Au-delà de la décolonisation des territoires-2021

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3 Etat de la Question 2021 • IEV Préambule 4 Introduction 5 1. Des regrets, mais – toujours – pas d’excuses 5 2. Une commission sur le passé colonial belge 7 2.1. Composition 7 2.2. Objectifs 7 3. La question de la restitution des œuvres 8 4. Conclusion 9 Annexe I : Discours du Roi Baudouin (30 juin 1960) 11 Annexe II : Lettre du Roi Philippe (30 juin 2020) 13 SOMMAIRE

Préambule

À l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 24 juillet 1981, tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ou plus simplement « loi Moureaux », du nom du Ministre socialiste qui a porté ce texte, l’Institut Émile Vandervelde a organisé une série de quatre « webinaires » au sujet de la lutte contre le racisme.

La troisième rencontre portait sur les liens entre racisme et colonisation. Dans ce contexte, Sabine Roberty, députée régionale, a pu dialoguer avec les invités suivants : Marie-Reine Iyumva, responsable de la coordination à l’AfricaMuseum, Aliou Baldé, membre du collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations et Julien Truddaïu, coordinateur général du mouvement Présence et Action Culturelles.

Cette rencontre a été l’occasion d’entamer un travail réflexif plus profond et d’examiner de manière détaillée une série de thématiques telles que la prise en considération, par le monde politique, du passé colonial ou encore les questions liées aux réparations ou encore à la restitution des œuvres spoliées

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Introduction

Le 30 juin dernier, nous commémorions le 61e anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo, l’occasion de revenir sur une page importante de l’histoire du pays, à savoir le passé colonial. Un tel anniversaire pousse évidemment à la réflexion : en avons-nous réellement fini avec la colonisation et les répercussions de celle-ci sur les mentalités actuelles ?

De telles interrogations sont soulevées depuis bon nombre d’années par les chercheurs et intellectuels. Cependant, depuis les années 1980, le concept de « postcolonialisme » a apporté des éclairages nouveaux à ces questionnements. S’inscrivant dans la démarche critique du discours postmoderne, les postcolonial studies critiquent l’ère coloniale ainsi que l’héritage de cette période et cherchent à comprendre comment la colonisation a affecté, non seulement les anciennes sociétés colonisées, mais aussi les pays occupants

généralement occidentaux –. Pour le dire autrement, le postcolonialisme interroge les fondements mêmes du racisme colonial au travers de questions telles que : Comment le racisme colonial s’est-il inséré dans nos sociétés ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Comment celui-ci perdure-t-il ?

Ainsi, le préfixe « post » (de « postcolonialisme ») ne désigne pas une simple chronologie, mais doit être entendu comme une rupture impliquant un autre regard sur l’histoire. Les intellectuels et théoriciens qui se réclament de cette mouvance ne se mettent donc pas en « rapport avec un passé historique limité et circonscrit, mais postulent la présence du colonialisme dans le contemporain et la nécessité de poursuivre l’analyse des discours coloniaux »1

C’est à la lumière de ce courant postcolonialiste que nous souhaitons analyser, par le biais de cette note, la situation belge actuelle : Comment la Belgique vit-elle son passé colonial et comment interroge-t-elle la place du colonial dans la société actuelle ? Quelles solutions notre pays met-il en place afin de lutter durablement contre les effets d’un colonialisme latent et persistant ?

1. Des regrets, mais – toujours – pas d’excuses

Comme toutes les disciplines vivantes, l’Histoire s’interroge sur elle-même. Sans cesse, l’historien est tenu de repenser sa condition ainsi que ses productions. Souvent, des débats passionnés opposent les historiens. Toutefois, il arrive que ceux-ci s’accordent autour de réalités passées. Tel est le cas de la colonisation, période à propos de laquelle les scientifiques s’entendent pour admettre et reconnaître le profit presque exclusif généré en faveur du seul colonisateur

L’année 2020 a particulièrement ravivé ces débats, tant chez nous qu’à l’international, en témoignent les événements suivants : le meurtre de George Floyd, l’amplification et l’internationalisation du mouvement « Black Lives Matter », la remise en question, dans l’espace public, d’effigies de personnalités liées à la colonisation, les manifestations et rassemblements divers à l’encontre du racisme – dont celui du 7 juin 2020 à Bruxelles –, l’instauration d’une commission spéciale « Vérité et Réconciliation » à la Chambre, puis, le communiqué officiel du roi Philippe à l’égard du président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi (voir annexes).

Ce dernier événement est un geste historique : le roi Philippe, par le biais de cette lettre, a exprimé ses « plus profonds regrets » pour les « actes de violence et de cruauté » commis sous le règne de son ancêtre, Léopold II. Le souverain reconnaît également les « souffrances et humiliations » causées pendant la période

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1 BANETH-NOUAILHETAS, Emilienne. « Le postcolonial : histoire de langues. » in Hérodote. Paris : La Découverte. 2006. p. 49.

coloniale2 Philippe mentionne également les répercussions de cette domination sur le présent. Son discours tranche considérablement avec les mots prononcés le 30 juin 1960, par son oncle Baudouin, lequel considérait l’indépendance du Congo comme « l’aboutissement de l’œuvre conçue par le roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace ».

Les regrets du roi Philippe, bien qu’appréciables, ne constituent cependant pas des excuses. Si globalement cet acte a été bien reçu par la communauté congolaise, nombreuses sont, toutefois, les personnes insatisfaites. Ces dernières regrettent en effet l’absence d’excuses stricto sensu et considèrent, de ce fait, l’écrit du roi comme lacunaire et incomplet. « C’est que l’excuse publique est un acte politique risqué, qui peut impliquer des réparations »3. Ce constat s’applique également aux autres pays ex-colonisateurs, lesquels n’ont, qu’à de très rares occasions, présenté des excuses. Le premier cas d’excuses officielles formulées par un ancien pays colonisateur est l’Italie. En 2008, Silvio Berlusconi présentait ses excuses à la Lybie (à l’époque dirigée par Mouammar Kadhafi), pour l’occupation des régions libyennes de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, de 1911 à 1942. Une première donc, mais une première équivoque, puisque par cet accord, l’Italie s’assurait ainsi la « coopération libyenne en matière d’immigration et une part importante des échanges commerciaux d’énergie fossile »4 Plus récemment, en mars 2020, le roi des Pays-Bas WillemAlexander a également présenté ses excuses à l’Indonésie, à l’occasion du 75e anniversaire de l’indépendance du pays. Nombreux sont, en revanche, les exemples de reconnaissance de violences ou de crimes commis dans les terres occupées : ainsi, par exemple, en 2012, François Hollande reconnaît les méfaits accomplis par la France en Algérie. Cinq ans plus tard, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle – il ne tiendra plus de propos similaires une fois président – parle quant à lui de « crime contre l’humanité » à propos de ce même sujet. Mais, toujours pas d’excuses.

Qu’en est-il de la Belgique ? Dans ce cas précis, une rétrospective s’avère nécessaire. En 2002, une commission d’enquête parlementaire avait été mise en place. Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, présentait ses « excuses » et ses « profonds et sincères regrets » au peuple congolais pour le rôle de la Belgique dans la mort, en 1961, du Premier ministre Lumumba. En 2019, c’est Charles Michel qui prenait la parole au sein de l’hémicycle de la Chambre des Représentants. Ce dernier s’excusait alors pour l’enlèvement de milliers d’enfants métis – on parle de 20.000 personnes ! – au Burundi, en République démocratique du Congo et au Rwanda. Vient enfin la reconnaissance – déjà mentionnée – de la période coloniale par le roi Philippe, moment certes important, mais insuffisant au regard des réalités passées Le processus de réparation et de devoir de mémoire subsiste également au travers de l’instauration d’une commission spéciale, le 16 juillet 2020, destinée à faire la lumière sur le passé colonisateur de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi.

2 Il convient de distinguer l’époque de l’État indépendant du Congo (1885-1908) de celle du Congo belge (1908-1960). Alors que la première période relève de la responsabilité individuelle du roi Léopold II, la deuxième dépend de l’État belge et tente de lisser et d’atténuer les maux et crimes perpétués de 1885 à 1908, en s’inscrivant dans une mouvance davantage « civilisatrice »

3 HUON, Victor. « Regretter n’est pas s’excuser. » inColonialisme.Del’œuvrecivilisatriceàl’heuredescomptes. Bruxelles : Le Vif Hors-Série. 2021. p. 127.

4 Ibid. p. 128.

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2. Une commission sur le passé colonial belge 2.1. Composition

La commission sur le passé colonial belge5 est composée de seize parlementaires et de dix experts. Les députés ont été désignés par la Chambre, dans le respect des règles de représentation proportionnelle des groupes politiques. D’un point de vue méthodologique, le groupe d’experts est tenu de rédiger un premier rapport. Ce groupe pluridisciplinaire est composé de :

- Mathieu Zana Etambala (KMMA, KULeuven) : historien avec spécialisation en histoire coloniale ;

- Gillian Mathys (UGent) : historienne et chercheuse ;

- Elikia M’Bokolo (EHESS, Université de Kinshasa) : histoire moderne et contemporaine, histoire de la diaspora africaine ;

- Anne Wetsi Mpoma : historienne de l’art, association de la diaspora Bamko ;

- Jean-Louis Nahimana : ancien président de la commission « Vérité burundaise » (décédé le 7 janvier 2021) ;

- Pierre-Luc Plasman (UCLouvain) : historien, chercheur à l’Institut de sciences politiques LouvainEurope ;

- Valérie Rosoux (FNRS, UCLouvain) : docteur en philosophie et en relations internationales, auteure internationale sur le thème de la réconciliation et de la consolidation de la paix ;

- Martien Schotsmans : juriste, coordinatrice du Centrum voor Erkenning en Bemiddeling van Historisch Institutioneel Misbruik ;

- Laure Uwase : avocate, Jambo asbl ;

- Sarah Van Beurden (Ohio State University) : historienne, experte en histoire africaine et en histoire coloniale.

2.2. Objectifs

Le groupe d’experts, composé de profils divers, est tenu de dresser un état des lieux des incidences structurelles et économiques de l’État belge sur le Congo, le Rwanda et le Burundi. Quelles sont les zones d’ombre qui persistent toujours aujourd’hui au sujet de ce passé colonial ? Comment le gouvernement belge peut-il réparer les retombées contemporaines liées à la colonisation ? Par cette commission parlementaire, la Belgique amorcerait donc un changement de cap vers ce qui devrait être le début d’une réconciliation.

Initialement, le travail préliminaire de rédaction du premier rapport par les experts était attendu pour le 1er octobre 2020. En réalité, le travail aura pris une année supplémentaire. En effet, mercredi 27 octobre 2021,

5 L’intitulé exact de cette commission étant « commission spéciale chargée d’examiner l’état indépendant du Congo (1885-1908) et le passé colonial de la Belgique au Congo (1908-1960), au Rwanda et au Burundi (1919-1962), ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver ».

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le rapport préliminaire de la commission « Vérité et Réconciliation » a enfin été rendu public6. Celui-ci est divisé en trois parties :

- Une première consacrée au passé historique ;

- Une deuxième dédiée aux archives ;

- Une troisième énonçant une série de conclusions et de recommandations.

Le document – qui fait près de 700 pages ! – sera présenté dans les prochaines semaines aux députés de la commission « Vérité et Réconciliation ». S’ensuivront alors une série d’auditions.

On peut légitimement se questionner sur le délai de publication de ce rapport. Un tel retard dans l’élaboration d’un document de cette ampleur n’est pas fait neuf. En 2000, une commission d’enquête parlementaire s’était également tenue au sujet de l’assassinat de Patrice Lumumba. Elle aussi avait vu ses délais rallongés. Si l’on souhaite que le travail de la commission « Vérité et Réconciliation » porte ses fruits, des enseignements doivent être tirés de la commission de 2000. Des recommandations de la commission Lumumba n’ont, en effet, jamais été mises en œuvre : à titre d’illustration, « l’enquête sur les responsabilités individuelles, la création d’une fondation Patrice Lumumba et l’accès aux archives n’ont [ainsi] jamais vu le jour »7

3. La question de la restitution des œuvres

Les réparations – dénouements qui émaneront des travaux de la commission parlementaire – pourront se décliner de manières diverses : propositions de loi, réparations financières, reconnaissance officielle de certains crimes8. La question de la restitution des œuvres apparaît, elle aussi, comme une forme de dédommagement.

En effet, parmi les ressources exploitées par les puissances coloniales figure le patrimoine culturel. L’impact de la colonisation sur la culture est considérable.

D’une part, il convient de rappeler que les processus d’oppression et d’exploitation sont aussi passés par la langue et la culture. Le colon européen n’est pas seulement arrivé en conquérant militaire, mais également en civilisateur culturel. D’autre part, à ce processus d’acculturation doit également être adjoint le mécanisme de dépossession culturelle.

Alors que la question de l’acculturation (tant linguistique que culturelle) ne peut être démêlée politiquement (les koinés9 et autres résultats de contacts entre civilisations doivent-ils vraiment être considérés, aujourd’hui, comme un problème à solutionner ou, plutôt, comme un héritage, certes complexe, mais digne d’intérêt de par sa singularité ?), la seconde problématique peut, quant à elle, trouver un écho favorable dans l’action des politiques menées dans notre pays. C’est dans cet esprit que Thomas Dermine, Secrétaire d’État pour la Relance et les Investissements stratégiques, chargé de la Politique scientifique, a suggéré un premier ensemble de solutions.

6 DENIS, Loïs. « Comment éviter que la commission ne s’embourbe. » inColonialisme.Del’œuvrecivilisatriceàl’heuredescomptes. Bruxelles : Le Vif Hors-Série. 2021. p. 145.

7 Le document est disponible via le lien suivant : https://www.lachambre.be/doc/flwb/pdf/55/1462/55k1462002.pdf#search=%22v%C3%A9rit%C3%A9%20et%20r%C3%A9conciliation%20%2055k%2 0%3Cin%3E%20keywords%22

8 Cf. Loi Taubira de 2001 qui reconnaît la traite négrière transatlantique et l’esclavage comme crimes contre l’humanité.

9 Un koiné est la langue véhiculaire utilisée par des locuteurs ayant des langues maternelles différentes.

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Privilégiant le dialogue avec les autorités congolaises, la démarche de Thomas Dermine s’appuie sur deux principes :

- La reconnaissance du caractère juridique d’aliénabilité des biens acquis durant la période 18851960 ;

- La possibilité de transfert de propriété juridique des biens et des objets.

Cette approche en deux principes est également couplée d’une catégorisation en trois divisions, basée sur une étude de provenance, à savoir :

- Les objets dont il aura pu être déterminé l’acquisition illégitime par la Belgique ;

- Les objets dont il aura pu être déterminé l’acquisition légitime par la Belgique ;

- Les objets dont il n’aura pas pu être déterminé le caractère légitime ou pas de l’acquisition faite par la Belgique.

La proposition de Thomas Dermine pourra évidemment être soumise à des évolutions et modifications, les avis et recommandations futurs de la commission parlementaire sur le passé colonial devant être inclus dans cette démarche.

4. Conclusion

« Il n’est pas injuste de refuser toute vertu éclairante à l’histoire, en prétendant qu’elle justifie ce que l’on veut. Le passé conditionne le présent […]. L’histoire, épaulée par la psychologie et par la sociologie, offre des exemples suggestifs, des comparaisons utiles ; elle a, pour celui qui réfléchit, une incontestable valeur éducative »10

« Le passé conditionne le présent », ces mots de l’historien Léon-Ernest Halkin prennent pleinement leur sens à travers le cas qui nous retient ici. La colonisation n’est pas l’affaire d’un autre temps, puisque ses répercussions – multiples et nombreuses ! – sont encore visibles aujourd’hui. Des auteurs, tels que Vincent Hugeux, démontrent, par exemple, comment et pourquoi bon nombre de dirigeants d’États postcoloniaux se sont politiquement révélés au travers d’un exercice dictatorial du pouvoir, perpétuant ainsi l’ordre et le modèle défendu par les anciennes puissances coloniales11

En outre, si le système colonial est révolu depuis près de soixante années maintenant, il n’en va pas de même pour l’histoire des idées Un exemple illustrant cette persistance se manifeste à travers l’enseignement. Le traitement du passé colonial – lorsqu’il n’est tout simplement pas tu – dans les manuels scolaires est largement questionnable. Une réflexion sur le sens des relations coloniales et leurs répercussions doit être menée, tant du point de vue du récit des événements passés que du point de vue de l’historicité présente. L’école doit intégrer le fait colonial dans son programme et l’aborder de manière (auto)critique.

La prospérité économique actuelle de l’Europe repose aussi, en partie, sur l’exploitation des colonies. Nul ne peut plus nier que, derrière cette grande entreprise « civilisatrice », se cachait, en réalité, une volonté d’enrichissement propre

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10 HALKIN, Léon-Ernest. Initiationàlacritiquehistorique. Paris : Serge Fleury. 1973. p. 140 11 HUGEUX, Vincent. Tyransd’Afrique:lesmystèresdudespotismepost-colonial. Paris : Perrin. 2021.

Le débat lié aux conséquences du système colonial est donc loin d’être terminé. L’heure est désormais à la réflexion, à l’examen des consciences tant individuelles que collectives et à la réparation de tout un peuple, victime d’un système impérialiste hégémonique assurément abusif dont les retombées contemporaines restent insidieusement persistantes.

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Annexe I : Discours du Roi Baudouin (30 juin 1960)

« Monsieur le Président, Messieurs,

L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique. Elle marque une heure décisive dans les destinées non seulement du Congo lui-même, mais je n'hésite pas à l'affirmer, de l'Afrique tout entière

Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d'abord pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste qui décimait ses populations ; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies qui, jadis ennemies, s'apprêtent à constituer ensemble le plus grand des États indépendants d'Afrique ; enfin pour appeler à une vie plus heureuse les diverses régions du Congo que vous représentez ici, unies en un même Parlement.

En ce moment historique, notre pensée à tous doit se tourner vers les pionniers de l'émancipation africaine et vers ceux, qui après eux, ont fait du Congo ce qu'il est aujourd'hui. Ils méritent à la fois notre admiration et votre reconnaissance, car ce sont eux qui, consacrant tous leurs efforts et même leur vie à un grand idéal, vous ont apporté la paix et ont enrichi votre patrimoine moral et matériel. Il faut que jamais ils ne soient oubliés, ni par la Belgique, ni par le Congo.

Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd'hui son couronnement, il ne s'est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur.

Le Congo, dès sa fondation, a ouvert ses frontières au trafic international, sans que jamais la Belgique y ait exercé un monopole institué dans son intérêt exclusif. [...]

Nous sommes heureux d'avoir donné au Congo, malgré les plus grandes difficultés, les éléments indispensables à l'armature d'un pays en marche sur la voie du développement.

Le grand mouvement d'indépendance qui entraîne toute l'Afrique à trouver, auprès des pouvoirs belges, la plus large compréhension. En face du désir unanime de vos populations, nous n'avons pas hésité à vous reconnaître, dès à présent, cette indépendance

C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance.

Dorénavant, la Belgique et le Congo se trouvent côte à côte, comme deux États souverains, mais liés par l'amitié et décidés à s'entraider. Aussi, nous remettons aujourd'hui entre vos mains tous les services administratifs, économiques, techniques et sociaux ainsi que l'organisation judiciaire, sans lesquels un État moderne n'est pas viable. Les agents belges sont prêts à vous apporter une collaboration loyale et éclairée. Votre tâche est immense et vous êtes les premiers à vous en rendre compte. Les dangers principaux qui vous menacent sont : l'inexpérience des populations à se gouverner, les luttes tribales qui, jadis, ont fait du mal et qui, à aucun prix, ne doivent reprendre, l'attraction que peuvent exercer sur certaines régions des puissances étrangères, prêtes à profiter de la moindre défaillance. Vos dirigeants connaîtront la tâche difficile de gouverner. Il leur faudra mettre au premier plan de leurs préoccupations, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, les intérêts généraux du pays. Ils devront apprendre au peuple congolais que l'indépendance ne se réalise pas par la satisfaction immédiate des jouissances faciles, mais par le travail, par le respect de la liberté d'autrui et des droits de la minorité, par la tolérance et l'ordre, sans lesquels aucun régime démocratique ne peut subsister.

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Je tiens à rendre ici un particulier hommage à la Force Publique qui a accompli sa lourde mission avec un courage et un dévouement sans défaillance. L'indépendance nécessitera de tous des efforts et des sacrifices. Il faudra adapter les institutions à vos conceptions et à vos besoins, de manière à les rendre stables et équilibrées. Il faudra aussi former des cadres administratifs expérimentés, intensifier la formation intellectuelle et morale de la population, maintenir la stabilité de la monnaie, sauvegarder et développer vos organisations économiques, sociales et financières. Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux.

Entretenez avec vigilance l'activité des services médicaux dont l'interruption aurait des conséquences désastreuses et ferait réapparaître des maladies que nous avions réussi à supprimer. Veillez aussi sur l'œuvre scientifique qui constitue pour vous un patrimoine intellectuel inestimable. N'oubliez pas qu'une justice sereine et indépendante est un facteur de paix sociale ; la garantie du respect du droit de chacun confère à un État, dans l'opinion internationale, une grande autorité morale.

N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires dont vous aurez besoin.

L'Afrique et l'Europe se complètent mutuellement et sont appelées en coopérant au plus brillant essor. Le Congo et la Belgique peuvent jouer un rôle de première grandeur par une collaboration constructive et féconde, dans la confiance réciproque.

Messieurs,

Le monde entier a les yeux fixés sur vous. À l'heure où le Congo choisit souverainement son style de vie, je souhaite que le peuple congolais conserve et développe le patrimoine des valeurs spirituelles, morales et religieuses qui nous est commun et qui transcende les vicissitudes politiques et les différences de race ou de frontière.

Restez unis, et vous saurez vous montrer dignes du grand rôle que vous êtes appelés à jouer dans l'histoire de l'Afrique.

Peuple congolais,

Mon pays et moi-même reconnaissons avec joie et émotion que le Congo accède ce 30 juin 1960, en plein accord et amitié avec la Belgique, à l'indépendance et à la souveraineté internationale. Que Dieu protège le Congo ! »

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Annexe II : Lettre du Roi Philippe (30 juin 2020)

« En ce soixantième anniversaire de l'indépendance de la République démocratique du Congo, je tiens à vous adresser ainsi qu'au peuple congolais mes vœux les plus chaleureux.

Cet anniversaire est l'occasion de renouveler nos sentiments d'amitié profonde et de nous réjouir de la coopération intense qui existe entre nos deux pays dans tant de domaines, et notamment dans le domaine médical qui nous mobilise en cette période de pandémie. La crise sanitaire nous frappe au milieu d'autres préoccupations. Le partenariat privilégié entre la Belgique et le Congo est un atout pour y faire face. En ce jour de fête nationale, je souhaite réaffirmer notre engagement à vos côtés.

Pour renforcer davantage nos liens et développer une amitié encore plus féconde, il faut pouvoir se parler de notre longue histoire commune en toute vérité et en toute sérénité.

Notre histoire est faite de réalisations communes mais a aussi connu des épisodes douloureux. À l'époque de l'État indépendant du Congo des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd'hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme. J'encourage la réflexion qui est entamée par notre parlement afin que notre mémoire soit définitivement pacifiée.

Les défis mondiaux demandent que nous regardions vers l'avenir dans un esprit de coopération et de respect mutuel. Le combat pour la dignité humaine et pour le développement durable requiert d'unir nos forces. C'est cette ambition que je formule pour nos deux pays et pour nos deux continents, africain et européen. Les circonstances actuelles ne permettent malheureusement pas de me rendre dans votre beau pays, que j'aimerais tant mieux connaître. J'espère que j'en aurai bientôt l'opportunité. »

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DANS LA MÊME COLLECTION / ETAT DE LA QUESTION IEV

La dette publique belge à 100% du PIB

Les libertés syndicales sont-elles menacées ?

Le droit de vote des personnes en situation de handicap mental ou psychique

Crise du Covid-19 : vers un nouveau contrat social ?

La liaison des allocations sociales au bien-être, un dispositif inachevé ?

Le 100e anniversaire de l’index

Violences conjugales : état des lieux et prise de conscience en temps de confinement

Analyse de l’application de la règle d’or budgétaire dans la zone Euro

La chute de Dexia : impact sur les finances publiques belges

La convention européenne des droits de l’homme, un instrument essentiel au cœur de l’évolution des droits fondamentaux. Question choisie : le droit à la vie privée, un droit aux multiples facettes

Letizia DE LAURI

Cour d’assises : l’impossible appel ?

Housing first : de la rue au logement

Les pouvoirs des communes en matière de maintien de l’ordre public : une inflation sans fin ?

Asile et migration en Europe : une solidarité défaillante

L’évolution du processus de régulation de la SNCB

Participation citoyenne à l’échelle locale : qu’est-ce qu’un budget participatif ?

Letizia DE LAURI

Résumé

La présente note cherche non seulement à démontrer comment la société belge contemporaine reste attachée à des préjugés et des représentations issus de l’histoire coloniale, mais aborde également les difficiles questions liées à la mémoire et à l’examen (auto-)critique de notre pays sur son propre passé.

15 Etat de la Question 2021 • IEV

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Au-delà de la décolonisation des territoires-2021 by ps-be - Issuu