Garbage Rampage

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Garbage

RAMPAGE

Julien heylbroeck


Maquette: Raphaël Crouzat Directeur de Collection: Raphaël Crouzat Illustration de couverture: Mateusz Michalski ©2020, Ogmios Éditions, 19 rue fontaine de la ville, 06300 Nice. ISBN: 978-2-490352-20-3 / EAN: 9782490352203


Ce livre est dédié à la mémoire de James Herbert Et à celles d’Olga & de Nezumi, avec mes remerciements. Merci également à Raphaël : après la VHS, le DVD !

Mais nul n’égale les rats en matière de fécondité. Par conséquent, je ne remettrai plus mon discours à leur sujet : et ici, pour ce faire, je me fonderai sur l’autorité d’Aristote et, en outre, celle du rapport des soldats qui suivirent Alexandre le Grand. Il est dit qu’ils engendrent en se léchant, sans autre forme de copulation, et que l’un d’eux en a fourni six vingtaines d’un coup, et encore que, en Perse, on a trouvé des petits déjà pleins, dans le ventre même de leur vieille mère. Pline l’Ancien, Histoire naturelle

Give me your hungry, your tired, your poor I’ll piss on’em That’s what the Statue of Bigotry says Your poor huddled masses – lets club’em to death And get it over with and just dump’em on the boulevard Lou Reed, Dirty Blvd.


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PROLOGUE New-York, été 1982

L

e chat poussa un miaulement aigu et s’enfuit en trottinant dans la ruelle constellée d’ordures. La fille sursauta et laissa échapper un petit cri. Cela fit sourire l’homme qui était à ses côtés. — Enfin, tu crois qu’on va trouver de la coke ici ? Dans ce coin sordide ? C’est quoi ce plan de merde, Dorian ? — T’inquiète, rétorqua le gars, un grand maigre mal rasé, aux joues creuses et à la chevelure aux longues boucles de jais. Je connais le quartier. C’est là que Pinky Pig Bob me fournit. — Pinky qui ? — Pinky Pig Bob, je l’appelle comme ça parce qu’il a une peau de cochon. D’un rose, tu verrais… Il est si typique de ces petites frappes new-yorkaises analphabètes. Tu sais, un jour je le mettrai dans un de mes romans. — Arrête de me bassiner avec tes machins, t’as pas écrit une ligne depuis des mois. — Connasse, l’art, ça se commande pas. Faut attendre l’inspiration. Ce n’est pas donné à tout le monde d’être écrivain. Toi, t’y connais rien, tu ne sais que trémousser ton cul sur un podium en souriant comme une gourde 7


avide de pipes. Tu dois solliciter quoi pour faire ça ? Trois neurones ? Combien de gènes te différencient de la guenon en chaleur qui se pavane en montrant son cul à toute la jungle ? — Va te faire enculer, Dorian Bekay Z. C’est moi qui rapporte de quoi payer le loyer de l’appart que tu squattes, de la bouffe que tu engloutis et de la coke que tu sniffes alors la ramène pas, parasite, okay ? Visiblement piqué au vif, l’échalas perdit de sa superbe et, le dos voûté, s’appuya sur la carcasse de voiture rouillée cernée par les sacs poubelles éventrés. Il ouvrit la bouche pour répondre quelque chose de mordant, mais ne trouvant rien, il jugea préférable de la boucler.

Une odeur de pourri lourde et doucereuse les cernait, mélangée à un âcre remugle d’urine qui rendait l’air poisseux. Le dealer se faisait attendre. De nouveau, la fille poussa un cri bref. Dorian se retourna et il la vit qui poussait du pied un rat entreprenant. La bestiole avait visiblement décidé de lui renifler les semelles et elle insistait. Juchée sur ses talons hauts, la jeune femme ressemblait à une frêle citadelle cer-née par un assaillant minuscule la faisant pourtant vaciller. L’homme s’approcha et balança un coup de pied dans le rongeur, qui vola jusqu’à s’éclater contre une gouttière. Son couinement fut coupé net par l’impact et le petit corps tomba, l’échine brisée, sur un vieil hamburger moisi, dérangeant une nichée d’épaisses blattes luisantes. — C’est qu’un putain de rat, conclut Dorian en tirant sur sa cigarette, l’œil rivé sur l’entrée de la ruelle. Bon, que fout cet enfoiré de Pinky Pig… Eh, je vais aller voir s’il n’est pas en train de m’attendre à la sortie du Tech Tech, ok ? — Me laisse pas là ! Tu déconnes ou quoi ? Tu te fous de ma gueule ? — Panique pas, ma grande, c’est juste un peu plus loin, au niveau de l’escalier, là, lui dit Dorian en montrant un 8


édifice de briques sales équipé d’une structure métallique lui courant sur toute la façade, comme une atèle orthopédique en ferraille sur une jambe tordue. C’est la porte de derrière du night-club. Parfois, il est là-bas en train de vendre sa came à des rednecks en visite à la grosse pomme. — Ça pue vraiment, ici. Et ton idée aussi, d’ailleurs. Allez, viens, on retourne au bar et on trouvera bien un dealer là-bas ! — Pour qu’il essaie de nous refourguer de la merde trois fois plus chère, non merci. — Qu’est-ce ça peut te foutre, c’est pas toi qui paie ! Dorian haussa les épaules et s’avança vers le milieu de la ruelle, contournant une grosse benne à or-dures métallique. Sous ses pas, les détritus craquaient. Ses chaussures écrasaient sans distinction bouts de verre, cartons détrempés et reliefs moussus de repas qui tentaient de s’échapper en glissant et en ondu-lant comme des limaces compressées. De nouveau, il entendit la fille pousser un petit cri sec de souris. Il haussa une fois de plus les épaules sans se retourner. Un hurlement suivit. Un long et déchirant hurle-ment qui tenait plus, cette fois-ci, du mugissement de bovin terrifié. L’homme pivota. La fille n’était plus là. Plus personne, plus que lui. Dorian pensa une seconde qu’elle lui faisait une blague. Une se-conde seulement car ce n’était pas le genre de la greluche. La seconde suivante, il commença à pani-quer. Il ne tenait plus à acheter de la drogue, et avait seulement envie de se barrer de cette artère sombre et puante pour revoir ses semblables. Que Lorraine se démerde, il voulait juste sortir d’ici. Il était sur le point de partir en courant quand il distingua une silhouette dans un coin d’ombre. Do-rian s’avança. Ce devait être Lorraine. Ce ne pouvait être que Lorraine, recroquevillée au sol, un clou rouillé ou une seringue plantée dans la main ou dans le pied, en train de sangloter, un truc du genre… Contournant la benne à la gueule béante débordant de grappes de déchets, Dorian 9


constata que la fille avait bel et bien disparu. Là où elle se tenait quelque temps auparavant ne restait que son stiletto rouge au talon fin et tordu. Dorian commença à reculer. Il était urgent de fuir, à présent.

Une aiguille lui transperça le mollet. L’homme chuta sur les genoux. Des larmes lui montèrent aux yeux, brouillant sa vision. Il aperçut cependant sa jambe ensanglantée, de longs jets rouges s’échappant de la blessure, en rythme avec les battements erratiques de son cœur. Mais aucune trace de son assaillant. Il feula un « pitié ? Que voulez-vous ? » avant de s’arc-bouter sous la douleur d’un nouveau poinçon au niveau des lombaires. La pointe perça sa peau avant de s’enfoncer dans les chairs, peu épaisses à cet endroit du dos, et de racler les vertèbres en crissant salement. Un couinement écorcha ses oreilles. Do-rian tenta de se retourner mais ses nerfs outragés lui martelèrent le cerveau, dans une explosion de dou-leur qui recouvrit ses sens d’un voile blanc. La dernière sensation qui chemina jusqu’à son cerveau fut celle de l’urine chaude qu’il laissa échapper. Ses intestins se vidèrent peu après, libérés de l’oppression des sphincters relâchés, laissant échapper une merde visqueuse transformée en chiasse par la peur. Mais il ne sentait plus rien. La douleur avait cessé. Dorian avait honte de s’être fait dessus mais cette pensée était dominée par le constat que la souffrance s’était éteinte. Le pseudo-écrivain réussit à s’accouder. Pour découvrir le plus horrible des spectacles. Quelqu’un, quelque chose, une bête immonde, dotée d’un faciès humain déformé, d’un museau dentu et pointu et de cruels yeux noirs, fouillait dans ses entrailles avec avidité. Mais Dorian ne sentait rien. La créature plongea ses incisives dans le bas-ventre de l’homme et remonta avec quelque chose dans la gueule. 10


Dorian crut vaguement reconnaître ses deux testicules, petites amandes brunes aux reflets rouges et garnies d’une gelée blanchâtre entourées d’un fragment de peau poilue, avant de sombrer dans les ténèbres.

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CHAPITRE 1

E

t là, comme vous pouvez le voir, il y a un peu du foie qui s’est mélangé aux rognures de peau d’orange de Floride, juste à gauche du morceau de poumon. Il a dû être projeté quand le reste des en-trailles a été arraché. De quoi donner des idées de recettes, non ? Mais ce n’est pas tout… —

Le légiste se releva en s’appuyant sur ses genoux, qui craquèrent sous le poids. L’homme fit une gri-mace et s’essuya le front, constellé de gouttelettes fuyantes. C’était un quinquagénaire dont le gros ventre tendait la chemise, une fripe tâchée de sueur martyrisée par les boutons qui essayaient de quitter leurs orifices, maltraitant le tissu. Ses yeux clairs se fixèrent sur Gamble Farley. La jeune détective por-tait un débardeur blanc laissant voir sa peau café au lait et ses formes sculpturales. Ses seins ronds et pleins, prisonniers d’un discret soutien-gorge, captaient le regard du médecin avec plus d’aisance que le corps dépiauté s’étendant aux pieds des deux membres du New York Police Department. Farley ignora le lorgnement du scientifique pour reporter son attention sur la dépouille. Celle-ci n’était pas belle à voir. Entouré de tas de chairs flasques gorgées de sang et de fluides séchés, le cadavre, vêtu et casquetté de cuir, gisait désarticulé, entamé ici et là par des morsures qui avaient ôté de larges parcelles de muscles. 13


Les tendons et les articulations, à vif et luisants, brillaient dans la pénombre. Le visage de l’homme, un Noir moustachu d’une quarantaine d’années, affichait une expression d’horreur pure. —… Donc euh, je disais que ce n’était pas tout. En effet, les organes qu’on a retrouvés présentent plu-sieurs traces profondes de morsures. C’était comme si… — Comme si quoi, Docteur Herbert ? insista la jeune flic. — Comme s’ils avaient été goûtés, bordel ! lâcha le médecin, dépité. J’imagine que ceux qui manquent ont été bouffés entièrement. Gamble Farley promena son regard sur les environs. Brookdale Street, une petite rue rejoignant deux avenues du sud du Bronx, partiellement bouchée par plusieurs tas de sacs poubelles comme autant de monticules puants, sommets escaladés à intervalles réguliers par des colonnes de cafards. Des grilles au sol s’échappaient des corolles de fumées odorantes, chargées tantôt de fragrances de lessive tantôt de senteurs de graillon. À chacune des extrémités de la voie, les bruits de la fourmilière new-yorkaise se faisaient entendre : klaxons, invectives lancées dans plein de langues différentes, moteurs rugissants et éclats sonores provenant de ghettos-blasters aux enceintes maltraitées. Cependant, au centre de la venelle régnait un silence malsain, seulement troublé par les sifflements maladifs d’un réfrigérateur agonisant dans l’arrière-boutique d’un bouiboui infâme aussi généreux en sodas à volonté qu’en bactéries. Le sol trembla légèrement quand le métro passa, plusieurs mètres au-dessous de la couche d’asphalte mou. L’air chaud avait un goût de métal, comme si la Terre tentait de repousser la ville qui lui était grimpée sur le dos, parasite gigantesque creusant ses galeries telle une gale à l’appétit insatiable. — Il est mort de quoi, alors ? demanda la jeune femme en s’appuyant sur une porte de maintenance qui paraissait conduire tout droit dans les tréfonds du métro. 14


— Vous vous foutez de moi ? Ça se voit pas ? Je viens de vous le dire. Il a été becté. — Je voulais savoir s’il avait été flingué avant d’être déchiqueté ou s’il est mort d’avoir été grignoté. Et aussi par quoi il a été bouffé. — Ben par un malade. Un putain de malade, si vous voulez mon avis. Un Albert Fish de mes deux. Mais qui aurait bien besoin d’aller chez le dentiste. — Pourquoi donc ? — Les traces de dents sont vraiment zarbies. Elles seraient plus petites, je dirais que c’était une bestiole, ça irait… Mais là, vu la taille, ça ne peut être que des traces de dentition humaine. Un petit gabarit, mais humain. Et il y a autre chose de bizarre : les dents semblent déformées, pointues, bien trop longues. Si vous voulez chopper ce bâtard amateur de tartare de pédé, faudra examiner la dentition de vos suspects, détective !

Quand elle sortit de la ruelle, Gamble prit une seconde pour se regarder dans la vitrine d’un sex-shop. Son visage aux traits fins et juvéniles était encadré par une épaisse masse de cheveux noirs ne descendant pas plus bas que les épaules. Sa bouche aux lèvres délicatement ourlée ne pouvait s’empêcher d’afficher une expression mutine. Ses deux pupilles sombres ressortaient d’yeux cernés par la fatigue de plusieurs nuits blanches. Un regard de flic perfusée à la caféine et à la nicotine. Elle s’alluma une clope et fit quelques pas en regardant la vitrine du commerce sans véritablement y prêter attention : des photos jaunies de femmes nues, une paire de menottes entourées de moumoute rose, un énorme gode courbé de couleur noire orné d’une fausse veine et une pile de cassettes vidéo aux jaquettes plus que suggestives. En se tournant vers la rue, elle inspira une bouffée de cigarette, laissa le goudron se déposer dans ses poumons alors que passaient deux jeunes aux habits trop larges 15


qui lui jetèrent un regard hostile. Probablement parce que son badge de flic était accroché autour de son cou. Autour d’elle, des immeubles d’environ cinq étages, désaffectés pour la plupart, montaient la garde de leurs yeux borgnes ou murés. Dans l’allée en sous-sol à ses pieds, après une volée de marches, s’amoncelaient des ordures dans lesquelles s’amusait un gamin noir de cinq ans. La main d’un agent de police se posant sur son bras ramena Gamble à la réalité. — Détective Farley, vous êtes appelée à la radio, c’est le commissaire Weser. — Farley, j’vous mets galment su’une aut’e affaire. Enfin, c’est eut-être la même. ‘Fin, c’est probab’ mais c’est p’sûr. Enf’, bon, z’allez voi’ par vous-m’, oke ? Le chef coupa la communication avant que la détective puisse répondre. Il s’était exprimé à toute vitesse, comme à son habitude, mâchant la moitié des mots, avalant une syllabe sur trois, gobant les voyelles qui l’emmerdaient. Farley avait mis plusieurs mois à s’habituer à ses marmonnements. Il se murmurait dans les couloirs du commissariat que le chef avait eu la langue partiellement sectionnée lorsqu’il était encore flic de rue, durant une arrestation particulièrement mouvementée. La détective n’avait jamais osé demander à son supérieur si la légende disait vrai. Cela faisait à présent trois ans qu’elle était dans la police. Une courte carrière déjà jalonnée de plusieurs succès qui lui avaient permis de se tailler une petite réputation dans le service. Appréciée par son chef et courtisée par plusieurs collègues, elle avait toujours ignoré les parades des mâles en rut qui tentaient de l’amener dans leur lit car elle souhaitait plus que tout garder son indépendance et sa crédibilité. Évoluer ainsi, femme, jeune et noire parmi les Irlandais ventripotents et les ritals concupiscents, héritiers de véritables dynasties de policiers n’était pas chose aisée mais jusqu’ici, la détective se débrouillait plutôt bien. Farley gagna sa Lincoln grise et posa le gyrophare. 16


Alors qu’elle démarrait, elle fut rejointe par le gros légiste qui trottina jusqu’à elle en lui faisant de grands signes, laissant apercevoir les larges auréoles maculant ses aisselles. — Je peux profiter de votre carrosse, madame ? Le commissaire veut que j’examine également ce nouveau corps. Quelle putain de journée. Parfois, on dirait que la ville a la gastro ! Farley savait que les métaphores de légistes, et de Herbert en particulier, étaient toujours immondes. Elle ne put cependant s’empêcher de demander ce que le médecin voulait dire. — Ben, la ville, certains jours, elle a la gastro. La gastro, ça vous fait gerber dans une bassine tandis qu’en même temps, vous vous tenez sur les chiottes à vous vider d’une espèce de cascade de merde acide, on est d’accord ? Ben là, c’est pareil. La ville, elle nous gerbe dessus, et elle nous chie dessus. Elle a bouffé une partie de ses habitants, comme un ogre qui n’aurait qu’à se baisser pour attraper une poignée d’humains. Ensuite, elle laisse toutes ses déjections dans les rues. Et nous, on examine toute cette chierie, on plonge dedans. New York a la diarrhée et nous on en redemande. On tripote sa merde, on la renifle, on la fout sous un putain de microscope pour l’analyser… Ah fuck, vivement que je me tire dans l’Arkansas !

Gamble Farley roulait dans les larges artères du Bronx. Elle avait répondu d’un hochement de tête à la poésie si particulière de son collègue. Depuis, le silence régnait dans le véhicule, seulement troublé par les crachotis de la radio. Le soleil tapait dans la vitre, inondant l’habitacle de sa chaleur. À un croisement, des gosses avaient dévissé une bouche à incendie et la flotte se répandait en une haute cascade. Ils dansaient dessous en riant. Ce quartier pouvait présenter tellement de vie, de joie, mais aussi tellement de haine et de saleté, songea la 17


jeune flic… Et pour autant, aucune de ces teintes ne prenait le dessus dans la composition d’ensemble, laissant s’opérer un parfait équilibre. Là où le doc voyait un tableau clinique, elle, Gamble, voyait une fresque, celle de son quartier, là où elle avait grandi, se reconnaissant dans les visages des gamins, associant à chaque coin miteux un souvenir, bon ou mauvais : flirt, confidences, course-poursuite avec une bande rivale… Quand ils arrivèrent, elle se gara le long du trottoir, guidé par un agent en uniforme. Herbert descendit en jurant, faisant se balancer la voiture comme une barque sur des flots furieux. Les amortisseurs grincèrent en guise de protestation. Le duo traversa un attroupement de badauds et de journalistes et rejoignit un petit groupe de policiers. — Gamble, je suis content de te voir. C’était Petrelli, un flic italien qui lui faisait la cour depuis des lustres, ne reculant devant aucune rebuffade. Puisqu’il ne s’était jamais montré grossier, Farley lui avait laissé l’usage de ses dents et de ses couilles. — C’est pas joli, joli, continua le détective, un petit brun basané aux yeux vifs et aux cheveux un peu trop longs pour le service. Il s’agit d’un individu de race blanche, de sexe masculin, d’environ vingt ans. Le commissaire m’a dit… enfin, bon, j’ai compris que tu étais sur un cas un peu semblable. — Allons voir, répondit Farley. La dépouille gisait, en plusieurs morceaux, dans une arrière-cour miteuse. Entre les poubelles métalliques s’étalaient les intestins, noueux et verdâtres, comme une corde à nœuds grumeleuse et emmêlée. Ils avaient laissé échapper un peu de sang qui avait séché en se mélangeant à du Dr Pepper écoulé d’une cannette. La victime avait été décapitée. Sa tête grimaçante, aux joues déchiquetées, reposait près d’une plaque d’égout mal vissée. Les chairs tranchées laissaient entrevoir les pommettes. Un œil pendait le long du nerf optique, frôlant un morceau de choux moisi. Le 18


reste du corps se trouvait au fond de la cour. Une jambe avait été arrachée. Ses muscles tirés au maximum avant de craquer pendaient, inutiles, comme les franges écarlates d’un pantalon d’Indien. Le ventre ouvert dans lequel on avait fouillé semblait allégé de plusieurs organes. Le sexe manquait, dévoré jusqu’à la glande rose et brune de la prostate. La scène, digne des peintures macabres d’un Jérôme Bosch, fit vaciller un des flics, qui alla rendre son donut un peu plus loin. Farley se mordillait les lèvres et se tenait immobile alors que Petrelli lui donnait les détails et recomposait le puzzle humain qui s’étendait à leurs pieds. Quelle espèce de malade pouvait tuer des gens, et d’une aussi horrible manière ? Quel cannibale pouvait avoir un appétit et une sauvagerie si illimités ? New York s’était dégotté un nouvel ogre…

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Nous espérons que ce premier extrait vous a plu et vous donnera envi de poursuivre votre lecture plus avant. N’hésitez pas à vous rendre sur notre site: https://ogmios-editions.com/

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