CUMANANA XLVI-FRA

ÉDITION DE JUIN 2025

NUMÉRO XLVI

Cumanana

BULLE T IN V IRT UE L DE LA CU LTU R E PÉR U VIENNE POU R L' AF R IQU E

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU PÉROU

CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE NICOMEDES SANTA CRUZ

ÉDITION DÉDIÉE AU SÉNÉGAL MOIS DE LA CULTURE AFRO-PÉRUVIEN

ÉTENDRE L’AFRICANITÉ

RECETTE POULET YASSA ISSN: 3084-7702 (en ligne)

ARTICLE 1

CAFE TOUBA: HÉRITAGE MOURIDE AU SÉNÉGAL ET CONTRASTE AVEC L’EXPÉRIENCE PÉRUVIENNE Katherine Pineda Marín Élève de l’Académie Diplomatique du Pérou

L

e café est bien plus qu’une simple boisson traditionnelle : il représente un acte social, un symbole d’identité et porte en chaque tasse une histoire. Ainsi, le café adopte des particularités propres à chaque pays et reflète la culture ainsi que l’ingéniosité de chaque communauté. C’est le cas du Sénégal et du Pérou, qui ont fait du café un élément central de leurs expressions culturelles. Au Sénégal, le café Touba est un legs de spiritualité et d’inventivité, reflet de l’héritage mouride ; tandis qu’au Pérou, le café est synonyme de tradition agricole, de fierté nationale et de potentiel de développement économique. Il est donc intéressant d’approfondir l’histoire du café le plus populaire du Sénégal et de la comparer à l’expérience péruvienne dans le secteur caféier, dans le but de promouvoir la diffusion et la commercialisation de ce café à travers le monde.

Pour comprendre l’origine particulière du café Touba, il faut se pencher sur l’histoire d’une confrérie mystique de l’islam, issue de l’ordre soufi.

Le soufisme est une dimension ascétique de l’islam, dans laquelle les fidèles cherchent à s’unir à Dieu à travers la dévotion, la méditation et la purification de l’âme. En réalité, le Sénégal est le pays comptant la plus grande proportion de fidèles soufis parmi les pays à majorité musulmane (Mbacke, 2016).

De cette branche de l’islam découle le mouridisme, auquel appartient près de 28 % de la population sénégalaise (Le journal international, 2015). Cette confrérie unit les enseignements du prophète Mahomet à la culture wolof, laquelle conserve des traditions issues des anciens royaumes sénégalais d’avant la colonisation européenne.

2

CHUTE DE LA LAMPE ET DE LA MOSQUÉE À TOUBA, SÉNÉGAL Source: flickr.com/jbdodan

Au XIXe siècle, le chef mouride Cheikh Ahmadou Bamba fonda la ville de Touba, qui devint par la suite la capitale du mouridisme (Filicori, 2022). Selon des récits sénégalais, entre 1883 et 1902, alors que le café était déjà très populaire dans le pays, une grande pénurie provoqua des symptômes de dépendance au sein de la population. Fidèles à leur philosophie de travail acharné et de discipline en tant que formes de dévotion à Dieu, les mourides refusèrent de se résigner face à cette crise. Ahmadou Bamba imagina une alternative : créer une boisson qui, bien que contenant du café importé, en utilisait une quantité réduite et y ajoutait des épices facilement accessibles, lui conférant une saveur épicée et une connotation spirituelle — c’est ainsi que naquit le café Touba.

Aujourd’hui, les grains (arabica ou robusta) sont importés de Côte d’Ivoire, de Guinée et du Togo, tandis que les épices principales, telles que le clou de girofle (guedj) et le poivre de Selim (djar), proviennent de Guinée. Sa préparation suit un processus particulier : les grains sont torréfiés avec les épices, puis moulus et filtrés dans de l’eau chaude, créant ainsi une boisson unique, fruit de la créativité sénégalaise

Au Pérou, le café est l’un des principaux produits agricoles traditionnels d’exportation, un pilier économique générant des emplois dans toute sa chaîne de valeur pour plus de deux millions de Péruviens (Ministère du Développement Agraire et de l’Irrigation du Pérou, 2022). Ses régions productrices — telles que Cajamarca, Junín et San Martín — ont développé une industrie caféière exportant vers les marchés internationaux. Le pays est le neuvième plus grand producteur de café arabica au monde (Promperú, 2023) et fait partie de l’Organisation Internationale du Café (OIC), ce qui lui permet de participer à la régulation et à la promotion du commerce et de la durabilité du secteur à l’échelle mondiale. Pour ces raisons, bien que le Sénégal ne soit pas un producteur de café à proprement parler et propose un produit semi-transformé, le modèle péruvien offre des enseignements précieux en matière de commercialisation et de positionnement sur les marchés mondiaux, ce qui permettrait au café Touba de dépasser sa consommation locale et d’acquérir une plus grande présence sur la scène internationale. @TOUBACAFE LOCALISÉ À BROOKLYN, NEW YORK Source: instagram.com/blackconsumerdirectory

La consommation du café Touba est souvent associée à la stimulation de la concentration et à la dévotion, procurant une clarté mentale propice à la méditation et à la prière. Pour cette raison, durant une grande partie du XXe siècle, il fut un élément central des cérémonies religieuses de la confrérie mouride.

En outre, sa préparation et sa consommation sont étroitement liées à la philosophie du service communautaire comme expression d’hospitalité. Par ailleurs, des études scientifiques récentes indiquent qu’il possède aussi des propriétés médicinales, car ses ingrédients favorisent la digestion et la production d’endorphines, ce qui en fait également un antidépresseur naturel.

Bien qu’il soit né comme boisson à caractère religieux et communautaire, l’expansion du café Touba à travers tout le Sénégal en a fait un produit commercial à grand succès dans les étals de rue et les supermarchés. Cependant, ce café demeure un produit de niche hors de ses frontières, notamment en France, où la diaspora sénégalaise commence à le populariser. Cela ouvre une opportunité d’élargir sa commercialisation à l’échelle internationale, en particulier si des stratégies similaires à celles employées par d’autres pays à forte tradition caféière sont mises en œuvre pour positionner leur produit sur ces marchés.

3

En 2024, les exportations de café péruvien torréfié en grains ont atteint 850 millions de dollars américains, maintenant ainsi le pays comme un acteur clé sur le marché mondial grâce à sa stratégie de diversification, qui lui a permis de se consolider dans des niches à forte valeur ajoutée. Un exemple de cette diversification est son leadership dans la production et l’exportation de café biologique, une catégorie dans laquelle il partagea la première place mondiale avec l’Éthiopie en 2022 (Ministère du Développement Agraire et de l’Irrigation du Pérou, 2022). En outre, l’amélioration de la qualité du café péruvien l’a positionné dans le segment gourmet, grâce à des alliances stratégiques avec des torréfacteurs et des cafés internationaux. Cette expérience fait du modèle péruvien une référence précieuse pour le Sénégal, car elle présente des stratégies susceptibles de positionner le café Touba sur de nouveaux marchés, en tirant parti de son histoire et de sa singularité pour attirer des consommateurs au-delà de la diaspora sénégalaise.

LES HARICOTS CULTIVÉS SUR LES HAUTS PLATEAUX DU PÉROU DEPUIS 1740 ONT CONQUIS LE PALAIS ARGENTIN GRÂCE À LEUR EXCELLENCE ET À LEUR PRODUCTION DURABLE. Source: soloporgusto.com

Compte tenu des vastes connaissances et de l’expérience du Pérou dans la production, commercialisation et exportation de café, il serait intéressant que, dans un avenir proche, le pays offre une coopération technique au Sénégal via un programme de formation spécialisé dans le commerce et la promotion du café. Ce programme pourrait porter sur des stratégies de diversification, des certifications de qualité et l’accès aux marchés mondiaux. En outre, afin de faciliter sa mise en œuvre, les formations pourraient être dispensées en anglais.

Cette initiative profiterait aux deux parties : le Sénégal obtiendrait des outils essentiels pour étendre son café à l’échelle mondiale, tandis que le Pérou renforcerait sa position en tant que fournisseur de coopération technique, en accroissant son influence en Afrique et en promouvant la connaissance et la consommation du café péruvien sur de nouveaux marchés.

En conclusion, tant au Pérou qu’au Sénégal, le café transcende sa condition de boisson pour devenir un phénomène social, reflet d’identités culturelles profondes et opportunité commerciale à fort potentiel. Malgré leurs différences culturelles, les deux pays partagent une dimension sociologique dans laquelle le café s’érige comme espace de rencontre et de tradition. La valeur culturelle du café péruvien et sénégalais ouvre la voie à une relation bilatérale dans laquelle le commerce, la coopération et l’apprentissage mutuel peuvent renforcer les liens d’amitié existants. Le Sénégal, avec sa riche culture et son identité vibrante, nous rappelle que l’histoire du café est aussi celle des peuples qui le cultivent, le partagent et en font un héritage vivant. Laissons l’arôme du café être un pont entre ces deux pays, un appel à la fraternité et un témoignage de la grandeur de leurs cultures respectives.

RÉFÉRENCES:

Baker, C. (2016). Café Touba: A traditional beverage of Senegal. En Cultural studies of African coffee (pp.

329-345). Routledge. Récupéré de https://books. google.es/ Filicori, L. (2022). Un café con pimienta en Senegal: El café Touba. Récupéré de https://filicorizecchini. co m /e s- e s / b lo g s/magazi n e-fz-el -blog- dephilicori-zecchini/un-cafe-con-pimienta-ensenegal-el-cafe-touba?srsltid=AfmBOopXsrM6n9 9 TmW 7 YQ Q U R 1 s- i X M SV f u RfObPWuFuTvE3mIGQk7n

4

Fritzon, V. (2016). Religion and business: The Mourides of Senegal. The Perspective. Récupéré de: https://www.theperspective.se/2016/02/25/africa/ religion-and-business-the-mourides-of-senegal/ Gueye, A. (2001). De la religión en los intelectuales africanos en Francia. Cahiers d’études africaines, 162, 267-292. https://doi.org/10.4000/ etudesafricaines.87 Junta del Café. (n.d.). El café de Perú. Récupéré de https://juntadelcafe.org.pe/el-cafe-de-peru/ Mbacke, I. (2016). The Mouride Sufi order. Berkley Center. Recuperado de https://berkleycenter. georgetown.edu/publications/the-mouride-sufiorder Ministerio de Desarrollo Agrario y Riego (MIDAGRI).

(2023, noviembre 27). Perú es el primer productor y exportador mundial de café orgánico junto con Etiopía. Gobierno del Perú. Récupéré de https://www. gob.pe/institucion/midagri/noticias/647409-perues-el-primer-productor-y-exportador-mundial-decafe-organico-junto-con-etiopia Perfect Daily Grind. (2023). ¿Qué es café Touba y cómo se prepara? Récupéré de https://perfectdailygrind. com/es/2023/01/07/que-es-cafe-touba-como-seprepara/ Piermay, J.-L., & Sarr, C. (Eds.). (2008). La ciudad senegalesa. Una invención en las fronteras del mundo. Récupéré de https://www.persee.fr/doc/ outre_1631-0438_2008_num_95_358_4336_ t1_0351_0000_1

ARTICLE 2

LES GARDIENS DE LA MÉMOIRE: AARKATKAT YI FATTALIKU Fabricio Aliaga León

Sur les côtes du Sénégal, un griot chante en jouant de la kora, une harpe africaine traditionnelle. À des milliers de kilomètres, sur la côte nord du Pérou, un cumananero improvise des vers qui captivent son auditoire. Bien qu’éloignés par un océan, ces gardiens de la mémoire partagent une mission commune : maintenir vivante l’histoire de leurs peuples.

Cette année marque le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre le Pérou et le Sénégal, une occasion de redécouvrir le lien entre deux communautés qui ont fait de la tradition orale un registre inestimable de leur identité. Dans les deux pays, la parole parlée et finement travaillée a résisté à l’épreuve du temps et dépasse l’acte de communiquer : elle devient un pont entre les générations, une archive vivante d’histoires et un témoignage de résistance culturelle.

LES GRIOTS Au Sénégal, les griots sont bien plus que de simples conteurs : ils sont les gardiens vivants du passé, ceux qui consignent chaque moment significatif de la vie communautaire. Comme l’explique Ngary Niang, griot du village de Ndiebène, dans la région de SaintLouis, Sénégal : « Nous sommes les maîtres de l’art de parler : nos poches sont pleines de secrets, de noms et de hauts faits, afin que les histoires de notre peuple ne tombent pas dans l’oubli » (Feal, 2020).

Les griots remplissaient autrefois, entre autres fonctions importantes, des rôles d’ambassadeurs et de hérauts pour les dirigeants, de médiateurs dans les conflits, de directeurs de cérémonies et de conseillers auprès des souverains. Aujourd’hui, face aux changements introduits par la colonisation, Niang explique : « (…) notre rôle est de relier les gens, de leur dire qui ils sont et ce qui les lie au territoire et aux autres, de recréer le réseau qui nous unit » (Feal, 2020). À travers leurs récits chantés, ces bardes élaborent une chronologie communautaire qui relie le passé au présent.

5

ANADOLU AGENCY. (2023). LE CÉLÈBRE MUSICIEN SÉNÉGALAIS ABLAYE CISSOKO JOUE DE LA KORA, INSTRUMENT TRADITIONNEL, À SAINT-LOUIS, AU SÉNÉGAL Source: Daily Sabah

Parmi les récits les plus mémorables conservés par les griots, on distingue la bataille de Safilème du 4 septembre 1826, un épisode que Niang raconte avec une fierté particulière : ce fut le jour où le peuple gandiolais infligea à la France sa première défaite sur le sol africain (Feal, 2020). Cette histoire, comme tant d’autres, ne se contente pas de préserver des faits historiques : elle nourrit la fierté et éclaire le devenir du peuple.

Malgré les bouleversements sociaux et politiques, les griots adaptent leurs récits à la modernité tout en conservant leur rôle de gardiens de l’histoire. Car « (…) [le griot] doit aussi avoir la capacité d’improviser sur les événements actuels, les faits du quotidien et tout ce qui l’entoure » (Oliver, 1970).

Grâce à leur sagacité et leur connaissance approfondie de l’histoire locale, les griots ont joué un rôle essentiel dans l’orientation du peuple. Leur art de narrer, connu au Sénégal sous le nom de guewel, transmet aussi des valeurs fondamentales comme la solidarité et l’unité.

LES CUMANANEROS Au Pérou, les cumananeros remplissent un rôle similaire grâce à l’improvisation poétique. Dans les régions de Tumbes, Piura et Lambayeque, une autre tradition orale a prospéré au fil des années : la cumanana. Cet art poétique, dont le nom trouve ses racines dans la langue africaine kikongo, représente la confluence entre l’héritage espagnol de la décima espinela et la créativité afro-péruvienne (Romero, 1988).

Les cumananeros, véritables troubadours populaires, ont élevé l’improvisation poétique au rang d’un art à part entière. Sans l’appui de l’écriture, ces maîtres de la parole construisent des cumananas à travers des vers qui capturent l’essence de la vie quotidienne, de l’amour, de la critique sociale et de la sagesse populaire. Comme l’exprime le célèbre cumananero Belardo Alzamora (2018) :

« Seigneur, je ne sais ni lire ni écrire mais ma mémoire me sert et avec ma pensée je dis ce que ressent ici ma poitrine » Les cumananas abordent une grande variété de thèmes ; parfois, elles prennent la forme de duels.

Elles ne s’écrivent pas, ne se conservent pas, elles sont spontanées et surgissent lors de réunions sociales, sous forme de joutes verbales pleines d’humour. Parfois, il s’agit d’un duel espiègle où deux personnes improvisent des vers en réponse l’une à l’autre.

Cependant, bien au-delà de l’amusement, la cumanana est essentiellement un témoignage de la résistance et de la créativité du peuple afropéruvien. À l’époque de l’esclavage, les opprimés ont trouvé dans l’oralité une manière de transformer leur douleur en art. Le grand Nicomedes Santa Cruz (1960) a immortalisé cette tradition avec des vers qui célèbrent la dextérité de ces artistes :

« Troubadours à la peau sombre qui, entre les cannes à sucre, ont répété les prouesses de don Vicente Espinel.

Et ni palme ni laurier, ni marbre ni bronze.

Juste des ronces subtiles, et un peu de rhum après les louanges, et l’inspiration fut donnée par les Noirs d’alors. »

6

ANDINA. (2015). NICOMEDES SANTA CRUZ RECITANDO. Source:Andina

En raison de sa portée culturelle, la cumanana a été déclarée patrimoine culturel de la nation péruvienne le 26 novembre 2004. Aujourd’hui, en plus de la transmission familiale, des efforts gouvernementaux sont déployés pour documenter et enseigner cet art aux nouvelles générations, garantissant que cette expression culturelle ne se perde pas avec le temps.

UN PONT CULTUREL

Les griots et les cumananeros sont nos gardiens de la mémoire. La tradition orale a été un refuge contre l’oubli.

Au Sénégal, les griots ont résisté à la perte d’identité après la colonisation. Au Pérou, les cumananeros, descendants d’Africains réduits en esclavage, ont utilisé la poésie pour exprimer leur réalité et préserver leur héritage.

Reconnaître ces liens est une occasion de renforcer le dialogue interculturel et de valoriser la richesse de nos traditions partagées. En observant cette similitude entre nos peuples, nous comprenons que la distance géographique s’efface devant le reflet commun de nos racines dans le patrimoine immatériel.

PRODUCTIONS NUITS D'AFRIQUE PRÉSENTE SIAKA DIABATE Source:lepointdevente.com

Dans un monde globalisé, où les voix marginalisées luttent pour se faire entendre, ces traditions nous RÉFÉRENCES : rappellent que la mémoire collective ne s’écrit pas seulement : elle se chante, se récite et s’improvise.

Alzamora, B. (2018). Voces Ancestrales: Poesía y Cánticos, Literatura oral afroperuana.

La parole est le fil invisible qui relie nos histoires.

Ministerio de Educación. https://hdl.handle. net/20.500.12799/7184 Anadolu Agency. (2023). Famous Senegalese Ablaye Cissoko plays the traditional kora instrument, in Saint-Louis, Senegal. [Fotografía]. Daily Sabah. https://www.dailysabah.com/arts/music/koradying-instrument-fading-with-oral-history-ofwest-africa Andina. (2015). Nicomedes Santa Cruz recitando.

[Fotografía]. Andina. https://andina.pe/agencia/ noticia-congreso-peruano-rendira-homenaje-acultura-afroperuana-559034.aspx Feal, L. (9 de enero de 2020). Los juglares africanos se llaman ‘griots’ y aún ejercen un oficio milenario.

El País. https://elpais.com/elpais/2020/01/08/ planeta_futuro/1578477784_297707.html Oliver, P. (1970). Savannah syncopators. Studio Vista.

Romero, F. (1988). Quimba, fa, malambo, ñeque: Afronegrismos en el Perú. Instituto de Estudios Peruanos.

Santa Cruz, N. (1960). Décimas. Editorial Juan Mejía Baca.

MUSIQUE D’UN ROYAUME AFRICAIN : LA KORA DU SÉNÉGAL Source:centerforworldmusic.org/

7

ARTICLE 3

LIENS ENTRE LE PÉROU ET LE SÉNÉGAL: COMMERCE, CULTURE ET DÉVELOPPEMENT Luis Miguel Rodríguez Chacón Ministre au Service Diplomatique de la République du Pérou

1. INTRODUCTION Au cours de la dernière décennie, la politique étrangère du Pérou a montré un regain d’intérêt pour renforcer ses liens avec l’Afrique, dans le cadre d’une stratégie plus large visant à diversifier ses relations économiques et renforcer la coopération internationale. Dans ce contexte, le Sénégal s’est imposé comme un partenaire important en Afrique de l’Ouest, non seulement en raison de sa stabilité politique et de son leadership régional, mais aussi de son ouverture à la coopération Sud Sud et de son engagement envers les Objectifs de développement durable.

Parallèlement, le gouvernement sénégalais s’est montré intéressé par les expériences latino américaines, notamment péruviennes, dans des domaines tels que le développement rural durable, la sécurité alimentaire et la transition vers des économies licites dans les zones vulnérables.

Bien que la relation bilatérale soit encore à ses débuts, des opportunités claires se présentent pour articuler un agenda stratégique permettant de relier les enseignements du Pérou en matière de développement alternatif aux priorités sénégalaises en inclusion territoriale et agriculture durable. Ces convergences constituent une base solide pour l’élaboration d’un agenda bilatéral plus robuste, cohérent et à long terme.

L'ÉVÉNEMENT PRINCIPAL DE LA JOURNÉE DE L'AMITIÉ ENTRE LE PÉROU ET L'AFRIQUE S'EST DÉROULÉ AU CENTRE CULTUREL INCA GARCILASO, AVEC LA PARTICIPATION DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES NÉSTOR POPOLIZIO ET DES AMBASSADEURS D'ANGOLA, D'ALGÉRIE, D'ÉGYPTE, DU MAROC, DE MAURITANIE, DU NIGÉRIA, DU SÉNÉGAL ET D'AFRIQUE DU SUD. Source: bilateralnoticias.com

8

2. CADRE HISTORIQUE ET DIPLOMATIQUE L’établissement de relations diplomatiques entre le Pérou et le Sénégal répond à une politique péruvienne de diversification géopolitique et de renforcement des liens avec l’Afrique subsaharienne. Cette orientation s’inscrit dans les principes de la coopération Sud Sud, qui promeut l’échange d’expériences entre pays en développement confrontés à des défis et des contextes similaires.

Bien que ne disposant pas d’une ambassade à Dakar, le Pérou entretient des relations diplomatiques concurrentes via son ambassade à Rabat, au Maroc.

Depuis Lima, le Ministère des Affaires étrangères, via la Direction générale de l’Afrique, du Moyen Orient et des pays du Golfe, a encouragé un agenda de coopération avec le Sénégal centré sur des secteurs clés tels que le développement rural, l’agriculture résiliente et la sécurité alimentaire.

De son côté, le Sénégal a manifesté un intérêt soutenu pour les modèles latino américains de développement social inclusif, participant activement à des forums multilatéraux organisés par des organisations comme l’ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime), où il a pu échanger des expériences avec le Pérou sur le développement alternatif et la lutte contre les économies illicites.

Ce dialogue politico technique a jeté les bases d’une articulation bilatérale accrue sur des sujets d’intérêt commun.

L’AMBASSADEUR DU PÉROU PRÉSENTE SES LETTRES DE CRÉANCE AU PRÉSIDENT DU SÉNÉGAL Source:gob.pe

3. COMMERCE BILATÉRAL : SITUATION ACTUELLE ET DÉFIS Les échanges commerciaux entre le Pérou et le Sénégal restent limités et asymétriques. En 2023, les exportations péruviennes vers le Sénégal ont été estimées à 646 000 USD. Bien que modeste, ce montant constitue un point de départ pour bâtir une relation commerciale plus dynamique. Parmi les principaux produits exportés figurent des colorants d’origine végétale ou animale, certains aliments transformés et quelques biens manufacturés à faible valeur ajoutée.

En revanche, les importations péruviennes en provenance du Sénégal sont quasiment inexistantes, ce qui reflète la faible intégration entre les deux économies. Cette situation s’explique par des facteurs structurels tels que la distance géographique, l’absence d’accords commerciaux bilatéraux, la

9

connectivité logistique limitée et la méconnaissance mutuelle des caractéristiques et opportunités des deux marchés.

Parmi les principaux obstacles figure l’absence de routes logistiques directes, ce qui augmente considérablement les coûts de transport. À cela s’ajoute le manque de plateformes institutionnelles facilitant le rapprochement des entreprises et des investissements. Surmonter ces barrières nécessite une stratégie proactive de diplomatie économique, accompagnée de mécanismes de promotion commerciale adaptés au contexte africain.

4. DÉVELOPPEMENT ALTERNATIF : UNE EXPÉRIENCE REPRODUCTIBLE L’une des contributions les plus significatives que le Pérou peut offrir au Sénégal réside dans son expérience en développement alternatif intégré et durable (DAIS), mise en œuvre depuis les années 1990 pour répondre à l’expansion des cultures illicites, notamment la coca, dans la région de San Martín et la vallée du Monzón. Ce modèle, porté par l’État péruvien avec l’appui de partenaires internationaux comme l’USAID, l’ONUDC, l’Allemagne et l’Union européenne, visait à transformer structurellement l’économie rurale en substituant progressivement les cultures illégales par des alternatives licites et durables telles que le cacao, le café et l’huile de palme.

cet effort, qui a permis d’améliorer les moyens de subsistance de milliers de familles rurales, tout en contribuant à la consolidation d’une économie licite et résiliente.

Si le Sénégal ne fait pas face au même phénomène de cultures illicites que le Pérou, il rencontre des défis liés à l’agriculture de subsistance, à l’informalité et à des activités illégales associées à la contrebande et au trafic de personnes dans certaines régions frontalières. À cet égard, le modèle péruvien peut offrir des méthodologies adaptables au contexte sénégalais. La planification participative, le développement des chaînes de valeur rurales et l’autonomisation des communautés locales sont des L’approche péruvienne se distingue par une composantes reproductibles qui pourraient enrichir combinaison d’assistance technique, de renforcement les programmes sénégalais de développement institutionnel, d’accès aux marchés et de participation territorial dans les zones vulnérables. communautaire. La Commission nationale pour le développement et la vie sans drogue (DEVIDA) pilote 5. DIMENSION CULTURELLE : UN PONT POUR LA COOPÉRATION ENTRE LE PÉROU ET LE SÉNÉGAL Dans un contexte où les relations économiques restent peu intenses, la culture constitue un vecteur stratégique pour renforcer les liens entre le Pérou et le Sénégal. La diplomatie culturelle — entendue comme l’usage des expressions artistiques, des patrimoines historiques et des traditions partagées pour favoriser la compréhension mutuelle — peut jouer un rôle essentiel dans la construction d’une narration commune entre les deux nations.

sénégalaise lors d’événements gastronomiques, de festivals culturels ou de programmes de diplomatie culinaire. Ces initiatives permettent non seulement de promouvoir l’identité culturelle, mais aussi de valoriser les produits locaux, de stimuler le tourisme et de favoriser les industries créatives.

De même, il existe des opportunités pour la coopération éducative et artistique. Des institutions culturelles et universitaires des deux pays pourraient Le Pérou et le Sénégal possèdent tous deux des développer des programmes d’échange académique, patrimoines culturels riches et divers, reconnus pour des ateliers artistiques, des résidences d’artistes ou leur valeur historique, symbolique et spirituelle. Au des projets de recherche conjoints sur le patrimoine Pérou, la diversité andino-amazonienne se manifeste et le développement. Ces initiatives renforcent les à travers un mélange de traditions indigènes, liens entre les peuples et contribuent à construire afrodescendantes et métisses, exprimé dans la une vision partagée du développement depuis le Sud gastronomie, la musique, la danse, l’art populaire et global, fondée sur la reconnaissance de la diversité et les rituels communautaires. Au Sénégal, la culture le respect interculturel. est tout aussi vibrante, mêlant influences africaines, islamiques et francophones, avec des expressions La culture ne doit donc pas être considérée comme musicales comme le mbalax, une forte tradition un élément décoratif de la relation bilatérale, mais orale, et une gastronomie reposant sur des produits comme un composant central de l’intégration entre le Pérou et le Sénégal, capable de générer confiance, locaux comme le mil, le poisson et l’arachide. cohésion symbolique et sentiment d’appartenance Ces éléments peuvent servir de points de mutuel. convergence. Par exemple, la gastronomie, en tant que produit culturel et économique, offre un terreau fertile pour l’échange. La cuisine péruvienne, reconnue pour sa fusion de techniques et sa diversité d’ingrédients, pourrait dialoguer avec la cuisine

10

PERÚ

SENEGAL

JOURNÉE D'AMITIÉ PÉROU-AFRIQUE AVEC LA PARTICIPATION DES AMBASSADEURS D'ANGOLA, D'ALGÉRIE, D'EGYPTE, DU MAROC, DE MAURITANIE, DU NIGERIA, DU SÉNÉGAL ET D'AFRIQUE DU SUD. Source: Ministère des affaires étrangères du Pérou

11

6. PERSPECTIVES D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE SUD SUD Le renforcement potentiel des relations entre le Pérou et le Sénégal doit s’inscrire dans une vision stratégique de coopération Sud Sud, fondée sur la réciprocité, la solidarité et l’apprentissage mutuel.

Des organismes tels que l’Agence péruvienne de coopération internationale (APCI) et l’Agence sénégalaise de coopération (SenCoop) peuvent jouer un rôle clé dans l’identification de projets communs, notamment en collaboration avec des partenaires multilatéraux tels que la FAO, le PNUD ou l’ONUDC.

Par exemple, le Pérou pourrait rejoindre certaines instances de l’Union africaine en tant que pays observateur dans les domaines du développement agricole et du changement climatique, tandis que le Sénégal pourrait s’impliquer plus activement dans l’Alliance du Pacifique, favorisant le dialogue interrégional. Ces opportunités permettraient de partager des politiques efficaces, d’attirer des investissements responsables et d’explorer des secteurs comme le biocommerce, les énergies renouvelables ou le tourisme communautaire, dans De plus, l’insertion des deux pays au sein de une perspective de diversification économique plateformes multilatérales peut créer des synergies accrue. supplémentaires.

Da mesma forma, a inserção de ambos os países em plataformas multilaterais pode gerar sinergias

7. CONCLUSIONS Bien que encore modestes en volume, les relations économiques entre le Pérou et le Sénégal traversent une phase cruciale d’expansion qualitative.

L’intérêt mutuel et l’alignement sur les objectifs de développement durable ouvrent des perspectives pour bâtir une alliance plus profonde et stratégique, fondée sur la coopération technique et l’échange d’expériences.

Ce n’est qu’ainsi qu’une relation économique durable pourra se construire, contribuant à une plus grande justice économique entre les régions du Sud global et au renforcement de modèles de développement inclusifs, résilients et durables.

RÉFÉRENCES:

L’expérience péruvienne en matière de développement alternatif offre un cadre conceptuel et méthodologique parfaitement adaptable aux défis sénégalais, tandis que le Sénégal représente pour le Pérou une porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest, une région d’importance géoéconomique croissante.

DEVIDA. (2024). Memoria Institucional 2023. Comisión Nacional para el Desarrollo y Vida sin Drogas.

Cependant, pour que ces opportunités se concrétisent, il est essentiel d’institutionnaliser les mécanismes de coopération et de commerce via des accords spécifiques, des schémas de financement durables et des cadres d’évaluation conjoints.

Trade Map / ITC (2023) Bilateral Trade Statistics between Peru and Senegal.

12

Intracen (2023) Cooperativas agrícolas en Senegal impulsadas por insumos subvencionados y desarrollo organizativo productivo.

FAO (2022) Cooperación Sus-Sur y Triangular de la FAO 2022- 2025.

ARTICLE 4

L’HOSPITALITÉ SÉNÉGALAISE : « LA TERANGA » Ministre Conseiller Miguel Fernando Córdova Cuba Conseiller Spécialisé – Direction de l’Afrique, du Moyen Orient et des Pays du Golfe

" La véritable révolution n’est ’ pas celle qui détruit, mais celle qui construit."

Léopold Sédar Senghor

L’Homme, ou « Homo sapiens » comme on l’appelle scientifiquement, est apparu sur Terre il y a environ 200 000 ans [1], comme le montrent les restes les plus anciens découverts jusqu’à présent en Afrique, plus précisément au Maroc. Cela prouve que notre espèce trouve sans aucun doute son origine sur le continent africain, berceau de l’humanité, non seulement de l’« Homo sapiens », mais aussi des nombreux hominidés qui l’ont précédé ou côtoyé au cours de ce long et incroyable processus évolutif. Ainsi, les vestiges les plus anciens remontent à environ 2,5 millions d’années [2]. L’Afrique, indiscutable berceau de l’humanité, a vu naître non seulement l’Homo sapiens, mais aussi ses ancêtres les plus lointains.

Il est essentiel de prendre en compte ces origines lorsqu’on parle de cet extraordinaire continent, et d’examiner la réalité actuelle de ses habitants, leur situation sociale, culturelle, politique et économique, en se référant cette fois-ci à l’un des pays les plus occidentaux d’Afrique : le Sénégal.

En évoquant le Sénégal, nous faisons référence à une expression culturelle très particulière de son peuple : l’hospitalité sénégalaise, ou en wolof – langue la plus parlée dans le pays –, « La Teranga ». Cette manifestation culturelle, fortement ancrée au sein de la population, relève davantage d’une philosophie de vie, simple et non contraignante, mais très pragmatique dans la pratique de ce peuple amical et hospitalier.

Alors, qu’est ce que « La Teranga » ? [3] Il s’agit d’une disposition traditionnelle caractérisée par la chaleur du rapport humain, étendue aux visiteurs et étrangers, quelles que soient leurs origines. Les étrangers sont traités en amis et cette disposition va bien au delà de la simple courtoisie : c’est une manière de vivre qui illustre la générosité et l’esprit communautaire du peuple sénégalais.

13

Source: flickr.com

Partout dans le pays, le visiteur ressent cette chaleur particulière, avec des sourires sincères et des gestes de bienveillance. Cette hospitalité s’exprime de diverses manières, par exemple en partageant la nourriture : il ne s’agit pas seulement d’offrir une place à table, mais de faire sentir l’invité presque membre de la famille, et cette attitude transparaît dans chaque interaction.

Une caractéristique unique de « La Teranga » est qu’elle ne fait aucune distinction entre les personnes.

Elle s’exerce à l’égard de la famille, des amis, des connaissances, et même des inconnus. Dans la vision du monde sénégalaise, il n’y a pas « d’autre » : tous font partie d’une même communauté. Si un étranger se promène dans des villes comme Dakar ou Saint Louis et demande son chemin, un habitant s’écartera souvent de sa route pour veiller à le guider Plusieurs expressions verbales illustrent jusqu’à destination. Il n’est pas rare non plus qu’un l’enracinement de « La Teranga » dans la conscience vendeur ambulant offre une infusion en expliquant sénégalaise, dépassant souvent la politesse patiemment le trajet. occidentale habituelle. Plutôt que le classique « de rien », les Sénégalais emploient « ngoko bokk », « La Teranga » est également très présente dans signifiant « nous sommes ensemble ». les petits villages, comme ceux du pays Bassari ou de la région de Casamance, où l’hospitalité prend un La formule d’accueil dans un foyer, en wolof, est : caractère encore plus proche et intime [3]. « aujourd’hui, vous êtes le propriétaire de ma maison », une courtoisie qui surpasse toute autre Dans ces lieux, le visiteur peut être accueilli comme expression de la culture occidentale. Cette hospitalité un membre de la communauté, invité à partager ne se limite pas au cadre domestique : elle s’étend à les repas traditionnels, participer aux activités tous les espaces de la vie sociale sénégalaise. quotidiennes, et même assister à des cérémonies locales. « La Teranga », phénomène culturel profondément intériorisé dès l’enfance et transmis de génération Être invité dans une demeure et partager un repas en génération, constitue un pilier essentiel de la traditionnel fait partie des pratiques les plus formation éducative et morale du peuple sénégalais. courantes de « La Teranga ». Et comment sont ces plats traditionnels ? [4] Il convient d’abord de préciser que la cuisine sénégalaise est l’une des plus raffinées d’Afrique de l’Ouest, marquée par des influences françaises, portugaises, moyen orientales et américaines. Elle est relevée, savoureuse et très tropicale. Le poisson, logiquement, est l’ingrédient le plus utilisé, la proximité de la mer l’expliquant. Parmi les espèces consommées figurent le thon, la sole, le mérou, la barracuda, l’espadon et bien d’autres.

Source: visatravelcenter.com

Source: planesconduende.com

14

Les Sénégalais ne consomment pas beaucoup de viande, bien que le poulet soit la viande la plus populaire ; ils mangent aussi de l’agneau, du bœuf et de la chèvre. De plus, beaucoup de plats contiennent des céréales telles que le riz, le mil ou le fonio, ou des légumes comme la carotte, la tomate, l’aubergine, le chou, les voandzou (niébé), ainsi que des fruits en abondance : mangues, papayes, goyaves, noix de coco, ananas, bananes, avocado, mandarines, dattes, etc.

Parmi les plats typiques, le Thiébou djène est considéré comme le plat national sénégalais, à base de poisson frais et séché ; on trouve aussi le Poulet Yassa, originaire de la Casamance ; le Caldou, le Bassi Salte, le Mafé, le Lakhou Bissap (centre et ouest), le Firire ou le Domoda, parmi les plus connus. En pâtisserie, on note des gâteaux fourrés au poisson. Le Bissap est la boisson la plus populaire des sénégalais.

Témoin essentiel de cette époque, l’île de Gorée, à moins de quatre kilomètres de Dakar, est devenue un symbole de la traite transatlantique. De là partirent de nombreux navires transportant des esclaves vers l’Amérique. « La Maison des Esclaves » est aujourd’hui un lieu de mémoire visité par des centaines de touristes afro-descendants qui souhaitent en savoir davantage. Grâce à des études comme celles d’Andrew Kahn et de Jamelle Bouie, on a aujourd’hui une compréhension plus profonde de ce douloureux héritage.

Source: commons.wikimedia.org

Source: commons.wikimedia.org

Cette culture d’hospitalité a une origine historique malheureusement liée à une période sombre et tragique pour le peuple sénégalais : la colonisation et la traite transatlantique des esclaves. Comme beaucoup d’autres populations africaines, les ancêtres de cette nation en ont été victimes. Pendant environ 315 ans, les trafiquants européens ont capturé et vendu des hommes et des femmes de différentes régions d’Afrique, les transportant sur des bateaux à travers des traversées pénibles, où beaucoup ne réussissaient pas à survivre.

15

Après avoir été colonie française, le Sénégal devint indépendant en 1960. Dès la création de la République, le pays se caractérisait par une grande diversité interne — religieuse, ethnique, culturelle et linguistique. C’est dans ce contexte que Léopold Sédar Senghor, son premier président, fit de la pratique de « La Teranga » un outil social visant à construire une identité nationale et à renforcer la solidarité entre les différents groupes constituant la nation. Bien que cette forme d’hospitalité ne lui soit pas propre, son mérite réside dans le fait d’avoir recueilli et revalorisé cette ancienne coutume – née à l’époque de l’esclavage – pour l’intégrer au projet républicain. Et ce objectif semble réalisé, car « La Teranga » reste une pratique vivante dans la société sénégalaise contemporaine.

Comme leçon héritée de cette sombre période, au Sénégal a émergé un profond sentiment de communion et une volonté de partager la souffrance comme forme de résistance collective et de résilience culturelle. Plutôt que de nourrir le ressentiment envers les Européens, le peuple sénégalais a répondu par une hospitalité généreuse : transformant la douleur en célébration, la rancune en affection, l’injustice en solidarité. Cette hospitalité est non seulement une vertu culturelle, mais aussi une leçon d’humanité et une philosophie de vie dont l’Occident pourrait encore apprendre.

En outre, la Teranga est reconnue non seulement comme vertu populaire, mais aussi comme outil diplomatique et vecteur de rayonnement international.

Grâce à cette tradition culturelle, le Sénégal a réussi à construire une image positive à l’étranger, attirant voyageurs, chercheurs et organismes internationaux.

Dans un monde fragmenté, le modèle sénégalais d’accueil représente une alternative fondée sur la dignité, le respect mutuel et la reconnaissance de l’Autre comme partie essentielle de la communauté.

En conclusion, la Teranga n’est pas seulement une coutume hospitalière, mais une expression profonde de l’histoire, de la philosophie de vie et de l’identité nationale du peuple sénégalais. Née dans la douleur, renforcée dans la diversité et portée comme exemple de coexistence, cette trame sociale incarne une sagesse ancestrale invitant le monde à repenser notre relation à l’Autre.

RÉFÉRENCES:

[1] National Geographic (2022), “¿Cuál es el origen de la humanidad según la ciencia?”. Dans Historia, National Geogr aphic Society. Washington, DC. [2] Harari, Yuval Noah (2022), “Un animal sin importancia”. Dans De animales a dioses - Breve Historia de la humanidad (p 16). Buenos Aires: Debate.

[3] Pág web: Planes con duende (2025).“Senegal”.

Dans agencia de viajes Planes con Duende, Sevilla.

[4] Pág web: Senegal.es (2023), “Sabores de Senegal: Gastronomía y recetas tradicionales”.

[5] UNESCO (2024), “Gorée, la isla de la memoria”.

Dans El correo de la Unesco, Paris.

16

TERAANGA EST UNE COMBINAISON SÉNÉGALAISE UNIQUE DE GÉNÉROSITÉ, D’HOSPITALITÉ ET DE BIENVEILLANCE QUI IMPRÈGNE LA VIE QUOTIDIENNE Source: bbc.com

17

SE SOUVENIR DU VOYAGE DE NICOMEDES SANTA CRUZ AU SÉNÉGAL:

LA CONFÉRENCE « NÉGRITUDE ET AMÉRIQUE LATINE » (1974) Julio Antonio Ubillús Ramírez Conseiller au Service diplomatique de la République du Pérou

SUR LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE « NÉGRITUDE ET AMÉRIQUE LATINE » TENUE À DAKAR, SÉNÉGAL En janvier 1974, l’illustre poète et écrivain Léopold Sédar Senghor, alors Président du Sénégal, a encouragé l’organisation à Dakar de la conférence internationale intitulée « Négritude et Amérique Latine ». Ce fut le premier événement de ce genre en Afrique, organisé par le Center for Afro Ibero American Advanced Studies de l’Université de Dakar. Il incarnait une tentative novatrice de lier l’Afrique et l’Amérique latine à travers des affinités historiques, culturelles et intellectuelles, issues des apports de la diaspora afro-descendante.

La proposition thématique de la conférence, animée par le concept de "négritude", dont la définition évoluerait et serait présentée en 1980 par le Président Senghor luimême comme "l’ensemble des valeurs du monde noir... qui a dépassé ses approches littéraires initiales pour devenir une forme de culture, dans l’authentification, dans l’identification de la culture noire" (Ansón, 1980), a suscité un grand intérêt en Amérique latine particulièrement des penseurs et des artistes spécialisés en la matière.

Ainsi, la conférence « Négritude et Amérique Latine » chercherait à promouvoir une réflexion et vision partagées sur le vaste héritage culturel hérité de l’Afrique par l’Amérique latine, ainsi que sur le processus historique sensible de l’esclavage et ses effets des deux côtés de l’Atlantique, ceci dans le but de générer un nouvel espace de cohésion et de renforcement des liens déjà historiques et larges existant entre les deux continents et leurs pays (Bournot, E. 2022. Pp. 77 & 78).

Certains des participants latino-américains les plus remarquables ont été le nobel de littérature Miguel Ángel Asturias du Guatemala, Leopoldo Zea du Mexique, Angelina Pollak-Eltz du Venezuela, Luis Adolfo Siles Salinas de Bolivie, Manuel Zapata de Colombie, Pablo Mariñez de la République dominicaine, Clóvis Moura du

18

Brésil et Benjamin Pinto Bull de Guinée Bissau (Devés, E. 2023).

Parmi ceux-ci, Nicomedes Santa Cruz, éminent poète, décimiste, chercheur et promoteur de la culture afropéruvienne.

NICOMEDES SANTA CRUZ - BIOGRAPHY Source: La Nouvelle Chronique (1974)

SUR L’INTERVENTION DE NICOMEDES SANTA CRUZ : « APPORTS DES CIVILISATIONS AFRICAINES AU FOLKLORE DU PÉROU » La conférence, d’une durée de cinq jours, a offert à Nicomedes Santa Cruz l’opportunité de présenter son exposé intitulé « Apports des civilisations africaines au folklore du Pérou », dans lequel il a mis en avant certains éléments significatifs de la culture afro-péruvienne et a partagé ses réflexions sur les origines et influences africaines à l’origine de sa formation et consolidation.

A partir de ceux-ci, M. Santa Cruz se réfère à la présence au milieu du XVIIe siècle de pratiques de danses d’origine africaine présentes à Zaña -au nord du Pérou- et parmi lesquelles il souligne le lundú, afin de partager ses réflexions sur les processus qui ont engendré sa disparition, donnant lieu à l’émergence de la tondeuse comme son héritière. De manière analogue, il présente un ensemble d’arguments sur une évolution similaire qui se développe pour le cas du landó et l’influence qu’elle a eue, avec d’autres traditions musicales déjà présentes dans notre pays, dans la gestation de la zamacueca, qui a ensuite été rebaptisée Marinera [1] (Santa Cruz, N. 1974, p. 379 & 380) (Rocca Torres, L. 2024, p. 153 à 155).

NICOMEDES SANTA CRUZ - BIOGRAPHY Source: La Nouvelle Chronique (1974)

Le début de son intervention pourrait peut-être illustrer les motivations de son voyage à Dakar et sa présence à la rencontre. À cet égard, et comme il ressort de son intervention, la valeur de la conférence, plutôt que de servir de cadre pour présenter une liste de faits et spéculations sur l’héritage africain présent au Pérou, allait au-delà et relevait plutôt de l’opportunité que le colloque avait de servir d’espace pour évaluer précisément la signification de ce lien, tant au sein de la culture africaine qu’à partir de son influence sur notre culture (Santa Cruz, N. 1974, p. 370). À cette fin, Nicomedes Santa Cruz présente des réflexions et des arguments qui soulignent la valeur de manifestations culturelles et artistiques héritées d’Afrique et transmises au Pérou par la communauté afro-descendante. Il met également en évidence par des exemples concrets le rôle déterminant qu’elle a joué dans divers processus historiques développés dans notre pays dans les secteurs démographique, politique et économique, ainsi que dans les domaines de la danse, de la musique, de la gastronomie et de la foi, entre autres.

En ce qui concerne l’objectif de son discours, c’est-à-dire soutenir la validité de l’influence culturelle africaine dans les traditions culturelles vivantes au Pérou, Nicomedes Santa Cruz partage avec les participants des récits documentés, traditions orales, faits historiques, registres de l’utilisation d’instruments musicaux, et usages et coutumes liés à la danse et à la musique, recueillis depuis le milieu du XVIIe siècle (Santa Cruz, N. 1974, pp. 375, 376 & 377).

19

NICOMEDES SANTA CRUZ - BIOGRAPHY Source: La Nouvelle Chronique (1974)

Nicomedes Santa Cruz s’est assuré en plus de faire connaître aux participants de l’événement au Sénégal, l’importance que la localité de Zaña et sa population ont eu dans le développement de la culture afro-péruvienne dans notre pays,précisément 2017- serait la première de l’océan Pacifique à être reconnue par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) comme "Site de mémoire de l’esclavage et du patrimoine culturel africain" (Ministère de la Culture, 2017).

RÉFLEXIONS SUR LA PRÉSENCE DE NICOMEDES SANTA CRUZ AU SÉNÉGAL ET SA PARTICIPATION À LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE

L

’ouvrage Nicomedes Santa Cruz, Zaña y África du sociologue péruvien Luis Rocca Torres rapporte une série d’interviews et témoignages soulignant l’impact que le voyage à Dakar a eu sur Nicomedes Santa Cruz (Rocca Torres, L. 2015, pp. 40 45).

En ce qui concerne la conférence « Négritude et Amérique Latine », on pourrait souligner qu’elle représenterait pour Santa Cruz une occasion précieuse de partager, lors d’une conférence réalisée symboliquement en Afrique et devant un public éminent de personnalités internationales expertes sur le sujet, une lecture péruvienne sur les liens historiques et culturels forts qui ont uni dans le passé l’Afrique et le Pérou, ainsi que ses réflexions sur la validité de ces liens dans diverses représentations culturelles encore vivantes dans notre pays, en particulier dans les arts musicaux et de danse.

Il faut également souligner le travail de Nicomedes Santa Cruz pour faire connaître dans notre pays l’importance de la conférence.

Ainsi, Nicomedes Santa Cruz a profité de cette tribune à Dakar pour s’adresser aux participants et leur parler du lando, du tondero et de la marinera, de la quijada de burro et du cajón, du Seigneur des Miracles et de San Martín de Porres — autant d’éléments précieux de la culture péruvienne. Cet acte fut un apport culturel inestimable, établissant alors un renouveau de lien entre le Pérou et, via le Sénégal, l’Afrique. À l’occasion du Mois de la Culture Afro-péruvienne et du centenaire de la naissance de Nicomedes Santa Cruz, célébrés le 4 juin 2025, il convient de souligner la distinction posthume « Ordre des Grands Maîtres de la Culture Péruvienne » qui lui a été décernée par l’État péruvien, en témoignage de son « héritage en tant que référence incontournable pour les nouvelles générations et outil puissant pour les politiques publiques en matière de mémoire, justice et diversité » (Ministère de la Culture, 2025).

À cet égard, dans la colonne La Página de Nicomedes du journal La Nueva Crónica, Santa Cruz publiera quatre livrets intitulés "Colloque sur la négritude et l’Amérique latine" (20 janvier 1974), « Négritude et Amérique Latine » (27 janvier 1974), « Négritude et Amérique Latine »" (3 février 1974) et "Négritude, prise de conscience (IV)" (10 février 1974). Dans ces publications, il présenterait à ses lecteurs nationaux des appréciations personnelles sur son voyage au Sénégal, en relatant également les détails de l’évolution de la conférence et en partageant des extraits du discours qu’il a prononcé au nom du Pérou (Santa Cruz, N. 1974).

Nicomedes Santa Cruz figure sans conteste parmi les voix et personnalités les plus importantes de notre histoire récente. Son engagement actif, à travers la culture, la poésie, la musique, le journalisme et l’archivage, a contribué à redécouvrir, comprendre, valoriser et diffuser des éléments précieux de notre héritage afro-péruvien.

Dans une perspective plus large, et dans le cadre de l’initiative du président sénégalais Léopold Sédar Senghor visant à établir de nouveaux ponts pour le dialogue et l’échange intellectuels et culturels entre l’Afrique et l’Amérique latine, la participation de Nicomedes Santa Cruz à la conférence « Négritude et Amérique Latine » a représenté une opportunité sans précédent pour faire connaître en Afrique des éléments culturels significatifs de notre héritage afro-péruvien.

20

NICOMEDES SANTA CRUZ - BIOGRAPHY Source: La Nouvelle Chronique (1974)

NOTE: [1] Dans Malambo : Histoire et Arts du Premier Quartier Afro-péruvien de Lima, Luis Rocca Torres explique le processus de transition de la zamacueca à la marinera, en détaillant les variations et adaptations des instruments, styles et pas de danse, ainsi que la campagne menée par Abelardo Gamarra « El Tunante » à la fin du XIXᵉ siècle pour renommer la zamacueca en marinera, dans le cadre de la Guerre du Pacifique.

[2] En 2024, le gouvernement du Pérou, par l’intermédiaire du Ministère de la Culture, institua la distinction « Ordre des Grands Maîtres de la Culture Péruvienne », visant à honorer les personnalités de l’histoire nationale ayant consacré leur vie à promouvoir et valoriser divers éléments du patrimoine culturel de la nation.

RÉFÉRENCES:

Ministerio de Cultura de la República del Perú (2025). Nota de prensa “Zaña es reconocido por la UNESCO como Sitio de Memoria asociado a La Ruta del Esclavo: resistencia, libertad, patrimonio” (en ligne). Récupéré le 6 juin 2025 sur : https://www.gob.pe/institucion/cultura/noticias/5159zana-es-reconocido-por-la-unesco-como-sitio-dememoria-asociado-a-la-ruta-del-esclavo-resistencialibertad-patrimonio

Ansón, L (1980, 12 novembre). Leopold Senghor: “La negritud es el conjunto de valores de la raza negra” (en línea). Récupéré le 4 juin 2025 sur : https://elpais.com/ diario/1980/11/12/internacional/342831608_850215. h t m l ? e v e n t = g o & e v e n t _ log=go&prod=REGCRART&o=cerrado Bournot, E. (2022). Négritude et Amérique Latine: From the Black South Atlantic to the Third World. Dans Comparative Literature Studies, Volume 59, Numéro 1 (pp. 77-93).

Pennsylvanie, États-Unis : Penn State University Press.

Devés, E (2023). Redes intelectuales Sur-Sur: trayectorias y propuestas hacia el futuro (en línea). Récupéré le 4 juin 2025 sur : https://dialnet.unirioja.es/descarga/ articulo/9048592.pdf Ministerio de Cultural de la República del Perú (2025).

Resolución Suprema Nº 012-2025-MC: Otorgan, a título póstumo, el reconocimiento Orden de los Grandes Maestros de la Cultura Peruana al señor Nicomedes Santa Cruz Gamarra, en la subcategoría promoción de los derechos del pueblo afroperuano (4 juin 2025).

21

Rocca Torres, L. (2015). Nicomedes Santa Cruz, Zaña y África. Lima, Pérou: Centro de Desarrollo Étnico – CEDET. Rocca Torres, L. (2024). Malambo: Historia y Artes del Primer Barrio Afroperuano de Lima. Lima, Pérou : Fonds éditorial de l’Université Catholique Pontificale du Pérou.

Santa Cruz, N. (1974). Aportes de las Civilizaciones Africanas al Folklore del Perú. Ponencia presentada en el coloquio “Négritude et Amérique Latine”. Dakar, Senegal (en ligne). Récupéré le 4 juin 2025 sur : https://www. nicomedessantacruz.com/ponencias.

Santa Cruz, N. (1974). La Página de Nicomedes. En La Nueva Crónica. Lima, Perú (en ligne). Récupéré le 5 juin 2025 sur : https://www.nicomedessantacruz.com/ ponencias.

NICOMEDES SANTA CRUZ: L’HOMME, L’HÉRITAGE ET DAKAR Walter Andrés Zumarán Dávila Deuxième Secrétaire au Service Diplomatique de la République du Pérou

1. INTRODUCTION Le 4 juin 2025 dernier, on a célébré le centenaire de la naissance de Nicomedes Santa Cruz Gamarra (1925 1992), l’un des intellectuels péruviens les plus éminents du XXᵉ siècle — peut-être le principal représentant de l’afro-péruvéanité de son époque. Penseur éclectique, son parcours se caractérise par une quête constante et une diffusion de ses recherches sur les racines africaines au Pérou, en dialogue avec d’autres formes d’identité populaire. Dès les années cinquante, Nicomedes a joué un rôle qui, sans renier l’humour ni le rythme de la décima, a porté au débat national la question raciale et culturelle de la population afro-descendante péruvienne.

Profitant du fait que le présent numéro de la Revue Cumanana est consacré à la République du Sénégal, je me permets de souligner la participation de Nicomedes Santa Cruz au Colloque Négritude et Amérique latine, convoqué par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor, qui s’est tenu dans la ville de Dakar du 7 au 12 janvier 1974.

Cet événement, selon la chercheuse Estefanía Bournot (Négritude et Amérique latine : From the black south Atlantic to the Third World), « a donné naissance à une diplomatie culturelle internationale articulée autour de l’idée de la ‘fraternité raciale’ et de la solidarité tiersmondiste ».

Premier rassemblement international de cette envergure dans son parcours, le Colloque a marqué pour lui un tournant. À Dakar, Santa Cruz n’a pas seulement partagé ses recherches sur la culture afro-péruvienne avec des représentants d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes, mais a aussi découvert un espace où l'élément africain n’était pas un simple apport, mais une présence vivante et centrale : l’axe central.

22

Les lignes qui suivent examinent le parcours de Nicomedes jusqu’à Dakar, la portée culturelle et internationale de ce colloque pour lui, et comment cette expérience a consolidé une vision transnationale de la négritude.

2. NICOMEDES SANTA CRUZ ET LA VALORISATION DE LA CULTURE AFRICAINE AU PÉROU Pour comprendre les origines vitales et intellectuelles de Nicomedes Santa Cruz, je m’appuie sur une chronique de Hugo Neira Samanez, publiée dans le journal Expreso le 6 avril 1964, intitulée Otra sorpresa en Nicomedes: A lo universal por lo negro: « Nous savons tous que la famille Santa Cruz est un phénomène à cause de la diversité des personnalités artistiques qu’elle a offertes au pays […] Nicomedes, le plus jeune de ces génies familiaux, fut forgeron pendant 18 ans de sa jeunesse et de sa maturité. Mais le feu familial forgea un tempérament dont la maîtrise simple et heureuse de la langue n’a pas eu besoin d’académies […], et quand le moment fut venu, Nicomedes le forgeron se transforma sans à-coup en Nicomedes le décimiste. » Nicomedes Santa Cruz, né le 4 juin 1925, était le neuvième des dix enfants de Nicomedes Santa Cruz Aparicio et de Victoria Gamarra Ramírez. La passion pour la culture et l’art afro-péruviens, nous le savons, lui venait de sa maison.

Fierro” à des spectacles à Lima, Arequipa et au Chili, sortit en octobre l’album Gente Morena, et débuta à la radio en novembre.

Ce n’est que l’année suivante, en 1958, qu’il obtient une reconnaissance nationale grâce à sa participation à la radio et à la télévision; ajouté à un texte écrit sur lui par Sebastián Salazar Bondy. La même année, Nicomedes s’affirme comme promoteur culturel et diffuseur des arts afro-péruviens en fondant l’Ensemble "Cumanana", qui marquera le début de la carrière de sa sœur Victoria.

Suite à la publication de son recueil Décimas en 1959, le Mercurio Peruano du 25 décembre 1959 déclara: « Quant au contenu — les vers de Santa Cruz — inutile de les louer de nouveau : il s’agit d’un artiste consacré directement par le peuple. »

Le père de Nicomedes écrivait des pièces de théâtre et gagnait sa vie comme mécanicien industriel après un long séjour aux États-Unis. Quant à sa mère, Victoria Gamarra, elle travaillait comme blanchisseuse et passait ses journées à chanter des genres afro-péruviens comme la décima.

Après cinq ans d’école primaire, en 1936, à onze ans, Victoria le plaça chez le maître serrurier Nicanor Zúñiga pour qu’il apprenne le métier de forgeron, qu’il exerça vingt ans. Nicomedes installa même son propre atelier dans la maison familiale en 1953, avant de le confier à sa famille trois ans plus tard.

C’est à la fin des années quarante qu’il rencontra Porfirio Vásquez, « Le Patriarche de la Musique Noire », qui l’initia à la décima, un genre littéraire et musical en voie d’extinction, auquel il avait été exposé via la voix de sa mère.

Nicomède, depuis lors, devient disciple de Porfirio Vásquez, allant même jusqu’à dépasser son maître -ceci dans les mots de Santa Cruz lui-même. Ainsi, en 1956, il décide de quitter l’atelier de forgeron qu’il avait lui-même monté et voyage à travers le pays pour « trouver sa destination ». Nicomedes raconte qu’il allait de village en village improvisant des poèmes et, au passage, recueillant les traditions orales de ces peuples.

En 1957, Nicomedes se fit connaître dans le monde des arts péruviens : il participa avec la compagnie “Pancho

23

NICOMEDES SANTA CRUZ - BIOGRAPHY Source: www.youtube.com/watch?v=Lcs4ufFZpTs

Au croisement des revendications culturelles et politiques de la négritude discutées -débat qui se refléterait aussi dans le Colloque de Dakar- Nicomedes s’inspira de ces deux courants. Conscient des inégalités structurelles, il valorisa l’influence africaine dans la société péruvienne, tout en portant une critique sociale dans ses œuvres littéraires.

La décennie des années soixante marquerait une inclinaison politique de protestation dans la production de Nicomedes Santa Cruz, ce qui engendrerait même un bref passage par la politique et un mécontentement en lui. Cela l’a conduit en 1963 à prendre la décision d’aller au Brésil, où il rencontre l’écrivain et ethnologue Edison de Souza Carneiro, spécialisé dans la culture afro-brésilienne. Deux mois plus tard, en août, il revient dans notre pays avec toute l’expérience et les connaissances acquises au Brésil.

Dans Cumanana (1964), fidèle à ses débuts, Nicomedes revendique l’histoire afro-péruvienne avec un langage simple et direct. Le Expreso du 4 avril 1964 soulignait : « Qui ne connaît pas Nicomedes ? Qui n’a jamais entendu une de ses décimas ? Peut-être est-il le seul écrivain péruvien capable de distribuer 10 000 exemplaires d’un recueil de vers, comme il vient de le faire. Les vers ne sont pas destinés aux masses, mais Nicomedes — poète populaire — les écrit pour elles et sait comment les faire parvenir. » Nicomedes s’est positionné comme intellectuel, artiste et diffuseur de la culture afro-péruvienne à travers ses recherches, ses dixièmes, et ses mises en scène; ainsi que sa participation à la radio. Avec sa sœur Victoria, elle a même reconstruit une collection afro-péruvienne longtemps ignorée. De ce que nous pouvons apprécier dans ses textes, sa vision du monde a commencé à se construire à partir de la combinaison de la revendication et de l’intégration : il défendait le métissage péruvien d’une approche critique, dans laquelle il soulignait l’importance de reconnaître l’apport de la population afro-péruvienne.

L’invitation au colloque arriva alors qu’il avait atteint une maturité intellectuelle et un respect institutionnel au Pérou. Dakar représenta un carrefour civilisationnel et une affirmation de son rôle mondial.

24

NICOM SANTA

MEDES A CRUZ

3. LE COLLOQUE DE DAKAR : UNE RENCONTRE TRANSATLANTIQUE Nicomedes Santa Cruz est contacté pour la première fois en 1973 par le sociologue dominicain Pablo Maríñez, qui s’était installé au Pérou entre 1971 et 1975 et s’était consacré à l’enseignement universitaire ; pour vous présenter l’opportunité de participer au Colloque Négritude et Amérique latine : une rencontre entre intellectuels, artistes et universitaires d’ascendance africaine d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique. Cette invitation et la participation conjointe à Dakar marqueraient le début d’une relation qui s’étendra au fil des ans : non seulement ont-ils maintenu un contact épistolaire tout au long de la vie de Santa Cruz, mais aussi Mariñez écrirait le livre Nicomedes Santa Cruz ; décimiste, poète et folkloriste afro-péruvien (Municipalité métropolitaine de Lima, 2000).

Situons-nous d’abord dans le temps et l’espace : Au Pérou, depuis 1968, nous étions dans ce qu’on appelle le gouvernement révolutionnaire des forces armées dirigé par le général Juan Velasco Alvarado; gouvernement qui se terminera en août 1975 après le Tacnazo du général Francisco Morales Bermúdez. Au Sénégal, c’est Léopold Senghor qui a été élu premier président de la république naissante en 1960; gouvernement qui se prolongera jusqu’en 1980. Les deux pays avaient en commun, entre autres, leur appartenance au Mouvement des pays non alignés, dont la Conférence des ministres des affaires étrangères se tiendrait à Lima en août 1975.

C’est précisément Senghor qui participe avec les intellectuels Aimé Césaire et Léon Damas -et recueillant des apports de personnalités comme les sœurs Paulette et Jeanne Nardal- à la création du concept de négritude dans la France des années trente, comme un projet qui cherche à forger une identité commune de la population afro-descendante.

C’est ainsi que l’on peut comprendre la convocation du Président Léopold Senghor au colloque Négritude et Amerique latine, comme la première occasion en Afrique où l’intelligentsia afrodescendante d’Amérique latine et des Caraïbes se réunit avec des représentants du continent africain pour établir un dialogue entre les deux peuples.

Nicomedes Santa Cruz raconte ainsi ses attentes sur le voyage (La Página de Nicomedes : Coloquio sobre la Negritud y América Latina. Diario La Nueva Crónica, 20 janvier 1974): « À bord du jet qui nous emmenait de Rio à Dakar, mon compagnon de voyage, Pablo Maríñez, sociologue, professeur à San Marcos et noir comme moi, méditait dans le silence. […] nous savions parfaitement ce que l’autre pensait:

25

le retour à la Mère Patrie !… Revenir fouler une terre africaine après quatre siècles. Être partis en caravelle et revenir en avion. Des navires négriers de cinq ponts […].

Soudain, l’hôtesse nous tend deux verres de jus d’orange et, en tendant le bras, nous vîmes nos poignets libres de fers, bien que le tintement des chaînes résonnât encore à nos oreilles. » À cette occasion, Nicomedes a présenté l’exposé "Contributions des civilisations africaines au folklore du Pérou", dans lequel il a défendu avec clarté et conviction la centralité de la composante africaine dans la culture péruvienne, en particulier dans le domaine du folklore côtier. À travers un parcours historique, il a identifié la présence africaine dans les genres musicaux comme le marinera, le landó, le panalivio et la zamacueca. Il a indiqué que bon nombre de ces éléments, profondément enracinés dans la vie quotidienne du peuple péruvien, étaient le résultat direct de l’apport des communautés d’ascendance africaine amenées au Pérou en esclavage.

Son exposé n’avait pas seulement un caractère descriptif, mais aussi revendicatif : Santa Cruz réclamait la pleine reconnaissance de ces expressions comme faisant partie du patrimoine culturel du pays et de l’héritage des civilisations africaines en Amérique.

monde, enrichissant sa vision sur la négritude et sa place dans le devenir historique.

Nicomedes n’a pas manqué d’évoquer cette expérience à Dakar comme un moment transcendant. La communication qu’il a présentée en 1974 était, dans ce sens, une prise de position : l’héritage africain ne devait pas être seulement matière d’étude folklorique, mais partie active de la réflexion sur l’histoire, la politique et l’identité en Amérique latine.

Le Colloque de Dakar a donc marqué pour Nicomedes Santa Cruz non seulement une reconnaissance internationale de son travail, mais aussi une réaffirmation personnelle et politique de son engagement envers l’histoire et la culture des peuples d’ascendance africaine. Il a entrelacé sa biographie, son activisme culturel et sa vocation de pont entre les continents. Il a été, en somme, le point de rencontre entre une recherche personnelle -de la propre identité- et un projet collectif de dignification et mémoire.

La participation de Nicomedes Santa Cruz a permis d’établir des ponts entre les expériences afro-américaines et leurs origines culturelles en Afrique, articulant l’héritage culturel provenant de la "Mère Patrie" -expression que Santa Cruz lui-même utilise pour se référer au continent africain- avec les danses afro-péruviens. Il a ainsi réaffirmé sa position non seulement en tant que poète et folkloriste, mais aussi en tant qu’intellectuel afro-péruvien avec une voix active dans les débats sur la négritude, l’identité culturelle et la mémoire historique sur le continent américain.

Sur la base de la création de l'"Association d’études afrolatino-américaines", approuvée par les participants au Colloque, Nicomedes, dès son retour au Pérou, cherche à créer un "Institut d’études afro-péruviennes" à Lima, projet qu’il reformulerait en tant que "Revue d’études afro-péruviennes". Les deux idées ont été fortement soutenues par son nouvel ami, Pablo Maríñez, mais malheureusement aucune ne s’est concrétisée.

Cependant, l’impact de Dakar sur Nicomedes a été durable.

Par la suite, sa production intellectuelle et artistique s’est tournée vers une vision plus internationale de la culture afro-descendante. L’expérience en Afrique l’a conduit à réaffirmer l’existence d’un tronc commun dans les expressions culturelles afro-américaines, au-delà de leurs particularités locales. Cette perspective transnationale l’a poussé à nouer de nouveaux liens avec des artistes, des chercheurs et des activistes de différentes parties du

26

NICOMEDES SANTA CRUZ Source: Wikipedia.

4. L’HÉRITAGE DE NICOMEDES

Nicomedes Santa Cruz fut tour à tour écrivain, animateur radio, décimiste, promoteur artistique, chercheur académique et militant de l’afro-péruvéanité. Sa vocation constante fut la réhabilitation et le renouveau de la culture afropéruvienne.

Son œuvre nous permet encore aujourd’hui d’évoquer l’influence africaine au Pérou. En reliant passé et présent, Nicomedes non seulement rendit visible un héritage marginalisé, mais il l’invita à danser, avec force, au centre de notre imaginaire national.

Il est crucial aussi de rappeler le rôle déterminant de sa sœur, Victoria Santa Cruz, dans la récupération des danses et expressions afropéruviennes, qui assurèrent leur transmission jusqu’à nos jours.

5. REMERCIEMENTS

Ce texte ne saurait se terminer sans souligner la contribution précieuse des enfants de Nicomedes Santa Cruz — Mercedes, Luis Enrique et Pedro — qui, via le site www.nicomedessantacruz.com, nous ont légué une vaste et détaillée collection bibliographique sur la vie de leur père.

27

ÉTENDRE L’AFRICANITÉ

28

LE STEELPAN : LE SON DE LA RÉSILIENCE ET DE L’IDENTITÉ À TRINITÉ-ET-TOBAGO Claudia Giuliana Betalleluz Otiura Ministre au Service diplomatique de la République du Pérou

« D’AFRIQUE ARRIVA MA GRAND-MÈRE PARÉE DE COQUILLAGES, LES ESPAGNOLS L’AMENÈRENT DANS UN NAVIRE CARAVELLE. ON LA MARQUA AU FER ROUGE, LA CARIMBA FUT SA CROIX. ET EN AMÉRIQUE DU SUD, AU RYTHME DE SES DOULEURS, LES TAMBOURS DES NOIRS DONNÈRENT LES SONS DE L’ESCLAVAGE ».

GROUPE DE STEEL DRUMS SUR LA PLAGE, AU EAST WINDS INN, SAINTE-LUCIE Source: atravelerslibrary.com.

NICOMEDES SANTA CRUZ En Amérique, certains instruments de musique remontent à l’époque de l’esclavage, lorsque des Africains furent déportés entre les XVe et XIXe siècles, et aux interdictions qui frappèrent plus tard leurs tambours. L’un d’eux est le steelpan, ou tambour métallique de Trinité-et-Tobago, symbole de cette île caribéenne devenu ambassadeur culturel du pays à travers le monde.

Les tambours utilisés par les personnes réduites en esclavage ne servaient pas seulement à accompagner leurs longues journées de labeur, ils jouaient également un rôle central dans les cérémonies religieuses et les expressions culturelles. Ils furent aussi décisifs lors des révoltes qui éclatèrent dès le XVIIIe siècle en Amérique, où les esclaves luttaient contre les abus et aspiraient à la liberté. La rébellion de Stono, en septembre 1739 dans la colonie britannique de Caroline du Sud, en est un exemple marquant : les tambours y furent utilisés comme moyen de communication et de coordination. D’autres soulèvements eurent lieu ailleurs sur le continent.

29

Dans les Caraïbes, les autorités coloniales européennes, conscientes du pouvoir des tambours et autres instruments africains comme outils de cohésion et de communication, en interdirent l’usage dans plusieurs îles afin de réduire les risques d’insurrection. Des restrictions similaires furent imposées au Brésil, bannissant les pratiques musicales africaines, notamment la percussion et les rythmes associés aux rites religieux. Dans les colonies espagnoles, c’est l’Église catholique qui interdit aux esclaves d’utiliser les tambours. Une situation comparable se produisit dans les colonies françaises, notamment à Saint-Domingue (l’actuelle Haïti), où une révolte coordonnée débuta en août 1791 et mena, après douze ans de lutte, à l’indépendance du pays.

En réponse aux soulèvements d’esclaves, les autorités coloniales ont mis en place une série de restrictions visant à limiter l’utilisation des tambours et autres expressions culturelles africaines. Ces interdictions visaient à empêcher que les tambours soient utilisés comme moyen de communication efficace entre les Africains asservis, en évitant la transmission de messages complexes sur une longue distance.

Elles visaient également à supprimer les pratiques et les identités culturelles africaines, en coupant le lien des esclaves avec leur héritage, leurs traditions et leur cohésion sociale, ce qui facilitait leur contrôle et leur assimilation à la culture dominante. Une autre raison derrière ces restrictions était la peur de l’unité. Les sessions de tambour étaient des événements communautaires qui réunissaient des Africains asservis, même s’ils provenaient d’ethnies différentes, en promouvant l’identité partagée.

Les esclavagistes craignaient que ces réunions n’inspirent des révoltes.

Cependant, ces interdictions ont stimulé la créativité et l’adaptation au sein de la population d’origine africaine, générant de nouvelles façons de créer de la musique et de préserver leur patrimoine culturel. En réponse, les percussions corporelles sont apparues, comme les palmes et les zapateos, une pratique largement répandue en Amérique. De nouveaux instruments de musique ont également été mis au point. Malgré les restrictions, les Afro-Américains ont continué à utiliser la musique comme outil de résistance, de communication et de préservation culturelle. L’héritage des percussions africaines, avec leurs rythmes et leur signification communautaire, a perduré et évolué, influençant profondément la musique et l’identité culturelle de la diaspora africaine à travers les Amériques. À Trinité-et-Tobago, à la fin du XIXe siècle, des émeutes survenues lors des célébrations du carnaval poussèrent les autorités coloniales à rétablir l’interdiction des instruments de percussion. En réaction, les habitants d’origine africaine se mirent à utiliser des tubes de bambou à la place des tambours : frappés au sol, ces tubes produisaient des sons similaires. Cette pratique se poursuivit jusqu’à la fin des années 1930 dans le cadre du carnaval, avec les célèbres ensembles de TambooBamboo, qui défilaient dans les rues accompagnés de cuivres et de cordes.

Les premiers steelpans avaient une portée limitée et se jouaient avec des baguettes ou à mains nues. Cependant, la recherche de l’innovation a conduit à la découverte du tambour en acier, un instrument plus durable et polyvalent. Initialement utilisé pour stocker du pétrole, ce tambour a évolué pour devenir le symbole musical le plus représentatif de Trinité-et-Tobago.

En juillet 2024, le Parlement de Trinité-et-Tobago adopta à l’unanimité la loi désignant le steelpan comme instrument national de la République. En février de la même année, il remplaça officiellement les trois caravelles dans le blason national, consolidant sa place d’emblème culturel.

Bien que le steelpan ait été développé au XXe siècle, son essence va bien au-delà de son époque. Il s’érige en symbole de rébellion, de résilience et de créativité, reflétant l’esprit indomptable des descendants africains à Trinité-et-Tobago. Son son est un écho du passé, rappelant la dure réalité de l’esclavage, mais aussi la force de ceux qui, malgré l’oppression, n’ont jamais perdu leurs racines culturelles.

STEELBAND DE TRINITÉ Source: gotourismguides.com

Peu à peu, de nouveaux éléments furent incorporés, comme des boîtes de biscuits utilisées comme percussions.

Ces instruments rudimentaires donnèrent naissance au steelpan, emblème musical de Trinité-et-Tobago, qui allait bientôt évoluer en une famille d’instruments métalliques aux registres variés formant les steelbands modernes.

Les musiciens ont découvert qu’en frappant les boîtes de conserve, initialement convexes, ils produisaient des notes musicales, mais ils ont vite remarqué qu’ils pouvaient élargir le registre sonore en les rendant concaves.

LES ARMOIRIES

30

Source:otp.tt

APPRENEZ L’ART DE JOUER DU STEEL DRUM À TRINITÉ

Source: tripjive.com/learn-the-art-of-steel-pan-drumming-in-trinidad/

RÉFÉRENCES:

Smith, C.D. (2024). History and Impact of Drum Bans on African American Music. Patterson’s Community.

History of the Steelpan. (s.f.). Dans Caribbeanz.

Récupéré de www.caribbeanz.org/history-of-the- Warner-Lewis, M. (2007, mars). African Heritage in steelpan the Caribbean (2nd Part). National Library, Trinidad and Tobago. Récupéré de www.africaspeaks.com Steelpan & Slavery: A Story of Rhythm, Rebellion, & Resilience. (2023, 31 de julio). En Exceptional La prohibición eclesiástica de los tambores africanos Caribbean. Récupéré de https://exceptionalcaribbean. en el Perú que dio como resultado la creación del cajón com/2023/07/31/steelpan-slavery-a-story-of- flamenco. (s.f.). Dans Marchena Secreta. Récupéré rhythm-rebellion-resilience de https://marchenasecreta.com/la-prohibicioneclesiastica-de-los-tambores-africanos-en-peruMintz, S. (s.f.). Historical Context: Facts about que-dio-como-resultado-el-cajon-flamenco the Slave Trade and Slavery. The Gilder Lehrman Institute. Récupéré de https://www.gilderlehrman. org/history-resources/teacher-resourcs/historicalcontext-facts-about-slave-trade-and-slavery Santa Cruz, N. (1971). Ritmos Negros del Perú.

Buenos Aires. Editorial Losada

31

DÉVELOPPEMENT ALTERNATIF INCLUSIF ET DURABLE : IMPACT EN AFRIQUE ET AU PÉROU ET SON LIEN AVEC LA GASTRONOMIE Luis Miguel Rodríguez Chacón Ministre au Service diplomatique de la République du Pérou Le développement alternatif s’est imposé comme un outil central pour répondre à des problématiques complexes telles que le narcotrafic, la pauvreté rurale et la dégradation environnementale, particulièrement dans les régions où les économies illégales se sont enracinées faute d’opportunités viables. Dans ce contexte, l’Afrique et le Pérou offrent des scénarios contrastés mais comparables dans leurs défis : des zones rurales vulnérables face aux économies illicites, riches en biodiversité et dotées d’une forte tradition agricole et culinaire.

Cet article étudie l’impact d’un développement alternatif inclusif et durable en Afrique et au Pérou, en se focalisant sur la manière dont ces politiques ont contribué à freiner le narcotrafic, à réduire la pauvreté et à renforcer les cultures gastronomiques locales. À travers l’analyse d’expériences concrètes — telles que la substitution de cultures illicites par le cacao au Ghana, le café en Éthiopie et la quinua au Pérou —, des parallèles sont tracés entre les deux contextes en termes de transformation sociale, économique et culturelle. La mise en œuvre de ces modèles a eu un impact direct sur l’amélioration des conditions de vie et a encouragé la valorisation des produits agroalimentaires traditionnels, jouant un rôle de catalyseur dans le renouveau gastronomique. Ainsi, le développement alternatif se conçoit non seulement comme une stratégie efficace face au modèle économique du narcotrafic, mais aussi comme une plateforme promouvant l’identité culinaire et encourageant des économies durables fondées sur les savoirs et ressources locaux.

QUINUA Source: theguardian.com

QUINUA Source: boliviaagra.wordpress.com

CACAO Source: worldcocoafoundation.org

QUINUA Source: theguardian.com

32

1. DÉVELOPPEMENT ALTERNATIF : DÉFINITION ET PORTÉE

UN AGRICULTEUR EXAMINE DES PLANTS DE CAFÉ DANS UNE PÉPINIÈRE Source: tunodc.org

Selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), le développement alternatif est une stratégie à long terme visant à promouvoir le développement rural durable dans les régions affectées par la culture de drogues illicites. Son objectif principal ne se limite pas à la substitution des cultures illégales, mais vise à transformer les structures socio-économiques qui sous-tendent ces activités.

En termes généraux, il comprend un ensemble de politiques et programmes destinés à offrir des moyens de subsistance licites et durables en alternative à des pratiques illégales ou nuisibles pour l’environnement, telles que la culture de coca, de pavot ou de marijuana. Cette approche est globale, car elle intègre des dimensions économiques, sociales, environnementales et culturelles, afin de générer des conditions structurelles favorables à une durabilité sur le long terme.

Quand il est inclusif et durable, le développement alternatif dépasse les indicateurs purement économiques pour intégrer des aspects tels que l’égalité des

33

genres, la protection de l’environnement et la valorisation des cultures locales. La participation active des communautés dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de ces programmes est essentielle pour garantir leur efficacité et leur légitimité.

Dans sa conception la plus inclusive, cette stratégie reconnaît les communautés locales non comme réceptrices passives mais comme des acteurs clés des processus de transformation. Le développement alternatif intégral et durable s’articule autour de quatre composantes clés : i) la reconstruction du tissu social, matérialisée par la présence de l’État et la sécurité territoriale; ii) une intervention intégrale qui promeut la diversification des moyens de subsistance, la création d’emplois et le soutien à l’entrepreneuriat ; iii) des économies licites et durables visant à réduire les écarts socio-économiques et diminuer les espaces de culture de coca ; iv) des marchés durables basés sur l’économie circulaire et favorables à des produits et services respectueux de l’écosystème.

2. AFRIQUE : CACAO, CAFÉ ET TRANSFORMATION AGRICOLE

RENFORÇANT NOS LIENS AVEC LES PRODUCTEURS DE CACAO À ASAREKWAA, AU GHANA Source: chocolopolis.com

En Afrique de l’Ouest, le développement alternatif s’est concentré sur des cultures agricoles stratégiques à haute valeur ajoutée, telles que le cacao et le café.

Des pays comme le Ghana, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie et le Nigeria ont mis en œuvre des politiques visant non seulement la productivité, mais aussi la transformation sociale, économique et culturelle.

Le Ghana et la Côte d’Ivoire, principaux producteurs mondiaux de cacao, ont encouragé des processus de transformation durables grâce à des politiques visant à améliorer la qualité du produit, garantir des prix équitables aux agriculteurs et encourager la consommation interne. Au Ghana, par exemple, le programme Cocoa Life, mis en œuvre par Mondelēz International en partenariat avec des gouvernements et des organisations non gouvernementales, a lié la durabilité environnementale, l’autonomisation communautaire et la diversification économique (Mondelēz, 2020). Cette initiative a favorisé des pratiques agricoles responsables, l’éducation nutritionnelle et la formation dans les entreprises gastronomiques, en encourageant la transformation du cacao en produits à valeur ajoutée. La présence croissante de chocolateries artisanales dans des villes comme Accra et Kumasi est un reflet tangible de ces efforts.

En Éthiopie, le café Arabica dépasse sa valeur marchande pour s’affirmer comme un pilier culturel.

Des programmes soutenus par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont amélioré la production, développé des

34

routes touristiques autour du café et intégré les communautés rurales à des chaînes de valeur plus inclusives. L’augmentation des revenus ruraux, le renforcement de l’identité culturelle et une consommation locale accrue en témoignent. Le Coffee Cultural Landscape of Ethiopia, proposé comme Patrimoine mondial par l’UNESCO, illustre comment une culture agricole peut être intégrée au développement territorial, culturel et gastronomique..

Au Nigeria, des initiatives de développement alternatif axées sur le gingembre et le piment, promues par la Banque africaine de développement, ont privilégié un modèle inclusif avec des coopératives dirigées par des femmes, associant agriculture durable, égalité des genres et initiatives culinaires locales.

Dans l’ensemble, ces cas illustrent comment le développement alternatif peut générer des effets positifs quand il intègre des objectifs plus larges de durabilité, d’équité et de valorisation culturelle.

L’alliance entre agriculture, identité et gastronomie permet non seulement de diversifier les économies rurales, mais aussi de renforcer le tissu social et de favoriser des formes de développement plus justes et inclusives.

3. PÉROU : COCA, CAFÉ ET RÉVOLUTION GASTRONOMIQUE

LE CAFÉ PÉRUVIEN Source: sca.coffee

Au Pérou, le développement alternatif est historiquement lié aux stratégies de lutte contre le narcotrafic. Depuis les années 1980 et 1990, le pays a lancé divers programmes de substitution des cultures de coca dans des zones traditionnellement dépendantes de cette plante, comme la vallée du Haut Huallaga et la région VRAEM (vallée des rivières Apurímac, Ene et Mantaro), où la coca restait le principal moyen de subsistance de nombreuses communautés rurales.

Grâce à des programmes menés par DEVIDA (Commission nationale pour le développement et la vie sans drogue), des cultures alternatives comme le café se sont imposées non seulement comme des produits d’exportation compétitifs, mais aussi comme des symboles d’une culture culinaire émergente. Des concours tels que la Taza de Excelencia ont encouragé l’amélioration de la qualité du café péruvien, en le positionnant sur les marchés mondiaux tout en renforçant chez les producteurs locaux un sentiment renouvelé de fierté et d’identité.

Le cacao a suivi une voie similaire. Grâce à la collaboration entre les gouvernements locaux, organisations de producteurs et entreprises privées, facilités par les programmes de développement

35

alternatif, il s’est intégré dans les circuits de haute gastronomie au niveau national et international.

Ces cultures, auparavant associées à des régions stigmatisées par le narcotrafic, sont devenues moteurs de transformation économique, territoriale et culturelle.

Ce processus a coïncidé avec l’avènement de la gastronomie péruvienne contemporaine, portée par des chefs de renom tels que Gastón Acurio, Mitsuharu Tsumura et Virgilio Martínez. Ces chefs ont intégré dans leurs créations culinaires des produits amazoniens et andins — nombre d’entre eux issus des programmes de développement alternatif —, établissant des ponts innovants entre producteurs ruraux, marchés urbains et tourisme.

Ainsi, la gastronomie est devenue une plateforme d’inclusion sociale, de valorisation culturelle et de commercialisation de produits agricoles auparavant marginalisés.

Ensemble, l’expérience péruvienne montre que le développement alternatif peut dépasser son cadre agronomique initial pour s’inscrire dans un processus plus global de développement territorial, de renforcement des identités locales et de dynamisation économique via la gastronomie.

4. PARALLÈLES ENTRE L’AFRIQUE ET LE PÉROU

DES ENTREPRENEUSES PIONNIÈRES QUI TRANSFORMENT LE SECTEUR AGRO-INDUSTRIEL AFRICAIN Source: lionessesofafrica.com/

L’Afrique et le Pérou partagent des trajectoires convergentes dans l’utilisation du développement alternatif comme levier pour sortir de la pauvreté, freiner les économies illicites et raviver les identités culturelles grâce à la gastronomie. Bien que les contextes politiques, sociaux et économiques diffèrent, on observe des similarités structurelles dans les domaines suivants :

4.1. SUBSTITUTION DES ÉCONOMIES ILLICITES

4.2. INCLUSION SOCIALE ET PERSPECTIVE DE GENRE

Dans les deux cas, on a promu la transition de cultures illicites vers des chaînes de valeur éthiques, rentables et culturellement signifiantes. Le cacao et le café ont été adoptés comme alternatives viables, non seulement en raison de leur rentabilité et de leur potentiel sur les marchés mondiaux, mais aussi pour leur capacité à s’intégrer aux dynamiques productives renforçant les identités locales.

Les programmes les plus fructueux ont inclus une dimension inclusive, notamment via l’autonomisation des femmes rurales. En Afrique de l’Ouest, des coopératives féminines ont émergé dans les secteurs du gingembre et du piment, particulièrement au Nigeria et au Ghana. De façon similaire, au Pérou, de nombreuses associations de productrices de café et de cacao ont vu le jour en Amazonie centrale, jouant un rôle crucial dans la transformation des systèmes de production et la valorisation du travail des femmes dans des régions historiquement marginalisées.

4.3. GASTRONOMIE COMME VECTEUR D’IDENTITÉ ET DE DÉVELOPPEMENT

4.4. RTICULATION AVEC LES MARCHÉS LOCAUX ET MONDIAUX

Dans les deux contextes, l’agriculture a servi de base à des mouvements gastronomiques valorisant les savoirs ancestraux et les produits traditionnels. En Afrique, cela se manifeste par la réintroduction du fonio au Sénégal ou la redécouverte de l’injera en Éthiopie. Au Pérou, des produits autochtones comme la quinoa, le tarwi ou le piment sont réinterprétés dans une narration gastronomique contemporaine, devenant des symboles d’identité nationale et de patrimoine culturel. Ce changement de narratif a contribué à la création de nouvelles opportunités économiques liées à la cuisine locale et au tourisme gastronomique.

L’accès aux marchés est un déterminant essentiel de la pérennité du développement alternatif. Le Pérou a considérablement progressé dans ce domaine à travers l’instauration de labels de qualité, d’appellations d’origine et de stratégies d’exportation haut de gamme. En Afrique, des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) représentent une opportunité pour stimuler le commerce intra-africain des produits agricoles au potentiel gastronomique – cacao, sorgho, millet – encore sous-exploités sur la scène internationale.

36

5. IMPACT SUR LA GASTRONOMIE : AU-DELÀ DE L’ASSIETTE

PIERRE THIAM EST UN CHEF, AUTEUR, ENTREPRENEUR SOCIAL ET AMBASSADEUR CULINAIRE, ORIGINAIRE DU SÉNÉGAL ET RÉSIDANT EN CALIFORNIE. Source: pierrethiam.com

Le lien entre développement alternatif et gastronomie n’est pas qu’économique, il est profondément culturel. La valorisation des produits locaux transforme les menus, les habitudes alimentaires et l’estime nationale.

Au Pérou, l’utilisation d’ingrédients amazoniens dans les restaurants de Lima a généré de nouvelles connexions entre le monde rural et urbain. La narration du "chef ambassadeur du territoire" a renforcé la relation entre identité nationale et biodiversité alimentaire.

En Afrique, des chefs comme Pierre Thiam (Sénégal) ou Selassie Atadika (Ghana) conduisent une révolution culinaire qui remet en valeur les ingrédients locaux, les pratiques durables et un discours de fierté africaine.

La gastronomie devient ainsi un outil de diplomatie culturelle et de développement économique.

PIERRE THIAM DANS SON ÉLÉMENT NATUREL Source: ninaroberts.net

37

6. LA GASTRONOMIE COMME MOTEUR DE TRANSFORMATION

LA CHEFFE SELASSIE ATADIKA EN PLEIN TRAVAIL Source: eatforum.org

La gastronomie synthétise identité, biodiversité et économie. Sur les deux continents, chefs et producteurs réinventent le lien entre territoire et cuisine. Des cuisines de Lima aux marchés d’Accra ou d’Addis Abeba, on observe une transformation profonde du rôle de l’aliment comme vecteur de développement.

Le cas péruvien montre comment un pays peut construire une marque nationale à partir de sa cuisine. L’Afrique, de son côté, avance vers une valorisation culinaire spécifique, illustrée par le travail de chefs comme Pierre Thiam ou Selassie Atadika, intégrant des ingrédients autochtones dans des menus de renommée mondiale.

LA CHEFFE SELASSIE ATADIKA EN PLEIN TRAVAIL Source : nataal.com/selassie-atadika

38

7. CONCLUSIONS Le développement alternatif, lorsqu’il est inclusif et durable, possède un fort potentiel pour transformer les structures économiques, réduire la pauvreté, affaiblir les réseaux liés au narcotrafic et revitaliser les identités culturelles via la gastronomie. Les expériences d’Afrique et du Pérou montrent que l’agriculture, loin d’être une activité marginale, peut constituer l’axe central d’un modèle de développement intégral. Dans ce modèle, agriculture et gastronomie se renforcent mutuellement, générant une valeur économique, sociale et symbolique.

Les deux régions offrent des leçons précieuses pour concevoir des politiques publiques innovantes : l’importance d’approches participatives impliquant les communautés locales ; le rôle stratégique de l’État dans l’accès aux marchés, à l’éducation et au financement ; et la nécessité de lier la production agricole à la transformation gastronomique pour créer de la valeur ajoutée. Dans ce cadre, la gastronomie ne se limite pas à une expression culturelle, elle devient un catalyseur de développement économique et un puissant outil d’inclusion sociale.

CHEFFE RURALE AU GHANA (FATMATA BINTA) Source: theguardian.com

En définitive, le parallèle entre l’Afrique et le Pérou ouvre la voie à un avenir partagé, où la richesse bioculturelle et agricole de leurs peuples se traduit en développement durable, justice sociale et renforcement de la fierté identitaire. Par le biais de l’alimentation, on construit non seulement le bien-être matériel, mais aussi la dignité, l’appartenance et la résilience.

PRODUCTRICE DE CAFÉ DE LAMAS, RÉGION DE SAN MARTÍN Source: sca.coffee

RÉFÉRENCES: DEVIDA. (2024). Memoria Institucional 2023. Comisión Nacional para el Desarrollo y Vida sin Drogas.

DEVIDA. (2024). Monitoreo de cultivos de coca 2023. Comisión Nacional para el Desarrollo y Vida sin Drogas.

UNODC (2024) Practical Guide on Alternative Development and the Environment.

UNODC. (2023). Informe técnico: implementación de programas de desarrollo alternativo en África. Documentación interna presentada en la 31ª reunión de jefes de agencias antidrogas africanas.

UNESCO. (2021). African Gastronomic Heritage and Sustainable Development.

39

E L’HARPDU SON DE LOS DIABLOS : LA KORA DU SÉNÉGAL ET LE PROJET DU MUSICIEN ADRIÁN LARA (ENTREVUE) Julio Antonio Ubillús Ramírez Conseiller au Service diplomatique de la République du Pérou Dans le cadre de sa démarche visant à documenter la vie quotidienne des Limeños du XIXᵉ siècle, le chroniqueur Pancho Fierro représenta, dans son aquarelle El Son de los Diablos, cette danse très populaire lors des carnavals de l’époque, accompagnée de la quijada de burro (mâchoire d’âne), la guitare, la cajita et la harpe (Barrón, J. 2018, p. 32). À l’aquarelle de Fierro s’ajoute l’œuvre Fiesta de San Juan

de Amancaes (1843) du peintre allemand Johann Moritz Rugendas, ainsi que d’autres documents historiques attestant de danses afro-péruviennes accompagnées à la harpe. Aujourd’hui, l’usage de cet instrument dans les traditions musicales afro-péruviennes a décliné, bien que certaines initiatives œuvrent à le faire renaître.

PANCHO FIERRO – LE SON DES DIABLES Source: commons.wikimedia.org

JOHANN MORITZ RUGENDAS – FÊTE DE LA SAINT-JEAN D’AMANCAES (1843) Source: infobae.com

L’une de ces initiatives appartient au musicien péruvien Adrián Lara [1], installé depuis douze ans en Norvège. M. Lara mène un projet destiné à revitaliser l’usage de la harpe dans la musique afro-péruvienne, en inscrivant cette démarche dans une mission personnelle plus vaste : promouvoir la culture péruvienne à l’étranger.

ADRIÁN LARA ET SANKUNG JOBARTEH INTERPRÉTANT LA KORA (OSLO, AVRIL 2024)

40

En ce qui concerne l’histoire de la harpe dans la musique afro-péruvienne, aux œuvres de Fierro et Rugendas s’ajoutent des témoignages documentés, tels celui du marin américain William Waithman Ruschenberger, qui en 1834 décrit en détail sa visite à la Fiesta de Amancaes à Lima, évoquant la danse de la « sama cueca » et les instruments employés, dont la harpe, à laquelle on utilisait non seulement les cordes, mais aussi la caisse comme percussion (Ruschenberger, W.S.W. 1835, p. 301).

article, la kora du Sénégal.

Le kora est un instrument de musique qui a ses racines en Afrique de l’Ouest, y compris au Sénégal. Il est composé d’un corps de citrouille recouvert de peau de vache, d’un mât en bois et de 21 cordes fabriquées à partir de matériaux résistants tels que des fils de pêche ou du nylon.

L’utilisation de cet instrument s’étend au Sénégal, au Mali, en Guinée-Bissau, en Gambie, en Guinée et au Burkina Faso (African Music Library, 2025).

ADRIÁN LARA, NOEL ADRIANZÉN ET LEUR ÉLÈVE ARIANA SIESQUÉN (ETEN, MAI 2024)

De manière analogue, le musicien italien Claudio Rebagliati mentionne dans son ouvrage Álbum sudamericano de 1870 un ensemble de zamacuecas — ainsi que des yaravíes, entre autres — arrangées pour piano, précisant qu’elles étaient à l’origine jouées à la guitare, la harpe et la cajón (Rebagliati, C. 1870, p. 1).

Plus tard, Nicomedes Santa Cruz décrirait en 1974 la danse du tondeur lors d’une conférence internationale au Sénégal, indiquant à ce sujet qu’elle "nécessite un ou deux chanteurs ; secondés par un accompagnement de deux guitares plus le rythme donné par une caisse de bois percuté à main nue (...). Jusqu’à il y a quelques années on jouait de la harpe à la place des guitares et le rythme était atteint par un autre musicien en tapant avec les mains sur le couvercle de la caisse de résonance de ce même instrument" (Santa Cruz, N. 1974, p. 378).

Concernant le projet de récupération de la harpe mené par Adrián Lara, celui-ci a exploré diverses sources, dont le répertoire baroque colonial pour harpe en Amérique latine, ainsi que d’autres traditions afrolatines où cet instrument subsiste. Il s’inspire aussi des traditions musicales africaines, particulièrement celles utilisant des instruments comme le balafon et, pour les besoins de cet

41

KORA FABRIQUÉE PAR MAMADOU KOUYATÉ, SENEGAMBIA (METROPOLITAN MUSEUM OF ART)

Source: amis.org

Pour M. Lara, la kora est l’instrument africain dont le son se rapproche le plus de la harpe, même si leur structure diffère fortement. Il précise qu’« il s’agit d’un instrument diatonique, souvent accordé de manière compatible avec les instruments occidentaux. En conséquence, on peut jouer au départ ce qui est joué à la kora également à la harpe. Esthétiquement, la kora produit des improvisations sur ostinatos polyrhythmiques très riches, comme dans plusieurs de nos genres afro-péruviens (festejo, landó, panalivio, son de los diablos, contrepoint de zapateo, etc.) » (Lara, A., entretien personnel, 7 juin 2025).

Les qualités sonores et les traditions musicales associées à la kora font de cet instrument un outil précieux pour le travail de M. Lara, qui en emprunte certains idiomes pour enrichir le rapportoire afro-péruvien à la harpe. Dans ce même esprit, il collabore avec Sankung Jobarteh, musicien gambien installé à Oslo et spécialiste de la kora, afin de valider la proximité et la compatibilité entre les traditions musicales afro-péruviennes et l’exécution de l’instrument sénégalais.

Les avancées pratiques des explorations d’Adrián Lara -qui incluent la kora- pour récupérer la harpe dans les traditions musicales afro-péruviennes sont consultées et nourries grâce au soutien et aux opinions de musiciens péruviens experts en la matière, tels que Alfredo Valiente Martinez, Rony Campos, Ivón Muñóz et, en particulier, Noel Adrianzén Palacios, harpiste et chercheur de Piura, que Adrián Lara a interviewé pour pouvoir documenter ses styles musicaux sur la harpe.

Parallèlement, les découvertes et créations autour de la harpe sont partagées par Adrián Lara avec une jeune harpiste native d’Éten, au nord du Pérou, élève qui s’intéresse également à ce projet de revitalisation de la harpe dans les traditions musicales afro-péruviennes.

NOTE

[1] Adrián Lara est un musicien péruvien formé en chant lyrique (contre ténor). Il a consacré une partie de ses études en Norvège à explorer le répertoire baroque latino américain. Il a ensuite utilisé la harpe pour obtenir son master libre à l’Académie norvégienne de musique (Norges musikkhøgskole), se focalisant sur le chant, la harpe, la percussion et le répertoire de la diaspora africaine en Amérique latine.

Dans son effort de restauration de la harpe dans les traditions afro péruviennes, M. Lara étudie différentes sources et instruments, notamment la kora du Sénégal. Son investigation inclut aussi le son jarocho du Mexique, ainsi que des genres coloniaux espagnols tels que zarambeques, cumbés, paracumbés, canarios et villancicos de negrilla, entre autres.

REFERÊNCIAS African Music Library. (2025). History of the Kora (en línea). Récupéré le 10 juin 2025, de https://www. africanmusiclibrary.org/genre/Kora.

Barrón Mifflin, J. (2018). PANCHO FIERRO: Un cronista de su tiempo. Lima, Pérou : Depósito Legal de la Biblioteca Nacional del Perú.

Rebagliati, C. (1870). Álbum sudamericano, colección de bailes y cantos populares corregidos y arreglados para piano. Milano, Italia: Stabilimento di Edoardo Sonzogno (en ligne). Récupéré le 12 juin 2025 de : https://archive.org/details/ AlbumSudamericanoClaudioRebagliati1870/page/ n59/mode/2up?view=theater Ruschenberger, W. S. W. (1834). Three years in the Pacific; including notices of Brazil, Chile, Bolivia, and Peru. Philadelphia, Estados Unidos de América: Carey, Lea & Blanchard.

ADRIÁN LARA, EN PLEINE INTERPRÉTATION À LA HARPE

Santa Cruz, N. (1974). Aportes de las Civilizaciones Africanas al Folklore del Perú. Ponencia presentada en el coloquio “Négritude et Amérique Latine”.

Dakar, Senegal (en ligne). Récupéré le 4 juin 2025 de : https://www.nicomedessantacruz.com/ponencias.

42

NOTRE COMMUNAUTÉ PÉRUVIENNE EN ZAMBIE : UNE HISTOIRE AU CŒUR DE L’AFRIQUE Daniel Torres Pinguz Deuxième Secrétaire du Service Diplomatique de la République du Pérou La migration est un phénomène social qui s’est développé de manière constante depuis la formation des premières entités politiques dans différentes régions du monde.

de 4 000 travailleurs zambiens.

La recherche de nouvelles opportunités — qu’elles soient économiques, professionnelles ou sociales — a façonné le tissu des diverses sociétés, tant celles dont sont issus les migrants que celles qui les accueillent. Comme on le sait, la migration et l’établissement de communautés péruviennes à l’étranger font partie intégrante de notre société et, bien entendu, des nombreuses responsabilités du Ministère des Relations extérieures.

En raison de leur nombre important, la présence, la pertinence et l’identité propre de nos communautés dans des pays comme les États-Unis, l’Espagne, le Chili, l’Argentine, l’Australie et d’autres encore sont bien connues. Toutefois, il existe des communautés péruviennes dans diverses régions du monde, y compris dans des lieux très éloignés du Pérou. C’est le cas de notre communauté en Zambie.

Située dans le sud du continent africain, la Zambie est le foyer d’environ 400 compatriotes, la grande majorité d’entre eux étant établis dans la province du Copperbelt, une région riche en gisements de cuivre dont la capitale est Kitwe, deuxième ville du pays après Lusaka en termes de population et de développement.

Qu’est-ce qui a motivé l’installation initiale et la croissance de la communauté péruvienne en Zambie ? Le lien entre le Pérou et ce pays africain se trouve dans l’industrie minière. Les premiers travailleurs et entreprises minières péruviennes ont commencé à s’y installer au début des années 2000. Actuellement, sept entreprises péruviennes mènent des activités extractives (forage, exploration et maintenance dans les mines de cuivre) dans la région du Copperbelt. D’après les informations aimablement fournies par la section consulaire de notre ambassade en Afrique du Sud, environ 70 % de cette population est constituée d’hommes, professionnels et techniciens spécialisés dans l’industrie minière, en plus d’ingénieurs, de mécaniciens, d’électriciens et d’autres métiers apparentés. Outre nos compatriotes, ces entreprises emploieraient également, selon plusieurs sources, près

43

CÉRÉMONIE DU 1ER MAI ET REMISE DE PRIX AUX EMPLOYÉS MÉRITANTS DE LA SOCIÉTÉ TAURO MINING Source: Archives personnelles

Le travail dans le secteur minier est exigeant et d’une grande complexité. Toutefois, en tant que ressortissants d’un pays minier, les membres de la communauté péruvienne se distinguent dans ces entreprises par leurs compétences, leurs connaissances et leur professionnalisme, qu’ils partagent avec leurs collègues zambiens. Comme dans d’autres parties du monde, le talent péruvien dans le domaine minier est reconnu et apprécié, car cette activité représente un pilier du développement de notre pays.

À cette occasion, nous avons recueilli le témoignage de M. Guillermo Vega López, originaire de Cerro de Pasco, qui partage son parcours. Guillermo est arrivé en Zambie en 2006, après avoir travaillé pour l’entreprise Doe Run au Pérou, à la suite d’un appel d’un ingénieur avec lequel il avait été en contact auparavant. Comme pour tout processus migratoire, les débuts ont été marqués par des défis liés à l’adaptation à une nouvelle société, à la gastronomie et à la langue, que Guillermo a su relever avec détermination.

GUILLERMO, PROTAGONISTE DE CETTE HISTOIRE, AVEC SES COLLÈGUES ZAMBIENS Source: Archives personnelles

Bien que l’anglais soit la langue officielle de la Zambie, plusieurs langues locales sont parlées, notamment le bemba et le nyanja, qui influencent fortement l’accent, comme c’est aussi le cas chez les hispanophones.

Cependant, comme le souligne Guillermo, son enthousiasme et sa curiosité l’ont poussé à perfectionner non seulement son anglais, mais aussi à apprendre quelques dialectes locaux, ce qui lui a permis de s’intégrer plus facilement. Il ajoute que la nature amicale et serviable des Zambiens a grandement facilité cette intégration.

Avec le temps, en 2010, Guillermo fit la connaissance de sa compagne, une Zambienne, et ils se marièrent deux ans plus tard. Aujourd’hui, ils ont trois enfants — Guillermo, Alejandra et Israel — et son épouse poursuit actuellement des études en Inde. La famille reste en contact étroit.

44

Notre compatriote nous a également parlé de la gastronomie locale. Il mentionne notamment la nshima, une sorte de purée à base de farine de maïs, accompagnée de condiments et de légumes marinés. Il s’agit d’un aliment sain, adapté aux exigences physiques du travail dans les mines. Il précise aussi que la province du Copperbelt est une zone sûre, propice à l’éducation de ses enfants, et il se dit profondément reconnaissant envers la Zambie pour les opportunités qu’elle lui a offertes et pour lui avoir permis de fonder une famille péruvo-zambienne.

Outre l’histoire de Guillermo, et comme dans de nombreux endroits où résident des communautés péruviennes, en Zambie, la culture, les traditions et les liens avec le pays natal ont su être conservés et valorisés.

Bien que la migration péruvienne vers la Zambie soit relativement récente, avec le soutien des entreprises qui emploient nos compatriotes, diverses activités ont pu être organisées à l’intention des familles péruviennes et zambiennes : compétitions sportives, festivals gastronomiques utilisant des ingrédients péruviens,

spectacles et concours de danses péruviennes, incluant des défilés et des chars allégoriques. Un événement est également organisé pour la fête nationale péruvienne, où tous ces éléments se retrouvent. Il est important de souligner que dans bien des cas, les compatriotes qui se rendent en Zambie pour y travailler le font accompagnés de leurs familles, ce qui facilite leur transition d’une vie au Pérou vers une nouvelle étape à l’étranger.

PRÉSENTATION DE FESTEJO À L’OCCASION DES FÊTES PATRIOTIQUES 2024 Source: Archives personnelles

Les relations diplomatiques avec la Zambie sont assurées depuis notre ambassade à Pretoria, en Afrique du Sud. Bien qu’il y ait eu autrefois une ambassade du Pérou à Lusaka — fermée en 1975 —, c’est en 2022 que l’ambassadeur Jorge Félix Rubio, en poste à Pretoria, est devenu le premier ambassadeur péruvien à présenter ses lettres de créance en Zambie depuis cette fermeture.

45

La présence et l’intégration de la communauté péruvienne en Zambie constituent un lien important avec ce pays, un lien que l’on espère voir croître, permettant de mettre en valeur le profil des professionnels péruviens dans le secteur minier, l’un des plus stratégiques du Pérou à l’échelle internationale.

POULET YASSA Le poulet yassa, plat emblématique de la cuisine sénégalaise, séduit les palais du monde entier par ses saveurs exquises.

INGRÉDIENTS: - 1 kg de poulet

- 2 cuillères à soupe de moutarde forte

- 3 oignons

- 4 cuillères à soupe d’huile d’arachide ou végétale

- 3 gousses d’ail

- Bouillon de volaille ou cube Maggi

- 3 citrons verts

- Piment vert (optionnel) - Sel et poivre

PRÉPARATION: 1. Laver et couper le poulet en morceaux égaux. Presser les citrons pour en extraire le jus. Éplucher et couper les oignons en fines rondelles. Écraser l’ail (en purée).

2. Dans un bol, mélanger le jus de citron, la moitié des oignons émincés, l’ail écrasé, la moutarde, le sel et le poivre. Mettre les morceaux de poulet dans cette marinade et laisser reposer au moins deux heures au réfrigérateur.

3. Chauffer l’huile dans une grande poêle ou une plancha et faire dorer les morceaux de poulet jusqu’à ce qu’ils soient bien colorés (saisir le poulet). Les retirer ensuite et réserver.

46

4. Dans la même poêle, faire revenir les oignons restants avec un peu plus d’huile si nécessaire jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides (faire suer). Ajouter le piment coupé en rondelles si l’on préfère une version épicée.

5. Ajouter les morceaux de poulet dorés aux oignons.

Verser le reste de la marinade ainsi que le bouillon de volaille sur le mélange. Couvrir et laisser mijoter à feu doux pendant environ une heure (laisser frémir doucement). Servir avec du riz.

CUMANANA XLVI– JUIN – 2025 Comité de rédaction Amb. Jorge A. Raffo Carbajal Min. Marco Antonio Santiváñez Pimentel M.C. Eduardo F. Castañeda Garaycochea

Équipe éditoriale Amb. Jorge A. Raffo Carbajal, Directeur général et rédacteur en chef

MINISTÈRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES

P.S. Dahila Astorga Arenas, Directrice des contenus T.S. Giancarlo Martínez Bravo, Responsable de l’édition en anglais T.S. Berchman A. Ponce Vargas, Responsable des éditions en française et en portugaise

DIRECTION GÉNÉRALE DE L’AFRIQUE, DU MOYENORIENT ET DES PAYS DU

Gerardo Ponce Del Mar, Maquettiste

Dépôt Légal N.º 2025-04614

Jr. Lampa 545, Lima, Pérou Téléphone: +51 1 204 2400

ISSN: 3084-7702 (en ligne)

Email: peruenafrica@rree.gob.pe

47

TÉLÉCHARGEZ LE BULLETIN SUR:

SUIVEZ-NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

48