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LA FLEXICURITÉ À L’ÉPREUVE DU TEMPS

Etat De La Question Decembre 2016

1. Introduction...................................................................................................

2. Qu’est-ce que la flexicurité ?

3. Les principes communs de flexicurité au niveau européen......................

4. La flexicurité dans quelques pays avant la crise

4.1. Pays-Bas

4.2. Danemark..............................................................................................

4.3. Allemagne.............................................................................................

4.4. Grande-Bretagne

5. Existe-t-il une flexicurité en Belgique ?

6. Les conséquences de la crise financière et bancaire de 2008....................

6.1. Généralités

6.2. La réponse de la Belgique

7. Perspectives pour la flexicurité en Belgique

7.1.

7.2.

1. Introduction

La notion de flexicurité du marché du travail est née dans les années 90.

Elle a d’abord été développée au sein du marché du travail néerlandais et dans les pays scandinaves. Devenue un concept clé au niveau européen, elle s’imposera - avec des versions parfois très différentes - dans la plupart des pays de l’Union européenne.

Dans cette analyse, nous tenterons tout d’abord de cerner ce concept dont les principes définis tant bien que mal par l’Union européenne (UE), en 2007, cachent mal des contradictions internes qui vont d’ailleurs influencer et guider les Etats membres dans l’élaboration de leur réforme du marché du travail.

Nous examinerons brièvement les spécificités propres à certains pays dans leur contexte historique (Pays-Bas, Danemark, Grande-Bretagne) pour nous interroger sur l’existence (ou non) d’une flexicurité en Belgique. Ensuite, les conséquences socio-économiques de la crise financière et bancaire de 2008 ont révélé au grand jour les limites de la flexicurité dans la plupart des pays européens et nous verrons pourquoi la Belgique a mieux résisté à la crise que d’autres pays.

Enfin, une proposition formulée par les économistes de l’UCL fera l’objet d’une analyse très critique quant aux conséquences qu’elle impliquerait pour les travailleurs licenciés. En outre, nous verrons que l’équilibre entre flexibilité et sécurité - déjà précaire - a été totalement rompu par le gouvernement MR N-VA qui a choisi la voie de la dérégulation.

2. Qu’est-ce que la flexicurité ?

La flexicurité (contraction de flexibilité et de sécurité) est une approche intégrée qui ambitionne de dépasser l’opposition traditionnelle entre flexibilité (pour les employeurs) et sécurité (pour les travailleurs), en les associant étroitement afin que leurs différentes composantes (transition professionnelle, règles de licenciements, protection sociale, etc.)1 se renforcent l’une l’autre. L’objectif est d’améliorer le fonctionnement et les performances du marché du travail mais aussi de lutter contre la précarité engendrée par le binôme « flexibilité et dérégulation du marché du travail » qui s’était imposé

Dans Les Ann Es 802

Sur base de données précises concernant les créations et destructions d’emplois3, la flexicurité vise théoriquement à moins protéger l’emploi que la personne du travailleur. Cette protection dans les transitions n’est évidemment pas sans contrepartie. C’est la raison pour laquelle on parle parfois de « sécurité dans l’employabilité » (on vise à aider les individus « à s’aider eux-mêmes » sur le marché du travail) et même aussi de « sécurité dans l’emploi » (qui serait une alternative à la sécurité de l’emploi).

La flexicurité n’est pourtant pas un modèle spécifique du marché du travail. Elle propose une approche globale dans laquelle de nombreux modèles différents peuvent, en principe, s’intégrer. Il s’agit donc d’une logique qui permet de tenir compte des spécificités propres au marché du travail du pays « adhérent » mais aussi - et surtout - de la sensibilité politique du ou des partis au pouvoir. Ainsi, par exemple, la flexicurité allemande est à l’opposé de la flexibilité des pays scandinaves. Elle a donné la priorité à la pleine utilisation des ressources humaines mais dans le cadre, surtout, d’une flexibilité interne et fonctionnelle. La protection de l’emploi a été négociée en échange d’un investissement dans le développement « en continu » des connaissances et des compétences des travailleurs dans leur branche d’activité.

3. Les principes communs de flexicurité au niveau européen

Les notions de flexibilité et de sécurité avaient déjà été promues par la stratégie de Lisbonne en mars 2000. Elles donneront naissance à la « flexicurité » qui deviendra un enjeu majeur pour la Commission européenne.

Dans sa communication de juin 2007, la Commission appréhendait la flexicurité comme « une stratégie intégrée visant à améliorer simultanément la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail » s’articulant autour de la souplesse et de la sécurisation des dispositions contractuelles, des politiques actives du marché du travail, des stratégies globales d’apprentissage tout au long de la vie et des systèmes de protection sociale modernes. Ainsi, elle a défini huit grands principes communs de flexicurité qui seront adoptés par le Conseil en décembre 2007 sur base d’un rapport du Comité de la protection sociale.

2 A la fin des années 70, sur le plan international, on assiste à une attaque en règle contre les politiques keynésiennes et contre les principes de l’économie mixte. Les discours plaident résolument en faveur de mesures de flexibilité et de dérégulation. L’alignement idéologique sur le « consensus de Washington » est en quelque sorte une inversion des rapports entre le politique et l’économique : les difficultés à vaincre les effets de la crise font que le politique abandonne au marché le soin de sélectionner des stratégies de « sortie de crise » dont le commun dénominateur sera la remise en cause du partage des fruits de la croissance. La Belgique n’échappera pas à ce courant international avec les deux gouvernements Martens-Gol (1982-1987).

3 Notamment la « loi des 15% » - Le chômage, fatalité ou nécessité ? Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion, 2005. C’est fin des années 80 que les économistes commencent à disposer de données précises sur les créations et destructions d’emploias.

Les travaux préalables aux huit grands principes avaient mis en évidence l’impossibilité de fixer une seule et même voie même si tous les pays européens sont confrontés au même défi, celui d’une économie mondialisée qui appelle à une réforme des marchés du travail. C’est la raison pour laquelle les huit principes de la Commission sont suffisamment vagues pour que les politiques nationales puissent toutes s’y retrouver en termes d’équilibre ou de déséquilibre entre flexibilité et sécurité. Un des principes mentionne d’ailleurs explicitement que la flexicurité doit être adaptée aux situations, aux marchés du travail et aux relations industrielles propres à chaque Etat membre. Si on comprend la nécessité de respecter les configurations économiques et institutionnelles propres aux Etats membres de l’UE, on comprend aussi que les termes « aux situations » ouvrent largement la porte à l’instrumentalisation politique du concept. En d’autres termes, le projet commun de flexicurité européenne laisse aux gouvernements nationaux la responsabilité d’en tirer les conséquences politiques concrètes.

L’ambiguïté de la phraséologie européenne laisse parfois la place à de véritables contradictions. A deux reprises, la communication de la Commission cite la nécessité d’une souplesse pour licencier. Pourtant, elle dispose aussi que la flexicurité implique la sécurisation des dispositions contractuelles et, en outre, que les personnes sans emploi - parmi lesquelles les femmes, les jeunes et les migrants qui constituent le plus grand nombre - ont besoin d’un emploi stable. Par ailleurs, l’employabilité est dépendante de stratégies globales d’apprentissage et d’amélioration des compétences tout au long de la vie. En particulier, les travailleurs en place doivent être préparés aux transitions entre les emplois. Or, c’est la stabilité - et donc une certaine ancienneté - de l’emploi qui constitue le meilleur tremplin vers l’employabilité si, du moins, l’organisation du travail s’inscrit dans une perspective dynamique qui intègre (notamment) des formations réellement qualifiantes. On ne sécurise pas des parcours professionnels en fragilisant les délais de préavis et en multipliant les contrats atypiques et temporaires, surtout pour les peu qualifiés. De surcroît, la Commission estime que la sécurité « transitionnelle » implique une protection sociale forte alors qu’elle met en garde sur les coûts budgétaires et sur la nécessité de mener une politique « saine et financièrement viable » à laquelle « les politiques effectives de flexicurité peuvent contribuer ».

Dans leur analyse conjointe du marché du travail, les partenaires sociaux européens reconnaissent la nécessité s’adopter des mesures qui concernent la flexibilité et la sécurité tant pour les travailleurs que pour les employeurs. Même s’ils mettent en avant une situation de « win-win » pour tous, la manière d’atteindre l’objectif reste une abstraction dans la mesure où les divergences sont très fortes quant à l’équilibre entre flexibilité et sécurité. Ainsi, pour la Confédération européenne des syndicats4, le contrat à durée indéterminée reste la règle absolue et, par conséquent, la sécurité dans l’emploi est accessoire ou complémentaire à la sécurité de l’emploi. Les politiques d’activation doivent s’accompagner d’un degré élevé de protection sociale et la création d’emplois n’est pas la priorité absolue si, dans le même temps, on ne se préoccupe pas de la qualité de l’emploi.

Malgré la crise, la flexicurité est restée un élément central des lignes directrices européennes pour l’emploi. Pourtant, sous la présidence de la Suède (second semestre de 2009), un avis du Comité économique et social européen5 soulignait les aspects négatifs d’une flexicurité conçue trop souvent comme un instrument pour faciliter les licenciements et les emplois précaires. Le rapport estimait que les priorités devaient être la sécurité des travailleurs (via notamment la protection des chômeurs) et la promotion des diverses formes de flexibilité interne.

La mise en œuvre de politiques intégrées en matière de flexicurité (modernisation des marchés du travail) doit participer à la réalisation de l’objectif fixé par la stratégie Europe 20206 d’un taux d’emploi de 75%. L’accent est désormais plus « lissé »7 et insiste sur le soutien aux transitions professionnelles, sur l’acquisition de compétences appropriées (dont « des compétences nouvelles pour des emplois nouveaux »), mais aussi sur la qualité des emplois et les missions (les obligations) des services publics en la matière.

La stratégie Europe 2020 accorde une attention particulière aux jeunes (« Jeunesse en mouvement »). Pourquoi ? En 2014, le taux de chômage des moins de 25 ans dans l’Union européenne atteignait presque 22% (plus de 23% dans la zone euro). C’est plus du double de celui des adultes. En outre, un phénomène observé - très inquiétant - est le couplage « sans emploi » et « sans activité » (études, formation).

5 Avis du 1er octobre 2009 (« Comment utiliser la flexicurité en matière de restructuration, dans le contexte du développement mondial »).

6 Europe 2020 est le nom de la nouvelle stratégie de croissance de l’Union européenne, qui énonce cinq objectifs ambitieux à atteindre d’ici 2020 en matière d’emploi, d’innovation, d’éducation, d’inclusion sociale et d’énergie (ainsi que de lutte contre le changement climatique). Voir la communication de la Commission européenne du 3 mars 2010, Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive. La stratégie a été débattue lors du Conseil européen des 25 et 26 mars 2010 et adoptée le 17 juin 2010. Les décisions plus ciblées en matière d’emploi ont été décidées le 21 octobre 2010.

7 La prudence dans ce que signifie la notion de « flexicurité » tient aux enseignements des conséquences socioéconomiques de la crise financière et bancaire.

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