LA FLEXICURITÉ À L’ÉPREUVE DU TEMPS
ETAT DE LA QUESTION DECEMBRE 2016
IEV Editeur responsable : Gilles Doutrelepont- 13 Bd de l’Empereur - 1000 Bruxelles
BENOIT ANCIAUX
1. Introduction...................................................................................................
2. Qu’est-ce que la flexicurité ?
3. Les principes communs de flexicurité au niveau européen......................
4. La flexicurité dans quelques pays avant la crise
4.1. Pays-Bas
4.2. Danemark..............................................................................................
4.3. Allemagne.............................................................................................
4.4. Grande-Bretagne
5. Existe-t-il une flexicurité en Belgique ?
6. Les conséquences de la crise financière et bancaire de 2008....................
6.1. Généralités
6.2. La réponse de la Belgique
7. Perspectives pour la flexicurité en Belgique
7.1.
7.2.
.............................................
Une flexicurité par une contribution de licenciement ?
La flexicurité selon le gouvernement MR N-VA
Bibliographie................................................................................................. 4 4 5 8 8 8 10 12 13 16 16 18 10 20 21 23
8.
1. Introduction
La notion de flexicurité du marché du travail est née dans les années 90.
Elle a d’abord été développée au sein du marché du travail néerlandais et dans les pays scandinaves. Devenue un concept clé au niveau européen, elle s’imposera - avec des versions parfois très différentes - dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Dans cette analyse, nous tenterons tout d’abord de cerner ce concept dont les principes définis tant bien que mal par l’Union européenne (UE), en 2007, cachent mal des contradictions internes qui vont d’ailleurs influencer et guider les Etats membres dans l’élaboration de leur réforme du marché du travail.
Nous examinerons brièvement les spécificités propres à certains pays dans leur contexte historique (Pays-Bas, Danemark, Grande-Bretagne) pour nous interroger sur l’existence (ou non) d’une flexicurité en Belgique. Ensuite, les conséquences socio-économiques de la crise financière et bancaire de 2008 ont révélé au grand jour les limites de la flexicurité dans la plupart des pays européens et nous verrons pourquoi la Belgique a mieux résisté à la crise que d’autres pays.
Enfin, une proposition formulée par les économistes de l’UCL fera l’objet d’une analyse très critique quant aux conséquences qu’elle impliquerait pour les travailleurs licenciés. En outre, nous verrons que l’équilibre entre flexibilité et sécurité - déjà précaire - a été totalement rompu par le gouvernement MR N-VA qui a choisi la voie de la dérégulation.
2. Qu’est-ce que la flexicurité ?
La flexicurité (contraction de flexibilité et de sécurité) est une approche intégrée qui ambitionne de dépasser l’opposition traditionnelle entre flexibilité (pour les employeurs) et sécurité (pour les travailleurs), en les associant étroitement afin que leurs différentes composantes (transition professionnelle, règles de licenciements, protection sociale, etc.)1 se renforcent l’une l’autre. L’objectif est d’améliorer le fonctionnement et les performances du marché du travail mais aussi de lutter contre la précarité engendrée par le binôme « flexibilité et dérégulation du marché du travail » qui s’était imposé
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1 Les composantes de la flexicurité ne sont pas exhaustives. Des thèmes comme la qualité de l’emploi ou la conciliation vie professionnelle-vie familiale y trouvent leur place.
dans les années 802
Sur base de données précises concernant les créations et destructions d’emplois3, la flexicurité vise théoriquement à moins protéger l’emploi que la personne du travailleur. Cette protection dans les transitions n’est évidemment pas sans contrepartie. C’est la raison pour laquelle on parle parfois de « sécurité dans l’employabilité » (on vise à aider les individus « à s’aider eux-mêmes » sur le marché du travail) et même aussi de « sécurité dans l’emploi » (qui serait une alternative à la sécurité de l’emploi).
La flexicurité n’est pourtant pas un modèle spécifique du marché du travail. Elle propose une approche globale dans laquelle de nombreux modèles différents peuvent, en principe, s’intégrer. Il s’agit donc d’une logique qui permet de tenir compte des spécificités propres au marché du travail du pays « adhérent » mais aussi - et surtout - de la sensibilité politique du ou des partis au pouvoir. Ainsi, par exemple, la flexicurité allemande est à l’opposé de la flexibilité des pays scandinaves. Elle a donné la priorité à la pleine utilisation des ressources humaines mais dans le cadre, surtout, d’une flexibilité interne et fonctionnelle. La protection de l’emploi a été négociée en échange d’un investissement dans le développement « en continu » des connaissances et des compétences des travailleurs dans leur branche d’activité.
3. Les principes communs de flexicurité au niveau européen
Les notions de flexibilité et de sécurité avaient déjà été promues par la stratégie de Lisbonne en mars 2000. Elles donneront naissance à la « flexicurité » qui deviendra un enjeu majeur pour la Commission européenne.
Dans sa communication de juin 2007, la Commission appréhendait la flexicurité comme « une stratégie intégrée visant à améliorer simultanément la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail » s’articulant autour de la souplesse et de la sécurisation des dispositions contractuelles, des politiques actives du marché du travail, des stratégies globales d’apprentissage tout au long de la vie et des systèmes de protection sociale modernes. Ainsi, elle a défini huit grands principes communs de flexicurité qui seront adoptés par le Conseil en décembre 2007 sur base d’un rapport du Comité de la protection sociale.
2 A la fin des années 70, sur le plan international, on assiste à une attaque en règle contre les politiques keynésiennes et contre les principes de l’économie mixte. Les discours plaident résolument en faveur de mesures de flexibilité et de dérégulation. L’alignement idéologique sur le « consensus de Washington » est en quelque sorte une inversion des rapports entre le politique et l’économique : les difficultés à vaincre les effets de la crise font que le politique abandonne au marché le soin de sélectionner des stratégies de « sortie de crise » dont le commun dénominateur sera la remise en cause du partage des fruits de la croissance. La Belgique n’échappera pas à ce courant international avec les deux gouvernements Martens-Gol (1982-1987).
3 Notamment la « loi des 15% » - Le chômage, fatalité ou nécessité ? Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion, 2005. C’est fin des années 80 que les économistes commencent à disposer de données précises sur les créations et destructions d’emploias.
La flexicurité à l’épreuve du temps 5
Les travaux préalables aux huit grands principes avaient mis en évidence l’impossibilité de fixer une seule et même voie même si tous les pays européens sont confrontés au même défi, celui d’une économie mondialisée qui appelle à une réforme des marchés du travail. C’est la raison pour laquelle les huit principes de la Commission sont suffisamment vagues pour que les politiques nationales puissent toutes s’y retrouver en termes d’équilibre ou de déséquilibre entre flexibilité et sécurité. Un des principes mentionne d’ailleurs explicitement que la flexicurité doit être adaptée aux situations, aux marchés du travail et aux relations industrielles propres à chaque Etat membre. Si on comprend la nécessité de respecter les configurations économiques et institutionnelles propres aux Etats membres de l’UE, on comprend aussi que les termes « aux situations » ouvrent largement la porte à l’instrumentalisation politique du concept. En d’autres termes, le projet commun de flexicurité européenne laisse aux gouvernements nationaux la responsabilité d’en tirer les conséquences politiques concrètes.
L’ambiguïté de la phraséologie européenne laisse parfois la place à de véritables contradictions. A deux reprises, la communication de la Commission cite la nécessité d’une souplesse pour licencier. Pourtant, elle dispose aussi que la flexicurité implique la sécurisation des dispositions contractuelles et, en outre, que les personnes sans emploi - parmi lesquelles les femmes, les jeunes et les migrants qui constituent le plus grand nombre - ont besoin d’un emploi stable. Par ailleurs, l’employabilité est dépendante de stratégies globales d’apprentissage et d’amélioration des compétences tout au long de la vie. En particulier, les travailleurs en place doivent être préparés aux transitions entre les emplois. Or, c’est la stabilité - et donc une certaine ancienneté - de l’emploi qui constitue le meilleur tremplin vers l’employabilité si, du moins, l’organisation du travail s’inscrit dans une perspective dynamique qui intègre (notamment) des formations réellement qualifiantes. On ne sécurise pas des parcours professionnels en fragilisant les délais de préavis et en multipliant les contrats atypiques et temporaires, surtout pour les peu qualifiés. De surcroît, la Commission estime que la sécurité « transitionnelle » implique une protection sociale forte alors qu’elle met en garde sur les coûts budgétaires et sur la nécessité de mener une politique « saine et financièrement viable » à laquelle « les politiques effectives de flexicurité peuvent contribuer ».
Dans leur analyse conjointe du marché du travail, les partenaires sociaux européens reconnaissent la nécessité s’adopter des mesures qui concernent la flexibilité et la sécurité tant pour les travailleurs que pour les employeurs. Même s’ils mettent en avant une situation de « win-win » pour tous, la manière d’atteindre l’objectif reste une abstraction dans la mesure où les divergences sont très fortes quant à l’équilibre entre flexibilité et sécurité. Ainsi, pour la Confédération européenne des syndicats4, le contrat à durée indéterminée
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4 Comme d’ailleurs pour le Parlement européen qui, dans son avis sur la communication de la Commission, avait jugé les principes de flexicurité trop unilatéraux.
reste la règle absolue et, par conséquent, la sécurité dans l’emploi est accessoire ou complémentaire à la sécurité de l’emploi. Les politiques d’activation doivent s’accompagner d’un degré élevé de protection sociale et la création d’emplois n’est pas la priorité absolue si, dans le même temps, on ne se préoccupe pas de la qualité de l’emploi.
Malgré la crise, la flexicurité est restée un élément central des lignes directrices européennes pour l’emploi. Pourtant, sous la présidence de la Suède (second semestre de 2009), un avis du Comité économique et social européen5 soulignait les aspects négatifs d’une flexicurité conçue trop souvent comme un instrument pour faciliter les licenciements et les emplois précaires. Le rapport estimait que les priorités devaient être la sécurité des travailleurs (via notamment la protection des chômeurs) et la promotion des diverses formes de flexibilité interne.
La mise en œuvre de politiques intégrées en matière de flexicurité (modernisation des marchés du travail) doit participer à la réalisation de l’objectif fixé par la stratégie Europe 20206 d’un taux d’emploi de 75%. L’accent est désormais plus « lissé »7 et insiste sur le soutien aux transitions professionnelles, sur l’acquisition de compétences appropriées (dont « des compétences nouvelles pour des emplois nouveaux »), mais aussi sur la qualité des emplois et les missions (les obligations) des services publics en la matière.
La stratégie Europe 2020 accorde une attention particulière aux jeunes (« Jeunesse en mouvement »). Pourquoi ? En 2014, le taux de chômage des moins de 25 ans dans l’Union européenne atteignait presque 22% (plus de 23% dans la zone euro). C’est plus du double de celui des adultes. En outre, un phénomène observé - très inquiétant - est le couplage « sans emploi » et « sans activité » (études, formation).
5 Avis du 1er octobre 2009 (« Comment utiliser la flexicurité en matière de restructuration, dans le contexte du développement mondial »).
6 Europe 2020 est le nom de la nouvelle stratégie de croissance de l’Union européenne, qui énonce cinq objectifs ambitieux à atteindre d’ici 2020 en matière d’emploi, d’innovation, d’éducation, d’inclusion sociale et d’énergie (ainsi que de lutte contre le changement climatique). Voir la communication de la Commission européenne du 3 mars 2010, Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive. La stratégie a été débattue lors du Conseil européen des 25 et 26 mars 2010 et adoptée le 17 juin 2010. Les décisions plus ciblées en matière d’emploi ont été décidées le 21 octobre 2010.
7 La prudence dans ce que signifie la notion de « flexicurité » tient aux enseignements des conséquences socioéconomiques de la crise financière et bancaire.
La flexicurité à l’épreuve du temps 7
4.
La flexicurité dans quelques pays avant la crise8
4.1. Pays-Bas
Même si c’est le modèle danois qui sert souvent de référence à la notion de flexicurité, c’est aux Pays-Bas qu’elle a été théorisée dans les années 90 par le sociologue H. Andriaansens.
Sur base d’un accord avec les partenaires sociaux, elle a été appliquée par une loi intitulée « flexibiliteit en zekerheid » (entrée en vigueur en 1999).
L’élément central du « modèle des polders » était la réconciliation entre la compétitivité des entreprises et la protection des travailleurs, soit une flexibilité accrue via le développement des contrats atypiques (notamment l’intérim mais qui donne droit automatiquement à un contrat à durée indéterminée (CDI) après une certaine période en échange des mêmes conditions de travail (dont une protection stricte contre les licenciements9) et des mêmes droits à la sécurité sociale pour tous.
Il est important de retenir que ce modèle reposait sur le fait que les différentes parties prenantes (syndicats, patronat, représentants du gouvernement) s’engageaient à œuvrer uniquement dans l’intérêt collectif, ce qui devait en principe atténuer fortement les clivages et les stratégies lors des négociations au sein de l’organe central tripartite chargé de la mise en œuvre de la politique.
Cités comme un exemple de réussite de la flexicurité, les Pays-Bas n’ont réussi à gagner le pari de l’emploi qu’au prix de sa fragmentation par le recours massif au temps partiel. Ce constat nuance fortement le taux d’emploi lorsqu’il est calculé en équivalents temps plein. En outre, le mécanisme des pensions pour « inaptitude physique » a été très largement utilisé.
4.2. Danemark10
Au préalable, il faut évacuer le mythe selon lequel la performance du modèle danois s’explique par un « esprit scandinave ». De même, il n’est pas tout à fait exact de présenter la société danoise comme « consensuelle » car de graves conflits sociaux ont jalonné l’histoire du pays (des cas récurrents de lock-out, par exemple) et les oppositions politiques ne sont pas moins dures que dans d’autres pays.
8 Voir notamment Flexicurité en Europe : une approche critique, Keune Maarten et Pochet Philippe, La Revue de l’IRES 4/2009 (n° 63), p. 105-126.
URL : www.cairn.info/revue-de-l-ires-2009-4-page-105.htm.
9 Notamment l’introduction d’une procédure de résiliation judiciaire des contrats de travail (plus sûre juridiquement mais aussi plus coûteuse pour l’employeur).
10 Voir notamment Le modèle danois de “flexicurité”. L’improbable “copier-coller”», Carole Tuchszirer, CAIRN, Informations sociales 6/2007 (n° 142), p. 132-141.
URL : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-6-page-132.htm.
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Alors, pourquoi le Danemark est-il si souvent érigé en « modèle » dans les cénacles européens ?
Le plus souvent, les économistes et les politiques résument le modèle danois à l’existence d’un « triangle d’or » dont les trois composantes interagissent l’une l’autre : flexibilité de l’offre de travail, couverture élevée en cas de chômage, outplacement (règles strictes en termes de droits et obligations quant à l’activation).
L’histoire de ce « triangle d’or » reste toutefois à écrire. On en trouve quelques traces dans divers travaux administratifs du ministère danois du travail ou dans des études universitaires mais, globalement, il n’a jamais occupé une place centrale dans les réformes du marché du travail danois dont celle notamment de l’ancien Premier Ministre social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen (19932001). Il s’agit surtout d’une construction assez simpliste des choses qui réduit le système danois à un « mécanisme ». En tout état de cause, le « triangle d’or », dont la mécanique - pour les économistes - se mesure à des résultats (la chute du chômage), ne participe en rien à une explication causale du « pourquoi le Danemark réussit là où d’autres pays échouent ». A la suite de travaux comparatifs de la Commission européenne et de l’OCDE, la « flexicurité danoise » a été décontextualisée et a été promue au rang des « bonnes pratiques », voire même comme un modèle qu’il suffirait d’importer pour résoudre le problème des marchés du travail en Europe.
Or, dans la perspective d’une comparaison internationale, une bonne compréhension de la spécificité danoise ne peut faire l’impasse sur la construction historique d’un cadre social et politique assez exceptionnel. Ce cadre s’est construit sur plus d’un siècle et il a permis d’établir un ensemble de normes sociales et de valeurs partagées qui font que la société danoise s’est révélée, à travers les conflits, capable de construire des compromis solides et surtout durables. C’est pourquoi on parle parfois de « consensus conflictuel ». L’élément le plus important de ces compromis est sans doute la prééminence des voies conventionnelles (entre les organisations syndicales et patronales) sur toute intervention de l’autorité publique.
C’est donc la « cohérence sociétale » (et non la flexicurité) qui explique la société danoise contemporaine. La « flexicurité » n’est qu’un signe - tardifde la capacité d’adaptation d’une société qui repose sur une cohérence, bien plus ancienne, entre plusieurs éléments dont :
- le rôle des acteurs sociaux et politiques autour de valeurs qui ne pas que théoriques mais traduites concrètement (universalisme, égalité, solidarité, responsabilité, …) ;
- le haut degré de confiance à l’égard de ces valeurs et leur partage dans les conduites individuelles.
La flexicurité à l’épreuve du temps 9
La flexicurité danoise se distingue de celle des Pays-Bas11 par le fait qu’elle mise avant tout sur une faible protection contre les licenciements en contrepartie d’un accompagnement intensif des demandeurs d’emploi (adaptation de leurs qualifications) et d’un revenu de remplacement généreux (quoique limité dans le temps)12. La qualité du système de formation professionnelle, le dynamisme des services publics de l’emploi et la place accordée aux transferts sociaux sont au Danemark - mais aussi par exemple en Finlande - les instruments qui ont rendu possible la forte mobilité professionnelle. Dès lors, les licenciements ou les contrats à durée limitée ne sont généralement pas perçus par les travailleurs comme une source d’insécurité d’existence.
Le Danemark n’a pas une conception « étriquée » de ce qu’on entend généralement, chez nous, par « activation » parce que les investissements en matière de formation tout au long de la vie facilitent grandement les transitions (tant internes qu’externes) entre deux emplois. C’est la raison pour laquelle on parlera d’une politique active du marché du travail au Danemark plutôt que d’une politique d’activation qui a une connotation « punitive » et utilitaire (donc à court terme).
Il convient de mentionner aussi que les jeunes danois sont considérés comme des acteurs économiques à part entière dans le sens où, avant la fin de leurs études, ils sont intégrés dans la « communauté de travail ». Ils bénéficient souvent de prestations généreuses pour poursuivre leurs études qu’ils combinent avec un engagement professionnel précoce.
Le « miracle » du modèle danois doit pourtant être relativisé. La décrue exceptionnelle du chômage (12,4% en 1994, 4,2% en 2001 et même 3,7% en 2007) est en partie due à une forte croissance stimulée par une politique de type keynésienne (relance des investissements publics, diminution des taux d’intérêt, etc.). Le Danemark n’a pas non plus lésiné sur les moyens pour accroître les emplois à temps partiel et pour réduire l’offre de travail par le recours aux préretraites.
4.3. Allemagne
L’économie allemande est très spécialisée « haut de gamme » et essentiellement tournée vers l’exportation avec une innovation permanente.
Elle a toujours privilégié l’offre (renforcement de l’appareil productif) au détriment de sa demande intérieure, ce qui la met très exposée aux défis de la mondialisation. Relevons que ce modèle économique - aussi puissant qu’il soit -, est paradoxal dans la mesure où il freine le pouvoir d’achat de ses nationaux (le consensus du milieu des années 90) mais qu’il n’a pas intérêt à voir
11 Mais aussi de la Suède ou de la Norvège où la relative rigidité de la réglementation du marché du travail est couplée à une sécurité sociale généreuse.
12 Le modèle danois ne repose donc pas sur une opposition entre les dépenses passives et les dépenses actives.
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une baisse de la consommation (et donc une trop forte modération salariale) à l’étranger.
Deux caractéristiques de la flexicurité allemande méritent une attention particulière.
Tout d’abord, sa main-d’œuvre qualifiée est très « mobile » mais surtout à l’intérieur du secteur ou du sous-secteur d’activité où elle professe.
Ensuite, l’Allemagne a rompu avec une organisation du travail faisant l’objet de normes homogènes définies au niveau des secteurs ou des branches. Elle a introduit des comptes « temps de travail » qui permettent de répartir le temps de travail en séquences variables.
Les comptes temps de travail offrent aux employés plus de liberté pour déterminer la durée et les horaires de travail en fonction de leurs contraintes personnelles. Mais l’inverse est également vrai car les entreprises peuvent être tentées d’utiliser les comptes en fonction de leurs besoins immédiats pour répondre aux exigences d’un marché volatile. C’est ce que craignaient d’ailleurs les syndicats du fait de la relative faiblesse des représentants du personnel dans les comités d’entreprise par rapport à l’échelon sectoriel ou de branche. Environ 50% des travailleurs en Allemagne appartiennent à des entreprises qui ne disposent pas de comité d’entreprise. Si ce sont les acteurs sociaux au sein des entreprises (direction et représentants du personnel) qui définissent ensemble les marges de souplesse du système (plafond et plancher du temps autorisé, durée pendant laquelle les marges peuvent être utilisées, etc.), l’affirmation selon laquelle il s’agit d’une flexibilité « régulée » doit donc être nuancée.
Le compromis historique entre les organisations patronales et syndicales sur le partage des gains de productivité s’est fissuré au fil du temps.
En réduisant les charges sociales et fiscales pour attirer des capitaux, l’Etat a été contraint d’augmenter la TVA et d’opérer des économies drastiques dans le secteur du chômage (les lois Hartz entre 2003 et 2005). Les emplois temporaires à faible qualification ont été systématiquement encouragés et même imposés (avec un affaiblissement de la protection contre le licenciement, surtout dans les petites entreprises). La chute spectaculaire du chômage que l’Allemagne a enregistrée, en 2008, masque difficilement l’apparition de travailleurs pauvres et une extension inquiétante de la précarité (ce à quoi le pays n’était pas habitué). Le salaire minimum, réclamé de longue date par les syndicats, n’a été introduit que le 1er janvier 2015 (ce qui expliquait que l’Allemagne était un des pays européens qui comptait le plus de bas salaires).
La flexicurité à l’épreuve du temps 11
4.4. Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, le Welfare to work des gouvernements de Tony Blair s’inspire fortement des politiques d’activation du marché du travail des pays scandinaves. La « troisième voie » - dans laquelle s’inscrit le projet d’un « Etat social actif » - fut l’objet d’études et de réflexions dans les milieux internationaux et le monde académique13 pour ensuite être repris dans le champ politique par Tony Blair, le premier d’ailleurs à proposer ce concept aux sociaux-démocrates européens dans la seconde moitié des années 1990.
La reformulation de la Constitution du parti travailliste intervient en 1995. Le New Labour rompt avec les nationalisations et propose un tout nouveau modèle de société dont l’axe central est le rôle de l’individu dans la communauté. L’Etat n’a plus à contrôler les moyens de production mais doit être le garant d’une communauté où la prospérité et la chance de réussir sont aux mains du plus grand nombre et où les droits individuels trouvent leur contrepartie dans les devoirs vis-à-vis de cette communauté.
Sur fond de mondialisation, la « troisième voie » se présente donc comme une critique simultanée de l’Etat providence et de la vision libérale telle qu’elle s’est développée dans les pays anglo-saxons. Il s’agit de réconcilier le marché et l’intervention de l’Etat. En résumé, s’il s’impose de maintenir l’ambition d’une protection sociale forte, il faut alors acter l’incapacité de l’Etat providence à résoudre le problème du chômage de masse et de l’exclusion sociale. La promotion de l’emploi, notamment par l’activation et ce qu’il est convenu d’appeler « la lutte contre les pièges à l’embauche », doit devenir l’objectif principal de la politique sociale.
En Grande-Bretagne, l’accent a été mis sur l’éducation et sur la formation professionnelle des jeunes de moins de 25 ans, des chômeurs de longue durée, des familles monoparentales et des personnes en situation de handicap afin d’augmenter leur employabilité. Les mesures sont à la fois incitatives et coercitives. Elles sont incitatives par un accompagnement personnalisé, l’octroi de subventions aux entreprises qui engagent les publics concernés mais aussi, notamment, par un soutien public aux infrastructures chargées de l’accueil de la petite enfance, par l’amélioration des conditions de travail, par l’octroi de crédits d’impôts aux bas revenus14 et par l’introduction, en 1999, d’un salaire minimum qui sera révisé périodiquement afin d’améliorer les conditions de plus ou moins 9% des travailleurs. Elles sont coercitives en cas de refus d’emploi ou de formation (diminution des allocations et même suppression).
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13 Notamment Anthony Giddens, professeur de sociologie à l’université de Cambridge.
14 Le Working Families Tax Credit.
Le financement a été assuré dans le cadre d’une politique budgétaire stricte qui ne permet l’emprunt que pour des investissements porteurs d’avenir (et non pour assurer les dépenses courantes de l’Etat). De plus, les avantages fiscaux des classes aisées de la population ont été rabotés et un impôt prélevé sur les bénéfices exceptionnels des entreprises privatisées.
Le Welfare to work (rebaptisé en New Deal) a permis une amélioration du taux d’activité et du taux d’emploi, mais dans un contexte d’une très forte flexibilité du marché du travail et d’une protection sociale qui est restée minimale. Si le faible taux de chômage enregistré en 2006 (5,5%) est considéré comme « historique » depuis les années 1970, il cache mal une progression du nombre d’invalides, une qualification insuffisante de la main-d’œuvre et une accentuation de la précarité. L’existence de working poor a anéanti le mythe selon lequel il y aurait un lien mécanique entre l’emploi rémunéré et la sortie de la pauvreté. En particulier, les années Blair ont été marquées par un recours préoccupant à l’endettement des ménages (consacré notamment au logement).
5. Existe-t-il une flexicurité en Belgique ?
On ne peut pas parler de stratégie de flexicurité dans notre pays mais plutôt d’un faisceau de mesures qui, au fil du temps, se sont additionnées ou renforcées l’une l’autre et qui reflètent certaines spécificités de la notion de flexicurité.
A l’issue des élections législatives du 13 juin 1999, les libéraux, les socialistes et les écologistes constituent un gouvernement dont les options socio-économiques ont souvent été présentées sous l’angle d’un nouveau concept, celui d’ « Etat social actif ». En réalité, ce concept n’a jamais été clairement défini sauf en apparence autour d’un constat que toutes les formations politiques seraient d’ailleurs bien en peine de contredire : la nécessité de relever notre taux de participation sur le marché du travail.
C’est ainsi que dans l’accord de gouvernement de 1999, « La Voie vers le XXIe siècle », on peut lire que « l’Etat social actif investit dans les gens, la formation, l’emploi et pas seulement dans les allocations. Concrètement, le gouvernement veut mener une politique active de formation et d’emploi visant à augmenter le taux d’activité. (…) ».
L’accord de gouvernement s’inscrit dans le prolongement du Pacte européen pour l’emploi mais il insiste sur le fait que l’augmentation de l’emploi ne peut porter atteinte aux droits sociaux. Concernant les prépensionnés et les chômeurs âgés, le gouvernement Verhofstadt Ier mentionne qu’il est souhaitable de les inciter au retour à l’emploi mais « sans perdre les droits de leur statut »15
La flexicurité à l’épreuve du temps 13
15 « La Voie vers le XXIe siècle », p. 17.
Refusant un concept dont le contenu risquait de prendre des allures de « shopping idéologique », la Ministre de l’Emploi Laurette Onkelinx va fermement mener une politique axée sur la sécurisation des trajectoires professionnelles : combattre la spirale du chômage de longue durée, rendre le travail plus attractif, consolider les acquis sociaux. Elle initie le plan « Rosetta » (les conventions de premier emploi) destiné à éviter l’enlisement structurel des jeunes dans le chômage en leur offrant une première expérience professionnelle, avec de vrais contrats et dans les six mois qui suivent la fin de leurs études. Le dispositif est en principe obligatoire pour les entreprises et il doit s’agir d’emplois supplémentaires.
On retiendra également l’encouragement de la formation continue, le droit à l’outplacement pour les travailleurs âgés licenciés, la naissance du crédit-temps (en particulier pour les aînés), le relèvement des allocations de chômage et le Making work pay qui s’est traduit par une réforme fiscale visant à encourager l’activité (crédit d’impôt pour les bas salaires, augmentation des frais professionnels forfaitaires déductibles) et par diverses techniques de lutte contre les pièges à l’emploi dont, en particulier, un système de réduction de cotisations personnelles de sécurité sociale (ce qui permet une augmentation du salaire poche pour le travailleur, sans que cela ne coûte un euro à l’employeur). C’est le début de ce qu’on appellera plus tard le « bonus à l’emploi » (social et fiscal) qui sera d’ailleurs régulièrement consolidé.
Sous le deuxième gouvernement Verhofstadt (libéral-socialiste, 2003-2007), la responsabilité mesurée des demandeurs d’emploi par rapport à leur propre insertion sur le marché du travail a été présentée - par les tenants de l’ « écologisme » et de l’extrême gauche - comme une « chasse aux chômeurs ».
C’est inexact car le plan d’activation du comportement de recherche d’emploi n’a pas pour objectif d’imposer une obligation de résultat dans le chef du demandeur d’emploi mais bien, au contraire, de le soutenir dans ses efforts. Il est complémentaire aux mesures régionales d’accompagnement qui seront d’ailleurs systématisées.
Plus fondamentalement, l’activation doit être comprise comme une attention portée sur les situations et les ressources propres du demandeur d’emploi. Il n’y a donc pas de « standardisation ». Lorsqu’une défaillance apparaît dans le comportement d’un chômeur, la « contractualisation » implique des obligations (en fonction du profil socio-professionnel de la personne, de son âge, …) mais aussi des droits (droit de faire appel à des opérateurs pour obtenir des options ou des opportunités en matière d’emploi ou de formation, par exemple).
L’activation du comportement de recherche d’emploi et le « contrat » quitrès souvent - découle des premiers entretiens présentent toutefois deux
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dangers. D’une part, on sait qu’une parfaite symétrie entre les parties est impossible. Il s’ensuit que la contractualisation peut facilement glisser vers une procédure purement administrative (avec des quotas budgétaires), voire même arbitraire. D’autre part, le risque est aussi de faire retourner tout le poids d’un échec (ou prétendu tel) sur la seule « responsabilité individuelle ».
On doit encore mentionner le pacte de solidarité entre les générations16 qui comporte un important chapitre portant sur la « gestion active des restructurations d’entreprises ». Les cellules pour l’emploi (cellules de reconversion en Wallonie) offrent aux travailleurs licenciés âgés de 45 ans et plus une aide spécifique qui s’inspire des pays nordiques où les bureaux de placement offrent les services les plus complets qui soient aux travailleurs victimes d’un licenciement collectif (reconversion professionnelle, aide à la recherche d’emploi, outplacement, etc.). Pendant la période d’activité au sein de la cellule pour l’emploi (six mois), la sécurité du travailleur est assurée par l’octroi d’une indemnité de reclassement qui correspond au salaire normal et aux avantages normaux découlant du contrat de travail. Cette indemnité a juridiquement le caractère d’une indemnité de rupture et est évidemment très profitable aux ouvriers dont les délais de préavis étaient très courts.
Début 2009, la participation aux activités d’une cellule pour l’emploi sera ouverte aux travailleurs âgés de moins de 45 ans, quoique pour une période moins longue (trois mois).
On peut donc en conclure que la gestion active des restructurations est à tout le moins un « marché transitionnel du travail » dans le sens où elle offre des « passerelles » vers d’autres positions sur le marché du travail tout en garantissant aux travailleurs des droits et une sécurité d’existence acceptable.
Une importante réforme du droit du travail, menée en 2014, doit attirer notre attention parce qu’elle est historique pour de très nombreux travailleurs qui, jusque-là, étaient confinés dans le statut d’ouvrier et qui n’étaient donc pas traités sur le même pied d’égalité que d’autres travailleurs. Si la distinction entre les fonctions « principalement manuelles » et les fonctions « principalement intellectuelles » était devenue obsolète depuis de nombreuses années, la discrimination qu’elle engendrait sur le plan économique et juridique comportait aussi une dimension émotionnelle particulière. En effet, on ne voit pas en quoi la forme intellectuelle d’une activité conférerait à celle-ci plus de valeur que n’en donnerait la forme manuelle, ni en quoi - par conséquentelle vaudrait à celui qui l’exerce plus de protection.
Le 5 juillet 2013, après un contentieux qui a duré presque trois décennies, les partenaires sociaux ont donné tant bien que mal leur accord sur un texte présenté par les conciliateurs du gouvernement concernant (notamment) l’har-
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16 Loi du 23 décembre 2005 relative au pacte de solidarité entre les générations.
monisation graduelle des délais de préavis des ouvriers et des employés17. Il s’agit d’une étape cruciale dans l’édification d’un statut unique. Comme on l’a vu, la nécessité d’harmoniser les statuts est une question de justice sociale par rapport à l’évolution du monde du travail. Mais si nous devons saluer la solidarité exemplaire dont les employés ont fait preuve vis-à-vis des ouvriers, on ne peut pas en dire autant des employeurs vis-à-vis des travailleurs. En effet, certaines exigences en matière de coût salarial et de flexibilité18 ont été quelque peu disproportionnées par rapport à l’acte de licenciement quifaut-il le rappeler - n’est rien d’autre qu’une décision unilatérale de la part de l’employeur et qui, par conséquent, interpelle en principe sa responsabilité.
6. Les conséquences de la crise financière et bancaire de 2008
6.1. Généralités
Les conséquences socio-économiques de la crise financière et bancaire ont naturellement frappé davantage les économies les plus exportatrices (Allemagne, pays scandinaves) ou comprenant des secteurs très exposés (comme le secteur financier en Grande-Bretagne ou la construction en Espagne).
Le Danemark a été le premier pays européen frappé par la récession : recul du PIB de 1,2%, contraction de la demande, fermeture de nombreuses entreprises (dont le fleuron de la construction navale) et augmentation du chômage de 3,3% à 5,9% en l’espace de douze mois (d’août 2008 à juillet 2009). La conjugaison de deux facteurs a contribué à une progression du chômage plus marquée que dans d’autres pays (quoique plus faible par rapport à la moyenne des pays de la zone euro) : le Danemark est un pays tourné vers l’exportation et la protection de l’emploi y est faible19. Sous l’effet de la crise économique et des contraintes budgétaires, les structures chargées de mettre en œuvre l’accompagnement des chômeurs (les jobcenters) ont subi une cure d’austérité (notamment par une réforme administrative qui les a placées sous la tutelle des municipalités), la durée du versement des indem-
17 Les modalités d’une harmonisation des statuts d’ouvrier et d’employé devaient être décidées pour le 8 juillet 2013 pour ce qui concernait les délais de préavis et le jour de carence. Cette échéance avait été fixée par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juillet 2011. L’accord de principe a été transposé dans notre droit du travail par la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que des mesures d’accompagnement.
18 Notamment une dérogation à durée indéterminée pour les ouvriers du secteur de la construction et une dérogation « exceptionnelle et temporaire » (jusque fin 2017) pour différents secteurs (confection, bois, diamant).
19 Les préavis de licenciement dépassent rarement les trois mois.
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nités de chômage a été réduite de moitié20 et la préservation de l’emploi (via des mécanismes jouant sur la durée du travail et les salaires) et le retour rapide à l’emploi (work first) se sont imposés par rapport à un modèle basé sur les efforts d’excellence de la formation et des compétences de la maind’œuvre sans emploi.
Comme on le voit, des éléments conjoncturels peuvent compromettre la perpétuation d’un modèle de « cohérence sociétale », aussi solide qu’il soit à la base. Il ne faut pas non plus sous-estimer un certain « repli ethnique » qui s’est traduit par une hostilité croissante à l’égard de l’immigration et de la main d’œuvre étrangère.
Si le modèle danois s’est quelque peu fissuré, il n’en demeure pas moins que sa pérennité trouve toujours son point cardinal dans l’implication des partenaires sociaux et dans les grands compromis sociaux qui ont précisément bâti la société danoise.
En Grande-Bretagne, l’impact de la crise financière et bancaire a été sans précédent. L’Etat-providence sera la principale victime de l’austérité budgétaire du gouvernement conservateur-libéral, le travail sera érigé en « devoir moral » et le ton à l’égard des inactifs se fera nettement plus coercitif.
Les pays européens qui ont le plus misé sur la flexicurité - c’est-à-dire ceux où en définitive le lien entre les entreprises et les salariés était le moins solide - sont ceux qui ont enregistré les plus fortes réactions de l’emploi à la détérioration des conditions économiques.
La crise a été le catalyseur d’une tendance politique qui se dessinait déjà auparavant dans beaucoup de pays, soit une préoccupation de plus en plus marquée pour la flexibilité au détriment de la sécurité. Les formations (surtout les formations longues) dans les programmes d’aide à l’embauche ou d’activation ont largement cédé la place à la « mise en emploi », sans grande considération en termes de soutenabilité et de durabilité. Un peu comme si la qualité de l’emploi était la « cerise sur le gâteau », un aspect dont on peut se préoccuper mais une fois qu’un objectif quantitatif est atteint. La révision des règles de licenciement et d’indemnisation du chômage a évidemment mis une pression supplémentaire sur le marché du travail dans la plupart de ces pays. La flexicurité mise en place a incontestablement contribué à dégrader les conditions d’emploi et de protection sociale, le concept étant de plus en plus soumis aux normes monétaires internationales et à la concurrence en termes de coût du travail.
20 De quatre ans elle est passée à deux ans à partir du second semestre 2010 (une durée deux fois moins longue pour une cotisation qui est restée inchangée). Il faut savoir aussi que l’adhésion à une caisse d’assurance chômage est libre au Danemark. Depuis 1995, on a assisté à une lente érosion du nombre d’affiliés. Environ 30% des travailleurs n’étaient pas affiliés en 2010, ce qui représente une progression de 10 points par rapport à 1995. En cas de licenciement, ces travailleurs reçoivent une allocation de base mais sous certaines conditions et d’un montant en moyenne inférieur de 40% à celui d’une allocation de chômage.
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De manière générale, les pays qui ont le mieux résisté à la crise sont ceux qui ont surtout consolidé et/ou développé des amortisseurs sociaux tant en termes de soutien de la demande intérieure qu’en termes de préservation de l’emploi.
Comme nous allons le voir, tel a été le cas de la Belgique.
6.2. La réponse de la Belgique
A partir du quatrième trimestre de l’année 2008, notre pays entre en récession : les exportations sont en baisse, les entreprises (confrontées au resserrement des conditions d’attribution du crédit et à la chute du prix des actions) réduisent drastiquement leurs investissements, le chômage menace d’exploser, la crise bancaire et la baisse du patrimoine des ménages sapent la confiance des consommateurs.
Le 11 décembre 2008, le gouvernement annonce un plan de relance21 qui contient un volet économique et un volet axé sur l’emploi et le maintien du pouvoir d’achat.
L’emploi réagit toujours avec un certain retard à l’évolution de la conjoncture. Il n’a commencé à se contracter que dans le courant de l’année 2009.
On serait tenté d’affirmer que les licenciements sont une composante naturelle de la flexicurité puisque les entreprises doivent avoir la capacité d’ajuster rapidement leurs effectifs en cas de récession. Grâce à l’action du PS, la Belgique n’a pas pris cette voie. En juin 2009, le gouvernement a adopté en urgence des mesures exceptionnelles et temporaires de crise pour contenir la « casse sociale »22 en préservant au mieux l’emploi via (notamment) le recours à des mesures d’adaptation temporaire du volume de travail : outre le dispositif classique du chômage temporaire pour raisons économiques qui ne concerne que les ouvriers23, les innovations consistent à renforcer la réduction collective de travail, à instaurer un crédit-temps de crise et à introduire un régime collectif de suspension totale ou partielle de l’exécution du contrat de travail pour les employés.
Ces mesures (qui en complètent d’autres comme l’augmentation des indemnités de chômage économique, la diminution des heures supplémentaires ou la prise anticipée des congés compensatoires aux heures supplémentaires) ont amplifié la tendance « naturelle » des entreprises en Belgique qui consiste à retarder au maximum les licenciements secs pour ne pas compro-
21 Il ne sera concrétisé que début de l’année 2009 à cause de la tourmente du « Fortisgate » (démission du gouvernement Leterme).
22 Loi du 19 juin 2009 portant des dispositions diverses en matière d’emploi pendant la crise.
23 200.000 ouvriers seront touchés par le chômage temporaire au premier semestre 2009. C’est le double d’avant la crise.
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mettre le potentiel de production en cas de reprise économique (crainte d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, risque que le chômage conjoncturel se transforme en chômage structurel).
Les résultats24 ont été à la hauteur de l’objectif puisque le recul de l’activité économique25 s’est accompagné d’une baisse moins proportionnelle du volume de travail26 qui ne s’est reflétée que partiellement dans les pertes d’emploi27. Si la baisse du volume total de travail a pourtant été similaire à celle observée dans les trois pays voisins de la Belgique (malgré un ralentissement de l’activité un peu plus faible28), la caractéristique des mesures belges est d’avoir permis de mieux sauvegarder l’emploi par un correctif plus prononcé sur la durée de travail29. La meilleure résistance de l’emploi en Belgique par rapport à la moyenne des trois pays voisins30 (et surtout par rapport à la moyenne de l’UE et de la zone euro) est due au fort recul de l’emploi aux Pays-Bas et en France, l’Allemagne ayant connu - malgré une chute de son PIB de 6,4% - une situation similaire à la nôtre grâce à un recours très large à des systèmes permettant de réduire la durée du travail (notamment les comptes « temps de travail » évoqués ci-dessus).
L’efficacité des mesures prises par la Belgique pour résister aux conséquences de la crise financière et bancaire n’aurait jamais été possible sans la très grande solidarité qui s’est instaurée entre les partenaires sociaux. Notre modèle de concertation sociale a fonctionné de manière exemplaire, la solidarité s’imposant aux dérives faciles du « corporatisme sectoriel ou sous-sectoriel » et de l’individualisme dans les PME.
Toutes les branches d’activité n’ont malheureusement pas été affectées de la même manière par la crise. La situation reflète d’ailleurs une différence entre les régions, la Flandre ayant été davantage impactée en raison de ses nombreuses entreprises très sensibles à la conjoncture. De même, tous les groupes de travailleurs n’ont pas été égaux face à la détérioration des conditions économiques. Les jeunes, surtout les peu qualifiés, ont été les principales victimes des licenciements.
24 Voir notamment le communiqué de presse de la Banque nationale de Belgique du 15 juin 2010 - Le marché belge du travail pendant et après la crise (article pour la Revue économique du mois de juin 2011).
https://www.nbb.be/doc/ts/enterprise/press/2011/cp110615fre.pdf · Fichier PDF
Voir aussi Les détails de l’article (J. De Mulder et M. Druant). https://www.nbb.be/doc/ts/publications/economicreview/2011/revecoi... · Fichier PDF
25 Au premier semestre de l’année 2009, le PIB en volume recule de 3,9% par rapport au semestre correspondant de l’année 2008.
26 Les pourcentages de variation en 2009 par rapport aux semestres correspondants de l’année antérieure sont de -1,7% et de -2%.
27 Le pourcentage de variation était encore positif (0,1%) au premier semestre de l’année 2009 par rapport au semestre de référence de 2008 (1,9%). Au second semestre, il est négatif de 0,8% mais on remarquera que cette diminution du nombre de personnes occupées reste inférieure au niveau de l’emploi atteint début 2008.
28 En moyenne, le recul du PIB en volume au sein de l’UE, de la zone euro et des trois pays voisins de la Belgique s’élève à un peu plus de 5%.
29 Ce qui a entraîné un recul de la productivité.
30 Et par rapport à la moyenne de l’UE et de la zone euro (-2,5%).
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7. Perspectives pour la flexicurité en Belgique
7.1. Une flexicurité par une contribution de licenciement ?
Partant du principe que la liberté d’appréciation d’un agent économique implique normalement sa responsabilité, une publication des économistes de l’UCL31 considère que les indemnités de préavis se justifient mais qu’elles ne sont toutefois pas une manière efficace de sécuriser les travailleurs pour qui les coûts d’une couverture du risque de chômage sont beaucoup plus importants que les coûts psychologiques qu’une indemnité de préavis est censée compenser.
Etant donné que le régime du chômage est financé sur la base des recettes de la sécurité sociale32, il n’existe aucun lien entre le financement du système et la responsabilité patronale quant à la décision de licencier33. Par conséquent, une proposition serait de remplacer l’essentiel des indemnités de préavis par une contribution de licenciement qui serait affectée, d’une part, à une amélioration de la couverture de l’assurance chômage et, d’autre part, à une activation plus intensive sur le marché du travail. Une indemnité de départ (pour couvrir le coût psychologique du licenciement) serait néanmoins due au travailleur, mais elle serait modeste.
Le niveau de responsabilité de l’employeur serait unique (peu importe le type de contrat) et la contribution de licenciement serait calculée en fonction du salaire et de l’ancienneté (éventuellement aussi sur la base de la durée moyenne de chômage d’un travailleur licencié).
Une flexicurité « belge » serait donc assurée par un revenu de remplacement plus élevé (mais qui serait dégressif) moyennant une responsabilisation accrue du demandeur d’emploi via un financement supplémentaire des services régionaux de l’emploi.
Une telle proposition revient à ce que les travailleurs financent eux-mêmes, de manière collective, le relèvement de leurs allocations de chômage et leur « activation » sur le marché du travail.
L’idée d’une « solidarisation » des indemnités de préavis pour améliorer (en partie) la couverture chômage (de tous) signifie que l’on demanderait (encore) un effort de solidarité supplémentaire aux travailleurs qui ont droit à des indemnités élevées alors que notre assurance chômage est déjà sur la pente
31 La flexicurité en Belgique. Une proposition basée sur des principes économiques, B. Cokx et B. Van der Linden dans Regards Economiques (publication des économistes de l’UCL - IRES), septembre 2009 - Numéro 73.
32 Depuis 1995, toutes les recettes de la sécurité sociale (cotisations patronales et personnelles, subvention de l’Etat, financement alternatif …) entrent dans un pot commun et sont affectées en fonction des besoins de chaque secteur (gestion financière globale).
33 « Cela n’incite en rien les employeurs à internaliser les coûts que leurs décisions de licenciement imposent à la société » - La flexicurité en Belgique. Une proposition basée sur des principes économiques (p. 6), op.cit.
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glissante de l’assistance sociale. Le risque avec un tel système est d’opposer les travailleurs entre eux et de provoquer la désaffection d’une partie de la population vis-à-vis de notre assurance sociale. Les travailleurs qui ont « une carrière » ne manqueront pas de revendiquer - comme alternative - l’instauration de comptes d’épargne individuels (comme cela existe en Autriche).
L’argument selon lequel les services régionaux ont des budgets limités pour des objectifs maximisés en termes d’accompagnement et de placement ne justifie absolument pas que l’on impute une augmentation des moyens sur les droits des travailleurs. Quelle est d’ailleurs la garantie d’efficacité de cette allocation et quels sont les droits que le chômeur (surtout âgé) pourrait faire valoir en contrepartie de ce qu’il a cédé ? Un autre argument - pour le moins paternaliste - est de dire que « le travailleur sous-estime le bénéfice social de son retour à l’emploi »34 de sorte qu’il ne saurait être question de lui laisser le choix de l’allocation des moyens. Autrement dit, on présuppose que le demandeur d’emploi a un « déficit de responsabilité » vis-à-vis de la société ou encore qu’une allocation de chômage trop généreuse a un effet désincitatif quant au retour à l’emploi.
7.2. La flexicurité selon le gouvernement MR N-VA
Le gouvernement fédéral actuel a une conception de la flexicurité qui penche naturellement vers une hiérarchisation des deux piliers de la définition, la flexibilité pesant de tout son poids puisqu’elle est le fil conducteur de la politique en matière d’emploi.
Le retour à ce qui n’est rien d’autre qu’une dérégulation du marché du travail vide le concept de flexicurité - déjà précaire à la base - de tout son sens.
Le déséquilibre entre flexibilité et sécurité se reflète dans les nombreuses mesures restrictives à l’encontre des chômeurs (jeunes et âgés), des bénéficiaires de l’allocation de garantie de revenu, des prépensionnés, du crédit-temps, dans la notion de « l’emploi convenable », dans les flexi-jobs35, dans la suppression du mécanisme de responsabilisation/sanction des employeurs en cas de déficience dans les efforts de formation36 ou encore dans les projets de « modernisation » du marché du travail (annualisation du temps de travail, réforme de la réglementation du temps partiel, intérim à durée indéterminée, etc.).
Concernant plus particulièrement le travail à temps partiel, la politique suivie par le gouvernement des droites est édifiante : elle couple une diminution de moitié de l’allocation de garantie de revenus (à partir de 2017) - allocation
34 La flexicurité en Belgique. Une proposition basée sur des principes économiques (p. 4 et 9), op.cit.
35 Les flexi-jobs, une inepsie sociale et économique, Olivier Body et Florence Lepoivre, Etat de la Question (IEV), avril 2015.
36 Les fameux 1,9% de la masse salariale.
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qui n’est d’ailleurs accessible qu’à une très forte minorité des travailleurs à temps partiels (surtout des travailleuses) - avec des mesures de flexibilité extrême sur les horaires variables (suppression du délai minimum légal de 5 jours ouvrables pour la connaissance des horaires, restrictions dans le sursalaire pour les heures complémentaires, etc.). Sous la pression syndicale, ces dernières mesures ont été globalement aménagées et partiellement abandonnées par rapport à la version initiale des fonctionnaires du gouvernement MR N-VA. Du moins, si on en croit la note de politique générale 2017 du Ministre Kris Peeters37. Il n’empêche que le « ton » a été donné dès le départ de la formation du gouvernement MR N-VA par rapport à notre modèle de concertation sociale. La pression est constante et elle fait apparaître une volonté de plus en plus nette de délier les mesures politiques de la marge de manœuvre des partenaires sociaux.
Le 24 novembre 2015, le Ministre de l’Emploi, Kris Peeters, faisait part à La Libre Belgique de sa séduction pour le modèle danois tout en étant conscient des limites de sa portabilité, mais en mettant en exergue l’emploi des travailleurs âgés. La question ne devrait plus être « combien d’années avant la pension ? » mais « combien de temps encore je peux travailler ? »38. Si la question n’est pas dénuée de sens, les mesures prises par le gouvernement démontrent que la priorité n’est pas la capacité ou la possibilité de continuer à travailler mais bien la contrainte sous peine d’être pénalisé d’une manière ou d’une autre.
La suppression du bonus pension est l’exemple type d’une pensée qui nie la réalité du marché du travail des aînés. N’est-t-elle pas l’antichambre d’une suppression de l’âge légal de la pension au profit d’un droit qui serait désormais calculé uniquement sur base d’une carrière jugée « suffisante » ?
On remarquera que l’accord de gouvernement MR N-VA mentionne que « les travailleurs dont le préavis a été notifié, doivent s’inscrire dans le mois suivant le début du préavis comme demandeur d’emploi. Cette inscription est une condition pour pouvoir bénéficier des allocations de chômage. »
La note de politique générale 2017 du Ministre de l’Emploi nous éclaire un peu plus sur cet aspect.
Elle insiste sur le fait que les transitions (entre des périodes d’emploi et des périodes d’inactivité) seront la clé pour un emploi durable des travailleurs. Dans cette optique, « la capacité de faire une transition d’une bonne manière est (…) plus importante que la période d’emploi ou d’inactivité en soi. Il est donc important de renforcer le dynamisme des individus » Aussi, le Ministre
37 Note de politique générale Emploi, Doc. 54 2111/O18, pages 9 et 10.
38 La « suédoise » est tentée par la flexicurité « danoise » (L. Gérard). www.lalibre.be/.../la...flexicurite-danoise-5654b57d3570ca6ff927000f
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entend construire « une politique de transition-licenciement cohérente et constructive (…) »39.
A ce stade, on ignore les modalités concrètes de cette exigence de « dynamisme » mais la portée symbolique est déjà annoncée puisque l’on assiste à un changement de sémantique : on ne parle plus d’une « indemnité de licenciement » mais bien d’une « indemnité de transition »40. On devine donc une sorte d’activation du comportement de recherche d’emploi pendant la période de préavis (un système similaire à celui des jeunes en stage d’insertion).
Pour terminer, le gouvernement MR N-VA a récemment introduit le concept de « contrat » au revenu d’intégration. Le projet individualisé d’intégration sociale a une portée autre (ou parfois plus large) que celle du travail, mais l’objectif - selon l’exposé des motifs de la loi - est de miser sur « la capacité de l’usager à résoudre ses problèmes », de « franchir des étapes pour que le bénéficiaire du CPAS devienne graduellement plus indépendant et puisse participer pleinement à la société »41.
Cette contractualisation suggère une approche de ce que les anglo-saxons appellent parfois empowerment, soit un processus qui entend replacer les individus aux commandes de leur propre devenir. Aussi noble que soit l’objectif - théorique -, le grand danger est de lier par un « contrat » des personnes jugées facilement « incapables de se comporter normalement en société » sans une contrainte légale et individuelle. En d’autres termes, on en revient à ce que le droit à la dignité humaine doit se « mériter » via un contrôle social du bénéficiaire de l’aide sociale. Ceci met en évidence que la contractualisation - avec ce qu’elle devrait impliquer en termes de négociations - peut devenir une manière redoutable de mettre en évidence ce que certains qualifient de « handicap social » et de tenter d’y remédier par le « bâton ».
8. Conclusion
Les effets de la crise sur l’emploi ont clairement démontré le caractère non soutenable de la flexicurité, au moins dans les usages qui en ont été faites par la plupart des pays européens.
Le Danemark a peut-être été une exception mais la crise a néanmoins révélé les limites de son modèle.
39 Doc. Chambre 54 2111/018, op.cit., pages 20 et 21.
40 En page 20 de la note de politique générale 2017, op.cit.
41 Exposé des motifs du projet de loi modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, Doc. 54 1864/001, pages 4 et 5.
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Profitant d’un concept dont l’ambiguïté permettait toutes les manipulations - mais n’était-ce pas en définitive l’objectif (non avoué) ? -, les réformes des marchés du travail ont privilégié l’affaiblissement du lien contractuel et les politiques d’activation axées sur le work first
De cette manière, des priorités politiques ont contrecarré les bonnes transitions professionnelles, c’est-à-dire celles qui sont ancrées dans une certaine durée pour apporter une réelle plus-value au marché du travail tout en garantissant au travailleur un niveau de sécurité acceptable. Les politiques d’activation - des dépenses comme des personnes - apparaissent souvent en contradiction avec de véritables politiques actives qui, elles, supposent une conception large et à long terme de ce qu’on appelle « l’employabilité ».
Doit-on espérer qu’une réelle sécurité viendra un jour rééquilibrer un concept que les usages ont largement instrumentalisé (voire dénaturé) ou doit-on admettre que c’est une autre stratégie qui s’impose, une stratégie qui investit dans la confiance, dans les capacités et dans la qualité plutôt que dans les performances économiques à court terme ?
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