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Mayotte

REFORESTATION DU LAC KARIHANI APRÈS CHIDO : " C’EST UN TRAVAIL DE FOURMI"

En 2023, le GEPOMAY, association naturaliste mahoraise, a obtenu la délégation de gestion du lac Karihani, à Tsingoni, au nord-ouest de Grande-Terre. Cette zone humide est l’unique lac d’eau douce naturel de Mayotte et un de ses principaux réservoirs de biodiversité. Laurie Gaillard, responsable de gestion du site, a répondu à nos questions.

INTERVIEW

LAURIE GAILLARD, RESPONSABLE DE LA GESTION DU SITE AU GEPOMAY

Laurie Gaillard
• Pourquoi considère-t-on le lac Karihani comme un hotspot de biodiversité à Mayotte et quelles sont vos démarches pour le protéger ?

- Le site du lac Karihani, d’une superficie de sept hectares, abrite le seul lac naturel d’eau douce de Mayotte et le premier réservoir alimentaire de Grande-Terre pour l’avifaune. Il est notamment très prisé des crabiers blancs, un oiseau endémique de l’océan Indien qui ne se reproduit que sur quatre îles et dont Mayotte accueille la deuxième population reproductrice. C’est une espèce inscrite sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), en danger d’extinction au niveau mondial.

Site du lac Karihani après Chido. © Émilien Dautrey / GEPOMAY (Groupe d’Études et de Protection des Oiseaux de Mayotte)

Au-delà de cet exemple, le lac rassemble de nombreuses espèces endémiques de Mayotte, dont deux des trois amphibiens recensés uniquement sur l’île,

la couleuvre de Mayotte, un serpent lui aussi en danger d’extinction, et des espèces de geckos. Plus largement, c’est une zone humide où l’on trouve quantité d’insectes dont des libellules qu’il est essentiel de protéger. Nous demandons d’ailleurs actuellement la labellisation Ramsar, qui permettrait la reconnaissance internationale de cette zone humide et l’obtention de fonds supplémentaires pour sa protection.

Le lac Karihani, site naturel du Conservatoire du littoral.
© DR / Dronego
• Quels ont été les impacts du cyclone Chido, ayant frappé Mayotte le 14 décembre dernier, sur l’écosystème du lac Karihani ?

- Le lac est bordé par 3,9 hectares de forêt. Avec le passage du cyclone, la plupart des canneliers, une espèce végétale exotique envahissante (EVEE) qui composait une grande partie du couvert forestier, ont été arrachés. Les espèces indigènes, naturellement présentes sur l’île, ont quant à elles un peu mieux résisté du fait de leur adaptation au milieu. Bien que composée majoritairement d’espèces « invasives », cette forêt créait un microclimat permettant de rafraîchir l’atmosphère. Nous craignons désormais que, sans les arbres, l’eau du lac ne s’évapore plus rapidement lors de la prochaine saison sèche.

En ce qui concerne la faune, nous savons que la population de crabiers blancs a été très impactée, puisque ses cinq sites de reproduction, situés dans les mangroves de l’île, ont été rasés. Cependant, le nombre d’individus observés sur le site du lac Karihani a doublé par rapport à l’avant-cyclone, pour atteindre une quarantaine d’individus observés en févriermars. Cela laisse penser que le site joue un rôle de refuge notamment pour cette espèce.

Depuis 2023, le GEPOMAY assure sa surveillance, le suivi de la connaissance, l’accueil du public et la conduite d’animations, ainsi que la restauration et la gestion des habitats.
© Émilien Dautrey / GEPOMAY
• Quelles sont les actions du GEPOMAY en faveur de la restauration du site ?

- Notre objectif, dans l’immédiat, est d’éviter que les EVEE ne recolonisent les abords du lac. C’est un travail de fourmi car le sol est gorgé de graines et nous devons arracher les plantules à la main, une à une. Le cannelier n’est pas la seule espèce problématique. Nous avons aussi repéré des pousses d’avocat marron, de tulipier du Gabon et des herbacées comme le Lantana camara, très présentes à Mayotte. Paradoxalement, Chido nous a bien aidés en arrachant la majeure partie des arbres problématiques. Cela devrait nous permettre de mieux contrôler cette forêt à l’avenir. Nous sommes en train d’établir la liste que nous allons retenir pour nos opérations de plantation, et dans laquelle on retrouvera des essences de ripisylves indigènes.

• Et sur la promotion du lac auprès du public ?

- Le chemin qui fait le tour du lac a été dégagé et l’observatoire ornithologique a survécu à Chido, ce qui nous permet de poursuivre nos actions de sensibilisation, même si l’environnement a été grandement modifié. Nous faisons des animations scolaires. Dans le cadre des aires terrestres éducatives, deux classes du collège du village sont impliquées dans la gestion du site. Ces jeunes souhaitent nous aider à lutter contre les EVEE, à replanter des espèces indigènes et suivre la pousse des plants qu’ils ont eux-mêmes mis en terre. Nous prévoyons aussi d’agir avec les éleveurs qui ont des parcelles à proximité du lac, car les bonnes pratiques agricoles comme le jardin mahorais, le nonrecours aux pesticides ou la bonne gestion des déchets sont indispensables au maintien de la qualité du lac.

Rédaction et interview : Enzo Dubesset
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