Quel avenir pour l'union économique et monétaire européenne ?

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QUEL AVENIR POUR L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE EUROPÉENNE ?

ETAT DE LA QUESTION Decembre 2015

IEV Editeur responsable : Gilles Doutrelepont - 13 Bd de l’Empereur - 1000 Bruxelles
Ariane FONTENELLE

1. Introduction................................................................................................

2. Les propositions des cinq Présidents pour compléter l’UEM

2.1. Deux étapes

2.1.1. La première étape : une révision de l’organisation du Semestre européen

2.1.2. La deuxième étape : un renforcement du caractère contraignant du processus de convergence.........................

2.1.3. Critique : vers une réduction des marges de manœuvre des Etats

2.2. Quatre fronts à développer en parallèle..........................................

2.2.1.

2.2.2.

Une Union économique
.................................................................................................. 4 5 5 5 6 6 7 7 11 14 16 17
Une Union financière 2.2.3. Une Union budgétaire.............................................................
2.2.4.
Une
Union politique 3. Conclusion

1. Introduction

Le Traité de Maastricht1 a consacré l’édification d’une Union économique et monétaire (UEM) en Europe, plus connue sous la dénomination de zone euro.

La zone euro se compose des dix-neuf Etats membres qui utilisent à ce jour l’euro comme monnaie unique2 et qui s’étaient engagés dans un processus d’intégration de leurs économies.

La crise économique et financière de 2008 va plonger la zone euro dans une profonde tourmente. Elle va mettre en lumière un certain nombre de dysfonctionnements et montrer les limites d’un modèle d’intégration économique qui a unifié la politique monétaire sans véritablement favoriser en parallèle la convergence des économies des Etats membres.

Crise des dettes souveraines, menace de sortie de la Grèce, politique d’austérité aveugle imposée partout dont les conséquences sociales sont désastreuses, Troïka, menaces de récession, telles sont différentes manifestations des maux que connaît aujourd’hui la zone euro.

La question des modifications à apporter à l’ensemble de l’Union économique et monétaire pour permettre une coordination plus étroite des politiques économiques européennes est donc centrale et elle préoccupe de plus en plus les Européens.

De nombreux travaux ont été conduits à ce sujet dont une communication de la Commission européenne en 20123 et la feuille de route de l’ancien Président du Conseil, Herman van Rompuy, sur le renforcement de la coordination des politiques économiques4. Les discussions sur ce thème n’ont cependant pas permis d’aboutir à un accord après plusieurs Conseils européens, de grandes divergences sur les orientations à lui donner ayant éclaté entre les différents chefs d’Etat et de gouvernement européens de l’époque.

Le 22 juin 2015, les Présidents des principales institutions européennes5 ont présenté un rapport. Il s’agit d’un ensemble de recommandations et d’une contribution personnelle6 des cinq Présidents. Le rapport des cinq Présidents s’inscrit dans une volonté de poursuivre les travaux sur cette question de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire demandée par les conclusions du sommet de la zone euro d’octobre 2014.

1 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Axy0026.

2 https://www.ecb.europa.eu/euro/intro/html/map.fr.html.

3 COM(2012) 777 final/2.

4 Herman Van Rompuy, Vers une véritable Union économique et monétaire, www.consilium.europa.eu/fr/workarea/ downloadasset.aspx?id=17220.

5 Commission, Parlement, Conseil, Banque centrale et Eurogroupe.

6 Il n’engage donc pas formellement leur institution.

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Ce rapport a été depuis suivi de la publication le 21 octobre 2015 d’une communication7 de la Commission européenne dans laquelle elle reprend cinq propositions des cinq Présidents.

Le présent Etat de la question de l’IEV entend se consacrer à une analyse des propositions émises par les cinq Présidents afin de déterminer si la méthode proposée permet réellement de renforcer l’Union économique et monétaire à l’avenir.

2. Les propositions des cinq Présidents pour compléter l’UEM

Pour les cinq Présidents des principales institutions européennes, deux étapes et quatre fronts seront nécessaires pour atteindre une meilleure convergence des politiques économiques en Europe.

Dans une première étape, un ensemble de mesures devront être prises immédiatement (dès juillet 2015) alors que la seconde étape pourra aller jusqu’à nécessiter une révision des traités européens pour aboutir au plus tard en 2025.

Les quatre fronts à développer en parallèle : une Union économique, financière, budgétaire et politique.

2.1. Deux étapes

2.1.1. La première étape : une révision de l’organisation du Semestre européen.

Pour rappel, ce qu’on appelle le Semestre européen est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires, mis en place dans le cadre des nouvelles règles de gouvernance économique européenne. C’est un cycle qui se concentre sur les six premiers mois de chaque année, d’où la référence au « semestre ». Le premier cycle a eu lieu en 2011.

L’objectif du Semestre européen est de faire en sorte que les États membres alignent leurs politiques économiques et budgétaires sur les règles et les objectifs arrêtés au niveau de l’Union européenne. Les Etats membres doivent intégrer ces règles et objectifs dans leur programme national de réformes et dans leur programme de stabilité. Ces programmes sont alors envoyés à

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7 COM(2015) 600
final.

la Commission pour une évaluation au bout de laquelle la Commission envoie ses recommandations aux Etats membres.

L’objectif des cinq Présidents est de renforcer le caractère contraignant des recommandations de la Commission, ce qui reviendrait concrètement à limiter encore plus la marge de manœuvre des Etats membres.

2.1.2. La deuxième étape : un renforcement du caractère contraignant du processus de convergence.

Le caractère plus contraignant du processus de convergence sera établi au travers d’un ensemble de critères définis conjointement, qui pourraient éventuellement revêtir un caractère juridique (réforme des traités), comme on le verra plus loin dans la note.

2.1.3. Critique : vers une réduction des marges de manœuvre des Etats

Après la mise en place de la nouvelle gouvernance économique européenne8 et des Six Pack, Two Pack et traité budgétaire (TSCG), l’orientation principale des propositions des cinq Présidents viserait donc à imposer en deux étapes une nouvelle réduction des marges de manœuvre des Etats membres en matière économique et surtout budgétaire.

S’il est indéniable qu’une monnaie unique demande une coordination plus étroite des politiques économiques nationales, les Etats membres doivent pouvoir décider de la meilleure manière d’y parvenir et pas se voir imposer des orientations économiques qui ne fonctionnent pas. La nouvelle gouvernance économique européenne reste à cet égard profondément déséquilibrée en faveur d’une stricte austérité budgétaire et de la compétitivité salariale. La pensée économique européenne est acquise à l’idée qu’il faut d’un côté limiter le plus possible les dépenses publiques et de l’autre qu’il faut dévaluer les salaires puisqu’il n’est plus possible de dévaluer la monnaie. Les idées de relance de l’économie, de lutte contre les inégalités sociales sont pratiquement ignorées par les Présidents des principales institutions européennes.

Malgré son échec patent, malgré des conséquences sociales importantes, malgré une croissance pratiquement inexistante

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8 http://www.iev.be/Etats-de-la-question/Le-gouvernance-economique-et-europeenne.aspx.

et les risques de déflation, cette double stratégie en faveur de l’austérité et de la compétitivité salariale, est continuellement renforcée.

C’est plutôt la question d’un véritable rééquilibrage de la politique économique européenne qu’il faudrait placer au cœur de la réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire mais nous en sommes très éloignés.

2.2. Quatre fronts à développer en parallèle

Si quelques points pris séparément peuvent apparaître positifs dans le rapport des cinq Présidents, son orientation générale pose problème car nous sommes ici très éloignés d’un rééquilibrage de la politique économique européenne.

2.2.1. Une Union économique

Le renforcement de la gouvernance économique européenne et du Semestre européen

La première phase de la méthode proposée porte sur un renforcement des règles existantes de la gouvernance économique européenne et du Semestre européen en ciblant compétitivité et « réformes structurelles ».

Ainsi, le rapport préconise qu’une relance de la convergence, de l’emploi et de la croissance devrait passer essentiellement par :

La création d’un système d’autorités de la compétitivité de la zone euro

Son mandat consistera à déterminer si les salaires évoluent en accord avec la productivité, par comparaison avec l’évolution dans d’autres pays de la zone euro et chez les principaux partenaires commerciaux comparables. Ces autorités pourraient également être chargées d’évaluer l’avancée des réformes économiques visant à renforcer la compétitivité d’une manière plus générale.

On voit ici le danger immédiat car la compétitivité se résume pour l’essentiel à la question des coûts salariaux. Ce serait par exemple une nouvelle menace pour l’indexation automatique des salaires en Belgique mais aussi un renforcement de la mise en concurrence des travailleurs européens.

La réforme de la PAC de 2013, un pas vers une politique agricole plus juste et plus équitable ? 7

La mise en œuvre renforcée de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques

Cette procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques a été mise en place dans le cadre des nouvelles règles de gouvernance économique, dans le cadre du Six Pack. L’idée est de prévenir et corriger les déséquilibres macroéconomiques tels que des bulles immobilières, une baisse de compétitivité, un accroissement des dettes publiques et privées, etc. Cette procédure vise donc à détecter les déséquilibres mais aussi à encourager les réformes structurelles de droite dans le contexte du Semestre européen.

Jusqu’à présent, c’est encore un mécanisme relativement peu contraignant mais le rapport préconise d’activer son volet correctif (des sanctions) de manière résolue (dès que les déséquilibres sont constatés). La menace pour les Etats membres deviendra donc plus importante s’ils ne mènent pas les réformes économiques souhaitées par la Commission européenne.

En revanche, un point positif dans le rapport des cinq Présidents est à signaler en ce qu’ils préconisent d’œuvrer à mieux cerner les déséquilibres qui touchent la zone euro dans son ensemble.

La Commission doit en effet arrêter de se concentrer sur quelques points de détails des politiques prises dans les Etats membres et se focaliser sur les vrais enjeux pour la stabilité de la zone euro. Des politiques économiques menées dans certains pays européens ont eu un impact fort sur les déséquilibres macroéconomiques en Europe. La question des excédents élevés de la balance courante allemande, résultat d’une demande intérieure insuffisante et/ou d’un faible potentiel de croissance, pose par exemple un problème bien plus grand pour l’ensemble de la zone euro que notre système d’indexation automatique des salaires, pour ne citer que lui.

Une attention accrue portée aux performances sociales et d’emploi

Si les cinq Présidents font référence à l’idée d’un « triple A social » proposé par Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission, qui souhaitait par là que l’Europe redécouvre sa dimension sociale et se concentre moins sur le triple A au sens financier du terme, ils interprètent cette dimension sociale et d’emploi comme des réformes à mener sur le marché du travail (vers toujours plus de flexibilité pour les contrats) et pour

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les systèmes de protection sociale (notamment l’alignement de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie).

L’orientation en faveur d’un renforcement de la dimension sociale de l’UEM paraît donc au mieux faible, au pire inquiétante pour nos modèles sociaux.

L’idée d’un pilier social fort au côté du pilier économique ne semble pas constituer la priorité du rapport des cinq Présidents.

Une coordination plus étroite des politiques économiques dans le cadre du Semestre européen

La méthode préconisée ici est critiquable. Il convient de rappeler que c’est au travers de cet exercice du Semestre européen que la Commission a systématiquement attaqué notre mécanisme d’indexation automatique des salaires ou nos règles en matière de pensions.

Le rapport préconise clairement de se recentrer autour de quelques réformes prioritaires et de ne donner de marge de manœuvre aux Etats membres que pour quelques mesures spécifiques. Les cinq Présidents souhaiteraient également confier à l’Eurogroupe le rôle de coordination de l’examen de la mise en œuvre des réformes structurelles. Cette coordination serait réalisée en lien avec l’utilisation de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (et avec les sanctions permises par cette procédure ?).

Confier ce rôle à l’Eurogroupe pose véritablement question. D’un côté, le Semestre européen ne se limite pas à des questions économiques et financières. L’emploi, par exemple, est également au centre du processus. De l’autre, l’utilisation de l’Eurogroupe interpelle par rapport au renforcement démocratique des décisions.

Concrètement, la proposition formulée par les cinq Présidents reviendrait à donner encore plus de poids à un organe informel composé des Ministres des Finances et à la filière Ecofin9. La crise grecque a pourtant mis en avant le rôle particulièrement agressif joué par l’Eurogroupe dans la volonté d’imposer des réformes libérales au Gouvernement grec (coupes dans les pensions, hausse de la TVA, refus d’un impôt plus important sur les

9 http://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/ecofin/.

La réforme de la PAC de 2013, un pas vers une politique agricole plus juste et plus équitable ? 9

grosses entreprises, etc.). De plus, l’Eurogroupe n’est pas responsable en ce qui concerne l’évaluation de l’impact social des choix des politiques économiques européennes. Cette approche contribuerait à renforcer le déséquilibre en faveur de l’austérité et de la compétitivité par les salaires.

Au lieu de renforcer encore le pouvoir de contrôle de l’Eurogroupe – et de son orientation idéologique –, il faudrait plutôt réfléchir à la manière de renforcer la filière Epsco10, responsable des questions sociales et d’emploi, dans le processus de la nouvelle gouvernance économique en Europe. Cette plus grande implication pourrait constituer une première étape vers un rééquilibrage à l’échelon européen.

Un processus de convergence limité à la compétitivité et aux entreprises

Dans la deuxième phase, les cinq Présidents préconisent de formaliser un processus de convergence vers des structures économiques plus robustes. Ce processus serait fondé sur l’adoption d’un certain nombre de normes communes « de haut niveau » sur les marchés du travail, la compétitivité, l’environnement des entreprises et l’administration publique, ainsi que certains aspects de la politique fiscale (par exemple, l’assiette de l’impôt des sociétés). Ces normes seraient définies dans la législation de l’Union européenne. Un ensemble de critères et d’indicateurs serait également défini mais, par exemple, les normes portant sur les marchés du travail pourraient s’articuler autour du concept de « flexicurité ».

On remarque après analyse que seuls les aspects liés à la compétitivité et aux entreprises sont considérés comme primordiaux par les cinq Présidents. De plus, comment justifient-ils d’avoir choisi des critères spécifiques ? Comment comptent-ils définir ces critères ? Le rapport ne mentionne rien de plus que ce concept largement dévoyé de la flexicurité.

La dimension sociale – le fameux Triple A social de Juncker –est quant à elle totalement ignorée au profit de la seule compétitivité pour laquelle les cinq Présidents sont prêts à sacrifier tout le reste.

Enfin, seuls les Etats membres qui feront des progrès significatifs dans le respect des critères définis pourront bénéficier

10 http://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/epsco/.

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des instruments qui auront été mis en place pour, par exemple, absorber des chocs économiques tels qu’on en a connu avec la crise de 2008.

Dans l’esprit des cinq Présidents, la solidarité est donc toujours conditionnée à la mise en place de mesures structurelles de droite, ce qui est totalement inadmissible.

2.2.2. Une Union financière

Les progrès sur les deux fronts de l’Union économique et de l’Union financière sont une priorité des cinq Présidents et compléter l’Union financière passera par une finalisation de l’Union bancaire.

Cette demande des cinq Présidents de finaliser l’Union bancaire est cruciale pour permettre à la zone euro de résister aux chocs provoqués par des crises financières dans le futur. L’Union bancaire doit constituer un cadre qui fasse prendre directement en charge les coûts d’une nouvelle faillite bancaire par le secteur bancaire et non plus par les Etats et les contribuables. Il faut rompre une fois pour toute le cercle vicieux entre la dette souveraine et les défaillances bancaires.

La possibilité de séparer complètement les activités de dépôt des activités d’investissements à haut risque des banques n’est malheureusement pas reprise dans le rapport des cinq Présidents. Un autre aspect manquant du rapport concerne une stratégie forte de réorientation des banques vers le financement de l’économie réelle.

La demande des cinq Présidents concernant l’Union bancaire n’est pas neuve mais force est de constater qu’elle a rencontré pas mal de résistances de certains Etats membres et qu’elle a été confrontée à plusieurs tentatives du Parti populaire européen (PPE) notamment pour l’affaiblir.

Le rapport des cinq Présidents préconise de prendre plusieurs mesures suivantes immédiatement :

La transposition complète en droit national de la directive relative au redressement des banques et la résolution de leurs défaillances

C’est en effet indispensable pour mieux protéger le contribuable du coût du sauvetage des banques à l’avenir.

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Un accord rapide sur un mécanisme de financement-relais

Le mécanisme de financement-relais devrait garantir que des ressources suffisantes seront disponibles s’il est nécessaire d’assurer la résolution11 d’une banque à un moment où le fonds de résolution unique n’est pas assez provisionné – en sachant que ce fonds ne commencerait à devenir opérationnel qu’à partir du 1er janvier 2016.

On peut cependant se poser la question du rôle du fonds de résolution unique existant. Pourquoi les cinq Présidents n’ont-ils pas orienté leur stratégie vers un approvisionnement assuré du fonds de résolution unique plutôt que de proposer un nouveau mécanisme ?

La mise en place d’un dispositif de soutien (backstop) commun crédible pour le fonds de résolution unique

Ce dispositif pourrait prendre la forme d’une ligne de crédit mise à disposition du fonds de résolution unique par le mécanisme européen de stabilité12 (MES), et devrait être neutre d’un point de vue budgétaire à moyen terme (toute aide publique serait compensée par des prélèvements ex post sur le secteur financier).

La mise en place du système européen de garantie des dépôts

Ce système permettrait de compléter enfin l’Union bancaire, dont les contributions proviendraient d’un nombre beaucoup plus grand d’établissements financiers.

Si la mise en place de ce système prendra du temps. On peut cependant déjà utiliser les possibilités offertes par le cadre juridique européen actuel et établir par exemple ce système en tant que dispositif de réassurance européen pour les systèmes nationaux de garantie des dépôts. Ce dispositif de réassurance européen serait financé par le secteur privé au moyen de redevances déterminées sur la base d’une analyse des risques et versées ex ante par l’ensemble des banques participantes des Etats membres et son champ d’application coïnciderait avec celui du mécanisme de surveillance unique.

11 La « résolution » est un terme d’origine anglo-saxonne qui s’apparente à une « intervention préventive ». Une autorité publique dite de résolution intervient sur un établissement bancaire ou financier avant une éventuelle défaillance de celui-ci, de façon à le restructurer ou en opérer une liquidation ordonnée. L’objectif de la résolution d’une banque est d’éviter purement et simplement une faillite.

12 http://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes.html.

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La mise en place d’un mécanisme plus accessible de recapitalisation directe des banques

Cette recapitalisation directe des banques ne se ferait plus par le MES afin de rompre le lien entre banques et dette souveraine au niveau national.

A moyen terme, les cinq Présidents préconise de :

Revoir le traitement des expositions des banques à la dette souveraine

Ils souhaitent ainsi prévoir par exemple des limites d’exposition aux grands risques.

Le lancement d’une Union des marchés de capitaux

Les cinq Présidents considèrent le lancement d’une Union des marchés de capitaux comme une priorité pour que les entreprises, y compris les PME, puissent accéder aux marchés de capitaux et à d’autres sources de financement non bancaires, en plus du crédit bancaire. Le rapport préconise également que la réglementation dans ce secteur incite à la mutualisation et au partage des risques.

Concrètement, l’objectif des cinq Présidents est donc ici de mobiliser des moyens alternatifs de financement de l’économie réelle. Si on peut rejoindre cet objectif, c’est une des parties du rapport sur l’Union bancaire qui pose question.

Il conviendra en effet de rester attentif à la manière dont cette Union des marchés de capitaux sera mise en œuvre car ce n’est pas détaillé dans le rapport. Il faudra voir comment ils s’assureront que la titrisation13 est de bonne qualité et ce que les cinq Présidents entendent exactement par une « suppression des principaux goulets d’étranglement qui empêchent l’intégration des marchés de capitaux, dans des domaines tels que le droit des faillites, le droit des entreprises (…) ». De plus, une Union des marchés des capitaux ne pourra pas résoudre un des problèmes fondamentaux auxquels une union monétaire peut faire face, qui est de garantir les flux financiers partout quel que soit l’état des finances publiques dans ses Etats membres. 13

La réforme de la PAC de 2013, un pas vers une politique agricole plus juste et plus équitable ? 13
http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages/Mots-de-la-finance/Titrisation.

2.2.3. Une Union budgétaire

Après les Six Pack, Two Pack et le traité budgétaire (TSCG), les cinq Présidents veulent encore renfoncer le cadre budgétaire, la coordination et la surveillance des budgets annuels. Les sacro-saintes règles de discipline budgétaire à respecter pour « éviter l’aléa moral »14 sont une nouvelle fois au cœur des politiques européennes de droite. On retrouve ici encore une certaine litanie des institutions européennes selon laquelle les Etats membres n’en font pas assez et qui réduit en quelque sorte la crise économique et financière de 2008 à une crise de la dette. Le risque d’aléa moral est une nouvelle fois utilisé par les cinq Présidents pour justifier l’Union budgétaire comme il l’a été pour justifier l’Union financière, ce qui pose question. Les cinq Présidents mettraient-ils donc les Etats au même niveau que les spéculateurs de la finance ?

Et pour renforcer encore le contrôle des budgets et limiter ainsi une nouvelle fois les marges de manœuvre des Etats membres, les cinq Présidents souhaitent la création d’un comité budgétaire européen consultatif.

Ce comité viserait à compléter les conseils budgétaires nationaux mis en place dans le cadre de la directive européenne sur les cadres budgétaires. L’idée des cinq Présidents est que des experts fournissent une évaluation publique et indépendante des budgets et de leur exécution au niveau européen, à l’aune des objectifs économiques et des recommandations formulés dans le cadre de la gouvernance budgétaire de l’Union européenne. Et les conclusions des experts devraient être prises en compte dans le contexte du Semestre européen.

Cependant, comment imaginer que ce comité budgétaire européen puisse être « neutre » dans ses évaluations ? S’il devait permettre d’éviter la répétition d’erreurs comme l’imposition d’une austérité stricte à toute la zone euro ou conseiller une véritable politique de relance ambitieuse en Europe, sa création pourrait être saluée mais on peut se permettre d’en douter. Le choix des membres du comité risque de se porter sur des défenseurs de l’austérité stricte et/ou sur des personnes qui continuent, malgré la situation économique désastreuse en Europe, de considérer que la relance économique se produira 14 http://www.liberation.fr/futurs/2011/07/25/la-finance-mondiale-et-les-facilites-de-l-alea-moral_751076.

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spontanément une fois que la confiance des marchés financiers sera retrouvée. La création de ce comité budgétaire européen ne semble pas être la solution à soutenir si l’on souhaite un véritable rééquilibrage de la politique économique européenne.

A plus long terme, les cinq Présidents plaident pour la mise en place d’un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro.

Afin de mieux absorber les chocs auxquels il est impossible de faire face au seul niveau national, le rapport préconise de mettre un place un mécanisme de stabilisation budgétaire pour l’ensemble de la zone euro. Ce mécanisme devrait permettre par exemple de s’appuyer dans un premier temps sur le fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) – le fameux fonds du plan Juncker –, tout en respectant certains principes dont : ne pas conduire à des transferts permanents entre pays ni à des transferts à sens unique ; ne pas dissuader les pays participant à élaborer des politiques budgétaires nationales saines et à remédier à leurs faiblesses structurelles.

La question de l’articulation du mécanisme proposé par les cinq Présidents avec le fonds européen pour les investissements stratégiques n’est pas claire.

De plus, et plus fondamentalement, le mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro tel que proposé par les cinq Présidents a un grand défaut. Il sera conditionné à la mise en place des mesures de convergence liées à la compétitivité et aux réformes structurelles de droite.

On se retrouve ici dans une logique similaire à une des propositions phares du Président Van Rompuy lors de la législature précédente, les « arrangements contractuels », contre laquelle Elio Di Rupo s’était âprement se battre au Conseil lorsqu’il était Premier ministre. Le principe de ces « arrangements contractuels » était le suivant : en échange d’un hypothétique soutien financier, les Etats européens étaient « invités » à signer des contrats de réformes macroéconomiques avec la Commission et le Conseil. Ils s’engageaient donc à mettre en œuvre les réformes structurelles suggérées par les recommandations de la Commission, qui devenaient par là contraignantes. Ces « arrangements contractuels » auraient réduit la marge de manœuvre des Etats membres, ce qu’Elio Di Rupo avait dénoncé lors du Conseil européen de décembre 2013.

La réforme de la PAC de 2013, un pas vers une politique agricole plus juste et plus équitable ? 15

On ne peut enfin que regretter que la question centrale de mutualisation de la dette publique soit totalement absente du rapport des cinq Présidents.

2.2.4. Une Union politique

Si converger vers une Union politique est annoncé dans l’introduction du rapport des cinq Présidents, force est de constater que le chapitre qui y est consacré manque cruellement d’ambition.

Le renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux dans le Semestre européen se borne aux « dialogues économiques » mis en place par les dispositions législatives des Six Pack et Two Pack et à la « semaine parlementaire européenne ». En gros, les autorités européennes viennent présenter leurs décisions et en débattre mais ça ne va pas plus loin.

On peut donc difficilement considérer que ce soit un véritable renforcement de la légitimité démocratique des décisions, des recommandations de la Commission par exemple, qui rappelons-le attaquent systématiquement notre indexation automatique des salaires.

Les cinq Présidents encouragent seulement à associer étroitement les parlements nationaux à l’adoption des programmes nationaux de réforme et des programmes de stabilité.

Les priorités des cinq Présidents dans ce domaine sont de :

- Renforcer la représentation extérieure de l’euro avec une représentation unique par exemple au FMI.

- Intégrer tous les dispositifs intergouvernementaux dans le cadre juridique de l’Union européenne comme le TSCG ou la gouvernance du MES.

- Donner un rôle central de pilote pour l’Eurogroupe à court terme en renforçant sa présidence et les moyens mis à sa disposition et à long terme en envisageant de le doter d’une présidence permanente avec un mandat clair. On a vu plus haut à quel point confier ce rôle central à l’Eurogroupe poserait problème.

- Enfin, à plus long terme, mettre en place un véritable Trésor de la zone euro pour prendre davantage de décisions communes en matière de politique budgétaire.

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La volonté de sortir du cadre intergouvernemental pour revenir à la méthode communautaire plus collaborative est cependant à souligner mais il faudra encore travailler à la mise en place de véritable mécanisme de renforcement de la légitimité démocratique des décisions.

3. Conclusion

Si on ne peut que rejoindre l’objectif d’achever l’Union économique et monétaire (UEM), il y a lieu de contester radicalement la méthode proposée par les cinq Présidents car elle est construite – une nouvelle fois - dans une logique libérale.

Ce qui se profile avec ce rapport, c’est un nouveau renforcement du carcan budgétaire et une nouvelle tentative d’imposition de réformes structurelles de droite en Europe.

Ce qui se profile avec ce rapport, c’est une nouvelle tentative de réduire la marge de manœuvre des Etats membres et de rendre les recommandations de la Commission européenne contraignantes. Pour la Belgique, ce serait une manière d’imposer la fin du système d’indexation automatique des salaires ou de nouvelles règles pour les retraites.

Les solutions proposées sont clairement orientées vers la sacro-sainte « compétitivité », vers la discipline budgétaire et le contrôle toujours plus fort des budgets – et à travers eux des orientations politiques – des Etats membres, vers le respect de règles libérales imposées par la Commission.

La dimension sociale est quasiment inexistante ou, pire, ciblée sur une réforme des marchés du travail ou des systèmes de protection sociale, qui vise toujours à renforcer la flexibilité du travail et à réduire les salaires. Le renforcement de la légitimité démocratique des règles est quant à lui largement « cosmétique ». Et enfin, qu’en est-il de la mise en place de véritables mécanismes de solidarité entre les Etats membres ? Qu’en est-il du débat à ouvrir urgemment sur la question de la mutualisation des dettes publiques (Eurobonds) totalement absent du document ?

On est ici très éloigné d’une convergence basée sur la solidarité entre les Etats membres mais plutôt dans une nouvelle manifestation de l’idéologie dominante de droite basée sur les réformes structurelles, la compétitivité et la politique de l’offre.

La réforme de la PAC de 2013, un pas vers une politique agricole plus juste et plus équitable ? 17

Au-delà d’une réflexion sur l’avenir de l’Union économique et monétaire, c’est surtout la question d’une réorientation, un rééquilibrage de la politique économique européenne qu’il faudrait aborder.

Le rapport des cinq Présidents ne va pas du tout dans le sens de ce rééquilibrage et insiste au contraire sur un renforcement de politiques économiques et budgétaires qui ont montré toutes leurs limites et inefficacité pendant la gestion des conséquences de la crise économique et financière de 2008.

Le moins qu’on puisse dire est que la zone euro n’est vraiment pas parvenue à réaliser les principaux objectifs de l’Union européenne en matière de croissance durable, d’emploi, de progrès social, de cohésion et de stabilité.

Il faut donc revoir le fonctionnement de la zone euro mais surtout donner plus de flexibilité dans l’interprétation des règles budgétaires pour accroître l’investissement public et privé et faire en sorte que les réformes structurelles - qui servent très souvent d’alibi pour déréguler le marché du travail - aient à moyen et long termes des effets économiques, sociaux et environnementaux positifs ; de vraies réformes structurelles progressistes

Il faut enfin une harmonisation fiscale (dont une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés) et sociale par le haut, et un saut qualitatif important dans les processus de prise de décision démocratiques.

C’est à un rééquilibrage vers une véritable solidarité entre les Etats membres qu’il faudra aboutir si on souhaite véritablement que le projet d’Union économique et monétaire soit un succès.

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La crise économique et financière de 2008 a plongé l’Union économique et monétaire, plus connue sous le nom de zone euro, dans une profonde tourmente. Elle a mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements et montré les limites d’un modèle d’intégration économique qui a unifié la politique monétaire sans véritablement favoriser en parallèle la convergence des économies des Etats membres.

Crise des dettes souveraines, menace de sortie de la Grèce, politique d’austérité aveugle imposée partout dont les conséquences sociales sont désastreuses, Troïka, menaces de récession, telles sont différentes manifestations des maux que connaît aujourd’hui la zone euro.

La question des modifications à apporter à l’ensemble de l’Union économique et monétaire pour permettre une coordination plus étroite des politiques économiques européennes est donc centrale et elle préoccupe de plus en plus les Européens.

En juin 2015, les cinq Présidents des principales institutions européennes –Commission, Conseil, Parlement, Banque centrale et Eurogroupe – se sont lancés dans la rédaction d’un rapport et de recommandations sur cette question.

Le présent Etat de la question de l’IEV entend se consacrer à une analyse des propositions émises par les cinq Présidents afin de déterminer si la méthode proposée permet réellement de renforcer l’Union économique et monétaire à l’avenir.

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19 iev@iev.be • www.iev.be

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Quel avenir pour l'union économique et monétaire européenne ? by ps-be - Issuu