Des soins de santé pour tous-2017

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ETAT DE LA QUESTION

DES SOINS DE SANTÉ POUR TOUS

Anne LIESSE

DÉCEMBRE 2017

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Contexte 3 2.1. De l’importance d’un système de protection sociale 3 2.2. L’assurance maladie obligatoire 4 3. La couverture en soins de santé est-elle universelle en Belgique ? 4 4. La nécessité de changer de paradigme pour que chacun puisse se soigner 5 5. La gratuité pour l’indispensable 6 5.1. Des consultations en médecine générale et en dentisterie générale totalement prises en charge par l’assurance maladie obligatoire 6 5.2. Des consultations psychologiques de première ligne prises en charge par l’assurance obligatoire 7 5.3. La simplification administrative de l’aide médicale urgente pour l’ouverture de droits des assurés sociaux 7 6. Un point d’entrée principal dans le système de soins de santé 8 7. Trois conditions fondamentales à remplir pour assurer la réussite du modèle 8 8. La prévention pour renverser la vapeur 9 9. Conclusions 9

1. Introduction

Être en bonne santé est indispensable pour pouvoir mener une vie active, travailler, s’occuper de sa famille et de ses proches, développer et participer à des projets, etc.

De nos jours, grâce à la sécurité sociale et aux progrès de la médecine, on peut se maintenir en forme, se prémunir contre une maladie évitable et se soigner.

Malheureusement, trop de personnes passent encore à travers les maillent du filet de la protection sociale et n’accèdent pas aux soins nécessaires. Des besoins de santé non couverts restent également sans réponse.

Alors que des moyens plus importants devraient être consacrés pour répondre à l’allongement de la vie, à l’augmentation des maladies chroniques et au développement technologique, les pouvoirs publics réalisent des coupes budgétaires importantes dans le budget des soins de santé.

Le présent Etat de la question de l’Institut Emile Vandervelde analyse les failles dans notre couverture de soins de santé et identifie des pistes de solutions structurelles. Ces solutions poursuivent l’objectif que le principe de la couverture de santé universelle et équitable s’applique à toutes les personnes qui résident sur notre territoire, quel que soit leur statut ou leur revenu. La volonté est aussi de garantir la soutenabilité de notre système de soins grâce à une meilleure régulation. Pour cela, des changements majeurs sont à apporter dans le paysage de la santé. Un réel changement de paradigme doit s’opérer.

L’analyse ne sera toutefois pas exhaustive. Nous l’indiquons d’emblée. En effet, au-delà des aspects financiers et d’organisation des soins de santé, l’accessibilité géographique, culturelle, etc. sont autant d’éléments à prendre en compte concomitamment pour assurer une réussite du modèle. L’analyse se focalise sur l’accessibilité financière et la gratuité de la première ligne de soins comme point d’entrée d’un nouveau modèle de soins de santé.

2. Contexte

2.1. De l’importance d’un système de protection sociale

La notion la plus importante d’un modèle de protection sociale, c’est celle de la solidarité entre tous : travailleurs et chômeurs, personnes en bonne santé et malades, actifs et pensionnés, famille avec enfants et sans enfants, personnes avec revenus et sans ressources, etc.

La solidarité est garantie par les « actifs » qui payent une cotisation sociale. Chacun contribue en fonction de ses moyens et chacun en bénéficie en fonction de ses besoins.

Chez nous, la protection sociale se compose de deux piliers fondamentaux : l’assurance (la Sécurité sociale) et l’assistance (l’aide sociale).

La Sécurité sociale est basée sur un double principe : l’assurance et la solidarité. Elle a pour objectif le maintien d’un pouvoir d’achat suffisant pour garantir une indépendance sociale aux travailleurs lorsqu’ils sont confrontés à une perte de revenu suite à une maladie, un accident, le chômage ou l’âge.

L’assistance repose sur la seule notion de solidarité. Elle octroie un droit à un « minimum de base » moyennant une enquête sur les ressources de la personne qui sollicite cette aide. L’assistance se distingue aussi de la Sécurité sociale par son financement qui repose exclusivement sur les recettes fiscales. L’aide individuelle est financée par la solidarité générale.

En Belgique, le droit à la Sécurité sociale et à l’aide sociale est inscrit dans la Constitution. Son article 23 prévoit que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les droits sociaux garantis constitutionnellement comprennent le droit à la Sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique.

Le droit à la Sécurité sociale et à l’aide sociale a été obtenu au prix de nombreuses luttes sociales. Il a fallu plus d’un siècle pour construire un système de protection sociale pour tous les travailleurs en Belgique. C’est grâce à ce système que des millions de ménages ont évité de tomber dans la pauvreté ou sont sortis de la précarité.

Aujourd’hui, la protection sociale a gardé tout son sens.

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En Belgique12, 20,7% des personnes courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale3. Plus précisément, 15,5% de la population belge vit sous le seuil de pauvreté si le revenu est pris comme référence, 5,5% de la population souffrent de privation matérielle sévère4 et 14,6% vivent dans un ménage à très faible intensité de travail. Ces chiffres sont préoccupants, d’autant plus qu’ils sont probablement sous-estimés : certains groupes de population (des personnes sans abri, des personnes en séjour illégal, des ménages collectifs5, etc.) n’ont pas pu être pris en compte dans l’enquête pour des raisons pratiques. Ils ne sont en effet pas inscrits dans le registre national des personnes physiques. Mais, sans le système belge de protection sociale, la pauvreté toucherait 44,2% de l’ensemble de la population. Elle monterait à 47,5% pour les femmes et à 93% pour les personnes âgées de 65 ans et plus1.

2.2. L’assurance maladie obligatoire

L’assurance maladie obligatoire est une branche de la Sécurité sociale. Elle donne droit à des prestations de santé (soins préventifs et soins curatifs nécessaires au maintien et au rétablissement de la santé). Grâce au système de remboursement, les cotisations versées à la Sécurité sociale permettent d’alléger la facture des soins de santé d’une personne lorsqu’elle tombe malade.

Concrètement, lorsqu’une personne est malade, une grande partie du coût des soins de santé est remboursée par l’assurance maladie obligatoire. Pour le patient, cela réduit considérablement le montant qu’il paie pour une consultation, un traitement, une hospitalisation, etc. A titre d’exemple, avec la Sécurité sociale, un patient paie 6 euros6 pour une consultation chez un médecin généraliste conventionné sur un coût total de 21,09 euros. Pour l’intervention d’une appendicite, le patient débourse 100 euros. Sans la Sécurité sociale, elle lui coûterait 1.000 euros.

Environ 99% des personnes inscrites au registre national et domiciliées en Belgique ont droit au remboursement de l’assurance obligatoire. Pour les personnes qui ont des faibles revenus ou des dépenses importantes de santé, la Sécurité sociale est encore plus généreuse grâce aux filets de sécurité sociaux (le maximum à facturer, l’intervention majorée, le tiers-payant social, le dossier médical global).

Pour les personnes qui sont en-dehors du cadre de l’assurance maladie obligatoire comme les personnes en séjour irrégulier, les personnes avec visa, les Européens ou encore les demandeurs d’asile, le système de l’assistance leur permet d’accéder légalement aux soins. Ce système s’appelle l’ « aide médicale urgente ».

3. La couverture en soins de santé est-elle universelle en Belgique ?

En théorie, avec notre protection sociale, tout le monde, devrait avoir accès aux soins de santé. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Pour certaines personnes, les conditions7 pour ouvrir un droit aux soins de santé représentent des barrières à l’accès aux soins. Pour d’autres, des freins liés à la méconnaissance et/ou à la complexité du système (essentiellement de l’assistance) les empêchent d’accéder aux soins de santé.

L’Inami estime à environ 240.000 le nombre de résidents8 belges qui ne sont pas assurés : soit ils ne sont pas

1 Selon l’enquête EU-SILC 2016 (European Union – Statistics on Income and Living Conditions ou Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie).

2 Indicateur européen de pauvreté composé des critères sur le revenu, la privation matérielle grave et de la faible intensité de travail dans le ménage.

3 La déprivation matérielle est mesurée sur la base de neuf items, à savoir, si le ménage a la capacité financière de…

- Faire face à des dépenses imprévues ;

- Manger tous les deux jours un repas comprenant des protéines ;

- Chauffer correctement son logement ;

- Partir une semaine par an en vacances ;

- Eviter les arriérés de crédit, de loyer et de paiement ;

- Disposer (s’il le désire) d’une voiture ;

- Disposer (s’il le désire) d’une télévision ; - Disposer (s’il le désire) d’un téléphone ; - Disposer (s’il le désire) d’une machine à laver.

4 Par ménage collectif, on entend : les communautés religieuses, les maisons de repos, les orphelinats, les logements pour étudiants ou travailleurs, les institutions hospitalières et les prisons. Aucune personne n’est prise en référence pour les collectivités.

5 Consultation au cabinet du médecin généraliste conventionné, sans dossier médical global. Dans le cadre d’un dossier médical global, le patient ne déboursera que 4 euros. Circulaire OA n° 2017/261 du 23 août 2017.

6 Affiliation obligatoire auprès d’un organisme assureur, cotisations sociales payées et suffisantes, stage de six mois dans certaines situations.

7 Au sens commun du terme et non légal.

8 DEMAREST S., Accessibilité financière aux soins de santé. In : DRIESKENS S., GISLE L., Enquête de santé 2013. Rapport 3 : Utilisation des services de soins de santé et des services sociaux, Institut Scientifique de Santé publique, Bruxelles, 2015, p. 32.

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affiliés à une mutuelle, soit ils ne remplissent pas les conditions (paiement cotisation, pièces justificatives, etc.) pour avoir droit aux prestations bien qu’affiliés à une mutuelle. D’autres, comme les personnes en séjour irrégulier, les demandeurs d’asile, les sans-abris n’accèdent pas aux soins. Les obstacles administratifs, la complexité des procédures pour les personnes hors cadre de l’assurance obligatoire ainsi que la discrimination dans les services de santé et la méconnaissance de leurs droits sont omniprésentes.

Ensuite, de fortes inégalités persistent même parmi les personnes assurées qui bénéficient des prestations. En moyenne, 8%9 des ménages en Belgique ont été contraints reporter des soins pour des raisons financières au cours des douze derniers mois. A Bruxelles, cette proportion atteint 22%10. Selon une enquête menée en avril 2013 par Solidaris, ce sont les femmes (24,9%), les familles monoparentales (44,3%), les adultes âgés entre 18 et 45 ans (une personne sur trois) et les groupes sociaux les plus faibles (26%) qui sont les plus touchés par le phénomène de report des soins. Les premiers postes de dépenses qui sont reportés sont les médicaments (33%), les soins dentaires (23%) et les consultations généralistes (23%). La politique menée par l’actuel gouvernement fédéral accroit l’augmentation des inégalités en matière de santé, particulièrement pour les groupes les plus vulnérables. Les mesures qui sont adoptées depuis la mise en place de ce gouvernement en 2014 touchent directement le portefeuille des patients : augmentation des tickets modérateurs des consultations spécialistes, indexation du maximum à facturer, augmentation du prix des médicaments en pharmacie, etc. La classe moyenne inférieure est quant à elle dans une zone grise qui devient de plus en plus préoccupante.

Quant à la contribution personnelle des patients au coût total des soins de santé, il atteint, pour l’année 201311, 17,9% en Belgique. Cette proportion est plus élevée que la moyenne de l’UE-1512. Or, plus le niveau de contribution personnelle est élevé, plus l’accessibilité financière des soins de santé pour les groupes les plus faibles peut être compromise. Ces dépenses à charge des patients comprennent les tickets modérateurs, les suppléments et les frais médicaux qui ne sont pas inclus dans l’assurance maladie obligatoire.

Ces chiffres relatifs à l’accessibilité financière sont à mettre en relation avec les constats relatifs aux besoins de santé non rencontrés qui subsistent dans notre système d’assurance comme les lunettes, les appareils auditifs, prothèses dentaires, les consultations psychologiques. Les défis de demain liés à l’allongement de la vie et à la croissance des maladies chroniques constituent aussi des éléments importants dans l’analyse des besoins de santé.

L’ensemble de ces éléments montrent, d’une part, que la couverture en soins de santé n’est pas universelle et, d’autre part, qu’elle risque de laisser de plus en plus de personnes tomber entre les mailles du filet de notre protection sociale.

4. La nécessité de changer de paradigme pour que chacun puisse se soigner

Les carences dans notre modèle de protection sociale, les besoins non couverts, les grands défis à venir, l’augmentation des prix dans divers secteurs dont celui des dépenses pharmaceutiques, le phénomène de surconsommation, le sous-financement du secteur de la santé sont autant de problématiques auxquels notre pays doit faire face. Des solutions structurelles doivent être mises en place rapidement pour éviter une détérioration irrémédiable de la santé des citoyens.

Les tenants d’une solidarité forte – tels que le Parti Socialiste – veulent aboutir à une couverture de santé universelle et équitable qui doit s’appliquer à toutes les personnes résidant en Belgique, quel que soit leur statut. Pour ce faire, des moyens plus importants doivent dès à présent être consacrés au système des soins de santé pour suivre l’augmentation mécanique des coûts liés à l’allongement de la vie, aux maladies chroniques et au développement technologique. L’acceptation collective du financement de ces dépenses et l’ampleur de ce financement constituent la condition majeure de réussite d’un système qui puisse répondre aux besoins de santé et qui soit en équilibre financièrement.

La maîtrise des coûts de cet écosystème est essentielle. C’est pourquoi il faut à la fois s’engager dans la voie de la gratuité des soins pour tous et favoriser la prise de conscience des prestataires et des citoyens de la nécessité d’une régulation responsable de notre système de soins.

9 Ibidem, p. 62.

10 VRIJENS F, RENARD F, CAMBERLIN C, DESOMER A, DUBOIS C, JONCKHEER P, VAN DEN HEEDE K, VAN DE VOORDE C, WALCKIERS D, LÉONARD C, MEEUS P. La performance du système de santé Belge - Rapport 2015. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 259B. D/2015/10.273/02.

11 Le terme d’UE-15 fait référence aux 15 pays qui étaient membres de l’Union européenne au 31 décembre 2003, avant l’élargissement aux nouveaux États membres : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède.

12 VAN HERCK P., VAN DE CLOOT I., Quel est l’état de santé des soins de santé mentale en Belgique ? La réalité derrière les mythes, Itinera institute analyse, Bruxelles, 2013, p. 20.

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Agir en amont du système curatif via une orientation des budgets vers la prévention et la promotion de la santé est indispensable. Une politique efficace de prévention et de promotion de la santé réduit progressivement l’apparition des maladies évitables ainsi que la durée des traitements. Sans un investissement massif en prévention et en promotion de la santé, le système de soins classique s’asphyxiera face à l’explosion des coûts.

Ensuite, une politique inclusive en matière de logement, d’enseignement, etc. doit être mise en place. Pol Gerits déclarait en septembre 2017 dans Health Forum que « les actions menées par le secteur des soins de santé n’influencent en effet les inégalités que de 20% maximum. Les 80% restants sont du ressort de l’enseignement, du logement, de l’emploi, etc. ». Sans renforcement des politiques de l’enseignement, du logement ou de l’emploi, la lutte contre les inégalités sociales en matière de santé ne pourra être totalement efficace.

Enfin, l’accès universel aux soins doit devenir une réalité pour chaque personne résidant en Belgique. A cette fin, les consultations de base (de première ligne) doivent entièrement être prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. C’est la position que défend le Parti Socialiste.

La gratuité de la première ligne participe de la volonté d’ôter les freins financiers et de garantir les soins nécessaires à chacun. 90% des soins peuvent être traités par la médecine générale. Dès lors, il est possible, au départ de la médecine générale, de construire un modèle de santé nettement plus égalitaire. De plus, mettre l’accent sur la médecine générale réduit les frais de la médecine spécialisée, plus coûteuse à la sécurité sociale et aux patients.

Ce modèle reposant sur la gratuité des soins de première ligne s’accompagne d’un point d’entrée principal dans le système de soins de santé. C’est le principe de subsidiarité qui permet qu’une personne puisse recevoir les bons soins au bon moment auprès de la bonne personne. Cette porte d’entrée principale favorise la prise en charge globale du patient chez le médecin généraliste et régule mécaniquement les dépenses inutiles.

Avec la gratuité de ces soins, les patients arrivent plus tôt dans le système de soins et requièrent des traitements moins longs, moins spécialisés et moins coûteux.

En définitive, une protection sociale de base pour tous vise une société plus inclusive et permet de réduire les dépenses globales. Pour cela, l’hypothèse de départ où les malades et les prestataires sont actuellement considérés par le gouvernement fédéral actuel comme potentiellement des fraudeurs, des sur-prescripteurs ou des sur-consommateurs devra évoluer vers une hypothèse où les acteurs utilisent les services dont ils ont besoin et où ils sont parties prenantes d’un écosystème qu’ils utilisent avec parcimonie pour le bien de tous en ce compris le leur. Il s’agit d’un nouveau paradigme où les patients et les prestataires sont des acteurs responsables par leurs choix et contribuent ainsi à la pérennité d’un système.

5. La gratuité pour l’indispensable

En Belgique, la mutuelle rembourse une partie importante de la consultation médicale. Mais le patient fait face à deux difficultés. La première, c’est qu’il doit avancer la somme nécessaire au paiement des honoraires du médecin, avant de se faire rembourser lui-même par sa mutuelle. La deuxième : le remboursement par la mutuelle ne couvre pas la totalité du coût de la consultation. Il reste une part financière à charge du patient après le remboursement de l’assurance maladie ; c’est ce que l’on appelle le ticket modérateur.

Dans la perspective de favoriser l’accès de tous aux soins de santé, ces deux écueils doivent être éliminés : devoir avancer l’argent de la consultation ne peut plus être un frein pour se soigner ; la part qui reste à charge du patient après le remboursement de l’assurance maladie (le ticket modérateur) non plus.

Concrètement, pour rencontrer l’objectif d’un accès maximal aux soins de santé, il s’impose que les consultations en médecine générale, en dentisterie générale et les consultations psychologiques de première ligne soient totalement prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Le patient ne déboursera donc plus un euro pour les consultations de ce type. Complémentairement, les soins de santé doivent être rendus accessibles aux personnes actuellement non couvertes. Pour ce faire, le système d’ouverture des droits doit être fortement simplifié, en particulier pour tous les habitants en situation précaire.

5.1. Des consultations en médecine générale et en dentisterie générale totalement prises en charge par l’assurance maladie obligatoire

La concrétisation de l’accès de tous aux soins de santé impose que les consultations de médecine générale, de dentisterie générale et de psychologie générale soient totalement prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Dans ce cas de figure, le patient ne débourse rien pour ces consultations : la mutuelle prend en charge le paiement de la consultation et elle est elle-même remboursée de l’intégralité de la consultation par l’assurance maladie.

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Plusieurs initiatives ont été mises en place et ont démontré une meilleure accessibilité aux soins de santé lors de la suppression du ticket modérateur pour le patient. Citons le système de paiement au forfait dans les maisons médicales qui permet aux patients de bénéficier de soins sans débourser d’argent. C’est un système où l’Inami s’acquitte d’un forfait mensuel pour l’ensemble des patients inscrits auprès de chaque maison médicale. Ces montants permettent à la maison médicale d’organiser les soins pour tous, que les patients utilisent ou non les services. Ce mécanisme donne des résultats extrêmement positifs en termes d’accessibilité aux soins.

De même, la prise en charge intégrale du ticket modérateur en médecine générale par l’assurance maladie obligatoire est une façon de garantir à chacun qu’il puisse se soigner indépendamment de ses revenus.

5.2.

Des consultations psychologiques de première ligne prises en charge par l’assurance obligatoire

Aujourd’hui, les consultations chez le psychologue ne sont pas prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Seules les consultations chez le psychiatre, les consultations en service de santé mentale et quelques consultations spécifiques et limitées dans le cadre de conventions Inami sont remboursées. Il s’agit notamment des séances pour fatigue chronique ou encore des séances d’aide au sevrage tabagique.

Pourtant, les besoins sont criants. Ainsi, par exemple, selon Itinera Institute13, il ressort de plusieurs études que 26% des Belges se sentent mal dans leur peau. Les troubles mentaux se situent en deuxième position (avec 19,5 %) des causes de morbidité, juste après les maladies cardiovasculaires. L’Inami estime quant à lui que les cas de dépressions et de burn out ont presque triplé entre 2007 et 2014.

Une prise en charge de la consultation psychologique de première ligne dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire permettrait une meilleure détection des troubles, une meilleure réponse aux besoins et, en définitive, une réduction de la souffrance. Pareille prise en charge aurait un impact favorable sur la santé et sur le travail.

Un tel projet est possible. Certains pays comme les Pays-Bas et l’Allemagne ont intégré le remboursement de la psychothérapie ambulatoire dans l’assurance maladie (statutaire ou obligatoire). Ces pays ont mis en place des portes d’entrée vers les soins psychologiques via des intervenants de première ligne. Ces intervenants sont financés pour accueillir des problèmes psychologiques courants et modérés. Il s’agit d’un choix politique.

5.3. La simplification administrative de l’aide médicale urgente pour l’ouverture de droits des assurés sociaux

Certaines personnes14 n’ont souvent plus comme seuls contacts que les dispositifs gratuits de soins d’urgence à très bas seuil comme ceux du Samusocial ou de Médecins du Monde. Il s’agit notamment des sans-abris, des travailleurs du sexe, des usagers de drogues, des victimes de violences, des demandeurs d’asile qui vivent en dehors des institutions d’accueil.

Face à ce constat, l’assurance maladie obligatoire peut et doit se montrer proactive et solidaire. Même quand une personne n’est pas assurée ou ne bénéficie pas d’un titre de séjour valable, elle dispose du droit fondamental à une vie en bonne santé. Les personnes en situation de pauvreté, les primo-arrivants et les personnes issues de l’immigration ont difficilement accès à des soins adéquats.

Une solution consiste en la fusion des différents systèmes (actuellement éparpillés entre Fedasil, l’aide médicale urgente, les cartes médicales des CPAS) en un système unique d’assistance médicale. Pour rendre efficace cette solution, il est souhaitable qu’aucune condition ne soit posée : ni enquête, ni délai d’attente. La procédure doit être simple, rapide et connue de tous.

Contrairement à ce que certains défendent, une telle proposition ne crée ni un tourisme du bien-être ni un gouffre de dépenses budgétaires.

A titre d’exemple, l’Agence pour les droits fondamentaux de l’Union européenne s’est penchée sur les soins délivrés aux migrants en situation irrégulière dans plusieurs pays européens15. L’étude réalisée en Allemagne, en Grèce et en Suède a analysé deux problèmes de santé très courants en Europe : l’hypertension artérielle et les soins prénataux. Elle conclut que la fourniture de soins de santé continus aux patients hypertendus pourrait entraîner une économie d’environ 9% en l’espace d’un an, de 13% après cinq ans et de 16% au cours de la vie. Quant à un meilleur suivi prénatal, il pourrait générer des économies pouvant atteindre jusqu’à 48% en Allemagne et en Grèce, et jusqu’à 69% en Suède sur une période de deux ans. En comparaison avec des soins réduits aux traitements d’urgence, un accès continu aux soins pour les personnes sans titre de séjour génèrerait des écono-

13 Voir à ce propos : Livre vert sur l’accès aux soins en Belgique, Médecins du Monde, INAMI,

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Kluwer, Waterloo, 2014, 362 p. 14 Coût de l’exclusion des soins de santé, le cas des migrants en situation irrégulière, Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux, 2015. 15 Pratiques de groupe, réduction du temps de travail des médecins pour mieux concilier leur vie professionnelle et privée, etc.

mies très significatives pour la collectivité.

6. Un point d’entrée principal dans le système de soins de santé

Au-delà de l’accessibilité financière, la gratuité vise aussi à inciter les patients à consulter en priorité les prestataires de soins de première ligne. Elle participe à inciter les usagers à consulter d’abord le généraliste, compétent pour traiter une grande majorité des plaintes. Une perte de temps, des consultations et des traitements inutiles sont ainsi évités. Grâce à une confiance mutuelle, l’usager est envoyé vers le spécialiste quand cela s’avère nécessaire. Cependant, seule, la gratuité ne sera pas suffisante pour conduire à une meilleure utilisation des soins de santé. Une utilisation optimale des soins passe par un point d’entrée principal des patients dans le système de santé. Ce système sera organisé de telle manière que les patients s’y réfèrent spontanément en premier lieu. Dans ce modèle, le médecin généraliste est à la croisée des interactions entre son patient et l’ensemble des prestataires de soins.

Cette porte d’entrée principale doit se mettre en place pas à pas, avec tous les acteurs concernés. Les habitudes des patients et les pratiques des prestataires de soins seront amenées à évoluer. Il est toutefois souhaitable que le choix de son médecin généraliste reste libre.

7. Trois conditions fondamentales à remplir pour assurer la réussite du modèle

La première condition à remplir pour assurer la réussite du modèle mettant en œuvre la gratuité des soins de première ligne et le principe d’un point d’entrée principal est un nombre suffisant de médecins généralistes ainsi que de gestionnaires et personnel d’accueil. Pour ce faire, il faut :

• Restaurer l’attractivité de la médecine générale. Les études doivent être adaptées dès le début du cursus à la prise en compte globale de la santé et à l’évolution du rôle de la médecine générale. Le ratio entre la médecine générale et la médecine spécialisée doit presque doubler dans le choix des filières. Il devra également se refléter dans le corpus des professeurs d’université.

• Supprimer les quotas de médecins généralistes tout en développant une planification de l’offre et des besoins flexibles, de façon à réagir rapidement aux besoins de santé.

• Planifier les installations médicales (cabinets, maisons médicales, etc.) pour les répartir là où elles sont utiles. La planification doit tenir compte de la démographie des soignants, de leur activité réelle et du lieu où elle s’exerce ainsi que des nouvelles pratiques professionnelles16 et des besoins de santé des citoyens17

• Equilibrer la rémunération des différentes spécialisations pour éviter que l’attractivité trop importante dans certaines au détriment d’autres déjà victimes de pénuries, ce qui suppose notamment une revalorisation des actes techniques. Les actes intellectuels doivent également être pris en compte.

La deuxième condition fondamentale à remplir réside dans la nécessité d’une organisation des soins structurée pour favoriser la collaboration naturelle et systématique entre les médecins généralistes et spécialistes.

Les patients doivent entrer dans le système de santé par les généralistes de la santé, niveau le plus pertinent et le plus proche d’eux. Le niveau spécialisé intervient quand le problème dépasse les actes de première ligne.

La répartition des tâches entre médecin généraliste et médecin spécialiste devra être totalement indépendante des moyens du patient. Elle devra se fonder sur un partage clair des tâches où le médecin généraliste se charge des problèmes du patient dans sa globalité et les médecins spécialistes des problèmes complexes.

Les actes réalisables par la médecine générale devront être réalisés par la première ligne et intégralement pris en charge par l’assurance maladie obligatoire. Les spécialistes se concentreront sur la pratique de la médecine vraiment spécialisée avec des actes réservés et suffisamment financés.

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16 Rapport sur la régulation de l’offre médicale; Avis du Conseil National GBO 24/08/1, Groupement Belge des Omnipraticiens, Bruxelles, 2016, p. 7.

Les hôpitaux doivent quant à eux être réservés pour les pathologies qui nécessitent des soins spécialisés et/ou des techniques médicales spécifiques.

Une telle structuration demandera du temps et la participation et l’assentiment du plus grand nombre pour que cela fonctionne. La liberté de choisir son médecin sera toujours garantie. Différentes étapes et tests sont souhaitables.

La troisième condition indispensable à la réussite du modèle est la nécessaire évolution dans les représentations et les habitudes d’utilisation des soins de santé chez le patient ainsi que dans les pratiques des prestataires.

Sans une révolution culturelle dans l’utilisation des soins, la gratuité des soins ne sera qu’une invitation à consommer plus de soins. Elle ratera sa cible de mieux utiliser les services. Dès lors, elle doit s’accompagner d’un respect des prestataires de soins par les patients et d’un respect du dispositif par tous les acteurs. La qualité des soins ne peut être réduite. Les patients utilisent le système selon leurs besoins. Il ne s’agit pas de brader les soins de santé. La gratuité a pour finalité d’apporter plus d’égalité dans l’accès aux soins et d’atteindre ainsi une réelle couverture universelle.

8. La prévention pour renverser la vapeur

Pour garantir un accès à la santé et au bien-être à tous, l’accès aux soins curatifs est important mais n’est pas suffisant. C’est à tous les niveaux du continuum « promotion de la santé – prévention – soins – accompagnement » que doit intervenir une politique intégrée de santé.

En effet, les soins médicaux n’ont qu’un impact limité sur l’amélioration de la santé publique. C’est singulièrement le cas en ce qui concerne les principales maladies chroniques qui altèrent la qualité de vie de nombreuses personnes, diminuent leur espérance de vie (dont la vie en bonne santé) et grèvent lourdement le budget de la sécurité sociale : obésité, diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires, dépression, etc. Elles touchent toutes les générations dans notre société de surconsommation et de sédentarité.

D’une part, les actes de prévention dit « intellectuels » doivent être rémunérés dans la nomenclature.

D’autre part, pour promouvoir la santé, l’amélioration des déterminants de la santé suppose d’articuler une série de compétences. L’échelon le plus adapté est celui des communes car il est au plus proche des besoins de ses habitants. L’idée de créer des centres communaux de quartier de santé rassemblant tous les acteurs concernés par la santé est une piste pertinente. Ces centres communaux pourraient développer des actions de proximité qui permettraient d’identifier les besoins des citoyens, de cerner les contextes de vie, et d’agir en conséquence avec eux. Ils favoriseraient tous les messages et toutes les actions de promotion de la santé grâce à une concertation et une coordination locale efficace.

Ces centres sont également des instruments susceptibles de jouer le rôle de plateformes créant des partenariats entre les services et associations actifs. Ils seraient ainsi les relais de quartier entre les besoins spécifiques des habitants de la commune et toutes les compétences qui déterminent la santé. Ils offriraient, de la sorte, un appui aux acteurs de divers champs sur les questions de santé : accompagnement, formation, recherche, documentation, évaluation, création d’outils méthodologiques, pédagogiques et d’information.

Sans refinancement et réinvestissement dans la prévention et la promotion de la santé, la lutte contre les inégalités sociales de santé persisteront. Il est nécessaire d’inverser la vapeur. C’est la seule manière d’endiguer l’explosion des coûts ainsi que les inégalités sociales en matière de santé.

9. Conclusions

La gratuité des soins emporte avec elle une accessibilité financière aux soins de santé à 100% ainsi qu’un nouveau modèle des soins de santé en Belgique. Ce nouveau modèle sera bénéfique aux patients, aux médecins généralistes et aux médecins spécialistes ainsi qu’à tous les professionnels sociaux et familiaux.

Dans ce modèle, le patient est soutenu par une équipe coordonnée, accessible et orientée qualité. Il est traité avec dignité et respect. Il reçoit des soins auprès du prestataire approprié, au bon moment et de la meilleure façon pour lui, en fonction de ses besoins.

Pour être une réussite, ce modèle doit se construire avec les disciplines concernées et être mis en œuvre progressivement. C’est un processus qui prend du temps et qui doit trouver un juste équilibre entre toutes les parties en présence. La soutenabilité du système de protection sociale doit également être préservée.

Bref, le patient et ses besoins doivent désormais former le centre du système de santé dans notre pays.

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L’économie collaborative et l’économie de plateforme pour construire une société plus juste

Nathan LALLEMAND

La tarification solidaire dans les transports publics : un moyen d’améliorer l’accès aux TEC pour tous ?

Alexandre MAHIEU

La flexicurité à l’épreuve du temps

Benoit ANCIAUX

Lutte contre le terrorisme : la tentation sécuritaire

Olivier LEGRAND et Louis MALEMPRÉ

L’économie circulaire, un modèle efficace et compétitif ?

Angelo SOLIMANDO

L’outplacement individuel : un chantier en panne ?

Droits et/ou devoirs à l’heure d’une législation statique

Benoît ANCIAUX

Le quatrième paquet ferroviaire européen et la libéralisation des services intérieurs de voyageurs

Olivier LEGRAND

La pauvreté infantile et juvénile en Fédération Wallonie-Bruxelles

Etat des lieux et leviers d’action

Delphine GILMAN et Baptiste MEUR

Vers une cotisation sociale sur la technologie ?

Letizia DE LAURI

La réforme de la loi sur la compétitivité ou comment cadenasser l’austérité salariale

Benoît ANCIAUX

Démocratiser les entreprises

Olivier BODY

Vers des allocations familiales plus justes en Wallonie

Anne LIESSE

Le traitement équitable des consommateurs d’électricité face à l’évolution du paysage énergétique

Guillaume LEPÈRE

La taxe européenne sur les transactions financières : utopie ou véritable proposition ?

Letizia DE LAURI

Incapacité de travail : le trajet de réintégration professionnelle

Benoit ANCIAUX

Vers l’abaissement de l’âge de l’obligation scolaire à trois ans ?

Baptiste MEUR

RÉSUMÉ

Trop de personnes passent encore à travers les mailles du filet de la protection sociale et n’accèdent pas aux soins nécessaires. Des besoins de santé non couverts restent sans réponse et des défis majeurs liés à l’allongement de la vie et à l’augmentation du nombre de maladies chroniques sont à notre porte.

Le présent Etat de la question de l’Institut Emile Vandervelde analyse les failles dans notre couverture de soins de santé et identifie des pistes de solutions structurelles. Ces solutions visent à ce que le principe de la couverture de santé universelle et équitable s’applique à toutes les personnes qui résident sur notre territoire, quel que soit leur statut ou leur revenu. La volonté est aussi de garantir la soutenabilité de notre système de soins grâce à une meilleure régulation. Pour cela, des changements majeurs sont à apporter dans le paysage de la santé. Un réel changement de paradigme doit s’opérer.

Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

iev@iev.be

www.iev.be

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