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OMGN28
ÉPIZOOTIE EN TERRITOIRES SUBANTARCTIQUES
Une épizootie, ou épidémie qui frappe les animaux, sévit actuellement dans les Terres australes et antarctiques françaises. Le virus H5N1, connu depuis plusieurs années, est observé sur certains de ces territoires insulaires depuis fin 2024. De nombreuses espèces sont touchées, en particulier à Kerguelen et Crozet, où les scientifiques étudient l’agent pathogène.
INTERVIEW
CLÉMENT QUETEL, CHEF DU SERVICE CONSERVATION ET RESTAURATION DES MILIEUX NATURELS À L'ADMINISTRATION DES TAAF
• Comment cette épizootie a-t-elle été détectée dans les TAAF ?
- Nous avons d’abord constaté une forte mortalité chez les « bonbons », nom donné dans les TAAF aux jeunes éléphants de mer. En novembre 2024, en une semaine, environ 450 morts d’éléphants de mer juvéniles ont été recensées à Kerguelen ; il s’agit sans doute de la première espèce victime de l’épizootie.
Les observations sur l’évolution du virus ont surtout lieu à Kerguelen et sur l’île de La Possession à Crozet, qui se trouvent être les rares îles avec une présence
humaine. En effet, certains sites éloignés et îles ne sont visités que très ponctuellement, voire exceptionnellement, comme l’île de l’Est par exemple, à Crozet, et ne permettent pas de suivi local. C’est le cas aussi de l’île Amsterdam, ravagée par un incendie de grande
ampleur en janvier 2025 et qui reste encore inaccessible aux scientifiques, mais sur laquelle aucun indice d’épizootie n’avait encore été détecté.

• Quelles sont les principales espèces touchées ?
- Ce virus, dont l’évolution est suivie sur d’autres continents, est appelé influenza « aviaire », car particulièrement répandu chez les oiseaux. Néanmoins, un grand nombre d’animaux différents, dont des mammifères marins, peuvent être impactés par ce pathogène.
À Kerguelen et Crozet, on dénombre en tout trois espèces de mammifères marins, et entre cinq et sept espèces d’oiseaux marins concernées par l’épizootie, principalement l’éléphant de mer et le manchot royal. Il est cependant impossible d’évaluer le nombre d’individus ayant péri en raison du virus : puisque ces animaux passent un temps important en mer, ils peuvent difficilement être suivis en permanence.
Quant à la transmission à l’homme, le risque apparaît faible, et la diffusion au sein de l’espèce humaine est aujourd’hui considérée comme impossible.

• Quel protocole de biosécurité est mis en place pour limiter la propagation de l’épidémie ?
- Bien que la contamination humaine s’avère peu probable, il est important de ne pas aggraver la propagation du virus. Les mesures de biosécurité mises en œuvre dans les TAAF sont similaires à celles appliquées lors de la gestion d’un virus humain : utilisation d’équipements de protection individuelle (EPI) tels que des gants, masques, lunettes et combinaisons, afin d’éviter la mise en contact avec les aérosols contaminés. Cela passe aussi par la désinfection systématique du matériel et le remplacement de certains équipements, lorsqu’une équipe de scientifiques change de zone d’étude. Il s’agit en fait de notre protocole de biosécurité habituel, qui a été renforcé dans le cadre de cette épizootie.
Il est en revanche difficile d’empêcher la transmission du virus entre les animaux. Le seul moyen serait la vaccination, d’ailleurs en cours d’étude pour l’influenza aviaire H5N1, mais cela serait logistiquement et financièrement inenvisageable étant donné le nombre d’individus à vacciner. En parallèle, la vaccination de la faune sauvage peut soulever des questions éthiques, car considérée comme intrusive. Cependant, la vaccination ciblée de certaines espèces en danger critique d’extinction doit être explorée. Tel est le cas de l’albatros d’Amsterdam, représenté par un très faible nombre d’individus et endémique de l’île éponyme, dont la survie pourrait être menacée par le virus.

TÉMOIGNAGE
THIERRY BOULINIER, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS

L’émergence de cette épizootie provient de l’île subantarctique de Géorgie du Sud, au large de l’Amérique du Sud. Ce virus est pathogène pour de nombreuses espèces, il s’est donc très vite propagé parmi la faune sauvage. Les symptômes sont variables, mais s’avèrent notamment neurologiques et incluent des lésions aux yeux. Dans le cadre d’un projet de l’Institut polaire (IPEV), nous étudions les possibilités de transmission entre espèces, chez les oiseaux et les mammifères. Pour cela, nous comparons les séquences de virus trouvés chez différents individus et réalisons des prélèvements sanguins, afin de détecter d’éventuels anticorps qui montreraient une réponse immunitaire.
Dans des territoires isolés comme les TAAF, la transmission se fait exclusivement via la faune sauvage. De bons protocoles de biosécurité permettent de limiter localement la responsabilité de l’espèce humaine dans la propagation. Néanmoins, il est probable que les modes d’élevage intensifs soient à l’origine de tels virus, très virulents et transmissibles.
