Loi des Sages 0

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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L’OEIL DE LA NUIT La Loi des Sages Originale

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Du même auteur Aux éditions Polymnie ’Script Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Disciple des Orphelins Erotisme d’un Bandit Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Tristesse d’un Volcan Ventre du Loup

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Vices du Ciel Villes des Revenants

MEL ESPELLE 5


L’ŒIL DE LA NUIT

Polymnie

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1 Rien à déclarer ici sur cette autre partie du royaume. Les choses sont restées telles qu’elles le furent il y a plus de six mois ; excepté le fait que les bourgeons soient en fleur et l’absence de putride odeur depuis qu’on a assainit les marais. Quand j’évoque cela je ne peux m’empêcher de sourire. Le problème ne vient pas de là. Depuis le temps quand même, ils devraient faire quelque chose. De tous côtés les protestations pleuvent et l’autre jour ils m’ont chassé à coups de pieds dans l’arrière-train. « T’as intérêt à ne pas trop l’ouvrir, fillette ! » Je n’arrête pas de me le répéter mais je ne peux les laisser avoir cette aptitude si désinvolte à mon égard. L’autre jour, Pietr m’a jeté un seau d’excréments afin de calmer mes ardeurs. Personne ne me soutient ici et mes réformes ne passent guère au milieu de ces guerriers de la Ligue, ces hommes au cœur dur. L’écœurement n’est jamais bien loin en ce moment. Le crottin passe encore mais les excréments de porcs et la bouse me collent à tous les coups l’envie de restituer mon repas des heures durant. Il parait difficile d’apprécier quoique se soit dans cette région du monde. Constatons néanmoins mon succès auprès de mes cousins par alliance guère plus âgés que ma personne. Ils sont plein

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d’entrain et utilise mon savon comme un objet maléfique et Byron fasciné par l’essence de bleuets veut connaître le secret de ma fabrication artisanale. En fait j’ai fait la connaissance d’un parfumeur venu du sud. Il m’a vendu pour 10 pièces trois flacons de senteur : chèvrefeuille, bleuet et menthe poivrée additionné à du romarin. Nul désir de passer pour la plus folle des donzelles du coin c’est pourquoi je n’insisterai pas plus longtemps sur la nécessité d’avoir une existence irréprochable sur le plan de l’hygiène. Le sorcier chez qui je me procure mon huile végétale pour purifier ma peau des agressions quotidiennes reste d’accord sur le point qu’il faille rester sain pour espérer une longue existence. A Landerwyn sommes-nous les seuls à y croire ? L’intendant Pyk m’a envoyé balader au moment où j’évoquai la possibilité d’offrir aux hommes un moment de soin avant le déjeuner matinal, soit dès le lever du jour et avant leurs prières. Rien à faire. Ici c’est se battre contre le vent. « Ces hommes n’ont nul besoin d’être dorlotés. On ne peut faire une bonne guerre le ventre vide ! » Me répliqua-t-on. Inutile de débattre pendant des heures. Certaines femmes ne sont pas faites pour régenter des forts tels que celui de Loes à quelques jours de la frontière avec le Menaastra. Au moins j’aurais essayé. Notons également mon incapacité à convaincre quiconque. Sitôt que j’ouvre la bouche, on ricane, se gausse et se bidonne pendant des heures. Les fils de mon oncle issus de ses premières noces ne m’ont jamais ménagés et j’entends encore leurs ricanements résonner dans mes oreilles.

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Ictara aux grandes oreilles, ça c’est mon surnom en plus des termes comme : Bécassine ou Langue molle ; ils éprouvent une joie certaine à me fustiger, m’humilier, eux qui n’ont aucun respect pour la gente féminine. Le seul à manifester de l’intérêt pour mes réalisations restait karm. Jamais il ne ricane et il me prend vraiment en sérieux. Impassible il m’écoute monologuer pendant de longues minutes en se grattant le menton, les sourcils froncés et l’œil brillant ; il va s’en dire qu’il est le préconiseur de toutes mes lumières. La moindre petite subjection passe par son esprit avant d’atterrir dans le mien. Ses idées je les fais miennes. Or depuis un moment déjà il m’évite et s’égare sitôt que je le questionne sur cette froideur, cette rigidité des plus inhabituelles. « Je ne veux pas d’histoires avec toi d’accord ? » Ses ainés Otwyn et Pietr sont derrière tout cela et je remarque leur regard chargé de haine posé sur le couple que nous formons. Sans le soutien de ses frères il n’est plus rien. Et bien j’ai appris qu’il se lavait tous les jours suivant mes recommandations en usant de mes productions. Comme il prenait ma défense cela lui valait le mépris des autres chevaliers. L’ambiance n’était pas au beau fixe. L’autre jour j’ai proposé à Deris de faire boire ses chevaux non plus à l’abreuvoir mais directement à la rivière. Il n’a pas apprécié et pour peu m’aurait rossé. Ces guerriers ne souffrent d’aucune contrariété. On m’a envoyé du crottin à la figure. Cela transpirait l’œuvre de mes marcassins de cousins, ceux du troisième lit de mon oncle par alliance. En cavalant derrière eux

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j’ai compris l’absurdité de la situation : les donzelles aussi crétines soient-elles ne courent pas derrière les manants de leur espèce. Des marauds ; voilà ce qu’ils sont ! On ne m’apprécie guère, pourtant j’étais une Tahgualyn par mon père et une Aleandius par mère ; soit deux lignées respectées dans toute l’Ilyria. Mon père, le roi de la cité-Etat de Hânaa était un fin politicien et un homme d’une grande aura. De dire de ma mère, l’éblouissante Nariel venant du royaume de Aastra communément appelé Aastri ? Du sang royal coulait dans mes veines mais ces guerriers de la Ligue n’en avaient cure. Je n’étais qu’une gosse de petite taille et aux oreilles décollées. Mon physique point avantageux m’éloignait des considérations masculines autant que féminines. Cette moue boudeuse et cette peau laiteuse me desservait, tout comme cette chevelure noire, raide et sans reflets. D’aussi loin que je me souvienne, mon père m’appelait non pas Ictara mais OOna, cette autre déité si laide qu’on se la représentait son visage. A mieux me regarder dans le miroir, il reste vrai que je ne suis pas jolie, je dirais même, je suis très laide. Lèvres épaisses déformées par une moue qui se veut boudeuse. « Arrêtes de tirer la tronche, tu ne brille déjà pas par ton intelligence, » répète mon cousin lorsqu’il m’utilise comme écuyer ou bien son valet de chambre. Cela dépend des heures, des circonstances et surtout de son humeur. Ma tante Inniis se persuade depuis toujours que je suis sotte, voire inadaptée à la vie publique et plusieurs fois je l’ai entendue

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dire : « Elle n’a rien pour elle, ni la grâce, ni l’intelligence, juste une fille de ferme incapable de se distinguer d’une éventuelle qualité ou don ». En ce moment ce qui ressort souvent c’est ma gaucherie accouplée à cette démarche chaloupée de vieille femme handicapée par l’embonpoint comme Tante Erna. Quelque part en Ilyria, Ninniel ma sœur mène une vie de princesse, voire de reine et se moque ouvertement de mes ennuis. « Une oie ! Elle a la démarche d’une oie ! » Entendis-je à mon sujet. Et puis j’ai des tâches de son sur le visage qu’il est impossible de faire disparaître. « Que ferons-nous de toi ma pauvre chérie ? » déclara tante Iniis en me voyant revenir crottée et toute ébouriffée. Travailler à l’intendance attachée à la gestion du personnel me ferait plaisir. A cela elle ne répondit rien. L’idée de me tenir éloignée d’elle semble pourtant la ravir car déjà elle me fait dormir non loin du quartier de domestiques, sur une paillasse dure comme la pierre. Je vous le dis, Malner est le seul à me respecter. Même s’il voudrait me faire passer plus bête que je ne suis, il n’y arriverait pas. Son objectif, sa mission et le but de sa vie est bel est bien celui de m’être agréable. Il existe des êtres comme lui, incapables de faire autre chose que d’améliorer votre quotidien. Si vous venez à la croiser au fort, je vous laisse le soin de l’aborder et de constater son caractère affable et il est bien l’un des seuls à ne pas lâcher des vents, roter et claquer la croupe des filles du coin. D’après ma cousine Adégée de deux ans mon ainé, il est froid, peu cordial, emprunt d’une suffisance frisant l’insolence et contrairement aux

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autres males des environs, il est le seul, et elle d’insister lourdement sur le fait, à manquer d’ambition. Comprendre par ses mots, essayer de le séduire. Ce genre de conversation à l’art de faire dresser les cheveux sur le crâne de tante Iniis incapable de comprendre en quoi mon opinion se distingue de celle de ses monstres d’enfants. En plus de Nonn, Trifin, Tristan, Dole, Solenn, Briz il y a Adagée et toutes ces autres bécasses qui gravitent autour d’elle. Elle a engendré tant de monstres que j’ai peine à croire qu’elle puisse encore prier la conscience apaisée. Iniis rit jaune, rire pourrait nuire à sa santé mentale d’ailleurs et je crois qu’elle est née avec cet affreux rictus au coin des lèvres, cette déformation faciale lui donne un air jovial bien que je sois la seule à connaître le fond de ses pensées. Un tel sujet ne peut-être évoquer ouvertement, disons seulement tante Iniis méprise son monde. Quiétude également troublée par ma présence en ces lieux. Comme oncle Darnt m’invita encore à m’assoir sur ses genoux cela l’agaça au plus au point et alors prise de convulsions et de tics nerveux, Iniis s’empressa de quitter la pièce en maugréant tout son saoul. Il est possible qu’elle me déteste puisqu’elle m’affuble du sobriquet de : « Petite intrigante sans cervelle ». Le temps ne peut effacer certaines douleurs et alors que je m’évertue à inculquer à mes cousines et cousines les notions de respect et d’hygiène, il y a toujours les tantes Levenez, Izog et toutes ces autres pintades et lointaines cousines de ma mère pour me rappeler qui je suis. « Tu es peut-être une descendante d’Olmurils mais tu n’es rien ! On ne t’a

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prédit aucun avenir et parole de sages : Tu n’as rien à nous donner ! » Autant s’enterrer vivante. Le pathos caractérise ces vieilles peaux mais je ne peux leur en vouloir : Elles vivent dans le Landerwyn et leurs idées ne différent guère de ceslles des Ascarais dont l’empire du roi Aldric V. Ce peuple se dit élu et supérieur en tout pont aux autres. Il ne m’a jamais été donné d’en croisé un mais quand mes cousines viennent à évoquer ce peuple, leurs yeux s’illuminent et elles en ont presque la larme à l’œil. Les princes dit-ton sont beaux et destinés à un grand avenir. Toutes mes cousines sont exception rêvent alors de grandeur, de pouvoir de vivre une vie de reine dans cette titanesque cité royale de Bénéthor. Oui, je dis bien toutes rêvent de ces princes encore des enfants qui demain deviendront les rois du monde. Nous autres de Menaastra n’avons rien à leur envier. Ma mère fit un mariage d’amour avec ce roi si affable et si attentionné. Elle n’avait que quatorze ans quand elle l’a rencontré et depuis leur histoire d’amour est contée dans toutes les cours et cités-états de nos royaumes. Pourtant Karm rejoint mes cousines sur les Ascaris. « Ils sont puissants et au-delà de ses montagnes, là où l’herbe est verte leurs terres s’étendent à perte de vue. Ton roi Cleistophen refuse toute alliance avec eux et cela conduira ton peuple à sa perte. S’il est trop idiot pour le comprendre alors il faudra toutefois consentir à les recevoir à sa table au risque de perdre les meilleurs traités avec le Nord. » J’essayerai de m’en souvenir. Pour l’heure mes préoccupations se tiennent à

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l’amélioration l’hygiène au sein du fort et ce genre de réforme passe très mal. Au temple ce matin l’odeur de bouc fut si puissante que j’ai failli tourner de l’œil. Mais suis-je donc la seule accaparée par cette nauséabonde odeur ? D’ailleurs force de constater la confection d’une poche de lavande devenue mon grigri et me permettant de taire certaines pestilentielles senteurs d’ails, d’urine rendue rance telle du poisson pourrie et pis encore, je me suis surprise à badigeonner le dessus de mes narines d’essence de violette. Alon, l’un de mes cousins et celui dont le portrait ressemble le plus à son père me fustigeait et se moquait de ma sensibilité. Les plus jeunes parlent de mes méthodes éducatives : lavage des mains avant chaque repas, brossage des dents matin, midi et soir ; le fait de manger sain et équilibré et de faire l’exercice, tout cela contribue à agacer leurs ainés. Lassé Alon m’a tiré les oreilles devant l’assemblée et si oncle Darnt n’avait pas été là, un bon coup de pied aurait clos le débat. L’autre jour en pleine visite des cuisines, Erin l’une de mes cousines la plus sournoise m’a suivie en ne cessant de répéter : « Dame-pipi ! Dame-pipi ! » Et comme d’habitude je n’ai rien trouvé à répondre à ses insultes. D’un mouvement aérien elle tourna la tête pour s’en aller, suivie de sa horde de compagnons de jeux recrutés parmi les perfides de ce fort. Tout comme sa mère, Erin ne mâcha pas ses mots à mon égard car depuis que Darnt a officialisé son union avec une nouvelle maitresse, elle se sent plus amère que jamais. On en est venue aux mains et si l’on avait trouvé à nous séparer, elle m’aurait probablement crevé les yeux.

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Cette maitresse en question se nomme Caris et par un jeu subtile elle cherchait à évincer ma tante Iniis de ses responsabilités de maitresse de maison. Entre elles deux, la guerre fut déclarée et cela n’ira pas en s’améliorant. Furieuse un matin Iniis m’a giflé. « Si tu n’as pas plus d’honneur personne ne te respectera ! Essayes de te distinguer par la sagesse toi qui n’a aucun talent, pas même celui d’être appréciable ! » Est-ce là un motif à l’ostracisme ? Après une nouvelle semaine d’hostilités, j’ai coupé court aux enfantillages de mes cousines en la frappant de toutes mes forces et je peux vous dire que cela soulage bien plus qu’un mot bien pensé. Cela fait du bien au même titre que le vent soufflant fort sur le littoral et qui vous rend prisonnier de son élan. « Qu’est-ce que tu espères au juste ? »Je n’en sais rien. A cette question posée pour Karm aucune réponse ne me vient à l’esprit. Il est là à me fixer, les sourcils froncés. Seulement j’imagine un monde où l’on me respecterait pour celle que je suis. Je suis naïve et je ne m’en cache pas. karm lui ne me juge pas. Il me voit comme une amie. J’apprécie ce qu’il est. Il respecte mes silences. Il est le seul ami que j’ai. « Qu’est-ce que tu attends de la vie ? » Et je viens à lui parler de Ninniel. Elle m’écrit ces derniers temps. Elle est dans l’Aastin chez la famille bienveillante de ma mère. On la destine à être une reine. Depuis ses premiers jours soit depuis l’annonce des sages Olmurils et des prêtresses Kejirils on l’élève seulement dans cet ultime objectif. La dernière fois que je l’ai vu nous avions respectivement dix et douze ans. Ses lettres me parlent de

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ses craintes concernant son avenir : Sera-telle une bonne reine ? Et une bonne reine ? Je lui réponds en ce sens : les Olmurils ne se trompent jamais. Elle sera la reine que Cleéistophen attend. Il me tarde de la retrouver. Bientôt nous serons réunis chez notre père comme au beau vieux temps. Oui, il me tarde de la serrer dans mes bras. A ce sujet mon bagage est fin prêt pour le jour où officiellement père nous enverra chercher. J’ai des tas de raisons de vouloir partir. Quitter cet endroit glauque, sinistre et puant. Je suis pour tous la fille cadette du roi Sornd, celle qui, il n’y a pas si longtemps que cela, vociférait à tue-tête dans la cour du palais. Longtemps j’avais pensé être le rejeton de cette nichée quand un courrier de Ninniel m’informa des bons sentiments de père à mon égard. Quand on est aussi insignifiante que moi, il devient très salutaire d’être aimée par nos proches. Et quel fut mon état d’esprit après cette inespérée déclaration ? J’aurai pardonné à quiconque, je leur devais bien ma clémence. Mon père est estimé par tous. J’aimerai avoir son tempérament de feu, son charisme et son aptitude à rassembler les guerriers les plus imprévisibles en fédérant une identité commune. Souvent je rêve d’être un guerrier de la Ligue, de pouvoir galoper des heures durant en compagnie de mon père et dormir à ses côtés, repue de fatigue et si fière d’être sa fille. Il a répondu à l’une de mes lettres disant qu’il lui tardait de me serrer dans ses bras. Un baiser déposé sur mon front changerait toute ma vie, tout autant que ses sourires et ses bonnes intentions.

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karm en ce moment, parle de choses incompréhensibles et je l’écoute sans vraiment l’écouter. Dans peu de temps ma sœur sera fiancée avec Cléistophen. Cette union est inattendue. Pourquoi Cléistophen prend-il le choix d’épouser Niniel quand d’autres vierges des royaumes voisins se trouvent être disponibles ? ceux de landerwyn sont agacés car eux plus que jamais visent l’empire d’Aldric IV. Ils pensaient qu’une alliance avec les royaumes de l’est ouvriraient les portes de Menaastra, des Asores, de l’Aastra à ce roi cupide qu’est Aldric. On peut parler d’une mésalliance même si ce terme ne convient pas à ma famille. Ma bienheureuse sœur ne doit plus fermer l’œil de la nuit et je l’imagine sans mal vivre ces derniers jours comme les plus excitants de son existence. La lettre tant attendue me parvint enfin. Père demande à ce que l’on rentre. Innis ne mâche pas ses mots et dissimule bien mal les sentiments ambivalents qui l’animent. Le roi Amnès passe par Eloes pour gagner Aromn, la capitale de Menaastra. Le fort et sans dessus-dessous pour l’accueillir. Et il arriva une semaine plus tard avec ses hommes. L’arrivée de cette cohorte me remplit de joie, c’était là mon escorte pour retourner sur la terre de mes ancêtres. Alors je ne sais comment me comporter, comment Niniel elle agirait dans cette situation ? Comment père voudrait que j’agisse ? le roi Amnès est immense. Il nous toise de deux bonnes tailles. Il est si impressionnant que je recule d’un pas. Il pourrait me vouloir du mal ? « Rethi (princesse) Ictara, mes hommages…. » sa voix est à la fois chaude et grave et ses yeux sont si bleus qu’ils déroutent par leur aspect. Comment Ninniel se comporterait

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devant ce roi ? Il se passe un long pendant lequel je ne sais quoi dire. Mon oncle et tante ‘arrachaient à moi. de nouveau je devins l’insignifiante Ictara, filles du roi Sornd et fille de la reine Nariel. Comment pouvais-je être aussi…. Stupide ? J’ai tout simplement le désir de disparaitre. Père aurait si honte de moi. Pendant deux jours on m’ignora et enfermée dans ma chambre je n’en sortais pas craignant que tante Iniis et ses vilaines filles ne m’humilient devant la cour d’Amnès. Et quand enfin je sortis ce fut pour me rendre dans les jardins du fort. Là sous cette voûte étoilée je songeais à Niniel et à ce roi qu’elle rencontrerait bientôt. Je comprenais ce qu’elle pouvait ressentir. Il faisait chaud en cette soirée précédant notre départ pour Menaastra. Le vent chaud en provenance d’Astraa soufflait entre ces colonnes charriant toutes sortes d’odeur dont une que je ne connaissais pas et qui visiblement appartenait au roi Amnés posté là à m’observer, les bras croisés sur sa poitrine. Il s’assit près de moi. « Votre sœur va devenir une grande reine et force de constater que vous ne maitrisez pas tout le cérémonial de la cour. —Ce n’est pas à moi que l’on charge de tenir ce poste ! Attaquai-je froidement en serrant mon voile par-dessus mon épaule. —J’ai vu votre sœur dernièrement. Elle m’a chargé de vous dire qu’elle espérait que vous resteriez avec elle à Aromn. Ces paroles étaient pleines de bienveillance et il est certain que Cléistophen l’aime déjà. —Je l’espère de tout mon cœur, c’est une belle personne. » En levant les yeux je vins à croiser son regard. de quelle manière me juge-t-il ? Il

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doit se dire que je suis plus laide encore que le portrait fait de ma personne par ses courtisans. Niniel a par conséquent raison de vouloir me prêter assistance. Quel homme voudrait de ma personne ? Mes cousines auraient le dernier mot : les prêtresses du temps d’Uris voudront bien m’accepter en leur sein. Pourquoi me fixait-il ainsi ? Je ne saurais dire. Cela eut pour effet de vraiment me mettre mal à l’aise. Il partit sans rien ajouter d’autre. Et le lendemain je disais adieux à mes tantes, oncles, cousins et cousines. Avant de partir tante Iniis glissa à mon oreille : « ne sois pas si sévère envers nous. Nous ne seront jamais tes ennemis. » et elle baisa mes joues laissant rouler ses larmes sur ses joues rondes. Ensuite Amnès m’aida à monter à cheval quand Karm se précipita vers moi. « C’est pour toi Ictara. Que nos deux te protègent et que tu deviennes la femme que tu as toujours souhaité devenir ! » Karma allait me manquer. Il me manquait déjà. La tête sur ma poitrine je pleurais quand en tournant la tête je surpris le regard d’Amnès posé sur mon visage. Il me regardait encore et toujours. Il me regardait tout le temps : quand j’étais à cheval, quand je mangeais au milieu de mes domestiques, quand je chevauchais en tête de colonne, etc. Il me regardait plus qu’il ne le devait et à tout moment j’attendais qu’il m’en dise les raisons. Il me regardait quand il croyait que je ne le regardais pas. Cela finit par me terrifier.

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CHAPITRE Amnès riait beaucoup, plaisantait avec tout le monde et savait se montrer taquin. Avec moi il n’en était rien. Deux semaines venaient de s’écouler et il restait taciturne et distant à mon égard. Un matin il vint me trouver et me tendit une fleur. « Connaissez-vous le nom de cette fleur ? —Oui c’est l’Amédiys. Elle ne pousse que sur les terres de Menaastra. —Et pourtant nous sommes encore à qunze jours de notre destination. A croire que cette plante arrive à s’acclimater dans des endroits moins hospitaliers que vos terres. Elle est pour vous. » Je ne répondis rien croisant mes nombreux voiles de autour de mon corps. De nouveau nos regards se croisèrent et je compris…. Il était l’ami qui remplacerait Karm, un confident de choix et au moment où j’allais ouvrir la bouche il s’en alla. Et deux semaines plus tard nous arrivâmes à aromn. Cette capitale érigée sur le grand fleuve restait la cité des Dieux des Olmurils. Devant tant de beauté l’homme ne pouvait que rester humble. Le monde entier semblait s’être donné rendezvous dans ces larges rues. Les oriflammes des roi d’Aastra flottaient au vent et des plus excités je quittais la selle de mon cheval opur sauté dans les bras de Ninel reconnaissable par son long manteau rouge brodés de motifs damassés en or. On s’embrassait et on pleurait. On pleurait et on s’embrassait. Nos retrouvailles auraient pu s’éterniser. Elle est si jolie ma sœur. Si jolie qu’on en est aveuglée. On nous place ensuite dans une litière pour remonter la rue principale à la suite

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du cortège royal d’Amnès et de la maison de ma mère, les Tahggualin. Et dans la lourde litière je ne cessais de flatter celle qui demain serait notre reine à tous. Cléistophen e tient en bas des marches de sa trinbune au grand dais rouge et salue les rois et dignitaires venus de loin pour le saluer. « Comment est-il ?Est-il bel homme ? » Difficile à le décrire. Il a de longs cheveux brus. Il sourit beaucoup et il porte la barbe. Je ne vois pas quoi ajouter d’autres ? « Je vais mourir Ictara…. Je vais mourir… » Je serrai mes mains dans les siennes avant de retourner à mon observation derrière ces rideaux opaques et vint notre tours. La litière s’arrêta. Ma pauvre Niinniel tremblait de tous ses membres. Elle descendit la première. Un silence se fit parmi l’assistance et je reconnus la silhouette de père et celle de ma mère plus jolie encore que dans mes souvenirs. Mon ainé Ilyoisis se tenait là également, copie conforme de mon père avec ses cheveux blonds et cette barbe plus longue et plus épaisse que son patenel. Ma sœur s’agenouilla devant notre roi. Tous gardaient les yeux rivés sur leur future reine. Tous sans exception. Et je sortis à mon tour, le cœur battant à rompre pour imiter Niniel. Cléistophen aida Niniel à se relever et lui glissa quelques mots que je ne pus entendre. Il vint à moi et au moment où il me tendit la main… Il était mon roi. Il est mon roi, le seul et l’unique. Ma main se posa timidement sur la sienne. Le temps semblait s’être suspendu. Ce que j’éprouvais en cet instant fut impossible à décrire. J’éprouvais du chagrin et de la douleur telle que je n’en avais jamais ressentir auparavant. Pourquoi n’étais-je

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pas Niniel ? Pourquoi me privait-on de ce bonheur ? Pourquoi ne souriais-je pas ? Pourquoi ne souriait-il plus ? j’aurais tant voulu ne pas être née, ne jamais avoir vu le jour pour autant souffrir ? Les Dieux me punissaient en me retirant ce roi. Le bonheur de Niniel passait avant le lmien. Sitôt que nous nous retrouvions ensemble elle venait à me parler de lui. « Il est bel homme tu ne trouves pas et si charmant ! Il m’a offert un collier et qui aurait appartenu à une déesse. Une déesse Ictara, rien que cela. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse. Et puis ces gens sont merveilleux…. » Déjà je ne l’écoutais plus. Le palais d’Anromn de par sa taille, ses richesses et sa configuration restait le plus beau palais du nord et sud confondu d’après la majorité. Profitant de l’occasion je visitais la salle de trône donnant sur une grande terrasse. Je marchais dans cette grande salle en imaginant ma sœur au bras de Cléistophen. Le trône dominait l’ensemble et j’y découvris une série de runes gravées par les orfèvres olmuriens. Ne pouvant pas résister à le toucher je gravis les marches pour poser délicatement mes doigts sur l’accoudoir. Quand la porte s’ouvrit sur ses deux battants et arriva un homme escorté par trois autres personnes. Qu’avais-je fait là ? Bien vite je descendis l’estrade pour me diriger vers la terrasse. Une fois arrivée sur la terrasse je tombais sous le charme à la vue de ce jardin dans lequel poussaient des arbres aux feuilles d’or. C’était là l’empreinte des Dieux, les traces de leur passage sur notre terre. « Cet endroit est unique n’est-ce pas ? » En me retournant j’aperçus Cléistophen. « Nos Dieux avaient savaient voir la nature

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et s’en inspirer. Ces arbres sont les vestiges d’un temps ancien où les Dieux, nos Dieux voyaient la beauté universelle. Un peu comme dans un rêve que l’on ne voudrait jamais voir cesser. Ce palais, cette cité et ces terres nous survivront. Seuls notre descendante pourra jouir de ce que nous leur laissons. » Il me tendit la main et je l’acceptais, sa voix avait cette note si mélodieuse qu’on pouvait l’écouter de longues heures durant sans jamais se lasser. « Et puis il y aces fleurs. N’avez-vous jamais vu pareilles fleurs Ictara ? Ces plantes également nous survivront. Elles puisent leur racines dans le sang des Mages, d’où cette couleur dorée que l’on voit sur ces tiges et réticules. Vous voyez ? Penchez-vous, Ictara et vous verrez mieux. » Je m’exécutais pour constater qu’il avait raison. En levant la tête je vis de l’or dans les yeux de mon interlocuteur. Lui aussi semblait avoir pris un peu du sang des Sages pour se tenir là près de moi. Comme il me souriait je m’émus. « Venez par là et fermez les yeux… » le vent se leva et avec lui des petits chuchotements, comme des voix susurrant des mts à mon oreille. Comment cela pouvait-il être possible ? Ictara ! ictara, ce monde est le tien. Les Sages t’attendaient… Après j’ouvris les yeux. « C’était quoi ? —le murmure des Sages. Il n’est pas donné à tout le monde de les entendre. On dit qe cette perception fut donnée par les Dieux pour confondre les rois. Les plus illustres des rois et reines l’entendent par delà les terres et les royaumes. Ils vous

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appellent à régner. Nul sur terre terre ne peut ignorer un tel présage. » Avec respect il inclina la tête, la main posée sur son cœur. Et je pensais à Niniel. Jamais je ne pourrais la trahir. Cléistophen posa ses yeux mordorés sur ma personne et je me sneits si vulnérable, si impuissante qu’il aurait vain de s’opposer à un tel monarque. « Ils arrivent que les Dieux se trompent. —Ou bien les hommes peuvent ne pas obéir aux Lois divines, répondit ce dernier arborant un franc sourire. Quantité de légendes vont dans ce sens, non ? Qu’avez-vous appris du teps où vous étiez en compagnie du roi Darnt ? c’est un Maeron (seigneur) que l’on s’est dévoué au culte des Olmurils, tel était le choix de votre père. Votère père et roi doit se féliciter que vous ayez accompli de belles choses à Landerwyn. —Je n’ai pourtant rien accompli de notable. Tante Illis manifestait quelques divergences d’opinion au sujet de mon éducation. » Il m’invita à prendre un petit escalier conduisant à un autre niveau. « Il est vrai que la Nari (dame) Illis reste difficile à convaincre. A Landerwyn, la Ligue rejoint les idées des souverians de l’est, d’Elkins aux Astureis. Il s’avère que notre royaume est coincé entre ces deux entités au fort tempérament. Depuis toujours Menaastra est indépendante et il en sera toujours ainsi. —beaucoup à Landerwyn pense que vous devriez ouvrir vos frontières. —Et vous le pensez aussi ? » Nous cherchions de marcher pour nous étudier plus attentivement. Les oiseaux pépiaient et un vent chaud gonfla ma tunique faite

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de voilage de couleur pastel dans un dégradé de parme. Il se fichait de savoir ce que je pense. Je n’étais pas Niniel et en d’autres termes cette conversation n’avait pas lieu d’être. « Vous vous êtes dites qu’au-delà des mots, anime leur langue Cette terre est la dernière demeure des Olmurils. Au fil des siècles ils ont été traqués et persécutés par les Mearons (rois) d’Adaastra. On leur reprochait de ne pas écouter la voix du peuple et de laisser une très forte empreinte sur ces terres. Ictara je crois que le combat de la Ligue aura été vain si nous autres de Menaastra n’avons œuvré pour maintenir nos croyances à flot. Nos valeurs sont loin de faire l’unanimité mais nous n’avons pas à nous laisser dicter nos Lois par ceux de l’Adaastra. La peur seule conduit les hommes à se cacher derrière les bannières des Ascaris. Asseyez-vois e cous prie. » Et je m’exécutais perdue dans mes réflexions. Les bras croisés sur sa poitrine il fixait l’horizon, le sourire au coin des lèvres et le visage striés par des rides d’expression. Quel roi pouvait accorder autant d’attention à une petite Rethi (princesse) comme moi ? J’aurais voulu lui dire à quel point je me sentais vivante près de lui. Combien j’aimais sa présence rassurante et ses paroles si pleine de bons sens. Mon cœur s’emballa et ma gorge se noua. Jamais il ne devait le savoir,. Le bonheur de ma sœur en dépendait. « J’aimerai monter le fleuve Egia sur une embarcation et profiter du temps clément de notre région. Ce monde est si vaste qu’il faudrait plus d’une vie pour visiter de tels endroits. La tâche qui m’incombe est

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un lourd fardeau. Il ne m’est pas possible de m’imaginer vivre ailleurs qu’ici, en ces murs. —Il y a pire que cette cité royale d’Anromn, croyez-moi. Pensez à moi ayant vécu dans les geôles humides du fort de Leos. Pour me consoler je me disais qu’au moins la vue offrait un point de vue original sur la gérance d’un état. —Cela a contribuer à forgé votre caractère. Les enfants de Darnt ne sont pas des tendres car éduqués au sein d’une Ligue plus ancienne que la lignée des Aleanduis et Tahgualyn réunis. Vous en êtes sorte grandie. Sachez qu’ici votre nom sera protégé. » D’un bond je me levai. « Je dois m’en aller. Je ne devrais pas… vous accaparez de la sorte. Niniel doit être à vous attendre. Pardonnez-moi ! » Je partis m’enfermer dans les appartements qui nous étaient alloués soient à l’autre bout de l’édifice. Père se leva en me voyant arriver, franchir la pièce pour aller me refugier dans ma chambre sur ce lit de plumes. Il frappa à la porte pour s’annoncer. « Me permets-tu d’entrer ictara ? » Je lui ouvris la porte. La veille nos retrouvailles furent de courte durée et gâtée par la présence de Niniel. La vue de nos fenêtres en ogives donnait sur la grande terrasse dont les colonnes soutenaient un toit descendant en pente raide sur le mur d’enceinte. « Quelque chose te tracasse ? S’il s’agit de ta mère alors sache qu’elle fait ce qui lui est possible de faire pour…. Le rôle qui est le sien na rien d’être évident ; Elle retrouve à peine sa fille devenue femme quand un roi la lui ravit à jamais.

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—Oh, père, comment j’aimerais être loin d’ici ! Murmurai-je en un sanglot en tombant dans ses bras aimants. N’importe quel temple fera mon bonheur, pourvu qu’il se trouve loin d’ici. —A quoi devons-nous ce bref élan d’abnégation de soi ? J’ai cru t’entendre que tu as trouvé à te distinguer auprès du roi Amnès. » Et je me relevai pour ravaler mes larmes des plus interloquées. Mon père me souleva mon menton et son regard me réconforta comme les baisers d’une mère auraient pu le faire. « Et ce dernier ne trait pas d’éloges à ton sujet. A défaut d’un temple tu pourrais trouver à t’épanouir dans les Asores. Ce n’est pas menaasra mais on te respectera là-bas comme il se doit. Tu auras tes gens de maison et tu jouira de l’éducation des rois des Asores qui pendant longtemps furent nos prédicateurs. Songes-y, tu n’as rien à perdre en acceptant cette faveur. —Amnès ne m’aime pas. Il cherche seulement à se rapprocher de Céistophen d’une manière ou d’une autre. Le mariage à venir de ma sœur lui en donne l’occasion mais je ne suis pas dupe, une dois qu’il aura eu gain de cause il me laissera croupir dans un coin sans plus se soucier de moi. —On parle d’Amnès ma fille. C’est un grand roi, le seul capable de tenir tête à Aldric et son armée d’intendants, de gouverneurs tous plus cupides les uns des autres. Amnès est la dernière force qui permet aux états centristes de ne pas céder aux influences de l’est. Il n’est pas homme à être corrompu et se moque bien d’agir pour les intérêts de Cléistophen. Ton frère pourrait espérer gouverner une cité-état et il ne pourra y parvenir sans ton aide. Or

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Amnès manifeste le désir de faire de toi un e femme influençable. Sa cour est l’une des plus recherche pour l’exercice difficile qu’est la diplomatie. —Alors je préfère de loin retourner à Landerwyn. —Tu déraisonnes Ictara. Amnès est un grand roi. » La porte s’ouvrit avec fracas sur Ninniel plus rayonnante que jamais. « oh, père ! C’est vous que je cherchais ! Cléistophen veut que vous vous joigniez à nous pour une promenade sur le fleuve. Toute la cour sera là et….Ictara, tu dois venir toi aussi ! tu ne pourrais me laisser seule affronter tous ces regards. Icatra ? —Nous venons. Ta sœur et moi venons. Il serait temps pour moi d’aller dégourdir mes jambes. » La barge progressait lentement sur les eaux translucide de ce fleuve de l’Egia, du moins son afluent. A l’arrière de l’embarcation je contemplais ce palais royal surplombant les hauteurs et scintillant baigné par les rayons du soleil. Les Dieux avaient bâti cette cité de leurs mains et chaque pierre, chaque plan témoignait de leur génie. Les courtisans les plus respectables se trouvaient là autour du dais royal. Il fallait les voir se paradait autour de leur souverain. Niniel assise non loin de la cathèdre de Cléistophen souriait le regard exprimant le bonheur le plus absolu Alors je quittais mes coussins pour me rendre contre la rambarde et suivre des yeux les autres embarcations plus légères poussées par la brise. « Ce lieu est idyllique et force l’admiration des hommes, murmura Amnès sur ma gauche, il ferait oublier que

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nous sommes de simples mortels. Votre sœur semble avoir gagné le cœur de votre roi et en la voyant ainsi, il n’est pas difficile de l’aimer. Les courtisans sont ravis de pouvoir lui faire la conversation. Votre sœur réunit toutes les âmes par sa sagesse. —Elle est dévouée à ce rôle depuis le jour de sa naissance, bredouillai-je sans lever la tête. Niniel est heureuse et son sourire est contagieux. N’apprécieriezvous pas de vous retrouver près d’elle quand il est permis de vous distinguer ? —Je vous ai vu ce matin à la salle du trône. Cléistophen a couru derrière vous faisant fi de notre présence. Ai-je raison ou tort de penser que vous ne quitterez jamais cette cité. —Mon père m’a mise au courant de votre proposition. —Et j’en déduis que vous la refusez pour vivre aux côtés de votre sœur. Toutefois, sachez qu’il est tout à fait possible que Cléistophen ajourne ses fiançailles. Le roi Aldric en est la raison. Lui et son épouse Naerdiel sont actuellement au large de Menaastra dans le seul but de se rendre à Erwyn. Il s’agit là d’une énième provocation de sa part. Contourner Menaastra pour se rendre à Landerwyn est un affront fait à un roi pacifique. —je n’entends rien à la politique, coupai-je pour mettre un terme à ses élucubrations mentales. Adressez-vous directement aux personnes concernées, à savoir à ma sœur ! —Méphéis le frère de votre roi compte ne pas en rester là. Il se puisse qu’il réponde à cet affront par une dangereuse alliance passée avec les états du sud et…

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—je viens de vous le dire, je n’entends rien à la politique ! —Il ne s’agit pas de vous Ictara mais de Menaastra. Votre sœur est dans un état second proche de la transe et vous restez la seule capable de rester lucide. Vous et votre père. Cléisitophen vous écoutera si vous le mettez en garde contre les agissements de son frère. Il ne s’agit que de cela et de rien d’autre. Ensuite soyez assurée que je ne vous ennuierais plus. Le roi vous écoutera. » Alors que je dormais après le déjeuner, je sentis les lèvres de Cléistophen se poser sur les miennes. Je pris du plaisir tout en le laissant me découvrir. Plaisir coupable. J’ondoyais de plaisir au point de finir par me réveiller, moite et excitée. Nineil dormait tout contre moi, si profondément qu’aucun de mes râles ni mouvements aurait pu la réveiller. En quittant la pièce ma mère ma sauta dessus pour me précipiter vers le vestibule. Revenons un instant à ma mère. Sûre d’elle et de ses charmes, elle sait s’entourer des meilleurs et en vue des fiançailles de son ainé elle écoute aux portes et lit sur les lèvres des courtisans. « De quoi as-tu parlé avec Cléistophen ? Regarde-moi…. je l’ai vu te regarder quand tu es descendue de la litière peu de temps après ta sœur. Et hier toute la journée et aujourd’hui encore. —Je suis désolée mère. Je ne pouvais pas savoir qu’il…. » Elle m’interrompit en plaçant son index sur mes lèvres. « Je te crois Ictara. Je te crois et je ne te blâme pas pour ce qu’il s’est passé entre vous. Ton père et moi avons vécu une situation similaire et notre amour a permis de triompher sur la morale. E peux

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comprendre ta douleur ma chérie et elle est légitime mais agis en bonne âme et conscience. Le bonheur de ta sœur dit-il passer avant le tien ? « La réponse est oui. Et plus tard je partis retrouver Amnès. Assis sur le banc de pierre il et cette force de la nature me couvrit du regard, un regard si bleu et si pur qu’on pouvait s’y noyer avec volupté. « Quand partez-vous ? —Je vois que ma présence est des plus appréciables.mes gens sont las tout comme mes chevaux. je pensais partir en fin de semaine. —Et pourquoi pas maintenant ? —Et vous laisseriez votre roi dans une impasse ? Pourquoi précipiter votre départ Ictara, cela passera pour de la lâcheté et nuira à d’éventuelles relations avec cette cour. Votre père a toujours eu le sens de l’honneur mais je doute qu’il approuve votre décision si précipitée et disons, irréfléchie. —Voous ne pouvez pas comprendre. —Je pense comprendre mieux que certains hommes que vous offenserez par votre attitude. Vous n’êtes certainement pas la première à penser qu’il n’y a pas de place pour vous dans ce monde. —Vous êtes…. » Arriva Cléistophen et son frère Méphéis. Il se passa un moment de silence pendant lequel je ne sus que dire ni faire. Le cadet du roi dit quelques mots qu’aucun de nous ne retiendra. Ce dernier s’éloigna du trio que nous formions et alors Cléistophen desserra les lèvres sans lâcher Amnès du regard. « Il est possible que vous ayez votre mot à dire sur l’attitude de mon frère. Auquel

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cas je vous invite à l’exprimer de vive voix. —Votre conseil de Sages aurait-il tranché en sa faveur ? —Et cela vous rassurerait dans votre rôle diligent de maitre de cérémonie ? » Amnès éclata de rire ce qui alerta Méphéis. En deux enjambées il se trouva être près de son ainé. Il était plus osseux que ce dernier mais plus musclé et il affichait tant d’arrogance, tant de suffisance qu’on lui préférait Cléistophen. Il me dévisageait toujours avec dédain et j’en étais affectée. « Nous ne pouvons pas nous prêter à de telles spéculations de votre part, attaqua Méphéis le rictus à la commissure des lèvres, cela nous éloignerait de nos préceptes de liberté si chères à notre royaume. —Alors je crains avoir mal entendu ou bien, mal interprété vos propos. Dans la conjoncture actuelle où nous nous trouvons être il convient de ne pas provoquer un Eleg (empereur) si caractériel que cet Aldric. Je parle en connaissance de cause. Il est plus susceptible que raisonnable et les guerriers de sa Ligue, ces chevronnés Karrhegs (chevaliers) sont prêts à tout pour assoir leur pouvoir sur Bénéthor » Clésitophen plongea son regard dans le mien. « Alors la discussion est close. Il ne sera plus nécessaire d’en parler. » Et les battements de mon cœur accélérèrent en songeant à cette sieste écourtée en raison de ce baiser rêvé et qui paraissait si vrai. Ses yeux glissèrent le long de mon visage pour descendre

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jusqu’à mes seins ronds et ferme qu’on devinait sous le voile irisé. « C’est également mon avis. C’est la raison pour laquelle j’écourterai mon séjour à Aromn. Il serait maladroit de ma part d’insister sur les mesures à prendre concernant nos traités. Alors avant la fin de semaine je partirais avec la Rethi Ictara. —Est-ce vrai ? Vous nous quittez ? Questionna le roi le regard éteint. —Sous les conseils éclairés de mon père je m’en vais dans les Asores. —Alors vous nous manquerez Ictara. Mes prières vous accompagneront dans votre retraite. » Il vint me visiter la nuit. Je me réveillais en sueur, tremblante d’excitation. Au petit matin un nouveau né dormait dans le creux de mon bras. Cléistophen se pencha pour l’embrasser. C’est notre petite Aldren, Notre future reine… et je me réveillais tâtant le dessus du lit dans l’espoir d’y voir le bébé. Je n’en pouvais plus. Tous ces songes me causaient de vives douleurs car laissant une place vide dans mon cœur. Au cours de ma ballade dans les jardins royaux, j’avais espéré le voir. Puis plus tard avant ses audiences. Seules ma mère et Niniel pouvaient accéder à ses appartements. Aucune ordonnance ne m’aurait permis de le voir. Or dans deux jours nous amnès partirait avec ses gens. Dans les couloirs baignés par les rayons du soleil je tournais en rond. Le bijou de cheveux pendait à mon front et dans tunique translucide aussi fine qu’une bulle d’eau j’espérais qu’on me remarque. Le grand Chambellan conviendrait ou le maitre de cérémonie. Pourquoi pas l’un de ses officiers affectés à sa garde robe ? le temps passa et avec lui mes espoirs

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s’envolèrent. Il me faudrait alors retrouver Niniel et feindre la joie. La gorge nouée j’allais rebrousser chemin après de longues heures passées à déambuler dans ce couloir quand une silhouette de découpa au loin. Cléistophen se tenait là, dissimulé derrière ce pan de mur. On resta à s’observer dans qu’aucun ne parvienne à bouger et sur le point de pleurer, je détournai la tête. « je voulais vous voir avant de partir. —Mais vous ne partez que dans deux jours. Alors pourquoi vouloir précipiter nos salutations ? —C’est que vous êtes très pris en ce moment. Je veux dire… vous l’êtes tout le temps les affaires du royaume oblige. Il y a vos audiences, vos assemblées avec le Conseil, vos visites aux temples et tout ce cérémonial qu’il me faille enregistrer pour espérer vous croiser, répondis-je en essuyant prestement une larme de ma joue. Les journées ne sont pas assez longues. » Il se rapprocha de moi au point de pouvoir me caresser du regard. J’avais cruellement envie de lui. je me consumais de l’intérieur, privée de cet amour à jamais. Force de constater que ses yeux brillèrent, inondés par notre séparation à venir. « j’ai quelque chose à vous montrer et je pense que cela vous plaira. » On se rendit dans une salle desservit par un escalier. Il devait s’agir d’une salle d’archives gardée par deux gardes. Après quoi nous parvînmes dans une salle au milieu de laquelle trônait une maquette, la représentation fidèle du palais d’Aromn avec ses enceintes, ses tours carrés et ses miliers d’autres détails.

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« Il y a maintenant trois ans que je suis sur ce projet. Je compte agrandir cette aile et ainsi ériger un temple non loin du mausolée de mes aïeux. Il me manquait une pièce importante pour faire aboutir ce projet et il s’avère qu’elle m’est venue à l’esprit peu après notre rencontre aux jardins. Précisément ici je compte bâtir un observatoire pour contempler au plus près nos Dieux. J’en ai dessiné les embauches dans la nuit… s’il vous plait. » Il me tendit ses plans. Il semblait être doué pour les calculs, la géométrie. Cléistophen était un bâtisseur dans l’âme. Niniel se serait extasiée pour moins que cela. Elle trouverait quelque chose d’intelligent pour illustrer son enthousiasme. Je n’étais pas Niniel et d’aucun ne me trouverait solaire car favorisée des Dieux. Je me contentais de poser les plans après les avoir consulter et de suivre la courbe du bâtiment principal représenté sous mes yeux. « si tout se passe bien dans moins de trois ans il sortira de terre et je comte sur votre présence pour l’inaugurer ; Quoi de mieux qu’une Rethi pour l’inaugurer. Mais il y a autre chose. Surtout ne bougez pas ! » Il disparut dans le cabinet adjecent. Mon concentration se porta sur les plans et en déplaçant une feuille je découvris l’ébauche d’un portrait. Le mien. Cléistophen m’avait représentait de mémoire. « Je pense que cela vous plaira d’avantage… « Il déroula un objet protégé par un drap et en dégagea les extrémités pour dévoiler un cristal. « C’est un cristal. Il n’en reste que très peu de fragments de cette pierre originale

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dans le monde. On dit qu’il proviendrait du berceau du Dieu Alon et qu’il fut offert à sa bien-aimée Icta le jour de leur noce. Aujourd’hui il est à vous. —Non je ne peux pas. ce cristal a trop de valeur. Niniel saura en faire un bien meilleur usage. —Il permet de communiquer à distance. Il vous suffit pour cela de…. » Alors j’éclatai en sanglots. La situation me dépassait. Plus rien n’aurait d’attrait dans ce monde. Il posa le cristal pour enserrer mon visage entre ses mains. « Non Ictara. Je ne disais pas cela pour vous voir pleurer. Ictara… » Il posa sa tête contre la mienne et pour la première fois je respirai son odeur. Non pas celle de mes songes mais sa véritable odeur, celle d’un homme que mon cœur et mon âme réclamaient tout enter. Je voulais ses lèvres. Je voulais goûter à sa bouche. « je suis désolée…. Pardonnez-moi. Je vis des moments difficiles en ce moment. » Il s’écarta de mon visage et je vis une larme bordant la ligne de ses sourcils. Il enserra davantage mon visage entre ses mains fébriles. Il n’était plus avec moi mais ailleurs, dans un endroit que jamais dans cette vie je découvrirais. Il leva les yeux au cial avant de me serrer dans ses bras. « ne partez pas. —Il le faut. Nineil vous aime et elle vous aimait avant même de vous connaitre. Les Dieux l’ont accompagnée depuis le jour de sa conception et on ne peut aller contre leur volonté. C’est à elle qu’on a prédit n grand destin non à moi. » Je me dégageai de son étreinte pour revenir à la maquette.

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« Je serais une prêtresse. Une ictarils si je parvins à atteindre ce degré de connaissance. Et vous vous souviendrez de moi comme d’une Rethi qui vous aura fait tourner la tête à la veille de vos fiançailles. —je vous ai attendu depuis tellement longtemps Ictara que je ne pourrais renoncer à vous. » Je cessais tout mouvement pour fixer une statue posée au-dessus du portail nord. « je ne renoncerais pas à vous Icata, dussé-je anéantir les Ascarais lun par un. —que racontez-vous…. » Il avança vers moi sans sourciller. « Vous voyez l’avenir n’est-ce pas ? la vérité vous arrive morcelée et avec de l’expérience vous arrivez à recomposer les morceaux de cette fresque qu’est notre passé, notre présent et le futur. Ce cristal permet de voir le présent, mais l’eau est aussi un conducteur tout comme l’air et un regard que l’on parvint à capter à un moment précis. Je ne suis pas un mage ictara, je ne suis qu’un roi faiseurs de miracles. Je ne pourrais jamais pas vous retenir contre votre gré ni même trouver les mots pour vous convaincre de rester. Cependant je sais que si vous m’offrez votre confiance alors votre existence toute entière aura un sens. Aucun des Dieux vous ont négligé Ictara. Aucun ne vous a puni d’un crime que vous n’aviez pu commettre en des temps immémoriaux car vous avez des Dons. Vous entendez et voyez ce que les autres ne voient pas et vous avez… vous avez le pouvoir de fédérer un grand nombre à votre cause même si vous pensez ne pas en être capable. —Niniel a des qualités que je n’a pas. Des qualités bien réelles et non supposées.

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Vous le savez mieux que moi pour avoir échangé durant ces dernières années avec ses différents précepteurs. Elle est douce mais sait s’affranchir des carcans imposées par notre société pour être une guerrière si le besoin s’en fait ressentir. Elle manie l’a lance et l’arc mieux que personne. » Je m’assis sur la banquette disposée sous la lucarne grillagée. Cléistophen m’y rejoignit. « Mais encre ? Quelles qualités à votre sœur que je suis censé ne pas ignorer ? —Un jour nous sommes allées nous baigner loin de la surveillance de nos tutrices et prêtresses. Elle voulait me montrer de quelle manière les Dieux nous entendent. J’étais naïve et je le suis toujours et j’étais convaincue d’accéder à la sagesse. Alors je me suis penchée audessus de la surface et brusquement elle m’y a jeté. Elle était très hilare, moi fort contrariée et comme j’étais en colère contre elle, je l’ai poussée. Son corps a heurté une pierre et on l’a cru morte. Elle aurait pu y rester mais elle est revenue. Elle ne m’a jamais reprochée mon inconduite. —Peut-être n’y avait-il rien à pardonner ? Les enfants ont toujours des jeux innocents mais dangereux. Votre mère la première aurait plaidé la folie passagère. —Une autre fois, elle…. Niniel a toujours été la plus jolie, la plus douée et un jour lassé par tout cela j’ai dérobé sa boite à bijoux pour faire accuser une servante. Cette dernière fut renvoyée. Niniel savait que j’étais la véritable coupable Elle n’a rien dit à personne et est allée jusqu’à me couvrir devant mon père. Si elle avait pu se faire accuser à la place de notre domestique, elle l’aurait fait. »

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Notre roi ne m’écoutait plus. Il fixait mes lèvres, perdu dans ses pensées. Il viendrait me visiter cette nuit et à cette pensée mon entrejambe s’humidifia. Mon ventre le réclamait et ce brasier prenait de plus en plus d’ampleur comme la flamme de son regard. « Une reine est imparfaite comme ces Déesses que nous honorons au fil de notre cycle, souligna Cléistophen en déposant le cristal dans la paume de ma main. Il vous faut voir au-delà, apprivoiser vos faiblesses pour en faire une force. Cet humble présente est digne d’une future déesse. »

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CHAPITRE Le convoi se tenait prêt à partir. Amnès m’avait fait chercher partout. Je n’étais plus certaine de vouloir partir. A l’hombre de ce cloitre je réfléchissais à une parade pour ne pas froisser le roi Amnès. Ninnielme rejoignit et saisit mes mains pour les porter à ses lèvres. « je t’ai à peine retrouvée qu’il faille déjà nous séparer. Cela signifie que tu n’es plus la Aema (fille) de ton père mais une Nari (dame) capabre de faire ses propres choix et je t’envie. Ici pour cette cour je ne quis encore qu’une Aema divertissante et qui je le crains finira par les ennuyer. —Pourquoi dis-tu cela Niniel ? Tu sais bien que tu as ravi leur cœur. —Ma sœur chérie je n’ai pas ta clairvoyance. Tu sais ce qui est bon pour toi et tu es une femme d’action, ce palais n’est pas pour une Nari de notre cité Hânaa. Là-bas dans la cité royale d’Amnès tu vivras des milliers d’expériences plus enrichissantes les unes que les autres et qui sait, peut-être y trouveras-tu l’amour. Je te le souhaite. Tu es devenue une jolie femme et je vois les hommes te regarder, petite sœur. Quoi ? L’ignores-tu ? Tous te voient comme une entité spirituelle. Alors si tu ne te marie pas, tu seras une prêtresse à grande renommé. J’espère seulement que tu viendras me voir aussi souvent que tu le pourras. —Ninniel. Je t’aime beaucoup et…. —Je le sais ictara, tu n’as pas besoin de me le dire. Mère m’a tout raconté. » Je pris peur. Qu’est-ce que mère avait pu lui dire ? Ta sœur est aimée du roi mais elle a renoncé à ce bonheur pour toi Niniel. Mon regard sonda le sien.

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« Oui, mère m’a dit que tu pars dans le but de ne pas nuire à ma fonction de souverraine de ce royaume. Elle sait combien deux sœurs arrivent à se distraire et s’inventent des histoires pour ne pas avoir à souffrir d’une quelconque autorité. Tu n’avais pas à faire cela. Que fais-je devenir sans toi ? » Elle posa son front contre le mien et je la serrai fermement en pensant à Cléistophen et aux baisers qu’il lui donnera au soir de leurs fiançailles. J’en crevai de douleur mais nul en ce monde n’aurait pu comprendre. Amnès nous troubla dans nos salutations. J’essuyais mes larmes dans la manche de mon mantelet vert aux arabesques ocre. Le regard d’Amnès passa de l’une à l’autre et les lèvres closes il détourna la tête. « Tu vas me manquer Ictara. Ecris-moi e t’en prie, murmura-telle en retenant ses larmes Ecris-moi tous les jours s’il le faut mais ne laisse pas le temps m’éloigner de tes souvenirs. » Père et mère m’attendaient au pied de la litière. On s’embrassa bien vite et j’allais monter quand Cléistophen apparut. « Nous espérons vous revoir bien vite et si d’aventures vous changiez d’avis, ayez l’assurance de trouver en ces terres un foyer. » Il baisa mes joues et je fondis en larmes. Est-ce qu’une reine pleure ? Non, Niniel restait digne en toutes circonstances tout comme ma mère si auguste dans cette robe noire lui dévoilant sa poitrine. Auguste et sensuelle. Père avait eu raison de la choisir et de l’aimer. Comme j’étais fière d’être sa fille. Dans la litière j’y restais enfermée surprenant de temps à autre la monture de

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mon ainé trottant sur mes flancs. Cléistophen me pardonnerait-il ? Le bonheur de Niniel était à ce prix. « Halte ! Nous allons faire halte dans cette clairière ! » Et la litière s’ébranla sur le sentier forestier. Accepterai-je de me montrer ? La porte s’ouvrit sur Amnèes. « Nous passerons par l’Aastra pour suivre les fleuves et ainsi écourter notre périple de plusieurs jours. si tout se passe bien nous serons au palais dans un peu moins de cinq semaines. Avez-vous des suggestions ? Ou bien des remarques à nous faire ? —Non cela me convient. » De nouvelles seules je fouillais dans ma besace pour en extraire le cristal remis par Cléistophen. Cela pouvait-il réellement fonctionner ? Je le maintenais contre ma poitrine et ferma les yeux. rien ne se passa. Dépitée je le remis dans son étui pour sortir boire. Pllus de cent hommes se trouvaient autour de nous sans parler des animaux destinés aux bâts, aux destriers et chevaux de rechange. Asiwel, le bras droit du roi, son conseiller principal régentait cette organisation tel un général sur son champ de bataille. Il prenait soin de tout le monde et jamais je ne l’ai entendu crier sur quiconque. Il me tendit une timbale remplie d’eau fraiche. « Le luxe auquel on s’était habitué va nous manquer. On commençait à peine à apprécier les bains chauds et c système de climatisation dont seul l’ingénieux Cléistophen a le secret. Il en a équipé les parties les plus chaudes de son palais et il convient de dire que nous avons su apprécier cette petite note de fraicheur lors de ces soirées particulièrement chaudes. —Oui, c’est un visionnaire.

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—Et grand bâtisseur. Nous avons Amnès et moi eu l’occasion de voir les plans de ces nouveaux édifices qu’il compte à l’usage de ses Agradeas (citoyens de basse extraction qui dans ce système de castes n’avaient accès ni à la Haute, ni à la Moyenne cité).A craindre que ceux de la haute et Moyenne cité ne veulent gouter à pareille luxe. — Ils n’ont aucun besoin de conforts que les autres. —Je ne dis pas le contraire Nari, seulement il est à constater que ce roi est philanthrope au-delà de toutes mesures et très généreux à ce qu’on raconte. Il a diminué le loyer de certaines villes du bassin aurifère compte tenu des recettes engendrées les années précédentes. Cet exemple est à prendre pour nos royaumes dits libéraux. —nous pourrions suivre la vie des royaumes du sud. —Alors vous pensez comme votre père. Des états-cités libres sous contrôle des Guerriers de la Lige ? Est-ce vraiment un gage de réussite ? A Gafya on s’interroge quant aux rôles qu’lils auraient à jouer si une nouvelle guerre des frontières viendrait à avoir lieu. —Et vous pensez qu’il puisse y avoir une guerre ? Et qui en seront les belligérants ? —les hommes ont tant de raisons de se battre, Nari. Si ce n’est pour une femme alors il pourrait s’agir de nouvelles possessions visant à agrandir des terres. . Qu’avez-vous appris en ayant vécu si étroitement avec ce Darnt ? Etiez-vous à ce point coupée du monde ? » Il s’en alla et je surpris le regard d’Amnès posé sur ma personne. Il pensait

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que je ne le verrai pas. Or il m’observait sans aucune pudeur. Pourquoi ce regard si intense, si peu mesuré ? Etais-je à ce point désirable pour un roi comme Amnès ? Et si Ninniel avait raison. Etais-je devenue jolie ? Chaque nuit je dormais dans les bras de Cléistophen et tenant fort contre moi ce cristal. Aucune de mes larmes ne parvint à soulager ma détresse. Comme je regrettais tant d’être partie. Ne pourrait-il y avoir de répit à ma douleur ? On arriva au port d’Are et les embarcations nous déposé en bas du delta de Menaastra. De là nous chevauchâmes jusqu’au fleuve suivant et à l’issue de ce périple nous arrivâmes à gafya. Le palais royal ressemblait à un fort inviolable et fier. Une foule de courtisans se tenaient là pour saluer leur roi. On nous apporta des fleurs et des mets. Une jeune femme guère plus âgée que Ninniel arriva en courant, le sourire aux lèvres. « Mon frère ! Mon frère m’est revenu ! —Et comment va ma sœur adorée ? » Il la souleva littéralement hors du sol pour la faire tournoyer dans les airs. Ils rirent et s’embrassèrent. « Iyna j’ai à te présenter une personne. Il s’agit de la fille de Sornd, roi de la cité de Hâana et qui n’est autre qu’Ictara. Cette Nira restera quelques temps en notre compagnie. » Ses yeux brillèrent de mille feux et sans plus attendre déposer de longs baisers plein de chaleur sur mes joues. Elle me dépassait d’une tête et sa longue chevelure noire descendait jusqu’à ses genoux. Il y avait tant de bonté en elle cela se ressentait dans son étreinte. « Alors sois la bienveue Ictara ! Cette humble demeure est la tienne

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pour aussi longtemps que tu le souhaiteras. » Ensuite elle m’escorta jusqu’à mes appartements et m’aida à m’y installer en défaisant elle-même mes tenues pour les transmettre à la femme de chambre. « Dis-moi si mon frère n’a pas été trop rustre avec toi. Il lui arrive de manquer de discernement à l’égard de la gente féminine mais tu verras c’est une belle personne. Mina, vous ferez attention à cette tunique. Vois comme elle est très délicate…. J’étais loin de penser que mon frère reviendrait avec la fille d’un roi et qui plus est, dans la sœur va épouser le grand Cléistophen. » Mes larmes remontèrent à la surface. A quoi bon essayer de mettre de la distance entre ce roi et moi pour qu’ici on vienne à parler de lui ? « Ta sœur ne mesure pas la chance qu’elle a. Il est si attentionné. Il m’a été donné de le voir il y a deux ans de cela. Quand mon frère l’a interrogé sur un possible mariage il a dit vouloir une descendante de la première branche des Olmuril. Et il a fini par la trouver en la personne de votre sœur…. —Iyna je te remercie pour tout cela. Mais je suis un peu lasse, j’aimerais me reposer un peu. —Oh, mais bien tendu. Si tu as besoin de te repérer ici alors cries et je viendrais à ton secours. » Et je me perdis plus d’une fois dans ce dédale de couloirs. Perdue je l’étais mais Asiwel me vint en aide. Il ne me conduisit non pas dansles jardins mais vers les appartements du roi. Une quantité de courtisans passèrent devant nous sans

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même me prêter attention. A Aromn cela ne se serait jamais produit. « Etes-vous bien installée Ictara ? —Oui, il ne manque rien à mon bonheur. » Aussitôt il baisa la tête pour retourner à son parchemin. « Je viens de rencontrer l’un de mes précepteurs ce matin or j’avais pensé que l’apprentissage de la théologie suffirait. —Non ce n’est malheureusement pas suffisant. L’étude des Dieux est une chose mais il vous faut également connaitre la politique, certains de nos arts, le droit et l’économie. Vous aurez très peu de temps pour vos loisirs Ictara mais vous êtes ici pour étudier c’est là la volonté de votre père autant que la vôtre.

Les prêtresses Najarils chantaient à l’unisson de leur voix cristalline. Ce fut là une longue procession dans ce temple au dallage blanc. Les rayons du soleil traversaient le dôme de cette imposante bâtisse érigée à flanc de colline. La procession se déroulant tel un long serpent de part et d’autre de la salle. Les prêtresses semblaient voler, diaphanes dans leur robe

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translucide couverte de gemmes cousues sur leur poitrine. La cérémonie fut si longue qu’Ictara piqua du nez. Elle ne supportait pas ce genre de solennités pendant le temps se suspendait. Elle s’ennuyait ferme n’ayant aucune vocation à devenir l’une d’elles les autres vierges de son âges restaient maitresses d’elles même, disciplinées et circonspectes ces dernières faisaient la fierté de ce temple de Mannaa. Cette cité-état offrait tout ce qu’il y avait de plus beaux dans cette région de la Mennaastra. On appréciait le palais du roi Sornd et ses temples dédiés aux illustres dieux de leur panthéon : Alron, Icta, , Enori, Iocha, Uris. Ictara réprima un bâillement derrière sa main. Elle n’en pouvait plus et attendait le moment où on la délivrerait de pareille obligation. Le calendrier voulait qu’on tombe pendant la saison des prières à Uris, soit la première semaine du mois, celle de la maternité. Cette déesse se soucierait-elle de savoir si ces fidèles se montreraient assidus ? De nouveau, notre Ictara bailla. Ictara tourna la tête de trois-quarts pour observer sa cadette, la jolie Niniel dans une posture proche de la dévotion la plus sincère, mains posées à plat sur ses cuisses et yeux fermés. Ictara lui enviait cette peau hâlée et ses yeux de biche quant la sienne restait laiteuse malgré les longues expositions au soleil. Et puis ictara avec sa moue boudeuse restait Ictara, la benjamine de Sornd. A un âge où les jeunes femmes prenaient le choix de quitter le domicile parental pour fonder leur foyer, Niniel et Ictara se réservaient le droit d’étudier afin de marcher dans les voies de la sagesse. On leur disait que les études leur seraient bénéfiques et qu’ainsi au fil des années

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elles deviendraient d’illustres personnalités dans cette cité ou une autre. Or plus d’une fois Ictara songeait à partir loin de cette mère des plus exigeantes. Elle rêvait de fonder son propre foyer et de ne plus rien devoir à personne. Elle s’imaginait une vie sans contraintes auprès de l’homme qu’elle aurait choisi d’épouser. N’en pouvant plus, Ictara se leva et quitta ce lieu pour bien vite se précipiter à l’extérieur, au milieu de ses imposants édifices de pierres blanches. Elle se hissa sur le muret et debout sur les pierres, tendit les bras à l’horizontale pour avancer en ligne droite. Au bout du muret, elle sauta à pied joint et gagna un endroit ombragé en fredonnant des airs à la mode. Se ce côtélà du sanctuaire l’on pouvait remarquer au loin les hauts murs d’enceinte du palais de Sornd. Das une autre vie, Ictara aurait pu être une créature ailée mais dans ce monde-ci elle n’était qu’une jeune femme pleine d’ardeur qui jamais ne tenait en place. Avec le temps son tempérament ne s’améliorait pas selon les dires de sa mère Nariel. Une chance pour cette dernière que Niniel ne soit pas aussi imprévisible. Depuis le jour de sa naissance, on lui destinait un bel avenir. Elle serait une grande reine selon les sages Olmurils. Les Kejirils, ces grandes magiciennes et divinatrices furent formelles : un grand destin pour la fille sacrée de Sornd et Nariel. Alors elle serait une reine dont on attendait la venue. Ictara se joignit au reste de la population et marcha vers la demeure de son père. Quand soudain elle revint sur ses pas. « Ilyosis ? Mais… » Il s’agissait bien de son ainé Ilyosis. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules et il arborait un

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visage fatigué aux joues creuses. Ce dernier interloqué lorgna de droite à gauche avant de fixer l’étrangère se dirigeant vers lui. « Ilyosis, c’est moi, Ictara ! —Oui bien-sûr je t’aurai reconnu. Mais que fais-tu donc toute seule ? Pourquoi n’es-tu pas à prier avec les autres ? Laisses-moi te présenter au roi Amnès… » Entendant cela, Amnès Iv se retourna, le large sourire aux lèvres. « Et voici je suppose la future reine ! —Non, il ne s’agit là que de ma seur benjamine Ictara, marmonna-t-il dans sa barbe comme contrariée par la présente fortuite de sa jeune sœur. —Avec un nom comme le vôtre on est destiné à un grand avenir, souligna Amnès sans se défaire de son sourire. —ma sœur ne se passionne ni pour la politique ni pour l’économie de notre royaume. Un autre avenir l’attend ailleurs. » Et Ilyosis tourna les talons entraina le roi à marcher. « Je pensais que tu ne rentrerais que demain, déclara Ictara en suivant son frère. —C’est exact nous n’étions pas attendu pour aujourd’hui. Cependant il nous tardait de revenir. » Ictara devinait qu’il lui cachait quelque chose. « Le roi Cleistophen est en chemin ? » Depuis toujours Ictara était intuitive. Elle devinait les choses avant qu’elles ne se produisent et Ilyosis insistait après de son père afin que sa sœur puisse profiter de l’éducation des Kejirils ; en vain, Sornd refusait connaissant le pus d’enthousiasme manifestée par sa fille. Ilyosis contrarié par les décisions de son père ignorait sa petite sœur, source de leur différend.

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Il ne répondit rien et franchit les portes du palais. Plus tard ictara attendait dans le patio qu’on deigne la chercher. Niniel folle de joie saluait le retour de son frère par de francs éclats de rire. Elle riait et lui la serrait dans ses bras avec passion. Des plus nerveuses Ictara tritura ses mains dissimulées sous de grandes manches. Son regard glissait du côté de la liesse familiale. Père et mère se tenaient là et baissaient le front du fils prodigue. Tout comme son père Ilyosis arborait la barbe blonde et il avait ce même regard abattu et ses mêmes lèvres ainsi que cette fossette au milieu du menton. Ilyosis revenu et tous exprimaient leur joie. Et ictara entendit glousser derrière elle. Amnès se trouvait être là, assis ru le rebord du bassin aquatique dans lequel se croisaient quelques poissons aux écailles de couleurs. « Connaissez-vous la véritable histoire de la déesse Icrara ? Elle était une femme de passion. Elle aurait pu vivre une existence heureuse auprès de son amant mais Alron la voulait pour lui seul. Et ce que l’on ignore c’est la manière à laquelle il la soumise à ses volontés. L’amour conduit à bin des souffrances croyez-moi. —Je préfère la version populaire, répliqua Ictara en s’asseyant près delui. Au temple on parle d’elle comme d’une femme pieuse et dévoué à son époux. Pour ma part je n’ai pas l’intention de suivre sa voie en m’enfermant dans la prière. » Amnès resta à la fixer. Il la trouva jolie et se surprit à ressentir un élan dans sa poitrine. Il mit cela sous les longues journées de chevauchée depuis Aromn, la capitale de Menaastra et cité royale de Cleistophen. « Et à quoi vous destinez-vous?

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—Je l’ignore encore. Ce dont je suis certaine c’est qu’on ne m’enfermera pas dans un temple. J’aspire à quelques aventures plus grisantes. J’aimerai par exemple me rendre dans le laderwyn ou dans le sud. —Et pourquoi donc ? il y a tout ce qu’il faille ici pour se sentir en vie. Dans le Manaastra comme dans le Asores, les hommes ne manqueront jamais de rien. —En Aastrin non plus d’après ma mère. Qui que l’on soit il est important de considérer le monde dans lequel nous vivons comme d’une merveilleuse plateforme d’échanges. —Je le pense également mais je suis un roi. Le coneil d’état m’interdirait de penser cela. —Et pourquoi ? —Et bien parce que je suis coincé entre l’Empire d’Aldric d’un côté et de l’autre les royaumes des Olmurils et toutes ces autres lignées vieilles comme le monde qui refusent tut compromis avec l’extérieur. —Et comment est Cleistophen ? —C’est un bon roi comme son père avant lui. et le père de son père et si l’on devait remonter plus loin je dirais que Cleistophen a la chance d’être né du ventre Bah et conçu par Iachem. Le peuple de manaastra semble lui faire confiance et il en est également ainsi pour moi et mon Conseil. Il me faut consolider mes frontières et une alliance entre nos deux familles pourrait être la solution. » Apparurent sur le seuil de la porte nariel au bras deSornd. « je vois que vous avez fait la connaissance de notre Ictara, nota Sornd en tendant les bras vers sa banjamine. Vas saluer ton frère ma chérie

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avant qu’il ne consacre sa soirée à parler politique avec nos hôtes. —Oui, père. » Ictara déposa un rapide baiser sur la joue de Sornd. Amnès la suivit du regard. Le cœur de Nariel s’accéléra en comprenant que le roi voulait Ictara. La panique la saisit. Avait-il perdu la tête ? nariel ne ferma pas l’œil de la nuit et de nouveau elle surprit Amnès en présence de sa fille. « Je suis fier d’appartenir à cette Ligue et… —Veuillez m’excuser. Ictara, le roi Cleistophen ne va pas tarder à arriver et tu devrais aller te préparer. » et docilement elle se leva pour gagner ses appartements précédée par une armée de domestiques. Alors Nariel prit la parole, bloquant la vue à Amnés des plus fébriles : « Ictara est… C’est encore un être imparfait. Elle pleure et elle rit, passant d’une émotion à une autre en un battement de cil et elle est imprévisible. Elle disparait des heures entières et il nous est difficile de nous entretenir avec elle tant elle semble ne pas vouloir converser avec autrui. —Nariel, sachez que jje suis là pour Cléistophen et pour rien d’autre. Si mon comportement vous a déplu alors je n’insisterais pas davantage. —A vrai dire vous êtes le seul capable de concentrer son attention et s’il vous ait possible de lui faire entendre raison sur son avenir alors nous vous en serions reconnaissants. Et de quoi parliez-vous tous deux ? » Ictara grimpa la colline comme chaque matin. Là elle priait loin du tumulte des temples. Une fois qu’elle eut préparée son autel elle s’aspergea d’eau avant de

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prononcer de longues litanies. Elle priait pour Niniel. Elle partirait avec son roi et Ictara resterait seule dans cette cité avant de partir à son tour. Plus tard elle longea la rivière pour tomber sur un homme à la longue chevelure brune auprès de qui elle se sentit irrémédiablement attirée. Ils ‘étudièrent avant de regarder dans la même direction. « Il y a peu de chances pour que je retrouve cet endroit une fois que je lui aurai tourné le dos. Cet endroit est surréaliste. J’ai traversé ces terres de part et d’autres mais jamais je ne me suis senti si proche de la nature. —Oui j’y viens pour prier tous les matins. La première fois j’ai pensé comme vous : Me serait-il possible de retrouver le chemin de ce lieu de réconfort ? Et puis j’ai fait confiance en mon intuition. Elle ne me trahit jamais. —Alors vous saviez que je me trouvais ici ? Est-ce moi que vous cherchiez ? » Ictara rougit. De son côté Cléistophen ébaucha un sourire. « Je ne cherche personne en particulier. Hier j’ai fait la connaissance d’un homme très gentil. Je me dit que la déesse Primrol prend soin de placer sur ma route des hommes dont les intérêts ne sont pas portés sur ma fortune. —Etes-vous à ce point bien née ? —Et vous ? Pourquoi vous cacher derrière ses vêtements si ternes ? Est-ce digne d’un roi ? » Il éclata de rire amusée par la remarque cinglante de sa jeune interlocutrice. Il eut envie de la serrer dans ses bras, de la tenir tout contre elle et de fermer les yeux, se laisser porter vers le cosmos et ne plus penser à rien ; seulement entendre son

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cœur battre. Il l’attendait depuis longtemps et elle lui apparaissait sous les traits d’une jeune femme, aux grands yeux curieux et à la moue boudeuse. Il cessa de sourire pour constater le tremblement de sa main. « Elle a quoi votre main ? —je suis un peu nerveux en ce moment. —Est-ce en raison de Nieniel ? Elle est très bien vous savez. Vous l’aimerez comme je l’aime. Elle fera une reine digne d’avancer à vos côtés. Votre lignée perdurera et nous prions tous que votre bonheur grandisse notre pays. —Et vous Ictara ? Quel est l’homme rencontré et qui vous gonfle d’allégresse ? —Je dois rentrer…. Je suis navrée de ne pouvoir continuer avec vous mais… cela vaut mieux pour nous deux. J’aime beaucoup ma sœur et je ne peux plus voler son destin.

Ma fille Aldren venait d’avoir onze ans. En la voyant je ne peux accepter de la voir partir, échangée comme monnaie d’échange à ces cupides seigneurs ; Aldren n’est pas prête à me quitter. Je la vois comme une enfant innocente et bien trop naïve. Elle se fera avoir et elle vivra le reste de sa vie dans le néant d’un château froid quelque part sur ces terres peuplée d’hommes avides de plaisirs armées et incapables de sentiments humains à

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l’égard d’une femme dont la sagesse est un trésor. Non, ma fille ne pourra se soustraire à ma protection quelque soit l’argent que l’on nous propose. Mon nom est Ictara et je suis reine des Olmurils depuis mes quinze printemps. Mon nom est en hommage à la déesse Icta, déesse de l’amour. Le jour de ma naissance on me prédit un grand destin et depuis ce soir on me connait comme la seule et unique bienfaitrice de mon peuple. Ma naissance fut une bénédiction et les prêtres pendant des jours entiers portèrent des offrandes aux Dieux de nos ancêtres. Le dieu suprême Alron est bienveillant et permit mon ascension à la cour du roi Cléistophen. En haut de sa cité d’Aromn il arpentait la galerie donnant sur la terrasse. Il détourna la tête pour mieux m’observer dans ma robe bue aux reflets verts dégageant ma poitrine en un profond décolleté. Il me serra dans ses bras et caressa mon visage de sa barbe courte et striée de poils gris. « Qu’as-tu vu mon amour ? Ai-je raison de m’inquiéter ? murmura ce dernier des plus soucieux. Ces derniers temps il ne dormait pas, tournant en rond dans ses appartements, les bras croisés dans le dos. Ma main se posa sur sa joue creuse. « Le roi Alric IV envoie ses hommes dont son fils héritier Eothen. Il veut conclure un marché avec toi pour accéder à nos terres et à nos richesses. Tu ne peux accepter tout compromis venant des Ascarils, ils sont fourbes et conduiront ce pays à la guerre. —Ictara, ne porte pas de jugement trop hâtif. —Ce ne sont pas des jugements mais des mises en garde contre ce peuple avide de

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richesse et prêt à traverser ces vastes terres pour nous forcer la main. Ce que j’ai vu ne sont pas de vaines visions et la vérité est manifeste. Ils viendront et tu ne pourras te défaire d’eux si facilement. Le roi Aldric se sentira offensé si tu refuses tout compromis et te déclarera la guerre pour satisfaire ses nouvelles lubies. —Alors il est de notre devoir de se montrer vigilant. —Les dieux nous seront favorables. » Il tenta un sourire avant de poursuivre sa marche. Dépheistos dissimulé derrière une importante colonne me fixa, les sourcils froncés. Cet homme vivait pour servir son frère et on le respectait pour ses idées progressistes. Lui baissa la tête avant de partir. « Déphistos ? » Il s’arrêta avant de se retourner vers moi et faire courir ses yeux turquoise sur mon visage. « Cléistophen est de plus en plus tourmenté et ne manifeste aucune envie de se confier. —Tu as des visions bien austères, répondit-il de sa voix caverneuse. Il ne préfère pas les entendre. L’avenir lui fait peur car tout ce auquel il croit menace de s’effondrer. Tes visions ne peuvent être entendues. —mais je n’ai pas l’intention de me taire ! Le danger est bien réel. —Je t’ai entendu oui. Aldric enverrait son fils pour tenter d’endormir notre méfiance quant à sa volonté de nous asservir. Ceci serait désastreux pour notre peuple et nos croyances. Depuis toujours j’ai encouragé les échanges avec ce roi mais aujourd’hui son objectif est celui de s’en prendre à notre royaume de manière perfide.

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—C’est précisément là où je veux en venir Méphéis. Ce peuple ne nous a jamais respectés. Les nôtres sont montrés du doigt et confrontés à la curiosité et à la bassesse des sujets d’Aldric. On nous méprise audelà de nos frontières et il a vu dans notre politique un signe de faiblesse. Nous leur avons permis de s’engouffrer dans cette brèche par altruisme. Mais il nous est également possible de contrer leurs efforts en nous fiant à notre intuition. —Ainsi tu voudrais leur envoyer des émissaires pour leur porter un message des plus insultants ? —Oui. Nous devons continuer à vivre sans eux. Ne rien attendre de ce roi. —C’est également mon avis. Mais sans l’accord de mon frère, nous parlons dans le vent. —Tu oublies que je suis reine et que mon devoir est celui de pouvoir à la quiétude de tous ici. Il ne sera impossible de trouver le sommeil tant que cette menace s’agitera au-dessus de nos têtes. Envoyons des émissaires à Bénéthor pour nous assurer que le roi et ses hommes resterons loin de nos possessions.» En bas de l’escalier, Méphéis s’accouda à la rampe, perdu dans ses pensées. « Tu ne peux prendre cette décision seule. Il te faut saisir le Conseil, Ictara. —Et perdre notre temps ? Cela ne peut se concevoir car à l’heure où nous dévissions, le prince Eothen fait route vers Aromn. —C’est un plan des plus déments, tu en conviens ? —Ils savent que je vois l’avenir et ils devraient nous craindre. A la place de cela, ils veulent négocier avec nous autres pour mieux nous humilier à la face du monde.

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J’entends ne pas être contredite sur ce point et tant qu’il me restera du souffle dans mes poumons je me dresserai entre eux et notre cité. —Je te crois volontiers Ictara. Mais qui parle de sacrifice ? Nul ne franchira cette cité dans l’ordre du roi et ce roi est manifestement décidé à t’écouter. Il ne pourra jamais en être autrement tant que tu vivras Ictara. —Alors charge tes hommes à se charger de mon message. Il en va de l’avenir de ma fille. » Aldren sera un jour une grande reine mais pour cela devra connaitre la souffrance, condamnée par nos choix de souverains. Il me tardait de la revoir pour l’entendre changer ; comme toutes les autres femmes de ma famille, Aldren chantait d’une voix cristalline et son père aimait à l’entendre. Cleistophen affectionne par-dessous tous ses enfants et trouve le temps de rester à leurs côtés. Il me plait de le voir jouer avec eux, allongé sur le sol le sourire aux lèvres. Alors le roi que nous connaissons n’est dès lors plus qu’un père aimant. Pour l’heure, le clergé m’attendait, soir les prêtresses Najarils, mes plus fidèles guides.

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CHAPITRE Malner devait me rejoindre à la chapelle. Ma meilleure amie, Aldren attendait à mes côtés cherchant à me rassurer. Le bruissement de la végétation alentour nous mit en alerte et fendant l’obscurité avança Malner au milieu de ses témoins. Mon cœur battait à rompre autant que le sien j’imaginais. Un timide rictus apparut à la commissure de ses lèvres et il me tendit le bras pour que je puisse m’y accrocher. Tout cela ne pouvait être vrai et alors que nous franchîmes la porte en ogive de cette vieille chapelle, une chouette ulula et les chevaux piaffèrent au loin. Pour l’occasion je portais une couronne de fleurs et une robe blanche cousue en deux nuits par les soins de deux femmes du village. Je frissonnais de plaisir en étudiant celui qui bientôt serait mon époux. La cérémonie en ce clair de lune fut rapide et nerveuse comme peut l’être une jeune épouse je ne cessais de fixer Malner du regard afin de figer ce moment dans mon esprit. Il était bel homme, le plus beau qu’il puisse être donné de voir ; toutes les pucelles et dames en étaient folles et se seraient entretuer pour une nuit passée ans ses bras. Solennel Malner serré dans son pourpoint de cuir concentrait son attention à l’autel devant lequel le ministre de Dieu parlait de foi et de rédemption, d’amour et de loyauté. Mon cœur battait si fort que je crus m’évanouir avant l’échange de nos vœux. Puis vint le moment de l’échange de nos bagues. Je me mordis la lèvre tandis qu’une larme ruisselait sur ma joue. Ce fut un moment intense pendant lequel j’entrevis toute la beauté de ce monde. La voix grave et

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rauque de Malner alla se perdre dans les voûtes glaciales de cet édifice et il baisa avec passion mon front. Nous étions à jamais mari et femme. Un frisson parcourut mon dos et un torrent de larmes vint noyer mon visage. « Voilà ce qui est fait, vous êtes à jamais mon épouse ! » Il me conduisit à son cheval sur lequel il me hissa. Dieu qu’il était beau à regarder ! En serais-je digne? En ville, la fête battait son plein. Le roi en vue des noces de son fils honorait le peuple de réjouissances en tout genre. On se dirigea vers une auberge où campaient les hommes des seigneurs du sud. Des rires s’échappaient depuis la porte et fenêtres. Je craignais de rentrer dans pareil lieu sans attirer la curiosité des autres sur ma personne. Pourtant en y rentrant aucun visage n’eut l’indélicatesse de m’observer ; aux yeux de tous j’étais inexistante. « J’vous sers quoi mon beau seigneur ? Questionna une femme à la croupe avantageuse. Et elle veut quoi la petite dame ? » La tête baisée je fixai un détail de ma manche quand Malner répondit pour moi : « Votre meilleur vin avec deux coupes ! Et nous mangerons aussi. Apportez-nous ce que vous avez de meilleur à nous offrir ! » Une fois partie, je levai les yeux vers mon époux. Ce dernier me dévorait des yeux. Me trouvait-il vraiment à son goût, ou bien ce mariage était à des fins stratégiques ? Comment le savoir ? Il s’était toujours montré amical envers moi mais rien lui en ne laissait penser qu’il m’aimait d’un amour dévorant. Le feu me montait eux joues en l’imaginant rêver de moi car un instant je crus déceler de

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l’amour au fond de son regard. Il tourna la tête tout en ôtant ses gants. Je ne pouvais cesser de le regarder comme fascinée par le pouvoir attractif qu’il exerçait sur quiconque se trouvait être là, près de lui. « Alors ? » Questionna un homme surgit de nulle part arborant une barbe poivregrise. « Alors quoi ? répondit mon époux sans lever les yeux vers cet intrus. Allait-il poser des questions sur notre noce secrète ? —Et bien pour qui se portera votre allégeance ? les Osât vous font des yeux doux et nous avons tous pariés ici que vous défendrez les couleurs des Grey cette fois-ci ! —Et puis continuer à parler mais faitesle loin de nous ! Vous empestez la félonie ! —Ah, ah ! Nous verrons tout cela demain ! » Une fois partit, Malner se tourna vers moi contrarié par cette intrusion. On nous apporta nos plats et le vin et à peine fussions-nous servis qu’une femme attira son attention. Il baissa la tête mais celle-ci en terrain conquis s’invita à notre table pour se servir dans notre carafe de vin. « Nous vous cherchions partout. Vous avez laissé le prince régent bien seul, argua cette dernière avant de lui caresser l’épaule. Il se languit de vous, vous savez et il n’est certainement pas le seul à en juger la cour de pauvres cœurs brisés que vous laissez derrière vous ! Et qui donc est cette petite ? —Elle se présente Nimue, Nimue des Ascaris. —Oui je connais ce nom, oui. Ménagez vos forces pour le tournoi de demain. Tous les yeux seront braqués sur vous,

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murmura-t-elle au creux de son oreille. Celle-ci saura attendre. » Elle s’en alla sans avoir un regard bienveillant pour moi. « Je suis désolée Nimué. Ma popularité nous met à rude épreuve. » On mangea tous deux sur le pouce et on s’en alla grisé pa l’alcool et les chansons dédiées à la victoire d’un tel sur un champ de bataille. On quitta ce bâtiment pour en gagner un autre dont il avait loué une chambre pour l’occasion. Des plus nerveuses, je le laissais délié la cordelette de mon manteau. « Tu dois me trouver empressé. C’est que j’attends ce moment depuis très longtemps. Mais finalement rien ne presse. Veux-tu un autre verre ? » Il s’éloigna pour partir se servir. Il m’apporta un verre tout en essayant de paraitre naturel. On s’assit tous deux l’un en face de l’autre sans rien échanger d’autre que des regards timides. « Tu me plais beaucoup tu sais. » Un sourire apparut sur mes lèvres. Dehors les noctambules chantaient à gorge déployées et rien ne semblait vouloir les faire taire. « Tu es différente es autres. —Dans quel sens ? Questionnais-je en me raclant la gorge. Je sais que je ne suis pas très brillante comparée à certaines qui brodent à la perfection, qui chantent sans fausse note et lisent des poèmes en latin sans difficulté. Je ne peux pas me vanter d’être lui accomplie. » Il resta à me défigurer, perdu dans ses pensées. Il avança son tabouret pour me tenir la main. « Nimue, je n’ai pas d’argent. Je suis un chevalier-lige en service d’un seigneur corrompu et vif. On m’apprécie seulement

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parce que je sais me battre. Tu aurais pu épouser quelqu’un de plus instruit, de puis influent et plus fortuné que moi, mais tu ne l’as pas fait. Je n’ai jamais pensé que tu accepterais d’être ma femme. Ne crains-tu pas un avenir sans relief en ma compagnie ? —Non, tu l’as dit toi-même, tu sais te battre ! —Ah, ah ! —Nos soirées seront par conséquent très animées. On passer notre temps libre à se courir après, l’épée à la main quand les autres seront là envier notre proximité. —Ah, ah ! Tu me plais beaucoup ! J’ai quelque chose pour toi ! » Il revint un paquet à la main. Il s’agissait d’un modeste cadeau qu’il avait du pourtant acheter une fortune. Je lui bondis au cou en agitant des pieds, des plus fébriles. Et je m’empressai d’aller chercher le mien. C’était l’une de mes plus jolies dagues jais offertes par mon père. Il l’étudia sous tous les angles avant de plonger son regarda dans le mien. « C’est un cadeau d’une valeur inestimable. Es-tu certaine de vouloir t’en débarrasser ? —Je n’ai que cela alors il est légitime que nous partagions un peu de mon patrimoine. Maintenant que tu es ma femme j’espère bien que tu m’apprendras à me servir de toutes les armes de l’armurerie. Petite, je rêvais d’être un grand chevalier. —Tu es ma femme, murmura ce dernier la bouche collée au mon cou, personne jamais ne cherchera à te faire du mal tant que je serais en vie. Personne, tu entends ? »

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Nos lèvres se rejoignirent avec douceur. Sa langue tourna autour de la mienne et il s’introduisit en moi avec conviction. La douleur fut brève et une fois, au chaud dans mon sexe, il me prit encore et encore jusqu’à n’en plus pouvoir. Et dans les gradins ma nervosité fut grande.

Niniane m’envoya en mission : « Remis lui ce plis de ma part ! Allez, vas-y ! » Et je m’élançais entre cette marée humaine, grouillante et gesticulante ; une marée composées de jeunes seigneurs tous rutilants dans leur rutilante armure. Les tournois restaient pour eux la seule occasion de se distinguer auprès d’un parterre de femmes triées sur le volet. Ils n’avaient qu’à se pencher pour les ramasser, toutes les cueillir et ensuite s’en gratifier. Rapide et alerte, je passais entre les écuyers et tendit la missive à Eldreg au milieu des siens. Ce dernier me dévisagea de la tête aux pieds, de grandes boucles auburn descendraient en vrille sur sa peau laiteuse et un peu gêne par son gantelet saisit le pli. « De la part de ma sœur Niniane, déclamai-je bêtement comme un môme répétant sa leçon sous l’oreille attentive du précepteur. « Qui donc ? » Il me fallait donc répéter après m’être pliée dans une seconde courbette. Interloqué lui se tourna vers un autre chevalier portant une selle

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sur son épaule. « Malner ! Est-ce que le prénom de Niniane te dit-il quelque chose ? » Je crus bien m’évanouir net en voyant ce bel éphèbe aux allures d’Apollon. Il haussa les épaules en guise de réponse. La sueur ruissela sur mes tempes me semblait-il et m’agitant nerveusement j’aurai pu m’appuyer sur la mangeoire des chevaux pour me laisser aller à mon malaise. « Cette demoiselle veut que je défende ses couleurs. Et de quelle maison s’agit-il ? » « Celle des Highmore, parvins-je à déclarer la gorge sèche et au bord de l’évanouissement. —N’avez-vous point de champion pour vous représenter ? » Un champion, si mais il venait de mordre la poussière en un combat singulier ; or il restait encore de nombreux combats à gagner. Le dénommé Malner, celui qui derrière son heaume faisait battre tous les cœurs des demoiselles s’approcha de moi pour me dévisser. Quand cela se produit dans votre vie vous avez le choix entre : disparaitre sous terre pour que l’on vous y oublie bien vite ou bien filer sans demander son reste. « Qu’en dis-tu Malner ? —Il faut voir ce qu’on te propose. L’offre est-elle alléchante ? » Eldreg me tendit le papier en grimaçant. Un écuyer me bouscula, s’en excusa bien vite et reprit sa route soulagé de n’avoir point causé de dommages particuliers. Peste soit Niniane ! La prochaine fois elle fera ses courses elle-même ! Pour qui se prenaitelle à la fin ? Au loin le héraut sonna le prochain combat et un tonnerre d’applaudissement encouragea les vedettes à venir se présenter devant l’estrade du seigneur

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Aron de Val orens. Eldreg caressa le flanc de son destrier, un magnifique bai labourant la terre de son lourd pied. Quant à ce Malner il sortit l’épée de son fourreau pour en étudier le fil. Il n’avait perdu aucun combat jusqu’à maintenant et dans les tribunes, les filles se mordaient les lèvres pour ne pas s’évanouir d’aise en le voyant apparaître. Eldreg se passa le visage à grande eau et me regarda du coin de l’œil. Niniane n’aurait pas pu choisir plus piètre ambassadrice. « Demande à ta sœur quel est son prix ! » Et en revenant jusqu’à la tribune, le cœur battant à vive allure, l’accueil fut à la hauteur de mes exploits. « Et que lui astu répondu ? Il fallait lui promettre ce qu’il voulait ! Nimue, tu ne sers vraiment à rien. Et bien retourne le trouver et dis-lui que notre prix est le sien ! » En nage, je repartis donc dans l’autre sens, les chevaliers commenceraient leur combat sans moi pour les encourager. En arrivant sur place, force de constater qu’Eldreg n’était plus là. Fichtre ! Devaisje l’entendre ou retourner bredouille vers ma tyrannique ainée. Je vois déjà la scène qu’elle va me faire ; elle ne manque jamais de me houspiller en public. « Comment t’appelles-tu, sœur de Niniane des Highmore ? » Et là mon cœur s’arracha littéralement à ma poitrine. Malner se tenait derrière moi, ce Dieu venu sur terre pour troubler le repos des femmes quelque soient leur condition et leur âge. « Nimue…mon seigneur. —C’est un bien joli prénom. As-tu soif Nimue ? Tu ne t’arrêtes pas de t’agiter en tout sens et si tu continues ainsi, il ne restera plus rien de toi avant la fin de la journée. Allez ! Viens te rafraichir ! »

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Docilement je me suivis jusqu’à la tente portant les armoiries de la famille Greyfield, la sienne ; il revint avec une timbale d’argent et de l’eau glacée qui me figea dès la première gorgée. Lui me regardait du coin de l’œil constatant à quel point je ne savais pas boire correctement à une timbale d’argent. L’eau ruisselait le long de mon cou et ma gorge plate où jamais aucune poitrine n’apparaîtra. Maladroitement je lui remis le verre et lui resta coi. Dieu qu’il était beau ! Le soleil glissant sur ses boucles noires gonflées par le petit vent chaud apportant odeur de crottin, de cavaliers trempés par l’effort, celles plus aigres des écuyers et quand son odeur me parvint enfin je faillis défaillir. Comme toutes les autres je pourrais tuer pour avoir une chance de l’avoir à diner près de moi, le voir couper ma viande et me la tendre de la pointe de son coutelas. Ses narines frémirent et il expira profondément, les sourcils froncés et concentré sur son épreuve à venir. « Vous cherchez toujours un champion ? Je pourrais dès la première manche si vous n’y faites aucune d’objections.» En entendant cela Niniane poussa un cri de joie allant jusqu’à perforer mes tympans, repris en chœur par Inna, Deirdre, Juna et toutes les autres vierges regroupées ici et là. Ma sœur à défaut du bel Edreg aurait les grâces de ce Malner. Puis ayant honte qu’on nous voit ensemble elle se tourne vers moi. « Non ! Ne restes pas là Nimué ! Rends-toi utile ailleurs. La violence de ces jeux pourrait avoir raison de ta sensibilité ! Et puis tu serais bien plus utile auprès des vaincus de ta nouvelle famille ! »

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Elle n’avait pas tort : ma place se trouvait être dans l’espace réservée à mon époux. Cependant je refusais d’y aller car le seigneur Merryn en occupait les bancs avec sa cour de gens bien peu discrets pour qu’on les fréquente, pour la plupart des intrigantes et des noblaillons, très beaux certes mais au verbe acerbe critiquant ouvertement tout ce qui passait devant leur regard des plus pervers. Autant vous dire qu’à choisir je préférais passer le reste de la journée en compagnie des dames Levenez et Ilda puis plus tard sur les enfants : Nonn, Trifin, Solenn, Briz et Tririan ; aucun d’eux ne pouvaient me tolérer me trouvant trop rabat-joie et pas assez participative. Je ne devais pas revoir Niniane et sa cour de flagorneuses et de chevaliers avant le banquet de ce soir, l’occasion pour moi d’aider en cuisine où s’affairaient une vingtaine de marmitons, d’échansons, de cuisiniers et de bouchers. Le repas allait être démesuré comme tous les autres avant celui-ci. A sept heures je montai me changer et en me voyant arriver Niniane piqua une soudaine colère. « Mais tu as vu dans quel état tu es ? Une vraie souillon ! J’espère pour nous que personne ne t’a vu. Que penserait ton époux en te voyant ainsi ? Peu importe, de toute façon personne ne te remarque! Tu auras beau faire des efforts, tu resteras toujours la petite souillon que nous connaissons tous ! » Plus tard dans la grande salle, on se pressa pour féliciter les champions du jour et les belles dames richement vêtues accueillis ces hommes comme il se dut. Au son des busines, des flûtes à bec, des chalumeaux et des luths on chanta quelques ballades sous le brouhaha

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général. Les femmes gloussaient, les hommes s’enivraient et les gosses couraient au milieu des chiens. Dans mon coin je mangeai mon pain du bout des doigts en attendant l’arrivée des plats servis à la table d’honneur. Là-bas Niniane riait en glissant quelques regards ensorcelants du côté des jeunes seigneurs. En fait elle dévorait des yeux Eldreg, laissant Malner à Inna, cette autre jolie créature d’une beauté insolente. Je levai mon nez de mon assiette quand mon regard croisa celui de Malner. Oh, mon Dieu…Eldreg lui glissa quelques mots à l’oreille, ce qui le fit rire aux éclats. Riaient-ils de moi ? Cela ne fait pas l’ombre d’un doute ; on ne cesserait de me voir comme une pestiférée quand bien même j’étais à ce jour mariée et épouse d’un seigneur connu à travers tous le royaume pour être un pacifiste. En réfléchissant je trouvais stupide d’être ici ç jouer les chaperons auprès d’une sœur excentrique, égocentrique et égoïste passant le plus clair de son temps à refaire le monde en y ajoutant des touches de noirceur ici et là. Mieux valait pour moi les éviter qui plus est quand on n’arrivait à s’entendre sur rien. Le lendemain aux aurores je partis panser les chevaux. Le seul moment de la journée où l’on pouvait être tranquille, loin de la cohue habituelle de ces rassemblements mondains. Personne ici pour critiquer le choix de ma tenue ou ma coiffure ; libre je l’étais et pour le prouver je portais une robe assez grossière retenue par le cou par un anneau de bronze. L’air était chaud voire très pesant en ce début de matinées où les palefreniers s’affairaient sans relâche au près des nombreuses

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montures de leurs seigneurs. Pas moins d’une dizaine sans mentir, les plus fortunés en avaient une vingtaine parmi des somptueux lots à admirer pendant les lices. C’était à cela qu’on reconnaissait la fortune et par extension le pouvoir de chacun ; mon époux n’en avait que cinq à faire valoir mais parmi les plus rapides de son domaine. Il savait pourtant que si l’on venait à perdre les chevaux passeraient alors à un tiers comme dû, cela m’offusquait et me rendait triste. Ces chevaux formaient pour ainsi dire notre famille équestre. Tout en brossant la robe d’un alezan j’enviai le sort de Niniane plus enviable au mien ; personne jamais ne la comparait à un déchet ; elle avait toujours su tirer parti de tout et sa beauté prévalait sur tout le reste. On la connaissait pour être une beauté, insolente et étincelante. Tous ne cessaient de la regarder car elle représentait à elle seule ce que les hommes convoitaient tant : la jeunesse, la beauté et l’insolence de sa condition. Bien qu’étant mon ainée, elle n’avait jamais manqué de propositions et par provocation disait avoir refusé les avances de mon époux qu’elle trouvait vieux et abimé par le temps : « sa peau est burinée et toute ridée ! A le voir on croirait vraiment un cuir desséché ! » Peste soit Niniane et ses délires verbaux. En me retournant prestement je tombai nez à nez devant Malner. On resta coi, tous deux incapables de prononcer la moindre phrase qui nous délivrerait tous deux de cette torpeur des plus gênantes. « Mes hommages….Madame ! » Finit-il par dire avant de filer. Ainsi il savait que j’étais mariée et comme tous les autres il se mettrait à me voir comme : une

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malheureuse captive venue ici dans le seul but de se distraire. Et je repris mon activité quand il revint sournoisement vers moi, tenant une selle sur son épaule. « Je sais que je ne devrais pas vous le dire puisque nous sommes officiellement ennemis mais vos deux chevaliers n’ont aucune chance de gagner s’ils continuent à monter comme ils le font actuellement. Je veux dire…. (il posa la selle sur la barrière) ils montent comme des écuyers sans tenir compte de la force adverse. J’ai eu un excellent maitre d’armes qui m’a toujours dit qu’il fallait avant tout percevoir la menace avant de vouloir l’affronter. Je ne vous dérange pas plus longtemps. » Il me tourna le dos et lentement se retourna vers moi pour s’apercevoir que je le fixais toujours, la bouche entre-ouverte. « Si toutefois vous avez besoin d’éclaircissement….Si votre époux a des chevaux à perdre, il ne pourrait s’y prendre autrement. Je me disais que je pourrais porter vos couleurs aujourd’hui ! Le seigneur Eldreg est partisan des échanges politiques entre nos diverses familles et même s’il n’a pas toujours été favorable aux idées du seigneur votre père il m’encourage à évaluer la position de votre époux. De ce fait nous pourrions mutuellement nous prêter assistance. —Mon époux est un pacifiste. Vous ne le verrez jamais assisté à pareilles manifestations de virilité. Je doute qu’il cherche à engager un autre chevalier aussi talentueux soit-il. Qui plus est, on a du vous dire des tas de choses horribles et fausses sur sa personne. Je vous demande par conséquent de ne pas y prêter attention.

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—Il n’y a rien de déplacé qu’on ait pu dire sur lui. Je sais qu’il est réfléchi et qu’aucune de ses décisions n’est prise à la légère. Il est philosophe et ouvert d’esprit. Je n’ai pas encore eu la chance de le connaître mais tout porte à croire que nous ne sommes guère différent l’un de l’autre. Alors je me battrais pour vous aujourd’hui si le désir vous en dit. —Je n’assiste très peu aux tournois, vous devriez le savoir ! Je préfère m’isoler un peu, me tenir loin de cette agitation. Je ne suis pas très intéressante et ma compagnie est des plus épouvantables. C’est tout juste si l’on ne me perçoit pas comme une menace. J’apprécie votre proposition mais sachez que vous ne gagnerez rien à représenter nos couleurs. —Je suis seul juge de l’affaire Madame ! Argua-t-il froidement sans exprimer autre chose qu’une solide détermination, ridicule quand on y songe, puisque n’ayant rien à lui offrir que l’opprobre et l’humiliation d’être ainsi associé à mon nom. Et puis je sais que comme les autres avant lui il visait ma sœur et sa dote. Sa famille est riche, pourquoi ne pas essayer ? Cette pensée me donna raison de refuser ses services. « Vous n’étiez pas là en fin de journée madame, mais j’ai mis quatre chevaliers à terre parmi les plus coriaces et je portais les couleurs de votre père ! Ce fut pour moi un immense honneur. Permettez-moi aujourd’hui de renouveler l’exploit en…. —Ma réponse est NON ! Votre réputation est à préserver ! —Tout comme la votre ! Il ne s’agit pas de trahir quiconque mais d’avancer à l’unisson ! Déclara-t-il en caressant l’encolure de mon cheval. Quiconque ici

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vous direz que je suis un homme moral, téméraire certes mais prompt au combat et je n’ai jamais manqué de discernement et je sais évaluer le danger pour mieux l’affronter. Mais je n’assisterai pas davantage madame. Passez une agréable journée ! —Attendez ! Je….parlez-moi de mes chevaliers. Comment doivent-ils s’améliorer ? » Il revint sur ses pas, posa la selle à ses pieds et me lança un bâton servant de cravache aux palefreniers. « D’accord ! Admettons que nous soyons tous deux en lice. Vous en face de moi et moi…..à cette distance. Que voyez-vous ? Je vous écoute. Gageons que vous n’évaluez vos chances de succès au plus grand pourcentage ! Et là, que voyezvous ? Non, tenez-vous droite et n’abaissez pas votre garde ! Vous êtes en lice ne l’oubliez pas ! » Crispée sur le bout de bois que je tenais à pleine main je ne lâchais pas des yeux Malner. Il fut trois pas supplémentaires et se trouva être à portée de mon bâton. « Et là, que voyez-vous ? » Incapable de répondre je le laissais approcher. Le bout de mon arme touchait le milieu de son torse et ne sachant que faire je l’interrogeai du regard. « Alors quel est votre choix ? Allez-vous attaquer de front ? Pour cela il vous faudra faire un mouvement en arrière, ce qui vous privera à coup sûr de toute visibilité frontale…. (il passa derrière moi et tira sur mon bras pour simuler le mouvement à venir. Et je me mise à trembler, jamais un homme n’avais osé me toucher.) Détendez-vous d’accord ! Vos chevaliers sur le terrain sont bien moins crispés que

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vous ! Maintenant frappez-moi ! Allezy!» Mon geste fut gauche et incertain. Un gosse de cinq ans aurait mieux réussi et d’un geste de bras Malner para le mouvement, ce qui eut effet de m’effrayer. « Recommencez ! » Il regagna sa place initiale et des plus agitées je tentais de reprendre la pause. « Voilà, je fonce vers vous et que voyezvous à cet instant ? » Un bel homme couronné de succès et qui me fixe de ses beaux yeux expressifs. C’est là ce que je vois et par pudeur je baisse les yeux, dès lors plus incapable de répondre. « Alors, que voyez-vous Madame ? La réponse saute aux yeux, regardez-bien ! Je me remets ici et dites-moi ce qui cloche ! » Niniane aurait trouvé ; du premier coup probablement si connaissant mieux que personne dans l’art de l’escrime ou bien : comment porter un coup à son adversaire pour l’immobiliser ? Ma gorge se nous et avec difficulté j’articulais : « Je ne sais pas. —Faites appel à vos sens ! Je suis ici et vous là, que voyez-vous ? Regardez-moi et vous comprendrez…. » Des hommes s’arrêtèrent pour nous observer. C’est à ce moment là que je baissais le bout de bois qui me servait d’arme fictive ; en aucun cas je voulais qu’on dise de moi que je batifolais dans la paille avec le chevalier de cœur de ces dames ! « Je vais devoir m’en aller. Je sis désolée. » Il accusa le coup avant de tenter une dernière parade : « Je voulais vous faire dire qu’ainsi disposée vous ne pouviez pas parer à mon premier coup. Mon deuxième vous aura

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déstabilisé et le troisième vous aurait fait mordre la poussière. Vos chevaliers sont ainsi exposés et ils ont besoin d’être guidés. Faites-le leur savoir et tout ira pour le mieux. » Tu parles ! Aucun d’eux ne m’écouterait se fichant bien de ce que j’ai à leur raconter. On ne s’adresse jamais la parole et aucun d’eux n’a entendu le son de ma voix. Il est décidé que je n’assisterai à aucune représentation en ce jour. Donc je sellais mon cheval pour me rendre sur la plage pour y apprécier le calme et le rivage ; la plage se découpait le long du rivage jalonné de dunes clairsemées et piquée de chardon, d’ajoncs et d’algues envoyées par le vent du large ; au-dessus de ma tête planaient quelques mouettes pressées de voir la mer se retirer pour gratter le sable mouillée de leur petites pattes ; certaines avaient la technique pour faire sortir les vers marins : elles martelaient les petites flaques d’eau salée pour en faire sortir leur pitance. Un ballet aérien d’ailes et de cris plaintifs. L’eau était froide et vous mordait la peau, les vagues se brisaient contre vos chevilles poussant vers vous petits crustacés, algues arrachées aux rochers ; le doux ressac vous apaisait, doux murmure incessant. Au loin le dardant soleil crevait les nuages et venait caresser la surface plane du large sur laquelle quelques pêcheurs remontaient leur filet. En tournant la tête, je vis Malner assis à l’abri contre cette dune, perdu dans ses contemplations de la nature. Possible qu’il m’ait vu et qu’il fasse semblant de ne pas me remarquer, avançant dans l’eau froide glissant entre mes jambes.

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Pourtant il avança vers moi, se baissa pour ramasser quelques coquillages et me rejoindre en toute indifférence. Il aurait pu dire : Tiens mais que faites-vous ici Nimué ? A la place de cela, il me tendit sa main pour me tendre des nacres. « Vous ramassez des nacres vous aussi ? Je sais que certaines femmes en ramassent pour leurs bijoux et j’ai toujours trouvé ça très joli. Temps superbe n’est-ce pas ? On craignait l’orage mais il ne fais pas assez chaud pour que les épreuves du jour se voient être annulées. Vous ne voulez pas de mes nacres ? » A contre cœur je les récupérais pour les glisser dans mon aumônière et lui fixait l’horizon sans vouloir me regarder ; chacun de nous reprendrait sa route sans plus s’ennuyer. « Je viens souvent ici pour m’y ressourcer avant un combat. Je nage jusqu’au promontoire là-bas et….je pense à ce qu’aurait été ma vie sans Eldreg pour l’avoir si bien agrémentée. J’ai été écuyer pour sa famille et je lui dois tant. Il est comme un frère pour moi. Le seul que je n’ai jamais eu. On sait déjà vu une fois vous et moi. —Vraiment ? Je n’en ai pas le souvenir. —Un jour j’ai accompagné Eldreg chez votre père et je vous ai vu. Vous portiez des vêtements d’écuyers et vous portiez les cheveux courts. Vous m’avez laissé une drôle d’impression. —C’est l’impression que je donne à tout le monde. C’est d’ailleurs la seule impression que je leur laisse. Il est vrai que je jouais toujours avec mes frères, leurs jeux étaient bien plus intéressants que les nôtres et père ne me disait rien quand je m’habillais de la sorte. Ah, ah ! Il me disait

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que je pourrais venir chasser avec eux si je savais tirer à l’arc. On a passé de bons moments ensemble. —Oui j’avais cru deviner. Et vous regrettiez ce temps où vous étiez une enfant sans obligations ? on est tous là à suivre la course du temps et avant qu’on ne s’en rende compte, il est déjà trop tard. La vie est bien courte. Je m’en rends compte quand je porte une arme et que je dois combattre pour mes idéaux. Je crains la mort vous savez. Demain je pourrais partir sans avoir connu l’amour. Or cela serait….je vous ennuie avec tout ça. Je parle un peu trop non ? —Cela compose avec moi. —Ah, ah ! Je vous aime bien Nimue. Vous êtes différente des autres. Quand je vous vois je peux pouvoir vous dire de ne pas me craindre, qu’on sera toujours de bons amis, fidèles et loyaux. A la place de cela je suis incapable de trouver les bons mots. —Mais pourquoi vouloir mon amitié ? —Parce que vous êtes indifférente à tout cela. La gloire, le succès, l’argent. Vous êtes vous-même et vous ne cherchez pas à vous cacher derrière un grand nom. Et puis vous êtes fragile. J’aimerai que mon épée soit la vôtre. Un seul de vos ordres et je balayerai de la surface de la terre vos ennemis. C’est aussi simple que ça. Je veux être là pour vous protéger. » Prise de vertige, je remontais vers les dunes pour m’y écrouler talonnée par Malner. Je ne pouvais croire le moindre mot de ce qu’il affirmait. « C’est plus compliqué que vous ne le croyez. —Non, Nimué ! Cela ne l’est pas ! Vous êtes mariée et si vous ne l’aviez pas été, je serais resté à ma place sans oser vous

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témoigner mon respect. Votre statut matrimonial vous place au-dessus d’un éventuel scandale car j’agis avant tout pour protéger les intérêts de votre époux. S’il vous plait, acceptez ma proposition ! —Et ensuite ? Mon époux n’a pas d’argent pour vous payer. Que croyezvous ? Son domaine est une ruine et il m’a envoyé ici pour que je sensibilise les autres seigneurs à notre cause. Alos je suis ici en représentation bien malgré moi car depuis mon mariage je reste cloitrée dans mon sinistre donjon à voir tomber la pluie par le mur éventré. Toutes nos économies ont servi à équiper nos chevaliers et à pourvoir à leur entretien. Ces robes ont été réalisées de ma main et….il est vrai que nous comptons gagner quelques manches lors de ce tournoi mais c’est plus compliqué que nous l’avions imaginé. —Laissez-moi porter vos couleurs et je raflerais tout ! Nimue…je remporterai ce combat pour vous si vous acceptez de me faire confiance. . « A quoi tu penses ? —A rien, répondit-il avec froideur. —On pense toujours à quelque chose mais si on pense qu’il n’est pas important de le mentionner à vive voix. Moi je m’imaginais être une nymphe de l’eau, une naïade. Tu connais ? ce sont des êtres féeriques issue de la mythologie grecque. Contrairement à ce qu’on pense, elles ne sont pas immortelles et restent vulnérables comme toutes les autres créatures humaines faites de chair et de sang. J’ai toujours aimé entendre les récits des Dieux des temps anciens bien que se soit mal vu

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d’orienter sa pensée vers ces autres croyances. Je t’ennuie peut-être ? —Non. Tu peux continuer à me parler de tes déités celtiques, je n’en ai cure.» Etrangement je n’eus plus envie de poursuivre. Ses yeux fuyants se posèrent sur moi ; j’enfouis mes pieds sous le sable puis les recouvrit, les genoux sous le menton, une grande mèche de cheveux caressant le sol. « Tu ne veux plus m’en parler ? —Est-il vrai que…que tu vas épouser Inna ? —Qui ? Non. Elle me prête une relation intime avec elle, mais…je ne compte pas l’épouser. On te charge de recueillir ce genre d’informations ? Attends laisses-moi deviner. Niniane est derrière tout ça ? —Je ne peux rien te cacher. —Et toi Nimue, as-tu un soupirant ? Un galant ? Jolie comme tu es tu ne dois pas manquer de soupirants. » Vraiment ? Il me trouvait jolie ? Mon cœur se mit à battre un peu plus fort. Il s’allongea sur le flanc gauche pour poursuivre : « Tu pourrais avoir n’importe quel homme. Tu es jolie et de belle naissance, cela est suffisant pour te marier à un riche parti. Il jetterait le dévolu sur toi et le lendemain tu te ferais fiancée. A moins que tu le sois déjà ! —Noon, je compte rentrer dans les ordres. —Tu plaisantes ? —Non c’est l’absolue vérité. Je veux travailler comme soigneuse, ou guérisseuse, appelles cela comme tu veux mais je compte étudier la médecine. Je sais que cette science est réservée aux hommes mais en devenant religieuse, c'est-à-dire en prononçant mes vœux, je pourrais jouir de

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la connaissance et du savoir longtemps réservée aux hommes. —Es-tu sérieuse ? Nimue, regardes-moi. Tu aimes trop la vie pour rester enfermée entre quatre murs à prier plus qu’étudier. Tu aurais tout à y perdre. —Qu’est-ce que tu en sais ? Tu n’es pas moi Malner. Tout ce que j’aime, tout ce qui me fait vibrer vient de ce savoir. Je ne te demande pas d’approuver mes choix, tu en serais incapable, je te demande seulement de ne pas me juger comme tous les autres. Il me faut sans cesse me justifier, alors que c’auquel j’aspire est bien réel. Jamais je n’ai été aussi sûre de moi. —Alors suis ta voie Nimue et ne laisses personne penser pour toi. « Nimue ? Regardes moi…je te demande pardon. Je ne voulais pas te heurter, je voulais seulement souligner l’absurdité de tes propos. J’ignorai tout de lui et en même temps il me semblait le connaître. Son doux regard bordé de longs cils noirs me dévisagea et j’osai sourire. « Alors Nimue, acceptes-tu de me faire confiance ? je pourrais en vouloir à ta vertu, te tromper et feindre avoir eu tout rapport amical avec toi, ma belle. Ton père laverait cet affront par les armes ou par un mariage. —Ah, ah ! —On dirait que mes propos t’amusent. As-tu un soupirant contre qui j’aurais à répondre de mes actes ? —Non ». Mon regard scruta l’horizon. Un timide soleil apparaissait ; les mouettes planaient et tournoyaient au-dessus des roches cherchant où se poser pour déjeuner

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des restes des fruits de la mer. Laissant nos chevaux à l’écuyer, nous descendîmes jusqu’au liseret d’écume et les pieds dans les algues je laissais les vagues froides me lécher les orteils. « Donc tu n’as pas de prétendants, tu es libre. —Oui. Pas toi ? Questionnai-je sans oser le regarder. Toutes les femelles se précipitaient à sa suite, cherchant toutes à capter son regard ; je ne pouvais croire qu’il soit libre de tout engagement. « Pour dire vrai Eldreg et moi avons pas mal bourlingué. Nous avons fait deux campagnes avec les armées du roi et Eldreg est ici pour trouver une fiancée mais apparemment aucune ne retient son attention. Quant à moi je suis ouvert à toutes propositions. » Notre regard de nouveau se croisa. Je sortis de l’eau pour remonter vers lui, tenant serrée ma robe. « Et puis il y a ma sœur. —Je doute qu’il veuille l’épouser. Je connais ses goûts en matière de femmes et Niniane est impulsive. —Mais elle est bien dotée ! —Alors c’est mal connaître Eldreg. Sa famille a plus d’argent qu’il en vaudrait pour partir en guerre demain. Quelque soit la date de sa promise, Eldreg attend plus d’une union. —Je ne sais pas que dire. Niniane est ma sœur et elle a des qualités qui ne laisseront pas ton ami insensible longtemps. —Parles-moi de toi. » Froidement je le dévisageai ramassant un bout de bois posé sur le rivage. « Je ne veux pas me marier ! Niniane aime Eldreg et cela ne remonte pas à aujourd’hui. Si elle prend les devants c’est bien parce

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qu’elle n’est pas insensible aux charmes de ton ami. —Qu’est-ce que tu aimes ? Parles-moi un peu de toi s’il te plait. Je veux davantage te connaître. Est-ce que mes questions te troublent ? —Un peu oui. —Alors je ne t’importunerais plus. Tu veux qu’on nage un peu ? » On sauta du petit rocher et la mer nous happa. D’un battement furieux de pieds je remontais crever la surface de l’eau quand malner attrapa mon visage entre ses mains. « Tu vois ce n’était pas si sorcier ! —L’eau est gelée. Regardes comme je tremble. Je grelotte. —et bien nage si tu ne veux pas finir en glaçon ! Viens sur mon dos, on va contourner le bloc de rocher pour atteindre cette autre plage. Comment te sens-tu à présent ? —Comme une grenouille. Je vais bientôt avoir les pieds palmés. » Et sur la plage le soleil caressa nos peaux humides et salées. Combien de temps étions-nous restés dans l’eau ? Nul ne put répondre et repu de fatigue, nous restâmes silencieux, appréciant cet instant comme si de toute notre vie nous avions connu pareille extase. Le bras tendu vers le soleil j’utilisais ma main comme d’une ombrelle et je vins à sursauter quand Malner joignit sa main à la mienne. « Pourquoi te cacher derrière le soleil ? Il te rend si lumineuse. A moins que tu finisses à toi-même ? Viens par-là… » Il m’attira contre son torse nu recouvert de multiples ecchymoses et la tête posée sur son bras j’humai l’odeur de son aisselle. Pour moi que cela les femmes autour de moi tombaient amoureuses et les

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yeux plongés dans celui de notre champion je me sentis me consumer de l’intérieur et plus encore au moment où ses lèvres se posèrent sur mon front. «Tu en épouseras une autre. Tu veux seulement t’amuser avec moi. Je connais les hommes et une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils veulent ils s’en retournent à leurs premiers amours. Mon père a de nombreuses maîtresses, tant qu’il pourrait repeupler certains villages décimés par les armées du roi. —Crois-tu vraiment que je veuille m’amuser avec toi ? —Est-ce un pari entre Eldreg et toi ? Avant-hier tu ignorais jusqu’à mon existence et il a fallu un pli de Niniane pour que tu te mettes à me trouver importante. Les filles comme moi n’attirent pas les hommes comme toi. —Et pourquoi Nimue ? » Il se redressa pour mieux me défigurer. Curieusement je me tenais prête à le défier, braver son jeu de séduction, ses belles manières et le renvoyer d’où il venait. « Et c’est quoi une fille comme toi ? Expliques moi Nimue ! —Tu sais bien de quoi je fais allusion. Une fille un peu naïve et sotte, pas assez jolie pour qu’on la regarde mais juste bonne à assouvir quelques fantasmes d’hommes. —Alors on arrête là Nimue ! Je vais te ramener au fort et on en restera là ! » Debout il chercha des yeux son écuyer. Sa demi-nudité ne m’effraya pas, bien au contraire ; j’imaginais sans difficulté les femmes avec qui il avait passé quelques nuits de passion s’agripper à ses épaules et le chevaucher jusqu’à plus soif. Pour me donner de la contenance, je croisai les bras sur ma poitrine aux petits seins ronds et

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fermes qu’il découvrait transperçant le linge humide. « Je vais te ramener avant que tu t’imagines des choses. Toi et moi on en restera là. J’aurais seulement voulu que tu me fasses confiance mais pour une fois j’aurais du m’écouter. Je voulais…je voulais te connaître et partager avec toi bien plus que je ne l’aurai fait avec une autre ! —Partager quoi ? Des caresses et des câlins ? Et ensuite ? —je…je n’ai pas connu de femme ! Tu aurais l’unique à qui j’aurais tout donné, mais à croire que je ne sois fait que pour me battre et tuer ! » Les larmes bordaient ses beaux yeux et je fus saisi de colère contre moi. J’avais tout gâché. Absolument tout ! Arrivée au Fort Niniane me héla ; impossible de m’arrêter tellement la honte me recouvrait. Dans la salle des ablutions, je me rinçai de la tête aux pieds. Sale tronche que j’avais là. Un visage terne, une boue boudeuse aux lèvres trop pleine et ces grands yeux inexpressifs. Comment pouvait-il me trouver attirante ? J’étais moche et pathétique. A l’ombre du muret je surveillai du coin de l’œil Briz et Trifin jetant des pierres aux cygnes. Ce jour-là il n’y aurait pas de sanction à tomber. Trois jeunes seigneurs descendirent l’escalier dont parmi eux Eldreg qui quand il me vit encouragea ses compagnons à poursuivre sans lui. « On dirait que votre famille a trouvé son champion. Je peux m’assoir ? Malner est parti s’entrainer et il est certain qu’il fera un carnage toute à l’heure en lice. Grand nombre mordra la poussière toute à l’heure ? N’assistes-tu pas aux jeux ?

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—Je m’épargne cette peine. Je n’aurai pas assez de souffle pour encourager notre champion. D’autres s’en chargeront à ma place, répondis-je avec dédain sans le regarder. Il a assez de flagorneurs autour de lui pour lui chanter ses louanges. —Tu as une façon bien particulière de voir la chose. J’espère que tu n’es pas fâchée par rapport à mon refus de la veille ? Tu vois je…. —Tu es libre de faire ce que tu veux. Je n’en ai cure. Je ne fais que te délivrer un message et il serait sage d’en rester là. —Sage ? Et pourquoi donc ? » Il fronçait les sourcils. A dire vrai il était très beau ; lui préférant la beauté ténébreuse de Malner. Ses yeux verts glissèrent le long de mon visage et s’arrêta sur mes lèvres. « Personne n’aime les messagers alors si tu as quelque chose à dire en particulier à Niniane à toi de la quérir pour le lui exprimer à voix haute. —Et qu’aurais-je à lui dire en particulier ? —Que tu ne comptes pas lui faire la cour cela lui évitera une peine d’amour. Elle serait capable de m’en tenir rigueur. —Tu es toujours aussi directe avec tout le monde ou bien est-ce ma tête qui ne te revienne pas ? J’apprécie la franchise mais là j’avoue tomber des nues. Bon et bien je n’attendrais pas de toi des encouragements, ironisa ce dernier en se levant. Navré d’avoir causé tant d’affliction au sein de votre famille. » Il pouvait bien s’excuser, c’était la moindre des choses. Les filles assistaient à l’entraînement musclé des chevaliers et de leur maître d’armes et entre leurs gloussements et

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leurs halètements il devenait insupportable de les côtoyer. Ma sœur dans les bras d’Inna poussait des OH ! Et des Ah ! il fallait la voir trépigner de joie quand il mettait l’un de ses compagnons d’armes à terre. Elle jappa en frappant des mains, pensant rendre jaloux Eldreg par son attitude. Indifférent il se battait à deux dagues faisant tournoyer dans un sens et dans l’autre ses armes de prédilection. « Que fais-tu là Nimue ? Tu ne devrais pas être avec les petits ? —Mère veut que tu rentres. Elle dit que tu passes trop de temps dehors. » Niniane monta l’escalier quatre-à-quatre et moi derrière elle. Ma mère nous passa toutes deux un savon, Niniane pour se donner trop en spectacle et moi pour me comporter comme une soubrette. En fin de journée je croisais Malner dans le couloir et mon cœur s’emballa. Il fit quelques mètres avant de revenir sur ses pas. « Nimué ? » Prestement je me retournais courant presque vers lui, l’œil brillant et des plus fébriles. « Comment s’est passée ta journée ? —Bien ! Enfin non…J’ai passé une mauvaise journée. —Moi aussi. » A la lueur du jour faiblissant il se mit sous le vitrail. A l’extérieur les gagnants du jour chahutaient, s’apostrophaient et riaient à gorge déployée. Que faisait-il dans cette aile du châtelet ? Pourquoi n’était-il avec les autres ? « Tu n’étais pas près de ta sœur dans les gradins. Pourquoi ? —Niniane ne tient pas à ce que je reste près d’elle. On a eu un différend il y a quelques jours de cela. Une dispute qui a mis à mal notre fraternel amour et depuis

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c’est difficile. J’aimerai que cela s’arrange, mais… » Il baisa mon front et j’en frémis, puis il caressa tendrement ma joue. « Continues…parles-moi de la petite fille que tu étais. —J’étais espiègle. Mes frères et moi on a fait les quatre-cent coups. Mon père ne me punissait jamais parce que je passais toujours entre les mailles du filet. On a eu des jours heureux avant que la fièvre, la guerre et la maladie me les enlève. Mon père n’a pas supporté leur perte alors il s’est mis à abandonné notre foyer. Ma mère lui reproche encore sa conduite. Voilà pour l’essentiel. » Il enserra ma nuque et baisa de nouveau mon front. « Tu occupes toutes mes pensées Nimue. J’aimerai te dédier toutes mes victoires. Si je remporte ce tournoi je te remettrais la couronne et… —Non, je n’ai rien fait pour mériter cela. » Des bruits attirent notre attention. On montait par l’escalier et bientôt sur le palier apparut Eldreg et deux autres chevaliers ayant fière allure. « Ah ! Tu es là Malner ! On t’a bien vu partir mais nous ignorions pour quelle raison. Viens, te joindre à nous si tu veux bien. La solitude te sied mal, toi qui aujourd’hui à tant de chose à célébrer. —Oui je disais justement à Nimue qu’elle avait manqué ma victoire et je la priais d’assister aux autres à venir. —C’est cause perdue mon frère ! Nimue ne s’intéresse guère à nos exercices. Allez, viens ! » Dans la grande salle, le brouhaha fut tel qu’on ne pouvait s’adresser à son voisin sans lui crier dans les oreilles. Les bouffons faisaient leurs numéros devant

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les grandes cheminées sur lesquelles rôtissaient des cochons, moutons et bœuf. Des danseuses s’exhibèrent faiblement vêtues et agitant leurs bras vers les chevaliers grisés par l’alcool. Il y en avait pour tout le monde, entre les jongleurs, les cracheurs de feu et le dresseur d’ours ; les faucons et le charmeur de serpents. Eldreg secoua Malner par l’épaule et l’encourageait à regarder du côté des danseuses plutôt que vers la porte de sortie. Niniane gloussait en chuchotant à l’oreille d’Inna contre qui elle se disputait le titre de plus jolies demoiselles de l’assemblée. Ses cheveux blonds ressemblaient à une rivière d’or et plus jolie que jamais, elle battait ses longs cils en fixant Eldreg sans pudeur. Ser Gorwal s’assit en face de moi à la place laissée vacante par Trifin. « Ta sœur est très en beauté ce soir. —Pas plus que d’habitude. Seulement Tu ne sais pas la regarder. » Il me lança un regard noir, porta son verre à ses lèvres et ses petits noirs s’embrassèrent soudainement. « Je ne suis pas là pour rechercher une femme contrairement à certains fillette ! la mienne me donne assez de mal pour convoiter celle des autres. Je suis seulement surpris que nos beaux seigneurs l’ignorent crânement. Pensent-ils trouver mieux ailleurs ? Qu’est-ce que notre Malner en dit ? » Il picora dans mon assiette. Il savait pour lui et moi. « Ma femme est très malade et je lui donne pas deux mois. —Elle doit être contente de savoir que tu fais si peu cas de sa personne et que tu la soutiens dans l’épreuve d’un accouchement difficile.

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—Ce ne sont pas tes affaires. Tu es bien comme ta mère. Tu prends les gens de haut et tu mets facilement une barrière entre ceux qui ne te reviennent pas et tu es prête à lécher le cul de ton insipide sœur. —Mon insipide sœur comme tu dis s’est occupée de moi quand j’étais malade et elle serait d’accord pour dire que les problèmes de sauté de ton épouse affectent tout le monde, petits et grands, pauvres et puissants. —Oui, tu es bien une Highmore. J’aime ce trait de caractère. » A présent il me regardait comme une vache regarde un poussin s’agitant devant elle. Il broya ses maxillaires et pianota sur la table, son regard glissa vers la table de Malnerqu’il cherchait à discréditer. « Alors pendant que ta sœur fanfaronne et joue les belles des champs, que fais-tu de tes journées ? Tu vas à la plage, escortée par un chevalier et son écuyer ? Ou bien tu te consacres uniquement à tes chevaux ? On est de bons amis Nimue, tu peux tout me dire, je t’écouterai avec beaucoup d’intérêt comme il sied d’écouter une femme qui aurait quelques confidences à dire pour soulager sa conscience. Parles-moi de ta virée de ce matin par exemple. —J’avais besoin de faire courir mon cheval. Qu’y a-t-il de mal à cela ? —tu l’aimes ? —Qui donc ? » Il sortit son couteau à la lame très fine et très affitée, piqua dans le morceau de chevreuil qu’il dépeça pour me tendre un morceau parmi les plus savoureux. « Il est le fils d’un de mes bannerets et une Highmore ne pourrait se mêler à ces parvenus. On pourrait alors parler de mésalliance et je doute que cette

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plaisanterie soit au goût de ton père. Il te faudrait un homme comme moi pour assoir ton statut d’épouse légitime. —C’est très flatteur mais je ne suis pas intéressé et sauf ton respect tu n’es pas le seul ici à disposer d’une armée capable de bouter l’ennemi hors de nos frontières. —Petite impertinente si tu n’étais pas une Highmore il ya longtemps que je t’aurais ramené à la raison à coups de trique et de ceinturon. —Alors plaise à toi que tu n’aies pas à te casser les dents sur mon opiniâtreté ! » Eldreg passa derrière les bancs, le verre à la main et s’arrêta à notre table. « Ser Gorwal ! Vos hommes ont fait montre de leur talent. Nous avons trinqué à leur santé. —Hum…vous pensez peut-être à Malner, les autres n’ont agi qu’en couards. Je perds des chevaux et des armures. Quel autre combat pourrait réparer cette injustice ? Je vous laisse à Highmore car à la fin c’est bien à elle que reviendra tous les mérites. » Son départ fut un réel soulagement. « T’importunait-il ? —Depuis des années mon seigneur. Nous avons appris à composer avec. » Assis comme il était il obstruait la vue à Malner mais Niniane ne perdait rien à notre tête-à-tête. « Fais-tu bonne chair ? Chevreuil et raisins secs ? Tu devrais te joindre à notre tablée et ne pas te contenter des restes que l’on sait être destiné aux écuyers. Alors quels sont tes pronostics pour demain ? Malner ou moi ? —Je n’ai pas suivi tous les combats, alors je suis bien mauvais juge en la matière.

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—Ne veux-tu pas parier ? On le fait sous seing privé, l’évêque ne sera au courant de rien, glissa-t-il à mon oreille. Les gains sont assez elevés. —Je n’ai pas d’argent. —Comme tu veux. Mais viens toutefois t’assoir près de nous. » Impossible. Comme il me fut impossible de fuir les questions de Niniane à son sujet. Acharnée comme à son habitude, elle voulait tout savoir et à midi les plus courageux se rendirent sur la plage à la lueur des flambeaux. Niniane me réveilla dans la nuit pour me raconter le succès de cette nuit sans précédente. Eldreg avait engagé la conversation avec ma sœur, ce qui la remettait sur son piédestal. « Te rends-tu comptes Nimue ? S’il remporte le tournoi demain contre Malner, il m’offrira la couronne ! C’est un immense honneur qu’il me fera et je ne vais pas pouvoir fermer l’œil de la nuit ! C’est dément ce qui m’arrive là ! » Et sous mes draps je tentais de prendre un air joyeux sans y parvenir. « Aides-moi à me déshabiller que je te raconte en détail ! Malner était là aussi et quand il a appris qu’Eldreg me remettrait la couronne, il l’a dit offrir la sienne à Inna s’il venait à gagner. A Inna ! Tu peux croire ça Nimue ! Pourquoi fais-tu cette tête ? Croyais-tu qu’il passerait à côté d’une aussi jolie femme qu’Inna ? Si tu avais renoncé à fricoter avec les canassons, il t’aurait peut-être remarqué mais navrée de te dire que tu n’es pas à son goût. Non ! Laisse mes cheveux ! Demain je les laverais, pas utile de s’en occuper ce soir ! Oh Nimue chérie, je suis folle de joie ! Insista-t-elle en me serrant dans ses bras. Je veux que tu portes ma robe verte ! Elle

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te plait non ? Alors tu la mettras et pour l’occasion je t’aiderais à te coiffer ! » On passa la matinée à s’apprêter, ni l’une ni l’autre avions dormi ; elle particulièrement excitée et moi effondrée par ce retournement de situation. Et avant le tournoi opposant Malner à Eldreg, je suivis Eldreg jusqu’à leurs tentes respectives. Niniane oublia son champion de la veille pour se consacrer uniquement à Eldreg et Malner assis sur son banc occupé à attaché les lanières de son armure me cherchait des yeux. Je le laissais à Inna pour retourner bien vite dans les gradins où l’ambiance se trouvait être à son paroxysme. Le combat commença et après vingt minutes de lutte effrénée, Eldreg fut victorieux. En transe Niniane m’embrassa avant de se ruer la balustrade et recevoir de la lance de son Eldreg la fameuse couronne de fleurs. Il porta Niniane en triomphe sur le devant de sa selle et je lui enviais ce bonheur. « On dirait que ton soupirant a jeté l’éponge, murmura Gorwal assis derrière moi. Il en valait mieux ainsi, ce baronet se doit de rester à sa place. Ta sœur comme prévu épousera son seigneur et le moment venu je m’occuperais de toi. Tu n’auras rien à lui envié. » Les larmes me montèrent aux yeux. Qu’avais-je fait pour mériter pareil châtiment ? Avais-je eu tors de faire confiance à Malner ? Enfermée dans ma chambre je m’en voulais d’avoir été si stupide, naïve et sotte au point de me laisser berner de la sorte On frappa à la porte ; grande fut ma surprise en y trouvant Eldreg.

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« Nous partons dans deux jours et…il est vrai que cette semaine aura été brève certes mais forte plaisante sur le plan relationnel. Euh, je voulais que tu saches que…Malner est…enfin, il aimerait passer plus de temps avec toi. Tu vois je me retrouve à jouer moi aussi les messagers. Comme je te l’ai dis-nous partons prochainement, alors…il faudra me supporter comme chaperon. Acceptes-tu ? —Si j’accepte ? » Je n’étais qu’une jeune damoiselle de quinze printemps alors imaginez un peu le choc émotionnel que sa requête suscitait. Je vous laisse imaginer car le reste de la matinée fut pour moi les prémisses du paradis terrestre notamment quand tous deux m’attendirent pour une ballade à cheval aux yeux et à la barde de tous les invités seigneurs, barons, dames et damoiselles. Malner m’aida à me hisser sur ma selle et ses yeux brillaient autant que les miens. Oui j’étais sur un petit nuage. Quitter le fort fortifié par deux imposants murs d’enceinte flanqué de quatorze tourelles pour gagner la route principale fut pour moi le symbole d’un nouvel élan dans mon existence jusqu’à maintenant vide et sans intérêt. Sur notre flanc droit la mer s’étendait à perte de vue et au-delà de la route se discernait le bois et la grande cité de Talerme d’où la cheminée des foyers montaient haut dans le ciel. Malner me dévorait des yeux, le soleil caressant sa peau d’albâtre et donnant du relief à ses boucles ; certes moins disciplinées que celles de son ami mais de belles boucles que je devinais être soyeuses et sous la main.

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« J’ai été heureux de te voir hier dans la tribune. Tu resplendissais. N’aies crainte, poursuivit-il en se penchant vers moi, Eldreg est sourd. Un mauvais coup porté à son oreille lui aurait fait perdre l’ouïe. Il s’en remettra peut-être jamais. —Est-ce vrai ? » Il me répondit par un clin d’œil. Il devait se régaler de ma naïveté. Eldreg marchait cinq mètres derrière nous suivit par les écuyers. Je me disais qu’il aurait pu emmener Niniane pour se sentir moins seul car aussi longtemps que durerait la ballade, il se morfondrait dans son coin en me voyant comme celle qui lui arrachait la compagnie de Malner. Or demain il partirait et cette pensée me déchira le cœur. Pourrais-je survivre à son absence ? « Je vais te faire découvrir un endroit que j’ai découvert et que j’apprécie tout particulièrement. Là-bas je t’apprendrais la fameuse botte secrète qui mettra à terre des rivaux. » Après une heure de folle chevauchée on arriva au point d’eau ; une sorte de cascade offrant une source d’une incomparable clarté et les pieds dans l’eau je ramassais de petites fleurs bleues poussant sur le bord de ce point d’eau. Dans cette petite clairière, au pied de cette chute je laissais divaguer mon esprit. Et si tout cela n’était qu’un rêve ? Discrètement je me pinçai mais la réalité me fit rougir la peau. L’odeur de la forêt emplit mes narines et le chant heureux des oiseaux me remplirent de grâce. Assise entre les deux hommes, il se passa un court silence et nerveuse j’ôtai les feuilles de mes fleurs sans oser regarder Malner, plongé dans ses contemplations.

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« Je vais faire un tour, lança Eldreg quittant sa place, ne vous souciez plus de moi et n’hésitez pas à crier si la solitude devient trop pesante. » Une fois seuls, Malner posa sa tête sur ma cuisse et timidement ma main entra en contact de ses cheveux. Un grand moment de bonheur. « La première fois que je t’ai vue j’ai pensé que mon esprit me jouait des tours. —J’ai du te paraître ridicule avec ce pli à la main ? Je n’étais pas tout à fait dans mon élément. Niniane me chargeait d’un message mais je me serais bien passée de le faire. —Non ! Je ne parle pas de cette rencontre. » Alors il se redressa pour mieux me regarder et l’intensité de son regard me fit détourner les yeux. « Nous venions d’arriver et surgit de nulle part tu étais là avec un seau d’eau visiblement trop lourd pour toi. Tu avais de l’eau partout sur ta robe bleue. Tu avais de l’eau jusqu’au cou. » Pour illustrer ses propos sa main se posa sur mon cou. « Gracieuse petite naïade aux longs cheveux noirs à la tresse ébouriffée et pleine de paille. Tu as choisi mon cheval et tu l’as fait boire. Je t’ai observée et tu m’as tout de suite plus, murmura Maldren en posant son front contre ma joue. Je voyais combien tu étais heureuse et intimidé je n’ai osé t’aborder. Tu es restée un petit moment près de mon cheval à lui caresser le chanfrein et l’embrasser. Tu souriais et tu riais. Pour rien au monde je n’aurai troublé cette félicité. Tu as caressé son encolure et… » Ses lèvres pleines se posèrent à la commissure des miennes. J’ai pris peur. « Non, sois sans crainte, je ne te ferais rien qui puisse t’effrayer. Je te respecte trop et

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j’ai pour toi beaucoup d’affection. Je respecte ta pudeur. —Ce que tu m’as dit sur la place, est-ce vrai ? N’as-tu jamais aimé ? N’as-tu jamais connu de femme ? —Non c’est un domaine qui m’est inconnu. J’ai eu des occasions de le faire mais…je t’attendais Nimue. Je savais que tu viendrais. Il m’a seulement fallu t’attendre. » Couché sur le flanc il me regardait tresser des fleurs entre elles ; je faisais cela pour m’occuper les mains. Dans deux jours il ne sera plus là pour me distraire. Il me fallait par conséquent en profiter sans pour autant y parvenir, tourmentée par son départ à venir. « C’est absurde…un jour tu en épouseras une tout comme moi un seigneur que je ne désire pas. Au moins tu auras eu le privilège d’être le premier à me témoigner son intérêt. » Prestement il se redressa, les sourcils froncés et il s’en alla en me laissant seule près de la petite chute. Plus tard on marcha tous les trois sur la côte. Le vent soufflait fort et les cheveux défaits je luttais contre les embruns et le sable fin. Les mouettes nous saluaient de leurs stridentes plaintes et la cote balayée par un timide soleil me troubla. On monta sur la paroi rocheuse et là Eldreg me tendit sa main pour me hisser sur les rochers ; arrivés en haut de la falaise, le panorama était renversant, beau à couper le souffle : tout ce dégradé de bleu et de vert et ces contrastes…Lui Malner ne voyait rien, perdu dans les méandres de son esprit « Ne t’inquiètes pas. Malner a besoin d’être seul pour réfléchir mais il te reviendra. Tu vois les pierres imbriquées

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là-bas ? On dit qu’il s’agit d’un ancien sanctuaire où les païens venaient accomplir divers rites au moment du solstice d’été. Cette région est magnifique ! Ces landes, son littoral. Plaise au ciel que vous restiez assez de temps pour en apprécier chaque détail. Malner dit que tu nages plutôt bien. » Il disparut sur notre flanc droit et en haut de la muraille, je me retournais donc vers Eldreg et ses belles boucles auburn. « Hier nous avons su profiter de la plage eet j’avoue aimer ces plaisirs simples où nous sommes en conjugaison avec la nature. » Nous descendîmes à la poursuite de Malner maintenant loin devant nous. Il marchait comme pour mieux me fuir et ralentie par le vent soufflant dans ma cape je pris à maintes reprises le bras d’Eldreg. « Là d’où je viens, il y a des monts escarpés et de longs fleuves serpentant d’un point à un autre. De vastes étendues forestières mais pas de mer. Alors quand nous disposons d’un peu de temps nous galopons sur les terres de mon père d’un fief à un autre. Si nos deux familles s’allient, les miens disposeront de ce beau littoral. » Le bonheur du se lire sur mon visage. Enfin il acceptait Niniane dans son cœur ! Dieu soit loué ! « oui cela ne fera pas le moindre doute. Nous autres Highmore jouissons à la fois de vastes prairies et d’un peu de ce littoral. —La paix. C’est ce qui nous importe le plus n’est-ce pas ? Alors autant la préserver le mieux possible et il est en notre pouvoir de le faire. Sais-tu que l’on entend la mer dans ce coquillage ? Viens écouter. L’entends-tu ?

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—Très distinctement. Je vais la faire entendre à Malner. » Tous trois assis dans le sable, on fixait la vaste mer devant nous des plus silencieux. Eldreg dessinait sur le sable, allongé et tourné vers moi quant à Maner, il fixait l’horizon, la tête soutenue par son bras. Aucun de nous ne parla, absorbé par nos propres réflexions et quand mon regard croisa celui d’Eldreg je sentis le sol se dérober sous mes pas.

En rentrant au fort Niniane se précipita sur moi toutes griffes dehors et prise dans une violente crise de nerfs. Les cheveux en pagaille et la manche de sa robe déchirée, elle gesticulait dans tous les sens devant ma malheureuse mère alitée suite à une nouvelle attaque. Néanmoins elle trouva assez de force en elle pour quitter son lit et choisir la cathèdre, ses longs cheveux blancs tombant sur sa gorge maintenant creuse. Avec difficulté elle respirait, levant une main molle en direction de Niniane pour réclamer le silence. « Mais mère ! Elle m’a pris MON fiancé et vous allez la laisser faire ? Elle a tout manigancé dans son coin en agissant par calcul et déloyauté !Oui, c’est bien de toi que je parle ! Approches-toi ! Tonna-t-elle en me saisissant par le bras. Mets toi à la lumière pour que mère voit combien la fille qu’elle a mise au monde a l’âme corrompue ! Une vile créature sortie tout droit des Enfers !

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—Niniane, n’as-tu pas précipité ta sœur dans les bras de ce Seigneur ? N’as-tu pas favorisé son destin en agissant de la sorte ? Il n’y a que toi à blâmer et personne d’autre. Nimue n’y est pour rien et ta sœur ne doit pas être ton ennemi, mais ton allié. Elle œuvre pour le bine de notre famille, il faut voir cela ainsi. » Niniane se calma, les lèvres frémissantes et l’œil fiévreux. Elle croisa ses bras et ses longues manches tombèrent sur le sol en une longue traine verte offrant aux regards sa longiligne silhouette, gracieuse et élancée tel un cygne glissant sur les flots et du cygne elle en avait le tempérament. Je lui enviais ses longs cheveux blonds coulant jusqu’à mi-cuisse. Face à son insultant éclat, je me réfugiais dans l’ombre loin de la clarté des bougeoirs. « Elle sait que je l’aime, murmura-t-elle la gorge prise par les larmes remontant avec violence. Qu’est-ce que tu as fait pour qu’il s’intéresse à toi ? Quel charme as-tu utilisé contre lui ? Je ne veux pas croire qu’il veuille Niniane ! Elle n’a pas une once de classe ! Toujours pataugeant avec les gosses et montant ses chevaux… En épouse de métayer, elle aurait été parfaite, tiens ! Mère, vous savez bien qu’elle n’a jamais eu d’ambition ! Pas fichue de coudre, de broder correctement et elle rebute les hommes par son insolence ! —Silence Niniane ! Cela suffit. Laissesnous seules un instant veux-tu ? Je dois m’entretenir avec ta sœur. » Partie avec sa servante, ma mère me tendit une main tremblante et je posai un genou à terre pour la lui baiser. Elle me tapota la tête e, basculant la tête en arrière fatiguée par tant d’agitation. La lumière

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creusait ses traits et lui donnait un aspect cadavéreux or plus tôt, ma mère assumait ses quarante ans avec orgueil. Tous admiraient sa vergue et son ardeur au combat. Que restait-il à présent de cette femme que la guerre avait conduite à vivre dans ses derniers retranchements ? « Tu ne sais à peine lire le latin et tu ignores tout du grec. Tu ne sais pas courdre et broder comme ta sœur et ta voix ne s’élève pas aussi glorieusement que celle de Niniane. Qu’irais-tu faire là-bas au milieu de ces inconnus ? Chanteras-tu pour les distraire ? Ou liras-tu les poèmes d’Ovide dans leur langue originale ? Je doute qu’ils recherchent ta compagnie, toi qui n’as pas les aptitudes requises pour briller dans une cour aussi élitiste que la leur. Tout cela n’est que pure folie. Mais en même temps quand je te regarde je me dis qu’Eldreg a raison de te choisir. —Mère je vous jure que je n’ai pas comploté pour duper ma sœur et cet homme ! C’est tout juste si je… —je le sais ma chérie. Les hommes ont des désirs inavoués et celui d’Eldreg est de faire valoir son droit de Seigneur. Naturellement tu iras là-bas pour y parfaire ton éducation et le moment venu il t’épousera. —Combien de temps avant qu’il ne m’épouse ? Pourquoi lui vaudrait-il tant de temps pour se décider ? Faites accélérer le mariage mère, il y va de notre survie à tous ! —Que veux-tu dire ? La réponse dépend de ton père tu le sais et Eldreg n’était pas son premier choix en toute franchise. Il faut parfois se montrer patiente ma douce.

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—Mère, je…je ne pourrais attendre indéfiniment ! Vous devez le convaincre de m’épouser en dépit de l’avis de mon père ! —Et pourquoi soudain es-tu si pressée ? T’es-tu donnée à lui ? Interrogea mère en me caressant doucement la joue, le regard si lointain. Aides-moi à regagner mon lit… Il est possible que nous restions ici plus longtemps que prévu. Ma santé ne me permet plus un si long trajet…Le seigneur Tibalt est bienveillant et nous reçoit avec les honneurs dus à notre rang. Nous y sommes bien. A présent j’ai besoin de me reposer, vois avec Myra ce dont tu aurais besoin pour ton trousseau. » Quittant la coursine je vins à croiser Gorwald et son regard de rapace me sonda. Il pouvait me pourfendre ici, me laisser me vidant de mon sang dans cet endroit isolé du reste ; crier « A l’aide ! » Ne me servirait à rien. L’épée battant sa jambe, il marchait la main gantée de fer posée sur le fourreau de son arme. « Alors tu as réussi. Que Dieu te pardonne ce geste de désespoir ! —Mon seigneur, je… —Plus un mot ! » Il m’attrapa par le cou pour me coller contre le mur. Une empoignade qui me fit suffoquer de douleur et de peur. « Je veux une Highmore et c’est toi que j’aurai un jour dans mon lit. Nous avons passé un accord avec ton père et si tu tentes de violer cet accord… »Il me relâcha et je crachais plus que je ne crachais, ne parvenant plus à respirer, la tête prise dans un étau annonçant la mort par strangulation. « Si tu tentes de violer cet accord, notre petit banneret sera condamné à mort pour avoir osé poser la main de ma fiancée.

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—De quelle fiancée parles-tu ? ta femme…elle est encore en vie. Tu ne peux déjà être engagé ailleurs. » Je me débattis violemment, il me serra contre le mur et souleva ma robe d’une main alerte et crispée à son bras, je ne pus retenir la violence de ce geste ; il pénétra mon sexe et il fut indifférent à ma douleur. « Tu es vierge. Dans moins de deux mois tu le seras encore ou je fais décapiter ton preux chevalier qui a osé tourner en dérision ses propres frères d’armes. » Il porta ses doigts sous son nez pour les renifler ; fixant son serre-taille de cuir, j’e ressentis de la flétrissure pour avoir été visitée de la sorte. « Qu’il se tienne à distance de toi et il aura la vie sauve. » Il baisa mon front et poursuivit sa route. Quant à moi je fis quelques pas avant de m’écrouler par terre en sanglots, incapable de marcher tellement je souffrais. Plus tard au moment de l’ultime banquet donné pour nos champions, Malner entra dans ma chambre précédée par notre nourrice Brit appuyée sur un large bâton. Elle souffrait de gouttes et la peau tannée et ridée, Brit ressemblait à un parchemin jalousement conservé dans la fraicheur d’une salle d’étude. « je ne comprends pas Nimue. Tu ne voudrais plus partir avec Eldreg ? Tu n’auras pas meilleure offre et…Nous partons demain et nous ne reviendrons pas avant… —Ne m’approche pas ! » Lançai-je en reculant, les larmes inondèrent mes yeux. Il ne pouvait m’approcher, plus aucun homme ne pourrait m’approcher après ce qui venait de se passer dans la coursive. « D’accord ! D’accord ! Je ne veux pas t’effrayer par mon attitude des plus

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désinvoltes. Nous partons demain aux aurores et…Dois-je insister Nimue ? Doisje te dire de reconsidérer ta réponse ? —non. Je vais rester ici, près de ma mère. Elle est souffrante et Niniane partira à ma place. Mon père ne s’opposera pas à leur union. Il était convenu…qu’elle l’épouse. — Nimue, je… » En tremblant je reculais pour me réfugier derrière la chaise. « Que s’est-il passé depuis ce matin ? Aurait-on cherché à t’influencer ? Nimue, dis-moi ce qu’il se passe, j’ai besoin de savoir pour ne pas avoir à m’imaginer le pire. Dis-moi ce que je dois savoir. Nimue ? —je déçois tout le monde dans mon entourage et je n’arrive pas à croire que tu…Il y a des tas de jolies femmes ici. Des femmes qui te rendraient heureux, alors pourquoi moi ? Tu peux toutes les avoir, mais tu t’es dit qu’une proie aussi facile que moi pourrait satisfaire ton égo de chevaliers. Il est facile pour des hommes comme toi de rire de la naïveté des pucelles. —Tu sais bien qu’en ce qui me concerne ce n’est pas vrai. Je t’ai avoué mes sentiments, un peu de matière cavalière, je te l’accorde mais mes sentiments sont sincères. —Alors si tu dis m’aimer, respecte mon choix et éloignes-toi à jamais de moi ! » Il resta interdit devant la table ; Brit assise près de la cheminée reprit son ouvrage et souffrant de cataracte, filait avec dextérité comme à ses premières fois. « Brit et moi allions nous mettre au lit. Et je n’ai plus qu’à te souhaiter un bon retour. Adieu. »

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Il glissa à genou devant moi et terrifiée je détournai les yeux de cet amant éconduit et souffrant le martyr. Collée à l’extrémité de la tenture murale, je me refusais de le regarder. « Tu dois t’en aller, je t’en prie… Tu ne peux rester. Pars…et ne reviens plus. —Je suis ton épée, je t’en ai fait le serment. Tu ne peux m’éloigner de toi. Appelles et j’accoure ! —je veux que tu partes. —Oui je partirais si tu me dis être heureuse et que ce choix t’appartiens. Je veux en avoir la certitude ou bien je resterais à veiller sur les tiens au nom de l’accord tacite qui nous unit l’un à l’autre. Jures-moi que cette décision est la tienne. Jure-le Nimue ! Jure-le sur les Saintes Ecritures ! » Il attendit un petit moment et s’il avait levé les yeux à ce moment précis, il eut vit des larmes inondant mon visage. N’ayant plus de jambes je tombais sur mon lit pour pleurer. « Dis-moi ce qui te trouble Nimue. Parles-moi. » Le visage dissimulé derrière ma manche, je me ressaisis bien vite en songeant à Gorwal et à ses mains…Il ferait décapiter mon amant. On frappa à la porte. Gorwal ? J’attrapais Malner pour le cacher dans la garde-robe. Et Niniane entra en me bousculant. « J’avais peur que tu te sois endormie. Ah, ah ! Tu pourrais et tu te dois d’assister au banquet ! J’ai besoin de rafraîchir ma coiffure et me changer. Aides-moi ! Dépêches-toi, un peu ! Ah, ah ! quand je pense à tout cela, j’en frémis…regardes, je tremble. Eldreg m’a offert son bras toute à l’heure et si tu avais vu la tête des autres filles…elles sont toutes vertes de jalousie car officiellement

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je passe pour être sa fiancée ! Oh Nimue, Niniane prit mes mains entre ses siennes, tu ne peux pas savoir quel est ce bonheur qu’est le mien ? Toi aussi, un jour tu seras heureuse avec ce Gorwal. Pourquoi ces larmes ? Je suppose qu’il s’agisse de larmes de bonheur car il ne pourrait en être autrement pour toi comme pour moi ! Enfin bref ! Apporte ma robe bleue à galons d’or ! » Dans la garde-robe, Malner me saisit par le bras. Il savait à présent, je ne pouvais plus revenir en arrière. « Nimue ! Que fais-tu par tous les saints ! Dois-je moi-même venir coudre cette robe ? » Il voulut me serrer contre lui ; je m’y dérobais refusant ses caresses. « Il faudra que tu apprennes à aller à te dépêcher ! Mon destin se joue ce soir dans la grande salle et tu dois d’y assister. Du moins la première heure, ensuite tu seras libre de retourner à tes écuries. Ah, ah, ah ! » On sortit toutes deux et dans l’escalier de la tour-est, Malner nous emboita le pas. « Malner ? Qu’il est aimable de nous escorter ! Notre champion…Ah, non tu ne l’es plus puisque celui de Wassels de Cobridge ! Inna a bien de la chance ceci dit de t’avoir pour elle ! Prends mon bras Malner et parles-moi de tes intentions concernant Inna de Wassels de Cobridge. Dans la grande salle, en haut dans la galerie les musiciens jouaient de la busine et un tonnerre d’applaudissement retentit quand les champions des joutes et des tournoirs apparurent accompagnés par leur écuyer tenant leur écu aux armoiries de leur famille. Tilburg le seigneur des lieux remit les trophées à Eldreg et Malner ayant totalisé à eux deux un grand nombre de

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points entre les diverses épreuves. Eldreg fit un discours pour souligner la qualité de l’accueil du seigneur Tibalt qui dans son beau costume d’apparat l’embrassa comme un fils. Niniane aussitôt attrapa son bras pour ne plus le lâcher et la main sur le visage prenait les flatteries des admirateurs d’Eldreg pour elle et difficile de l’imaginer plus heureuse. Assise près de ma mère, je fixais mes mains craignant que l’on me surprenne dans ma détresse ; soit le cœur battant avec fracas, la sueur ruisselant sur mon dos et l’œil humide prêt à déverser un torrent de larmes. « Comment vas-tu Nimue ? —Euh…je…monseigneur…je… » Eldreg me fixait de ses grands yeux verts hypnotique. Il paraissait nerveux ; pas autant que moi mais nerveux tout de même. « Tu es très en beauté. —Merci. » Il continuait à me fixer sachant que tous les regards convergeaient dans notre direction ; les langues se délieraient car l’annonce du départ de ma sœur en surprit plus d’un ; ils s’en doutaient un peu mais ignoraient que l’événement fut si prématuré. « Lady Highmore votre cadette est ravissante et j’ai été flatté de faire sa connaissance. Me permettrez-vous de lui écrire ? » Près de nous les discussions se turent et les oreilles se penchèrent pour ne rien perdre de la conversation. Ma mère qu’on avait apprêtée pour l’occasion tenta un sourire qui se figea sur son visage en une horripilante grimace. « Nimue en sera ravie. —J’aimerai si vous me le permettez, m’entretenir avec votre fille. Cela ne sera pas long nimue, je ne tiens pas à accaparer

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ton temps et ils ne commenceront qu’à servir dans dix minutes. —Mon seigneur, je… » La main de la mienne se posa sur la mienne et la mort dans l’âme je le suivis à travers l’assemblée festive et agitée, haute en couleurs et offrant ce qu’elle avait de meilleure en cette soirée de fête où tous plus que jamais avait un rôle à jouer. En bas de l’escalier, il m’invita à continuer vers la galerie du cloître. Il m’invita à m’assoir et comme une feuille je tremblais. « Un bien belle cérémonie d’adieux pour nous autres glorieux combattants. J’ai obtenu bien plus de trophées que la majorité des chevaliers aguerris que nul autre cependant toutes ces victoires seraient vaines si je n’avais la garantie d’avoir votre amitié en toute légitimité. C’est un moment spécial que je vis Nimué. Un moment que j’aimerai partager avec toi. Ce que je ressens en ce moment est… unique, à jamais marqué par la présence d’une femme, d’une jeune femme belle et énigmatique. —Eldreg, je… —Laisses-moi terminer ! Tu es délicate et spontanée, franche et intelligente ! Tu as toutes les qualités pour siéger avec moi sur le royaume de mon père quand le moment viendra ! » Sa main se posa sur la mienne que je dégageai bien vite. On pouvait nous surprendre dont Niniane rendue susceptible et vulnérable par tous ces événements survenus au cours de ces deux dernières semaines. Fermant ma poitrine de mes bras je n’en menais pas large. « J’ai fait part à Malner de ma décision de rester ici. Ma décision est irrévocable. —Pourquoi ? Pourquoi ? » Sa main se posa sur ma joue qu’il caressa comme pour

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mieux se faire entendre. Il sortit un collier de sa manche et au moment où il voulut passer le bijou autour de mon cou je reculai en panique et n’ayant nulle envie d’afficher la pierre sur ma poitrine. Cependant je cédai pour mieux m’en libérer. Pitié, pensais-je quand ses lèvres se posèrent sur ma joue. « Pourrais-je espérer te voir sourire de nouveau avant mon départ ? Regarde moi…Tu trembles ? Et tes yeux sont humides. Es-tu donc en peine de me voir partir ? Oh nimué…laisses-moi te serrer dans mes bras, viens…Tu as le droit de pleurer. —Je ne pleure pas. Ce cadeau est inattendu. Je ne pensais pas disposer d’autant de ressources pour te séduire et maintenant je me trouve être dans tes bras, espérant le moment où tu recouvriras la raison. J’aime un autre homme. Comment pourrais-tu envisager de m’aimer quand mon cœur appartient à un autre ? » Avouais-je en le serrant contre moi, faisant fi de la blessante attitude de Gorwald. Après ce qui c’était passé dans le couloir je décidai de me hisser hors de l’eau, faire de ma faiblesse une force et agir pour mon bien propre au risque de perdre à jamais l’homme que j’aimais. Malgré mes révélations son étreinte ne fut pas plus lâche pour autant, au contraire, il me sera avec enthousiasme et souleva mon visage pour mieux m’étudier. « Alors il ne s’agira que d’un mariage d’intérêt entre nos deux familles. Le mariage n’est qu’un commerce et tu en seras le prix un prix qu’il me plait d’accepter. Pars demain avec nous et deviens mon épouse ! »

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Dans l’obscurité, je marchais à tâtons pour atteindre le mur d’enceinte et déterminée je partis vers la plage. Malner m’y attendit avec deux chevaux qu’on chevaucha sur la plage jusqu’à un cabanon de pêcheur. On y entra et Malner me fixait intensément. « Je sais tout : des menaces de Gorwald et ton choix ultime de ne pas nous suivre ! Pourquoi ne me l’avoir pas exprimer en toute exemption ? Je vécus dans la crainte et cette journée fut la pire de toute ma vie. Peux-tu comprendre cela ? —il a proféré des admonestations sur toi et j’ai craint de te perdre ! Il disait qu’il te tuera s’il apprenait que je n’étais plus vierge ; il te ferait décapiter pour trahison et j’ai agi comme tu l’aurais fait ! Tenter de t’écarter pour que tu puisses vivre. Comment peux-tu me blâmer pour cela ? J’ai accepté les avances d’Eldreg comme tu me l’as suggéré et…maintenant je ne sais plus quoi penser de tout cela ! —Nimue tout cela est de ma faute. Je n’aurais jamais du faire ce que j’ai fait. Te voilà condamnée à taire tes sentiments alors que j’ai agi comme un égoïste. Je t’ai fait te perdre. Mais je te promets que moi en vie, Gorwald ne te touchera pas. » Le mal était déjà fait. Toutes ces belles promesses ne suffiraient à me réconforter. Il posa ses mains sur mes épaules. « Je ne veux pas que tu prononces son nom. Jamais plus ! e le maudis lui et sa famille, tous autant qu’ils sont ! J’aimerai qu’il fut mort…son nom m’inspire que le dégoût. Je maudis son nom et je regrette le jour où il fut présenté aux miens ! —T’a-t-il touché ? Nimue ? A-t-il posé les mains sur toi ? » Je m’écartais de lui et dos à lui je cherchais où poser mon regard

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dans cette obscurité. « Non. Il ne s’est rien passé. Seulement je n’aime pas ses manières. Jures moi de te protéger ma sœur ! Elle aura besoin d’une épée

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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