Gueule des Autres

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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LA GUEULE DES AUTRES [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]

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MEL ESPELLE

LA GUEULE DES AUTRES

Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1

On n’a rien trouvé de mieux que de s’attacher aux nègres en partance pour leur vie de misère. On nous donna des coups. Nous entravions une vente des plus légales. En général cela ne se passait jamais très bien ; on prenait vraiment des coups, ils ne faisaient pas semblants les gardes-chiourmes, les contremaitres et les négociants. For Sale Negros ! Cette affiche En gras restait une provocation pour nous autres de la Caroline du Nord. Nous n’en voulions plus et quand nous disions que nous venions de Boston, alors les sifflements commencèrent à se faire entendre ! « Rentrez chez vous ! Vous n’avez rien à faire ici ! » L’autre fois on tira sur ma chemise, ce qui eut pour effet de la réduire en lambeaux. « C’est toutefois moi que de finir avec un œil au beurre noir, répliqua ma mère en pliant le linge, mais il nous vous sert à rien de les provoquer ! Vous ne vous attirerez que des ennuis dans cette ville ! » Elle ne croyait pas si bien dire ; le mois de février fut le pire pour nous autres. On a fini avec de sérieuses fractures, contusions,

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ecchymoses et insultes. Des personnes se plaignaient directement au magistrat de Ralegh disant que nous étions une honte pour la jeunesse de cette démocratie et que notre place se devait d’être en prison. Mais rien n’entachait notre enthousiasme. « Si vous n’arrivez pas à tenir votre fille, Mrs Hamilton, il serait sage de la marier ! » Déclara notre voisin, le très insupportable Rutledge, ce nabot à perruque qui trouvait plaisant de me fustiger en public. Oui, nous nous en occuperons ! On me punissait quelques heures avant que l’on ne remette ça.

« January, prononces correctement ou occupes-toi autrement ! Déclara Mrs Graham. Reprends et articule correctement c’est un réel ennui ! —en suivant cette dispute sur laquelle ils auraient pu faire le tour du globe sans déparler un moment et sans s’accorder… —Oh, voyons January ! Je doute que Mr Diderot air écrit en marchant sans prendre son souffle et…Mrs Johnson ? Comment allez-vous donc ? » Il faisait doux et sous mon chapeau de paille je profitais de la clémence de ce temps de mai. Venue de nulle part une guêpe tournoya pour se poser sur une fleur aux pétales d’un jaune miroitant. Délicatement je saisis la plante par la tige ; furieuse par le dérangement la guêpe s’en alla sans un bourdonnement râleur. Mrs Graham partit saluer la voisine, jacques le fataliste et son maître fut fermé

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et jeté négligemment sur le châle posé là dans l’herbe. Des brides d’information me parvinrent : santé fragile…soin curatif… séjour dans le sud…paisible retraite… Mrs Graham derrière sa haie, le sécateur à la main passait pour être la femme la plus agréable de ce village. Derrière moi la porte s’ouvrit sur Mr Graham et un gentleman que je ne connaissais pas. « Madame ! Madame ! Elle est au fond du jardin à rendre le bonjour à Mrs Johnson dont le mari retraité de guerre est quelque peu souffrant ! Ah, January ! Approchez mon enfant ! » De petite taille et rond Mr Graham au front dégarni et aux cheveux frissonnant sourit nerveux. « Voici ma petite fille, January et hum… mon fils ayant été emporté par la fièvre jaune elle cherche un emploi comme bonne d’enfants et…mon épouse sera heureuse de vous revoir, croyez-moi ! » Mr Graham renia mon père quand il apprit que ce dernier avait épousé une mulâtresse, octavonne belle comme un cœur d’après ce qu’on raconte mais morte en couches. Je connus toutes sortes de mère avant de quitter Boston pour de bon et venir m’installer ici avec la seule famille qui me restait. Tous trois restèrent un long moment dans le jardin sous la glycine, savourant le thé et évoquant des souvenirs anciens. Là sur ce banc de pierre je regrettais d’être venue, n’étant qu’un fardeau pour les Graham. Leurs enfants depuis longtemps avaient quitté le foyer et le couple coulait des jours heureux sous le soleil de la Pennsylvanie. Les petits des Anderson passèrent par le chemin mitoyen, le cerf-volant à la main et quand

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ils me virent s’arrêtèrent tout net. « Hey, c’est January ! Bonjour January! » Les oiseaux pépiaient au-dessus de ma tête et mes ongles encrassés par la terre; la raison étant le jardinage matinal avec Mrs Graham. Si je leur demandais, peut-être accepteraient-ils que je descendis au lac ? Ils se turent en me voyant approcher de la table et Mrs Graham m’interrogea du regard. « Que voulez-vous January ? » Questionna le père de mon père, le cigare à la main ; il savait que le tabac noircirait ses dents, il s’en plaignait sans pour autant renoncer au tabac de Virginie. Alors je passais mes bras autour du cou de Mrs Graham. « Me permettez-vous Madame d’aller à l’étang ? —Seule ? Il est hors de question ! Si vous tenez à vous rafraichir et bien allez vous assoir autour du bassin. Et allez dire à Meredith que nous gardons Mr Keynes à diner. —Qui est Mr Keynes ? —Voyons Madame, nous parlerons politique toute la soirée il n’est pas nécessaire de gardez January avec nous. Elle risquera fort de s’ennuyer et de corrompre la qualité de nos échanges. Vous pouvez disposez jeune fille ! » Et Mrs Graham tenta un sourire qui alla se perdre sur son visage. Elle ne contredisait jamais son époux en public bien qu’il lui arrive bien souvent de le trouver radical et autoritaire. Keynes en face fixait sa tasse de thé, les bras croisés sur la poitrine. Lui comme Graham ne tenait pas à ce que je reste. « Je vais aller voir Meredith… » Nous pliâmes le linge de maison sans rien échanger l’une et l’autre. La grosse femme transpirait par tous les pores et son

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double menton tombait sur sa large poitrine ; elle finira certainement écrasée par son propre poids. La femme rousse ne m’aimait pas, moi qui avais le sang noir, celui des nègres du sud. Quand les Graham recevaient nous mangions donc ensemble et elle se hâtait de finir son assiette pour ne rien avoir à me dire. Le linge plié, elle resta muette dans sa cuisine et me lançait des regards noirs sitôt que je touchais à la moindre petite chose, attribut de son univers. Keynes « J’aimerai un verre d’eau, lança Keynes dans l’encorbellement de la porte. Un homme grand, froid et le regard chargé de mépris. Meredith le lui tendis et sans remercier fixa le tabouret sur lequel je me tenais, le doc courbé et les pieds nus. « Je connais une personne à Philadelphie qui aurait besoin d’une gouvernante. —Vous voulez peut-être dire bonne d’enfant, monsieur ! Ici nous sommes loin de votre Virginie natale et les péquenots du coin n’entendent rien aux bonnes manières ! —je vous demande pardon ? —Vous n’êtes donc pas originaire de la Virginie ? Répondis-je en souriant. Meredith quant à elle sembla être sur le point de s’étouffer, jeta son torchon sur la table et quitta la cuisine en marmonnant quelques obscures paroles. Elle irait voir Mrs Graham pour lui dire à quel point je frisais l’insolence. En plus d’être noire j’étais insolente.

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« Mrs Graham dit que vous lisez et que vous comprenez le français. Et le parlezvous ? —Votre relation de Philadelphie a-t-elle l’intention de m’envoyer à la Louisiane ? Ecoutez, je ne veux pas être une bonne d’enfant, c’est l’idée de Mr Graham. Il a tellement honte de moi qu’il ne veut plus me voir trainer ici et tous les prétextes sont bons pour m’envoyer loin, très loin de leur paisible domaine. Et s’il le pouvait il m’enverrait en France. Vous pouvez toujours le lui demander il ne le niera pas. —Il ne fut guère plus affable avec ses propres enfants. Le devoir passant avant toute chose et quand je parle de devoir, il a été longtemps exposé aux critiques publiques et la situation financière de votre père fut une très mauvaise surprise pour lui. Mettez-vous un instant à sa place et envisagez de le soulager un peu s’il vous est possible de le faire. Cela vous fait quoi dix-neuf ans, vingt ans ? —j’ai eu dix-sept, le mois dernier. Beaucoup me donne plus. C’est peut-être du au fait que je sois grande ? Déjà à onze ans on m’en donnait dix-sept. Si je venais à accepter le poste…pensez-vous que…il y a-t-il beaucoup de personnes de couleur à Philadelphie ? Je n’y suis jamais allée. Mr Graham dit que je ne peux m’exposer à la vue de tous. » Keynes posa son verre sur la table. Il n’y avait pas touché. Il me fixait comme ces fous qui arrivaient à vous glacer le sang seulement en vous regardant. « Vous y serez bien reçue. Pourquoi cette question ? Pensez-vous que mes amis puissent vous manquer d’égard ? Pensezvous que je risque mon amitié avec les

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Graham pour un problème de jugement ? Savez-vous au moins qui je suis ? — Non je n’en ai pas la moindre idée. Je sais seulement que vous venez d’un état esclavagiste et c’est tout ce qu’il me faille savoir. —Vraiment ? Vous êtes une étrange petite femme Miss Graham. Bien étrange. Acceptez cet emploi et vous gagnerez votre indépendance. N’est-ce pas ce que vous voulez ? » Mrs Graham discutait avec son époux et derrière la porte je les entendais distinctement. Le diner terminé depuis une demi-heure et ce Keynes parti chez son logeur, ils purent laisser court à leurs leurs inquiétudes. « Non ! Non ! Elle ne partira pas à Philadelphie ! Je refuse qu’elle se donne en spectacle dans cette ville qui m’est chère ! Nous connaissons tout le monde à Philadelphie ! Tout le monde ! —Calmez-vous John ! Elle pourrait vous surprendre par bien des façons. Elle est gaie comme un pinçon ; pleine d’audace je vous l’accorde, mais elle est pleine d’esprit et elle parle distinctement ! Sa compagnie sera hautement appréciée là-bas, songezy ! Les familles se l’arracheront Monsieur ! Et je me soucie plus que vous del’avenir de cette petite ! Pensez à son avenir ! Il est plus que nécessaire qu’elle s’en aille, voler de ses propres ailes car John, vous n’avez pas dans l’esprit de la marier ! —Ah ça non ! Et la marier à qui ? Ne voyez-vous donc pas comment elle se comporte en société et comment elle attire le regard des hommes sur elle ! Il serait exagéré de vouloir en faire une femme censée capable de soutenir un époux dans

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son dur labeur ! Tout simplement parce qu’elle en est incapable ! —Oh la bonne histoire ! Ce qui vous déplait c’est de la savoir sans prétendant ! Pour vous il n’est pas concevable que vous la sachiez privée de dote ! Or votre petite fille… —Ma petite fille ! Tonna ce dernier et derrière la porte mon cœur se mit à saigner. Ma petite fille ? Ah, ah ! La mémoire de mon fils ne peut se voir être entachée par de telles suppositions Abigael ! Ma petite flle ! —C’est précisément ce qu’elle est, John ! Vous avez refusé d’embrasser votre belle-fille et vous m’avez privé de mon fils, de sa femme et de leur enfant ! Elle est tout ce qu’il reste de votre fils, John et il est de votre devoir de l’admettre une bonne fois pour toute !January n’a pas à souffrir de votre cruauté sans borgne ! » Un long silence survint pendant lequel je pleurais mon infortune.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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