La tarification solidaire dans les transports publics

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IEV Editeur responsable : Gilles Doutrelepont- 13 Bd de l’Empereur - 1000 Bruxelles ETAT DE LA QUESTION DECEMBRE 2016 LA TARIFICATION SOLIDAIRE DANS LES TRANSPORTS PUBLICS : UN MOYEN D’AMÉLIORER L’ACCÈS AUX TEC POUR TOUS ? ALEXANDRE MAHIEU

1. Introduction...................................................................................................

1.1. La politique tarifaire du Groupe TEC

1.2. Grille tarifaire en vigueur

2. Qu’est-ce qu’une tarification socialement juste ?......................................

2.1. L’exemple de la tarification solidaire à Grenoble..............................

2.2. Refonder la tarification sociale sur la base du revenu

2.3. Les effets de cette nouvelle tarification

2.4. Conclusion de l’expérience grenobloise

2.5. Quelle efficacité pour la tarification sociale en Wallonie ?.............

3. Comment financer la tarification solidaire

4. Conclusion

5. Bibliographie

................................................................................................. 4 4 5 7 8 9 9 10 11 12 14 15

1. Introduction

La mobilité est un droit fondamental, au même titre que la santé ou l’éducation. C’est pourquoi les pouvoirs publics exigent des TEC (transports en commun) en Wallonie une accessibilité sociale forte, ce qui est naturellement indispensable étant donné que la mobilité est un facteur de ségrégation puissant. Ne pas pouvoir se déplacer, c’est être confiné géographiquement, c’est être assigné territorialement à son quartier. Or, l’assignation territoriale implique toujours le renforcement de la précarité1

Dans cette optique, la priorité est de maitriser l’évolution des prix des transports publics afin d’en garantir l’accessibilité sociale2

C’est ainsi que toute évolution du prix des titres de transports est largement encadrée et est sujette à toutes les précautions d’usage, ce qui se traduit par des tarifs relativement bas ainsi qu’une hausse maitrisée.

Les autorités ont également mis en place des compensations sociales sous forme de réductions préférentielles et de gratuités. Celles-ci sont destinées aux jeunes, aux seniors, aux familles nombreuses et aux personnes bénéficiant du statut BIM/OMNIO.

Dans le cadre de cet « État de la question », nous allons nous interroger sur la pertinence et l’efficacité de ces compensations sociales. Sont-elles toujours justifiées ? Permettent-elles toujours d’atteindre le public cible et d’en améliorer la mobilité ? N’entrainent-elles pas un certain effet d’aubaine ?

1.1. La politique tarifaire du groupe TEC

La politique tarifaire du groupe TEC est déterminée par l’autorité organisatrice à savoir la Région wallonne. Cette politique tarifaire est contractualisée dans le cadre du contrat de service public conclu entre le groupe TEC et la Région. Les tarifs sont modifiés annuellement et ne peuvent pas, en théorie, dépasser l’évolution du taux d’inflation. Dans le cas contraire, une concertation préalable doit avoir lieu entre les TEC et la Région.

En pratique, ce sont donc les TEC qui définissent la grille tarifaire – en ce compris les réductions sociales –, sous couvert du contrat de service public,

1 Concernant la dimension sociale de la mobilité et les facteurs influençant la mobilité quotidienne : Alexandre Mahieu, Céline Brandeleer : « Zoom sur la dimension sociale et la participation citoyenne dans les politiques de mobilité » in : Mobilité durable : enjeux et pratiques en Europe, Les Cahiers de la Solidarité, n°21, Pour la Solidarité, 2009, pp. 37-58

2 Notons que le prix n’est bien sûr pas le seul facteur déterminant en matière d’accessibilité des transports ; on peut y ajouter l’obligation de maitriser les objets de la mobilité (utilisation des automates etc.), la capacité à se déplacer physiquement, la cognition de l’espace (savoir lire, savoir se repérer sur un plan etc.) ou encore les compétences sociales (savoir maitriser les codes et les usages spécifiques à chaque territoires).

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qui est ensuite avalisée par le Gouvernement wallon.

En complément des recettes de trafic, le groupe TEC perçoit des dotations publiques de la Région afin de financer l’exécution de ses obligations de service public définies comme étant :

- les services de transport régulier ;

- le transport scolaire ;

- le transport de personnes à mobilité réduite ;

- le transport alternatif ;

- le management de la mobilité.

La charge financière induite par l’octroi de tarifs préférentiels ou de gratuités à certaines catégories de la population est couverte par le budget régional.

La compensation versée par les autorités publiques est censée couvrir le déficit d’exploitation à savoir la différence entre le coût réel d’exploitation et le prix effectivement payé par l’usager.

1.2. Grille tarifaire en vigueur

A la fin de l’année 2012, le groupe TEC a procédé à un remaniement en profondeur de sa grille tarifaire. L’objectif poursuivi était d’arriver à des tarifs :

- plus cohérents : la nouvelle gamme tarifaire s’applique dorénavant à tout le réseau TEC en Wallonie aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural ;

-plus lisibles : le nombre de titres est considérablement réduit (occasionnel avec le ticket, fréquent avec la carte, quotidien avec l’abonnement) ;

- plus simples : trois niveaux de prix sont à présent proposés en fonction de la distance de déplacement (Next valable pour une ou deux zones, Horizon valable sur l’ensemble du réseau hors lignes express, Horizon + qui inclut les lignes express).

La nouvelle gamme tarifaire a également engendré des modifications concernant les tarifs préférentiels :

La tarification solidaire dans les transports publics : un moyen d’améliorer l’accès aux TEC pour tous ? 5

- l’abonnement 65+ est désormais payant : un montant de 36 euros est ainsi demandé. La gratuité est cependant maintenue pour les personnes âgées sous statut BIM/OMNIO3 ;

- un prix réduit est désormais directement proposé à tous les abonnés de 12 à 24 ans, en lieu et place de l’abonnement scolaire ;

- la gratuité pour les enfants de moins de 12 ans.

Les autres catégories de personnes qui bénéficient de tarifs réduits sont celles qui ont le statut « familles nombreuses » ou « BIM ». Une réduction de plus ou moins 30% est octroyée aux bénéficiaires du statut BIM uniquement pour les cartes Multi 8 et Multiflex. Les familles nombreuses peuvent, quant à elles, bénéficier d’une réduction de 20% sur le prix des abonnements mensuels et annuels4.

Le principe de la tarification en vigueur au sein du groupe TEC se caractérise donc par une différenciation en fonction de la fréquence d’utilisation (occasionnelle, régulière, intensive), du profil de l’usager (âge, statut social, etc.) et de la distance (nombre de zones parcourues).

Indépendamment du niveau des tarifs, nous pouvons tirer le constat suivant : la politique de tarification préférentielle est essentiellement basée sur le statut et peu sur le revenu. De plus, une grande partie de ces réductions est accordée en fonction du critère « âge » en ciblant les enfants de moins de 12 ans (gratuité), les jeunes de moins de 25 ans (réduction de 50%) ainsi que les séniors (abonnement annuel à 36 euros).

Apparaissent donc certaines inégalités du fait que les réductions sociales sont en grande majorité accordées indépendamment du niveau de revenus du bénéficiaire.

La politique de tarification sociale proprement dite est largement réduite et ne concerne que les personnes les plus précarisées.

En effet, afin de pouvoir bénéficier de l’intervention majorée, le candidat soit est bénéficiaire du revenu d’intégration sociale ou de la GRAPA5, soit est bénéficiaire de l’ancien statut VIPO6, soit ne dépasse pas un plafond de revenu

3 BIM : bénéficiaire de l’intervention majorée. Notons que l’octroi de ce statut n’est pas automatique et nécessite une démarche de la part du bénéficiaire potentiel

4 www.infotec.be

/Portals/0/PDF/Titres%20et%20tarifs/Grille_tarifaire_2014.pdf

5 GRAPA : Garantie de revenus aux personnes âgées

6 VIPO : Veuves, Invalides, Pensionnés et Orphelins

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annuel fixé à 17.649,88 euros bruts pour une personne isolée7

L’octroi de ces avantages selon le statut plutôt que les revenus peut constituer une injustice vis-à-vis des personnes à bas revenus qui ne possèdent pas le statut en question puisqu’une part non négligeable de travailleurs à faibles revenus n’ont accès à aucune aide en matière de transport.

À cette restriction de taille, s’ajoute le constat que ces personnes précarisées n’ont accès qu’aux cartes et pas aux abonnements, ce qui entrave clairement leur mobilité quotidienne et renforce d’autant plus l’assignation territoriale à laquelle elles sont confrontées.

La question qui se pose alors est la suivante : peut-on affirmer que la tarification pratiquée par le groupe TEC est socialement juste ?

2. Qu ’est-ce qu ’une tarification socialement juste ?

Est-il légitime qu’un ancien directeur général d’une grande entreprise ayant une pension confortable puisse bénéficier d’un abonnement annuel pour la modique somme de 36 euros ?

De même, la réduction linéaire de 50% du prix des abonnements pour tous les jeunes de moins de 25 ans est-elle socialement juste ?

Est-il également légitime qu’une mère célibataire, disposant d’un revenu à peine supérieur au revenu minimal et n’ayant que le bus comme seul et unique moyen de transport, ne puisse pas bénéficier d’une réduction tarifaire sur son abonnement ?

Comme nous pouvons le constater, ce sont les jeunes et les séniors qui se taillent la part du lion en matière de réductions préférentielles.

Dans le cadre du développement d’une politique de mobilité durable, les autorités publiques ont fait le choix de cibler plus particulièrement les jeunes qui sont à la fois des usagers captifs mais également, voire surtout, de futurs usagers potentiels une fois entrés dans la vie active.

De ce point de vue, les efforts consentis ne semblent pas porter leurs fruits. En effet, de l’aveu même des dirigeants de la Société régionale wallonne du transport (SRWT), 80% des usagers sont des usagers scolaires. Une fois adulte, la plupart d’entre eux adopte la voiture comme moyen de transport

7 http://www.solidaris.be/bw/remboursements-et-avantages/se-soigner-moins-cher/aides-financieres/tarif-preferentiel-bim/pages/tarif-preferentiel-bim.aspx?choixregion=true

Ce plafond se monte à ± 20.000 euros brut/an soit ± 1.448 euros net/mois pour une femme isolée avec un enfant.

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principal8. De même, 75% des abonnements sont des abonnements 12-24 ans. Enfin, 27,5% des jeunes wallons ont un abonnement TEC9.

Concernant les séniors, l’objectif est de leur permettre de maintenir une mobilité relativement aisée et ainsi d’éviter un éventuel isolement géographique qui se transformerait inévitablement en isolement social.

Ces deux objectifs sont bien évidemment légitimes. Néanmoins, dans un contexte de raréfaction des ressources financières disponibles, nous devons envisager l’efficacité éventuelle de ces mesures à l’aune de critères sociaux.

Comment alors définir une tarification socialement juste ?

Nous pourrions la définir comme étant une tarification qui est adaptée aux attentes et aux caractéristiques des usagers. Une tarification socialement juste serait donc une tarification qui tienne compte des revenus réels des usagers et qui serait basée non plus sur le principe de l’égalité mais bien sur celui de l’équité. Elle suppose une certaine forme de personnalisation.

Engager cette réflexion permettrait de pouvoir travailler sur un ciblage plus fin de la tarification sociale qui serait ainsi étendue à l’ensemble des personnes ayant de faibles ressources mais n’émargeant pas nécessairement au statut BIM.

2.1. L’exemple de la tarification solidaire à Grenoble

En septembre 2009, l’agglomération grenobloise a mis en place une tarification solidaire basée sur le quotient familial10 à l’instar de l’expérience menée à Dunkerque.

Celle-ci est née d’un constat : la tarification sociale construite au fil des ans ne permettait plus de garantir l’accès aux transports publics de l’ensemble des personnes disposant de faibles ressources. C’était particulièrement le cas des travailleurs pauvres qui se trouvaient, dans de nombreux cas, exclus des dispositifs. Cette correction sociale a donc été concrétisée par la mise en place d’une tarification sur base du revenu et non plus du statut11

8 Stéphane Thiéry, « Les mesures proposées par les opérateurs en matière de B2B », Directeur du marketing et porte-parole du Groupe TEC, Qu’attendent les entreprises en termes d’accessibilité ? Les transports collectifs en question, Colloque annuel de la cellule mobilité de l’UWE, 19 septembre 2014

9 Rapport annuel SRWT 2013

10 Le quotient familial est calculé à partir des données fiscales transmises chaque année par les services fiscaux à la CAF - Caisse d’allocation familiale. Pour un ménage, il correspond au douzième des revenus, y compris les prestations familiales, rapporté au nombre de parts. Le nombre de parts du ménage est égal à deux pour une personne seule ou deux personnes, les enfants sont pris en compte à hauteur d’une demi-part.

11 A. Delarue, Tarification solidaire du réseau de transports urbains de l’agglomération grenobloise, présentation Séminaire tarification sociale, CERTU, 13 décembre 2011

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2.2. Refonder la tarification sociale sur la base du revenu

La tarification sociale basée sur le statut, en vigueur auparavant, permettait: - aux bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) – qui a été remplacé par le revenu de solidarité active (RSA) en 2009 –, demandeurs d’emploi dont les revenus sont inférieurs au salaire minimum net (Smic ou salaire minimum interprofessionnel de croissance) et demandeurs d’asile, de bénéficier d’un chèque transport leur permettant d’acquérir un abonnement mensuel libre circulation pour un prix de 2 euros par mois ;

- aux personnes de plus de 65 ans de bénéficier d’une carte émeraude leur permettant de circuler gratuitement sur le réseau aux heures creuses.

Après une étude préalable et après concertation avec les usagers, l’autorité organisatrice a décidé de mettre en place une tarification basée sur le quotient familial.

Le quotient familial permet de prendre en compte l’ensemble des ressources du ménage, ainsi que toutes les personnes à charge.

Une fois la grille tarifaire mise en place, l’autorité organisatrice a mené une concertation avec les associations et les syndicats représentant les différentes catégories d’usagers afin d’étudier, notamment, les éventuels effets de seuil et d’y apporter des améliorations.

Le dispositif mis en place comporte quatre niveaux de réduction correspondant chacune à une tranche du quotient familial : -95%; -80%; -70% et -60%. Ainsi, l’abonnement mensuel pour un ménage se retrouvant dans la tranche la plus basse du quotient familial coûte 2,20 euros au lieu de 43,60 euros en tarif plein12

Par ailleurs, des abonnements préférentiels ont été maintenus pour les moins de 25 ans et les séniors. Abonnements dont le prix varie également en fonction des revenus.

2.3. Les effets de cette nouvelle tarification

Après deux ans d’application, la part des abonnements solidaires représentaient 22% des 82.000 abonnements du réseau grenoblois. Parmi ces abonnements solidaires, deux tiers sont des titres correspondant à 95% de réduction par rapport à l’abonnement plein tarif.

12 À noter que les abonnements au tarif plein ont légèrement augmentés lors de la mise en place de la tarification solidaire.

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L’attractivité des titres est très forte. Environ 40% des bénéficiaires potentiellement éligibles pour les deux premières tranches de réduction (offrant 95% et 80% de réduction sur les abonnements mensuels), soit ceux dont le revenu est inférieur à 1.000 euros brut par mois pour une personne isolée, ont pris un abonnement.

La tendance est à la baisse au fur et à mesure de l’augmentation des tarifs pour atteindre 5% des bénéficiaires potentiels des troisième et quatrième tranches de réduction (70% et 60% de réduction), ce qui correspond aux personnes qui bénéficient de revenus de moins de 1.260 euros brut/mois pour une personne isolée.

Il y a donc une forte influence du niveau de prix sur l’attractivité du titre.

Fait remarquable, près de 60% des personnes qui bénéficient de la tarification solidaire ne profitaient d’aucune réduction auparavant.

Le dispositif a également facilité l’accès aux transports publics pour un certain nombre de personnes qui achetaient auparavant des titres de transport à l’unité ou des cartes, ce qui limitait leurs déplacements. Ainsi, 31% des bénéficiaires déclarent se déplacer davantage grâce à la tarification solidaire, ce qui est certainement le cas pour 52% des bénéficiaires d’abonnements solidaires qui voyageaient auparavant avec des titres à l’unité ou des cartes13.

Depuis, de nombreuses agglomérations françaises ont emboité le pas au modèle de Grenoble. C’est le cas de Dijon, Strasbourg ou encore tout récemment Rennes.

2.4. Conclusion de l’expérience grenobloise

Les objectifs politiques poursuivis par l’agglomération grenobloise semblent atteints :

- encourager et faciliter la mobilité des catégories socio-économiques défavorisées ;

- accompagner les évolutions de la société : familles monoparentales, travailleurs précaires, etc. ;

- développer l’équité dans un cadre financier équilibré : les personnes qui paient le moins sont celles qui en ont réellement besoin et cette aide est compensée par les personnes qui paient plus.

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13 A. Delarue, Mettre en place une tarification solidaire : le réseau de transports de l’agglomération grenobloise, in : Ville, Rail &Transports, 25 janvier 2012

Bien sûr, il est toujours délicat d’établir des comparaisons entre pays et donc entre situations différentes. Au-delà des chiffres absolus qui doivent être examinés à l’aune des dispositifs sociaux spécifiques à chaque pays, l’expérience grenobloise permet néanmoins de mettre en lumière des pratiques qui méritent qu’on s’y intéresse et qui pourraient, le cas échéant, être transposées en Belgique et plus particulièrement en Wallonie.

2.5. Quelle efficacité pour la tarification sociale en Wallonie ?

Contrairement à Grenoble ou en Région de Bruxelles-Capitale, les personnes sous statut BIM en Wallonie ne se voient proposer des réductions que sur les cartes et non sur les abonnements.

Outre la faiblesse relative des réductions accordées, nous pouvons nous interroger sur l’efficience de cette mesure au niveau de l’accès à la mobilité des plus précaires qui voient ainsi leur mobilité de facto restreinte.

Cette restriction s’est, par exemple, renforcée d’une façon inattendue lors de la mise en place de la nouvelle grille tarifaire en janvier 2013. En effet, celleci a engendré une augmentation du prix des cartes qui est passé au-dessus du seuil symbolique de 10 euros. Cela s’est traduit par un report substantiel des cartes vers les billets à l’unité.

Ce phénomène est vraisemblablement dû au fait que les personnes financièrement précaires n’ayant pas accès aux réductions ont été contraintes de se rabattre sur les billets, ce qui en définitive engendre soit une diminution globale de leur mobilité, soit un accroissement substantiel du coût général de leur mobilité.

Faute de statistiques précises au niveau de la ventilation des ventes des différents titres de transports en fonction des réductions éventuellement accordées, nous ne pouvons donc qu’émettre des hypothèses.

Sur base d’études menées à l’étranger, nous pouvons supposer que les catégories socio-économiques supérieures peuvent paradoxalement bénéficier d’un montant de dépenses publiques de transport proportionnellement supérieur aux catégories les plus précaires. Ce paradoxe repose sur la constatation que les ménages les plus aisés utilisent prioritairement le train dans le cadre des transports publics – qui coûte plus cher que le bus en termes d’investissement et d’exploitation – mais surtout et avant tout la voiture particulière (ceci s’explique également par le taux de pénétration très important des voitures de société en Belgique).

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De plus, les ménages plus aisés voient bien souvent le coût de leur déplacement domicile-travail en transport public pris en charge par leur employeur.

À l’inverse, si l’on regarde le montant annuel des dépenses par ménage, la part consacrée aux transports publics est supérieure dans les ménages les plus précarisés14

Ce sont donc les personnes qui en ont le plus besoin qui bénéficient paradoxalement d’un retour de financement public proportionnellement moindre comparativement à leurs besoins.

C’est pourquoi, il nous semble impératif de réfléchir à l’instauration d’une tarification solidaire qui permettrait de renforcer les effets redistributifs des dépenses publiques vers les personnes qui en ont le plus besoin.

Élargir le nombre de personnes pouvant potentiellement bénéficier d’une réduction tarifaire et y intégrer les abonnements a bien sûr un coût pour les TEC ; coût qu’il y a lieu de compenser soit par l’augmentation des dotations publiques soit par l’augmentation des recettes commerciales.

Dans le contexte économique et budgétaire que nous connaissons, il est peu probable d’augmenter significativement les dotations. Tout comme il n’est bien sûr pas envisageable de pénaliser les usagers qui doivent payer leur abonnement plein prix. Nous proposons donc de financer la mise en œuvre de la tarification solidaire par l’élargissement de la palette des produits offerts par les TEC permettant ainsi d’attirer une nouvelle clientèle, nous pensons ici particulièrement aux entreprises.

3. Comment financer la tarification solidaire ?

Dans un contexte général où la congestion atteint des niveaux records, avec des projections plus qu’interpellantes en la matière à l’horizon 203015, l’un des objectifs du développement de la mobilité durable est de capter une partie substantielle des automobilistes.

Il faut donc mettre en place des stratégies afin de convaincre les automobilistes d’abandonner leur voiture et de préférer les transports en commun.

Au-delà de l’objectif social fondamental conféré au groupe TEC, celui-ci a également pour mission d’être le moteur de la mobilité durable.

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14 Barbara Sak, Les effets distributifs du transport public en Belgique, D’autres Repères.be, mai 2012. 15 Si actuellement il faut, en moyenne, 1h08 pour faire 50km, il faudra 1h58 en 2030, soit une augmentation de 50 minutes.

Pour ce faire, le groupe TEC mise sur une stratégie à l’horizon 2020 dont les objectifs sont l’amélioration de la lisibilité du réseau, le déploiement de lignes à haut niveau de service (tels que les Rapidos Bus et les Confortos par exemple), la fiabilité du service et l’amélioration de la vitesse commerciale16

La finalisation du métro léger de Charleroi et le déploiement du tram à Liège participent également à la réalisation de ces objectifs.

Cette stratégie visant à accentuer le report modal ne pourra néanmoins pleinement porter ses fruits qu’avec la mise en place d’une politique forte de dissuasion de l’utilisation de la voiture, en mobilisant notamment les outils fiscaux, d’aménagement du territoire, de gestion dynamique du stationnement, de priorité des transports en commun dans le trafic, etc.

Cette politique volontariste en matière de développement qualitatif du réseau génère un accroissement d’une offre à haut niveau de service et a donc un impact sur le niveau des investissements.

Dès lors, il ne serait pas illogique que les entreprises qui bénéficient directement de l’amélioration qualitative du réseau de transport public doivent également en supporter une partie des frais17

L’OCDE, largement relayée par la FEB, estime le coût de la congestion en Belgique à 2% du PIB, soit 8 milliards d’euros annuels. Une participation accrue des entreprises dans le financement des transports publics ne pourrait donc qu’être profitable à l’économie en général, et aux entreprises en particulier.

Il est donc nécessaire de développer des produits spécifiquement dédiés aux entreprises et de proposer des services qui leur sont destinés dans le cadre des plans de déplacement d’entreprise par exemple (qui pourraient se conjuguer à l’échelle des zonings notamment afin de permettre aux PME de bénéficier de la masse critique nécessaire aux solutions de mobilité collectives).

Les TEC proposent depuis un peu plus d’un an une première offre spécifiquement destinée aux entreprises, « Bus’Ness », en partenariat avec des sociétés de leasing. L’objectif est de capter une clientèle professionnelle qui ne représente actuellement que moins de 2% des recettes trafic du groupe.

16 Plan stratégique du Groupe TEC Réseau 2020

17 C’est d’ailleurs la

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logique qui sous-tend au versement transport en France qui est un impôt redevable par les entreprises de plus de 9 salariés pour contribuer au financement des transports en commun. Il est calculé à partir de la masse salariale de l’entreprise concernée.

Bus’Ness propose ainsi de combiner voiture de société et bus en mettant à disposition de l’entreprise une série de cartes bus anonymes pouvant ainsi compléter le package mobilité de ses collaborateurs.18

Il est essentiel que le groupe TEC joue pleinement son rôle d’acteur central de la mobilité durable en devenant un véritable partenaire des entreprises dans le cadre de la mise en place de véritables politiques de déplacement au sein des entreprises et le glissement vers des solutions type « budget mobilité ».

Dans cette optique, les TEC peuvent envisager une augmentation significative de la clientèle d’entreprises, ce qui pourra ainsi permettre de financer la mise en place de la tarification solidaire.

4. Conclusion

Avec cette réflexion, nous avons voulu souligner la relative efficacité des réductions tarifaires actuellement proposées par le groupe TEC. Cellesci pourraient être améliorées et redistribuées de façon plus équitable afin d’atteindre l’ensemble des personnes qui en ont besoin, en ce compris les travailleurs aux revenus modestes qui ne bénéficient pour l’heure d’aucune aide et doivent prendre à leur charge une large part du coût de leurs transports, voire restreindre leur mobilité.

Comme l’exemple de Grenoble nous l’a montré, en élargissant la part des bénéficiaires de réductions tarifaires et en permettant des réductions sur les abonnements, nous pourrions efficacement améliorer la mobilité des personnes ayant de faibles revenus, ce qui permettrait leur meilleure insertion dans le monde professionnel, culturel et social.

Cette amélioration de la redistribution sociale des moyens publics par l’instauration d’une tarification réellement solidaire pourrait être financée par le développement d’offres spécifiquement destinées aux entreprises.

Nous sommes persuadés que cette démarche est pertinente et permettrait de se rapprocher encore un peu plus de notre vision solidaire des transports publics, à savoir des transports de qualité socialement accessibles pour l’ensemble de nos concitoyens en ce compris les plus faibles.

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18 La SNCB propose d’ailleurs le même type de produit : il s’agit du Railease qui permet de son côté l’intégration du train et des transports régionaux.

5. Bibliographie

Monographies

- B. Faivre d’Arcier pour le compte du PREDIT, Prospective pour un financement durable des transports publics urbains, rapport final, 2008

- Nicolas Faucher, Tarification des transports publics : changeons d’approche, Cartes sur Table, des idées pour la gauche, 2012

- Christophe Goethals, Les transports publics en Belgique, Working Paper, CIRIEC n°2010/11

- Alexandre Mahieu, Céline Brandeleer : « Zoom sur la dimension sociale et la participation citoyenne dans les politiques de mobilité » in : Mobilité durable: enjeux et pratiques en Europe, Les Cahiers de la Solidarité, n°21, Pour la Solidarité, 2009

- Delarue, Tarification solidaire du réseau de transports urbains de l’agglomération grenobloise, présentation Séminaire tarification sociale, CERTU, 13 décembre 2011

- Delarue, Mettre en place une tarification solidaire : le réseau de transports de l’agglomération grenobloise, Ville, Rail &Transports, 25 janvier 2012

- Barbara Sak, Les effets distributifs du transport public en Belgique, D’autres Repères.be, mai 2012.

- B. Hertveldt, B. Hoornaert, I. Mayeres, Perspectives à long terme de l’évolution des transports en Belgique: projection de référence, Bureau fédéral du Plan, Planning paper 107, février 2009

- La tarification, un instrument économique pour des transports durables, in : LaRevue du CGDD ; novembre 2009

- Jean-Marie Beauvais, « Savoir ce que coûte la voiture, un préalable pour définir une politique tarifaire », in Optimiser l’exploitation des réseaux de transports en commun, Ville, Rail& transports

- Sophie Votron, Quel est le prix des transports en commun dans les capitales européennes?, Le Soir, 29 octobre 2014

- De Witte, C. Macharis : Faire la navette vers Bruxelles : quelle attractivité pour les transports en commun « gratuits », Brussels Studies, n°37, avril 2010

Documents Groupe TEC

- Contrat de Service Public 2013-2017 entre la Wallonie et le Groupe TEC

- Présentation du suivi des contrats de gestion de mobilité 2006-2010, 2011

- Comptes annuels consolidés, du Groupe TEC 2013

- Budget d’exploitation 2012 du TEC Brabant wallon, 25 janvier 2012

La tarification solidaire dans les transports publics : un moyen d’améliorer l’accès aux TEC pour tous ? 15

- Définition de l’offre du Groupe TEC, juillet 2012

- Plan stratégique du Groupe TEC Réseau 2020

Divers

- Accord de Gouvernement MR/N-VA 2014-2019

- Stéphane Thiéry, « Les mesures proposées par les opérateurs en matière de B2B », Directeur du marketing et porte-parole du Groupe TEC, Qu’attendent les entreprises en termes d’accessibilité ? Les transports collectifs en question, Colloque annuel de la cellule mobilité de l’UWE, 19 septembre 2014

- www.infotec.be/Portals/0/PDF/Titres%20et%20tarifs/Grille_tarifaire_2014. pdf

- http://www.omnimut.be/fr/bim-l-intervention-majoree-nouvelle-est-arrivee.html?IDC=53&IDD=1162

- http://www.luttepauvrete.be/chiffres_minimum.htm

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La tarification solidaire dans les transports publics : un moyen d’améliorer l’accès aux TEC pour tous ? 19

La mobilité est un droit fondamental, au même titre que la santé ou l’éducation. C’est pourquoi, les TEC (transports en commun) en Wallonie accordent une grande attention à l’accessibilité sociale des transports publics. La priorité est de maitriser l’évolution du prix des transports publics et d’offrir des tarifs relativement bas à l’ensemble des citoyens.

Des compensations sociales (réduction préférentielle ou gratuité) ont également été prévues pour aider certains publics cibles. Ces aides sont basées sur l’âge ou sur le statut social des usagers (moins de 25 ans, 65 ans ou plus, familles nombreuses et personnes bénéficiant du statut BIM/OMNIO).

Cet État de la question interroge la pertinence et l’efficacité de ces compensations sociales. En s’appuyant sur l’expérience de tarification solidaire menée à Grenoble – qui tient compte des revenus des usagers –, cette étude cherche à améliorer la mobilité des personnes ayant de faibles revenus et qui ne bénéficient pas actuellement de tarifs préférentiels.

L’objectif est de se rapprocher encore un peu plus d’une vision solidaire des transports publics, à savoir des transports de qualité socialement accessibles pour l’ensemble des citoyens, en ce compris les plus faibles.

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Institut Emile Vandervelde

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La tarification solidaire dans les transports publics by ps-be - Issuu