Le travail étudiant: une régulation nécessaire et des droits sociaux-2021

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Introduction 4 1. Le contrat d’occupation d’étudiant 4 1.1. Absence de la notion d’étudiant en droit positif....................................................................................... 4 1.3. Le contingent des 475 heures 5 1.3.1. La cotisation de solidarité ................................................................................................................................ 6 1.3.2. Les critiques syndicales 7 2. Un travailleur à part entière ? 7 3. Quelques pistes de réflexion 8 3.2. Le revenu d’intégration 8 3.3. Les prestations de sécurité sociale ................................................................................................................... 9 3.4. Le phénomène d’éviction de l’emploi régulier 10 3.4.1. La cotisation de responsabilisation 10 3.4.2. Le travail intérimaire 12 Conclusion 12 SOMMAIRE

Introduction

La crise sanitaire actuelle a mis en exergue l’importance - parfois cruciale - pour les étudiants d’exercer une activité rémunérée. Tous les jeunes n’ont évidemment pas la chance d’avoir des parents en mesure de financer leurs études et/ou de couvrir les frais que celles-ci génèrent au quotidien.

Selon l’ONSS, il y avait environ 313.524 étudiants jobistes occupés au cours du second trimestre 2019.

Même si les conséquences de la crise du Covid-19 et les réponses politiques1 ne sont pas l’objet de notre analyse, gardons à l’esprit que le travail d’étudiant s’est littéralement effondré lors du second trimestre 2020 : 90.000 étudiants en moins ont été occupés d’une période à l’autre, ce qui représente une disparition de 125.000 postes de travail et c’est sans compter aussi que le nombre d’heures prestées a lui aussi régressé (moins 25%)2

Sur l’ensemble de l’année 2019, il y aurait eu 544.752 étudiants jobistes. On peut émettre l’hypothèse que si 62% de ces étudiants travaillent aussi bien pendant les mois d’été que tout au long de l’année scolaire, il s’agit pour beaucoup d’entre eux d’une nécessité et non d’un choix qui serait guidé pour satisfaire de quelconques loisirs.

1. Le contrat d’occupation d’étudiant

1.1. Absence de la notion d’étudiant en droit positif

La loi ne définit pas ce que l’on entend par « étudiant » et elle ne fixe aucune condition d’âge maximum. La notion d’étudiant est uniquement définie de manière négative. Ainsi certaines catégories sont exclues de la possibilité de contracter sous le régime « étudiant » :

• Les étudiants qui ont été liés, sans interruption, depuis au moins 12 mois, par un contrat de travail auprès d’un même employeur ;

• ceux qui sont inscrits dans une école du soir ou qui suivent un enseignement à horaire réduit sauf exceptions ;

• ceux qui accomplissent un stage non rémunéré faisant partie de leur programme d’études.

On en déduit que les études doivent être l’activité principale (de « plein exercice »3) et le travail l’activité accessoire4. En cas de cumul du statut d’étudiant avec un autre statut, c’est ce dernier qui prime. Ainsi, un jeune étudiant qui s‘inscrit comme demandeur d’emploi auprès du service régional compétent afin d’obtenir l’allocation d’insertion (allocation octroyée par l’ONEM sur base des études) devra répondre à toutes les exigences que la réglementation impose au niveau de la disponibilité pour le marché du travail, du stage d’insertion professionnelle (en principe 12 mois)5, du contrôle de la recherche active d’un emploi, etc. Il doit donc avoir mis fin à toutes les activités en relation avec ses études et ne pourra être engagé par un employeur que dans le cadre d’un contrat de travail ordinaire qui lui ouvrira peut-être le droit aux allocations de chômage s’il comptabilise le nombre de jours de travail requis au cours d’une période de référence et en fonction de son âge. A défaut, il pourra éventuellement prétendre à l’allocation d’insertion.

1 Notamment, les heures prestées par les étudiants jobistes pendant la période du second trimestre 2020 qui ont été neutralisées. Elle « récompense » les étudiants qui ont eu la chance de travailler au plus fort de la pandémie. Par ailleurs, les heures prestées dans les secteurs de la santé et de l’enseignement uniquement ont été neutralisées au cours du quatrième trimestre 2020 et du premier trimestre 2021.

2 https://www.lalibre.be/belgique/societe/le-coronavirus-a-detruit-le-job-de-90-000-etudiants-5fd30f237b50a652f7700b30 (Belga du 11 décembre 2020).

3 Sauf dans l’enseignement à temps partiel où le travail « étudiant » est permis mais uniquement pendant les périodes de vacances scolaires.

4 Le travail doit avoir lieu pendant les périodes de présence non-obligatoire au sein de l’établissement scolaire.

5 Le stage débute au plus tôt le 1er août qui suit la fin des études, sauf si le jeune a interrompu ses études dans le courant de l’année scolaire.

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1.2. Une protection spécifique dépassée ?

Tout en soulevant le problème de l’absence d’une définition du droit positif de la notion d’étudiant, le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale a mis en exergue le fait que la philosophie initiale des dispositions du droit du travail des étudiants était largement dépassée dans les faits. « Cet étudiant, qui était dans l’ignorance et entrait souvent en contact pour la première fois avec le marché du travail, se voyait proposer un contrat de travail spécifique, offrant une protection supplémentaire à ce type de travailleur en position de faiblesse ». Sur le site internet du SPF on peut encore lire que « les dispositions de la loi qui ont trait spécifiquement au contrat d’occupation d’étudiant visent à fournir à l’étudiant qui n’a pas encore d’expérience sur le marché du travail un maximum d’informations afin qu’il exerce son travail en toute connaissance de cause. Ces dispositions visent donc à protéger l’étudiant confronté occasionnellement au marché de l’emploi et qui n’a pas encore d’expérience sur ce marché ».

On rappellera que le travail d’étudiant a été conçu à l’origine pour permettre aux travailleurs réguliers de prendre leurs vacances pendant les traditionnels mois d’été (pour éviter que la charge de leur travail soit reportée sur leurs collègues). Mais la réalité d’aujourd’hui est que les études sont devenues beaucoup plus onéreuses et que les périodes de vacances ne sont plus le monopole du travail d’étudiant6. L’extension de l’occupation n’est pas le seul constat de l’évolution sociétale à laquelle on assiste depuis des années. L’éventail des possibilités de s’informer (là où, auparavant, le contrat écrit était l’unique source d’information) et la réforme des systèmes d’enseignement en sont d’autres.

L’ensemble de la problématique a fait l’objet d’un débat au sein du CNT mais les partenaires sociaux n’ont pas pu dégager une position commune7

Dénonçant des abus et le « brouillage » du statut étudiant au sein des entreprises, les syndicats se sont prononcés pour la fixation d’un âge maximum (25 ans en principe) et pour la suppression du contrat spécifique moyennant quelques mentions obligatoires. Il est alors possible « d’effectuer le travail étudiant sous les cotisations ONSS particulièrement avantageuses, telles qu’elles s’appliquent actuellement pour le contingent maximal de 475 heures par an »8

Quant aux organisations patronales, c’est le conservatisme qui l’emporte. Elles estiment que la pratique confirme que l’absence de cadre légal positif permet une souplesse indispensable au nombre de cas de figure potentiels (diversité des types de formations et d’études). Selon elles, le statut d’étudiant est lié aux « intentions de l’étudiant » et il n’appartient pas aux employeurs d’endosser la responsabilité d’une application inappropriée du régime.

Sur « l’intention de l’étudiant », il est frappant de constater que les représentants des employeurs se retranchent derrière une réglementation qui permet des abus. Exemple : un jeune qui met un terme à ses études pendant l’année scolaire, sans notifier sa décision à la direction de l’établissement et sans s’inscrire comme demandeur d’emploi auprès du service régional de l’emploi, conserve son statut d’étudiant pendant le restant de l’année et jusqu’à la fin des vacances d’été. Il pourra donc encore travailler dans le cadre d’un contrat d’occupation d’étudiant.

1.3. Le contingent des 475 heures

Le principe général est que les prestations effectuées comme travailleur étudiant sont soumises aux cotisations sociales ordinaires. Cependant, un étudiant jobiste bénéficie de cotisations sociales réduites appelées « cotisations de solidarité » pendant 475 heures de travail par année civile (2,71% pour l’étudiant

6 C’est à partir de 2005 que le travail des étudiants (donnant lieu à des exonérations de cotisations sociales) a progressivement été élargi en dehors des vacances d’été.

7 Avis n°2.085 du 22 mai 2018 du CNT (Travail des étudiants - Ratio legis des dispositions du droit du travail concernant les étudiants - Définition de la notion d’étudiant).

8 A noter que le congrès statutaire de la FGTB (30/31 mai et 1er juin 2018) s’est prononcé en faveur de l’assujettissement aux cotisations sociales normales (car concurrence déloyale par rapport au circuit de travail classique) et de la prise en compte du travail étudiant pour la constitution de tous les droits sociaux.

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et 5,42% à charge de l’employeur). Le travail doit avoir lieu pendant les périodes de présence non-obligatoire au sein de l’établissement scolaire.

C’est depuis le 1er janvier 2017 que l’ancien système qui comptabilisait le travail d’étudiant en jours (50 jours par an) a été remplacé par un quota de 475 heures sur base annuelle9

Il faut reconnaître que la situation antérieure était injuste puisque, par exemple, une prestation de trois heures de travail un jour était comptabilisée de la même manière qu’un horaire plus étendu le même jour. Il est impossible d’affirmer que les étudiants jobistes étaient traités sur le même pied d’égalité. Mais au-delà de cette égalité « formelle », il serait intéressant de comparer l’origine sociale des jobistes avec le type d’activité qu’ils exercent, leur nombre d’heures de travail, leur motivation et l’impact de ces données sur le taux de leur réussite scolaire. En Belgique, l’emploi étudiant est rarement en lien avec les études : être manutentionnaire dans une grande surface ou contrôler des tickets d’entrée dans un cinéma n’aident pas sur le marché de l’emploi lorsque le jeune obtient un diplôme de l’enseignement supérieur. Or, il est évident que pouvoir valoriser une ou plusieurs expériences dans un curriculum vitae est un atout incontestable. Le lien ou l’absence de lien avec les études10 dépendra fortement du type d’études suivies, tandis que ces dernières varient selon les parcours scolaires et les caractéristiques sociales.

Si nous partons de l’hypothèse - il s’agit bien d’une hypothèse - que les étudiants issus des milieux modestes exercent plus régulièrement, par nécessité, une activité lucrative avec des horaires journaliers plus solides, une limitation « en jours plutôt qu’en heures » leur était favorable, sauf - et c’est très important - que l’emploi occupé peut représenter une charge horaire (par jour) lourde et contraignante, nuisible à la santé et à la réussite des études11. Par contre, les secteurs d’activité dans lesquels les prestations journalières sont très souvent incomplètes n’étaient évidemment pas favorables à ce système étant donné qu’un étudiant qui travaillait 2 heures sur une journée voyait la journée entière soustraite du contingent donnant droit aux cotisations sociales réduites. Autrement dit, ces employeurs épuisaient plus rapidement le quota autorisé que ceux qui parvenaient à « épargner » et à concentrer des heures de travail sur un minimum de jours12

1.3.1. La cotisation de solidarité

Etant donné que le travailleur étudiant ne cotise pas de la même façon qu’un autre travailleur, ses prestations de travail ne construisent aucun droit en matière d’incapacité INAMI, de chômage ou encore de pension. Même s’il est bien évidemment protégé contre les accidents du travail et que, dans certains cas, il pourra prétendre au salaire garanti en cas de maladie (comme pour les ouvriers, soit 7 jours), il n’aura pas droit non plus aux congés payés puisque la réglementation exige que des cotisations normales de sécurité sociale aient été versées l’année qui précède.

Lorsque les 475 heures sont dépassées, les heures prestées en dehors du contingent (donc à partir de la 476e heure) sont soumises aux cotisations sociales ordinaires. Ceci peu importe que le dépassement ait eu lieu chez le même employeur ou chez des employeurs différents. Contrairement à une idée assez répandue, une occupation de plus de 475 heures est donc autorisée. Elle se déroulera selon les règles normales d’assujettissement pour la période dépassant le contingent, mais le jeune restera soumis au contrat d’occupation d’étudiant. La seule différence réside dans le taux des cotisations sociales.

Un jeune qui a atteint son quota de 475 heures (ou même qui ne l’a pas atteint) peut très bien envisager d’autres occupations dans des secteurs pour lesquels des « régimes spéciaux » existent également en matière de cotisations sociales. Ces secteurs sont ceux où il existe ce qu’on appelle le « travail occasionnel » (le régime qui y est applicable n’est pas spécifique aux étudiants). Certains contrats sont exonérés de cotisations sociales pour autant que le travail ne dépasse pas un certain nombre de jours par année civile (certains travaux agricoles saisonniers, certaines prestations dans

9 Ce qui équivaut à plus ou moins 60 jours de prestations si l’on part du principe que la durée d’une journée de travail et de 8 heures.

10 On ne parle évidemment pas ici des stages intégrés dans un cursus de formation ou encore des contrats d’apprentissage.

11 On doute fort que les étudiants privilégié sur le plan familial soient contrariés par un quelconque quota s’ils ne peuvent en tirer un « profit à long terme ». Peu importe d’ailleurs le type d’activité rémunérée, ces jeunes bénéficient de conditions de vie et d’études beaucoup plus favorables.

12 En évitant de dépasser une seconde balise (400 heures sur 50 jours).

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le secteur socioculturel ou à l’occasion de manifestations sportives, …), d’autres le sont mais sous un régime particulier de cotisations (calcul sur base d’un forfait). C’est le cas du travail occasionnel dans l’HORECA (quota de 50 jours par année civile) et dans l’agriculture et l’horticulture (les quotas y sont différents).

Pour terminer, la rémunération ne peut jamais être inférieure au minimum applicable au niveau sectoriel. Si rien n’est prévu dans une convention collective de travail (ce qui est très souvent le cas), c’est le salaire minimum interprofessionnel qui s’applique.

1.3.2. Les critiques syndicales

Le coût salarial moindre est l’élément clé pour expliquer l’explosion des jobs d’étudiant que l’on observe depuis des années. Il en résulte des pertes sèches pour la sécurité sociale et, sur le plan individuel, une quasi-absence de protection contre les « risques » sociaux13

Mais le développement du travail des étudiants engendre aussi des effets pervers sur le marché du travail. Là où un employeur a besoin d’engager un travailleur, il sera très tenté d’engager une succession d’étudiants afin de réduire son coût salarial. Les organisations syndicales pointent une concurrence de plus en plus déloyale. En particulier, les travailleurs réguliers à temps partiel perdraient toute chance d’élargir leur contrat (voir ci-après, point 3.4.1). Ceci ne signifie toutefois pas que les syndicats renoncent au fait que les efforts des étudiants jobistes doivent être pris en compte pour la constitution de droits sociaux14 .

Enfin, il y a également la réalité du travail au noir (qui n’est certainement pas à minimiser15) et la suppression du système de régularisation16 qui entraîne une baisse de recettes pour le budget de la sécurité sociale.

2. Un travailleur à part entière ?

La question est de savoir si l’étudiant jobiste doit être considéré comme un travailleur au même titre qu’un autre travailleur, auquel cas le contrat « étudiant » n’aurait plus aucune raison d’être et les cotisations normales de sécurité sociale devraient être prélevées sur les salaires.

Répondre par l’affirmative revient à entériner un processus de « banalisation » mais on se heurte alors à un principe de réalité qu’il serait vain de minimiser. Pour beaucoup d’étudiants, le travail est devenu un « choix contraint » et il n’a pas/plus la fonction « émancipatrice » que procure (ou devrait procurer) tout travail salarié ou indépendant : travailler pendant le temps des études pour les financer et/ou pour subvenir à ses besoins de base n’est pas la même chose que travailler pour financer un prêt hypothécaire, l’achat d’une nouvelle voiture ou un projet de vacances. « Etre étudiant, c’est déjà un travail à temps plein ». Le temps des études est une période transitoire et il s’impose de garantir que l’exercice du droit à la formation ne soit pas entravé par le jeu des intérêts économiques sur le marché du travail.

13 Pendant les 475 heures, en plus de bénéficier d’une réduction de cotisations sociales, on ne retire aucun précompte professionnel. « Un salaire brut presque équivalent à un salaire net » semble a priori avantageux, mais on oublie deux éléments : l’absence de « salaire différé » et le fait que les rémunérations restent très basses.

14 Avis n°1.995 du CNT du 27 septembre 2016 - Travail des étudiants - conversion en heures du contingent de 50 jours de travail étudiant. L’inspection des Finances avait également souligné cet aspect dans son avis FV/16R323 du 23 mai 2016.

15 S‘appuyant sur des études scientifiques, les syndicats estiment qu’un étudiant jobiste sur cinq travaille sans contrat. Chez les étudiants de moins de 18 ans, le nombre de travailleurs au noir atteindrait presque 30% (Avis n°1.995 du CNT, op.cit.).

16 Auparavant, en cas de dépassement du contingent chez le même employeur, l’assujettissement à la législation ONSS s’appliquait à partir du premier jour d’occupation

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3. Quelques pistes de réflexion

Le travail des étudiants est une matière très sensible en raison de son impact sur le marché du travail et sur la sécurité sociale.

Au préalable, nous devons insister sur le fait qu’envisager une réforme sans tenir compte de la précarité de l’emploi dans son ensemble (des jeunes mais aussi des moins jeunes) a peu de sens car cela risque d’accentuer encore davantage la segmentation du marché du travail. Les différentes formes d’occupation (jobs d’étudiant, travail occasionnel, travail à temps partiel, contrats CDD, intérim, …) obéissent à des réglementations spécifiques très/trop complexes qui, souvent, se chevauchent et nuisent à la lisibilité, à la sécurité et surtout à l’adoption d’une stratégie globale et cohérente

3.1. Une allocation de base

L’enjeu est bien que le travail d’étudiant devienne un choix plutôt qu’une contrainte. Pour atteindre l’objectif, certains proposent d’accorder une allocation de base à tous les étudiants17

On ne souscrira pas à une orientation qui gommerait le concept « d’égalité des chances » sous le prétexteun peu trop facile - de « mettre tout le monde sur le même pied d’égalité ».

Afin d’éviter l’effet « argent de poche » (aux frais de la collectivité) pour des étudiants privilégiés sur le plan familial, c’est un réexamen du système des bourses d’études qui s’impose. Ce système est un modèle social qui a été construit sur l’université de l’après-guerre, à une époque où la démocratisation de l’accès aux études commençait tout juste à faire ses premiers pas. Si les bourses d’études ont été progressivement améliorées en fonction des priorités politiques, sociales et budgétaires, elles ne parviennent plus à couvrir les besoins d’un public qui s’est aujourd’hui « massifié » et qui provient d’horizons socioéconomiques très différents.

3.2. Le revenu d’intégration

Au-delà de l’aide ponctuelle accordée par les CPAS, le droit au revenu d’intégration sociale (RIS) n’est nullement garanti dans le chef de l’étudiant.

Il faut que le centre accepte, pour des raisons d’équité, qu’en vue d’une augmentation de ses possibilités d’insertion professionnelle, le jeune entame, reprenne ou continue des études de plein exercice. En outre, sauf pour des motifs de santé ou d’équité, le jeune doit être disposé à travailler pendant les périodes compatibles avec ses études. Les termes « en vue d’une augmentation de ses possibilités d’insertion professionnelle » permet une latitude d’appréciation qui peut s’avérer abusive. D’autre part, le principe du travail rémunéré est la règle générale, le non-travail l’exception. L’étudiant sera peut-être obligé de chercher et d’accepter un job s’il veut obtenir le RIS, lequel sera diminué le cas échéant.

Si la crise sanitaire a fait exploser le nombre d’étudiants aidés par les CPAS, il semble que ces étudiants dénoncent parfois la très forte pression qui pèse sur leurs épaules : « le programme annuel étudiant (PAE) semble trop souvent s‘imposer comme la norme absolue à laquelle il n’est pas possible de déroger. Et, s’il devenait possible d’y déroger, ce serait avec la demande d’une quantité de justificatifs destinés à faire comprendre voire admettre le moindre accroc (…). Cette pression qui, associée à la complexité des études, à l’exigence relativement habituelle de devoir compléter le RIS par un job d’étudiant, rend leur vie

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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -17 Voir L’Info n°14 du 12 juillet 2019 (journal d’informations
syndicales de la CSC) - Deplusenplusd’étudiantsjobistes.

particulièrement stressante (…). Bien des travailleurs sociaux qui rencontrent quotidiennement ce public, reconnaissent la présence de cette pression et comprennent la difficulté qu’il y a à l’assumer (…) »18

Par conséquent, des considérations budgétaires peuvent très vite prendre le pas sur « l’équité », et ainsi participer à la concurrence sur le marché du travail.

3.3. Les prestations de sécurité sociale

Les cotisations dont sont redevables les étudiants jobistes et les employeurs qui les occupent ont pour objectif de solidariser les étudiants avec les autres travailleurs salariés, étant donné qu’ils sont bénéficiaires (en principe) d’allocations familiales19 et qu’ils ont la qualité de personne à charge en matière de soins de santé.

Comme on l’a vu, considérer la main d’œuvre étudiante comme une autre reviendrait à la « banaliser » et à ne plus tenir compte du fait qu’exercer une activité lucrative (surtout lorsqu’elle n’est pas liée à la formation) peut avoir un impact négatif sur les performances scolaires et donc augmenter le risque d’échec et de décrochage. En même temps, il semble absurde de reconnaître la valeur du travail des étudiants mais ne pas leur reconnaître les droits que tout travail salarié est censé procurer.

Il faut donc davantage penser ce type de travail en termes de « salariat » et leur ouvrir des droits en matière de sécurité sociale. Au préalable, une balise fondamentale doit être respectée. Les principes d’assurance et de solidarité sont étroitement liés dans notre sécurité sociale. Dans le cadre d’une réforme, il ne faudrait pas que le premier principe soit ignoré au profit exclusif du second. Une amélioration des droits sociaux ne pourra donc pas faire l’impasse d’une augmentation des cotisations sociales. Par ailleurs, compenser les pertes pour la sécurité sociale par un « financement alternatif » reviendrait à déresponsabiliser tant les employeurs que les étudiants qu’ils occupent. Cela ne règlerait en rien la concurrence déloyale sur le marché du travail, bien au contraire puisque le financement serait renvoyé - sans plus - à la collectivité.

C’est surtout en matière de chômage qu’il convient d’agir parce que l’absence de cotisations « rattrape » le travailleur étudiant à la sortie de ses études. Avec la barrière de l’âge, il risque de ne pas être admis aux allocations d’insertion20 ou d’en être rapidement exclu (le contrôle de la disponibilité active, la limitation dans le temps des allocations21). Il éprouvera des difficultés d’embauche pour un emploi régulier puisqu’il sera à son tour confronté à la concurrence des jeunes jobistes.

Le travail d’étudiant pourrait être pris en compte dans le nombre de jours requis pour le stage d’insertion professionnelle. On sera néanmoins très réservé sur cette option qui se heurte au fait que les allocations d’insertion ne procèdent pas d’une logique assurantielle22. Vouloir « accélérer les 310 jours de stage » ne ferait qu’accroître le poids de la solidarité. A contrario, elle permettrait de décloisonner deux dispositifs23

Une autre option serait d’étendre, dans une certaine limite, la période de référence24 pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, en y comptabilisant le nombre de journées de travail effectuées sous le statut d’étudiant. Cette période de référence (dénommée aussi « stage » selon le jargon de l’ONEM) permettrait aux jeunes - lorsqu’ils sortent des études - d’accéder plus rapidement à l’assurance sociale. Il est entendu que le calcul du nombre de jours requis dans la période de référence ne peut aboutir à discriminer les travailleurs réguliers à temps partiel volontaire.

18 CPASetcrisesanitaire,lesoutienauxétudiantsquestionné, carte blanche de Marc Chambeau, enseignant en Haute-Ecole (Cardijn-Helha) sur base de témoignages de travailleurs sociaux de CPAS, 18 janvier 2021. https://pro.guidesocial.be/articles/carte-blanche/article/cpas-et-crise-sanitaire-lesoutien-aux-etudiants-questionne.html

19 Depuis le 1er janvier 2019, la compétence relative aux allocations familiales a été transférée aux entités fédérées. Le droit peut donc varier d’une entité à l’autre.

20 La demande doit être introduite avant le 25ème anniversaire sachant aussi que le jeune doit avoir fini son stage (12 mois minimum) à 25 ans moins un jour au plus tard. En effet, la demande des allocations ne peut pas être introduite avant la fin du stage.

21 Le crédit de 36 mois.

22 Ni même d’une logique d’assistance (il n’y a pas d’enquête sur les ressources). Les allocations d’insertion ne sont pas davantage un droit « dérivé ».

23 Si l’objectif du stage ONEM est « l’insertion professionnelle », on ne voit pas en quoi le travail pendant les études n’y participe pas d’une certaine manière. Les journées de travail comme étudiant (sans cotisations de sécurité sociale) sont déjà prises en compte pour le stage si elles se situent durant le mois d’août et/ou de septembre qui suit la fin des études.

24 Actuellement, elle est de 21 mois si le jeune est âgé de moins de 36 ans (312 jours de travail sont requis).

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Les deux orientations peuvent dissuader les jeunes d’accepter un travail au noir. Le risque de faire exploser encore davantage le travail des étudiants (« compétition » pour obtenir un « stage » le plus court possible) doit être examiné sous l’angle de la régulation du marché du travail (voir point 3.4.)

Quant au chômage temporaire, il est impossible de comprendre que la « force majeure »25 ne donne aucun droit à des allocations aux travailleurs étudiants alors même que les travailleurs réguliers sont exemptés des conditions d’admissibilité similaires à celles requises pour le chômeur complet. D’autre part, le bénéfice des allocations pour manque de travail pour « raisons économiques »26 est conditionné (depuis le 1er octobre 2016) à l’admissibilité au chômage complet. Sans la suppression de cette condition pénalisante, il n’est pas possible de faire avancer les droits des travailleurs étudiants.

La prise en compte du travail d’étudiant dans le calcul de la carrière pour la pension légale est légitime. Il ne peut s’agir d’une « assimilation » au sens où la législation l’entend car cela induirait l’idée que ce type de travail est équivalent à une période d’inactivité d’un travailleur régulier (chômage, incapacité, etc.). Les mots ont leur importance. Le travail d’étudiant est un travail à temps partiel volontaire et il se doit de le traiter comme tel.

3.4. Le phénomène d’éviction de l’emploi régulier

Combattre la concurrence déloyale (surtout en dehors des mois d’été) que les étudiants et leurs employeurs exercent sur les demandeurs d’emploi et les autres salariés est d’une importance capitale, en premier lieu pour les travailleurs réguliers à temps partiel pour qui une ébauche de solution existe (voir point 3.4.1.).

Signalons au préalable que l’étudiant se met lui-même en concurrence (le travail qu’il doit fournir pour étudier et la nécessité de gagner de l’argent). Ensuite, la concurrence ne s’arrête pas à la recherche d’un emploi. Elle peut gagner jusque dans les conditions de travail car les étudiants risquent d’accepter beaucoup plus de choses que les autres salariés en place27, ce qui mettra évidemment ces derniers sous pression. Embaucher quatre étudiants en rotation durant une année permet de supprimer un équivalent temps plein. Le chantage à l’emploi n’est pas loin, tout le monde l’aura compris.

3.4.1. La cotisation de responsabilisation

Il faut garder à l’esprit qu’en Belgique environ un million de salariés travaillent à temps partiel. En particulier, plus de 43% des femmes salariées travaillent dans ce régime, pour diverses raisons mais qui semblent converger vers ce qu’on appelle le « choix contraint » (impératifs d’ordre familiaux, emploi disponible qu’à temps partiel, …).

Une allocation de garantie de revenu (AGR) est éventuellement accordée aux travailleurs à temps partiel qui bénéficient du statut « maintien des droits », c’est-à-dire - en langage courant - aux travailleurs à temps partiel involontaire. Il existe aussi (depuis 2013) une toute petite minorité de travailleurs à temps partiel volontaire qui bénéficient aussi de l’AGR. Sans entrer dans les détails, le calcul consiste à déduire la rémunération nette de l’allocation de chômage (ou d’insertion), cette dernière étant majorée d’un supplément horaire.

En moyenne par mois, seulement 31.788 travailleurs bénéficiaires d’une AGR (dont 31.375 pour ceux qui sont sous le statut « maintien des droits ») ont été comptabilisés par l’ONEM en 2020, c’est 1.788 ou 5,3% de moins qu’en 2019 (5,5% de moins pour les bénéficiaires du statut « maintien des droits »). Selon l’ONEM, cette baisse s’explique très probablement par les modifications

25 La force majeure suppose un évènement soudain, imprévisible et indépendant de la volonté des parties qui rend l’exécution du contrat temporairement et totalement impossible. Pour les situations de chômage temporaires imputables au Covid-19 (et consécutives aux décisions imposées par les pouvoirs publics), la notion de « force majeure » est appliquée avec souplesse.

26 Diminution du chiffre d’affaires, de la production, du nombre de clients ou du nombre de commandes.

27 Par peur de perdre son job, par ignorance ou tout simplement parce que le boulot n’est « que » temporaire.

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restrictives intervenues en 201528. En effet, une cure d’austérité a frappé les travailleurs à temps partiel avec AGR (réduction des suppléments horaires pour les isolés et pour les personnes en cohabitation, réintégration du « bonus à l’emploi » dans la définition de la rémunération nette). Le « coup de grâce » devait intervenir en 2017, l’objectif étant de réduire de 50% l’allocation de ceux et celles qui prestent des heures incomplètes depuis au moins 2 ans. Cette mesure absurde qui rendait le travailleur « responsable de son manque de travail » a heureusement été abandonnée au profit d’une cotisation de responsabilisation.

La loi-programme du 22 décembre 1989 prévoit que les travailleurs à temps partiel qui en font la demande à leur employeur, sont prioritaires pour l’obtention d’un emploi à temps plein ou d’un autre emploi sur base duquel la durée hebdomadaire serait plus avantageuse.

Afin de faire respecter l’obligation patronale, la loi-programme du 25 décembre 2017 a introduit une cotisation de responsabilisation à charge des employeurs mais dont le champ d’application ne concerne que les travailleurs à temps partiel qui bénéficient d’une allocation de garantie de revenu29. Pour ces travailleurs, l’ONEM leur impose d’ailleurs d’introduire une demande pour l’obtention d’un emploi vacant au sein de l’entreprise (temps plein ou temps partiel plus conséquent). La cotisation s’élève à 75 euros par trimestre par travailleur à temps partiel bénéficiaire d’une AGR, et ceci tant qu’il est constaté que des heures complémentaires disponibles n’ont pas été offertes par priorité aux travailleurs concernés (bénéficiaires d’une AGR).

Bien que l’on puisse déplorer le temps qu’il aura fallu (presque trente ans) pour responsabiliser les employeurs sur cette obligation d’embauche prioritaire, la cotisation de responsabilisation est une mesure positive car elle est de nature à freiner la concurrence déloyale dénoncée par les syndicats. Cependant, elle soulève plusieurs questions.

Tout d’abord, le champ d’application de la cotisation est problématique car les travailleurs à temps partiel involontaire qui ne bénéficient pas d’une AGR ne sont pas concernés30. Or, comme il a été dit, la base légale du droit prioritaire pour les heures vacantes (dans une fonction similaire) se trouve dans la loi-programme du 22 décembre 1989. Elle ne fait pas de distinction entre les temps partiels involontaires puisque le régime actuel de l’indemnisation ONEM n’a été introduit qu’en 1993. On peut comprendre que les bénéficiaires d’une AGR sont ceux qui ont sans doute le plus besoin d’élargir leurs horaires. Si la cotisation de responsabilisation introduit un « droit sous-prioritaire » dans le chef des temps partiels sans AGR, il n’empêche qu’aucun mécanisme n’est prévu pour garantir l’effectivité de leur droit. Dans l’hypothèse où un employeur n’a pas ou plus de travailleurs à temps partiel AGR au sein de son entreprise et qu’il dispose d’une plage horaire pour de nouveaux emplois, la concurrence déloyale n’est pas éliminée. Les travailleurs réguliers à temps partiel sans AGR, présents dans l’entreprise, risquent fort d’être évincés au profit d’étudiants en quête de travail. On ne répètera jamais assez que la distinction entre les travailleurs à temps partiel avec AGR et sans AGR résulte d’un calcul budgétaire, ce qui n’a pas vraiment de sens par rapport à la réalité que vivent les travailleurs concernés. Il suffit que le salaire dépasse d’un euro l’allocation de chômage complet (majorée du supplément) pour que le travailleur soit exclu du système.

Ensuite, deux autres problèmes apparaissent. D’une part, quel est l’ordre de priorité dans le groupe cible ? D’autre part, la mesure « cotisation » est entrée en vigueur le 1er janvier 2018 mais elle n’est applicable qu’aux contrats de travail conclus depuis cette date. Cela va créer inutilement des tensions entre les anciens et les nouveaux travailleurs à temps partiel

28 L’ONEM en 2020 (rapport annuel, volume 2 : indicateurs du marché du travail et évolution des allocations. https://www.onem.be/sites/default/files/assets/publications/Rapport_Annuel/2020/Rapport_annuel_FR_Vol2.pdf

29 L’arrêté royal du 2 mai 2019 indique la procédure à suivre pour la perception de cette cotisation. L’ONSS effectue les premiers contrôles a posteriori au plus tôt au 1er trimestre 2021.

30 En 2020, la base de données de l’ONEM répertorie 29.559 travailleurs à temps partiel avec maintien des droits sans AGR.

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3.4.2. Le travail intérimaire

L’étudiant peut être occupé en qualité de travailleur intérimaire. Comme les jobs étudiants sont temporaires, les agences d’intérim sont un interlocuteur privilégié vu qu’elles ont un rôle de « facilitateur » tout en assurant la fonction (obligatoire) d’employeur des travailleurs qui ont recours à leurs services.

Dans le cas de l’étudiant, les règles spécifiques relatives aux deux statuts (étudiant et intérimaire) doivent être appliquées conjointement. Ceci signifie que le travail étudiant en qualité de travailleur intérimaire n’est possible que dans les cas où le travail intérimaire est autorisé. Il existe un nombre limité de motifs définis par le législateur (exemple : remplacement d’un travailleur permanent, surcroît temporaire de travail, travail exceptionnel, …) mais il est entendu que le motif « d’insertion » n’est pas applicable à l’étudiant qui cherche un job.

Ce « quatrième motif » a été introduit en 201331 et il participe désormais aux modes « classiques » de recrutement d’un demandeur d’emploi pour un poste vacant et permanent au sein de l’entreprise. Il est limité dans le temps et des balises sont prévues afin d’éviter un effet « carrousel ». On peut s‘interroger si, dans les faits, le job intérimaire de l’étudiant n’est pas parfois détourné de sa fonction et s’il ne constitue pas une sorte de « période d’essai bon marché » pour une promesse d’emploi à l’issue des études. L’exigence d’un laps de temps ou d’une différence claire quant à la nature du travail entre les deux contrats nous semble artificielle. En tout cas, la règle de priorité précisée ci-dessus (point 3.4.1.) doit s‘appliquer le cas échéant.

De manière générale, s’il est compréhensible que les travailleurs intérimaires ne rentrent pas dans le champ d’application de la cotisation de responsabilisation (en raison de leurs missions spécifiques), la question est de savoir si les agences ne privilégient pas l’embauche des étudiants plutôt que des demandeurs d’emploi. La concurrence déloyale s’exerce, ici, non pas entre les travailleurs fixes à temps partiel et les intérimaires mais entre les intérimaires eux-mêmes suivant qu’ils sont étudiants ou pas.

Conclusion

A travers la valorisation du travail en cours d’études se joue aussi une redéfinition du travail académique, dans laquelle la place accordée à l’acquisition des connaissances tend à se réduire au profit du développement des compétences. « L’expérience professionnelle » serait ainsi la plus « formatrice ».

Fort bien - on ne peut que s’en réjouir -, mais derrière la vision un peu « apologétique » des vertus du travail d’étudiant, les exigences - issues du monde économique - pourraient bien s’avérer illusoires. Comme on l’a vu, le job est rarement en lien avec les études. Ensuite, le chômage découle largement d’une inadéquation de l’offre par rapport à la demande. Outre le phénomène des pénuries d’emplois, on assiste de plus en plus à des surqualifications à l’embauche qui pénalisent les moins bien qualifiés. Enfin, l’extension des emplois étudiants contribue à la déstabilisation du marché du travail et, de ce fait, au resserrement des perspectives professionnelles en début de vie active. Dans un contexte où ce sont les entreprises qui, à un moment donné, fixent la « valeur du capital humain », il ne faut pas s’étonner que les inégalités sociales se creusent. Pour le dire de façon moins abstraite, les non-diplômés sont de plus en plus marginalisés et un grand nombre d’étudiants se heurtent à la dévaluation de leurs diplômes au profit d’une minorité dont le recrutement se resserre en fonction de l’utilité/la rareté du diplôme obtenu.

La main d’œuvre étudiante permet une gestion flexible des contrats et des horaires de travail, d’autant plus adaptée aux fluctuations de la demande que le job est présenté et (dit-on) vécu comme

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31 Il a été longtemps combattu par les organisations syndicales jusqu’au compromis intervenu, en 2012, entre les partenaires sociaux. En réalité, le clivage portait moins sur la finalité que sur les modalités.

transitionnel/provisoire et donc autonome par rapport au marché du travail « classique ». Qui plus est, il s’agit d’une main d’œuvre jeune et dynamique, surqualifiée, peu coûteuse et peu revendicative (les aides publiques et/ou familiales pouvant compenser la faiblesse des salaires).

Mais, dans un contexte historique où le brouillage des modes de reproduction sociale favorise une perception très incertaine de l’avenir, l’image « transitionnelle » des emplois étudiants n’est-elle pas un peu trop naïve et ne cache-t-elle pas en réalité une profonde angoisse par rapport à un avenir collectif, celui de la réalité de l’emploi précaire qui deviendrait ainsi une sorte de « destin social » ? La logique patronale - et c’est tout le paradoxe - conduit insidieusement à dissoudre la main d’œuvre étudiante dans le marché du travail mais sans que cela fasse des étudiants des salariés à part entière. En somme, le « salariat » étudiant n’offre-t-il pas aux fractions économiques dominantes les conditions idéales pour imposer de nouvelles normes de gestion des ressources humaines ? Et, au-delà, l’objectif n’est-il pas « d’euphémiser » la réalité sociale de l’emploi précaire ?

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Résumé

La crise sanitaire actuelle a mis en exergue l’importance - parfois cruciale - pour les étudiants d’exercer une activité rémunérée. Tous les jeunes n’ont évidemment pas la chance d’avoir des parents en mesure de financer leurs études et/ou de couvrir les frais que celles-ci génèrent au quotidien. Sur l’ensemble de l’année 2019, il y aurait eu 544.752 étudiants jobistes. Il s’agit pour beaucoup d’entre eux d’une nécessité et non d’un choix qui serait guidé pour satisfaire de quelconques loisirs. En dessous de 475h par an, le travailleur étudiant ne cotise pas de la même manière qu’un autre travailleur et donc ses prestations de travail ne construisent aucun droit en matière d’incapacité INAMI, de chômage ou encore de pension. Le travailleur étudiant est donc moins cher pour l’employeur, ce qui peut créer des effets pervers et encourager les employeurs à recourir à une multitude de travailleurs étudiants plutôt que d’engager un autre travailleur. Collectivement, cela représente une perte pour la sécurité sociale. Individuellement, le travailleur étudiant n’est que très peu protégé des aléas de la vie. Il faut donc trouver des pistes pour mieux prendre en compte le travail étudiant dans notre sécurité sociale, sans toutefois le banaliser et en faire une norme pour une part significative des étudiants.

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (0)2 513 20 19 iev@iev.be www.iev.be

Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

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