Le Seigneur Maudit - La Lame et le Sang Tome 1 - Prologue

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Le Seigneur Maudit La Lame et le Sang - Tome 1

JULIEN SCHNEIDER



PROLOGUE

L

es deux brigands s’arrêtèrent de rire quand l’étranger fit irruption dans la clairière. Le troisième homme, un rônin plus richement vêtu, avait tourné son katana et se tenait prêt à le dégainer. Il fixait le nouvel arrivant droit dans les yeux, mais s’attendait à une attaque qui pouvait venir de n’importe où. Après tout, si celui-ci avait pu s’approcher si près sans faire de bruit, il pouvait être accompagné par n’importe qui.

Un vent frais fit bruisser les feuilles et crépiter le feu de camp. L’homme afficha un large sourire et remua la gourde qu’il venait de décrocher de sa ceinture. Au bruit, elle sembla encore bien pleine. — J’ai du saké et vous avez un bon feu. Je pourrais faire le mien et vous, vous contenter de votre alcool, mais ce serait moins drôle, non ? Les trois hommes s’échangèrent des regards. Le rônin acquiesça et se détendit. S’il était accompagné, ses camarades auraient eu tout le temps de les cribler de flèches tous les trois. Il étudia le nouveau venu à la lueur des flammes. Il portait un sabre et le cordon qui le maintenait à sa ceinture semblait usé. Il ne devait pas être bien vieux, mais la pénombre dissimulait les traits de son visage. A sa posture, l’homme tenait plus du paysan que du guerrier. Un de ces vagabonds se pavanant avec un sabre volé ou un rônin qui utilisait souvent sa lame ? Dans tous les cas, à un contre trois, il n’avait aucune chance. — Laissez une place à notre invité, dit le mercenaire. Les brigands s’écartèrent et l’étranger vint s’asseoir avec satisfaction en face du rônin. Le vent fit remuer une nouvelle fois les feuilles noircies par la nuit. Il tendit sa gourde en souriant de toutes ses dents. L’un des brigands la saisit et lui offrit sa propre bouteille. Malgré un regard dur, ce dernier semblait avoir déjà bien bu.


— Tu t’appelles comment, étranger ? — Takeshi, répondit le nouvel arrivant avant de goûter l’alcool. Et toi ? — Moi, c’est Morihei, dit le brigand à gauche. Et lui, c’est Atsuji. L’autre là, il ne veut jamais le dire, ajouta-t-il en désignant le rônin. On l’appelle Musashi. — C’est pas vrai, dit Atsuji. Lui, on l’appelle pas. Les deux hommes rirent en s’échangeant un regard. Takeshi un peu gêné, acquiesça, faisant semblant d’apprécier la blague tout en évitant de vexer l’homme en face de lui. Ce dernier ne bougea pas. Son regard à lui seul trahissait une vie rude parsemée de violence. — De beaux noms, dit Takeshi. Et vous allez où ? — Ça, ça te regarde pas, répondit Morihei. Dis-nous plutôt où tu vas toi ! — À la capitale ! Je vais à Edo pour louer mon sabre. Les brigands éclatèrent de rire. Même le rônin laissa échapper un rictus. — Sans blague ? dit Morihei. Tu y crois vraiment ? ajouta-t-il avant de rire à nouveau. — Tu vois notre copain là ? Musashi ? Lui, il a de sacrés bons diplômes ! Je les ai vus quand il les a montrés au chef. Eh ben même lui, il en a pas trouvé du boulot à Edo ! Il pourrait ouvrir son école et tout le monde lui donnerait du « Maitre ceci » et du « Maitre cela » toute la journée ! Et v’là que même lui, il en a pas trouvé du boulot à la capitale ! Tu crois que toi, avec tes allures de clochard, ton kimono troué, tes cheveux longs, gras et mal attachés, tu allais te faire embaucher par un seigneur ? — Si je n’y vais pas, je ne le saurais jamais, répondit Takeshi sans se démonter. Les hommes reprirent leurs rires. — T’es bon au moins le clochard ? demanda Morihei. Ton sabre a l’air si vieux qu’il semble avoir rouillé dans son fourreau ! — Je crois que je ne suis pas mauvais. Pas plus qu’un autre en tout cas. Les rires résonnèrent de plus belle. Morihei tomba sur le côté et un peu de saké coula à terre. Même le rônin se laissa aller à un sourire plus franc, un sourire auquel la lueur des flammes donnait un aspect encore plus sinistre. — D’accord, d’accord, d’accord, dit Atsuji. Admettons que tu sois


bon au sabre ! Admettons que tu arrives entier à Edo… Entier et en forme malgré la semaine de marche qu’il te reste. Qui tu vas voir ? T’as des amis ? — Pas pour l’instant, répondit Takeshi, agacé. Mais je peux m’en faire sur place. Les brigands redevinrent hilares. Takeshi remua, vexé par leur jeu. — Dans mon village, dit-il, ils m’ont tous dit que j’avais raison. Que je devais tenter ma chance ! C’est mon père qui m’a donné son sabre. Et… — Il fait quoi ton père ? Paysan, c’est ça ? demanda le brigand en face de lui d’une voix grave. — Oui, c’est un paysan, fier et fort. — Son sabre, il l’a récupéré sur un mort, affirma l’homme sans hésiter. Un soldat qui est venu crever dans un des champs du village. Ils voulaient se débarrasser de toi. Ça faisait une bouche de moins à nourrir. — Mais… — Je vais te raconter ton arrivée à Edo, reprit le rônin. Dans une semaine, tu seras une ombre, avec des guenilles en guise de vêtements. Tu auras faim. Ton sabre ? Tu l’auras vendu sur la route pour te payer une minuscule ration de riz en t’imaginant en trouver un autre plus tard. Si tu ne t’es pas fait dépouiller avant par des brigands. Sur place, tu dormiras dans la rue. Personne ne t’adressera la parole. Tu seras une merde et personne ne voudra te marcher dessus, même si ça pouvait leur porter chance. Ils te contourneront, ils t’éviteront et ils t’ignoreront. Tu crèveras de faim comme n’importe quel mendiant. Ou bien tu te feras pendre pour avoir essayé de voler à manger. Le rônin saisit la bouteille de saké des mains de Morihei et en but une rasade, puis la tendit à Atsuji. Le discours avait refroidi les ardeurs de chacun. Le silence régnait et seul le vent se faisait encore entendre, ajoutant à la sensation de froid. Chacun essayait d’éviter le regard des autres. Ils avaient tous rêvé d’une autre vie à la capitale, d’une autre chance, mais ils savaient que c’était la vérité. Takeshi soupira. — Et qu’est-ce que je peux faire d’autre ? demanda-t-il. — Ça, c’est pas nos oignons, dit Atsuji en portant la bouteille à ses lèvres. — Je ne peux pas rentrer chez moi. Je ne veux pas finir paysan, moi ! Je suis bien meilleur guerrier que paysan. Atsuji laissa échapper un rire sec.


— Tu dois vraiment être un paysan de merde, dit-il. Les brigands rirent une nouvelle fois, mais le rônin reprit son sérieux tout en observant l’étranger. — Et vous ? demanda Takeshi. Vous faites quoi ici ? — On te l’a dit, fit Morihei, ce ne sont pas tes oignons. — C’est qui le chef dont vous parliez tout à l’heure ? Vous croyez qu’il aurait du boulot pour moi ? Morihei et Atsuji échangèrent un regard gêné. — C’est pas tes oignons, on t’a dit, fit Atsuji. De toute façon, on n’a pas besoin de paysan de merde. — Laissez-moi une chance, les gars ! Laissez-moi faire mes preuves ! Vous faites quoi ? Mercenaires ? Personne ne répondit. Ils savaient qu’ils en avaient trop dit. Morihei finit par hausser les épaules. — Ouais, c’est ça. On est des mercenaires. C’est vrai qu’on recrute de temps en temps. Mais je ne suis pas sûr que tu fasses l’affaire. Qu’est-ce que tu en penses Atsuji ? — Il pourrait faire l’affaire, mais je pense pas, dit-il avec un sourire suffisant. Musashi ? demanda le brigand en haussant un sourcil interrogateur. — Amenons-le au chef. S’il n’est pas accepté, on l’égorge, dit le rônin. — Je ferai l’affaire ! Je ferai l’affaire ! supplia presque Takeshi en levant les mains devant lui, comme pour présenter ses paumes aux mercenaires. — J’espère pour toi, dit Atsuji en lui tendant la gourde de saké. Ne t’inquiète pas. Quand Musashi égorge quelqu’un, le type a pas le temps de s’en rendre compte qu’il est déjà crevé. — Et même que des fois, il lui coupe toute la tête, ajouta Morihei. Les deux hommes éclatèrent de rire pendant que Takeshi buvait du saké en leur jetant des regards inquiets. Il tendit la bouteille à son voisin et observa la pénombre des arbres lacérée par les flammes du feu de camp. — Et vous faites quoi en pleine forêt, au fait ? Un entraînement ? demanda Takeshi. Les mercenaires prirent un air grave. — Ça mon gars, c’est pas un entraînement, répondit Atsuji. C’est le repos du guerrier. L’entraînement, c’était hier. — Ah oui ? C’était quoi comme entraînement ? Il faut me le dire,


que je sache ce que le chef va attendre de moi. — C’est simple, dit le mercenaire. Tu as déjà dû voir ça dans ton village de pouilleux. À moins que vous ayez été assez malins pour nous donner ce qu’on voulait quand on le demandait. — Comment ça ? — T’as jamais vu de mercenaires passer par ton village ? demanda Atsuji. Avec les révoltes de ces dernières années, ça ne devait pourtant pas manquer. — Oui, bien sûr. Le chef marchande avec eux et on doit leur donner de quoi les nourrir. — « Le chef marchande » ? répéta Musashi. C’est lui qui vous dit ça. Le chef fait ce qu’on lui dit et c’est tout. Sinon, on prend ce dont on a besoin. Takeshi prit un air grave. — Tu es sûr que tu as l’estomac pour ça ? demanda Morihei. Le plus souvent, ça ne se passe pas aussi bien. Je dirais même que la plupart du temps, on doit faire quelques exemples. Les cas comme hier, c’est rare, mais ça arrive. Et là, faut se montrer intraitable. Le brigand prit un air faussement contrit et une voix de fausset. — On a plus rien… On a déjà donné… Et nous comment on va faire ? — Ils ont toujours des tonnes de réserves ces pouilleux de paysans. Tu peux me croire, renchérit Atsuji. — C’est leurs réserves pour l’hiver. Ils s’attendent toujours à nourrir les armées en campagne ou… Takeshi s’interrompit subitement. Hier, vous dites ? C’est vous qui avez mis le feu que j’ai vu au loin ? — Ça, ça arrive pas d’habitude. Y’a pas autant de morts… reprit Atsuji. C’est pour ça qu’on s’est séparé. Le chef veut qu’on se fasse discret. Tu vois ? Faut de l’estomac et de la stratégie. Si t’as pas les deux, tu peux pas y arriver, y’a pas à chier là-dessus. Tu veux toujours venir avec nous ? T’imagine si on tombe sur ton village ? — J’imagine, oui, dit Takeshi en acquiesçant. Eh, au fait… Il enfouit sa main gauche dans son kimono. Le rônin se redressa, posa sa main sur la poignée de son sabre et se racla la gorge distinctement. Les trois hommes le regardèrent et Takeshi comprit le message. Il sortit doucement un morceau de bois d’où dépassait une petite barre métallique qui semblait enfoncée à l’intérieur sur la moitié de la longueur. — Vous avez déjà vu un truc comme ça ?


— Non, dit Morihei en buvant une gorgée de saké. — Tant mieux. Takeshi appuya sur le bouton que lui seul pouvait voir. Une lame jaillit du manche, transformant le bout de bois en faucille. D’un puissant revers, il enfonça la lame dans le torse de Morihei. La douleur lui fit cracher le saké qu’il avait en bouche vers le feu, faisant crépiter les flammes. Par pur réflexe, le brigand saisit le morceau de bois. Dans un bruit écœurant, Takeshi tenta de retirer sa kama du corps, mais comprit vite qu’entre la poigne du mercenaire mourant et la lame coincée dans le sternum, cela lui prendrait trop de temps. En face de lui, le rônin s’était déjà relevé et Atsuji se dirigeait vers ses affaires. Takeshi se jeta sur sa droite et dégaina tout en se relevant en face du mercenaire. Celui-ci venait de se retourner et tenait son arc de ses deux mains, la première arme qu’il avait trouvée. L’arc fut coupé en deux et une gigantesque gerbe de sang gicla de la poitrine du voleur. Celui-ci eut à peine le temps de tomber à genoux que Takeshi se tenait déjà en garde pour affronter le troisième homme. Le rônin était calme et respirait avec douceur. Son visage restait détendu, aussi pâle qu’avant le combat. Il avait confiance en son talent. Son sabre était dans son fourreau et sa position indiquait qu’il pratiquait le iaï-jutsu. L’étranger se plaçait doucement en face de lui en s’éloignant du feu. Musashi avait eu le temps d’observer le coup de son adversaire. Le déhanché ridicule qu’il avait eu démontrait une technique d’amateur et son sabre semblait plus long que le sien, donc plus encombrant. Le rônin avait la vitesse, l’expérience et un long apprentissage au sein d’une excellente école. En face de lui, Takeshi se plaça en garde, la jambe gauche en avant et la lame en retrait pointée vers le bas. Le mercenaire sourit en voyant les efforts tardifs de Takeshi pour tenter de cacher son sabre derrière ses jambes. — Tu ne sembles pas bouleverser par la mort de tes camarades. Musashi haussa les épaules. — Des poux, dit-il. Ça me grattait de le faire moi-même depuis quelque temps déjà. Des imbéciles qui ne gardent même pas leur arme à portée de main. Belle arme cette faucille. Très astucieux. — Je l’ai trouvé à Nagasaki, chez un étranger qui adore les ressorts. Tu aurais pu m’attaquer bien plus tôt. — Oui, si j’avais voulu les sauver, mais je préfère le duel. Musashi se voyait courir à la rencontre de son adversaire, dégainer pour lui trancher la gorge et passer sur sa gauche avant que le paysan


n’ait le temps de lever sa lame. Le rônin inspira une dernière fois pour effacer ces images. « N’anticipe pas », se dit-il. Il bloqua sa respiration et entama sa course. Il vit son adversaire lever sa lame beaucoup trop tôt puis dégaina, vif comme l’éclair. Malgré l’obscurité, il vit une traînée de sang jaillir dans l’arc dessiné par son geste. Il se retourna avec souplesse et se remit en garde en croyant lever son katana. Il fut surpris de voir son adversaire qui lui tournait le dos encore capable de faire quelques pas. Mais il fut surtout étonné de ne pas voir son sabre devant lui. Il baissa les yeux et s’aperçut qu’à la place de sa main droite se tenait un moignon sanguinolent. Le sang imbibait son kimono et giclait à intervalles réguliers. Horrifié, il vit sa main encore fermement ancrée sur le katana qu’il n’avait pas eu le temps de dégainer. Il lâcha immédiatement son fourreau qu’il tenait de la main gauche et pressa son poignet pour tenter d’arrêter en vain l’hémorragie. Il défit alors sa ceinture tant bien que mal de sa seule main valide, laissant tomber son sabre à terre et fit un garrot maladroit. La perte de sang diminua, mais il dut poser un genou à terre alors que sa tête lui tournait et qu’il se sentait prêt de vomir. — « Musashi », quel surnom prétentieux, dit Takeshi avec mépris, pivotant la tête de droite à gauche. Tu as dû être bien content quand ils te l’ont donné. Ils te surnommeraient comment maintenant ? Le mercenaire releva la tête avec difficulté, observant pour la première fois attentivement le katana de son adversaire. L’arme était bien plus grande qu’un sabre normal. Musashi se remémora l’étrange mouvement du bassin de son adversaire quand il avait dégainé pour tuer Atsuji. Le regard du rônin fut attiré par le corps du brigand et il s’aperçut que ce dernier n’avait pas été ouvert sur le devant du torse, mais bel et bien coupé en deux. Alors même qu’il se concentrait sur son duel, il n’avait pas vu le corps tomber et se diviser. Il se remémora les paroles de son maître : « Si tu décapites un homme correctement, il peut encore faire cinq pas avant que sa tête ne se sépare de son corps… » — Dans ces moments-là, je suspecte mon sabre de me donner de l’aide. Il aime beaucoup ce genre d’effet. Takeshi avait tout fait pour dissimuler la longueur de son arme dès son arrivée dans le camp. L’homme à terre regarda encore une fois l’arme qui allait lui ôter la vie. Il était fasciné par la noirceur de la lame. Peut-être avait-elle été recouverte de suie, obscurcie pour ne pas réfléchir la lumière ? Non, pas noir. Rouge ? Un rouge sombre, profond qui


semblait se mouvoir sur la lame. Il réalisa alors avec horreur qu’elle avait l’air faite de sang vivant. — D’après ce qu’on m’a dit, tu es le seul de ton genre dans ta bande. Une excellente posture, une bonne technique, des vêtements soignés, une allure noble. — Tous les autres ne sont que des rats. Je salis mon âme chaque jour en marchant à leur côté, répondit Musashi. — Oui, j’imagine le calvaire. Takeshi rengaina son sabre en un mouvement des hanches qui semblait à la fois inhumain et d’une grâce infinie. Il comblait la différence de taille entre le sabre et son bras par ce geste d’une souplesse incroyable. Le nouveau venu s’était redressé, et adoptait une réelle posture de guerrier. Même son visage semblait avoir changé. Le rônin fut surpris. Il s’attendait à être achevé à tout instant d’un coup de katana. La nausée revint le tourmenter et sa vision se troubla. Il vit le kimono de son adversaire tour à tour recouvert de sang et à peine taché. Où était tout le sang versé par un corps coupé en deux ? Le kimono de l’étranger aurait dû en être imbibé… — Une jeune fille, commença Takeshi d’une voix rauque. Une paysanne aux cheveux noirs, très longs. Elle était cachée seule dans une grange pendant votre attaque. Ça te dit quelque chose ? — La fille qui a couché pour que je ne la tue pas ? Eh bien quoi ? demanda Musashi. Son visage était devenu gris et il commençait à transpirer. Takeshi sortit une chaine de son kimono qu’il se mit à faire tournoyer. La boule de métal à son extrémité se mit à siffler. Musashi regarda le visage de Takeshi. De paysan, il était devenu démon. Etait-ce un effet de la lumière projetée par le feu de camp, ou un changement dû à la fureur du combat ? — Tu as réussi à arrêter le saignement, bravo. Et merci pour tes aveux, je ne pensais pas les obtenir aussi facilement. — Ça a dû lui plaire, répondit Musashi avec bravade. Cette truie n’a pas dit un mot. Elle n’avait pas… Le sifflement de la chaine se fit plus rapide et plus proche un bref instant, coupant net la parole au rônin. Ce dernier mit du temps à réaliser que quelque chose n’allait pas. Une douleur intense envahit le centre de sa face. L’air semblait lui brûler le visage. Haletant, il aperçut le morceau de chair qui avait été son nez un peu loin, propulsé par l’impact au pied d’un arbre.


— Je ne t’entends pas parler, c’est que ça a dû te plaire. Musashi vomi tout ce qu’il avait avant de s’écrouler par terre. Le chef du village avait demandé à Takeshi de tuer tout le monde, mais la jeune fille était venue le trouver sur le chemin, un peu plus tard, à l’abri des regards, pour lui demander un traitement spécial pour l’un des assaillants « Le faire souffrir, ne pas le tuer ». Cela lui convenait très bien. Il ne pousserait pas le vice à vérifier si l’homme avait correctement posé son garrot ou à appliquer un pansement sur son visage, mais il avait fait ce qu’il trouvait juste. La mort était une fin un peu trop facile pour ces nuisibles. Pourtant, ce n’était pas du gout de sa lame. Elle était encore assoiffée de sang et la présence si proche d’une personne si facile à tuer la rendait folle de rage. Takeshi luttait pour lui résister. Il avait accepté la requête du village malgré le prix dérisoire qui avait été offert, en espérant étancher la soif de son arme. Son sabre voulait du sang. Récemment, la tâche rouge s’était agrandie et cela inquiétait Takeshi. Les pulsions de l’arme devenaient de plus en plus fortes et la marque avait maintenant atteint la moitié de la lame. Quand son maitre la lui avait légué, elle ne s’étendait que jusqu’à son quart. Nul ne savait ce qui arriverait si elle arrivait à s’étendre sur toute la lame et personne ne voulait le découvrir. Takeshi regarda autour de lui et aperçut une autre colonne de fumée. Ces mercenaires avaient une façon bien à eux de se faire discrets malgré les précautions de leur chef. Le guerrier ferma les yeux et s’imagina traverser une autre clairière en causant des ravages avec son arme, tranchant dans les rangs ennemis, le sang coulant à flots. Le katana se fit moins insistant. Takeshi enroula proprement la chaine avec la boule de métal et la rangea. Il se tourna vers le cadavre de Morihei puis s’en approcha. Il enleva un à un les doigts crispés du mort du manche de sa faucille et posa son pied sur la cage thoracique du brigand pour retirer la lame dans un sinistre craquement de bois mort. Il essuya le sang sur les vêtements du cadavre, replia la lame dans le manche et le cacha dans son kimono, retenu par sa ceinture. Il pesta en voyant les marques de sang au bout de ses manches. Son sabre buvait la plus grande partie, mais sa faucille n’en faisait rien. Il tenta de les faire partir en les frottant sans grand succès. Il se félicita de porter un vêtement sombre qui dissimulerait l’essentiel à ses futurs adversaires. Puis, il se dirigea vers le feu de camp suivant.


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