Promesse du Cosmos

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LA PROMESSE DU COSMOS [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]

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MEL ESPELLE

LA PROMESSE DU COSMOS

Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[Préface]

Il leur fallait plus d’hommes pour atteindre le grand fleuve, déclara Ba’ka au chef du clan. Plus d’hommes c’était également plus de provisions et une meilleure organisation. Les neiges allaient les ralentir et même en se déplaçant vite ils ne pourraient atteindre le col avant des semaines, peut-être cinq voire sept. Or ils ne pouvaient rester ici tant que la menace pesait sur leurs têtes. Le regard de Ba’ka glissa vers Adaen cette petite de la tribu des Pas rapides , ces montagnards habitués aux conditions extrêmes, aux températures avoisinant les -30 degrés Celsius et ces hommes forts, endurants et véloces —d’où leur nom attribué pour ne pas les confondre avec cette autre tribu à l’embouchure de la rivière d’où démarre l’histoire— ne redoutaient ni le grand froid, ni l’absence de soleil, ni les tigres à dents de sabre, ni les ours et lions de caverne, ni les aurochs passant les cols. On les connaissait pour être de redoutables guerriers prêts à réduire à néant leur ennemi. Ce fut au tour d’Adaen d’étudier Ba’ka, cette dernière assise près de son époux et chef se leva pour sortir. Singulière dans sa beauté avec : ses grands yeux bleus sur une peau hâlée ; et puis cette bouche ronde et sensuelle. Oen ne laissait aucun homme l’approcher. Certains avaient tenté de la lui ravir et ce, à maintes occasions ; on avait retrouvé leur corps, castré et crucifié à l’entrée du camp. Lui-même l’avait enlevée il y a des années de cela. Ce genre de rapts se produisait souvent quelque soit l’âge du sujet féminin et le besoin était tel que les homo-sapiens volaient leurs voisins sans la moindre impunité. Les plus téméraires tentaient de traquer les voleurs avant de se résoudre à abandonner toute recherche. Et Adaen

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venait de loin, de très loin. Là où l’herbe poussait en abondance et où le gibier pesait non loin des huttes. Son peuple à la peau hâlée différait de ces nomades à la peau laiteuse —de grande taille et d’allure svelte, ces sédentaires appelés Grands Coureurs vivaient en famille et brûlaient leurs morts. Leur dialecte s’éloignait de celui de ces Pas rapides venus du froid. Les Grands Coureurs spécialistes de l’artisanat troquaient des bijoux, des armes finement sculptés contre des poissons, de la viande, de la fourrure, etc— et, Ba’ka avait entendu parler de ces peuplades dites pacifiques bien qu’aucune peuplade ne pouvait l’être au risque de se voir anéantie. Il savait peu de choses sur eux et cela lui importait bien d’ailleurs d’en connaître car jamais ils n’auraient à fraterniser. Plus de trois milles kilomètres les séparaient les uns des autres et le chasseur préoccupé par sa propre survie ne pensait à rien d’autre qu’à perpétuer sa race. L’air froid lui fouetta le visage de l’enfant qui alors s’emmitoufla davantage sous sa fourrure. Au loin six mammouths traversaient la vallée en agitant leur trompe en émettant leur longue plainte à travers la brume. Il neigeait depuis la veille sans interruption et Adaen craignit que la mort cette fois-ci ne l’emporte. Tant avait péri l’an passé. Les mains engourdies par le froid, Adaen sortit une cuillère en bois, plutôt comparable à un pic à glaces dont elle fracassa l’extrémité contre l’eau cristallisée stagnant dans la bassine recouverte de peau d’auroch près d’un reste de foyer abandonné. Elle la ferait ensuite chauffer audessus du foyer afin de préparer à manger pour les hommes. Adaen glissa sous la tente. Baka dormirait avec eux et la petite jeta un rapide regard dans sa direction. Elle le trouva beau avec ses yeux couleur eau et ses cheveux empruntés au soleil. Il ne la regarda pas concentré sur ce qu’il dirait à Oen pour justifier l’avoir prise de force. Le vieux chaman encourageait les étrangers à venir se mélanger aux femmes de leur tribut mais Oen n’était pas de cet avis ; leurs femelles ne pouvaient être engrossées par des mâles aux mœurs étranges, à

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coup sûr cela engendrerait des mâles de faible constitution, aux cheveux blonds et aussi laineux que les mammouths. Adaen tenta un sourire à l’attention de ce Ba’ka privé de l’amour d’une femme et d’un fils emportés tous deux lors d’une tempête de neige, il y a de cela deux années. Un enfant aussi lui avait été arraché, une fillette née prématurément un soir d’hiver ; la petite reposait dans une sépulture à l’entrée même du camp dans l’une de ses petites grottes servant de lieu de prière aux défunts pour les individus de cette tribu. N’ayant plus rien sur lequel s’accrocher Adaen errait ici et là avec cette même détermination, celle de ne pas céder au désespoir. Bien souvent elle se rendait là où l’on enterrait les morts : le Chemin de la Vie pour y déposer des offrandes et de la nourriture à ce fils tant aimé et à ce bébé arraché à son ventre. Il y a trois jours de cela, le vieux Gra fut déposé en cet endroit ; l’odeur du corps en décomposition attirait les chiens avides de chair fraîche et si la veuve éplorée le veillait jour et nuit cela n’empêchait pas les carnivores de toute espèce de s’approcher de la grotte. Le vieux devait emporter avec lui son arc, son carquois et quelques ustensiles de chasse ; le chaman disait qu’il aurait à s’en servir dans l’au-delà. Et Adaen essayait de se représenter cet autre monde avec de vastes prairies, des troupeaux d’aurochs et de chevaux sauvages au poil gris ; des cascades d’eau ruisselant le long des parois escarpées, de grosses rivières charriant poules d’eau et antilopes prises par le courant. Dans l’obscurité près de la vieille et du défunt, Adaen priait dans les bras de la vieille femme édentée. Il y avait-il quelque chose d’autre ailleurs ? La petite se le demandait souvent. Si Oen l’avait arrachée aux siens, Adaen n’en avait gardé aucun souvenir et le fantasme alimentait son désir de fuite. Son regard se portait au loin, là-bas ; derrière les cols des montagnes, cette crête interminable et cette neige omniprésente. Notre petite homo-sapiens restait convaincue qu’il y avait autre chose là-bas comme une

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autre partie d’elle-même abandonnée et réclamant sans cesse son autre moitié. La nuit quand elle ne dormait plus sa main glissait subrepticement vers sa lance posée là près de sa couche. Une lance et une fronde, avec cela elle pouvait abattre n’importe quelle proie à bonne distance. Oh oui elle rêvait de s’enfuir ! Derrière Ba’ka filant de tente en tente, une créature emmitouflée se mit à glousser, dévoilant le peu de temps qui lui restait. En temps normal Ba’ka n’aurait pas suivi la petite Adaen mais la situation de sa tribu le poussait à étudier les femelles, potentielles reproductrices pour ces hommes. Dans ce village niché à flanc de montagnes il avait repéré deux d’entre elles, à vrai dire des fillettes aux joues hautes, à la poitrine ferme et à l’air mutin. Il se dit qu’en négociant fermement il pourrait obtenir l’une ou l’autre de ses pubères, la blonde par exemple pourrait faire l’affaire et pleine d’intuition Kem (puisqu’il s’agissait de la fille de Gori). Si Adaen ne s’était trouvée sur son chemin, Kem l’aurait attirée derrière dans l’espoir d’être prise par ce robuste gaillard. De cette union serait né des fils rigoureux aux cheveux blonds comme ceux de leur père. En tournant la tête il aperçut Adaen agenouillée près de l’ombre puante et délicatement, essora un pan de peau de bouquetin pour le porter aux lèvres de la vieille femme décidée à mourir près de son époux. Il allait faire plus de -18 degrés et frappant le silex pour allumer un feu, notre Adaen déposa sa fourrure sur le dos décharné de la femme ridée et tout en fredonnant lava la peau tannée et creusée de la femme au souffle court. En plein milieu de la nuit, Adaen fut tirée de ses rêves d’évasion par un violent coup de pied administré par Ba’ka, au regard vert appelé par tous : Celui qui gronde. Il ne partageait pas l’idée de deuil. Pour lui l’âme séparé du corps se trouvait une autre enveloppe corporelle ; rien jamais ne mourrait définitivement. En panique elle se releva d’un bond quand il posa sa main sur ses lèvres. Devinant ce qu’il était venu chercher, elle se débattit jusqu’à ce que la force de l’homme eut

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raison de sa faiblesse. Là dans cette pénombre il la besogna, étouffant ses cris dans sa paume. A l’aube Adaen se leva péniblement quand Ba’ka la retint par le bras pour glisser dans sa main une pierre verte identique à une émeraude. Comme Adaen refusa le présent, il la prit de nouveau l’obligeant à serrer dans sa main la pierre semi-précieuse. Comme il la voulait pour femme, Ba’ka employait les grands moyens mettant en avant sa virilité et toute sa force de mal et tel un lion des cavernes il la sodomisait, tenant sa longue chevelure dans sa main et de l’autre la main et la pierre ; muette de douleur Adaen ne lui opposa aucune résistance et dans cette caverne seul le Clap-clap de leur corps s’entrechoquant donnait du relief à ce silence mortuaire. Et quand le lion jouit, un hurlement s’ensuivit glaçant le sang de la vieille. Un long râle accompagnant une semence riche et chaude.

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Chapitre 1 ETUDE 1 : la Survie de l’espèce. Perpétuer une race . Ayem enfonça la longue tige dans le trou et procéda à des mouvements circulaires. Elle aimait taquiner les fourmis qui alors se mettaient à fuir mais toujours bien disciplinées. Il règne ici un certain ordre, c’est toujours les plus grosses qui donnent le signal, pensa Ayem en se montrant plus acharnée encore. Une colonne de fourmis approcha de son pied gauche à vive allure, le temps pour elle de les esquiver avant de reprendre sa fouille. Un bruit attira son attention, là dans les buissons. Il pouvait s’agir d’un animal de petite taille mais cette odeur musquée le trahit. L’’homme tapit dans les fougères venait d’évaluer l’enfant. En fait il l’observait depuis un petit moment déjà : elle était petite mais robuste, assez pour donner de solides enfants à qui la choisirait ensuite sous sa peau de cerf, il devina une petite poitrine ronde et ferme. A bien l’estimer, elle pouvait bien être déjà mère mais il savait d’expérience qu’aucune génitrice ne se comportait de la sorte. Ces dernières ne se déplaçaient jamais seule et disposaient d’un arsenal complet pour repousser toute sorte d’intrus. Ba’ka se colla contre le fût d’un arbre quand ayem eut la stupide idée de se redresser et d’observer la nature alentour. Cette clairière pouvait aussi bien être son tombeau ; combien d’individus disparaissaient ainsi tués par un ours des cavernes, ou une meute de loups ; on retrouvait presque toujours des restes, les

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parties qui n’avaient intéressés personne, pas même les touts petits rongeurs. Ainsi Ayem avait ramassé des dents, soit une dizaine de dents qu’elle conservait soigneusement sur elle dans sa petite bourse et puis elle s’était servit d’un tibia pour en faire une arme de précision, une sorte de grande lame dont elle avait découpé la largeur en bande dentelée. Ingénieuse elle l’était, sachant tirer profit de la nature. Et Ba’ka bascula sur le ventre tenant dans sa main une lanière arrachée à un vieil arbre mort mais offrant assez de corde à qui voulais s’en servir. Dans ces fougères, on ne voyait que son regard bleu limpide qu’il tenait de son peuple. Il avait marché longtemps, suffisamment longtemps pour que sa peau prenne cette teinte brune et cela lui donnait un air farouche, ce qui n’était pas sans effrayer les autres hominidés qu’il croisait ici et là et qui n’osaient l’interrompre dans sa longue marche forcée. Ayem l’identifia de part son odeur et la hache à la main, elle s’accroupit à son tour. Cette odeur si particulière, elle l’a connaissait ; cet homme la suivait depuis deux jours. Il ne veut pas me tuer, il l’aurait déjà fait. Elle se mit à quatre pattes,, la tête penchée et attendit qu’il fut près d’elle pour lui sauter dessus et le tuer ; elle l’aurait fait si Ba’ka n’avait eu l’idée de l’esquiver au dernier moment. Il se retrouva être sur le dos, menacé par une hache dont le tranchant se tenait si près de son visage qu’une légère secousse l’aurait affreusement mutilé. Non, il ne voulait pas la tuer mais toutefois s’en suivit un combat à mort. Ayem se battait comme une lionne et Ba’ka comprit qu’elle n’en était pas à son premier corps-à-corps. Il avait beau la maintenant contre le sol, elle finissait toujours par s’en dégager ; il lui envoya un violent coup de tête qui assomma Ayem. Pourtant au moment où il voulut la ligoter, soulagé d’en être venu à bout de cette chasse, Ayem lui administra une violente gifle du pied. Il saignait du nez, sa narine lui faisait mal sitôt qu’il inspirait ; les morsures infligées par Ayem échauffaient encore ses muscles et force de constater que malgré ses calculs

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il avait sous-estimés la petite créature. A l’aide de son avant-bras il la maintenait contre le sol et parvint à monter à califourchon sur sa proie. Ayem paniqua quand privée d’oxygène, elle se mit à battre des pieds et des mains sans trouver où s’accrocher. Lui l’intimait de se calmer en murmurant des paroles réconfortantes à son oreille. Impossible pour Ayem de comprendre un traite mot de ce qu’il lui disait. Tout ce qu’elle savait c’est qu’elle allait mourir si elle ne se défaisait pas de cette étreinte. Elle se laissa doucement sombrer et quand lui bêtement relâcha la pression exercée sur son cou, Ayem l’assomma en retour. Tu suivras la piste des aurochs , lui avait dit son frère et voilà maintenant trois lunes qu’il n’avait vu les membres du clan des Grands Coureurs ; malheur à celui qui marche seul ! Ba’ka aurait tant souhaité réussir dans ce projet. Il ne restait plus aucune femme pour perpétuer leur race et il savait que dans cette région il trouverait ce qu’il faut. La petite aux cheveux noirs corbeaux aurait faite l’affaire : isolée et sans défense, il l’aurait prise de force avant de l’entrainer derrière lui. il avait lamentablement échouer dans sa quête de femelles. Quand il revint à lui Ayem le tenait fermement par les cheveux pour l’obliger à le regarder. Elle l’avait ligoté à un arbre avec son propre matériel et accroupit devant lui plongea ses yeux bleus dans les sines. Il grogna en l’insultant dans sa langue. Ayem sortit son coutelas de la lanière de sa ceinture. Elle le laisserait crever ici après s’être assuré qu’il se viderait de son sang. Comprenant ses dessins, Ba’ka se mit à paniquer. Non ! Elle ne pouvait faire ça ! Cette petite femelle va me saigner ! Qu’elle n’essaye pas ou bien les miens se vengeront ! Il l’insulta encore, crachant de la salive dans sa direction. Ayem attendit qu’il se soit calmé pour dégager son torse de ce superflu de vêtements. Si telle est mon heure, je dois accepter la mort et m’en montrer brave ! Ayem incisa légèrement sa peau pour voir sa réaction. Il ne flancherait pas comme résigner à cette mort. Son

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regard sonda celui de l’homme. Il n’était plus là mas quelque part dans l’infini cosmos et pour le ramener à lui, Ayem devait le laisser partir et lui indiquer la route à suivre pour s’en aller loin de sa retraite. Après l’avoir relâché, elle resta là à l’étudier une dernière fois avant de disparaitre.

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En ouvrant la tente, elle s’aperçut que la pluie blanche recouvrait toujours le campement, ensevelissant les huttes à peaux tendues. Furtivement elle sortit, enfonçant ses jambes dans ce sol immaculé et si froid. Sa mère Da’ali dormait tout contre le chef, son troisième époux. Les autres ayant succombé à des blessures, celles des grands chasseurs. Da’ali avait la peau laiteuse, qu’elle avait transmis à sa fille tout comme ses grands yeux identiques à ces des félins croisés dans les montagnes noires. De longs cheveux bordaient son doux visage que tant d’hommes avaient convoité. Da’ali ouvrit les yeux, puis colla son index contre ses lèvres. Si le chef la trouvait là, il se montrerait violent. Ba’ ka ne devait pas penser que le chef possédait les deux femmes dont celle qu’il lui avait donné. Adaen comprenait et saurait se montrer discrète en attendant que Bakri sortit de la hutte familiale. Il ne remarqua pas la jeune guerrière cachée près d’eux et quand les deux femmes furent seules, Adaen se mit à frémir de peur. Elle lui demanda d’être forte, de ne pas céder à ses peurs. Ba’ ka saurait l’aimer. Il n’était pas un mauvais homme. Des pas crissèrent dans la neige. Bakri s’en revenait et ne fut point surpris de retrouver Adaen dans les bras de sa mère. Cette hutte n’était plus la sienne et pour qu’elle comprenne, il la frappa. La pauvre enfant détala, le dos meurtri par les coups du chef. Le chasseur la corrigea également. Elle était la sienne. Ils condamnaient qui s’appropriait les fortunes des autres et Adaen était sa propriété. Puis, il revint sur ses pas pour s’en excuser, mais elle fut sourde à ses regrets, allant se réfugier sous des fourrures. Sa décision était prise, elle ne resterait pas là, trouvant trop injuste de pareils châtiments. Elle savait qu’audelà des montagnes, l’herbe était verte et qu’il y avait de la nourriture en abondance. Elle savait que ceux que l’on chassait du camp partait là-bas. Adaen

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choisissait la fuite, plutôt que la servitude et elle savait que sa mère la soutenait. Les jours passèrent et plus grand était son désir de quitter le campement. Le chaman disait que la pluie blanche cesserait de tomber et que le soleil réapparaîtrait. Pour cela, il fallait attendre cinq lunes. Le chaman aux yeux de lait agita ses gri- gris sous les regards attentifs de l’assemblée. Mais l’aveugle s’arrêta devant Adaen. Ce silence était inquiétant. Puis la vieille femme poursuivit ses incantations sur le même rythme, mais dans son esprit, elle savait. Adaen allait apporter le chagrin de leur peuple. Les chants résonnèrent dans sa tête quand elle rassembla ses effets personnels pour partir. La voie était libre. Elle s’élança vers les montagnes sans se retourner. Mais plus elle s’éloignait du campement et plus grandissait la menace de mort. Sans cesser de courir, elle s’en alla jusqu’à perdre de vue la vision de ces dizaines de hutte à flanc de collines. Après sa course effrénée, Adaen s’arrêta un court instant. Les peaux qui recouvraient ses pieds étaient trempées et elle colmata les fuites par des bandes de fourrures. Elle se dit qu’elle devait trouver un abri pour la nuit. Le vent devenait plus mordant, léchant son visage et ses membres. Une chute de pluie blanche l’obligea à trouver refuge et grelottante observa les premières étoiles dans le ciel. Le froid ne la lâchait pas. Les autres y étaient arrivés, alors elle aussi franchirait les montagnes. Elle les retrouverait un jour et ils lui ouvriraient leur cœur. Mais la fatigue, le froid et la solitude eurent raison d’elle. Seulement trois nuits après son départ, elle ressentit combien cette entreprise était stupide. Adaen ne ressentait plus le bout de ses membres, devenus bleus et incapable de se réchauffer, gelait sur place. Mais elle n’était pas seule dans ses montagnes noires. Un tigre à dents de sabre avait flairé sa piste. Une proie vulnérable. Il lui tomba dessus, lui barrant la route. Elle savait que ce genre de prédateurs laissés

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peu de chance de survie à quiconque croisait son chemin. L’animal s’avança vers elle, menaçant sans trop en faire, certain de sa victoire. Adaen n’avait plus la force d’avancer, alors se battre lui était impossible. Il allait bondir sur la jeune guerrière quand un objet pointu piqua sa croupe. Surprit l’animal se retourna. Ba’ ka faisait de grands mouvements de bras pour attirer la bête à lui. Sa lance transpercerait l’imposant félin. Brusquement ce dernier revint sur sa précédente proie, furieux de la tournure des événements. A toute vitesse, Ba’ ka descendit l’escarpement de rochers, décidé à attaquer l’animal de face. Il eut le cran de se placer entre Adaen et le tigre et attendait le bon angle pour sa lance. S’il loupait son tir, ils mourraient tous deux. L’arme du chasseur fendit l’air pour terminer sa course dans le cœur de leur adversaire. Il s’écroula en râlant. Ba’ ka ferma les yeux, incrédule face à son succès. En retirant ce qui servait de chausses à Adaen, il comprit qu’elle était condamnée. Marcher lui était devenu douloureux. Alors il la porterait jusqu’au village. Mais elle ne voulait pas descendre, pas après cette tentative de fuite. Il la hissa sur son dos et entreprit leur retour. Adaen le détestait. Il brisait ses rêves. Elle refusa la nourriture que Ba’ ka lui remit. Elle refusa qu’il lui frictionne les membres. Comme elle mourrait de froid, il la recouvrit de son corps et la serra tout contre lui. Adaen ne voulait pas de cet homme. La tempête souffla à l’extérieur de la grotte. Ba’ ka fit un feu à l’aide de silex et de combustibles provenant du campement. Pius il ôta son manteau pour en recouvrir Adaen. Mais la fièvre arriva, privant la jeune guerrière de sa raison. Les jours passèrent et tous au village crurent en leur mort. Bali fut désolée, mais la vie qui reprenait en elle la fit oublier son chagrin. La vieille femme eut raison. La pluie blanche ne tomba plus. La grosse boule jaune brillait, aveuglant les yeux de Ba’ ka.

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Assis sur une large pierre, il observait le troupeau d’antilopes dans le ravin. Encore maladroites sur leurs pattes, elles courbaient le cou pour s’abreuver dans le serpent d’eau qui leur avait tant manqué. La lance à la main, il attendait le moment favorable pour en transpercer une. Adaen devait retrouver des forces et sans lui, elle n’y arriverait pas. Le chasseur jeta l’animal sur ses larges épaules et entreprit son ascension vers la grotte. Adaen cherchait à se redresser. Il jeta le repas aux pieds de la jeune guerrière puis se jeta sur elle pour l’obliger à la regarder dans les yeux. Elle avait besoin de manger. Il broya la viande cuite entre ses dents pour les tendre à Adaen. Il l’encourageait à avaler, devenant autoritaire et intransigeant. Dans ces moments-là, il pensait à Su’ hi, sa première femelle qu’il avait accompagné jusqu’à la fin. Il l’aimait depuis leur plus jeune âge, quand ils n’étaient alors que de jeunes enfants d’une dizaine d’années. Elle était morte en essayant de lui donner un fils. Attristé par ce souvenir, il se leva pour s’isoler un peu. Adaen le suivit du regard, puis se hissa avec difficulté, aidée par un énorme bâton. La petite femme lui caressa la joue, sachant qu’elle ne pourrait jamais remplacer Su’ hi. L’homme à la fine barbe fut surpris par le geste de la petite. Elle était plus jolie encore que la défunte, parce qu’elle avait des yeux si lumineux et une bouche si pleine. Il savait qu’il devrait veiller sur elle pour ne pas la perdre. Il savait que pour elle, il pourrait quitter le village, tuer un tigre à dent de sabre, rester plusieurs nuits dans une grotte sans manger et tant de choses encore. Il la hissa sur son dos et descendit doucement le versant de la montagne. Mais le chemin était mortellement dangereux. De gros blocs de terre blanche se détachaient des parois rocheuses. Et puis les pierres étaient devenues glissantes. Etant trop faible pour marcher, Adaen savait qu’elle était une gêne pour le chasseur, hésitant sur

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l’itinéraire à suivre. Elle lui demanda de la laisser ici. Alors l’homme redoubla de force et poursuivit son chemin. Il marcha de longues heures, engourdi par le froid. Les peaux des bêtes tuées récemment lui avaient permis de doubler ses vêtements et impressionnant par la taille, devenait plus lourd encore. Adaen grelottait sur son dos, aveuglée par ce sol blanc. Il fit un arrêt pendant lequel Ba’ ka se confectionna une protection pour ses yeux embués de larmes. Il perça une bande de peau qu’il attacha derrière la tête. Cela le soulagea et lui rendit ses yeux. Adaen fut hébétée. Soudain, la montagne grogna. Une partie entière du flanc se détacha non loin d’eux, dévalant à grande allure pour finir sa chute en contre- bas. S’ils restaient là, ils allaient se faire emporter. Aussitôt, il attrapa Adaen et détala. La pauvre enfant ne cessait de regarder derrière eux, paniquée à l’idée de finir en bas du ravin. Il marcha tant et si bien, qu’ils surplombèrent le village. Un rapace passa au-dessus de leur tête, sachant que ces créatures à deux pattes attiraient dans leur sillage des bêtes plus petites dont l’oiseau était friand. La gorge nouée Adaen supplia de le laisser ici, tant elle avait honte. Quelle terrible humiliation. Mais Ba’ ka fut sourd à ses lamentations. C’était son devoir de la ramener auprès des siens et pour cela, il avait bravé le froid, la faim et l’oppressante culpabilité. Il n’aurait jamais du la prendre par le cou pour la jeter contre le sol. Il regrettait tant ce geste, mais le chagrin d’avoir perdu Su’ hi l’avait rendu fou. Mais pour Adaen, il n’avait été qu’un homme violent, incapable de dialogues et de raison. Elle ne voulait pas de cet homme et l’avait fait comprendre à tout le village, et en particulier aux hommes aux manières un peu rustres. Ils arrivèrent au campement au petit matin. L’atmosphère y était étrange. Pas âme qui vive. Les tentes étaient vidées de leurs occupants. Des objets y avaient été renversés, piétinés et aucun feu n’était

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animé. Il ne fut pas long à comprendre. Les Mohas avaient saccagés le village. Ce peuple des montagnes, coiffés de cornes d’aurochs et de peaux d’ours étaient des sanguinaires, anthropophages et terrifiants adversaires. Ba’ ka ramassa ce que les Mohas avaient laissés. Des armes en silex principalement. Adaen sous la tente du chef, enfilait un collier d’os autour de son cou quand le preux chasseur vint la rejoindre. Ils resteraient là cette nuit. Adaen espérait que le collier la préserverait du malheur. Le vent s’engouffra dans la hutte soulevant les cendres du foyer. Sur les couches, dormaient le couple uni dans leur solitude. Adaen venait de s’endormir tout contre son protecteur. Ba’ ka, lui ne parvenait à trouver le sommeil, pensant aux siens, retenus prisonniers quelque part dans les montagnes noires. Seul il ne pourrait les sortir de leur servitude. Pourtant, il savait qu’il avait une chance minime d’y parvenir. Puis il se souvint de la douce Adaen, encore si vulnérable. S’il partait, il la mettait en danger de mort. Le sacrifice des siens valait bien cette nouvelle espérance d’apporter la vie promise par la jeune épouse. Son devoir était de la conduire en lieu sûr. Comme elle toussa dans son sommeil, il remonta les peaux sous son menton. Il n’avait plus qu’elle sur qui veiller. Un grognement étouffé par un sifflement nasal tira Ba’ ka de ses songes. Armé de sa lance, il se glissa vers l’extérieur à pas feutré. Là une énorme bête à cornes reniflait les détritus gelés. Mais il n’était pas seul. Avec lui d’autres membres du troupeau saccageant le reste du campement. Les aurochs avec le dégel traverseraient les montagnes pour passer de l’autre côté. Ainsi ils se nourrissaient de ce que leur rendait cette terre. A chaque nouveau cycle, les chasseurs quittaient le vallon pour suivre le gibier. Ba’ ka devait faire de même. Il réveilla énergiquement Adaen et ficela les armes les unes avec les autres, puis il porta la femme sur son dos.

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Les bêtes savaient toujours où trouver de l’eau et de nouvelles pousses, guidées par leur instinct de survie. Ils marchèrent derrière le troupeau à la fourrure laineuse. Pendant une semaine, ils furent des leurs, discrets et déterminés. Ils progressèrent ainsi jusqu’aux plateaux où cohabitaient diverses espèces d’animaux. Ba’ ka sourit pour lui. Soudain, ses jambes s’enfoncèrent dans le sol meuble. Les marécages restaient la crainte de tous les hominidés. Enfant, il avait vu les siens s’empêtrer et mourir ensevelis sous cette matière noirâtre. Adaen se défit de son étreinte pour le voir s’enfoncer inexorablement vers les profondeurs. Il lui demanda de lui venir en aide. La pauvre enfant ne savait que faire. A genoux, Adaen le tira vers elle, s’étonnant de ne pouvoir l’en extraire. Alourdi par le poids de ses vêtements, Ba’ ka s’accrochait aux racines croissant à la surface, gêné par l’intrusion de la boue dans sa bouche. Adaen revint en boitant, portant une énorme pierre à bras-le- corps. Ce système de poids ferait remonter Ba’ ka à la surface. L’homme n’en avait plus pour longtemps. Quelques minutes tout au plus. Elle attendit que la pierre fût submergée pour le tracter hors du marécage. Exténuée, elle s’écroula recevant le corps du chasseur sur elle. Adaen venait de lui sauver la vie en faisant preuve d’étonnantes ressources. L’eau courait sur les pierres et la roche. Ba’ ka y plongea la tête pour en ôter la boue maculant sa peau. Adaen le regardait faire, étudiant minutieusement son anatomie. Nu comme un nouveau-né, il se frotta la peau sans la moindre pudeur, s’envoyant de grosses éclaboussures sur le corps. Il n’avait pas de poils sur le torse, ni sur ses épaules. Seul son sexe en était recouvert. Adaen ne pouvait détacher son regard de cette zone, quand Ba’ ka surpris son regard. Alors elle pivota prestement sur sa droite. Il voulut à nouveau la porter mais Adaen s’y refusa. Elle pouvait marcher. Pas vite certes, mais elle pouvait

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le faire. Ils traversèrent le plateau, des plus méfiants, piquant le sol à l’aide de bâton. Mais le danger ne venait pas uniquement de la proximité. Un ours des cavernes huma l’air. Ce gigantesque mâle se hissa sur ses pattes inférieures. Quand Ba’ ka le vit, son cœur cessa de battre. Immédiatement il protégea la femme de sa vision et de son appétit. Sa lance ne suffirait pas à le transpercer. L’impressionnante bête se remit sur quatre pattes et tourna le dos au chasseur. Adaen lâcha le bras de son protecteur dans lequel elle y avait enfoncé ses ongles. Dans ce monde-là, les hommes pouvaient mourir de faim, de froid ou de peur. Ba’ ka alluma trois feux autour de leur couche de fortune. Aucun animal, aussi affamé soit-il ne viendrait s’y risquer. Il veillerait au sommeil de Adaen, ne dormant que d’un œil, la main posée sur l’une de ses armes à la pierre tranchante. Il dévorait des yeux la femme paisiblement endormie. Il avait envie d’elle. Goûter à ses lèvres entre-ouvertes et la chevaucher jusqu’à répandre sa semence dans ce corps destiné à enfanter. Elle était sa femme à présent. Il pensa à Su’ hi et l’évocation de sa mort suffit à taire ce désir naissant. Il se mit à pleurer comme un petit, la tête entre les mains. Ce souvenir l’obsédait. Su’ hi, son amour de toujours n’était plus et personne ne la remplacerait dans son cœur. La pluie tomba, rendant leur progression plus difficile. Ba’ ka semblait savoir où il se rendait. Il savait qu’au-delà les plateaux se trouvaient les grandes plaines vertes où pullulaient un grand nombre d’animaux à chaire tendre. Adaen souffrait des pieds. La douleur était atroce, mais elle ne disait rien craignant de ralentir leur marche. Au bout de plusieurs kilomètres, la pauvre s’écroula de tout son poids et Ba’ ka revint sur ses pas. Il fut incapable de la relever. Alors il lui défit les bandages

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de ses pieds et tomba en effroi. Elle n’avait rien dit alors qu’elle souffrait terriblement. La décision de Ba’ ka serait la suivante. Ils trouveraient un point d’eau et érigeraient une tente à proximité. La jolie nomade docilement se laissa porter sur plusieurs mètres. Il avait suffisamment de force en lui pour la porter audelà des terres. Mais il glissa sur une pierre plate, en raison de la boue maculant ses chausses. La chute lui ôta un cri de douleur qui trouva un écho dans ce plateau. Adaen paniqua et se hasarda à lâcher l’homme étendu de tout son long sur le calcaire humide. Une fois ses esprits retrouvés, Ba’ ka se releva lentement en serrant les dents. Sa petite protégée sur le dos, il avança plus prudemment, craignant une nouvelle chute qui lui serait fatale. A la nuit tombée, Adaen les jambes repliées contre sa poitrine contemplait les étoiles au-dessus de sa tête en se demandant ce qu’elles devaient bien représenter. Ces points lumineux scintillaient inlassablement jusqu’à ce que le soleil apparaisse de nouveau. Ba’ ka souleva la fourrure de ses côtes meurtries pour en soulager l’ecchymose. Aussitôt la petite rampa vers lui pour lui venir en aide, mais il la repoussa violemment. Il n’avait pas besoin d’elle. Adaen la gorge nouée s’allongea et lui tournant le dos, serrant contre son sein le collier protecteur. Au loin des carnassiers partaient en chasse et terrorisée, Adaen invoqua la protection de ses ancêtres, une nuit encore. Elle sombra dans un sommeil peuplé de cauchemars. L’un d’eux la tira de ses songes et le cœur battant à rompre, s’aperçut qu’elle était seule. Les feux s’étaient éteints et nulle trace de Ba’ ka. Il l’avait abandonnée, elle en était certaine. Elle ramassa son bâton sur lequel elle se hissa et entreprit de partir à sa recherche. Adaen savait qu’avec lui, elle aurait plus de chance de survivre. Après plusieurs pas, des pierres roulèrent derrière elle. Quelque chose avait précipité leur chute sur le

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flanc de l’arête rocheuse. Elle hâta l’allure en se retournant de temps à autres. Soudain Ba’ ka lui barra le passage après s’être élancé de pierres en pierres. Il portait deux lapins suspendus à la lanière de sa ceinture. Soulagée Adaen porta la main à son cœur quand il s’empressa de venir la serrer dans ses bras. Il n’avait plus qu’elle et il se devait de la protéger. Puis Ba’ ka sursauta en pointant son lance face à lui. Un canidé, la gueule grande ouverte les étudiait du regard, alléché par l’odeur des lapins pris par l’homme. Son réflexe fut celui de protéger Adaen, si vulnérable. Il allait tuer le chien et ils auraient de la viande pour quelques jours. Adaen avait vu des chasseurs utilisés des canidés pour rabattre du gibier dans les pièges. Cette méthode fonctionnait et avait fait ses preuves. D’ailleurs l’animal ne voulait pas les attaquer. Il se contenterait de manger les restes que la coupe de bipèdes lui laisserait. Ba’ ka plongea les yeux dans ceux de l’animal. La bête n’avait pas peur de l’homme parce qu’il avait déjà croisé leurs semblables. D’autres hommes avaient empruntés ce chemin avant eux et d’autres hommes l’avaient laissé vivre. Ils se remirent en marche sans échanger la moindre parole. * ** Après les plateaux rocheux, il y eut la prairie. Des vastes étendues où paissaient des antilopes et autres espèces dont les hommes avaient appris à savourer la chair. Là Ba’ ka allongea le pas, portant la petite femme sur son dos telle une seconde peau. Ils devaient trouver un abri avant la tombée de la nuit au risque de devenir la proie des lions de prairie. Au fil des jours il cherchait à faire plaisir à sa protégée, découvrant qu’elle souriait facilement ou riait sans pudeur.

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D’abord surpris par ce nouveau trait de caractère, il apprit bien vite à provoquer l’état de rire chez Adaen. Il faisait le fou pour lui plaire, se roulant au sol, imitant les singes pourtant si proches de l’homme et il venait lui chatouiller les flancs, certain de son succès. Plus elle riait et plus le désir naissait en lui. Alors un soir, il voulut se rapprocher d’elle et il abandonna son repas pour venir lui caresser les cheveux. Elle se laissa faire, trouvant agréable d’être ainsi regarder. Mais lorsque Ba’ ka l’allongea pour la posséder, elle comprit et se déroba à son étreinte. Adaen ne voulait pas être prise maintenant. Jamais encore il n’avait subi pareille déconvenue. Sa défunte épouse ne s’était jamais refusée à lui et voilà que Adaen lui fermait l’accès au plaisir. Elle lui tourna le dos en poursuivant son repas. Plus les jours passèrent et plus il eut envie d’elle. Ba’ ka ne la regardait plus comme avant et il s’en étonnait. Quand elle était debout, face à lui et que le vent s’engouffrait dans sa longue chevelure noire, il en éprouvait un frisson. Une nouvelle sensation qu’il n’avait découverte jusqu’à là. Il arrivait à se demander si elle était la plus jolie de toutes les femmes qu’il avait croisée depuis son enfance parmi le clan. Adaen avait quelque chose de plus que les autres. Cette indicible fraîcheur, gage d’une grande forme physique et ce sourire, si excitant à contempler. Mais plus il la regardait et plus Adaen craignait ce regard. Il la posséderait aussi naturellement qu’un mâle domine une femelle, avec brutalité et ardeur. Ainsi les hommes pouvaient prouver leur virilité aux yeux des autres mâles de leur tribut. Hissée sur le dos de Ba’ ka, la petite femme contemplait la surface de l’eau dont l’immense boule de feu au-dessus de leur tête s’y reflétait. Quand elle était plus jeune elle pouvait rester des heures à faire glisser ses mains sous l’eau, cherchant à retenir cet élément si précieux qui apportait la vie. Les mains du chasseur se refermèrent sur les cuisses

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de Adaen car les pierres sous ses pieds devenaient glissantes au fur et à mesure que l’eau filait avec empressement entre ses jambes. Le courant se fit plus violent encore et Ba’ ka dut se hâter de gagner le lit de la rivière. Soudain, Ba’ ka glissa et ses efforts furent vains pour maintenir son équilibre. Les deux corps furent recouverts par l’eau des plus furieuses. La pauvre enfant paniqua, cherchant à s’accrocher à son protecteur. Le courant était trop puissant à cet endroit et leurs efforts furent vains pour rester l’un près de l’autre. Adaen tenta de grimper sur le dos de l’homme aux muscles saillants mais ne trouva aucune prise. Elle paniqua de plus bel, sentant l’eau s’engouffrer dans tous ses orifices. Elle savait que l’eau pouvait tuer aussi sûrement que les armes… Le niveau de l’eau avait considérablement augmenté, rentant leur futile tentative de survie se réduire de secondes en secondes. Quand la tête de Ba’ ka immergea de la surface opaque et tumultueuse, Adaen n’était plus là. Il l’avait laissée se perdre. La peur gagna son esprit et il se laissa entraîner par le courant sans lâcher ses armes, dernier bien qui lui restait. Après plusieurs mètres en aval, il sortit de l’eau à plat ventre et la face contre terre, cracha tout ce que ses poumons avaient pu emmagasiner. Il pensa à Adaen que la rivière avait avalée. Les poings serrés, il se releva lentement et entreprit de poursuivre sa route, le long du cours d’eau. Il pressa le pas, jusqu’à se mettre à courir tel un dératé. Au loin les antilopes l’observaient curieusement avant de détaler sans demander leur reste. Il courut si vite qu’il n’en avait plus de souffle. Des aboiements retinrent son attention. Cela venait de derrière les rochers. Le canidé de l’autre jour, celui qui finissait leurs restes. Il aboyait furieusement contre une forme étendue là, inerte sur la berge.

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A la vue de l’humain, l’animal recula en montrant des crocs puis battit de la queue avant d’adopter une position de soumission. L’animal était craintif et les oreilles couchées vers l’arrière, il se plaça entre Adaen et Ba’ ka. Il avait appris à se méfier des hommes. Il cessa de montrer les crocs quand Ba’ ka baissa sa lance. Le canidé s’en alla. Adaen respirait encore, faiblement et difficilement. Il la fit s’asseoir contre lui et la berça tant pour la réchauffer que pour l’aider à recouvrir ses esprits. Il alluma un feu et suspendit ses vêtements sur des piquets. La nuit tomba menaçante et si sombre. Les milliers de points lumineux scintillaient dans le ciel. Ba’ ka s’émerveillait à chaque fois de ce spectacle dont il ignorait tout. Il raviva le feu, craignant qu’il ne se mette à pleuvoir. Le chien tendait le cou, la langue pendante. Sournoisement il cherchait à s’approcher du chasseur. Ba’ ka l’invita à se rapprocher de lui. L’animal n’était plus seulement un animal, il était devenu un allié de taille. Il avait donné l’alerte et sauvé Adaen en la maintenant éveillée par ses aboiements. Tout doucement il rampait, le museau au-dessus du sol. Au moment où Ba’ ka tendit la main, il s’enfuit dans la nuit noire. Ce fut également à ce moment-là que Adaen décida à sortir de sa torpeur. Elle n’était pas morte et interloquée tâta ses membres engourdis. Le mâle la serra dans ses bras et la laissa somnoler tout contre lui. A partir de ce jour, ils eurent pour compagnon le canidé qu’ils appelèrent Irka –celui qui suit – et tous les trois sillonnèrent les grandes prairies sans rencontrer d’obstacles à leur marche. Des hommes avaient foulé le sol avant eux. On pouvait lire les empreintes de leurs pas dans le sol meuble. Une dizaine d’individus de forte corpulence. Ils avaient laissé d’autres indices derrière eux. Une quantité d’ossements….des chasseurs vraisemblablement.

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Ils avaient allumés plusieurs foyers, ce qui signifiait qu’ils avaient séjournés plusieurs jours à cet endroit. Ba’ ka renifla de la terre ramassée qu’il effrita entre ses doigts. Leur odeur restait encore présente. En marchant vite, ils pouvaient aisément les suivre. Appuyée contre son bâton, Adaen marchait de nouveau seule, le pied serré dans un bandage de fortune. La pauvre enfant ne se plaignait jamais, sachant que le chasseur n’aurait pas d’oreilles pour l’écouter. Il ne pensait qu’à se nourrir, qu’à trouver une piste vers l’eau, un endroit pour dormir, des combustibles pour alimenter un feu…il ne lui parlait jamais se contentant de rapides coups d’œil lancés à la dérobée. Adaen dans les coups durs pensait à sa mère, la très affectueuse Da’ali et elle imaginait ce que sa génitrice aurait fait dans pareil contexte. Depuis des semaines qu’ils avaient quitté le camp saccagé et jamais encore Ba’ ka n’avait montré de l’intérêt physique pour sa nouvelle femme. Personne ne pourrait jamais remplacer Su’ hi. Elle le suivrait sans jamais se plaindre. Pourtant ce jour-là, elle éclata en sanglots, n’en pouvant plus et accusant le coup de ce manque de considération. Il la dévisagea rapidement puis détourna la tête de la petite femme. Adaen en avait assez de marcher, assez de grelotter de froid quand la nuit tombait, assez des silences de Ba’ ka, assez de ne point être consolée dans tous ses cauchemars….oh oui certes, il y avait eu quelques moments d’affection, bien vite oubliés pour cet objectif qui était celui de suivre le gibier. Ba’ ka ne sut pas interpréter les pleurs de sa protégée. Impuissant, il grimpa sur un monticule pour scruter l’horizon. En y redescendant, il osa enfin s’accroupir devant la petite Adaen qui tourna subitement la tête. Il ne savait que faire. Jamais encore il n’avait vu une femelle fondre en larmes sans raison. Les sourcils remontés en pointe, il lui demanda si elle avait faim…Elle éclata davantage en sanglots. Il

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dĂŠcida de laisser tomber, ne trouvant pas comment la consoler.

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Passage 2 Les vastes prairies Après des semaines de marche, les vastes prairies se présentèrent à eux, verdoyantes et ondulantes. On aurait dit des vagues cherchant à s’échouer sur une plage toute aussi fertile. Les nuages laissaient entrevoir un ciel bleu où volaient un groupe d’oies sauvages. Dans les hautes herbes, des antilopes tendaient l’oreille craignant la subite apparition d’un grand et terrifiant félin. Ba’ ka marchait le premier, à grands pas sans même se retourner sur Adaen. Elle tentait de le suivre tant bien que mal, ralentissant cependant pour observer des chevaux ou des bisons se déplaçant en une seule unité. Elle enviait leur communauté, la force qui émanait de leur ligue. Depuis son enfance, elle rêvait d’approcher un cheval pour le caresser, mais cela ne pouvait être possible tant que ces bêtes de noble allure vivaient en bande. L’homme se retourna. Elle lui lança des éclairs, puis s’immobilisa. Adaen ne pouvait plus le supporter. Les longs jours passés à ses côtés avaient suffi à dégoûter la petite femme Homo Sapiens. Le peu de communication qu’ils avaient se résumer aux repas. Adaen en avait assez, montrant des signes d’impatience et de mépris. Bien souvent, elle serrait dans sa main le collier d’os, ramassé dans le camp qu’ils avaient abandonné. Ce collier devait la préserver du sombre Ba’ ka. Assise devant un feu, elle dépeçait une antilope à l’aide d’une pierre. Adaen avait horreur de cette tâche qui souillait ses habits et attirait les moustiques. La bête entre les jambes, elle tirait sur la peau pour la séparer du reste du corps. Irka était suspendu à ses gestes, attendant les restes à dévorer. Il se lâchait les babines et gémissait tant l’attente lui était insupportable.

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Quand tout fut terminé, elle embrocha l’animal audessus du feu et accroupie attendait que la viande devint plus noire. Soudain, le chien lâcha son os et se redressa sur ses pattes, le poil hérissé. Adaen se leva également, observant l’environnement. Que des rochers…pas la moindre présence d’un danger. Et pourtant quelque chose excitait le chien au flair certain. Elle ramassa sa lance sous les aboiements furieux de son compagnon à quatre pattes. Le cœur battant à rompre, elle plongea une torche dans le feu. Certaines bêtes sauvages craignaient les hommes pour ce pouvoir de domination sur les éléments. Irka retroussa les babines pour défier l’adversaire invisible, mais dans la présence le rendait fou. Un silex lancé par une fronde vient toucher le chien qui après s’être écroulé, se redressa avec peine, le sang maculant son flanc. Adaen paniqua, lâchant la torche et tint la lance avec plus de conviction. Le chien à ses pieds gémissait, tentant de lécher sa plaie ouverte. On lui sauta dessus, par derrière. L’homme d’Homo sapiens l’écrasait de tout son poids. Grand et tout en muscles, il voulait la petite femelle afin d’agrandir sa tribut. Ses yeux bleus dévisagèrent l’étrangère violant leur territoire. Il la redressa violement après lui avoir noué les poignets. L’homme aux cheveux blonds fit signe à ses compagnons de ficher le camp. L’un d’eux ingurgitait la viande encore sanguinolente, tandis que l’autre ramassait ce qu’il y avait à ramasser. Ils allaient partir quand Ba’ ka surgit de nulle part les dérouta complètement. Rapide et très fort, il plaqua le visage d’un guerrier des cavernes contre le sol et dissuAdaenit l’autre de faire le moindre mouvement. Le chef de la bande ne fut pas long à faire le rapprochement. Il voulait récupérer la petite femme à l’odeur délicieuse. Il la renifla, pressant le sein ferme et appétissant de Adaen dans sa main. Il n’était pas

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rare que des hommes en viennent aux mains pour une femme, garantie d’un héritage et d’une lignée. Ba’ ka ne renoncerait pas à Adaen et pour prouver sa détermination, il transperça le crâne de l’homme à ses pieds. Adaen sursauta, surprise par l’issue du combat. Le homo sapiens sourit, peu impressionné par la tentative de Ba’ ka pour récupérer la femelle. Alors, Ba’ ka tua l’autre de la même façon, les lèvres serrées et le regard brûlant de colère. Il avança vers le ravisseur la lance prête à aller se figer dans son buste. Alors l’homme lui rendit Adaen. Mais il savait qu’ils se reverraient et que la femelle lui appartiendrait… Ba’ ka monta sur un promontoire pour le suivre des yeux jusqu’à ce qu’il fut bien loin. Quant à la petite, elle caressait le pelage du chien rendant l’âme. Au moment où il posa la main sur son épaule, elle se leva d’un seul bond et s’en alla, le laissant là avec ses cAdaenvres. La nuit venue, Adaen s’endormit contre Irka dont les gémissements l’emplissaient de tristesse. Près d’elle le feu menaçait de s’éteindre. Elle se redressa prestement, cherchant des yeux son protecteur. Il semblait ne pas être là. Elle rompit des brindilles pour les mettre dans le foyer. Les braises montèrent vers le ciel en des centaines de points d’or. La rencontre de l’homme blond aux yeux limpides comme de l’eau l’avait bouleversée. Ils avaient marché de longues semaines sans croiser un humain et voilà qu’en ce jour funeste, trois chasseurs firent leur apparition. L’attitude de Ba’ ka restait à déplorer. Lui qui ne cessait de suivre leurs traces pour finalement s’en désintéresser pour une histoire de propriété. A peine eut-elle fermée les yeux que la pluie tomba sur la prairie. Le sort semblait s’acharner sur eux….Ba’ ka hissa le chien sur ses épaules et suivit la petite femme vers un abri mieux protégé.

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Au loin des loups hurlèrent. Les premiers entendus jusqu’à ce jour, annonçant une vaste étendue forestière. Le guerrier s’immobilisa un bref instant. Le foret était également le repère des cerfs géants, mais aussi des chevreuils et des sangliers. Du gibier a profusion et leurs prédateurs dont l’ours des cavernes, les loups et les tigres à dent de sabre. Adaen interrogea l’homme avant de rabattre la capuche sur sa tête et sur la torche. Il fallait préserver le feu sacré. Ils trouvèrent une hutte abandonnée et s’y installèrent, trempés jusqu’aux os. Les précédents locataires l’avaient fortifiée avec une espèce de torchis, fait de bouse d’aurochs, de paille et de vase. Des petits animaux y avaient également séjournés, laissant là des touffes de poils et de restes d’animaux plus petits, comme des rongeurs et des lapins. Adaen s’allongea dans cet abri, renonçant à se sécher. Le lendemain elle trouva des baies. De quoi changer leur ordinaire. Ils pouvaient s’installer ici, ayant tout à portée de main pour ne pas crever de faim. Elle s’essuya les mains sur son vêtement, avalant les premiers fruits avec gourmandise. Les oiseaux chantaient au-dessus de sa tête. Une douce mélodie qui excita la curiosité de Adaen. Un des oiseaux se détacha du groupe et se posa sur une branche à la vue de la jeune femme. Elle le suivit des yeux, remarquant sa gorge rouge gonflant au gré du chant. Elle allait revenir vers la hutte avec le résultat de sa cueillette quand Ba’ ka bondit sur elle, recouvrant sa bouche de sa vigoureuse main. Il l’entraîna vers l’obscurité des branchages et l’encouragea à s’accroupir. Des hommes arrivaient. Une dizaine de guerriers portant des lances à pointe de sagaies. L’un d’eux exhibait un collier à griffes d’ours, symbole de force. Des hommes robustes aux muscles saillants. Ba’ ka reconnut l’homme aux cheveux blonds, celui qui la veille avait tenté de lui ravir sa femme. Ba’ ka fronça les sourcils. Ils étaient devenus leurs proies et la

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traque se poursuivrait jusqu’à la capture de ces deux individus. Ils grimpèrent sur le flanc d’une paroi rocheuse. Adaen manqua de tomber et se rattrapa in-extremis. Les pierres chutèrent pour former un éboulis en contre- bas. Ils allaient à nouveau fuir et Adaen ne supportait plus cette pénible existence. Ils avaient du se résigner à laisser le chien derrière eux. Le seul gage d’une vie sédentaire. Ils marchèrent vite et durent se contraindre à courir dans les roseaux afin de ne point attirer l’attention des oiseaux géants, mangeurs d’hommes. La nuit tombée, Ba’ ka se pencha aux pieds de Adaen. Elle avait des ampoules écarlates et douloureuses. Il devait s’arrêter un jour ou deux pour la laisser reprendre. Il murmura son prénom avant d’enserrer son visage entre ses mains. Jamais il ne la laissera tomber. Leurs lèvres se rejoignirent. Adaen ne rêvait pas ce moment et les bras autour de son cou se laissa submerger par l’amour. A présent, elle pouvait continuer. Elle trouverait assez de force en elle pour taire la souffrance affligée par ses plaies. * ** En haut de la falaise, la vaste prairie s’étendait à leurs pieds. Des kilomètres de verdure, d’étendues forestières et aquatiques, des troupeaux entiers passant d’un point à l’autre en une masse compacte, se déplaçant tel un banc de poissons au gré du courant. Au loin la fumée d’un feu s’élevait vers le ciel. Ba’ ka fixait l’horizon se demandant quel chemin prendre pour éviter cette tribut. Les hommes devaient manquer de femmes et ils n’hésiteraient pas à les traquer pour récupérer la sienne. Il jeta une pelisse sur le dos de Adaen, plus souriante que d’ordinaire.

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Ils prirent le chemin des marais, ralentis pas la boue. La femme se demandait ce qui était advenue de la chienne Irka. Les chasseurs sapiens avaient du la tuer afin de se nourrir de cette viande si généreusement offerte. L’homme lui tendit la main pour l’aider à avancer. Soudain un rugissement leur fit dresser l’oreille. Les oiseaux prirent leur envol dans un claquement d’ailes et les feuillages bruissèrent autour d’eux. Ba’ ka enserra sa lance, cherchant des yeux la présence d’un grand fauve. Ces félins profitaient des cours d’eau pour attaquer le gibier. Ba’ ka ignorait que les marais pouvaient les intéresser. Il n’y vivait que des animaux de grosses tailles, comme les laineux ou ceux à carapace et épines. Ils pressèrent le pas. Un lion de cavernes semblait les attendre, tournant sur lui-même. Il ne chassait pas, attendant probablement les retours de ses femelles. Une fois sur la terre ferme, Adaen se cramponna au bras de l’homme. Des lionnes se repaissaient d’un festin dans cette petite clairière. Un auroch pris au piège de ces crocs lacérés. Le cœur battant à rompre, elle suivit le chasseur à travers la végétation, sans lâcher du regard cette scène de festin. Dans la prairie, ils furent plus en sécurité. Enfin une sécurité momentanée, car à n’importe quel moment, ils pouvaient Toujours être la proie d’un prédateur affamé. Il l’aida à s’asseoir sur un rocher afin d’examiner son pied. La boue semblait avoir accéléré le processus de cicatrisation et Adaen avouait ne ressentir plus aucune douleur. Il ne ferait pas de feu cette nuit-là pour ne pas dévoiler leur position aux autres chasseurs. Adaen s’endormit contre lui, la tête sur son épaule. Elle se mit à ronfler, s’abandonnant complètement à ce sommeil récupérateur. Ba’ ka pouvait dormir d’une oreille, Cependant il savait qu’une minute d’inattention suffirait à perdre la vie. La main sur sa lance, il scrutait l’obscurité, parvenant à identifier le moindre

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bruit. Les animaux était bruyants la nuit, néanmoins inoffensifs. Ils poursuivirent plus au sud encore, là où la végétation devenait moins dense. Adaen se retourna. Ils avaient fait du chemin depuis les montagnes enneigées. Par temps clairs, les crêtes se profilaient au loin. Il suffisait de suivre les cours d’eau pour remonter vers elles. Le souvenir de sa mère la hanta de nouveau. Il se trouvait assez de branches mortes et de troncs desséchés pour faire un feu. Adaen fit naître les flammes sous le petit foyer et le recouvrit des membres de l’antilope. Elle leva les yeux pour croiser ceux de Ba’ ka. Il l’observait minutieusement et de façon cupide. Alors elle se rapprocha de lui et couvrit ses lèvres des siennes. Puis elle monta sur lui et introduisit son sexe dans le sien. Les mains sur ses fesses nues, il accompagnait les mouvements de ses hanches. Adaen recouvrit la bouche du chasseur de ses doigts fins et attendit qu’il répandit sa sève en elle pour l’abreuver de baisers. Adaen voulait un bébé, ce qui obligerait Ba’ ka à s’installer ici. Elle l’aiderait à construire une solide hutte afin d’accueillir la jeune guerrière offert par la nature. Mais l’homme ne l’entendait pas de cette oreille. Il voulait l’emmener là-bas….près des siens. Ba’ ka venait de s’assoupir contre un arbre mort, laissant les rayons du soleil caresser sa peau déjà tannée. La belle Adaen poursuivait un drôle d’insecte avec des défenses et une armure dorsale. Elle le bloqua sous sa paume quand un aboiement au loin la fit lever la tête. Ba’ ka se réveilla alerté par le jappement de l’animal. Il s’empara de ses armes en laissant le reste contre le mur. Muni de sa hache et de sa lance, il courut vers sa femme. Irka aboyait dans sa direction. Adaen ne se méfia pas, trop heureuse de revoir son animal. Ba’ ka cria dans sa direction, mais il était déjà trop tard. Sortis de derrière la végétation ou le relief, des mains

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l’attrapèrent avec violence. Elle se débattit avec ardeur, envoyant coup de pieds et morsures. La lance du chasseur transperça un corps qui fut projette en arrière. Ba’ ka se rua vers l’un des ravisseurs pour le démembrer quand une corde se referma sur son cou. La colère l’envahit et pis encore quand l’un des hommes frappa Adaen de ses poings pour la maintenir au calme. L’homo sapiens aux longs cheveux blonds posa son genou dans le dos de Ba’ ka et ligota ses poignets. Levon restait le meilleur chasseur de sa tribu. Il ne renonçait jamais. L’un de ses frères d’armes bondit sur Ba’ ka pour lui fracturer la mâchoire. Adaen en proie à une vive panique se mit à pleurer. Levon s’approcha d’elle et lui souleva le menton, plein de concupiscence pour cette petite femme. Elle lui donnerait des beaux enfants. Il en avait la certitude. Ils allumèrent un feu pour chasser les nuisibles. Adaen ne lâchait pas des yeux son homme. Ce dernier tentait de se débarrasser de ses liens à l’aide d’une pointe de silex. Les cinq chasseurs mangeaient sans se soucier de leurs prisonniers. Ba’ ka était sur le point de réussir quand un homme l’attrapa par le cou pour le mettre à terre et le frapper. Adaen se mit à hurler, rampa jusqu’à Ba’ ka comme pour le protéger des coups. Levon ne bougeait pas, finissant de manger. Le chasseur ne toucherait pas à la femelle par crainte du courroux de Levon, le chef de la meute. Adaen le défiait du regard. S’il approchait, elle se défendrait toutes griffes en dehors. Ils éclatèrent de rire, amusés par le spectacle. Les chasseurs marchaient à grands pas, traînant derrière eux leur butin. La prisonnière vint à penser à sa mère Da’ali qui avait du connaître le même sort. Les homos sapiens quand ils ne s’entretuaient pas, cherchaient continuellement à voler leurs semblables. Les poings rougis par le cordage, Adaen pressa le pas tout en fusillant l’homme au bout de la corde. Une fois libérée, elle se vengerait. *

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** « Qu’est-ce que cela fait de mourir ? Est-il possible qu’il y ait quelque chose d’autre ailleurs ? Le vieux chaman dit qu’il y a une partie de soi qui s’en va pour rejoindre les cieux, là où tous ces petits points brillent au-dessus de nos têtes. Je sais qu’il a raison. Une fois mort, nous perdons notre enveloppe charnelle pour rejoindre le Grand Feu du ciel ». Ses cheveux noirs caressaient son visage légèrement hâlée. Un teint de miel faisait ressortir son regard vert cerclé de noir et d’or. Là, elle dégagea son visage d’une main rigide, engourdie par le froid. Les autres la regardaient étrangement, plein de compassion pour le deuil de la femelle. Un frisson parcourut son dos au moment où un bloc de neige tomba dans son cou. Au loin, les chasseurs quittèrent leur cercle pour se lever et prier leur frère disparu une seconde fois. Adaen les évita et marcha à grand pas vers la grotte. L’autre se trouvait là, Ba’ka puisque c’est ainsi qu’on l’appelait. Son fils aussi venait de mourir et il reposait là dans cette sépulture, recroquevillé au milieu de son arc et de son carquois. Au-dessus de ce corps privé de vie, le chasseur à la longue chevelure identique à celle d’un fauve ne remarqua pas la petite femme tapie derrière le rocher ; son odeur seule, la trahie. Adaen ne sentait pas comme les autres ; et elle avait bien cela pour elle. Cette odeur de fleurs séchées parfumait sa peau dans les moindres recoins et excitait les sens des hommes, habitués aux senteurs plus fortes de gibiers dont ils s’en recouvraient le corps. « Asi pato es ? (que fais-tu là) » Lui demanda-t-il. Alors elle glissa vers lui en lui tendant un collier de coquillages ramassés sur le littoral avec le petit garçon au cours de leur long voyage. « Ta gan ave sa (c’est pour ton fils) Isu me gana (Il était mon ami).

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—Te gana ? Adaen…su paya fu’ste gana. Iro mara su paya vin su ». (Ton ami ? Adaen…ton mari était le mien) Lentement elle se rapprocha de lui pour y déposer le présent près du fils. Et ils s’observèrent silencieusement. Son ventre n’avait jamais enfanté et la vie pourrait germer dans ce corps si robuste. Il la pénétra ; glissant en elle avec ardeur. Les yeux dans les siens, Adaen se surprit à apprécier cette étreinte à la fois douce et brusque. Et Ba’ka n’avait pas eu de femmes à féconder depuis que la précédente était retournée auprès d’Ira, la divinité de la terre. Son regard s’orienta vers le cAdaenvre de l’enfant gisant là. Adaen lui donnerait d’autres fils à aimer et à cette pensée, il redoubla d’ardeur. Puis cette dernière mordit dans ses lèvres, jusqu’à en faire venir le sang et il jouit si fort que la terre semblait s’agiter sous leurs corps enlacé. « Gan a Ba’ka. Ba’ka me paya (Je donne à Ba’ka. Ba’ka est mon mari) » Son regard plus l’étudia plus en détail : elle n’était pas bien ventrue, trop maigre selon ses observations. Les autres femmes avaient plus de formes ; des seins pleins et des hanches plus larges. Certaines avaient donnés plusieurs fils aux chasseurs. Et puis Adaen avait quelque chose d’étrange dans son regard, comme si un voile opaque recouvrait ses yeux aussi vert que l’herbe. Il aurait pu la trouver désirable, mais la petite était véritablement différente des autres et cette différence physiologique répugnait Ba’ka à la prendre pour soi. On lui trouverait un autre chasseur qui saurait la protéger au plus sombre de la nuit. Incontestablement, il lui refuserait cette protection. De ses grands yeux, elle le dévisagea comme devinant ses pensées et quand il se dégagea de ses hanches, il ne ressentit autre chose que du mépris pour cette femelle aux lèvres pleines. « Ba’ka ? » Le retint-elle par le bras.

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Ce dernier fut sourd à sa détresse ; jeta la fourrure sur ses épaules et quitta l’intérieur de la grotte pour affronter le froid hivernal de cette montagne. Restée seule dans cet antre, Adaen savait que les hommes n’auraient plus d’égard pour elle. Privée d’époux, elle deviendrait leur esclave ; celle que l’on nourrit en dernier et qu’on rechigne à prendre soin. Adaen n’avait plus aucune valeur. Et un frisson d’angoisse la submergea. Le grand feu prenait au milieu des abris construits à l’aide de défense de mammouth et recouvert de diverses toisons. Se tenant en retrait des autres, Adaen attendit qu’on veuille bien la nourrir ; elle tremblait de froid et ses doigts ne répondaient plus à ses multiples sollicitations. On disait que les nombreuses semences de Varron n’avaient pu prendre car Adaen avait offensé Iro en refusant les attouchements du chaman. Et ce dernier avançait l’hypothèse qu’Iro s’était vengé en les frappant si durement ces derniers mois. Le lendemain, on la traîna par les cheveux à travers tout le camp. Humiliée, elle se débattait pendant que les robustes chasseurs, le regard concupiscent se la passait de mains en mains en échangeant des commentaires. Adaen leur cracha dessus, tandis que le chaman lui ôta ses fourrures pour mieux la jauger. Ba’ka la voyait se débattre, sans manifester le moindre désir de lui venir en aide. Pourtant c’est bien son regard qu’elle cherchait dans l’assistance. Une gifle l’immobilisa et ils finirent par la laisser dans la neige, grelottant de tous ses membres, l’œil tuméfié. Jusqu’à maintenant aucun homme ne s’était manifesté ; pas même Ba’ka qui l’étudiait à la dérobée. La veille on lui avait confié une femme pour lui faire oublier Su’hi et le fils à jamais endormi. Et il l’avait recouverte ; remarquant combien il éprouvait moins de plaisir dans ses bras que dans ceux de Adaen ; par ailleurs, il ressentit de la colère et du dégoût.

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Il lui posa une peau d’ours sur le dos et doucement lui caressa son visage. Adaen avait froid. Elle avait besoin d’un corps chaud pour la réchauffer, mais Ba’ka recula quand elle rampa vers lui dans l’espoir d’un peu de réconfort et de chaleur humaine. Il ne la voulait pas. Et pourtant il l’avait vu naître et grandir au milieu de tous ces hommes. Il se souvenait encore du bébé vagissant qu’il avait tenu entre ses mains avant que l’accouchée ne perde la vie. « Gousse ma keyé (prends soin de ma fille) » Avaitelle soufflé avant de s’éteindre ; alors il avait emmailloté le nouveau-né dans une peau de renards avant de le tendre à son géniteur. Il ne l’avait pas regardé, tant il aurait espéré un fils : un chasseur qui assurerait la pérennité de leur tribu. « Rawan ? Gante rawan ? (Manger ? Veux-tu manger ?) » Alors Adaen leva les yeux vers le boucanier aux joues creuses et aux petits yeux enfoncés dans leur orbite ; il savait qu’elle avait faim et qu’une âme charitable pouvait mettre un terme à ses brimades. « Ba’ka ! Intervint le chef en sortant de sa tente, une peau de loups sur ses larges épaules. Mawa te gan tobo. (Tu veux toutes les femmes) I’nna mawa te (I’nna est ta femme) ». Les autres chasseurs ricanèrent. Ba’ka n’entendait rien, préoccupée par le sort de la femme aux cheveux noirs comme du charbon. Quant à Adaen, elle sut que Ba’ka l’avait trahie au profit d’un ventre plus fécond que le sien et la douleur qu’elle éprouva fut incommensurable. Et le chef, nommé Re’ran le rappela à l’ordre une seconde fois. Surgit de nulle part, la vieille femme bondit sur Adaen pour l’entraîner en retrait du camp. Sous son abri, celle qui n’avait plus qu’un œil lui déclara qu’un ventre était une malédiction ; les hommes devaient assurer leur descendance. Adaen ne pouvait rester ici. « Où irai-je si ma propre famille me chasse ? Le froid me tuera si ce n’est pas une bête féroce et personne ne me pleurera ».

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La vieille sourit laissant entrevoir sa mâchoire édentée. Oui, le froid la tuerait, mais Iro prendrait soin de son âme une fois qu’elle aurait trépassée. Va’na lui tendit une petite écuelle de sang pour lui permettre de reprendre des forces. La petite dormirait ici cette nuit ; demain, elle lui montrerait quel chemin prendre pour se rendre vers les autres chasseurs installés sur le grand lac. « Rawa ! rawa » lui souffla la vielle en lui présentant des morceaux de viandes séchées à l’odeur putride. Soudain un bruit de pas la fit se redresser et Va’na reconnut l’odeur de Re’ran ; il venait pour Adaen et non pour elle, cette vieille carme desséchée que la mort tardait à prendre. Le pan de la minuscule tente s’ouvrit sur le géant qui jeta un morceau de viande devant Va’na qui immédiatement rua dessus ; tant de fois, elle avait craint les chiens avec qui elle se battait les restes. Lentement il dégagea le manteau de Adaen pour apprécier l’ovale de ses seins, fermes, ronds et appétissants. Et il avait apprécié son courage ; les femmes lors de cette exposition se laissaient faire, trop inquiétées de finir seules. Les fils qu’elle lui donnerait seraient de véritables guerriers, intrépides et téméraires ; de leur mère ils hériteront de ce caractère particulier qui fera d’eux des chefs respectés. Il se rapprocha d’elle pour lui croquer le menton. Ignorant tout de ses intentions Adaen lui mordit la lèvre si brutalement qu’il la repoussa avec force ; déjà le sang se répandait dans sa bouche et fou de rage, il allait lever la main sur elle, quand la vieille recouvrit Adaen de son corps. « Adaen no mawa te ! Adaen e Adaen, (Adaen n’est pas ta femme ! Adaen est à Adaen) » tonna cette dernière en dissuAdaennt l’homme d’approcher. * *

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Elles marchèrent toutes deux emmitouflées dans leurs lourdes tenues ; la vieille appuyée sur un long bâton et la jeune avançant avec plus de facilité. Elle tendit sa main ridée vers le feu dont on voyait les nuées surplombées la cime des conifères. Une buse passa au-dessus de leur tête en sifflant, cherchant désespérément une proie à se mettre dans le bec. La fatigue de Va’na était palpable ; le froid engourdissait tous ses membres et elle savait que le retour lui serait plus insupportable encore. Un ours descendait le versant de colline en courant ; Adaen n’avait qu’une fronde et une lance. Si elle le manquait, l’animal la dépècerait, terriblement contrarié d’avoir été réveillé dans son sommeil par d’intrépides chasseurs. A cette distance, elle pouvait l’avoir à la lance. L’objet tranchant ne fit que le ralentir ; blessé à la poitrine, il pouvait néanmoins tuer plus d’hommes qu’il laissait l’imaginer. Adaen arma sa fronde qu’il fit tournoyer au-dessus de sa tête le plus rapidement possible. Les morceaux de sagaies lui perforèrent la chair. L’animal de plus de trois mètres hurla sa douleur; la bave écumante le long de ses babines. D’un seul coup de pattes ce gigantesque ours des cavernes tuerait Adaen. Une énième pierre l’assomma au moment où les hommes sortirent des bois pour lui couper la route. Parmi eux Ba’ka qui planta son couteau dans le cœur de l’animal gisant à quelques mètres de Adaen. Et Va’na de recouvrir le visage de la veuve du sang de l’ours pour la bénir. De nouveau il offrit sa semence à Adaen avant de s’écrouler contre elle. Et avec douceur lui caressa la joue, sa bouche et son cou. Elle était heureuse près de lui et quand leurs lèvres se rejoignirent, Adaen craint de le perdre. « Iman van mi (pars avec moi) » Et il fronça les sourcils : « Hum…Je pourrais faire ton bonheur ici. —Non,

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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