6 minute read

Département de Mayotte

Next Article
Terre Outre-mer

Terre Outre-mer

MAYOTTE : QUELLE STRATÉGIE DE REFORESTATION ?

À la suite du passage dévastateur de Chido, qui a causé de graves dommages aux forêts mahoraises, le Département de Mayotte sollicite une aide d’urgence pour accompagner la régénération de ces écosystèmes vitaux pour la préservation de la biodiversité et des ressources en eau.

INTERVIEW

ABDOU MOUSTOIFA, DIRECTEUR ADJOINT À LA DIRECTION DE L’AGRICULTURE, LA PÊCHE ET LA FORÊT DU DÉPARTEMENT DE MAYOTTE

Abdou Moustoifa
• Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions du Département en ce qui concerne les forêts de Mayotte ?

- À Mayotte, il y a deux grands propriétaires de forêts : l’État, avec ses 2 000 hectares de forêts domaniales, et le Département, qui possède 6 000 hectares. Notre première mission est de surveiller nos forêts, une tâche plus que jamais cruciale depuis Chido. En effet, nous déplorons des infractions massives – défrichements et mises en culture illégales, cultures sur brûlis... – qui entraînent l’érosion des sols et l’envasement du lagon. Ensuite, nous devons entretenir la forêt. Nous luttons par exemple contre les lianes envahissantes, évacuons le bois qui tombe et le recyclons à la scierie de Coconi, où nous avons aussi une unité de fabrication de charbon. Notre troisième mission consiste à reboiser les zones qui ont du mal à se régénérer naturellement.

25 AGENTS DÉPARTEMENTAUX ASSERMENTÉS POUR SURVEILLER NOS FORÊTS, CELA NE SUFFIT PAS !
• Quelle est selon vous l’urgence du moment ?

- Pour accomplir notre mission de surveillance, notre équipe compte seulement 25 gardes forestiers, là où le besoin est estimé à une centaine d’agents, pas forcément assermentés d’ailleurs – à savoir pourvus du droit de verbaliser – car une simple présence humaine avec un bon maillage territorial peut déjà être efficace pour prévenir de nouvelles dégradations.

Je pense que le Département dispose de nombreux agents en Parcours emploi compétences (PEC), qui pourraient venir renforcer nos rangs. C’est la proposition de quelqu’un qui se bat pour la forêt !

Cela étant dit, il faudrait sécuriser cette surveillance : nos équipes prennent des risques pour leur vie, en se retrouvant en pleine nature face à des individus parfois armés de machettes. Pourquoi ne pas faire intervenir la Sécurité civile pour aider à surveiller nos forêts ?

Autre urgence, et non des moindres : nous avons déploré deux départs de feux de forêt en début d’année, heureusement stoppés du fait de la saison des pluies. Si nous laissons nos forêts avec tous ces bois morts sans surveillance, le risque d’incendie va être exponentiel dès l’arrivée de la saison sèche en mai.

Les vents violents et les fortes pluies ont arraché les arbres, provoqué des glissements de terrain et détruit de vastes zones.
© Département de Mayotte
• Qu’en est-il de l’entretien des forêts ?

- Cela a été notre priorité numéro un après Chido. Nous avons abattu un travail colossal pour dégager les sentiers et permettre à nouveau l’accès aux différents massifs. L’entretien a nécessité deux mois de labeur sur 320 kilomètres de pistes et 197 tronçons, avec l’aide de 80 hommes. Une étape franchie avec succès. À présent, nous souhaitons valoriser le bois qui jonche toute l’île, pour les besoins de la population. Il va falloir remettre en état la scierie départementale, dont tous les équipements sont détruits. Et également acquérir des scieries mobiles.

• En termes de reboisement, quelle stratégie a été identifiée ?

- Tout d’abord, un état des lieux des forêts départementales réalisé par drone montre qu’environ 70 % des forêts de Mayotte ont été décimées.

Le Département a acquis une expérience et une expertise dans ce métier qu’est le reboisement. À chaque massif forestier correspond un plan d’aménagement de l’Office national des forêts (ONF), qui est notre prestataire. On pourrait croire qu’en subventionnant directement des associations, celles-ci seraient en mesure de replanter les espèces forestières. Mieux vaut que les fonds parviennent au Département et que ce dernier, avec l’ONF, encadre les associations, pour les former aux gestes et techniques du reboisement.

massif forestier correspond un plan d’aménagement de l’Office national des forêts (ONF), qui est notre prestataire. On pourrait croire qu’en subventionnant directement des associations, celles-ci seraient en mesure de replanter les espèces forestières. Mieux vaut que les fonds parviennent au Département et que ce dernier, avec l’ONF, encadre les associations, pour les former aux gestes et techniques du reboisement.

Depuis Chido, nous avons enchaîné les réunions, monté des dossiers... Le constat est clair : nous devons reboiser 100 hectares par an à Mayotte durant ces cinq prochaines années. Avant Chido, nous avancions au rythme de 40 hectares par an. Sachant que plus de 100 hectares forestiers disparaissent chaque année à cause des brûlis et des défrichements sauvages... Faute de moyens de surveillance supplémentaires, c’est un tonneau qui ne se remplira jamais !

La serre de Coconi permet au Département de Mayotte, expert dans ce domaine, de produire des plants en pépinière.
© Département de Mayotte
• Une estimation du budget dont le Département a besoin pour l’aide d’urgence aux forêts ?

- Quand on additionne notamment ces besoins de reboisement, mais aussi la remise en état de la scierie de Coconi, la mise en place d’une unité de charbon, le réaménagement complet de notre unité de production de plants à Coconi, le recrutement d’ouvriers pépiniéristes, etc., le budget global pour reboiser nos forêts est évalué à 27 millions d’euros sur cinq ans. Le Plan stratégique national (PSN) ne permettra pas d’atteindre cet objectif. Il faut donc trouver des sources de financement, et ce de toute urgence.

• Un mot pour les décideurs qui nous lisent ?

- Nos forêts sont déjà plus vertes qu’au lendemain de Chido. Mais ce sont des herbes qui repoussent et bien souvent des espèces envahissantes. Sans plan d’urgence pour la surveillance, l’entretien et le reboisement de nos forêts, nous allons au-devant de risques majeurs d’incendies, de pertes durables de la biodiversité et de crises de l’eau accentuées du fait des pertes considérables du couvert forestier.

Rédaction et interview : Stéphanie Castre
This article is from: