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Nouvelle-Calédonie

LA BIODIVERSITE FACE AU CLIMAT SOCIAL

Les émeutes qui ont éclaté en Nouvelle-Calédonie en mai 2024 ont eu de nombreux impacts sur le territoire. Si les dégâts matériels concernent surtout Nouméa et les communes alentour, c’est la dynamique de tout l’archipel qui est aujourd’hui bouleversée. Ce climat de crise fragilise notamment le secteur environnemental et les efforts de conservation.

INTERVIEW

MALIK OEDIN, CHEF DU DISTRICT FORESTIER OUEST EN PROVINCE NORD ET PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION GARDIENS DES ÎLES

Malik Oedin
• En tant que président associatif, comment décrirais-tu le climat social en Nouvelle-Calédonie ?

- La situation s’est bien améliorée, mais le contexte reste incertain. Certains manques se font encore sentir très rapidement, comme par exemple en ce qui concerne le personnel médical ou les secours. Depuis les événements de l’an dernier, les offres de services sont réduites sur l’ensemble du territoire.

Les services restants sont désormais regroupés autour de la capitale, Nouméa. C’est ce qui a naturellement été observé, et qui permet sans doute de préserver l’activité économique et administrative. Malgré un apaisement global, le pouvoir d’achat a diminué, ce qui fait persister une tension sociale.

Pose de panneaux de sensibilisation à la protection de la flore et des oiseaux marins sur l’îlot Ange à Païta, par les Gardiens Des Îles. Depuis plusieurs années, les bénévoles de l’association nettoient, reboisent et protègent cet îlot situé à proximité de Nouméa.
© Gardiens Des Îles
• Et les impacts sur l’environnement ?

- En province Sud et particulièrement à Nouméa où se sont concentrées les émeutes, on peut voir les conséquences directes des mouvements sociaux sur la biodiversité. Entre autres, la destruction d’infrastructures a probablement généré une forte pollution qui fragilise les écosystèmes locaux, notamment marins. La gestion de cette pollution est aujourd’hui l’un des soucis environnementaux dus aux émeutes.

À l’échelle du territoire, on constate une augmentation de certaines pratiques telles que la chasse, la pêche et le braconnage, afin de compenser le contexte financier difficile ainsi que des ruptures d’approvisionnement.

Pour gérer la crise, les fonds ont été essentiellement redirigés vers les secteurs sociaux et économiques, de manière à favoriser leur résilience. On observe de façon générale que les décisions prises lors de ces crises sociales le sont souvent au détriment du secteur environnemental, qui passe alors au second plan des priorités.

• Comment réagis-tu face à cette situation ?

- Récemment, une communication a été publiée grâce au travail de l’association Gardiens Des îles, que je préside. C’est une réflexion menant justement à la conclusion que les investissements en faveur de l’environnement baissent lors de périodes d’instabilité comme celles que nous traversons. Cette étude a pour but d’alerter la communauté scientifique sur ce phénomène. Il s’agit également de donner des outils pour défendre les financements écologiques en faveur du territoire. L’association Gardiens Des Îles agit aussi comme un catalyseur en embauchant de jeunes qui souhaitent travailler dans l’écologie, malgré un contexte actuel peu favorable à l’emploi.

Enfin, en parallèle de mon travail associatif, j’occupe un poste dans la conservation de la biodiversité, notamment des forêts au sein de la province Nord de la NouvelleCalédonie. J’ai notamment beaucoup travaillé sur la protection d’espèces, dont principalement les chauvessouris, à travers le programme Horizon Roussettes.

Porté par la province Nord et cofinancé par l’OFB, le programme Horizon Roussettes cherche à préserver durablement les populations de roussettes, en prenant en compte les aspects socioculturels et en associant les habitants aux réflexions.
© Nicolas Job / Province Nord
• Peux-tu nous parler de ce programme ?

- On trouve chez nous quatre espèces de roussettes. Horizon Roussettes s’intéresse particulièrement à deux d’entre elles qui sont très chassées : la roussette rousse et la roussette du Pacifique. Ces chiroptères sont comptés tous les ans depuis 2010, il s’agit d’un des suivis d’espèces les plus robustes au monde !

Il fait appel aux sciences participatives qui permet aux habitants locaux, à l’issue d’une formation, de compter annuellement les roussettes aux côtés des gardes nature pour suivre la tendance de la population. Les concertations issues du programme Horizon Roussettes ont servi à proposer des mesures de gestion concertées de ces espèces.

Dans la situation actuelle, ce projet revêt encore plus d’importance, car il évalue les effets du climat social sur les roussettes. Par exemple, il y a eu, depuis les émeutes, des signalements d’individus qui troquaient ces chauves-souris contre des munitions [leur vente ayant été fermée de mai à décembre 2024].

• Pourquoi la roussette ?

- C’est d’abord un animal de premier ordre ici au niveau culturel : il fait même partie des emblèmes de la Nouvelle-Calédonie. La monnaie kanak est par exemple fabriquée en poils et os de roussettes.

Sur le plan biologique, ce sont de grandes pollinisatrices. La Nouvelle-Calédonie présente un fort taux d’endémisme – un grand nombre d’espèces qu’on ne trouve nulle part ailleurs – ce qui implique une certaine complémentarité entre les espèces, et le fait que certaines plantes dépendent spécifiquement des roussettes pour assurer leur pollinisation.

+ d’info ici : Les roussettes dans la province Nord

Rédaction et interview : Justine Taugourdeau

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