4 minute read

Nouvelle-Calédonie

Next Article
Terre outre-mer

Terre outre-mer

UNE ÉPONGE 100% BIODÉGRADABLE À PARTIR DE LA FIBRE DE LUFFA

Droit, mines, éducation, armée, géographie, architecture… Le parcours de Qatrenë Juni est tout sauf linéaire, mais chaque étape enrichit la suivante. À 31 ans, elle crée MeLuffa, une entreprise artisanale de fabrication d’éponges à base de luffa. Une initiative qui incarne ses valeurs : écologie, autonomie, transmission.

INTERVIEW

Qatrenë Juni, fondatrice et gérante de l’entreprise artisanale MeLuffa

• Qu’est-ce que la luffa ?

- C’est une plante tropicale de la famille des cucurbitacées – un peu comme une courgette ou un concombre, mais en version magique ! Après quatre à six mois de maturation, la luffa est prête à être récoltée. Son fruit comestible produit, une fois sec, une fibre aux propriétés similaires à celles des éponges synthétiques, mais naturelle, compostable et cultivable localement.Bref, une vraie alternative écologique au plastique.

MELUFFA, une alternative locale et écologique aux éponges synthétiques
• Comment t’es-tu lancée dans la fabrication d’éponges végétales ?

- L’idée a émergé en 2019, pendant la crise du Covid.

J’ai alors pris conscience de mon impact environnemental et j’ai voulu revoir ma façon de consommer. En cherchant des alternatives, je me suis dit : et si on remplaçait une partie des éponges synthétiques du territoire par cette éponge végétale ? J’ai été accompagnée par le programme Pépite Nouvelle-Calédonie, dédié aux jeunes porteurs de projets. Je me suis préparée, parce qu’expliquer au jury qu’un « concombre » peut devenir une éponge, sans preuve, il n’allait pas le croire !

Je cultive aujourd’hui une première parcelle mise à disposition par l’association Partages en Herbe. Je ne viens pas du monde agricole. J’apprends sur le tas, dans la nature, en m’adaptant jour après jour.

Aperçu de la parcelle mise à disposition dans le Grand Nouméa par l’association Partages en Herbe, où Qatrenë Juni cultive la luffa. Le nom « MeLuffa » de son entreprise est issu du drehu, langue kanak parlée à Lifou et dans laquelle « mel » signifie « la vie ».
© Manon Dejean
• Comment fabriques-tu tes éponges ?

- Une fois que le fruit est sec, il suffit d’en ôter la peau, de retirer et récupérer ses graines pour les prochaines plantations, avant de le couper. Chaque luffa me permet de produire environ deux éponges végétales. Ensuite, elles sont acheminées auprès des particuliers qui me les commandent ou bien du magasin de vrac Boko, avec lequel je collabore. Pour le moment, j’en produis environ 450 à l’année, j’aimerais pouvoir en vivre, mais ce n’est pas suffisant.

Miser sur le caractère biologique, local et compostable de la luffa, tel est le pari de cette jeune entrepreneuse calédonienne.
© Qatrenë Juni
• Tu es originaire de Lifou, pourquoi réaliser ce projet à Nouméa ?

- J’aurais aimé lancer le projet à Lifou. C’est chez moi, c’est sur des terres coutumières que j’aurais voulu faire pousser la luffa. Mais les problématiques de transport, l’enjeu logistique et la concentration des consommateurs dans le Grand Nouméa m’ont poussée à démarrer à Dumbéa. Je commence petit, sur la parcelle qui m’a été proposée, en attendant de trouver un espace plus étendu dans le Grand Nouméa.

Au fond, ce projet, ce n’est pas juste de l’agriculture ou de l’écologie. Il me permet de m’affirmer en tant que jeune femme kanak dans une société calédonienne encore à mes yeux marquée par des inégalités sociales et ethniques héritées de l’histoire coloniale du pays. Ce projet me reconnecte à mon identité, il matérialise mes aspirations et mes valeurs. C’est une manière de reprendre du pouvoir sur ma trajectoire, de contribuer à une société plus juste, plus respectueuse du vivant. Je propose une alternative écologique aux éponges synthétiques. Mais derrière la luffa, c’est tout un cheminement personnel qui s’exprime. Et un message que je veux transmettre aux plus jeunes.

Rédaction et interview : Manon Dejean
This article is from: