Pour des tarifs de distribution juste et solidaires-2017

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ETAT DE LA QUESTION

POUR DES TARIFS DE DISTRIBUTION JUSTES ET SOLIDAIRES

DÉCEMBRE 2017

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
FACE À L’ÉVOLUTION DU PAYSAGE ÉNERGÉTIQUE Guillaume LEPÈRE
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Les conséquences du réchauffement climatique 3 3. La transition de notre système énergétique 4 3.1. La consommation d’énergie 4 3.2. Les énergies renouvelables 4 4. La facture d’électricité face à l’évolution du paysage énergétique 5 5. Contradictions et iniquité du système 6 6. Réinventer la tarification de l’énergie 7 7. Conclusion 8

1. Introduction

Historiquement, les partis politiques et les organisations de gauche ont combattu la dégressivité des tarifs d’électricité. Il n’est pas acceptable que de gros consommateurs résidentiels payent moins que de petits consommateurs. Il a dès lors été décidé de prévoir des tarifs proportionnels, c’est-à-dire qu’un kWh vaut toujours le même prix qu’on en consomme beaucoup ou peu.

Par la suite, des voix ont plaidé pour instaurer des tarifs progressifs, c’est-à-dire des kWh de plus en plus chers, dans le but d’assurer une redistribution sociale et de réduire la consommation. Il n’a toutefois jamais été démontré que ce double objectif pouvait être rencontré via une tarification progressive : d’une part, il n’est que partiellement vrai que les ménages riches consomment plus que les pauvres ; d’autre part, le prix de l’électricité n’influence pas significativement la quantité d’énergie consommée1

Aujourd’hui, avec l’indispensable transition énergétique, il est nécessaire d’élaborer une nouvelle forme de tarification. Elle doit offrir les conditions favorables à la réduction de la consommation d’énergie et au développement des énergies renouvelables. Elle doit permettre de lutter contre la précarité énergétique grandissante. Elle doit enfin assurer un traitement équitable entre tous les consommateurs.

Dès lors, l’objectif de cet Etat de la question est d’essayer de répondre à la question suivante : face à l’évolution du paysage de l’électricité, comment continuer à assurer le financement des infrastructures collectives et la solidarité entre les consommateurs ? Les évolutions envisagées concernent en particulier la transition du système énergétique vers un modèle qui consomme moins d’énergie et qui utilise davantage les sources d’énergie renouvelable. Les infrastructures collectives visées sont pour l’essentiel les réseaux de transport et de distribution.

Pour traiter cette question, nous analyserons d’abord les conséquences du réchauffement climatique et le besoin d’une transition de notre modèle énergétique qui en découle. Puis, nous décortiquerons la facture d’électricité et les inégalités que le modèle de tarification actuel entraine. Nous conclurons en proposant quelques pistes d’évolution de la tarification.

2. Les conséquences du réchauffement climatique

Le réchauffement climatique est une réalité confirmée par la communauté scientifique internationale de manière quasi-unanime, même s’il existe encore de rares climato-sceptiques qui cherchent à créer la polémique. Ce sont les activités humaines qui sont à la base de ce réchauffement climatique qui à terme menace le bien-être et la survie même de l’Homme2.

Depuis les années 1990, de nombreuses conférences internationales ont été organisées, dans le cadre des Nations-Unies, pour chercher à apporter une solution à ce problème mondial. Des programmes d’action ont été élaborés par plusieurs Etats ou groupes d’Etats dans le monde ainsi que par les pouvoirs publics régionaux et locaux. Nombre d’entreprises et de citoyens ont également lancé des initiatives diverses.

Malgré tous ces efforts, le réchauffement climatique continue à prendre de l’ampleur. « Selon les rapports d’experts les plus récents, les concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, responsables du réchauffement de la température moyenne du globe et des dérèglements climatiques en résultant, ont atteint un niveau record en 2013. Qui plus est, jamais depuis 1984, année des premières mesures fiables, l’accroissement de ces concentrations n’a été aussi important qu’entre 2012 et 20133 »

Pour l’instant, les pays du monde sont loin de pouvoir rencontrer l’objectif fixé lors de l’Accord de Paris sur le climat, conclu en décembre 2015. Cet accord vise à limiter la hausse de température nettement en dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle4 et à poursuivre les efforts pour respecter le seuil de 1,5°C. Il est pourtant essentiel de prendre toutes les mesures nécessaires pour réaliser cet objectif5

La combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), qui émet des gaz à effet de serre, est la principale cause du réchauffement climatique problématique que nous connaissons aujourd’hui6. Ces énergies fossiles sont

1 Pour plus d’informations à ce sujet : BRUGEL, « Etude relative à la mise en place d’une tarification progressive de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale », Bruxelles, 2 octobre 2015, https://www.brugel.brussels/publication/document/etudes/2015/fr/etude-10.pdf.

2 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « Changements climatiques 2013. Les éléments scientifiques. Résumé à l’intention des décideurs », 5e rapport d’évaluation, 2013, pp. 4-19, https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg1/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf.

3 AYKUT, Stefan C. et DAHAN, Amy, « Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales », Paris, Presse de Sciences Po, 2015, pp. 9-10.

4 L’ère préindustrielle est la période avant la première révolution industrielle dont la date de début est fixée à 1750. Le réchauffement climatique est mesuré par rapport à cette date.

5 Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, Conférence des Parties, 21e session, Accord de Paris, 12 décembre 2015, http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf.

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « Changements climatiques 2013. Les éléments scientifiques. Résumé à l’intention des décideurs », 5e rapport d’évaluation, 2013, pp. 19-29, https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg1/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf.

6 Climat.be, Service public fédéral (SPF) Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, site Internet fédéral belge pour une information fiable sur les changements climatiques, http://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/en-quelques-mots/les-changements-climatiques.

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utilisées pour satisfaire les besoins humains et faire fonctionner notre société (produire des marchandises et des services, se chauffer, s’éclairer, cuisiner, transporter les personnes et les marchandises, etc.).

Si les activités humaines et l’énergie utilisée sont responsables du réchauffement climatique, elles constituent les leviers sur lesquels agir pour contenir ce réchauffement. Par conséquent, la transition de notre système énergétique doit être au cœur de notre réflexion, afin d’émettre moins de gaz à effet de serre et consommer moins d’énergies fossiles.

Le défi est de taille. Ces énergies fossiles constituent le moteur de notre développement depuis des siècles. Plusieurs auteurs ont précisé qu’environ 70% des émissions de gaz à effet de serre proviennent des combustibles fossiles et qu’il faudrait laisser 80% des réserves connues d’énergies fossiles sous terre pour éviter un dérèglement climatique catastrophique7. Une révision complète de l’organisation de nos sociétés est indispensable, notamment dans les pays industrialisés.

3. La transition de notre système énergétique

Pour assurer la transition de notre système énergétique, plusieurs pistes d’action existent. Elles peuvent se renforcer mutuellement. En particulier, deux volets peuvent être épinglés, à savoir la réduction de la consommation d’énergie et le développement des énergies renouvelables.

La réduction de la consommation permettra inévitablement de réduire nos besoins en énergies fossiles. Les énergies renouvelables pourront, quant à elles, remplacer progressivement les sources fossiles.

3.1. La consommation d’énergie

D’après l’Agence internationale de l’énergie, la consommation d’énergie par les utilisateurs finals8 en Belgique est relativement stable (40.064 ktep9 en 2014 contre 41.852 ktep en 2005, avec une variation de quelques pourcents chaque année, à la baisse ou à la hausse)10. De nombreux efforts peuvent encore être réalisés pour réduire la consommation.

L’électricité sera un vecteur d’énergie fondamental dans le cadre de la transition énergétique. Il apparait que la consommation électrique a augmenté jusqu’en 2010. A partir de cette date, le phénomène s’est inversé et la consommation d’électricité sur les réseaux est globalement à la baisse. Cette diminution peut s’expliquer par les progrès de la production décentralisée (énergies renouvelables du type panneaux solaires ou éoliennes) qui a pour conséquence que les consommateurs ne doivent plus prélever (l’intégralité) de l’électricité sur les réseaux. Cette réduction découle aussi de l’amélioration des normes des produits qui consomment moins d’électricité et des effets de la crise économique.

Les réseaux d’électricité sont de deux types. Il y a, d’une part, le réseau de transport d’électricité (réseau d’Elia : réseau haute tension), d’autre part, les réseaux de distribution (moyenne et basse tension). Sur le réseau de transport, l’électricité délivrée aux clients (industriels) qui y sont directement raccordés ainsi qu’aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD) s’élevait à 77 TWh11 en 2014 contre 89,5 TWh en 200512

Sur les réseaux de distribution, l’électricité distribuée est à la baisse depuis des années. En Wallonie, celle-ci est passée de 24.606 GWh13 en 2006 à 21.340 GWh en 201414. A Bruxelles, l’électricité distribuée par Sibelga, le gestionnaire de réseau de distribution, s’élevait à 4.806 GWh en 2014 contre 5.016 GWh en 201215

3.2. Les énergies renouvelables

En Belgique, la production d’énergies renouvelables a été presque multipliée par trois en 10 ans (de 11,9 TWh en 2005 à 31,2 TWh en 2014). Ces statistiques englobent à la fois la production de chaleur, d’électricité et de combustibles pour les transports. Les énergies renouvelables représentaient 2,3% de la consommation finale d’énergie du pays en 2005. En 2014, ce pourcentage s’élevait à 8%. Bruxelles produisait 2,3% d’énergies renouvelables par rapport à sa consommation finale en 2014. Ces chiffres grimpent à 5,7% pour la Flandre et à

7 Voir à ces sujets : LEGGET, Jeremy, « The Carbon War : Global Warming and the End of the Oil Era », Harmondsworth, Penguin Books, 1999 ; LEGGET, Jeremy, « The Energy of Nations. Risk Blindness and the Road to Renaissance », Londres, Routledge, 2013 ; SOLON, Pablo, « Comment vendre un mauvais accord à l’opinion publique » dans Politique, n° 91, septembre-octobre 2015 ; JEANMART, Hervé et alii, « Le défi de la transition énergétique » dans Politique, n° 91, septembre-octobre 2015.

8 Les utilisateurs finaux sont les ménages, entreprises, etc. qui consomment l’énergie pour leur usage propre. Cela n’inclut par exemple pas l’énergie utilisée pour produire de l’électricité.

9 Kilotonne équivalent pétrole = unité de mesure de l’énergie.

10 International Energy Agency (IEA), « Statistics : Belgium », http://www.iea.org/statistics/statisticssearch/report/?country=BELGIUM&product=balances&year=2014.

11 TWh = Térawattheure = unité de mesure de l’énergie. 1 TWh = 1.000 GWh = 1.000.000 MWh = 1.000.000.000 kWh.

12 ELIA, « Facts & Figures », 2008 à 2013, http://www.elia.be/fr/a-propos-elia/publications/facts-and-figures

ELIA Group, Rapport annuel 2014, http://www.elia.be/~/media/files/Elia/publications-2/annual-report/rapport-annuel-2014.pdf.

13 GWh = Gigawattheure = unité de mesure de l’énergie.

14 Commission wallonne pour l’énergie (CWaPE), Rapport annuel, 2014, p. 26.

15 Sibelga, Rapport d’activités, 2014, p. 52.

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10,8% pour la Wallonie16. « Cette croissance résulte d’une forte augmentation de la production d’électricité, de l’apparition des biocarburants17 dans le transport et d’une légère augmentation de la chaleur renouvelable18 »

Sur la même période, la production d’électricité renouvelable a été multipliée par six en Belgique pour atteindre environ 12,5 TWh en 2014. Cette hausse significative est le résultat d’une croissance de l’éolien sur terre et en mer, des installations solaires photovoltaïques et de la production d’électricité à partir de la biomasse19

4. La facture d’électricité face à l’évolution du paysage énergétique

Nous l’avons vu, la production d’électricité renouvelable est en hausse tandis que l’électricité délivrée sur les réseaux connaît plutôt une tendance à la baisse. Cette double évolution n’est pas sans conséquence sur la facturation de l’électricité et sur l’équité entre consommateurs. Pour bien comprendre ce double phénomène, il est important de rappeler d’abord la composition de la facture d’électricité. Nous nous concentrons dans cette analyse sur la facture du consommateur résidentiel. Le prix payé pour consommer de l’électricité se divise schématiquement en trois grands postes :

1. Le coût de l’énergie : le prix de la molécule d’énergie elle-même. Il s’agit d’un prix fixé par kWh20 consommé, accompagné en général d’une redevance annuelle fixe.

2. Les coûts de réseau : les réseaux servent à véhiculer l’électricité depuis le producteur jusqu’au consommateur. Il y a un tarif de transport et un tarif de distribution (correspondant aux deux types de réseaux évoqués ci-dessus).

3. Les prélèvements effectués à l’initiative des pouvoirs publics, dont :

 la cotisation fédérale qui sert à financer le régulateur fédéral21, diverses mesures sociales pour l’accès des personnes précarisées à l’énergie ou la dénucléarisation de certains sites nucléaires ;

 une surcharge fédérale pour financer l’installation d’éoliennes en Mer du nord ;

 une surcharge fédérale pour contribuer à la sécurité d’approvisionnement des réseaux en électricité ;

 diverses surcharges régionales (qui varient d’une région à l’autre) en vue de financer chaque régulateur régional ainsi que des missions d’intérêt public telles que le soutien aux économies d’énergie, des mesures sociales en énergie, le développement des énergies renouvelables (hors éoliennes en mer), l’éclairage public, etc. ;

 la TVA22

Pour que l’électricité parvienne chez chaque consommateur, celle-ci doit être conduite à travers des kilomètres de réseaux. Nous nous concentrons, dans cet Etat de la question, sur les réseaux de distribution et plus précisément sur la consommation en basse tension, qui inclut en grande partie la consommation des ménages23

Les réseaux de distribution nécessitent des investissements réguliers pour leur entretien et leur développement, afin d’assurer la distribution d’électricité dans de bonnes conditions et répondre aux évolutions démographiques et technologiques (dont les sources renouvelables et les mesures de gestion flexible de la demande d’électricité24). Les coûts de ces investissements sont relativement fixes, car ils ne sont que peu influencés par la consommation.

16 Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERE), « Observatoire belge des énergies renouvelables », http://www.apere.org/observatoire-belge-des-energies-renouvelables.

17 Les biocarburants sont des carburants issus de la biomasse. La biomasse est la part biodégradable des produits et résidus provenant de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche et de l’élevage de poissons, ainsi que la part biodégradable des déchets industriels et ménagers. Il s’agit de substances végétales ou animales.

Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERE), « Biomasse-énergie : introduction », http://www.apere.org/biomasse-energie-introduction.

18 Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERE), « Observatoire belge des énergies renouvelables », http://www.apere.org/observatoire-belgedes-energies-renouvelables.

19 Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERE), « Observatoire belge des énergies renouvelables », http://www.apere.org/observatoire-belgedes-energies-renouvelables.

20 Le kWh est une unité de mesure d’énergie.

21 Le régulateur est le « gendarme » du marché de l’électricité et du gaz qui contrôle l’application des règles et le bon fonctionnement du marché, et qui conseille le gouvernement dans certaines thématiques.

22 Commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG), « Etude sur les composantes des prix de l’électricité et du gaz naturel », 9 mars 2016, http://www. creg.info/pdf/Etudes/F1516FR.pdf.

23 Les consommateurs professionnels sont plus souvent raccordés à des réseaux de haute ou de moyenne tension.

24 La gestion flexible de la demande d’électricité vise à adapter la demande à l’offre d’électricité, par exemple en prévoyant par contrat que certains consommateurs puissent, contre rémunération, réduire leur consommation au moment où la production est trop faible. Il s’agit d’une inversion dans la logique de fonctionnement du marché de l’électricité qui historiquement avait plutôt tendance à moduler la production pour répondre à la demande.

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En effet, même si la consommation augmente ou diminue, la structure des réseaux ne va que peu évoluer. Cela se vérifie aussi en partie pour les coûts opérationnels de gestion des réseaux (frais de personnel, etc.) qui sont très peu liés à la consommation.

Ces coûts de réseaux sont financés par les consommateurs d’électricité à travers les tarifs de distribution, qui sont approuvés par les régulateurs régionaux. Ces tarifs, payés par les utilisateurs, constituent les revenus des gestionnaires de réseau de distribution (GRD). Ces revenus sont, quant à eux, en grande partie proportionnels à l’énergie consommée25. Il existe bien une redevance annuelle fixe pour la location du compteur, mais la plus grande partie du tarif du GRD est payée par l’utilisateur par unité de consommation. Le client paye un prix identique pour chaque kWh consommé. Cela signifie que plus les clients consomment, plus ils payeront (en valeur absolue). Au contraire, moins les clients consomment, moins ils payeront.

Une contradiction économique apparait dans ce système. Les coûts de distribution sont peu liés à l’énergie distribuée, alors que les revenus, qui servent à couvrir ces mêmes coûts, dépendent bien de l’énergie distribuée (ou consommée). Dès lors, si l’énergie consommée diminue, les recettes diminueront en proportion. Les coûts de distribution diminueront quant à eux nettement moins, et proportionnellement moins que les recettes. Pour assurer l’équilibre entre les coûts et les recettes, le tarif de distribution (par kWh) devrait être augmenté26. Autrement dit, les coûts devront être répercutés sur un volume plus faible d’énergie distribuée. L’unité de consommation (le kWh) sera dès lors plus chère et le consommateur, pris individuellement, à consommation égale, payera plus cher. En effet, s’il y a 1.000 euros de coûts à répartir sur 500 kWh, chaque kWh coûtera 2 euros. Par contre, si seuls 250 kWh sont consommés, chaque kWh coûtera 4 euros. Un consommateur qui utilise 50 kWh payera dès lors 200 euros au lieu de 100 euros précédemment.

La logique est identique pour toute une série de surcharges imposées par les pouvoirs publics et qui sont financées par les consommateurs. Ces surcharges servent notamment à financer l’éclairage public, des missions sociales ou des objectifs environnementaux. Les coûts à financer pour couvrir ces diverses missions ne sont pas liés à la consommation. Si la consommation augmente, ces coûts sont répartis sur davantage de kWh, chaque kWh coûte dès lors moins cher. Si la consommation baisse, chaque kWh est plus onéreux.

La baisse de la consommation de l’électricité distribuée sur les réseaux a des répercussions sur le financement des GRD et de ces missions d’intérêt public. Avec les efforts mis en œuvre pour réduire notre consommation, ce phénomène pourrait s’amplifier à l’avenir. A contrario, certaines évolutions, telles que la multiplication des véhicules électriques, pourraient augmenter la consommation d’électricité.

Par ailleurs, le développement des énergies renouvelables a aussi un impact sur le financement des réseaux et des missions de service public. En effet, les consommateurs qui possèdent des installations de production électrique renouvelable (en particulier des panneaux solaires photovoltaïques) prélèvent moins d’électricité sur les réseaux de distribution, car ils consomment en partie l’électricité qu’ils produisent eux-mêmes. La consommation sur le réseau diminue d’autant plus.

5. Contradictions et iniquité du système

Cette manière de calculer les tarifs de distribution peut se révéler tout à fait contreproductive et être source d’inégalités. Nous identifions au moins quatre cas problématiques liés à l’évolution du secteur de l’énergie. Premièrement, « […] les économies d’énergie que pourraient réaliser les ménages ne sont pas récompensées puisqu’une baisse de la consommation se traduira inévitablement par une hausse du tarif de distribution. S’il y a moins de kWh distribués, du fait des économies d’échelles, les coûts diminuent moins que les revenus et une hausse du prix est nécessaire pour assurer l’équilibre financier du GRD. Baser le tarif de distribution quasi exclusivement sur les kWh consommés est à terme intenable27. »

Deuxièmement, les propriétaires de panneaux solaires ont en général des « compteurs qui tournent à l’envers ». Concrètement, ils consomment de l’électricité provenant du réseau lorsque leurs panneaux ne fonctionnent pas ou ne permettent pas de couvrir l’ensemble de leurs besoins (absence de soleil par exemple). A contrario, lorsqu’ils ne consomment pas l’électricité produite par leurs panneaux, celle-ci est injectée dans le réseau. Dans le calcul de la facture, cette électricité injectée vient en réduction de l’électricité consommée. En fin de compte, le consommateur en question ne paye que la différence entre l’électricité consommée du réseau et l’électricité injectée sur le réseau. Pourtant, il a utilisé le réseau à la fois pour consommer et pour injecter de l’électricité, mais sans payer l’entièreté du service offert.

Ce principe peut se comprendre pour donner un coup de pouce au développement des énergies solaires. Toutefois, plus les productions renouvelables se développent, plus cette logique devient inefficace. Les propriétaires de panneaux solaires ne contribueront plus ou peu aux coûts des réseaux et aux missions d’intérêt public, tandis que

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25 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), pp. 176-177. 26 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), p. 180. 27 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), p. 180.

les consommateurs qui n’ont pas de production renouvelable contribueront davantage à ces frais28.

De plus, les diverses surcharges publiques, financées via la facture, servent notamment à soutenir le développement des énergies renouvelables. C’est une charge significative. Concrètement, cela signifie que les citoyens qui ont bénéficié de ces aides publiques ne financeraient plus ou peu ces mêmes aides pour d’autres citoyens.

Le système doit être d’autant plus repensé que le développement des énergies renouvelables nécessite des investissements supplémentaires pour la gestion des réseaux de transport et de distribution29

L’évolution du paysage énergétique, dans le modèle actuel, a dès lors tendance à renforcer les inégalités entre consommateurs.

Troisièmement, ce phénomène pourrait se renforcer avec le développement des capacités de stockage. Les autoproducteurs (les producteurs d’énergie renouvelable qui consomment une grande partie de leur propre production) pourraient à l’avenir stocker toute l’électricité qu’ils produisent et qu’ils ne consomment pas au moment même. Ils prélèveraient dès lors encore moins d’électricité sur le réseau.

Quatrièmement, le développement des énergies renouvelables nécessite de renforcer les mécanismes de gestion flexible de la demande d’électricité. Il y a au moins deux raisons. D’abord, l’électricité renouvelable est issue de sources souvent intermittentes (les panneaux solaires ont besoin de soleil pour produire, les éoliennes ont besoin de vent, etc.). Cette variabilité requiert de pouvoir adapter la consommation d’électricité relativement rapidement, afin de ne pas consommer davantage que la quantité produite (au niveau de l’ensemble des réseaux belges). Pour l’essentiel, l’électricité ne peut pas être stockée et elle doit donc être consommée au moment de sa production –même si cette situation devrait évoluer à l’avenir.

Ensuite, l’électricité renouvelable est souvent produite de manière décentralisée. Il existe une multitude de petits sites de production (éoliennes, panneaux solaires, etc.) qui sont disséminés sur l’ensemble du territoire et donc sur l’ensemble du réseau. C’est l’exact opposé des grandes centrales de production d’électricité centralisées, telles que des centrales nucléaires ou au gaz. La multiplication de sites de production décentralisés peut entrainer des congestions du réseau de distribution à certains endroits s’il y a par exemple trop de panneaux installés dans un quartier et qu’ils injectent de l’électricité sur le réseau concomitamment. Il devrait alors être possible d’augmenter la consommation de ces acteurs ou d’autres dans le quartier en question pour éviter ces congestions (par exemple, en déclenchant le chargement de véhicules électriques branchés à proximité). Si ces mesures de gestion de la demande ne sont pas utilisées, l’alternative est de renforcer la capacité du réseau de distribution (pour pouvoir transporter davantage d’électricité simultanément). Cette solution risque toutefois d’engendrer un coût bien plus conséquent qui serait à charge du consommateur.

La gestion flexible de la demande d’électricité offre d’intéressantes perspectives. Toutefois, là encore, existe un risque d’inégalités entre consommateurs. En effet, le consommateur qui réduit sa consommation à la demande contribue moins au financement du réseau et il est rémunéré pour sa flexibilité. De plus, même s’il consomme moins, il utilise quand même grandement le réseau et le fait d’y être raccordé. Au bout du compte, le « consommateur flexible » financerait moins le réseau qu’un consommateur classique tout en tirant un bénéfice de l’utilisation de ce même réseau (par le fait d’y être raccordé mais sans consommer).

Ces différences de traitement sont d’autant plus problématiques que les personnes qui investissent dans les économies d’énergie, dans l’installation d’unités de production d’énergie renouvelable, dans les batteries de stockage ou qui participent à la gestion flexible de la demande ont en général des moyens financiers pour le faire. Les citoyens avec des revenus plus faibles n’ont par contre pas nécessairement la capacité financière d’investir dans la production renouvelable ou dans l’isolation de leur logement.

6. Réinventer la tarification de l’énergie

Pour éviter tout malentendu, commençons par souligner qu’il est indispensable de concrétiser la transition énergétique, via notamment les économies d’énergie, les énergies renouvelables et les mesures de flexibilité qui les accompagnent. Ce processus ne peut pas être remis en cause. Par contre, le modèle de tarification doit être repensé pour, d’une part, réduire les inégalités et, d’autre part, assurer le financement équitable des réseaux et des missions d’intérêt public liées à l’énergie.

Avec l’évolution du paysage énergétique, les métiers des GRD se modifient. Ils assurent la distribution d’énergie ainsi que le raccordement au réseau. Auparavant, les utilisateurs du réseau étaient surtout des consommateurs d’énergie. Pour les auto-producteurs, le raccordement au réseau a pris beaucoup plus d’importance que par le passé. Cette connexion permet d’injecter le surplus d’électricité produite ou de consommer l’électricité lorsque la production propre n’est pas suffisante30. Les consommateurs qui participent à la gestion flexible de la demande

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28 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), pp. 181-182. 29 DESAMA, Claude, « La distribution d’électricité face au nouveau paradigme énergétique », Annales historiques de l’électricité, 2012/1, n°10, pp. 85-94.

ont aussi grand besoin d’être raccordés au réseau tout en consommant moins qu’un consommateur classique. Le financement des coûts de réseau de distribution et des surcharges publiques doit être revu, afin de s’adapter à cette réalité. Les objectifs poursuivis par cette réforme sont au nombre de cinq :

- le financement des énergies renouvelables et des économies d’énergie31 ;

- le soutien aux mesures de lutte contre la précarité énergétique ;

- la rétribution adéquate des missions des GRD ;

- l’encouragement des mesures de gestion flexible de la demande ;

- l’équité, afin que chacun contribue en fonction de ses capacités et que l’électricité reste à un prix abordable pour les ménages.

Vu les constats posés précédemment, il importe que la tarification soit aussi davantage indépendante de la consommation. Les trois éléments qui peuvent être utilisés pour déterminer les tarifs sont dès lors :

- le payement d’un abonnement (terme fixe) pour rémunérer les services offerts par le réseau ;

- le raccordement au réseau en fonction de la puissance du raccordement (par exemple, un propriétaire de panneaux solaires aura besoin d’un raccordement plus puissant qu’un consommateur classique) ;

- la consommation d’énergie.

La tarification pourrait être fixe en fonction d’un abonnement ou de la puissance du compteur qui relie l’utilisateur au réseau. La variation de la consommation n’entrainerait plus des modifications des tarifs. Les propriétaires d’installations de production renouvelable, ceux qui investissent dans les économies d’énergie et les « consommateurs flexibles » continueraient à assumer leur part des dépenses collectives.

Toutefois, il faut éviter de tomber dans l’extrême inverse. La tarification ne peut pas être entièrement déliée du niveau de consommation, en vue de conserver un incitant à consommer peu d’énergie.

Nous pourrions à l’avenir envisager un tarif hybride, composé d’une part fixe sous forme d’abonnement, d’une part fixe liée à la puissance de raccordement au réseau et d’une part variable liée à la consommation d’énergie. Cette formule reflèterait les divers services fournis par les GRD alors qu’aujourd’hui, c’est surtout la distribution d’énergie qui est rémunérée32

La répartition précise entre les trois éléments mérite une analyse fine, afin d’atteindre le juste équilibre au regard des objectifs poursuivis. Cette répartition peut également varier en fonction du type de consommateurs. Une répartition à la fois fixe et variable pourrait aussi être envisagée pour le financement des missions de service public. La partie fixe pourrait être liée à la hauteur des revenus du consommateur, en évitant toutefois d’introduire trop de complexité dans la facture.

L’évolution entre le modèle actuel et un futur système devra être progressif et les consommateurs devront être pleinement informés, afin d’éviter tout désagrément. Les citoyens vulnérables auront besoin d’un accompagnement spécifique pour les inclure au maximum dans la transition énergétique. La facture doit également être aussi lisible que possible, ce qui implique de ne pas complexifier la tarification.

7. Conclusion

Les urgences environnementales et climatiques nous amènent à revoir drastiquement notre rapport à l’énergie. Nous devons consommer moins d’énergie et remplacer les énergies fossiles par des sources renouvelables. La précarité énergétique croissante nécessite aussi de réduire les inégalités entre consommateurs.

L’évolution du paysage énergétique vers un modèle plus durable crée pourtant de nouvelles inégalités entre consommateurs résidentiels. La méthode actuelle pour calculer les tarifs de distribution d’électricité et la répartition des coûts entre utilisateurs a tendance à favoriser les propriétaires de panneaux solaires, ceux qui participent aux mécanismes de gestion flexible de la demande d’électricité et ceux qui investissent dans leur logement pour réduire leur consommation d’électricité. Il en va de même pour le financement des missions d’intérêt public qui sont prises en charge par la facture.

Au contraire, les citoyens qui n’ont pas les capacités d’investir dans ces nouvelles technologies peuvent être

30 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), p. 182.

31 Ces politiques peuvent également être financées par l’impôt mais il s’agit alors d’une logique tout à fait différente. C’est d’ailleurs en partie le cas, surtout pour le soutien aux économies d’énergie.

32 GAUTIER, Axel, « Repenser la tarification de l’énergie », Reflets et perspectives de la vie économique, 2015/1 (Tome LIV), p. 182.

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défavorisés et le phénomène pourrait s’amplifier à l’avenir. Ces citoyens ont pourtant probablement davantage besoin d’aide pour être acteur de la transition énergétique.

Afin de réussir cette nécessaire transition, énergétique et sociale, il est indispensable de repenser le modèle tarifaire pour y apporter plus d’équité et garantir l’accès de chacun à l’énergie. Une solution serait dès lors de baser la tarification sur trois critères : l’abonnement à un service, la puissance du raccordement au réseau et la consommation d’énergie. Les modalités d’application, dont le poids respectif de chaque critère, devraient être analysées plus en détail.

Cette solution aurait en tout cas l’avantage d’assurer plus d’équité dans le financement des réseaux et des missions d’intérêt public, tout en intégrant les évolutions du système énergétique et en maintenant un incitant à modérer sa consommation. Cette remise à plat du système est une condition indispensable pour réussir la transition énergétique.

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RÉSUMÉ

Les urgences environnementales et climatiques nous amènent à revoir drastiquement notre rapport à l’énergie. Nous devons consommer moins d’énergie et remplacer les énergies fossiles par des sources renouvelables. La précarité énergétique croissante nécessite aussi de réduire les inégalités entre consommateurs.

La transition du paysage énergétique vers un modèle plus durable crée pourtant de nouvelles inégalités entre consommateurs résidentiels. La méthode actuelle pour calculer les tarifs de distribution d’électricité et la répartition des coûts entre utilisateurs a tendance à favoriser les propriétaires de panneaux solaires, ceux qui participent aux mécanismes de gestion flexible de la demande d’électricité et ceux qui investissent dans leur logement pour réduire leur consommation d’électricité. Il en va de même pour le financement des missions d’intérêt public qui sont prises en charge par la facture.

Au contraire, les citoyens qui n’ont pas les capacités d’investir dans ces nouvelles technologies peuvent être défavorisés et le phénomène pourrait s’amplifier à l’avenir. Ces citoyens ont pourtant probablement davantage besoin d’aide pour être acteur de la transition énergétique.

Afin de réussir cette nécessaire transition, énergétique et sociale, il est dès lors indispensable de repenser le modèle tarifaire pour y apporter plus d’équité et garantir l’accès de chacun à l’énergie.

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

iev@iev.be www.iev.be

Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

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