Lutte contre le terrorisme : la tentation sécuritaire

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LUTTE CONTRE LE TERRORISME : LA TENTATION SÉCURITAIRE

ETAT DE LA QUESTION DECEMBRE 2016

IEV Editeur responsable : Gilles Doutrelepont- 13 Bd de l’Empereur - 1000 Bruxelles
OLIVIER LEGRAND & LOUIS MALEMPREÉ

1. Contexte général ..........................................................................................

2. Légiférer dans l’urgence

3. Un attrait pour les mesures d’exception.....................................................

4. La multiplication des bases de données et le risque d’infobésité

5. Un exemple à ne pas suivre : la législation sur l’état d’urgence

......................................................................................................
préoccupante 4 5 9 1 16
en France
6. Conclusion : une évolution

1. Contexte général

Les chiffres de la criminalité laissent parfois apparaître certains paradoxes. L’un d’entre eux est que, contrairement à une perception communément répandue dans notre société, cette dernière est aujourd’hui plutôt plus sûre que par le passé.

Ainsi, les statistiques de la police fédérale en matière de crimes et délits témoignent, dans l’ensemble, d’une grande stabilité avec même une tendance à la baisse. En cela, la Belgique s’inscrit dans une tendance plus large de baisse globale de la délinquance en Europe1.

Pourtant, le sentiment d’insécurité reste bien présent. A cet égard, la perception de notre sécurité a été complètement bouleversée par les terribles attentats qui, le 22 mars dernier, ont causé la mort de nombreuses personnes dans la station de métro Maelbeek et à l’aéroport de Bruxelles-National.

Déjà secoués par l’attentat du musée juif du 24 mai 2014, ainsi que par les attentats de Paris, Nice et Berlin, nos citoyens vivent dans un climat général d’inquiétude, correspondant à une menace réelle mais diffuse, alimentée par les convulsions qui traversent le Moyen-Orient et en particulier la Syrie.

Ce climat d’angoisse n’est pas sans conséquence sur notre manière d’envisager la lutte contre le terrorisme mais aussi, plus globalement, contre la criminalité.

La Belgique, comme la plupart des autres Etats européens, s’est dotée ces dernières années d’un arsenal de mesures afin de lutter contre la menace terroriste. Il n’y a pas un mois qui passe, ou presque, sans que le Parlement n’examine de nouveaux dispositifs.

Se pose la question de savoir si ces mesures sont toujours proportionnées ou même simplement efficaces. En voulant nous protéger, ne sommes-nous pas progressivement occupés à jeter les jalons d’une société sécuritaire ?

Ne créons-nous pas une société caractérisée par une extension sans précédent du contrôle exercé par l’Etat sur l’ensemble des citoyens, avec toutes les craintes que cela peut susciter d’un point de vue démocratique ?

Dans ce contexte, il paraît donc utile de revenir sur près de trois années d’activité politique intense en matière de terrorisme. Non dans le but de de passer en revue l’ensemble des mesures adoptées ces dernières années mais plutôt pour mettre en évidence certains processus, certaines tendances de fond qui posent question dans un Etat de droit comme le nôtre.

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1 Ce qui n’exclut bien entendu pas que certaines catégories particulières de crimes et délits soient, elles, en recrudescence.

2. Légiférer dans l’urgence

Une des caractéristiques les plus frappantes des mesures anti-terroristes est la rapidité extrême avec lesquelles elles sont proposées, puis adoptées.

La séquence n’est hélas que trop connue : dans les jours qui suivent un attentat, des « solutions » sont proposées par le Gouvernement fédéral ou par les chefs de file de la majorité au Parlement. Elles sont ensuite adoptées au pas de course, souvent en court-circuitant les procédures normales, en réduisant au maximum le temps consacré aux auditions des spécialistes, quand elles ont lieu.

Il ne faut évidemment pas être grand clerc pour se rendre compte qu’une telle manière de procéder n’est pas la meilleure pour aboutir à des textes de qualité. Dans la société d’immédiateté qui est la nôtre et en présence d’évènements aussi extrêmes que des attentats terroristes, l’important semble moins d’apporter des solutions efficaces à la menace, que de proposer en urgence des mesures « fortes », de manière à apaiser la pression de l’opinion publique.

Il est ainsi symptomatique de constater que, sur les 30 mesures annoncées par l’actuel Gouvernement fédéral pour lutter contre la menace terroriste, 12 l’ont été un jour seulement après l’attentat déjoué à Verviers le 15 janvier 2015. Les 18 autres mesures ont, quant à elles, été annoncées 6 jours après les attentats de Paris du 13 novembre 2015.

Clairement, l’essentiel pour l’autorité publique fédérale est de montrer qu’elle réagit de manière ferme et immédiate, quitte à faire l’impasse sur une analyse rigoureuse du bien-fondé des mesures proposées.

Comme on va le voir, ce phénomène n’est pas propre à la Belgique mais se rencontre dans tous les Etats confrontés à la menace d’attentats terroristes.

Pour reprendre les mots de Michaël Dantinne, il s’agit là d’une forme de populisme pénal : sur une scène aussi politique que médiatique, l’urgence pousse à annoncer, quasi immédiatement après la survenance de faits graves et fortement médiatisés, des initiatives et des réformes dont certaines seront concrétisées à très bref délai2.

Mais le plus préoccupant ne réside sans doute pas dans l’urgence avec laquelle les textes sont votés : après tout, il est assez légitime de la part de l’autorité publique de vouloir réagir avec célérité à des évènements aussi graves, fût-ce au prix d’un examen plus superficiel. Personne ne compren-

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2 Intervention orale de M. DANTINNE lors du colloque organisé à l’ULB le 23 avril 2016 par l’IEV et le PS sur la justice pénale.

drait d’ailleurs que l’on traîne inutilement alors qu’il s’agit de protéger la vie nos concitoyens.

Le plus inquiétant, comme le soulignent à juste titre Vincent Seron et Sophie André, c’est la nature de la réponse donnée par l’autorité dans un contexte de populisme3. La réponse donnée au terrorisme est en effet presque exclusivement répressive.

L’important semble, avant tout, pour l’autorité, de démontrer sa détermination à réagir avec vigueur au phénomène, aussi complexe soit-il. Dans un tel cadre, les évènements ne sont décodés que sous le prisme exclusif de la défaillance du système de contrôle. Comment n’a-t-on pas vu ? Quels sont les dysfonctionnements ? Pourquoi n’a-t-on pas agi ?

Ces questions méritent bien évidemment d’être posées et analysées en profondeur, mais il faut avoir conscience qu’une telle approche relègue systématiquement à l’arrière-plan d’autres interrogations, pourtant tout aussi fondamentales, en particulier les causes des évènements criminels, qui sont généralement éludées. Ne risque-t-on pas, à force de privilégier une approche réactive, de courir derrière les évènements et d’avoir systématiquement une guerre de retard ?

D’autres pays ont choisi une approche totalement différente, en privilégiant des alternatives à la répression. Le Danemark, qui n’est pourtant un pays qui a une réputation particulière en matière de laxisme, privilégie par exemple une approche basée sur le maintien en liberté des « returnees », quelles que soient les réserves qu’une telle politique puisse par ailleurs inspirer4.

L’autre risque majeur de ce type d’approche répressive est qu’il génère toujours les mêmes réponses : les contrôles doivent sans cesse être étendus et renforcés

Cette manière de faire déroule le tapis rouge au « modèle » sécuritaire : un système pénal basé sur une répression accrue et un contrôle sans cesse élargi, au détriment des libertés individuelles, spécialement le droit à la vie privée, et sans démonstration probante de son efficacité. Une pénalité qui fait la part belle au critère de la dangerosité, au détriment de tout autre angle d’approche5.

L’une des particularités des crimes terroristes est la disproportion entre l’acte et le nombre de victimes. Il suffit d’un terroriste qui échappe aux mailles du filet pour faire un nombre incalculable de victimes. C’est une des leçons tragiques des évènements de Nice, où une personne seule, vraisem-

3 V. SERON et S. ANDRE, « 30 measures against terrorism : penal populism between expected efficiency and potential collateral damage », in Counterterrorism in Belgium : key challenges and policy options, Egmont Paper 89, 2016, p. 15,

4 Idem, p. 19.

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5 Intervention orale de M. DANTINNE lors du colloque organisé à l’ULB le 23 avril 2016 par l’IEV et le PS sur la justice pénale.

blablement déséquilibrée, a causé la mort de 86 autres, avec des moyens aisément disponibles (un poids lourd et un pistolet de calibre 7,65 mm). Cette séquence tragique vient hélas de se répéter à Berlin, ce 19 décembre 2016, à l’occasion d’un marché de Noël.

Cette disproportion entre l’acte et le nombre de victimes contribue à rendre extrêmement compliquée l’évaluation des dispositifs anti-terroristes. En effet, quel parlementaire se risquerait à proposer le retrait d’un dispositif qu’il juge inefficace, sachant qu’il suffit d’un seul individu qui passe entre les mailles du filet pour aboutir à un carnage ?

Résultat des courses : il est à craindre que, bien que souvent votés à la va-vite, de nombreux textes demeurent longtemps en vigueur, quand bien même leur efficacité ne serait jamais avérée. C’est, on va le voir, le piège dans lequel est tombé le législateur français avec la loi sur l’Etat d’urgence. Mais un constat identique peut être posé au sujet de la plupart des mesures anti-terroristes.

3. Un attrait pour les mesures d’exception

Le populisme pénal n’est pas un phénomène nouveau. C’est regrettable mais il a de tous temps été plus facile de défendre des mesures allant dans le sens d’une plus grande sévérité. L’important reste de montrer au public que l’on punit, alors même que l’efficacité de cette politique en termes de prévention des délits et des crimes est de plus en plus remise en cause6.

Jusqu’il y a peu, cette tendance à un renforcement de la répression s’exprimait encore dans les limites du droit pénal classique, en incriminant des comportements jusque-là admis ou en durcissant les sanctions.

L’efficacité de ces réformes n’était pas forcément au rendez-vous mais au moins il n’était jamais question de remettre en cause les fondements de notre droit pénal, tels que le principe de légalité de peine, la présomption d’innocence, le secret professionnel ou encore le monopole du pouvoir judiciaire pour imposer des mesures restrictives des droits et liberté.

Cette situation est désormais révolue, la lutte contre le terrorisme recourant de plus en plus souvent, en Belgique comme ailleurs, à des dispositifs d’exception, qui dérogent au droit pénal classique.

Une des mesures emblématiques prises par l’actuel Gouvernement fédéral dans la foulée des attentats de Paris du 19 novembre 2015 est le retrait de carte d’identité7. Celle-ci peut désormais être annulée ou rendue invalide par

6 D. FASSIN, L’ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale, Seuil, 2015, p. 51.

7 Loi du 10 août 2015 modifiant la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques, M.B., 31 août 2015.

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le Ministre de l’Intérieur, sur avis motivé de l’OCAM8, pour une période limitée de trois mois, prolongeable une fois.

Ce dispositif est inquiétant à double égard. D’une part, une mesure restrictive de liberté est imposée à une personne à laquelle aucune infraction pénale n’est reprochée, sur la base de simples critères de dangerosité : la carte d’identité est retirée parce qu’il existe des indices qu’une personne souhaite commettre hors du territoire national des infractions terroristes. D’autre part, la mesure n’est pas imposée par un magistrat indépendant et impartial mais une autorité administrative, en l’occurrence le Ministre de l’Intérieur. Plus d’un an après l’adoption de ce mécanisme dérogatoire au droit commun, il apparaît que seules 11 demandes de retrait ont été validées par le Ministre de l’Intérieur, sans que l’on en sache davantage sur l’issue finale pour la personne concernée…

Certes, on ne peut que se réjouir de la réticence avec laquelle nos services usent de ce nouvel instrument ; c’est même tout à leur honneur. Néanmoins, la mesure constitue un précédent dangereux dans notre arsenal juridique. Sans compter les effets pervers que le retrait de carte d’identité peut comporter, en particulier en termes de stigmatisation pour les personnes concernées, auxquelles on ne reproche même pas, à ce stade, d’avoir commis une infraction, et leurs proches.

Un autre exemple de glissement concerne la mesure de déchéance de nationalité. Certes, celle-ci existait déjà dans notre arsenal juridique mais l’actuel Gouvernement fédéral a cru utile de l’étendre, notamment en élargissant les infractions pouvant donner lieu à cette déchéance9.

Sur le plan de la lutte contre le terrorisme, l’inutilité de cette mesure est pourtant difficilement contestable, comme l’a bien expliqué Marc Tredivic, alors encore juge anti-terroriste français. Comment imaginer un seul instant qu’une personne qui est disposée à déclencher la charge explosive qu’il porte sur lui, entraînant sa pulvérisation dans les airs, sera dissuadée par la crainte d’être déchu de la nationalité belge ? Nous sommes bien en présence d’une mesure qui relève de la rhétorique et non de la lutte contre le terrorisme.

Le problème majeur est que l’adoption de cette modification législative, somme toute assez anecdotique, a été précédée par un débat sur l’opportunité d’ « aller vers la deuxième ou la troisième génération ». La volonté initiale des partis de la majorité fédérale était en effet de pouvoir déchoir de la nationalité belge des personnes nées Belges, éventuellement de parents Belges. Ce n’est que pour des motifs juridiques, liées aux conventions internationales qui lient la Belgique, que le Gouvernement fédéral a fini par reculer. Or, si l’effectivité de la mesure de déchéance de nationalité est nulle sur le plan de la lutte contre le terrorisme, en revanche, le débat public qui a pré8 Organe de coordination pour l’analyse de la menace.

9 Loi du 20 juillet 2015 visant à renforcer la lutte contre le terrorisme.

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cédé la modification de la loi a été ressenti comme une gifle par beaucoup de Belges d’origine étrangère. Des Belges qui ont pu se sentir considérés comme des citoyens de seconde zone alors qu’ils sont nés dans notre pays et qu’ils y ont leurs attaches. Ce faisait, on risque de donner des arguments supplémentaires aux recruteurs de Daesh et exposer davantage notre société au risque terroriste10.

De même, en créant l’incrimination de déplacement à l’étranger « à des fins terroristes » et en pénalisant certains actes préparatoires sur la base d’une présomption de connaissance de contribuer aux activités d’un groupe terrorisme, l’actuelle majorité MR NV-A a franchi de nouvelles limites.

En effet, à l’analyse, le fait de sanctionner de peines extrêmement lourdes quiconque se rendant à l’étranger « en vue de commettre un acte terroriste » pose un vrai problème au regard des grands principes du droit pénal, à commencer par le principe de légalité des délits et des peines, en vertu duquel on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair.

Sur ce plan, l’infraction précitée pose clairement question : en effet, le comportement matériel qui est visé par cette disposition est on ne peut plus anodin puisqu’il vise le simple fait de se déplacer à l’étranger, comme n’importe quel touriste ou voyageur d’affaire. Le seul élément de distinction est d’ordre intellectuel : c’est l’intention de commettre un acte terroriste. Il sera évidemment très difficile pour un magistrat de démontrer une telle intention, sauf à tomber dans l’arbitraire le plus total, puisque, précisément, il ne s’agit que d’une intention…

Autant dire, et c’était d’ailleurs le sens de l’avis rendu sur le projet de loi par la section de législation du Conseil d’Etat, que l’effectivité d’une disposition est contestable, puisque la preuve de l’infraction sera quasiment impossible à rapporter. Il semble d’ailleurs que les cours et tribunaux ne fassent guère usage de cette nouvelle disposition ce qui, faute d’évaluation, ne l’empêchera vraisemblablement pas de rester dans notre Code pénal. Il en va de même de la pénalisation, toute récente, de certains actes préparatoires à des infractions terroristes, sans même qu’il soit exigé de la personne qu’elle ait connaissance de contribuer, par son acte, à participer à une opération terroriste.

De nouveau, le Gouvernement fédéral n’a pas tenu compte de l’avis rendu par le Conseil d’Etat, qui émettait pourtant les plus vives réserves par rapport à

10 Encore peut-on se réjouir de n’être pas tombé au niveau de nos voisins français qui, sur ce plan, ont fait très fort en se déchirant publiquement pendant de longs mois, en plein crise syrienne, pour finalement renoncer à inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution.

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ce dispositif dangereux11. La Sûreté de l’Etat, de son côté, pointe régulièrement le risque de « surjudiciarisation » que risque d’encore aggraver ce genre de disposition, en vain12.

Et l’avenir nous réserve sans doute d’autres nouveautés, au point que l’on en vient à craindre que la mesure d’exception devienne la règle.

La prochaine attaque concernera vraisemblablement le secret professionnel des travailleurs sociaux, que certains partis du Gouvernement fédéral, spécialement la N-VA, souhaiteraient à tout prix voir disparaître. En l’occurrence, le but semble pourtant moins de lutter contre le terrorisme que de contrôler les allocataires sociaux.

Le danger des dispositifs des exceptions, tels que ceux qui précèdent, résident dans leur application concrète et dans le fait qu’ils constituent des précédents dangereux. En effet, le plus souvent, l’efficacité de ces mesures n’est pas au rendez-vous, quand elles ne sont pas purement et simplement inapplicables.

En revanche, le risque de voir de tels instruments utilisés à l’avenir dans un autre cadre que le terrorisme est réel. Retrait de carte d’identité, déchéance de nationalité, délits d’intentions, remise en cause du secret professionnel, autant d’instruments dérogatoires au droit commun qui, demain, peuvent parfaitement être transposés dans d’autres matières et appliquées à d’autres acteurs potentiels, au mépris des droits et libertés des citoyens ordinaires.

11 Avis du Conseil d’Etat n059.789/3 du 19 juillet 2016 relatif à la proposition de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le terrorisme, Chambre, doc. parl., 1579/006, 2016, p. 5 : « Interprétée littéralement, la nouvelle version de la disposition précitée implique qu’une personne, qui ne fait que participer à une activité d’un groupe terroriste qui est sans rapport avec les activités terroristes de celui-ci, serait également punissable. Cet élément, combiné au fait que le “devoir savoir” que le groupe est un groupe terroriste est également incorporé comme élément de l’incrimination, risque cependant d’avoir pour effet d’élargir considérablement le champ d’incrimination. Une formulation très large (‘une activité d’un groupe terroriste’) peut en effet être liée à un type de connaissance potentielle, difficilement déterminable avec certitude, non pas des effets de sa propre action, mais de la nature d’activités (qui ne sont pas toujours univoques) d’autres personnes. Il est problématique d’assortir ces activités, pas toujours claires, d’autres personnes, d’une norme de prudence pour toute tierce personne. Ainsi, le risque existe de créer une incrimination trop étendue qui peut porter atteinte à l’élément de la culpabilité, qui constitue un élément essentiel de l’infraction. Eu égard à la nature et au degré de dangerosité très divers des actes qui sont susceptibles d’être visés par la définition de l’infraction, la question peut en outre se poser de savoir si la modification envisagée de la formulation actuelle ne se heurte pas au principe de la proportionnalité des peines. » (ce sont les soussignés qui soulignent)

12 La Sûreté de l’Etat (VSSE) communique notamment dans un récent rapport que : « Depuis plusieurs années, et encore récemment, il y a eu plusieurs fois une extension des incriminations terroristes. Cette précipitation de la saisine des autorités judiciaires empiète toujours un peu plus sur le terrain d’action de la VSSE. Cela conduit à une perturbation de la répartition des tâches sur le terrain, notamment entre les services de police et la VSSE. Les deux services y ont un rôle à jouer. Mais le glissement de la frontière déterminant les compétences des uns et des autres dans l’approche du phénomène impose une réflexion sur la complémentarité de ses compétences. En matière de terrorisme, dorénavant, la VSSE et les services de police sont, de plus en plus, appelés à travailler en même temps sur les mêmes cas. Auparavant, on était enclin à présenter le travail de la VSSE en amont de celui qu’accomplissaient les services de police. Ce n’est plus le cas. Une judiciarisation trop rapide des activités entourant le terrorisme n’est cependant pas toujours l’approche la plus pertinente, ni la plus efficace. Dans la problématique des FTF’s, par exemple, l’incarcération de jeunes qui manifestent l’intention de rejoindre une zone djihadiste n’est pas l’approche la plus opportune. En prison, c’est la menace d’une radicalisation plus sévère qui court. » (ce sont les soussignés qui soulignent)

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En fait, la lutte contre le terrorisme est à ce point présente dans tous les esprits qu’elle influence presque toutes les réformes discutées au Parlement en matière pénale.

Un exemple emblématique concerne l’intention du Gouvernement fédéral d’étendre le délai de garde à vue, actuellement de 24 heures, à 48 heurs, voire 72 heures en présence d’infractions terroristes. Cette réforme nécessitant une révision de la Constitution, il est nécessaire d’y associer certains partis de l’opposition, de manière à atteindre la majorité des deux tiers des voix. C’est la raison pour laquelle cette mesure n’a pas (encore) pu être adoptée.

Sans entrer dans le débat sur l’opportunité d’une telle mesure, qui mérite de faire l’objet d’une réflexion distincte, personne ne peut contester qu’il n’est pas seulement question de lutte contre le terrorisme, puisque le doublement13 du délai de 24 heures concerne potentiellement toutes les infractions. De même, les arguments qui sont évoqués à l’appui de cette réforme ne sont pas propres à la lutte contre le terrorisme mais concernent plus généralement le caractère suffisant ou non du temps dont dispose le juge d’instruction pour effectuer les vérifications préalables à sa décision de décerner ou non un mandat d’arrêt.

Pourtant, le Gouvernement fédéral actuel a fait de cette question un enjeu fondamental dans le cadre de son plan de lutte contre le terrorisme : il s’agit d’ailleurs d’une des 18 mesures annoncées dans ce cadre en novembre 2015.

A ce jour, personne n’a pourtant été en mesure d’expliquer en quoi une telle mesure aurait eu un quelconque bénéfice dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en permettant par exemple d’éviter un attentat.

De ce point de vue, on peut donc parler d’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme à des fins de politique générale, ce qui pose un réel problème en termes de débat démocratique. Et contribue en fin de compte à ce que toutes les décisions prises en matière pénale ne soient examinées que sous un angle funeste pour nos droits et libertés…

4. La multiplication des bases de données et le risque d’infobésité

La menace terroriste a donné un coup d’accélérateur à tous les programmes de surveillance de masse. Il a notamment beaucoup été question, au niveau du Parlement européen de la législation « Passenger Name Record » (PNR)

13 Doublement du délai de 24h00 pourtant déjà autorisé par l’article 15bis de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, qui n’est utilisé qu’à titre très exceptionnel (moins d’une fois sur 100) par les juges d’instruction.

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et, en Belgique, des banques de données dynamique « Foreign Terrorist Fighter », pour ne reprendre que les instruments les plus connus. En soi, la création de telles bases de données semble difficilement critiquable : il serait tout simplement idiot de ne pas utiliser les possibilités que nous donne la technologie moderne pour lutter contre des terroristes qui, eux aussi, recourent à des moyens de plus en plus innovants.

Néanmoins, il faut avoir conscience des risques que cette collecte permanente et massive d’informations peut avoir sur notre vie privée. Des dispositifs comme le PNR visent la surveillance de tout le monde, comme la surveillance des plaques de voiture ou la suppression des cartes de GSM prépayées.

La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé à plusieurs reprises, ces dernières années, que la collecte massive de données personnelles portait atteinte au droit à la vie privée. Elle n’a d’ailleurs pas hésité à censurer, sur cette base, plusieurs initiatives réglementaires qui contrevenaient aux droits fondamentaux des citoyens européens.14

Il ressort tant des attentats commis sur notre territoire qu’à l’étranger, notamment en France, que la plupart auteurs des attentats commis ou déjoués étaient connus de la justice ou des services de renseignement. L’information était disponible mais nos services ne l’ont pas l’exploité, faute de moyens technologiques et humains suffisants.

Or, en évoluant vers une collecte des données de masse, le risque existe que l’information utile sur des personnes dangereuses soit encore davantage noyée parmi une masse d’informations inutiles sur l’ensemble des citoyens. C’est ce qu’on appelle la surcharge informationnelle ou « infobésité », qui désigne l’excès d’informations reçues par un service, que celui-ci ne peut supporter sans porter préjudice à son activité.

Une autre limitation, encore plus fondamentale, de ces bases de données a trait au fait que les terroristes ne sont pas stupides. Ils n’ignorent évidemment pas leur existence et adaptent leur comportement en conséquence15.

Bien souvent, les objectifs poursuivis par toutes ces législations ne seront pas atteints parce que les terroristes changent simplement de modus operandi. Par exemple, l’interdiction récente des cartes prépayées ne gênera vraisemblablement pas beaucoup des terroristes familiers d’instruments de communication nettement plus perfectionnés, style WhatsApp ou Telegram.

De même que le renforcement de la présence policière, voire militaire, à cer14 Arrêts sur le droit à l’oubli (2014), sur la directive data retention (2014) et sur le Safe Harbor (2015). 15 V. SERON et

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S. ANDRE, o.c., p. 21,

taines endroits ou l’installation de caméras de surveillance peuvent, certes, contribuer à sécuriser un périmètre déterminé mais, du coup, risquent d’entraîner un déplacement de la menace dans d’autres lieux moins protégés…

A cet égard, certaines options de la majorité fédérale actuelle sont relativement préoccupantes. Alors que le système PNR, décidé au niveau européen, est en principe limité au seul transport aérien, le Gouvernement fédéral a annoncé que son objectif était de l’étendre à tous les modes de transport : air, terre, mer. Le tout avec obligation pour les transporteurs de livrer leurs données.

On ne peut que s’interroger sur la pertinence d’une telle extension, qui ne semble avoir guère de sens, dans la mesure où la Belgique est le seul Etat européen à la mettre en œuvre. Autant dire que l’effet de telles mesures face à une mouvance terroriste qui se joue très aisément des frontières étatiques risque d’être particulièrement limité…

5. Un exemple à ne pas suivre : la législation sur l’état

d’urgence en

France

Le 13 novembre 2015, soit le jour même des attentats de Paris, François Hollande décrétait l’état d’urgence.

Instauré par une loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Il confère une série de pouvoirs exorbitants à l’exécutif, permettant notamment aux préfets d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans certains lieux et à certaines heures, d’instituer des zones de protection dans lesquelles le séjour des personnes est réglementé, ou encore d’interdire le séjour dans tout ou partie d’un département. L’état d’urgence donne également le droit aux autorités administratives d’interdire « à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre »16.

Il permet au Ministre de l’Intérieur d’assigner à résidence toute personne à l’égard de laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Le 20 novembre 2015, une loi est votée à la quasi-unanimité des parlementaires français, prolongeant l’état d’urgence pour une durée de trois mois. Depuis lors, l’état d’urgence a été prolongé successivement pour trois mois à partir du 26 février 2016 et pour deux mois à partir du 26 mai 2016, donc

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16 Art. 8 de la loi du 3 avril 1955

jusqu’au 26 juillet 2016.

Le 14 juillet 2016, soit quelques jours avant l’expiration de cette seconde prolongation, lors d’un entretien diffusé sur les télévisions françaises, François Hollande déclarait : « On ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement, (…) nous ne serions plus une République avec un droit qui pourrait s’appliquer en toutes circonstances. L’état d’urgence fait partie des situations exceptionnelles. Là, nous avons une loi qui nous donne les garanties pour l’action contre le terrorisme. »17

C’était quelques heures avant l’attentat de Nice, au lendemain duquel le Président demandait au Parlement de prolonger l’état d’urgence pour trois mois de plus. Il sera finalement prolongé pour six mois à partir du 26 juillet 2016, toujours à la quasi-unanimité des parlementaires. Il sera de nouveau prolongé en décembre 2016 jusqu’au 15 juillet 2017, soit après les élections présidentielles à venir.

La France vit donc depuis plus d’une année dans un état d’urgence permanent, alors même que la contribution de celui-ci dans la lutte contre le terrorisme semble, à l’analyse, très faible, voire même, à certains égards, négative.

Depuis son instauration le 14 novembre 2015, près de 4.300 perquisitions administratives ont été autorisées, 612 assignations à résidence prononcées à l’encontre de 434 personnes. Ces actions n’ont permis l’ouverture que de seulement 20 procédures judiciaires en lien direct avec le terrorisme, dont on ignore pour l’instant le nombre d’entre elles ayant abouti à une condamnation. En fait, on estime que seulement 0,15 % des perquisitions administratives ont donné lieu à des procédures judiciaires pour des faits en lien avec le terrorisme18.

Il est intéressant de noter que, sur la même période, pas moins 96 procédures en matière de terrorisme ont été ouvertes par les mêmes enquêteurs, sur la base de procédure judiciaire uniquement19. Le droit commun, en plus de protéger les citoyens de l’arbitraire par l’intervention systématique d’un juge, apparait donc nettement plus efficace.

De même, un récent rapport d’enquête parlementaire précise que « les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci ».

Si les bénéfices de l’état d’urgence en termes d’efficacité apparaissent plus que contestables, le risque de dérive arbitraire est, lui, bien réel : « Les mesures de contrainte qu’il autorise sont d’une portée générale, ayant vocation

17 http://www.rfi.fr/france/20160714-direct-dernier-discours-quinquennat-francois-hollande

18 Rapport d’information au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence du 6 décembre 2016, p. 139.

19 Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juillet 2016, p. 264.

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à s’appliquer à un nombre potentiellement infini de situations puisqu’il suffit, pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence d’exciper d’un ‘comportement’ perçu comme ‘une menace pour la sécurité et l’ordre publics’, pour interdire une réunion, de soutenir qu’elle est ‘de nature à provoquer ou à entretenir le désordre’ ou, pour dissoudre une association, de démontrer qu’elle participe, facilite ou incite ‘à la commission d›actes portant une atteinte grave à l›ordre public’ »20. Par exemple, l’état d’urgence a été utilisé lors de la COP 21 pour assigner à résidence 27 personnes qui présentaient le risque de perturber la conférence sur le climat à Paris. On se situe ici bien loin de la menace terroriste ! Un autre risque est celui de la stigmatisation. Ainsi, 47 personnes sont assignées à résidence depuis plus d’un an au motif qu’il existe à leur égard « des raisons sérieuses de penser que [leur] comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Pour autant, aucune procédure judiciaire n’a été ouverte contre elles, alors que certaines doivent se présenter quotidiennement au commissariat dans leur cadre de leur assignation à résidence.

On peut donc se demander si ces mesures ne risquent pas de stigmatiser inutilement toute une série de citoyens et d’alimenter un sentiment d’injustice qui est souvent un des facteurs sous-jacents aux processus de radicalisation.

Alors, certes, l’opinion publique n’aurait sans doute pas compris que le gouvernement français s’abstienne de décréter l’état d’urgence suite aux évènements qui ont endeuillé le pays. « Dans un pays traumatisé, l’effet rassurant de l’annonce d’une mesure (même si elle n’est pas très utile) n’est pas moins important que les mesures elles-mêmes »21. Cependant, de telles mesures psychologiques ne sauraient se substituer à des politiques. Les constats qui précèdent devraient, dans un Etat de droit comme la France, aboutir à une remise en cause fondamentale de l’état d’urgence, voire à son arrêt immédiat. La difficulté à s’affranchir de l’état d’urgence n’est toutefois ni juridique ni sécuritaire mais bien politique22. Et c’est bien là le problème : quelle que soient les dangers et l’inefficience de l’état d’urgence, la décision d’y mettre fin suppose de prendre un risque politique important dans un contexte où personne ne peut exclure la répétition des attentats qui ont endeuillé la France ces dernières année.

En sorte qu’aujourd’hui, personne ne semble en mesure de prédire quand l’état d’urgence, mesure d’exception par excellence, prendra fin.

20 L’urgence d’en sortir ! Analyse approfondie du régime juridique de l’état d’urgence et des enjeux de sa constitutionnalisation dans le projet de loi dit « protection de la nation », Syndicat de la Magistrature, p. 21

21 W. MASTOR et F. SAINT-BONNET, De l’inadaptation de l’état d’urgence face à la menace djihadiste, in La lutte contre le terrorisme, Pouvoirs n°58, Seuil, 2016, p. 61.

22 Jacquin, Jean-Baptiste, 2016. « Le piège de l’état d’urgence ». Le Monde, 29 novembre, p.26.

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6. Conclusion : une évolution préoccupante

A l’issue de l’examen d’un peu plus de deux ans d’activité réglementaire et législative intense, on ne peut se défaire d’un sentiment de malaise.

D’un côté, il n’existe aucun doute sur le fait que nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population contre ce nouvel ennemi. Un ennemi qui cherche à diviser notre société et à dresser les communautés les unes contre les autres. A cette fin, la Belgique s’est dotée, ces dernières années, d’un arsenal répressif conçu spécifiquement pour lutter contre le terrorisme. Certaines de ces mesures, en ce compris répressives, étaient nécessaires et, à ce titre, ont fait l’objet d’un consensus politique. D’autres, notamment en vue de lutter contre le financement du terrorisme ou visant à prévenir la radicalisation violente dans les prisons, n’ont toujours pas vu le jour.

D’un autre côté, la lutte contre le terrorisme ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue que la Belgique est fondée sur l’Etat de droit.

Pourtant, cet idéal démocratique est constamment mis sous pression. Des voix, souvent bien intentionnées, s’élèvent pour en remettre en cause certains des fondements de notre société, à commencer par les droits de l’Homme. Il est ainsi particulièrement glaçant d’entendre des revendications un peu partout en Europe, y compris chez nous, mettant en question l’action de la Cour européenne des droits de l’Homme ou niant l’universalité de ces derniers.

Dans le climat d’angoisse constante suscité par ces évènements tragiques, la tentation est grande de légiférer sous le coup de l’émotion. Après chaque attentat qui frappe le continent européen, le sentiment d’urgence peut conduire à multiplier les effets d’annonce et adopter au pas de courses de nouvelles mesures qui, chaque fois, rognent les libertés sans pour autant forcément être efficaces.

Le risque existe qu’à la longue, la démocratie y perde son âme, et les citoyens leurs droits, soit exactement ce que visent les terroristes.

Militaires armés dans les rues, rétablissement épisodique des contrôles aux frontières, généralisations des portiques de sécurité à l’entrée des bâtiments publics, missions de service à la population qui ne sont plus assumées par des services policiers complètement débordés, mesures de sécurité aux entrées des écoles, suppression de certains évènements festifs par mesure de sécurité… Tant de modifications très concrètes apportées au quotidien des Belges en seulement quelques années, dans la plupart des cas avec une utilité douteuse.

Le pire serait de faire croire, comme le prétendent certains responsables à la

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droite de l’échiquier politique, qu’une approche uniquement sécuritaire pourra mettre la Belgique à l’abri. Il n’en est pourtant rien : les évènements dramatiques de ces derniers mois ont hélas douloureusement démontré qu’une présence massive de policiers et même de militaires ne pouvait dissuader les terroristes de déclencher leur ceinture d’explosifs.

Face à une criminalité qui touche à nos angoisses les plus profondes, le remède miracle n’existe hélas pas. Les vraies solutions s’inscrivent généralement dans le long terme et supposent la mise en œuvre d’outils pluridisciplinaires aussi complexes que peu vendeurs d’un point de vue politique.

Lutter contre le terrorisme, c’est aussi s’interroger sur ses causes. Pas question ici de chercher une excuse sociologique aux terroristes mais de comprendre comment on a pu en arriver là et de souligner les insuffisances d’une approche uniquement réactive, dont le coût démesuré doit être mis en balance avec son efficacité, souvent très relative. Par ailleurs, notre société commettrait une erreur irréparable en négligeant, sur l’autel de l’anti-terrorisme, les autres pans de notre justice pénale, qui requièrent pourtant toute notre attention, spécialement en cette période difficile. Comment, par exemple, nier le lien étroit qui existe entre les évènements dramatiques de ces derniers mois en Europe et le passé carcéral de la plupart des auteurs d’attentats ?

Dans la trajectoire criminelle des djihadistes, bien souvent, la case prison joue un rôle déterminant. Empêcher que de nouveaux attentats se produisent, c’est donc aussi réfléchir à l’amélioration de l’ensemble du système carcéral, qui traverse une crise sans précédent et nourrit la violence, notamment terroriste mais pas seulement.

Enfin, il est essentiel de procéder à l’évaluation des mesures décidées en matière de lutte contre le terrorisme, souvent dans la plus grande précipitation. Surtout lorsque celles-ci empiètent sur nos droits fondamentaux. S’il ressort d’une évaluation rigoureuse que ces mesures contribuent effectivement à protéger mieux nos citoyens, gardons-les. Mais si elles sont inefficaces, ayons le courage de les supprimer.

La Belgique a, pour l’instant, plutôt mieux réussi que d’autres pays européens à résister à la tentation sécuritaire. C’est à mettre à l’actif de notre démocratie de ne pas avoir jugé nécessaire de nous doter d’une législation sur l’Etat d’urgence, malgré les annonces du Gouvernement fédéral actuel qui allaient en ce sens. Il n’en demeure pas moins indispensable d’être attentif au risque de dérive sécuritaire qui peut résulter de la confrontation permanente à la menace terroriste.

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La Belgique, comme beaucoup d’autres Etats européens, s’est dotée ces dernières années d’un arsenal de mesures afin de lutter contre le terrorisme. Pas un mois ne passe sans que le Parlement n’examine encore de nouveaux dispositifs. Se pose toutefois la question de savoir si ces mesures sont toujours proportionnées ou même simplement efficaces. En voulant nous protéger, ne sommes-nous pas progressivement occupés à jeter les jalons d’une société sécuritaire ? Le présent état de la question de l’IEV, rédigé par Olivier Legrand et Louis Malempré, revient sur trois années d’activité politique intense en réaction à la vague d’attentats qui secoue notre continent et met en évidence les risques de dérive que la confrontation permanente à la menace terroriste peut induire pour notre démocratie

Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles Téléphone : +32 (0)2 548 32 11 Fax : + 32 (02) 513 20 19 iev@iev.be www.iev.be
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