ETAT DE LA QUESTION
LA TAXE EUROPÉENNE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES : UTOPIE OU VÉRITABLE PROPOSITION ?
Letizia DE LAURI
DÉCEMBRE 2017
ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Vers une taxation des transactions financières européenne ? 3 A. Un projet international ou européen ? 3 B. Le projet européen : d’une proposition à 27 à une coopération renforcée qui s’amenuise 4 C. Contenu de la proposition de directive et les potentiels obstacles 5 1. Le projet européen 5 2. Les freins au projet européen 6 2.1. L’instauration d’une faible taxe ne constitue pas un obstacle efficace à des mouvements spéculatifs de grande envergure 6 2.2. Cette taxe constituerait un frein à l’investissement (à la mobilisation du capital) et un coût supplémentaire 6 3. Les réponses aux obstacles soulevés 7 3.1. La fin de l’enrichissement des acteurs de la finance 7 3.2. Une meilleure régulation des transactions financières 7 4. Le lien entre le projet européen et les régimes étatiques 7 5. Conclusion : quel avenir pour la taxation des transactions financières ? 8
1. Introduction
Dans les années 70, le système de Bretton Woods (du nom des accords signés en 1944 pour l’organisation du système monétaire mondial) se révélait inadapté à l’évolution économique des différents pays partenaires1
Il s’agissait d’un système de taux de change basé sur des parités fixes et sur une convertibilité avec l’or entre les principales devises des pays développés2
Son abandon en 1973 mena à l’adoption d’un système de cours de change flottants, toujours en vigueur aujourd’hui.
Ce changement de système risquait d’engendrer des mouvements spéculatifs indésirables pour le bon fonctionnement du système financier. Afin d’éviter ce type de mouvements, l’économiste James Tobin proposa l’instauration d’une taxe qui prendrait la forme d’un prélèvement à taux très faible sur les transactions de change3
J. Tobin plaidait pour l’établissement d’une taxe de 0,1 % à 1 % sur les mouvements de change internationaux spéculatifs et l’utilisation des recettes de cette taxe pour financer la croissance des pays en voie de développement.
La taxe Tobin trouve aujourd’hui une nouvelle définition dans le cadre de l’étude et de la maîtrise de la globalisation de l’économie et des crises financières, par le biais d’une taxe sur les transactions financières.
Suite à la crise des subprimes de 2008, l’idée d’établir une taxe sur les transactions financières est apparue comme un moyen qui permettrait, d’une part, de lutter contre la spéculation à court terme et l’évasion fiscale des capitaux et, d’autre part, de financer plusieurs politiques d’intérêt général à l’échelle mondiale telles que la protection de l’environnement4.
Plusieurs obstacles ou critiques – politiques ou techniques – sont fréquemment mis en avant à l’encontre de cette taxe sur les transactions financières. Qu’en est-il exactement ?
La présente note vise à dresser un état des lieux du projet européen de taxe sur les transactions financières. Dans un premier temps, il sera fait état du dossier au niveau européen et de son évolution. Ensuite, suivra une brève présentation du projet européen de directive, les questions que ce projet soulève ainsi que son rapport avec la législation des Etats membres. Enfin, une conclusion critique clôturera l’analyse.
2. Vers une taxation des transactions financières européenne ?
A. Un projet international ou européen ?
L’un des principaux arguments souvent soulevés contre l’application de la taxe sur les transactions financières est que cette dernière ne pourrait être envisagée qu’au niveau mondial. La circulation des capitaux est devenue très mobile et seule une approche mondiale permettrait d’éviter que les mouvements de capitaux se réalisent de manière trop rapide
et incontrôlable5
Or, les difficultés liées à l’atteinte d’un consensus politique international sont légion. En 2011, dans le cadre du débat relatif aux mesures relatives aux déséquilibres mondiaux, la mise en place d’une TTF à l’échelle mondiale s’était déjà invitée à la table des discussions du G20. En vain6
Autre argument fréquemment avancé : ce type de taxe risquerait de pénaliser plus fortement les « petits » Etats7 Ils seraient plus sensibles et subiraient un risque accru de délocalisation ou de changements de pratique dans les placements et opérations financières.
1 COLMANT B., La Taxe Tobin : Encore raté !. In : La semaine fiscale, Larcier, Louvain-La-Neuve, 03/2016.
2 DE PIERPONT R., De l’intérêt - ou non ? - d’une taxe sur les transactions financières, Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 117.
3 BLANCHETON B., Histoire de la mondialisation, De Boeck, Bruxelles, 2008, p. 85.
4 BERTHET K., Taxe sur les transactions financières dans l’Union européenne, la proposition de directive du 28 septembre 2011, Euredia, Bruxelles, 2011/4, p. 451.
5 COLMANT B., op. cit., p. 1-2.
6 BERTHET K., op. cit., Euredia, Bruxelles, 2011/4, p. 452.
7 DE PIERPONT, op. cit., 2015, p. 118.
Etat de la Question 2017 • IEV 3
En corollaire, afin de préserver une densité importante de transactions financières effectuées sur « leur territoire », certains Etats préfèreraient ne pas adhérer à ce genre de système, créant de facto l’apparition de centres off-shore8
B. Le projet européen : d’une proposition à 27 à une coopération renforcée qui s’amenuise
Face à cette impossibilité d’établir une règle uniforme à l’échelle mondiale, la Commission européenne a pris l’initiative en 2011 de lancer une discussion portant sur l’adoption d’une proposition de directive visant à établir une taxe européenne sur les transactions financières.
Lors des réunions du Conseil Ecofin de l’été 2012, la Commission a constaté qu’elle ne parviendrait pas à réunir l’unanimité des 27 États membres pour adopter le projet. Les règles pour l’harmonisation des législations dans le domaine fiscal doivent être votées à l’unanimité9
Néanmoins, un certain nombre d’États membres ont exprimé leur volonté d’avancer sur le dossier de la TTF. A l’automne 2012, onze États membres ont écrit à la Commission, en lui demandant d’autoriser une coopération renforcée sur la question10
La Commission a étudié cette demande au regard des critères de la coopération renforcée énoncés dans les traités11 En particulier, la Commission devait trancher la question de la potentielle incidence négative de la coopération renforcée sur le marché unique et sur les libertés de circulation. Elle devait vérifier qu’il n’y ait pas d’impact sur les droits, obligations et compétences des États membres non participants.
A l’issue de cette évaluation, la Commission a proposé en octobre 2012 une décision autorisant la coopération renforcée. Cette décision a été soutenue par le Parlement européen en décembre 2012 et approuvée par les ministres européens des finances lors du Conseil Ecofin de janvier 201312
Dès l’adoption de cette décision, le Royaume-Uni a introduit un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, arguant que la taxe pouvait produire un impact sur les Etats membres non participants13. Le RoyaumeUni soutenait que la décision du Conseil n’était pas conforme aux règles contenus dans l’article 327 TFUE qui vise les conditions de l’instauration d’une coopération renforcée.14
Le Royaume-Uni soulignait que les principes de « contrepartie » et de « lieu d’émission » contenus dans la directive violaient l’article 327 TFUE. Selon ces principes, en retenant certains critères, un Etat membre participant pourrait taxer une opération financière qui serait conclue par un établissement financier ayant son siège dans un Etat membre non-participant. Dès lors, la coopération renforcée aurait des effets extraterritoriaux contraires aux règles visées par les traités européens.
La Cour de justice ne s’est pas prononcée sur le fond. La Cour a considéré que son contrôle ne portait que sur la validité de la décision autorisant la coopération renforcée15. En outre, la directive n’étant pas encore adoptée et, partant, pas encore entrée en vigueur, il n’appartenait pas à la Cour de se prononcer sur son (potentiel) contenu. La Cour de Justice a donc rejeté le recours du Royaume-Uni.
Un nouveau recours pourrait toutefois être introduit si la directive devait voir le jour.16
Entretemps, l’Estonie, l’un des onze Etats membres prêts à s’engager dans l’adoption d’une TTF, s’est retirée. Aujourd’hui, ce sont donc dix pays qui portent le projet de directive : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie. La coopération renforcée impose l’unanimité entre ces dix Etats membres.
8 COLMANT B., op.cit., p. 1-2.
9 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), article 113.
10 La taxe sur les transactions financières dans le cadre de la coopération renforcée: la Commission fixe les modalités, communiqué de presse officiel du 14/02/2013, Commission européenne, Bruxelles, 14/02/2013, 3 p. Texte disponible sur internet : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-115_fr.htm.
11 Articles 43 à 45 du Traité sur l’Union européenne.
12 Décision 2013/52/UE du Conseil du 22/01/2013 autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières. In : Journal Officiel, L 22 du 25/01/2013, p. 11.
13 Cours de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E.), aff. C-209/13, Royaume-Uni c/ Conseil, Luxembourg, 30/04/2014.
14 CHENEVIERE C., MESDAG F., Arrêt Royaume-Uni c/ Conseil : taxe sur les transactions financières et incertitudes juridiques. In : Revue européenne de Droit de la Consommation, Bruxelles, 2014/2, p. 398.
15 Cours de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E.), aff. C-209/13, Royaume-Uni c/ Conseil, Luxembourg, 30/04/2014, pt. 33-34.
16 CHENEVIERE C., MESDAG F., op.cit., Bruxelles, 2014/2, p. 402.
Etat de la Question 2017 • IEV 4
Les négociations devaient reprendre à l’automne 2016. Un résultat était attendu pour le 6 décembre 2016. Mais le projet s’est enlisé, en raison notamment de la volonté des plus petits Etats de revoir les exigences à la baisse. Certains envisagent même d’enterrer le projet de directive. Il en est notamment ainsi de la position défendue par le gouvernement fédéral belge – et de son ministre des finances N-VA – ou de celle du gouvernement slovène.
Or, pour qu’une coopération renforcée puisse être menée à bien, elle doit compter un minimum de neuf Etats membres. Le projet européen risque donc de ne jamais aboutir.
C. Contenu de la proposition de directive et les potentiels obstacles
1. Le projet européen
L’objectif poursuivi est directement libellé dans l’exposé des motifs de la proposition de directive : « Les pouvoirs publics et les citoyens européens dans leur ensemble ont dû supporter le coût de crise économique et financière. Or, le secteur financier a joué un rôle important dans le déclenchement de la crise économique. En Europe et ailleurs dans le monde, il est largement admis que le secteur financier doit apporter une contribution plus équitable, compte tenu du coût de la gestion de la crise et de la sous-imposition dont il bénéficie actuellement. L’harmonisation de la législation relative à l’imposition des transactions financières est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur des transactions sur instruments financiers, éviter les distorsions de concurrence et rendre plus stable la circulation du marché européen des capitaux. »17
Le champ d’application de la taxe est large car il vise à couvrir les transactions concernant tous les types d’instruments financiers. Ainsi, il couvre « les instruments négociables sur le marché des capitaux, les instruments du marché monétaire (à l’exception des instruments de paiement), les parts ou actions des organismes de placement collectif, qui incluent les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et les fonds d’investissement alternatifs (FIA), et les contrats dérivés. De plus, le champ d’application de la taxe ne s’arrête pas aux transactions réalisées sur les marchés organisés, comme les marchés réglementés, les systèmes multilatéraux de négociation ou les internalisateurs systématiques ; il couvre également d’autres types de transactions, comme les transactions de gré à gré. Il ne se limite par ailleurs pas au transfert de propriété mais vise expressément l’obligation souscrite, selon que la partie concernée assume ou non le risque associé à un instrument financier donné (« achat et vente »). »18
Pour pouvoir appliquer la taxe, il est indispensable qu’au moins une des parties à la transaction soit établie dans un État membre partie à la coopération renforcée et qu’un établissement financier participant à la transaction soit établi dans un de ces Etats membres, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, ou agit au nom d’une partie à la transaction.
La proposition de directive prévoit une série d’exceptions liées à l’identité des entités qui opèrent les transactions financières19. Par ailleurs, certaines transactions sont elles-mêmes exclues du champ d’application de la taxe en raison de leur finalité20
Comme en matière de TVA, la proposition de directive prévoit des taux minimaux obligatoires pour les États membres. Les taux fixés par les Etats ne peuvent y être inférieurs mais la proposition de directive n’impose pas de maxima. Actuellement, les taux prévus sont de :
• 0,1 % pour toutes les transactions financières autres que celles concernant des contrats dérivés21 ;
• 0,01 % pour toutes les transactions financières concernant des contrats dérivés.
17 Proposition de directive du Conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières {SWD(2013) 28 final} {SWD(2013) 29 final}, Commission européenne, Bruxelles, 14/02/2013, exposé des motifs, p. 2. Texte disponible sur internet : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/resources/documents/taxation/com_2013_71_fr.pdf
18 Proposition de directive du Conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières, op. cit., p. 8.
19 Exemple : les opérations réalisées par le Fonds européen de stabilité financière.
20 Exemple : transactions effectuées sur le marché primaire en principe pour ce qui concerne l’émission d’actions de sociétés ou obligations; les transactions effectuées avec les banques centrales des Etats membres partis.
21 Les produits dérivés sont des instruments financiers qui portent sur des actifs (actions, indices, matières premières, devises…). Ils n’évoluent donc pas par euxmêmes, mais en fonction de ces actifs, appelés sous-jacents, dont ils dérivent. Un produit dérivé financier peut donc se définir comme « un contrat dont la valeur dépend (ou dérive) de celle d’un actif ou d’un indice sous-jacent ».
Etat de la Question 2017 • IEV 5
2.
Les freins au projet européen
2.1. L’instauration d’une faible taxe ne constitue pas un obstacle efficace à des mouvements spéculatifs de grande envergure22
Comme nous l’avons indiqué supra, la proposition de directive établit une taxation plus importante pour les transactions ayant attrait aux produits financiers dérivés.
Ces trente dernières années, l’utilisation des produits financiers dérivés s’est véritablement accrue. En 2012, « on estimait que les positions ouvertes sur les produits financiers de gré à gré libellés en euros s’élevaient à 179 000 milliards de dollars US pour les dérivés de taux d’intérêt et à 24 000 milliards de dollars US pour les produits dérivés de change »23
D’un point de vue économique, les produits financiers dérivés sont définis comme « des actifs dont la valeur dépend d’autres variables fondamentales (les sous-jacents), comme le prix d’autres actifs négociés sur les marchés, les taux d’intérêts, ou encore les taux de change »24. D’un point de vue juridique, il s’agit de « contrats ou de promesses de contrat soit à terme soit conditionnels, dont la valeur dépend d’un ou plusieurs actifs réels ou théoriques (les sous-jacents) tout au long de la période séparant la conclusion du contrat de son dénouement 25».
Que ce soit la définition économique ou la définition juridique, il s’agit de produits financiers qui sont liés à des « incertitudes » ou des « fluctuations »26. Il s’agit de contrats aléatoires dont le rendement fait l’objet dans la majorité des cas de comportements spéculatifs.
Lorsque des crises financières surgissent, ces instruments sont pointés du doigt. C’est pourquoi la proposition de directive prévoit une taxation plus importante de ces transactions.
La proposition de directive apparaît donc comme une réaction tardive à l’ingénierie des financiers visant à maximiser les rendements à court terme et à haut risque. Par ailleurs, la question reste ouverte sur l’ampleur de la taxation sur ce type de transactions.
Le caractère hautement spéculatif de ces transactions appelle un contrôle fort.
2.2. Cette
taxe constituerait un frein à l’investissement (à la mobilisation du capital) et un coût supplémentaire
Pour certains, cet impôt pourrait constituer un frein à l’accès au marché des capitaux. Actuellement, les entreprises sont essentiellement financées par des actions et des obligations. Or, les opérations relatives à ces dernières feraient l’objet d’une imposition. Certains y voient donc un obstacle à l’entreprenariat et à la mobilisation du capital27
La taxe sur les transactions financières pourrait également avoir un impact négatif sur les fonds de pensions, les organismes de placement collectif ou encore les assurances28. Ces derniers sont des investisseurs importants en titres de toute nature. L’instauration d’une telle taxe pourrait donc les préjudicier car elle toucherait à leurs titres.29
Enfin, le coût de la TTF serait, dans un premier temps, supporté par les institutions bancaires mais il serait répercuté par la suite sur d’autres intervenants, tels que les fonds de pension, les organismes de placement collectif et les compagnies d’assurances. Or, ces derniers représentent l’épargne des particuliers, cet épargne pourrait donc être affecté.
22 COLMANT B., op.cit., p. 1-2.
23 ZYGAS D., DE JONGHE C., Les vices de consentement dans les contrats de produits dérivés. In : Droit bancaire et financier, Larcier, Louvain-La Neuve, 2016/7, p. 623.
COEURE B., Réforme des marchés de produits dérivés de gré à gré : la position de la Banque centrale européenne. In : Revue d’Economie Financière, n°109, Paris, 2013/1, p. 164.
24 HULL J.C., Options Futures and Other derivatives, Pierson-Prentice Hall, Upper-saddle-River (USA), 2009, p. 1.
25LONGFILS F., Le climat, c’est de l’argent ! Quand le produit dérivé flirte avec la finance et l’assurance, In : Revue Forum de l’Assurance, n°2011/2, Anthemis, Limal, 2011/2, p. 44.
26 LONGFILS F., op.cit., p. 44.
27 DE PIERPONT R., op.cit, p. 133.
28 DE PIERPONT R., op.cit, p. 133.
29 DE PIERPONT R., op.cit, p. 133.
Etat de la Question 2017 • IEV 6
3. Les réponses aux obstacles soulevés
3.1. La fin de l’enrichissement des acteurs de la finance
Les traders à haute fréquence, les gestionnaires de fonds, les banquiers d’investissement « dont le modèle commercial repose sur des transactions financières à haute fréquence et sur des transactions pour lesquelles les montants sous-jacents importants sont fréquemment en jeu » sont les plus actifs pour lutter contre le projet européen de taxe sur les transactions financières30
Comme nous l’avons souligné, la majorité des opérations effectuées sont relatives à des produits financiers dérivés et ces derniers peuvent faire l’objet de positions hautement spéculatives. Or, le chiffre d’affaires de ces acteurs de la finance est plus important si les opérations financières se font avec une haute fréquence car la vitesse des transactions et leur répétition renforce la spéculation et de ce fait les « paris » se font sur des montants élevés.
Par ailleurs, ces acteurs de la finance ne se contentent pas de jouer les intermédiaires pour leurs clients, ils achètent également pour eux-mêmes des produits financiers dérivés et les revendent ensuite. Selon la directive, ces acquisitions et reventes constituent des opérations successives. Cela signifie donc que la taxe est due à chaque opération d’achat et de revente31
Limiter ou contrôler les opérations, désert donc les intérêts de leurs affaires mais aussi leurs intérêts propres.
3.2. Une meilleure régulation des transactions financières
La Commission européenne estime que la taxe sur les transactions financières permettra de séparer le bon gain du mauvais. Autrement dit, la taxe permettrait de différencier les opérations qui reposent sur une substance économique réelle et les paris spéculatifs.
Enfin, les obstacles qui ont été soulevés partent du prérequis que les marchés financiers fonctionnent efficacement, et que la productivité des activités et produits financiers ne doit pas être entravée par une régulation publique et des impôts32
Or, si les effets de la taxe Tobin n’ont pas pu à leur époque être démontrés, faute d’une application concrète, force est de constater que la recherche du gain le plus rapide et la supposée autorégulation des marchés financiers ont montré leurs limites. Dans ce cadre, les Etats européens ne doivent pas rester de simples observateurs des crises financières mais doivent se prémunir et réguler les transactions financières réalisés sur leurs territoires.
4. Le lien entre le projet européen et les régimes étatiques
Certains Etats membres participant à la coopération renforcée ont déjà au sein de leurs législations nationales des mécanismes de taxation des opérations financières. Dès 2013, la France et l’Italie, pourtant parties à la coopération renforcée, ont introduit dans le droit national une taxe sur certaines transactions financières. Ces deux taxes nationales sont assorties de plusieurs conditions cumulatives et de nombreuses exceptions existent. Les deux régimes reposent sur un critère de territorialité similaire. Pour que ces taxes nationales s’appliquent, il faut que l’émetteur des titres ait son lieu d’établissement respectivement dans l’Etat français ou italien. Il s’agit du principe d’émission33
En ce qui concerne la Belgique, une taxe nationale sur les opérations de bourse existe également. Cette taxe est due par les établissements financiers pour certains produits financiers spécifiquement visés par la loi. Il existe différents taux selon la nature des produits visés, la taxe n’est due que pour les opérations qui circulent sur le marché secondaire et le critère de localisation est celui de la localisation en Belgique de l’intermédiaire professionnel qui effectue l’opération34
30 Commission européenne, document de réponses sur quelques questions relatives aux éléments essentiels et sur les effets potentiels de la TTF. Texte disponible sur internet : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/docs/body/faq_fr.pdf
31 Commission européenne, document de réponses sur quelques questions relatives aux éléments essentiels et sur les effets potentiels de la TTF. Texte disponible sur internet : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/docs/body/faq_fr.pdf
32 Commission européenne, document de réponses sur quelques questions relatives aux éléments essentiels et sur les effets potentiels de la TTF. Texte disponible sur internet : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/docs/body/faq_fr.pd
33 VABRES R., Taxe sur les transactions financières : comparaison entre le droit français, le droit italien, et la proposition de directive européenne. In : Revue internationale des services financiers, Larcier, Louvain-la-Neuve, 2014/3, p. 117.
34 Articles 120 et s. du Code des droits et taxes divers.
Etat de la Question 2017 • IEV 7
Cependant, le champ d’application de la proposition de directive est plus important que celui qui est visé par les régimes nationaux.
D’abord, la proposition de directive vise « toutes les transactions financières », la notion de transaction ne se limite pas au transfert de propriété ou de risque. Elle vise toutes les opérations quel que soit le marché, et même les ventes de gré à gré entre des établissements financiers. Ensuite, les instruments financiers visés par la proposition de directive sont beaucoup plus importants que ceux visés par les dispositifs nationaux. Enfin, le critère de territorialité retenue par la proposition de directive est le « principe de résidence ». Pour que la taxe s’applique, il faut « qu’au moins une des parties à la transaction soit établie sur le territoire d’un Etat membre participant et qu’un établissement financier établi sur le territoire d’un Etat-membre participant est partie à la transaction, pour son compte propre, pour le compte d’un tiers ou pour une partie à la transaction »35
La question se pose de savoir si ces taxes nationales peuvent coexister avec la taxe européenne ou si elles doivent être supprimées si la taxe européenne rentre un jour en vigueur ?
Cette question n’a pas encore été tranchée. Contrairement à la directive 2006/112 en matière de TVA, la proposition de directive ne contient pas de disposition explicite qui interdit les taxes nationales. Par ailleurs, les champs d’application étant différents, les différentes taxes pourraient coexister. La question se posera donc comme suit, en vertu du principe de non bis in idem en matière fiscale, il conviendra de ne pas faire subir une double imposition similaire à une même opération.
Nous pouvons observer que dès le projet initial de la Commission, il était prévu que la taxe sur les transactions financières pouvait constituer une nouvelle ressource propre pour l’Union européenne. Autrement dit, , une partie de la taxe prélevée par les Etats membres doit être reversée à l’Union européenne. Les Etats concernés verraient en contrepartie la part qu’ils reversent de leur PIB à titre de dotation à l’Union européenne diminuée. La dernière décision du Conseil européen de mai 2014, renvoie la balle aux Etats participants. Le Conseil européen a invité les États membres participants à examiner si cette taxe pourrait servir de base à une nouvelle ressource propre pour le budget de l’Union européenne. Et qu’il ne devait avoir aucune incidence sur les États membres non participants.
5. Conclusion : quel avenir pour la taxation des transactions financières ?
La dernière crise économique et financière a eu de graves répercussions sur l’économie des Etats membres et sur leurs finances publiques. Le secteur financier a joué un rôle important dans le déclenchement de la crise économique, mais ce sont les pouvoirs publics et les citoyens européens dans leur ensemble qui ont dû en supporter le coût. Dans ce cadre, il est indéniable qu’il faut responsabiliser le secteur financier qui bénéficie actuellement de régimes favorables. Il doit donc être mis à contribution.
Certains Etats ont déjà adopté des mesures dans le domaine de la taxation du secteur financier. Mais ces mesures unilatérales et parfois divergentes ne suffisent pas à établir un meilleur contrôle. Il est impératif de trouver une solution internationale et/ou européenne pour réguler ce secteur et éviter les crises.
Les décisions que l’Union européenne prend sont donc essentielles afin de réguler les transactions financières et de stabiliser les marchés financiers. Cependant, la proposition de directive de 2011 est passée d’une proposition à 27 à une coopération renforcée à 10 Etats membres qui ne parviennent pas à aboutir à une solution unanime.
Plusieurs thèses sont défendues autour du projet européen de taxe sur les transactions financières. Si les plus sceptiques prennent pour argument que la taxe va impacter tous les acteurs de la finance et impacter négativement la mobilisation de l’épargne et l’investissement, les partisans de la taxe défendent le caractère régulateur de celle-ci. Les marchés financiers devraient être davantage stabilisés en raison d’une diminution des opérations spéculatives des traders haute fréquence. Par ailleurs, la taxe permettrait de récolter une recette fiscale aux fins de financer plusieurs politiques de grande envergure36
In fine, l’impact d’une taxe sur les transactions financières variera selon le type de traders qui existeront sur le marché. S’il y a davantage de traders haute fréquence que de traders fondamentaux, la volatilité diminuera.
De ce fait, les pays doivent étudier le comportement des investisseurs actifs sur leurs marchés. L’efficacité de la
Etat de la Question 2017 • IEV 8
35
118. 36
VABRES R., op.cit., p.
CHEUNG S., Analyse objective de la proposition mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières et de ses perspectives d’avenir, Mémoire présenté à HEC/ULg, Liège, 2016, 78 p.
taxe sera fonction de similarités partagées entre les marchés financiers des Etats participants à la coopération renforcée. Des doutes apparaissent de plus en plus dans les positions adoptées par les différents Etats participants. La coopération renforcée se trouve dans une impasse. La prise d’une décision est sans cesse reportée.
Le problème réside donc aujourd’hui dans cette absence de décision. Or, cette absence pourrait, elle-même, renforcer l’instabilité des comportements adoptés sur les marchés financiers. Dans ce cas, comme disait La Fontaine, les Etats devront tirer les leçons de l’adage « tel est pris qui croyait prendre ! »
Etat de la Question 2017 • IEV 9
DANS LA MÊME COLLECTION / ETAT DE LA QUESTION IEV
Les flexi-jobs, une ineptie sociale et économique
Olivier BODY et Florence LEPOIVRE
Accords ADPIC de l’OMC : quel impact sur l’accès aux médicaments ?
Renaud SCHILS
Une syndicalisation forte contre l’augmentation des inégalités
Geoffrey CANTINIAUX
La prévention du harcelement moral au travail
Benoit ANCIAUX
Quel cadre progressiste pour le financement participatif ?
Antoine PIRET
L’aide à la population et la promotion de la paix comme missions prioritaires de l’armée Maxime LECLERCQ-HANNON
L’économie collaborative et l’économie de plateforme pour construire une société plus juste Nathan LALLEMAND
La tarification solidaire dans les transports publics : un moyen d’améliorer l’accès aux TEC pour tous ?
Alexandre MAHIEU
La flexicurité à l’épreuve du temps
Benoit ANCIAUX
Lutte contre le terrorisme : la tentation sécuritaire
Olivier LEGRAND et Louis MALEMPRÉ
L’économie circulaire, un modèle efficace et compétitif ?
Angelo SOLIMANDO
L’outplacement individuel : un chantier en panne ? Droits et/ou devoirs à l’heure d’une législation statique
Benoît ANCIAUX
Le quatrième paquet ferroviaire européen et la libéralisation des services intérieurs de voyageurs
Olivier LEGRAND
La pauvreté infantile et juvénile en Fédération Wallonie-Bruxelles
Etat des lieux et leviers d’action
Delphine GILMAN et Baptiste MEUR
Vers une cotisation sociale sur la technologie ?
Letizia DE LAURI
La réforme de la loi sur la compétitivité ou comment cadenasser l’austérité salariale
Benoît ANCIAUX
Démocratiser les entreprises
Olivier BODY
Vers des allocations familiales plus justes en Wallonie
Anne LIESSE
Le traitement équitable des consommateurs d’électricité face à l’évolution du paysage énergétique
Guillaume LEPÈRE
RÉSUMÉ
Le présent Etat de la question de l’Institut Emile Vandervelde dresse un état des lieux du projet européen de taxe sur les transactions financières. Il retrace l’historique de ce projet, depuis son origine et la proposition de taxe Tobin.
L’Etat de la question propose une analyse et une mise en contexte des enjeux et des obstacles soulevés par cette taxe. Il est notamment question des interactions entre le projet européen et la position des Etats-membres. Il pointe également les obstacles soulevés par le secteur financier.
La note aborde la question de l’assujettissement du secteur de la finance à une juste contribution, la nécessité de réguler les marchés financiers et la possibilité d’arrêter une position commune à l’échelle européenne.
Institut Emile Vandervelde
Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles
Téléphone : +32 (0)2 548 32 11
Fax : + 32 (02) 513 20 19
iev@iev.be
www.iev.be