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Guyane

HADRIEN LALAGÜE : « J’AI TOUJOURS CHERCHÉ À MARIER MON ACTIVITÉ DE PHOTOGRAPHE AVEC CELLE DE BIOLOGISTE »

Biologiste et photographe en Guyane, Hadrien Lalagüe a été primé au Wildlife Photographer of the Year 2023, le plus prestigieux concours international de photographie de nature, décerné par le Musée d’Histoire naturelle de Londres. Rencontre.

INTERVIEW

HADRIEN LALAGÜE, DOCTEUR EN BIOLOGIE ET PHOTOGRAPHE NATURALISTE EN GUYANE

• En 2023, vos images vous ont fait gagner le prix Wildlife Photographer, dans la catégorie « Comportement, oiseaux ». Pouvez-vous revenir sur votre parcours ayant mené à cette consécration ?

- J’ai commencé à faire de la photo très jeune, après m’être essayé au dessin et à la peinture, sans vraiment atteindre le niveau de satisfaction que j’espérais. J’ai longtemps vu la photo comme une activité purement de loisir. Parfois, prendre l’appareil, c’est simplement un prétexte pour partir en balade ou passer du temps à contempler un paysage.

En 2013, à mes débuts en Guyane, quand je travaillais dans la recherche, je partais régulièrement en forêt, mais sans avoir forcément d’objectif précis. Je ne recherche pas un type de photo. J’aime les belles images, dès qu’il y a un paysage esthétique, une lumière particulière, un animal dans une pose singulière... Les photos qui m’intéressent le moins sont celles centrées sur des objets du quotidien ou sur l’humain. Au contraire, je vois la photographie comme une façon de m’extirper du monde humain et de me rapprocher de la nature.

Jeune caïman à lunettes (Caiman crocodilus) dans les marais de Sinnamary, au sein des pripris de Yiyi.
© Hadrien Lalagüe
• À côté de la photo, vous êtes biologiste pour le bureau Hydreco, expert en milieux aquatiques. Quel lien faites-vous entre ces deux activités ?

- Je pense que j’ai toujours cherché à marier mon activité de photographe avec celle de biologiste, sans vraiment y parvenir, jusqu’à ces dernières années. Déjà, quand je m’essayais au dessin, j’avais une approche scientifique et je m’amusais à esquisser des squelettes, des oiseaux. Au fil des années et des sorties, je me suis de plus en plus concentré sur des sujets que j’étudie par ailleurs dans le cadre d’une démarche scientifique. Je passe moins de temps qu’avant devant un coucher de soleil ou un animal qui ne fait pas partie de mes études. Concrètement, avec l’association Guyane Wild Fish dans laquelle je suis engagé, nous recensons les populations locales de poissons et, comme nous manquons d’illustrations d’espèces dans leur milieu, je tâche d’en faire le plus possible.

Accouplement de rainettes singes (Phyllomedusa bicolor) à Kourou.
© Hadrien Lalagüe

De même, en dehors de mon poste, je travaille beaucoup sur les mygales et participe à un projet scientifique sur les broméliacées de Guyane. À chaque sortie, je cherche à avoir de belles illustrations pour pouvoir nourrir la littérature scientifique. La Guyane reste l’un de ces territoires où il y a encore de vastes zones blanches pour le biologiste. Beaucoup d’espèces n’ont pas encore été bien photographiées.

Silures à antennes (Ancistrus aff. hoplogenys) dans le fleuve Sinnamary, le mâle adulte ayant de curieuses excroissances molles autour du museau.
© Hadrien Lalagüe
• La photographie est-elle un moyen pour vous de sensibiliser le grand public, dans un contexte où la biodiversité est, partout dans le monde, de plus en plus menacée ?

- L’écologiste américain Aldo Leopold disait que pour parvenir à protéger la nature, il fallait la connaître, la voir et la toucher, mais que si on la touchait trop, il n’y aurait plus rien à protéger.

Je pense que l’on est en permanence dans la quête de cet équilibre et qu’effectivement, il faut connaître les différentes espèces d’oiseaux ou la migration des poissons pour pouvoir diminuer l’impact que l’on a sur la nature. Certaines de mes photos sont reprises dans des ouvrages scientifiques et j’espère qu’elles pourront aussi apparaître dans des livres à destination du grand public, afin de faire découvrir la richesse de ces écosystèmes méconnus.

Inselberg Mamilihpan au lever du soleil. Dans le sud-ouest de la Guyane, ce piton rocheux est connu pour abriter des peintures rupestres uniques en Guyane et de nombreux vestiges des premiers peuples d’Amazonie.
© Hadrien Lalagüe
Amazonius germani, une grosse mygale arboricole endémique de Guyane.
© Hadrien Lalagüe
• Avec votre double casquette de biologistephotographe, vous êtes un témoin privilégié pour saisir l’impact des activités humaines et du dérèglement climatique sur la faune et la flore guyanaise. Que constatez-vous ?

- Il est impossible, a fortiori dans un écosystème aussi riche que la forêt guyanaise, de percevoir l’impact global du dérèglement climatique sur la biodiversité. D’autant que les zones équatoriales sont celles qui se réchauffent le moins rapidement.

En revanche, on constate une fragmentation de plus en plus forte de l’habitat. Les forêts reculent en raison de l’extension des zones agricoles et de l’artificialisation des sols.

Au crépuscule, une chauve-souris (Glossophaga soricina) sort par une galerie terrestre du tronc de l’arbre creux dans lequel niche la colonie.
© Hadrien Lalagüe

Et même si la Guyane demeure très peu densément peuplée et la forêt, largement protégée, l’expansion humaine entraîne un recul indéniable de la faune. En 10 ans, on a observé une augmentation considérable de la pression humaine, qui est étroitement liée à la croissance démographique et aux nombreuses activités qui en découlent.

+ d’info ici : https://www.instagram.com/hadrien_ lalague/?hl=fr

Rédaction et interview : Enzo Dubesset
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