes qui terminent leurs études doit être supprimée.

A défaut d’accord politique sur la suppression de la limitation dans le temps des allocations d’insertion, quelles sont les alternatives possibles ?

• Une réforme du stage pour l’obtention des allocations de chômage (nombre de jours de travail requis, période de référence, âge) afin de casser le « carrousel » des allocations d’insertion et le tremplin vers l’exclusion. C’est particulièrement important pour tous les emplois précaires (intérim, temps partiel, etc.).

• Un élargissement de la durée du droit aux allocations d’insertion ou, à tout le moins, des possibilités de prolongation qui ne sont pas discriminatoires. Exemple : les périodes au cours desquelles le jeune demandeur d’emploi a obtenu une dispense (de disponibilité pour le marché du travail) pour suivre une formation ou des études ne sont pas neutralisées dans le calcul du crédit de 36 mois. Par contre, si au moment de l’expiration de ce crédit une dispense est en cours, le jeune conserve ses allocations pendant toute la durée de la formation ou des études. Cette différentiation n’est pas logique. Elle n’incite pas le jeune à entamer une formation dès le début de sa période indemnisable. Au contraire, il y a un risque qu’elle soit « instrumentalisée » dans l’unique but de prolonger le droit aux allocations.

• Une durée du droit égale pour tous mais bien entendu portée « vers le haut ». Il n’est pas acceptable que des jeunes, souvent précarisés et contraints de vivre en cohabitation, soient discriminés par rapport à des jeunes chefs de ménage ou isolés.

Quant à l’ouverture du droit aux allocations d’insertion, les conditions supplémentaires imposées par le gouvernement MR N-VA sont totalement absurdes. L’objectif est clairement de tuer le régime. L’âge de 30 ans maximum pour une première demande doit être restauré et la condition d’obtenir un diplôme doit être supprimée pour les moins de 21 ans. Pour ces derniers, une alternative pourrait être de conditionner le droit à l’engagement de suivre une formation.

Parallèlement, une réflexion est souhaitable concernant le maintien de la condition de nationalité. Il convient de cerner le contenu social exact de la protection offerte aux ressortissants belges dans les pays avec lesquels la Belgique a conclu un accord de réciprocité. A partir d’une telle analyse, il faut se poser la question de savoir si l’argument de la rupture de la condition de réciprocité est crédible ou suffisant dans l’hypothèse d’une ouverture du droit aux allocations d’insertion aux ressortissants de tous les Etats étrangers. En tout état de cause, il n’est évidemment pas question de supprimer les autres conditions de l’effectivité du lien qui doit unir le ressortissant de nationalité étrangère « non privilégié » à notre pays (régularité du séjour, détention d’un permis de travail, …).

5.5. L’activation du comportement de recherche d’emploi

Le contrôle de la disponibilité active doit redéfinir un âge « limite » réaliste par rapport au marché de l’emploi (60 ans est excessif) tout en n’abandonnant pas ceux qui ont dépassé cet âge. A la demande de l’intéressé, un service d’aide et de conseils pourrait remplacer la « disponibilité adaptée ». Cet entretien doit sortir du cadre étriqué de la recherche d’emploi pour répondre aux besoins et aux aspirations du demandeur. La demande par l’intéressé lui-même offre des possibilités dans le cadre de ce qu’on appelle le « vieillissement actif » qui ne peut s’opérer dans un cadre contraignant.

Etat de la Question 2018 • IEV 16
42 Voir l’arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 2012 (S.11 0150.F).

Le contrôle de la disponibilité active des travailleurs à temps partiel involontaire avec AGR (en vigueur depuis le 1er septembre 2016) doit être supprimé. Pourquoi ? Il existe des abus qui consistent à mettre en doute le caractère réellement involontaire du travail à temps partiel (suspicion de fausse déclaration pour bénéficier du maintien des droits et éventuellement d’une allocation). Pour beaucoup de femmes, il s’agit pourtant d’un « choix contraint ». Elles s’exposent à une sanction si elles n’apportent pas des preuves suffisantes de recherche d’un emploi à temps plein ou, à tout le moins, d’une démarche active afin d’augmenter leur temps de travail.

Pour les chômeurs complets qui n’ont pas atteint l’âge « limite », le maintien de la « contractualisation » en cas d’échec lors du premier entretien doit être maintenu au regard de la philosophie qui sous-tend la disponibilité active. Afin d’assurer un équilibre entre les obligations qui incombent aux deux parties, un second entretien - s’il s’avère positif - doit se solder par une offre concrète et crédible permettant au chômeur de réintégrer le marché de l’emploi43. Tant que le service régional de l’emploi n’a pas rempli cette mission, un éventuel troisième entretien ne peut déboucher sur une sanction/exclusion.

En tout état de cause, les sanctions doivent être revues et adaptées à l’individualisation des droits. Il est inacceptable qu’en cette matière aussi (et toujours), les cohabitants subissent des sanctions plus rapides et plus dures que les chefs de ménage et les isolés. L’harmonisation des sanctions n’est évidemment pas un « durcissement linéaire » qui alignerait - par souci « d’égalité » - tout le monde sur le sort actuel des cohabitants. D’autre part, il s’impose de prévoir un droit de recours suspensif à chaque étape de la procédure (ce qui n’est pas le cas actuellement). Ainsi, par exemple, lors d’un premier entretien négatif, le demandeur d’emploi à qui un « facilitateur » proposerait des obligations excessives ou irréalistes (cela existe !) doit avoir la possibilité d’introduire un recours dans le délai qui lui est imparti pour accepter ou ne pas accepter le « contrat » qu’on tente de lui imposer.

6. Conclusion

L’assurance chômage a été conçue pour couvrir un risque lié à la perte de revenu en cas de manque de travail involontaire. A l’origine, dans l’esprit des partenaires sociaux et des décideurs politiques, cette situation ne pouvait être que transitoire, temporaire et marginale.

Cependant, à partir de la seconde moitié des années 70, le manque de travail est progressivement devenu durable. C’est ce qu’on appelle le « chômage structurel ». Au fur et à mesure que ce phénomène s’est développé, le rôle de l’assurance s’est éloigné de la simple couverture d’un risque temporaire pour répondre à un besoin lié à la perte durable de revenu. Cependant, les impératifs d’économies budgétaires qui ont vu le jour à partir des années 80 ont amené les gouvernements à rendre le système de plus en plus sélectif et restrictif. D’une part, une partie de la couverture du besoin a été réorientée au profit des chômeurs avec charge de famille au détriment des isolés et des ménages à deux revenus. D’autre part, la tendance qui se dessine de plus en plus est de considérer l’assurance sociale comme l’accessoire de la responsabilité individuelle. Cette « responsabilité » ne se limite pas au contrôle de la disponibilité active et passive. Elle s’exprime aussi par la dégressivité qui n’est rien d’autre que le « marchepied » de la limitation dans le temps des allocations de chômage et par le démantèlement des mécanismes qui permettent un relâchement du lien entre la disponibilité pour le marché du travail et/ou de la carrière professionnelle et le droit aux allocations de chômage (temps partiel involontaire, statut des chômeurs âgés, prépensions, dispense pour raisons sociales et familiales, etc.).

Notre régime d’assurance chômage a été le meilleur rempart contre l’exclusion et le développement de la pauvreté. Aujourd’hui, ce rempart s’effrite dangereusement sous le poids d’une réglementation pléthorique qui, au fil du temps, a fini par ébranler les principes de justice sociale propre à notre pays.

Cette analyse, loin d’être exhaustive, peut nous aider à approfondir les propositions ayant pour objectif de renouer avec le fil conducteur de notre sécurité sociale, celui de prévenir la pauvreté.

Etat de la Question 2018 • IEV 17
43
Voir la proposition
70
des 170 ENGAGEMENTS pour un FUTUR IDEAL, (La garantie Emploi pour tous, p. 70).

DANS LA MÊME COLLECTION / ETAT DE LA QUESTION IEV

Vers des allocations familiales plus justes en Wallonie

Le traitement équitable des consommateurs d’électricité face à l’évolution du paysage énergétique

Guillaume LEPÈRE

La taxe européenne sur les transactions financières : utopie ou véritable proposition ?

Letizia DE LAURI

Incapacité de travail : le trajet de réintégration professionnelle

Benoit ANCIAUX

Vers l’abaissement de l’âge de l’obligation scolaire à trois ans ?

Baptiste MEUR

Des soins de santé pour tous Anne LIESSE

L’écosocialisme

Guillaume LEPERE

Quel avenir pour l’investissement public en Europe ?

Hakim BOUZBIB

Les partenariats public-privé : une bonne idée pour stimuler l’investissement public ?

Alex REUTER

Vers une réglementation du cannabis en Belgique Cyrille CORNEROTTE, Olivier LEGRAND, Anne LIESSE, Baptiste MEUR

Les enseignants qui quittent leur métier: état des lieux et pistes d’amélioration Baptiste MEUR

Le casier judiciaire alimente-t-il la récidive ?

Olivier LEGRAND

La réduction collective du temps de travail, une solution aussi pour les indépendants ?

Olivier BODY, Stéphanie BOON et Sophie CHARLIER

Faut-il supprimer l’effet dévolutif de la case de tête ?

ACHOUR

Le Tax shift du gouvernement fédéral : une perte sèche de pouvoir d’achat pour les moins nantis

Alex REUTER

Constats, défis et perspectives des régimes de pension en Belgique

BENOÎT ANCIAUX

Le statut d’artiste Corentin DELMOTTE

2014-2019 : cinq ans de politique fédérale en matière d’énergie

Guillaume LEPERE

D’où viennent les inégalités entre les femmes et les hommes ?

L’écart salarial comme marqueur des inégalités de genre

Corentin DELMOTTE

L’incapacité de travail : vers quelle évolution ?

Anne LIESSE

RÉSUMÉ

L’assurance chômage est l’une des branches de la Sécurité sociale.

L’assurance chômage a été conçue pour couvrir un risque lié à la perte de revenu en cas de manque de travail involontaire. A l’origine, dans l’esprit des partenaires sociaux et des décideurs politiques, cette situation ne pouvait être que transitoire, temporaire et marginale. Pourtant, dans les années 70, le chômage est devenu structurel. Cette mutation a transformé l’assurance chômage : de couverture d’un risque temporaire elle est devenue un besoin lié à la perte durable d’un revenu.

Notre régime d’assurance chômage a été le meilleur rempart contre l’exclusion et le développement de la pauvreté. Aujourd’hui, ce rempart s’effrite dangereusement sous le poids d’une réglementation pléthorique qui, au fil du temps, a fini par ébranler les principes de justice sociale propre à notre pays.

Le présent Etat de la question, rédigé par Benoit Anciaux, aide le lecteur à approfondir les propositions ayant pour objectif de renouer avec le fil conducteur de la Sécurité sociale, celui de prévvenir la pauvreté.

Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

iev@iev.be

www.iev.be

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.