Amant du Chocolat

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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L’AMANT DU CHOCOLAT [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Disciple des Orphelins Erotisme d’un Bandit Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Œil de la Nuit Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Tristesse d’un Volcan Ventre du Loup Vices du Ciel Villes des Revenants

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MEL ESPELLE

L’AMANT DU CHOCOLAT

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Polymnie

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1

Gemma lui dit qu’elle se chargerait des commandes ; pourtant ne disait-elle pas qu’elle croulait sous le travail ? Cela la faisait sortir de ses gongs à notre Betty. Elle ne lui demandait jamais rien et voilà que Gemma se ruait sur le devant la scène. Ennuyeux. Dans deux mois Gemma obtiendrait son diplôme de psychologie à l’université de Londres et elle signerait avec un cabinet médical situé entre Belgravia et Chelsea. Elle ne s’ennuierait pas la garce car dans ses patients l’on nommait des personnalités politiques, du show biz et du milieu du sport. Cela fait combien par mois ? Gemma ne répondait jamais aux questions de fric ; elle n’en avait jamais manqué et n’en manquerait jamais. Derrière le comptoir, Bettina ôta son chapeau melon chiné à Kensington pour seulement 12 livres sterling. La reine du Vintage, Queen’s Vintage ! Ainsi ce sobriquet des années à l’université lui collait à la peau. De la tête aux pieds Bettina ne portait que la vieille sape des années 50 dont elle raffolait tout particulièrement. L’une blonde, l’autre brune ; excentrique et preppy. Une vraie petite fille modèle et ça se sape en Burburry. Ridicule, vraiment ridicule, se dit Betty accoudé au desk. Gemma au Magnétisme singulier, une rivale pour toute femme qui se respecte un tant soit peu. Grand sourire, mine superbe et électrisant regard. « Bee tu sais tu ne devrais pas te prendre la tête avec la librairie. Tu auras tout fait pour la maintenir à flot mais la procédure judiciaire risque d’être longue

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et de te mettre sur la paille. Tu sais rares sont les établissements qui survivent à un redressement fiscal et toutes nos pétitions n’ont rien donnés mais…ne baisses pas les bras ma chérie, tu trouveras à te reconvertir. Tu es héroïque et tu devrais réfléchir à après. Tu y as déjà pensé n’est-ce pas ? —Pas vraiment. Cette librairie appartient à mon père et avant lui au père de son père. Ce bien est dans la famille depuis… —L’ère victorienne. Achetée en 1876, par Sir Oliver Baxter pour sa fille Elisabeth. Qui dans le quartier ne connait pas l’histoire de cette ascension sociale ? Parce que cela en est une, une famille de roturier hissé au rang de la prairie après de glorieux faits militaires dans les Indes. Elisabeth après sa noce avec Jay Worth a tenu à conserver ce bien. Il y a eu de nombreuses évolutions avant la forme définitive de cet endroit mais le charme est resté le mal. Ces mêmes teintures, ces mêmes appliques murales, ces vieux tapis, toute ces antiquités…certains de nos clients viennent de très loin pour découvrir le lieu décrit par Sir Frederick Worth-Grant lors de ses mémoires. Elle est décrite plus de six fois dans son livre Memory of Time. Ce lien bien que mythique sera rasé pour faire place à un Starbuck’s quelque peu plus rentable avec ces tables remplies de PC en connexion Wi-fi. —Il y a plein de cartons à ouvrir Gemma. Les derniers arrivages et comme Gigi a annoncé avoir du retard tu pourrais t’y coller ». Déballer. Elle détestait faire cela. L’entresol, la pénombre et l’absence de compagnie. Non Gemma restait une femme de lumière, un papillon désirant étendre ses frêles ailes sur le monde. Sa reconversion, oui, Bee y avait pensé car telle était sa destinée : vaincre ou mourir ; elle avait choisi la mort. Le portrait de ses aïeux la fixait : Elisabeth Worth si heureuse au milieu de ses livres. Le corset serrait sa taille au point de la rendre presque rigide comme le métal. Sale époque, pensa Bettina, le thé au jasmin prenant le temps de s’infuser. Une féministe avant l’heure condamnée à porter ce redoutable corset pour

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coller aux codes vestimentaires de son époque. Le Sun affichait sur sa une les diverses préoccupations des britanniques : la politique, le sport et ses vedettes ; les déboires sentimentaux de telles célébrités nationales et…la porte s’ouvrit sur Marcus Weinberg. Sortait-il d’un de ces photographies en noir et blanc accrochées sur ce mur de velours cramoisi ? On pouvait s’y méprendre. Grand col cassé et mouchoir enroulé autour du cou ; cheveux retenus par un catogan et costume trois-pièces gris à rayures — du sur-mesure taillé chez un couturier italien de bonne réputation — et les souliers de cuir valaient à elles seules le salaire mensuel de Bee. « Bonjour, je peux vous renseigner ? » Il ne répondit pas, avançant ou plutôt glissant sur le parquet vieux de cent ans ; ses souliers à semelles de clous résonnaient et le son si particulier déconcentra Bettina. La bouche entrouverte elle le suivit des yeux. Il disparut derrière la colonne, un vieux livre à la main. Dickens, édition de 1907, une antiquité pour reprendre les termes de Bettina. Il le feuilletait du bout de ses mitaines. L’index léché il poursuivit remarquant certaines pages encore reliées entre elles par la colle. « Combien pour ce livre ? —Le prix figure sur le dos ». Le thé venait d’être infusé. La délicieuse odeur de jasmin lui emplit les poumons. Dans la bergère le chat angora Shakespeare ronflait couché sur le flanc, la pate posé sur son museau. Le chat de Bee, son seul ami depuis des années et pas des moindres : toujours heureux de lui et probablement le plus affectueux des matous de ce monde. Sous le Sun se trouvait une brochure vantant les charmes de tel ou tel endroit insolite du monde et page 4, Bee avait écorné la page. Les Saveurs du Chocolat. Bettina en salivait à l’avance. Remportez un voyage à Florence et venez découvrir le Palais de Palermo Di Vesci et ses milles saveurs. Bettina caressa la page glacée pour la énième fois. Florence. Un concours de cuisine offert à tous pour espérer jouir de la cuisine de ce Palacio niché sur les hauteurs de la Toscane ; un bijou d’architecture sans parler de

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ce fleuron de la gastronomie italienne. Le chocolat. Comment en parler sans déjà frémir de plaisir ? « Je suis navre de vous déranger mais il n’y pas de prix sur celui-ci ». Neal Burnes, édition 1923 : 123 livres. Marcus siffla ; pas étonnant qu’à ce prix-là les clients désertaient pareil établissement. « Nous avons aussi des nouveautés. Des éditions plus récentes pour les bourses plus modestes et plus ordinaires. Disons que ces ouvrages sont destinés à des collectionneurs pour qui l’authenticité n’a pas de prix. —Comment vous appelez-vous ? —Je vous demande pardon ? » Il fixait la quatrième de couverture sans même regarder Bettina. L’odeur de chèvrefeuille taquina l’odorat de Bee. Cela lui rappela les beignets de pomme de tante Sophie dans son cottage des Pays de Galles. Chauds et fondant sous la langue. Le chèvrefeuille parce que Sophie adorait en asperger sur le linge propre : les serviettes de table comme les torchons. Rassasiée elle tapotait la serviette sur ses lèvres. Délicieux souvenirs…Il leva enfin les yeux sur elle. « Votre nom quel est-il ? —Bee, tu savais que… Marcus, mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu viens d’arriver ? Je viens de commencer ma journée mais on peut se voir ce midi si tu veux. Je termine à treize heures. Euh…je manque à tous mes devoirs. Bee voici Marcus Weinberg, un grand collectionneur d’art. J’irai jusqu’à dire le plus grand de sa génération. Et Marcus voici mon employeur Bettina Grant-Durnham mon employeur ». Interdite Bee ne sut que dire. Gemma entretenait des milliers de relations parmi les gens de notoriété publique. Il manquait un armateur d’art pour compléter sa palette de relation personnelle ; un néodandy sentant le chèvrefeuille et portant le costume mieux que personne. For God shake ! Shakespeare ouvrit un œil, se redressa en s’étirant, fit le gros dos le poil hérissé et grimpa l’accoudoir pour aller s’installer devant la fenêtre. « Tu pourras te libérer ce midi ? J’ai des tas de choses à te raconter. Tu veux prendre ce livre. Il est à

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123 livres et tu les vaux vraiment. Cela te changera de ton Oscar Wilde et de ton George Brummel. Cet homme a plus de trois milles ouvrages dans sa bibliothèque mais il n’est jamais satisfait, tu peux croire cela Bee ? —C’est toi la spécialiste en psychologie. L’esprit humain t’a, il semblerait, toujours fasciné et si c’est un cas d’école a toi de l’analyser. Je vais me refaire de l’eau chaude, tu en veux ? Je suis derrière ». Et dans l’arrière boutique, Bee remit la théière sur le feu. Un souvenir de sa grand-mère ; celle qui cuisinait le chocolat dans ses casseroles en fonte, utilisé par les professionnels. Petite fille hissée sur la pointe des pieds elle étudiait Granny ; tant de savoirfaire, la maîtrise parfaite de la cuisine. Lécher les plats, c’est toujours l’activité des enfants, leur apanage. « Bee, Gigi vient d’arriver alors je m’absente une heure ou deux d’accord ? ». Jay apparut dans l’encorbellement de la porte. « Gemma aurait encore fait des ravages dis-moi, celui-ci est…la réponse à ses questions. Il est bel homme, il a de l’argent et un nom. Tout ce qu’il lui faut comme carte de visite. Au moins on ne va pas l’entendre pendant une heure. Fais-moi l’un de tes merveilleux thés à la cannelle et au poivre. As-tu rapporté tes délicieux chocolats ? Ceux qui feraient croire en Dieu et en la Vierge. —Bien-sûr, c’est prêt à l’emploi. Tu sais où les trouver. Je vais m’inscrire au concours et je sais que je peux y arriver. Le tout est d’y croire. —Oh oui je te vois déjà en Toscane à déguster ton chocolat en ne pensant à rien d’autre car ton orgasme culinaire. Tu pourras aussi faire connaître la librairie au jury et brader tes livres en espérant que la chance soit de notre côté. Demain on installe la déco de Noël, ça va nous changer les idées et ensuite je t’ai réservé une surprise. Tu ne peux rester toutes tes soirées derrière tes fourneaux. —Si tu penses vouloir encore me sortir… ». La veille, elle s’était imprégnée de l’atmosphère de Regent Park : les coureurs, les nurses poussant les jeunes enfants dont elles avaient la charge, les oiseaux

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picorant devant les bancs, les feuilles encore chargées de gouttes de pluie ; au loin Big Ben se faisait entendre, à moins que ce ne fut la cathédrale Saint Paul. Là sur le banc, le trench sur ses rondes épaules, Bee jalousait le bonheur de ses semblables. Les filles affichaient ce méprisant sourire. Les pigeons partirent dans un claquement d’ailes. Il faisait froid ; peut-être bientôt la neige ? Bee tapota sur ses mains pour les réchauffer. Qu’attendait-elle ici ? Un signe divin ? Un volatile s’approcha d’elle en roucoulant ; quelques pas à droite, puis à gauche, ce même dodelinement du poitrail. Même les pigeons ont l’air heureux. Un couple passa devant elle et s’installèrent sur le banc à sa droite. Elle sentait la bergamote, lui le patchouli. Le mois dernier Bee s’était posée sur le banc d’en face et pendant plus d’une heure elle étudia les couples les uns après les autres pour connaître le secret de leur amour. Vini, vidi, vici, s’était-elle dite en les regardant s’embrasser. Devant ses fourneaux elle y pensait souvent. Suis-je différente des autres ? « Tu es trop psychorigide » Gemma la voyait ainsi. Toujours ses grands termes pour désigner peu de choses. Et en amour ? Décrirait-elle l’orgasme comme un algorithme, une variante à deux inconnus ou bien trouverait-elle des mots simples ? Félicité, essence, entêtement. Oh non, Gemma connaissait plus de mille mots issus d’un répertoire spécifique à sa profession mais aucun mot pour désigner l’amour, elle qui l’avait si souvent côtoyé. Etait-ce ainsi pour tous les individus se tenant là par la main, se mordillant le lobe, se léchant le visage ? Pour savoir Bettina se rendit dans un club libertin, le Pacha et dans son alcôve descendit son Martini Gin dans l’attente du déclic. Et la voici de nouveau sur son banc. « Où veux-tu m’emmener ? » Le 23 novembre dernier, Bee marcha jusqu’à Hyde Park quand la pluie torrentielle la contraignit à trouver refuge dans un salon de thé : le Neptune, à l’âme baroque, un vestige du 18ème siècle. Période charnière entre le Siècle des Lumières et le monde contemporain ; il avait vu naitre de grands génies tel que Mozart et Vivaldi et puis de

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grands philosophes à la plume acerbe comme Diderot, Voltaire, Alembert. Que la musique était douce et parfaitement exécutée... « Puissé-je vous demander votre dernière spécialité ? » Le serveur partit dans un long monologue sur la dernière trouvaille du chef cuisinier ; ah bon, un vrai chef cuistot ? Piquée de curiosité, Bee commanda le chocolat à la Mode d’Antigua avec son sucre roux, son rhum, vanille, écorce d’orange. Un délice pour le palais. De son côté Marcus Weinberg ne savait comment l’aborder. Depuis le début il l’avait entendu s’exprimer sur le chocolat. Pouvait-on être passionnée à ce point ? « Non je m’intéresse à l’art culinaire dans toute sa splendeur. J’ai lu quelque part que l’odeur est vectrice de souvenir et je ne veux pas cesser de me souvenir. Je suis une nostalgique comme certains aiment se complaindre de leur morne existence. A ma naissance je suis tombée dans une énorme marmite pleine de bonnes choses à déguster et aussitôt j’ai trouvé la vie plus qu’appétissante, sensuelle et savoureuse. Ma mère a du se consoler d’avoir une enfant goûte-à-tout et incapable de réfréner son débordant appétit pour les éléments de la table. —Alors j’ai à faire à une épicurienne. Et notre épicurienne a-t-elle un nom ? Je peux vous offrir un autre chocolat ? » Sa main frôla l’épaule de Bettina et il éprouva une forme d’entêtement, une sorte de félicité proche de l’évanescence. Et puis ce regard…A ses yeux, elle était la huitième merveille de ce monde, son Hélène de Troie arrachée des mains de son époux, cette Juliette follement éprise de ce Montaigu ; il la voulut pour lui seul et ce, jusqu’à la nuit des temps. Sa bouche mutine, un rien boudeur. Cette inconnue serait sa muse, sa Polymnie et les yeux sur ses lèvres, se pencha à son oreille. « Il me semble vous connaître. Est-ce possible qu’on se soit déjà rencontré ? Le nom de Beth Hurt Gough vous dit-il quelque chose ? Ou bien celui d’Alec Lloyd ? Jay McCowen alors ? Non ? Norman Leonard ? —Qui sont tous ces gens ?

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—Des poètes. J’appartiens à un cercle ayant pour nom Dante, un endroit merveilleux où l’on apprend à regarder, sentir, savourer les mots comme vous le faites avec les ingrédients composant vos plats. Nous aimons nous réunir le mardi et le premier mardi de chaque mois nous invitons les illustres dames de Londres pour lire nos textes. —Vraiment ? Un cercle de poésie ? Cela existe-t-il encore ? Mon aïeule en écrivait pour passer le temps, d’excellents textes chargés de Magique mais à part les siens, je dois dire que je n’entends rien à de telles notes souvent je trouve que les vers manquent de piquant, de saveur et auraient besoin d’être relevés par quelques épices jetés par-ci par-là. —Votre aïeule devait avoir du goût. Il est difficile de faire chanter les mots, leur donner de la passion. Je l’iMagine vous ressemblant avec ce je ne sais quoi de mystérieux ; un regard électrisant et une soif de vie. Le cercle vit le jour en 1859 par un certain Nathaniel Worth. —Vraiment ? » Son cœur s’emballa. Nathan n’était autre que le beau-frère d’Elisabeth Grant. « Connaissez-vous ce nom ? —Non ! En fait si ! Je connais la belle-sœur de ce dernier, Elisabeth Worth-Grant, épouse d’Herbert Grant. Son père tenait une librairie à l’endroit même où vous vous tenez et c’est un endroit…chargé d’histoires ». Alors il sortit de son portefeuille une photo. Bettina tomba des nues en reconnaissant là son aïeule Elisabeth Grant. Quel âge ? Peut-être seize, ou dix-huit, tout au plus. Diable, que faisait-elle enfermée dans cette pochette de cuir véritable. Elisabeth semblait comblée et derrière elle se tenait un inconnu, étriqué dans son costume noir et sombre comme les rideaux derrière eux. Un collier de barbe entourait son visage aux joues creuses. Bel homme, cela allait s’en dire : cheveux ondoyant sur le côté et regard ténébreux. Un apollon sortit de la mythologie acceptant l’immortalité par ce cliché. « Elle est Magnifique…vraiment Magnifique.

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—Ce sont Elisabeth Grant et Harold Llyod. Ils vivaient dans la même rue et partageaient la même passion pour les livres. J’ai grandi avec cette photo trouvée dans un vieux bouquin appartenant à ma mère. Le livre est signé de la main de sir Alec Gorell-Barnes, mon aïeul et contemporain de cette charmante Elisabeth Grant ». Gorell-Barnes ? Cela me dit quelque chose mais j’ignore quoi, pensa Bee en salivant à la vue de son troisième chocolat recouvert de chantilly et de noix de pécan. Elle goûta avant de faire goûter à Marcus. Il en eut sur sa moustache. Afin de ne rien perdre, elle l’ôta de son index pour le porter à sa bouche. Après le chocolat elle réfléchirait à tout cela. Hum, c’était si délicieux ! Un feu d’artifice de saveurs. « C’est étrange. —Quoi donc ? » Elisabeth Grant avait l’air si… contemporaine. Un angélique visage emprunt d’une grande sensualité. Pas étonnant que cet étranger est fantasmé sur pareil portrait. La crinoline s’étalait sur tout le bas de la photographie et apportait volupté et un côté vaporeux en raison de la mousseline à moins que cela ne fut de l’organdi. « Qu’est-ce que ce Gorell-Banes a fait de bien dans sa vie ? Est-il possible qu’il est marqué son époque d’une quelconque façon ? —Non, c’était un vulgaire notable coincé dans ses livres. Il manifestait énormément de respect pour Elisabeth Worth bien avant qu’elle ne devienne Mrs Worth-Grant. Pendant des années ils se sont écrits, une très longue correspondance dont ma famille a gardé la trace de leurs mémoires. —Passionnant. Et étaient-ils amants ? —Non mais Elisabeth et Alec entretenait une liaison. Cela dura plusieurs années jusqu’au décès de ce dernier à vrai dire. —Comment pouvez-vous affirmer de telles choses ? Elisabeth Grant était une femme rangée, respectable et bien sous tout rapport ! Elle aimait son époux à qui elle a donné trois fils et je ne peux pas croire que vous

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vous intéressiez à de telles histoires. C’est absurde ! Je dois y aller. Merci pour le chocolat ». Il la retint par la manche. « Bettina notre rencontre ne tient pas du hasard. Je vous observe depuis longtemps déjà et je sais que vous vous appelez Baxter du nom de Frederick le fils illégitime d’Harold Llyod et… —Ecoutez, j’en ai assez entendu pour aujourd’hui. Au revoir, monsieur ! ». Et George la sentit distante sans en connaître la raison. Il ne prétendait pas savoir pourquoi. Il se régalait avec les gâteaux de Bee. Ces noix de pécan et cette cannelle ! Il en ronronnait de plaisir. « Tu te surpasse ma Bee-chérie, tout simplement divin…un enchantement, que dire ? Le paradis sur terre a un nom : Bee Baxter et ces merveilleuses pâtisseries. Fais ce concours et tous les autres parce que tu as un réel talent. A quoi penses-tu ? Tu as le regard des mauvais jours. Bee ? —Comment réagirais-tu si demain on t’annonçait que tout c’auquel tu crois n’est qu’un mensonge ? Je veux dire, a-t-on la certitude de vivre dans la vérité ? Ne se lève-t-on pas un jour en découvrant n’avoir fait que rêver ? Un peu comme cette Alice de Lewis Carroll. Je suppose que tu as déjà vécu cela toi, prends conscience que toutes les fondations de ta demeure ne reposeraient que sur du sable mouvant et là Pfff, tu te retrouves nu, débarrassé à jamais de cette enveloppe protectrice que sont les illusions. —As-tu seulement poursuivi le lapin avec sa montre gousset ? On finit toujours pas se réveiller Bee. C’est douloureux et quand on vit cette expérience on déguste véritablement. J’assimile cela à une renaissance. —Une renaissance ? » Derrière les grelots de la porte se firent entendre. Shakespeare vint se frotter à la jambe de sa maîtresse et la queue en panache disparut sous la table oubliant de cacher cet imposant artifice. Hugh Livingston se retourna vers Bee tenant d’une main son

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gant de cuir et de l’autre, un petit recueil de poèmes à couverture rouge. « Salut, euh…je traînais dans le coin et j’ai eu l’idée de passer saluer de vieux amis ! Comment vas-tu Bee ? —Comme quelqu’un qui va se faire arracher un membre. Tu veux du gâteau, j’en ai ramené ? C’était comment ta soirée de charité ? La presse en parle un peu et c’est bien ce que vous faites, mais cela ne sera malheureusement jamais suffisant. Le problème doit être traité à la base et tant que personne ne prendra le taureau par les cornes, tous vos beaux efforts se résumeront au vent dans le désert de Gobi. —Tu as toujours des avis bien arrêté c’est pour ça qu’on t’aime Bee. Je suis navré pour ta librairie. George n’est pas là ? Je peux ? » De nouveau seule Bettina attrapa son châle de cachemire pour le jeter sur ses épaules. Par des soucis d’économie on n’allumait pas le chauffage. La tapisserie, les lourds rideaux de velours devaient faire le reste ; parfois on mettait les bûches dans le feu prenant le risque de voir fumer la vieille cheminée ; l’humidité restait un fléau et puis la fluctuation du marché immobilier gonflait le prix du m² rendant impossible l’établissement de petites boutiques comme cette librairie. Depuis longtemps Bee renonça à son salaire ; payer ses deux employés lui coutait un bras, voire les quatre membres et il ne lui restait plus rien pour vivre. Etant donné le nombre réduit de clients elle pouvait se contenter de George pour l’aider. Il était là depuis toujours, un fossile, un ancêtre ; se vantant de connaître tous les habitants du quartier, ayant vu grandir les adolescents du coin et puis Bettina l’appréciait trop. Elle ne pouvait plus en dire autant de cette Gemma, ah ça non ! Quel était donc l’origine de leur mésentente ? Tout le monde aimait Gemma, la reine du bal et les clients poussant la porte venaient tous au nom de Gemma, voulait voir Gemma, déjeuner avec Gemma ; certains envoyaient même des fleurs, des pâtes de fruits, des amandes enrobés et du chocolat…Elles auraient pu devenir les

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meilleurs amies du monde mais Bee était une solitaire. Une ours mal léchée pour reprendre ses termes. « Tes cookies sont délicieux. Tu sais si jamais tu rentrais à Buckingham comme pâtissière il est fort possible que la Reine fasse le choix de t’enfermer à jamais dans la Tour de Londres comme joyau de la Couronne. Tu as un réel talent. Vendre des pâtisseries avec tes bouquins, cela pourrait fonctionner. Certains salons de thé le font et les clients raffolent de ce genre de concept. Ce recueil est pour Gemma. Elle me l’avait prêté. Elle n’est pas encore arrivée ? —Elle est sortit prendre un café avec l’une de ses relations. Connaissant ses goûts, elle doit être chez Sophie. Laisse-le sur la console… ». Il enfila ses gants. Bee plongée sur l’écran du PC dissimulé sous la console ne le regardait même pas. Divergence d’opinion. Et puis flirter avec l’ex de Gemma, vraiment pathétique ; à moins de crever la dalle. Il revint sur le comptoir, toussota pour s’éclaircir la voix et quand elle le regarda il se lança : « Ma grand-mère vient passer le week-end à Londres et j’aimerai trouver un bouquin dans les nouveautés ». Beetina retourna à son écran. Billet d’avion pour Florence, compagnie Easy Jet : 53 euros. Et en livres sterling, s’il vous plait ? « As-tu pensé au dernier d’Annna Moretti, Saveurs des Etés Solitaires ? —Non trop trash, certaines scènes laissent à désirer. —Un Jour Je Vous Ai Aimé de Paul E. Savary ? —Déjà vu, il n’amène rien d’original par une plume trop conservatrice. Elle n’aimera pas, c’est peine perdue. —La Nurse Insolente, un petit bijou et mon coup de cœur du mois et… —Le style de Carl Klein….c’est un peu déroutant. Je n’ai apprécié ni le début ni la fin. Avez-vous reçu le dernier de Martha Kiesinger ? —Tu dis ne pas aimé La Nurse Insolente et tu veux du Martha Keisinger ? Tu es paradoxal Hugh, tu le sais. Non, c’est en commande pour seulement trois

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exemplaires dont deux sont déjà réservés. Je peux te réserver le troisième si tu veux ? —Qu’est-ce que tu regardes sur ton écran ? » Son regard à lui seul le défia de se pencher audessus du meuble et violer ainsi son intimité. Easy Jet restait Low cost par principe mais les conditions de vol ne l’enthousiasmaient guère. Et puis si elle devait partir aux USA après les fêtes, il lui vaudrait économiser pour son billet. A combien celui-là déjà ? 300 dollars !! Il lui faudrait vendre un vieux candélabre sur Ebay. « A quoi elle ressemble ta grand-mère ? —Tu l’as déjà, Bee. —Je n’en ai pas le souvenir. —Pas le souvenir ? Vous avez discuté pendant plus d’une heure sur le style de Virgil Hamill, Christian Paul et Sacha Bohman et tu me dis ne pas te souvenir d’elle ? » Bettina ferma la fenêtre sur Google son moteur de recherche favori quand elle tomba sur celle de Gemma. Cette bécasse avait oublié de refermer sa boîte-mail. Le dernier message parlait de…elle se pencha pour mieux le lire après avoir lâché un : « excuses-moi » à Hugh des plus décontenancés. Elle se fichait de lui. A présent il en avait la certitude. Il enfila son gant quand George apparut en se caressant le ventre et les reins. Son rituel du matin : prendre son café en lisant l’actu. « Elle s’occupe de toi ? Bee, je suis en bas pour finir avec la livraison. Si Mrs Carter arrive pour sa commande, appelles-moi ». George comme Gemma comptaient de fidèles clients parmi les résidents de Notting Hill. Bettina : aucun. Personne n’entrait pour la réclamer. Excepté les officiers administratifs pour lui remettre un pli concernant les impayés. Il y a six ans de cela, elle avait remercié le comptable. Trop cher ! A présent elle s’en mordait les doigts. Père, un peu artiste sur le retour lui affirmait la chose suivante : « Tu es bonne gestionnaire, alors tu n’auras aucun problème avec le

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Treasury ». Et vouloir sans penser c’était manquer de pragmatisme. Gemme le lui avait souvent répété. « Les Nuits de La Petite Voleuse , de Sir Paulus McLeod. —Je ne connais pas ». Sans un sourire, Bettina se pencha, ramassa le ditlivre et le tendis à son interlocuteur. Un marque-page figurait à la page 234 ce qui expliquait que Bettina y était plongée. Six autres livres attendaient leur critique avant d’être proposés à la clientèle. Hugh lit la quatrième de couverture. « Oui cela peut se lire. Douze livres c’est ça ? » Il fouilla dans la poche de son manteau tout en survolant deux ou trois pages. « Qu’en as-tu pensé ? —Je ne comprends rien au genre humain alors ce n’est pas à moi qu’il faut demander cela. Putain quelle salope ! Toi tu savais peut-être ? —Non. Quoi donc ? » Bettina le dévisagea. Entre eux c’était fini depuis quoi ? Quatre ans ? Et il collait Gemma comme un parasite un mollusque. Deux tentatives de reprise plus tard ils en étaient au même point, c’est-à-dire, mort. Jamais Bee ne pensa qu’il souffrit, venant d’un milieu social élevé, il n’exprimait guère ses sentiments au grand dam de Gemma rêvant encore d’un Roméo prêt à s’exécuter dans la mythique scène du balcon. « Elle a ouvert un site sur la librairie, viens voir ! » L’un à côté de l’autre, ils fixaient tous deux l’écran. Devanture de la librairie, son vieux bois peint en vert et sa vieille lanterne autrefois allumée au gaz de ville et aujourd’hui alimentée par une ampoulé LED économique. Les trois grandes fenêtres à guillotine noires au res-de- chaussée et les trois autres à l’étage ; tout ce lierre grimpant vers la toiture et cette porte rouge foncée typique de cette métropole. Une échoppe de carte postale. Elle avait fait ça bien la garce ! Photos de l’intérieur : espace de vente, étagères et tout le reste…pareil pour l’étage et son espace-lecture. Puis les photos du patriarche Oliver Grant du temps de sa splendeur. Aucune photo de

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Bettina. Heureusement encore ! Hugh ne regardait plus l’écran, concentré sur Bettina serra le pan de son châle contre sa poitrine. « Je trouve cela plutôt bien ». Bien ? « Tu manques cruellement d’objectivité. Elle a fait un site sans me concerter ! C’est un minimum non ? —Il n’est pas encore en ligne alors tu n’as pas à t’inquiéter. C’est une ébauche de site, cela ne l’engage à rien. Je prends le livre, tu me fais un papiercadeau ? » Où était le papier de soie ? Avec cette manie de tout ranger. Ca aussi elle lui dirait ! Ecoutes Gemma, cela ne peut plus durer. Pourquoi se mêlait-elle toujours des trucs qui ne la regardaient pas ? « Non, pas le rouge, elle a un certain âge. Prends plutôt le vert ». Et le bolduc, où était le bolduc ? « Tu ne scannes pas le livre avant, Betty ? —Douze livres, s’il te plait ». Rarement le surnom Betty sortait des lèvres de ses amis. C’était Bee et uniquement Bee. On avait essayé Beth, mais Bee revint. Alors pourquoi Betty ? Cela l’enrageait. Et puis ce Marcus…Elle pouvait affirmer qu’il l’avait suivi jusqu’ici, peut-être jusqu’à son domicile. Du temps pour réfléchir, elle en avait eu. Pas un pervers, juste quelqu’un qui veut savoir. Mrs Cumberbatch tapa au carreau de la fenêtre. « Salut ! Bonne journée Mrs Anna ! » Tous les jours elle passait et tous les jours la même vieille habitude, comme Bee celle d’ajouter de la noix de pécan dans son chocolat du matin. Shakespeare se frotta à la jambe de Livingston et ce dernier tendit la main pour une caresse. Les ronronnements du chat ici on en était habitués. Cette boule de poils blanche restait la mascotte du lieu. La porte s’ouvrit sur une Gemma des plus hilares suivit de son Weinberg. « Hugh, waouh tu es sur ton trente-et-un ! Tu connais déjà Marcus alors je ne vous présente pas. Tu as un rencard dis-moi ? N’est-il pas beau Bee ? Viens, j’ai à te parler deux petites minutes. Je peux te laisser Marcus, je fais au plus vite…ne bouge surtout pas ! »

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Cette façon usante d’interpeller Bee : n’est-ce pas Bee ? A chacune de ses phrases. Rasoir. Et de cela aussi elle lui en parlerait. « Je n’avais pas l’intention de vous ennuyer l’autre jour. Alors veuillez excuser ma maladresse. —Oh arrêtez votre char Judas ! Vous saviez parfaitement qui j’étais en rentrant dans ce salon de thé. Ce faux numéro de bon amateur de chocolat était fort touchant mais peu convaincant. Le héro de Simon Jon réagissait un peu comme vous. Tout sauf l’honnêteté et la clairvoyance. Quand il rencontre Ada Denis il est si lâche qu’il se ment à soi même alors on a un quiproquo des plus pathétiques. Peut-on gagner la confiance de l’autre en se mentant à soi même ? Commencez à lire Les Aurores Mensongers et ensuite savourez Mensonges et Complaisances du même auteur. Vous gagnerez ainsi en subtilité, je vous le garantis. —Je ne crois pas qu’Arthur sache ce qu’il faisait. —Tiens donc ? Et pourquoi selon vous ? —Il était arrogant. Cela c’est avéré être un grand problème pour cet antihéros. Persuadé de connaître les femmes il prit une sévère déculotté avec Paige avant de se casser les dents avec cette malicieuse Brianne. Jamais il ne s’est remis en question et en plein milieu des Aurores Mensongers il découvre qu’il a été manipulé par la société sous les traits de cette machiavélique Beth. Elle l’agite tant et si bien qu’il finit par perdre la raison. Le monde auquel il croie s’effondre dès lors qu’il y prend conscience de ses erreurs passées. C’est cela qui devrait vous faire réagir. —Simon Jon a publié deux versions des Aurores ; celle antérieure comprend deux chapitres de moins, ce qui était largement suffisamment mais face à la critique de sa maison d’édition et surtout celle de son cupide agent littéraire, il réécrivit une version que je juge plus mauvaise car moins spontané, plus grave et pour le coup d’une amère indigestion. Alors je suppose que vous défendez la cause de cet Arthur de la réédition ? Pour vendre Jon se sent obligé de coller

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aux désirs des bêta-lecteurs dont vous. On peut saluer au génie de son agent, Lee Ascot, un arriviste issu des quartiers populaires de notre cité ». Il la dévisagea, perdu dans ses pensées. Sur le comptoir trônait le recueil de Gemma, celui à couverture rouge. L’occasion lui fut donnée de l’inviter au café ; il ne le fit pas. Au hasard il ouvrit une page pour lire à voix haute : Chant Funeste qui livre mon cœur, Ardeur d’Oreste est-ce un si grand malheur ? Je m’appesantis sur ce bonheur, qui fait de moi un malheur ; O douce muse des temps obscurs quand tu n’étais que vierge pure. C’est simple mais assez efficace je dois dire. De qui est cette merveille ? —De Philomène de… —De Honfleur. J’aurai du m’en douter. « Que les canons se tiennent prêts, je ne souffre guère les morsures des rets ; Au loin Ulysse pleure sa Pénélope, qui elle pense à son Europe comme autant de larmes… » Il lut la suite dans sa tête et Bee de ne pas le lâcher des yeux. Ce poème semblait l’inspirer puisqu’il le lisait silencieusement en remuant les lèvres. Disparu derrière la colonne notre Bee le chercha des yeux. Il n’avait pas réagi à sa provocation : le traiter de lecteur-lambda, c’était minable il faut le reconnaître. Bécasse ! Imbécile ! Triple buse ! Bee se mordit la langue. Si Gemma l’avait entendue, les adjectifs comme : dantesque, pédante et déloyal auraient pu lui convenir. Et puis lui parler de ce Jon…Grotesque. Trois livres mis en réserve furent le prétexte pour quitter son comptoir et se diriger vers Weinberg profitant du bon éclairage de la fenêtre pour savourer Honfleur. « Si vous voulez du bon Honfleur, je peux vous parler de Bruissement Léger c’est une bonne mise en bouche bien que je ne m’y connaisse guère en poésie, laissant cet art à Gemma. Vous l’avez lu n’est-ce pas ? —Le lecteur lambda que je suis ne connaît pas toute son œuvre. Disons là en toute franchise : ma culture littéraire n’est pas aussi développée que la vôtre. Je m’incline car Simon Jon n’est pas un auteur facile à

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lire, le style est trop amphigourique, par moment insaisissable ; peu de mes relations se vantent de l’avoir lu jusqu’au bout. J’admire votre acharnement. —Je suis libraire. Il me faut lire l’Anus Mundi pour me faire une idée de ce qu’il faille lire et vendre. Il en va de ma réputation. —Bettina Worth-Grant. C’est bien là tout le problème. —Je vous demande pardon ? —Alors parlons un peu de l’excellent Le Manteau des Nymphes, de… —Olivia Harlan, parue en 1933. Oui je connais et ensuite ? —Parlons de cette héroïne Agatha. Dix-sept printemps au début de la narration et encore bien naïve. On ne peut lui en vouloir elle appartient à l’élite et le chaos de la société la place elle et sa famille dans une espèce de microcosme en marge des institutions et de tout le reste. Un jour Agatha découvre cette porte entre les deux mondes et quand elle l’ouvre elle se prend une claque. Cependant étant seule, désabusée et innocente à la façon d’un nouveau-né, elle n’est pas prête ; pas au point de voler de ses propres ailes. Le passage où elle découvre les étoiles est tout simplement Magnifique. J’ai découvert Harlan adolescent et Le Manteau des Nymphes fut pour moi une porte à l’émancipation. Agatha tout au long de sa quête d’initiation s’évertue à préserver la réputation de sa famille n’est-ce pas ? Vous en souvenez-vous ? Le passage du diner chez les Parker en est un parfait exemple. Ces gens épris d’eux-mêmes, réactionnaires et négationnistes pensent détruire, éradiquer les minables comme les Dorsen de la surface de la terre en pointant du doigt la légèreté de notre Agatha. Vous souvenez-vous de ce qu’il se passe ensuite ? Bettina faites appel à vos souvenirs. —Elle se suicide. —Non, bien avant cela. La scène du diner, Bettina». Le rire de Gemma la fit sursauter. « C’est stupide, on en reparlera après ». Large sourire, regard sourieur et Hugh marchant derrière elle tel un petit

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toutou. Un french poodle avec ses jolies boucles brunes dans lesquelles on y glisserait bien ses doigts pour leur aspect si soyeux. « Merci beaucoup d’avoir attendu et…tu as trouvé mon Honfleur ? Cela ne se lit pas, ça se délecte. —Oui je pensais la redécouvrir en commençant par Bruissement Léger. —Oh non pas celui-ci ! Jamais je ne te conseillerai quelque chose d’aussi peu abouti. C’est la période où Honfleur prenait toutes sortes de psychotropes et écrire sous ecstasy n’a jamais fait d’elle une Polymnie ». Notre Bettina se sentit harponnée vers l’arrière de la scène. Une brusque aspiration pour se retrouver devant sa théière. Non elle ne se souvenait plus du Manteau des Nymphes. Honte à moi, pensa-t-elle en fixant la calendrier punaisé sur le mur à tapisserie rayée grise et verte. Je me déteste, je me déteste, je me déteste ! Les grelots de la porte retentirent par deux fois et Gemma apparut au seuil de la porte, un livre de Miguel Perez-Mandola à la main, le tout nouveau Soleil d’Acier. « Je descends filer un coup de main à Gigi. —Tu sors avec lui ? » Les sourcils de Gemma prirent une expression circonflexe. Elle rêvait d’en faire un bon amant avant de lui suggérer de l’épouser. Bonjour, Adieu je vous aime ! Un navet littéraire édité à seulement 3.000 exemplaires : Gemma l’avait écrémé puis souligné divers passages du livre pour les lire à ses collègues : des scènes de sexe jugée trash par la critique, du mauvais goût et une plume approximative. L’écrivain, le jeune Niels Mortensen ne devait jamais s’en remettre. J’aurai souhaité n’avoir jamais écris pareille médiocrité, avoua-t-il à la presse et Gemma rit aux larmes en songeant à l’écrivain menacé, l’arme à la tempe, d’écrire pour son éditeur. Bee, elle soutenait l’idée qu’on puisse se planter. « Non, il décrit l’amour comme on décrirait une nuit de cuite. L’amour c’est la fusion entre deux corps et non pas un acte forcé ; et ce livre se veut abordable… »

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« Oui je crois que cela pourrait coller entre nous. Il est exactement comme Ben dans Crime sans Alibi. —Je ne connais pas Maret Dresdner. —Il faut vraiment que tu commences à lire de bons livres ». Drôle, pensa Bettina sans desserrer les lèvres. Bien souvent Bee refoulait des envies de meurtres qu’elle ne s’expliquait pas. « C’est quoi un bon livre pour toi ? Le Manteau des Nymphes , comment le trouves-tu ? —L’approche philosophique, très peu pour moi. Le côté humain, bouleversant et ce que l’auteur a voulu nous prouver reste très naïf. Cela manque un peu de nerf. Pourquoi ? Un client un peu farfelu te l’aurait réclamé ? Il n’est plus édité depuis des années et…tu es sûre que ça va toi ? » A l’heure du déjeuner Gemma quitta la librairie en quatrième vitesse. Déjeuner avec Marcus et tout sens de la fraternité s’envolait. Les lunettes au bout du nez Gigi la vit monter à bord d’une Lincoln noire. Toute la fin de matinée Gemma la passa au téléphone avec un dénomme Paddy, Curtis, Holly et Brad. Tous les midis, le même rituel : converser avec le monde entier. Des plus curieux il quitta sa place-forte pour observer la scène. « Bee ma chérie ! Le Vol des Grives, quelle année ? —En 1921 pour la première édition et 1935 pour la seconde. Pourquoi, tu ne le retrouves pas dans la base ? —Je fais travailler ta mémoire ma chérie pour le cas où ce maudit ordinateur viendrait à nous lâcher. Dans mon cas je stocke toutes les données dans ma petite caboche. Il y a plus de quarante ans de mémoire active ici, en tapotant son front dégarni. Tu n’es pas dans ton assiette, Bee. Tu me mets dans la confidence ou je trouve un moyen de t’arracher des aveux. —Harold Lloyd ? Ce nom t’évoque-t-il quelque chose ? —Evidemment. Tout le monde connait Sir Harold Llyod, répondit un jeune homme au visage émacié sortant de derrière les étagères d’ésotérisme. Tout le monde connait les vedettes de l’Ere victorienne, je ne

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parle de Madame Worth-Grant et de son ministre adoré, là je parle du député de la Chambre des Lords, appartenant au parti du Tory. Il a proposé de nombreuses réformes jamais abouties. Un mal pour un bien, voyons seulement d’un œil critique ce qu’il a apporté à son siècle. Rien. Je prends ce livre. Je n’ai pas trouvé le Tome 2. Faut-il le commander celui-là ? —L’étagère du bas. Il est classé entre Barbara Harris et Steve C. Hoffman. —Il a toujours vécu à Londres contrairement à son père, l’Amiral Lord Amos Lloyd. Planqué dans le richissime quartier de Kensington, le lieu de résidence de l’aristocratie britannique qui à cette époque n’avait rien d’une nécropole urbaine. Tous les grands seigneurs de ce monde aiment l’immortalité. Ils se font construire des mausolées pour y séjourner pour l’éternité, mais pas Harold Lloyd. Il a préféré se faire enterrer en Ecosse. C’était un type très compliqué, dur avec lui-même et constamment à la recherche de perfection. La perfection Bee, existe-t-elle ou bien estce une référence, un point de repère à atteindre ? » Il s’accouda sur la console et fixa notre libraire de ses yeux longs et en amande. Gigi lui indifférent au savoir de l’étudiant fixait l’écran du PC. « Il n’a jamais été marié, pas de petite amie connue ou dissimulée quelque part dans son musée. Sais-tu qu’il avait loué une chambre dans le coin ? Tu me fais un prix pour les bouquins ? Allez, sois cool Bee. Ce n’est pas comme si l’on ne se connaissait pas. Je te débarrasse de cette merde et tu devrais m’encourager à faire plus que te délester de Plaisir Mortel et de cette autre immondice nommée Cataplasme Solaire. Au cours de ces dernières semaines je dois être ton unique client n’est-ce pas ? George n’est pas de mon avis. Comment de ventes avez-vous enregistrés alors ? —Fais-lui une remise Bee qu’on en finisse. —Oh je n’aime guère ce ton. On bâcle la vente pour se libérer des potentiels clients, c’est très smart ça George.

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—Pas plus que tes insinuations concernant le travail de ta sœur pour maintenir le bateau à flots. —Oui depuis le temps que je lui dis qu’elle serait mieux derrière les fourneaux, mais elle refuse de m’écouter. C’est bien là ma Bee adorée et il n’existe qu’un mot pour la désigner : narcissique. Elle n’est pas ma jumelle pour rien. La petite sœur qu’il me faille protéger et chérir. N’est-ce pas là le rôle d’un grand frère ? Son navire prend l’eau de toute part et malgré mes recommandations, elle n’en fait qu’à sa tête. Alors je colmate les brèches pour ralentir l’inévitable dénouement. Je ne veux pas payer pour ces merdes ! Mets-les-moi à 12 £ car selon un récent sondage 15% des ventes viendraient de l’affection que l’on éprouve pour son libraire. C’est un peu comme les relations entre un thérapeute et le patient névrosé. Le rapport semble-t-il est le même. Sais-tu George que Bee a eu son premier orgasme culinaire en lisant Festin chez August ? Elle n’avait que 9 ans et la coquine a piqué le livre de Mrs Worth-Grant pour découvrir la queue d’écrivisse, les bananes Plantin, les pousses de bambou, les concombres, asperges et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un phallus. —D’accord pour 12£ et tu te casses ! » Il fouilla dans la poche de son long manteau de cachemire pour en sortir un portefeuille rose. Avec son côté androgyne beaucoup le prenait pour une femme aux traits fins et pour jeter davantage le trouble il portait ses cheveux longs jusque dans le cou. Elancé et fin, il dansait à la Royal Opera House pour un salaire journalier de 1500£. « Oh non, je n’ai que 9£ et pas un shilling de plus. Soit tu me fais crédit soit tu m’avances 3£. Tiens j’ai un billet pour me voir danser en pagne au Royal Opera. Donnes le à Gemma je sais qu’elle raffole de s’y rendre. Tiens George, ça c’est pour toi et ton petit ami. J’ai entendu dire que les homos adorent ce genre de show. Alors pour vous les meilleures places pour 3 heures de plaisir intense. —Prends-les et quand tu auras fini de les lire tu me les rapporteras.

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—Que tu es intraitable, dure en affaire. Rien d’étonnant à ce que ton commerce prenne l’eau. Enfin…Il parait que tu connais Marcus Weinberg. Le grand Weinberg. On s’est rencontré à New York l’année dernière. Il est descendu me voir au Metropolitan Opera et m’a remis sa carte en tant qu’imprésario. Ce mec est un Midas et je me suis sentie obligé de le présenter à Gemma, notre muse de la rhétorique. Ils forment un couple épatant tu ne trouves pas. Un peu de la lignée de Brunice et Allan dans Les Désirs de l’Insurrection, ton livre de chevet. —Tu l’as rencontré au MET et tu as jugé utile de ne pas m’en parler. Rien n’arrive au hasard dans ce monde. Tout obéit à des Lois physiques et je ne peux rien attendre qu’un homme qui aime Le Manteau des Nymphes. Te souviens-tu de la scène du diner chez les Parker? S’il te fallait la résumer qu’aurais-tu à dire ? —Un grand moment dans la vie d’une femme. Agatha est une novice en matière de sentiments. Un peu comme toi d’ailleurs. Elle connait le Kama Sutra de la première et dernière page mais ignore tous des perceptions. Surtout ne jamais se décourager, un jour tu ressentiras de vives émotions de ce côté-là de ton anatomie, déclara Ezra en désignant le ventre. Je ne parle pas de plaisirs culinaires mais bien de relations normales entre une femme et un homme. Jusqu’à là tu me suis ? Notre Agatha est vierge et lors de ce repas chez les Parker, elle sonde en profondeur le corps de son voisin de table, Pietr son mentor et là BOUM ! Explosion de sensations en plein repas. C’est marrant que tu parles de cela. Il se passe quoi dans ta vie en ce moment ? Toi non plus tu ne me racontes pas tout. S’ensuit alors le plus un conseil Bee ? Relis-le pour t’imprégner du contexte pour le jour où l’amour t’envahira ». Gigi s’en alla déjeuner. Les jumeaux Worth-Grant se fixèrent intensément. Il lui prit la main de sa sœur pour la porter à ses lèvres. Cette façon étrange de la regarder…Avait-il pitié ? Faisait-il preuve d’empathie à son égard ? Le rictus au coin des lèvres, Ezzy pensa à

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Bee et à sa maladresse toute légendaire pour les relations avec autrui. « Je dine avec du monde ce soir. Fais un crochet rapide par Soho on aura réservé une table chez Caroline. Mis à part mon agent et deux autres vedettes de Los Angeles, on pourra compter sur la présence de producteurs d’ici et d’ailleurs. Tu seras la bienvenue tu le sais et sans toi je me sens seul. Tu as arrêté la danse depuis ce stupide accident et tu es enfermée ici, au milieu de ce vieux cuir, ses étagères poussiéreuses et tu me fais penser à cette héroïne de Sucré, Salé. Comment s’appelait-elle déjà ? —Imogen. —Oui c’est exactement ça. Navrante héroïne partagée entre l’envie de fuir et celui de s’immoler par le feu. Une carpette. Imogen n’était qu’une carpette au milieu d’une pièce remplie de bibelots du genre foireattrapes. Je peux te consoler en disant que Weinberg s’intéresse à ta librairie. Il est sur le coup depuis qu’il est môme d’après ce qu’il raconte. Son arrière-grandpère aurait gardé dans sa collection de livres la trace d’un échange épistolaire entre notre aïeule Elisabeth et Sir Alec Weinberg. C’est amusant de penser qu’on est un lien avec cet armateur d’art. On peut parler d’une rencontre avec le troisième type. Il m’a dit qu’il chercherait à te contacter pour avoir des renseignements sur Elisabeth Worth-Grant. Tâches de te libérer pour ce soir ». Quand il fut parti, Bee surfa sur le web à la recherche du nom de Weinberg. Elle trouva des détails comme des sociétés de courtage, des galeries d’art à Londres, New York, Tokyo, Moscow, Sydney. Ouah ! Rien que cela. Des plus nerveuses Bettina songea à Gemma ayant rusé pour se faire remarquer de lui. « Que fait-on frère ce soir ? Voit-il toujours ces Américains férus d’art ? » Question pas si innocente que cela finalement. Ils passèrent la soirée ensemble et Shakespeare fut la seule distraction de notre apprentie cuisinière car entre ses ronronnements et ses allez-et-venues entre ses jambes Bee avait matière à la trouver géniale.

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« S’il n’était pas mon frère je crois que je le détesterai. Il vient de me comparer à cette ingénue Imogen, l’héroïne de Sucré, Salé. Je déteste ça quand il me prend de haut. Cette Imogen a eu une vie malheureuse, incapable de prendre les bonnes décisions. Je me souviens avoir pleuré de colère en lisant les dernières lignes de Graham. Pourquoi des Arias, ne peut-on pas écouter des opéras dans leur intégrité ? Puccini par exemple, on ne l’a pas écouté depuis des mois. Cela nous changera de ces allemands…Que dit-il de Lakmé ? Le Duo des Fleurs vaut à lui seul nous réconcilier avec le genre français. Oh Gigi pourquoi est-ce si difficile d’être soi-même ? Pourquoi la société nous dicte-t-elle la conduite à adoptée dans telle ou telle situation ? J’aimerai acquérir la désinvolture d’Ezra, lui qui revendique fermement appartenir à ces épicuriens en soif de vérité. —J’ai vécu de nombreuses vies avant d’arriver ici et cette ambiance de boudoir sied parfaitement à un vieux dandy de mon espèce ; pour rien au monde je retournerai à mes existences précédentes, une sorte de kaléidoscopes de portraits, de manières et d’isolement ; en des temps plus reculés j’ai côtoyés la Reine dans son intimité et Regent Park n’avait plus de secret pour moi. Les grands hommes me serraient la main avec désinvolture quand la respectabilité tentait à disparaître comme neige au soleil au sein de ce cercle très privé et méprisable, quand on se prend au jeu des convenances, j’ai tiré ma révérences pour ne pas me perdre dans toutes ces méandres offertes par la haute société. Si je fus élevé au rang de déité, le commun des mortels me sied le mieux. Quant à toi Bee, je ne connais aucune personne de mon entourage aussi loyale que toi. Ta sincérité est une arme contre toutes les agressions dont nous sommes victimes, j’entends par là l’oppression et la compétition dictées par le consumérisme et les modèles parfaits offerts par les médias. La littérature quant à elle continue à nous vendre des antihéros comme cette Imogen et c’est tant mieux ».

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Imogen. Pathétique comparaison. Sa mère seule aurait pu la comparer à cette héroïne désabusée mais par Ezra. Comme tous les midis, elle déjeuna de plats préparés la veille dont elle partageait l’ensemble avec ses employés. Par soucis d’esthétique Gemma mangeait en très petite quantité ou boudait les plats proposés par Bee, ce qui évidemment avait don de l’exaspérer. La porte s’ouvrit sur Malcom O’Buiter, un costaud à la barbe de trois jours. Il vivait dans le quartier ce Malcom, un squat à quelques pas en amont de la librairie. Lui, ses deux chiens et sa petite copine du moment vivaient ici depuis maintenant quatre ans et Bee les voyait comme des marginaux en soif d’aventure, des baroudeurs toujours à l’affut de destinations exotiques pour leur faire oublier le quotidien pluvieux de Londres. Et puis ses neveux, des tas de neveux, toute ethnie confondue passaient devant la vitrine en espérant voir Shakespeare allongé sur son coussin, les pattes arrière en l’air comme frappé par la mort. Indifférent aux sollicitations des gosses le chat dormait d’un sommeil de juste, la queue touffue battant parfois la mesure de la musique diffusée dans ce lieu de recueil. « Et me voici en présence de l’autre jumeau ! Je viens de croiser Ezra et il m’a dit de venir vous saluer, parce que je connais bien votre frère. Il nous arrive de prendre des verres ensemble et de refaire le monde. On peut se tutoyer ? J’ai connu la librairie du temps où ton père l’occupait et ton grand-père avant lui. Tu sais qui je suis n’est-ce pas ? A ce sourire, je vois que non. Je suis Malcom O’Buitler et ce qui me pousse à venir te voir c’est une affaire d’ordre professionnelle. J’adore ce lieu. J’ai grandi à deux pas et ton grandpère me laissait lire dans ce coin là-bas. Il fut pour moi un guide spirituel, un mentor tout comme son fils, ton père surnommé Little Buddha par mon ainé. J’ai lu dans la presse qu’ils comptent démolir ce bâtiment est en faire un Starbuck’s alors j’ai signé la pétition mais apparemment selon Gemma cela ne semble pas

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suffire. Alors si tu m’autorises, je peux lever une manifestation ». Cette petite peste de Gemma était décidément partout ! En plus d’être la reine du campus, l’Impératrice du quartier et l’ambassadrice de la librairie, elle visitait et hantait les consciences. On devrait écrire un livre sur elle ! Tiens l’écrivain Kit Bessler pourrait s’en charger ; son dernier roman A l’ombre des Titans tiré à 10.000 exemplaires parlait un peu de cela : un héro torturé par la névrose de toujours craindre de manquer quelque chose, un événement, une blague, une sortie ; cela pourrissait son quotidien car réduit finalement à ne plus rien réaliser. « Je ne crois pas qu’une manifestation change quoique se soit. —Quel pessimisme ! Tu dois être la plus défaitiste de toute l’Angleterre. Désolé de nuire à ton enthousiasme mais j’ai l’intention de saisir la presse et…oui c’est en quelque sorte une croisade, et nulle invitation pour en faire partie. Et puis c’est un peu grâce à moi que le blog de la librairie a vu le jour. Oui j’ai en toute modestie soumis l’idée à Ezra qui l’a glissé à l’oreille de notre charmante Gemma. D’ailleurs où est-elle ? » Pas de réponse du côté de Bee replongée sur l’écran de son PC. Et lui de tapoter sur la console de cette dernière pour attirer de nouveau l’attention de la libraire au look soigné car des Fifties. Alors elle l’interrogea du regard, celui qu’elle affichait quand les curieux dans le bus la dévisageaient de la tête aux pieds, se demandant à quel fan de série ils avaient à faire et lui de poser son regard vert et pénétrant sur les lèvres charnues et appétissantes de Bee. Il la trouvait Trendy, avec sa raie sur les côtés, sa chevelure noire et gominée et ses lèvres couleur cassis, fort contraste avec sa peau laiteuse. « Et qu’avez-vous décidé d’autres avec Gemma ? —Hey Georges, comment vas-tu? Ils échangèrent un check et une franche accolade. Je me dis à chaque fois qu’il faudrait qu’on descende te voir chez Sergio

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mais…ton homme fait-il toujours ses délicieux raviolis ? —Plus que jamais expert en ravioli ! Tu es toujours le bienvenu toi et ta dulcinée. Il faudra que vous passiez avant que la carte ne change. Il est question que ce qui faisait la renommée d’hier subisse quelques modifications afin d’attirer les critiques gastronomiques. Bee ma chérie, je sors cinq petites minutes, tu ne m’en veux pas ? —Non vas-y Gemma ne va pas tarder ». Déjà elle regrettait ses propos. La majorité d’hommes entrant réclamait Gemma, l’attendait et après une passionnante discussion repartait ravie ; qu’est-ce que Gemma avait de plus qu’elle ? Lentement elle finit son infusion, perdue dans ses pensées. Betina restait convaincue de n’être pas faite pour ce job. Elle aussi rêvait d’ouvrir son restaurant ! Mais avant Bee devait remporter ce concours pour être crédible et susciter l’intérêt des chefs gastronomiques du monde entier afin de se donner plus de chance à l’échelle nationale. « Qu’est-ce qui se vend en ce moment ? Les Noces de Mr. Salvador finira-t-il au pilon ? Et je vois que tu as mis un coup de cœur sur Nuits d’Ivresse du grand Jay Moore. J’ai dévoré l’Amant du Palier et je m’apprête à me lancer dans le dernier de Bianca Lee Potts : Summerside. Dis-moi ce que tes lecteurs te réclament. Ce sont les dernières commandes derrière toi ? Je peux ? » Il ne lui laissa pas le temps de répondre que déjà il examinait les livres sur leur tranche : Barbara Seinfield et son Nid d’Amour, le journaliste Paul Durand proposait Les Tribulations d’un Politicien à Kaboul ; par-là on trouvait Le Règne d’Elisabeth 1er par Sir Edward Furlong. La Revanche des Chiens Galopants de Simon Nixon. La sélection très hétéroclite renseigna Malcom qui tenant son menton du bout des doigts parcourait rapidement les livres avant d’arrêter son choix sur Baguettes et Foie Gras de Timothy Nurck. « Celui-là c’est un bijou de littérature. Ce type mériterait le prix Nobel pour avoir inventé ce concept de dégustation en ligne. J’aime quand les écrivains

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prennent soin de leurs lecteurs. Tous ses autres romans sont aussi excellents, à condition d’accepter lire plus de 400 pages ne parlant que gastronomie. Un coup de génie. Dans le même genre Paula Van Dam se démarque pas mal non plus en proposant Orgies Modernes. Dévoré en deux heures et je l’ai bien noté sur ton blog. First August en homMage à Billy Cooper j’iMagine et à son sixième roman, sortit il y a trois ans et qui lui a valu un prix. Pourquoi avoir choisi ce titre, c’est la question que je me pose ? —Et pourquoi pas ? Alors comme ça tu suis mon activité sur le web ? Comment as-tu trouvé ma chronique sur Pluie et Foudre de Schinkel et son interprétation cinématographique ? Je suppose que comme tous les autres tu as défendu le programme de la BBC. —Oui assez pathétique. Sache que toute ma vie je vais militer contre la déforestation, le massacre des bébés phoques en Antarctique et au gaspillage de la flotte en agriculture, mais lire pareil…merde c’est tout simplement aller contre mes opinions qui sont le gaspillage d’énergie, l’indifférence aux espèces peuplant notre monde et je ne parle pas seulement des humains ! Combien de temps cela t’a pris pour pondre cette merde ? Pourtant tu nous as habitués à mieux. Ta chronique sur L’Hirondelle n’est Pas Toujours à l’Heure ou Viva la Vida de Nanni Moretti. Un régal littéraire, on pourrait même parler d’orgasme. Tu as fait des tas d’excellentes critiques mais là on peut observer une paresse intellectuelle. Comment peux-tu t’attaquer à une institution aussi puissante que la télé ? BBC One en plus ! De la provocation gratuite et un débordement de matières fécales, un peu comme ce qu’on nous sert dans la littérature de Gordon Lee et Hayden Schmitt. —Bon et bien il n’y a rien à faire pour te voir soutenir mon association des bloggeurs en détresse. Tu devrais savoir que l’inspiration me vient sitôt la librairie fermée à clef. Comme si ce lieu renfermait tous les maux de la terre. Une boite de Pandore à elle seule. Eliot Duncan a un mot pour le définir.

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—Défécation, coupa-t-il prestement. Lui aussi connait l’art de chier dans les bottes de ses contemporains. Dans quelques années on aura oublié toutes ces horreurs pondues par Duncan. J’ai lu et relu Les Damnés et quand je te lis j’ai l’impression du néant de ton existence. Un vide incommensurable. —Je préférai l’idée de ma boite à Pandore. —Moi je crois que tu n’as rien à raconter. La librairie est cet équilibre qui te tient en vie et parce que cet équilibre menace de s’écrouler, tu prends alors conscience de la médiocrité de ton existence. Tu pourrais encore dormir cent ans, toi et ton royaume mais quelque chose te maintient éveillée. Cela pourrait être l’amour, ce que je doute fortement ; alors peutêtre une autre passion vibrante…Quelle est-elle ? Je finirai par le savoir Bettina. Sur ces bonnes paroles, je m’en fais…. Alors à une prochaine fois ». Une fois parti, Bee se dit qu’elle ne souhaitait pas le revoir. Il était si…arrogant ! Pour qui se prenait-il ? Vide incommensurable. Néant de son existence. Aucun ne croirait qu’il avait raison. Si Ezra avait été là il aurait applaudi, jubilant face à l’intuition de cet homme. Voilà une curieuse façon de mener un combat, se dit-elle en fermant la page web de son écran. Et à ce moment précis la porte s’ouvrit sur Gemma pendue à son téléphone suivit par Gigi, emmitouflé dans son manteau à col de fourrure et ce fut presque si Bettina regrettait sa solitude. La journée se passa comme toutes les autres : morne et ponctuée des ricanements de Gemma et Gigi. Ils se donnaient la réplique et dans son coin, une tasse d’infusion à la main, Bee lisait Deuxième Porte à Gauche de Lucius Morris. A 06/00 PM Gemma raccrocha le sourire aux lèvres. Oh que la vie est belle pour elle ! Une délicieuse naïade virevoltant d’un endroit à l’autre, sa longue chevelure dorée scintillante de mille feux, son regard pétillant et ses pommettes saillantes ; l’iMage même de la beauté diaphane décrite par les poètes de tout temps, maudits ou adulés du grand public.

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« J’ai un ami qui organise une soirée ce soir et on pourrait s’y rendre ensemble, tu en penses quoi ? Tu ne peux pas rester enfermée avec Shakespeare et les œuvres de Byron quand tu es séduisante et jeune. Carpe Diem Bee ! Beaucoup échangeraient ta place contre la leur, crois-moi. —Et pourquoi pas ? Si ce n’est qu’une histoire de concept. Je n’ai pas à sortir pour combler le vide de mon existence. Shakespeare et moi gardons nos mœurs dissipés et puis si tu parles de ton pote Malcom, il est passé me parler de ce blog. La librairie va fermer et ce n’est ni tes manifestations, ni tes pétitions qui changeront la course du vent. —Tu ne peux pas baisser les bras face ces enculés de promoteurs ! J’ignore si c’est le combat de David contre Goliath mais nous devons montrer les crocs et attaquer, c’est la moindre des choses ! Et puis ce blog c’était une surprise ! Gigi et moi voulions maintenir la chose la plus secrète possible. Un sourire aurait été plus appréciable après tout le monde qu’on s’est donné. Ce n’est pas grave…on aura essayé. Qu’est-ce que tu réponds pour ce soir ? » Dans la kitchenette ouvrit son livre de cuisine. Par moment l’envie de tout fiche en l’air la prenait. Shakespeare vint se frotter contre sa jambe et son réflexe fut celui de se pencher quand Gigi adossé contre le chambranle de la porte l’observait. « Quoi ? Toi aussi tu tiens à me pervertir ? —Oh non ! Tout le monde sait à Londres que tu fréquentes le club échangistes du Petit Boudoir et du Pompadour. Très distingués comme établissements, teintures murales cramoisies et rideaux de brocard, rien de tout cela n’est assez beau pour toi ; ni le champagne, ni les alcôves et les cariatides, les bougeoirs et les tapis d’orient. Comme je sais que tu t’éclates au milieu de ces inconnus je ne te prendrais pas en pitié même si cela doit contrarier tes plans. Tu ne m’en voudras pas si je sors une petite demi- heure, je dois aller chercher le cadeau de bienvenue pour Martin.

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—Juste une demi-heure Gigi ! Gemma, tu sais je mène l’existence que je veux et elle me convient tout à fait ! —C’est ce que tu dis. Tu as réussi à t’en convaincre. Je sors avec Gigi, tu ne m’en veux pas dis ! On va faire vite et ensuite tu pourrais me demander tout ce que tu veux, absolument tout ! » La porte d’entrée fermée, notre belle libraire le mug à la main derrière la baie vitrée pour suivre des yeux la course des passants. Ah quoi bon lutter, pensa-telle en enviant l’insouciance des jeunes longeant sa vitrine en s’agitant dans tous les sens. Déboires d’un ivrogne de Peter Cullen traînait sur le comptoir. Encore un livre à mettre en vitrine ; assez bien écrit et amusant à souhait, dépeignant les tribulations d’un ivrogne borgne et hypocondriaque, le genre de bouquin que l’on dévore en seulement deux petites heures. On y entrait aisément et les clifhangers à chaque fin de chapitre poussaient les lecteurs à vouloir savoir comment se comporterait cet anti-héro. Une fois que Gigi et Gemma reviendront, Bee fermera sa caisse, rangera la cuisine, sortira les poubelles et passera l’aspirateur. Il y avait un bon film ce soir à la télé : Diamants sur canapé avec la brillante et époustouflante Audrey Hepburn. Oui, Bee se ferait un plateau télé, se couchera de bonne heure après avoir lu Un été sur la Côte de Cecil Wharton et s’endormirait la tête dans ses oreillers de plumes. Derrière son comptoir, notre libraire jeta un œil sur son écran d’ordinateur. Pas de nouveaux mails. Elle jeta un œil sur la une du Times et soupira en y lisant les gros titres. Ma vie ressemble à cela, un déballage de petites chroniques sensées émouvoir tout le monde ; rien ne changeait véritablement, continuellement les mêmes récits avec d’autres acteurs dans une dimension dramatique, pensa Bee en expirant. On poussa la porte. Angus entra. Le voisin Angus. On ne le connaissait que sous ce nom : Angus. Grand, blond et ténébreux il aurait pu être ce héro viking dans les romans de Mikkelsen, un adorateur de Thor,

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puissant et invincible, buvant le sang de ses victimes dans de grandes cornes. Plus jeune, Bee avait dévoré Les Aventures de Mads, leGguerrier , Tome 1,2, 3, 4,5 et 6 ; de longues heures passées à naviguer sur des drakkars, partager le sort des guerriers scandinaves et régner en souveraine absolue sur ces terres arides, froides et hostiles à l’implantation de l’homme chrétien. Cet Angus avait ce quelque chose de très mikkelsonnien. « Bonsoir Bee. —Bonsoir Angus ! » Elle le suivit du regard. Lui travaillait dans le coin, passant de Mayfair à St James’s où il tenait une galerie d’art sur la King Street non loin de la Christie’s, connue pour ses salles de ventes internationales, un marchant d’art de la même lignée que celle de Marcus Weinberg ; en moins excentrique certes, mais grand armateur ceci dit ! Et puis très élégant ! Grand manteau de cachemire noir, foulard de soie enfoncé à l’intérieur d’une chemise à boutons de manchettes, costume taillé sur mesure et souliers de confection italienne. « Gemma est-elle là ? —Attendez ! Je vais la sortir de mon chapeau ! Un tour de passe-passe dont je maitrise les ficelles. Vous ne m’en croyez pas capable ? Abracadabra ! Et qu’apparaisse Gemma ! POUF ! Apparemment il n’y a pas de Gemma. Mais où peut-elle bien être ? Attendez j’ai ma petite idée. Hum…Elle doit être chez Antonio. Mais oui où avais-je la tête ? Elle y est descendue avec Gigi. Oui vos livres sont arrivés. Six livres. Vous réglerez comment ? —Par carte ». Il la dévisagea les sourcils froncés et sortis son portefeuille pour régler les livres soit 67.5 livres. Une American Express pour régler 70 livres ! Combien en commissions laissées sur cette transaction ? Mécaniquement Bee arracha le reçu et fit signer le propriétaire de la carte. « Comment ça va pour vous Bee ? Votre frère est venu me saluer ce matin et j’ai peut-être une solution à votre problème. Et Angus ôta ses lunettes écailles. Vous vous souvenez probablement de Sir Elliot Kinsinger ? C’est sans importance. Il s’avère que cet

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homme a entendu parler de votre librairies et compte promouvoir ce site lors d’un shooting. Disons qu’il est…sa famille possède plusieurs boutiques de luxe à St James et Gemma l’aurait déjà sollicité. Sans succès, jusqu’à ce votre frère intervienne. —Oui il a beaucoup de relations dans le coin. J’ai reçu le dernier livre de Prune Mogliari, La soif des Plaisirs. Vous intéresse-t-il ? J’ai aussi Marche sur Téhéran, de Liam O’Hara ? Côté français nous avons La nuit des Papillons Ivres, de Margaux Poillac, une révélation outre-manche ; Racontez-moi une histoire… de Charlotte Morel. Absolument charmant ! —Je ne vous sens pas emballée Bee. Qu’est-ce qui pose problème ? —Tout va bien Angus, merci de vous en inquiéter. En quoi consiste ce shooting ? Des modèles présentés sur des mannequins ? Uniquement sur des supports livres ? Vous savez c’est tout petit ici et j’avoue que tout cela me dépasse. J’ai l’impression d’être Adèle, l’héroïne de Sacha Page dans C’est promis j’arrête ! Oui je suis dans cet état-là. C’est difficile vous savez. —On pourrait en parler devant un bon verre, qu’en pensez-vous ? Allez, laissez-vous tenter ! On pourrait descendre à l’Athénien ? Ou l’on peut très bien manger français et y découvrir les trésors du terroir. D’ailleurs vous êtes toujours bercé dans le chocolat ? » Bee gloussa, le sourire aux lèvres. Plus que jamais ! « Ben alors c’est une excellente idée ! J’ai envie de vous voir saliver devant un excellent chocolat, cacao 80% et puis vous me ferez découvrir les confiseries suisses et belges. C’est moi qui régale d’accord ? Alors je passe dans vingt minutes et mettez-moi de côté La Soif des Plaisirs et Marche sur Téhéran, je pense que…allez, je me laisse séduire par la petite française, son style me plait et vous avez toujours Le Paradis des Martyrs ? Alors vous me le mettez aussi de côté. Et je prendrais aussi…celui de Marguerite Pierre. —La Ronde de nuit. Mais vous connaissant il ne vous plaira pas. Choisissez plutôt le déroutant Le Soleil de

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Neptune. Il vous laissera sans voix. Il n’a pas eu un bon accueil par la critique, mais je reste persuadé qu’il vaut la peine d’être découvert. C’est exactement le genre de livre qui va vous scotché par la richesse de la documentation. Tout comme vous l’auteur a étudié à la Sorbonne. —Ah encore une emmerdeuse ! Vous me l’ajouterai alors. Hum…sinon le dernier Sam Sanders ? Et je pensais également à Ulysse Fields pour l’offrir à une amie. N’importe lequel, je vous fais confiance. Alors disons maintenant (en regardant sa montre Breitling) quinze minutes…je file mais je reviens Bee. A toute de suite ma belle Bee ! » Il sortit pour faire place à James, un bel éphèbe brun à l’expression faciale joviale tenant par la laisse un bouledogue anglais répondant au nom d’Hermès. « Ce n’était pas Angus ? Si c’était lui ! » Derrière la baie vitrée il le suivit du regard, amusé par cette soudaine apparition. James McEllroy c’est un éditeur ayant pignon sur rue dans le riche quartier de Westminster ; il ne se tient jamais bien loin de Bee, sa petite Bee d’amour ! « Je sais ce que tu vas me dire mais il vient ici tous les jours et achète des bouquins toutes les semaines ! Je ne peux pas le traiter comme un lecteur lambda ! Je profite que tu sois là pour la dédicace de notre Austin Philips. Il vient demain et… ce mois-ci j’ai également celle de Mariz Fernandez, Aaron Livingston, Pier Denis et Hayden Lee Potts ! Leurs agents littéraires ont chacun des exigences pour leur poulain et toutes ne sont pas envisageables dans la mesure où l’espace est confinée ! —Bee ! Angus a une femme et des gosses ! C’est plus fort que toi, hein ? —Il vient là de son plein gré. Ce n’est pas moi qui vais le chercher dans sa galerie. Tu n’as pas entendu un piètre mot de ce que j’ai dit ! Alors je vais reformuler James : ne m’envoie plus d’écrivains compliqués et imbus de leur personne, notamment ces Amerloques. Jures que tu seras là demain et que tu ne nous laisseras pas seul avec tes persécuteurs !

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Austen sera là avec son agent et j’aime mieux qu’on m’ampute d’une jambe plutôt que de devoir converser avec son agent. —Hum…Je ne serai pas disponible pour 14h mais je peux t’envoyer Martha, spécialiste des relations publiques. Elle saura gérer les égos de nos artiste et je te l’accorde, ils ne sont pas faciles à traiter. Qu’astu pensé d’Elixir de Jouvence par exemple ? Je t’ai soumis le manuscrit la semaine dernière. L’as-tu terminé ? —Ne sacrifiez pas des arbres pour cette publication. Elixir de Jouvence c’est un peu le Tintamarre des Opprimés , d’ailleurs, en moins glauque certes mais il ne trouvera pas son public si tu le publie et la critique va te tomber dessus. Conclusion ne prend pas ce risque ou alors demande à ton auteur de modifier les chapitres 3, 5 et 8. C’est Leigh, n’est- ce pas ? J’ai toujours pensé qu’elle écrivait avec circonspection. Elle devrait cesser de suivre ses thérapies avec son merdeux de psy pour se concentrer sur le trafic de sentiments que l’on devrait trouver dans pareil roman. Leigh manque de maturité et je compare sa plume à celle de Martin Freeman. —Et le second Quand les Hirondelles s’en vont, devons-nous prendre le risque de le publier ? L’as-tu apprécié ? Bee ? —Ce n’est pas le genre de livres que j’achèterai ; j’ai fait lire un passage à George et il pense que les mots se succèdent comme un épileptique remue-ménage d’idée, c’est l’expression qu’il a employée. Il a le sens de la critique exacerbé quand il ne lit pas son Gareth B. Lowne. Si toutefois tu le publie il te faudra trouver de bons libraires pour le vendre et ici ce n’est pas Soho, le public reste un peu réticent à toute forme de nouveau courant littéraire. Oui je dois dire que c’est très novateur mais ton lectorat actuel risque de bouder ta newsletter. Dans cinq minutes je ferme, tu as d’autres manuscrits à me soumettre ? —J’en ai deux et peut-être un troisième. Je soumets Quand les Hirondelles et Elixir de jouvence à mon comité de lecture et dans moins de deux mots, nous

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aurons un avis favorable ou non. Tu vois quelqu’un en ce moment ? Tu n’as rien contre un bon resto ? Peutêtre pas ce soir mais…dans la semaine. Pourquoi pas après-demain, hum ? L’occasion pour moi de te soumettre les manuscrits. Bon Hermès et moi allons continuer notre ronde. Tu es très jolie, prends soin de toi ». Il baisa ses lèvres et partit remplacé par Gemma et George effectuant leur retour à 0656 et gloussant de concert. Ne peut-elle pas un jour tirer la tronche, pensa Bee, les mains dans ses cheveux qu’elle tira en arrière en une queue sage et disciplinée. « Je ne peux pas faire la fermeture Bee, mais je serais là à l’ouverture d’accord ? J’ai des tas de choses à faire alors…Gigi, tu es prêt ? On y va ? —Et bien Bee, je file, déclara ce dernier les bras autour des épaules de la belle. On se voit demain. J’aurais des tas de trucs à te raconter au sujet de Gemma. Tu vas vraiment te régaler. Allez, essayes de te reposer un peu ». Le réveil sonna. Fichtre ! Ce maudit réveil la tira de sa table garnie de bons mets : pâté en croûte, soupe et potages, entremets, hors d’œuvres ; un déballage de plats gastronomiques accompagnés de grands crus. Oui, Bee se voyait déjà être à Florence et remporter ce concours ! Les odeurs restèrent longtemps en mémoire et enfouie sous ses draps, appréciait ces odeurs, ces arômes n’osant sortir hors de son sanctuaire. « Debout lèves-toi ! » A côté d’elle une forme se mouvait et Bee la secoua énergiquement. « Dans moins d’une demi-heure j’ouvre le Magasin, alors déguerpis ! » L’étage était composé d’une vaste chambre à coucher très encombrée, d’une salle de bain très moderne et d’un salon face à deux autres chambres transformée en bureau et d’entrepôt rempli de cartons, de vieux tableaux rangés dans de grands cartons montés sur des roulettes ; partout de vieux rideaux lourds et cramoisis pendaient devant les fenêtres donnant sur une partie de Piccadilly. Cette

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absence d’ordre…Un vieux lustre posé à même le sol et que dire de ce fauteuil club éventré sur le dossier et recouvert d’un vulgaire plaid. Et puis la chambre de Bee tout comme la salle de bain se voulait moderne avec ses tableaux abstraits et ses objets, modestes copies d’œuvres issues de l’art contemporain. Pourtant Bettina conservait dans cette pièce les vieux souvenirs de la famille comme ce vieux vase chinois de la dynastie Yin et ce paravent provenant de l’époque victorienne représentant des motifs damassés au relief un peu effacé par le temps ; il y avait cette vieille cheminée dans laquelle Bee y stockait ses vieux livres. Une colonne de boites à chaussures, un valet rempli de linges et une armoire entrouverte pleine à craquer de fringues rétro. Bee se sentait bien ici, offrant de temps en temps à des amis en galère sa chambre d’amis comme piaule. Souvent son père venait ou bien la petite amie de ce dernier quand le couple subissait une trop dévorante passion. Lavée, habillée et coiffée Bee descendit au courrier. Rien de bien reluisant. Que des factures ! « EZZ ! » Ce dernier arriva en traînant les pieds, les cheveux épars et tombant sur ses yeux tirés en amande. Pourquoi crie-t-elle toujours ? Il avait la tête en vrac. « Tu peux me faire un café ? —Il y en a déjà ! Dans la cuisine. Tu es assez grand pour aller te servir. Et pour l’amour du ciel ! Mets un shorty ou autre chose, mais ne te ballade pas à poils dans cette espace ! EZZ ! Tu as entendu ce que je dis ? (elle le suivit dans la kitchenette) Je vais ouvrir dans moins de dix minutes et…tu ne respectes pas ce que je fais, ce que je suis ! —Oh pitié Bee, ne me saoule pas…Tu sais j’ai lu Le Rêve d’Icare et j’en ai cauchemardé toute la nuit. Je n’arrive pas à comprendre comment un pauvre type s’est défenestré par amour. Non mais c’est vrai quoi, quand on y pense c’est ringard ! Aujourd’hui plus personne ne se tue par amour. On se tue quand on a des dettes, quand on fume trop ou quand on perd le

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contrôle de son véhicule. Mais on ne se tue pas par amour. Toi tu le ferais ? —Dépêches-toi Ezz ! » Elle découvrit un courrier sans adresse où seulement figurait l’inscription pour : Mrs Worth Grant. Elle décacheta l’enveloppa au papier jauni et y découvrit des pages manuscrites dont en voici le contenu : « Il venait à la maison tous les jours et y restait plus de deux heures. Ma sœur Eugenia le fascinait, sitôt qu’elle ouvrait la bouche, il s’animait séduit par tant de grâce. Il ne voulait pas se l’avouer mais ce Magistrat en pinçait pour ma cadette, jolie comme un cœur et gaie comme un pinson. A son contact il n’était plus le même ; lui si peu loquace commençait à avoir de la conversation, bien qu’il bégayait, ma Jenny le trouvait charmant et ne tarissait pas d’éloges à son sujet. Ce vieux garçon de plus de quarante ans semblait avoir jeté son dévolu sur la cadette de ma famille. Un excellent parti, avait-on du lui dire ; mon père avait fait fortune en Inde en reprenant le commerce de son père quelque part sur le route de la soie. Mon frère suivait ses pas depuis deux ans et Mag rêvait de s’y rendre tout comme ma fille Rose convoitant elle aussi les palais des maharadjahs et les safaris au milieu des tigres. Quant à mon petit homme, Andrew il ne savait même pas où situer l’Inde sur une mappemonde. Sans la présence de mes enfants je n’aurais pas survécu à la perte de mon époux. Revenons à Herbert Grant s’il vous le voulait bien ! Il s’applique à faire la cour à Jenny qui rit de sa maladresse. Oh oui la chipie ! Elle rit à gorge déployée et la main sur le flanc le taquine sans cesse ; lui stoïque face à ses attaques ne répond rien et les lèvres pincées dans son bouc poivre-sel et son regard condescendant il a tôt fait de remettre Magg à sa place. Puis quand ils parlent de l’Inde je les laisse tous trois dans leur délire, parce que ma Rose aussi y

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participe, ce qui amuse énormément sa tante adorée. Il vient la voir tous les jours ; déjeune, dîne ou soupe avec nous et s’intéresse de près ou de loin aux affaires de la famille. Je sais ce qu’il pense de moi : il est partagé entre la piété et le mépris. Pitié pour mon récent veuvage et du mépris pour avoir fui et épousé l’homme que j’aimais. On ne me reçoit plus nulle part et dans les jardins d’enfants, les nourrices indignées me tournent le dos. Grand scandale ! Songez-y ! Nous sommes en 1875 et il n’est pas bon de défrayer les chroniques. Grant le sait et ne semble pas pressé de m’appeler : ma sœur. Il fuit son regard, répond à mes commentaires par un sourire et garde ses distances envers moi. De cela j’ai l’habitude et je ne lui en veux pas. J’ai appris à vivre avec et tant que Jenny est heureuse avec lui, cela contribue à faire de moi une femme satisfaite. De mon côté Mr Amish Gorell Barnes vient régulièrement me voir et sans Madame, naturellement. Il est persuadé que je finirai au couvent. Au couvent ! Ah, ah, ah ! Il me fait rire et quand nous ne sommes pas là à parler de littérature, on dévisse sur la politique et les autres grandes questions de l’Empire britannique. Il est cohérent dans ses propos et c’est un puits de sciences, cellules grises éminentes et sûr de lui comme tout membre de la gentry qui se respecte. Il dit que je suis infréquentable et pourtant il vient me voir aussitôt que l’occasion se présente et en public, sournoisement il vient me conter fleurette. Son incessante cour est devenue un jeu dont j’ai accepté les règles avec abnégation. Pour mon père, membre à la chambre des députés, aucun homme aussi censé soit-il refuserait de m’épouser ; alors la seule alternative qu’il me reste est celle de trouver un riche amant pour m’entretenir et je l’ai trouvé en la personne de Gorell Barnes. « Voyons Lily vous savez que nous ne sommes plus des enfants ! Venez avec moi à Biarritz, l’air de la mer vous ferez le plus grand bien. Et les Français sont si charmants. Au retour nous nous arrêterons à Paris.

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Vos toilettes sont quelques peu défraichies. Qu’est-ce qui vous préoccupe tant Mrs Worth ? » Il aimait me pousser dans mes retranchements ; c’était sa façon de faire, flatter mon égo et se rétracter aussitôt. Plus que jamais j’ai besoin d’argent, père me le reproche souvent bien que la famille n’en ait jamais manqué. Ma précieuse indépendance vint à me manquer, moi qui un peu bohème vit d’amour et de plumes ; pour quelques livres je vends des essais économiques à une revue très sérieuse de Londres. A côté de cela j’écris des romans sous le nom de plume : Alexander McLee ce qui me fait un petit revenu supplémentaire mais pas assez pour acheter un petit cottage dans l’Essex. Jay m’avait fait découvrir l’Essex et nous y avions passé des heures heureuses. Jenny l’apprécie et s’étonne de ne pas le savoir près de moi quand sa femme joue les malades imaginaires. Ses absences me rendent tristes car j’ai appris à aimer son sourire froid et toujours courtois, son regard rieur et son nez légèrement aquilin ; il me parle d’art comme personne et arrive à me faire frémir de plaisir quand il parle d’opéras italiens. Il a de très belles mains et je m’imagine être leur prisonnière. Je prendrais plaisir sous leur étreinte et chacun de ses baisers m’éloigneraient à jamais de la raison. Seul obstacle à notre éventuel bonheur : la présence de sa femme. Elle savait pour nous deux et pendant quinze jours elle me suivit dans chacun de mes déplacements pour s’assurer que son volage d’époux ne trainait pas dans mon sillage. Et puis Grant nous surpris tous deux dans le salon. Il savait mais n’avait jamais pris le temps de saluer notre voisin ; il s’arrangeait en fait pour ne pas avoir à le croiser, cela le tourmenterait. Pourtant ce jour-là il se tint devant la porte et immédiatement je les présentai l’un à l’autre. Les deux hommes se dépréciaient suffisamment pour ne pas se serrer la main. Jenny étant sortie, j’ai pensé qu’il partirait mais il est resté. « Comment va Mrs Dench ? Avons-nous de ses nouvelles Mrs Worth ? » La conversation repartit de

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plus bel puis Gorell Barnes prit congé de nous et en revenant au salon Grant lisait mon recueil de poésie debout près du guéridon. Mon recueil de poésie tant décrié par Grant aux références littéraires si chastes. « Comment vont vos enfants Mrs Worth ? » Cette question me dérouta ; pour lui j’étais une mauvaise mère, trop concentrée sur son propre bien-être qu’à celui de ma progéniture. Il avait dit à Jenny que j’étais trop libérale et que cela allait mer perdre. Balivernes ! Il disait également que j’étais trop intense et trop passionnée ; or Eugenia l’était également. Eugenia tout comme mon benjamin John, parti étudier à Cambridge. La passion nous caractérisait dans cette famille. Concernant mes enfants je ne lui ai pas répondu. Leur gouvernante s’en occupait très bien et il n’avait pas à me poser des questions sur Rose et Andrew. « Mrs Worth, je… j’ai besoin de vos lumières concernant Miss Eugenia votre jeune sœur a…nous allons bientôt fêter ses vingt-deux printemps et… j’aimerai la surprendre, voyez-vous. Vous connaissez ses goûts mieux que moi ». Il cherchait une idée de cadeau original pour ma sœur. Lui me demandais conseil ? Mon cœur s’emballa en songeant au bonheur à venir de ma petite Jenny chérie car dans peu de temps il y aurait un mariage d’amour entre les Grant et les Hamilton. Le sourire aux lèvres je partis dans un long monologue sur la nécessité de séduire l’autre par des petites attentions ponctuant le quotidien. Il m’écoutait sans oser m’interrompre et moi je donnais vie à mes propos tant et si bien que je trouvais à m’enflammer. En rentrant du Regent Park en fin de matinée je trouvais Marge assise à dessiner avec Rose et Andrew assis sur les genoux de Grant. Une scène des plus charmantes et je n’ai pas osé interrompre ce moment d’intense félicité. Mon petit Andrew tournant les pages du livre illustré, les doigts enfoncés dans sa bouche, absorbé par la lecture de Grant. « Regardez Herbert ! Regardez le joli dessin que notre petite Rose vous a réalisé ! Un talent certain pour le dessin…Allez le

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porter à Mr Herbert voulez-vous ? » Et lui souriait convaincu par les talents artistiques de ma puce aux grandes boucles brunes et aux yeux aussi cristallins que les miens. « Je vais en faire un pour maman ! » Fanfaronna-t-elle en quittant l’accoudoir de Grant pour retrouver ses feuilles et ses crayons. Lui m’aperçut dans l’encorbellement de la porte. Fichtre ! Gorell Barnes me rejoignit dans le salon et isolés du reste de la maisonnée on échangea sur la politique et ce dernier profita de l’instant pour m’offrir un bracelet digne des bijoux de la Couronne et il se jeta à mes pieds pour me l’attacher au poignet. « Vous me gâtez trop, Monsieur ! Quelle couronne avez-vous dépossédez de ses joyaux ? —La plus belle naturellement ». Il baisa ma main et sa joue frotta la mienne. Aliénation qu’est l’amour ! Il le sait néanmoins il veut savourer chaque instant de notre illusoire passion ; il voulait l’apparence d’une vie heureuse en compagnie d’une jeune femme assez folle pour suivre Jay Worth en Ecosse où il m’épousa à la date de mes quinze printemps. Il en avait dix de plus et connaissait le monde plus que les romanciers et leur féconde inspiration. Sa bouche chercha la mienne. Je m’y dérobai ; la tête sur mes genoux il serra ma taille. Jay m’avait quitté et sa mort laissa un grand vide dans nos existences. Rose avant de dormir me demandait pourquoi je ne trouvais pas un autre papa pour me rendre heureuse. Ma petite Rose. La fierté de Jay. Le jour de sa naissance il fut si fou qu’il en pleura de longues minutes en tenant notre petite merveille dans ses bras. Et à la naissance d’Andrew il but toute la nuit pour fêter l’arrivée de son fils. Les portes s’ouvrirent à toute volée et mes deux furies arrivèrent. « Avec Tante Jenny on va manger des glaces ! » et mon Andrew de répéter : « tes classes ! tes classes ! » en sautillant de concert avec sa sœur. Il lui ressemble en tout point, même visage, mêmes boucles souples et soyeuses et même moue boudeuse. Oui que Jenny les emmène au parc ! Gorell Barnes tolère mes enfants et ne les gâte pas avec des

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sucreries comme peut le faire Grant. Les enfants sont une source d’inspiration, l’ais-je entendu dire après qu’il ait rencontré les miens. Gorell Banes n’en pas encore, après dix ans de mariage, sa femme n’a pu lui donner d’enfants. Il aime les enfants bien qu’il soit plein de pudeur pour les miens. Il ignore comme leur être appréciable et Rose ressent ce mal aise et l’évite quand il n’est pas là à la solliciter. Deux heures plus tard ils revinrent et ce fut là une joyeuse cacophonie ; à eux deux ils pourraient faire trembler les murs de Jéricho. « Maman ! Maman ! On a été voir les canards et le carrousel et les poneys, on a fait du poney. Je veux avoir un poney à moi maman ! Un beau poney gris avec des poupons rouges ! On prendra soin de lui maman, je vous le promets ! » Bettina releva la tête et salua la voisine Mrs Collins. Qu’est-ce que cette vieille commère a-t-elle encore à me dire ? Elle lui fit signe en pointant sa montre que la boutique restait encore fermée. Oui elle venait de comprendre. On recevait Austin Philips en dédicace et par conséquent elle repasserait plus tard. Le grand Austin Philips ! Ce papier avait une légère odeur de chocolat, celui que l’on croque et qui fond sur la langue et puis le contenu rédigé dans un style simple lui évoquait Mémories, de Stanley O’Meara ; un style bien à lui qu’elle croyait retrouver ici. Mrs WorthGrant ! « Dis Ezz, tu savais que notre aïeule Elisabeth écrivait une sorte de mémoire ? Ezz, je te parle ! Allo ? —Je crois oui, répondit-il en relevant le nez de son journal. Oui une sorte de testament épistolaire. Pourquoi cette question ? Si tu dois interroger quelqu’un à son sujet c’est Marcus Weinberg. Il en connait un rayon sur le sujet. Il était avec nous hier soir et a trouvé étrange que tu ne sois pas parmi nous, ce à quoi j’ai répondu que tu menais une vie dissolue loin de ton frère chéri. Je l’aime bien ce

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Weinberg lui au moins c’est fait la différence entre un bon roman et un mauvais. Je crois qu’il te plairait. Un peu excentrique mais agréable. —Qu’est-ce que vous avez tous à être tombé amoureux de lui ? Gemma je veux bien mais toi ! De grâce épargnes-moi ton discours sur le bon galeriste, plein aux as et capable de compassion pour autrui ! Quoi n’ai-je pas le droit de dire ce que je pense ? Ah, ah, ah ? Tu te souviens de nos rêves d’enfant ? Je rêvais d’être une grande danseuse étoile et maman y croyait suffisamment pour me donner des cours particuliers. J’ai envie d’une cigarette…tu sais que j’en planque ici quand l’envie de tout plaquer me vient ! (elle ouvrit le placard de la cuisine) Tiens, les voilà ! Je t’en propose une avant que le grand Philips ne vienne mettre la pagaille dans notre sanctuaire. Donc j’ai voulu danser et tu m’as suivi jusqu’à ce putain d’accident j’étais plutôt douée. Ce qu’il y a d’ironique dans l’histoire c’est toi, Ezz ! Tu prenais la danse comme un simple loisir, un moment de détente et…tu as fait le MET, tu danses à l’Opéra Bastille, Garnier ; tu te produis au Bolchoï et…tu voulais être chocolatierpâtissier quand tu étais gosse. (Bee un peu crispé tenta un sourire) Je me retrouve coincée dans cette librairie à lire des putains d’œuvre que des gens sans histoires ont eu le courage de pondre et dans la boite aux lettres, voilà ce que je reçois Ezz ! Une lettre de notre aïeule parlant de sa rencontre avec le Commandant Grant et elle semblait s’éclater, ricana-telle nerveusement. Elle arrivait à passer du bon temps au milieu de marmots, d’amants et j’en passe ! Tu vois ce que je veux dire ? Je me sens réellement piégée ici. —Et bien écris un bouquin toi aussi ! Cela t’évitera d’aller claquer ta tune chez un psy ! Tu vois au moins je te fais rire. Je le pense sérieusement Bee, tu pourrais te mettre à écrire. —Au sujet de quoi ? —Et bien d’Elisabeth. J’en suis sûre que tu t’éclaterais à le faire et cela serait parfait ! Finir cette aventure en publiant un bouquin ! Songes-y un peu ! Et dans la difficulté je t’épaulerais, car qui mieux que moi

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connait tes influences littéraires ? Je suis persuadé qu’on peut fouiller dans le passé de cette femme et pour cela solliciter l’aide de Weinberg. Elle écrivait à son aïeul et on pourrait vraiment en faire quelque chose. —Commençons par finir de nous préparer ! Le traiteur passe dans une demi-heure et j’ai commandé le champagne, les petits fours et mes chocolats attendent d’être dégustés avant la signature du prochain best-seller auprès de la maison de James. On a besoin de notoriété et je compte sur toi Ezz pour la partie relation publique. Penses-tu être à la hauteur de mes espérances ? Tu sais il y aura du lourd et je ne parle pas seulement de Philips et de son égo. Tout le voisinage sera là et je ne peux pas les décevoir en n’ayant rien à leur offrir ; ils veulent du rêve, du glamour et je tiens à les satisfaire tous autant qu’ils sont ». Et Gigi arriva le premier, les bras remplis de pâtisseries. « Bee, comment est-ce possible ! Tu vas me faire de l’ombre ! On dirait Audrey Hepburn ! Et notre Ezz en parfait dandy…ils sont ravissants ces chérubins. J’ai dévoré Les Pléiades de Murphy. Une véritable petite merveille que McEllroy a eue raison d’éditer. Mettons-le en avant entre Le Chat Sauvage et L’Ogre Maudit de la Rivière Phan , tu en penses quoi ? On va devoir disposer la librairie autrement si je me réfère au mail de J.J Daniels et je regrette seulement de ne pas être une petite fée qui d’un coup de sa baguette Magique disposerait tout comme bon lui semble. Gemma est là ? Il faut donc que tu saches pour Gemma et Hugh Livingston car pendant que je m’entretenais avec le pâtissier créateur de ces Magnifiques confections artisanales, son chéri de toujours, Hugh en personne l’a appelé et il semblerait qu’il y a de l’eau dans le gaz. Il lui a raccroché au nez alors elle s’est sentie le besoin de se confier. Et notre Hugh n’est pas si loyal qu’on le pensait. Il m’a fait songer à Hercule dans le roman tortueux et bordélique de Murray, celui qui porte le titre éponyme d’Hercule en son Temps. Une merde littéraire qui devrait être

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inscrit au programme scolaire afin de faire comprendre aux jeunes les dérives de la consommation de produits narcoleptiques pour ne pas dire illicites. Apparemment notre homme lui reprocherait de courir le gueux et devines qui est le gueux, selon lui. Marcus Weinberg évidemment. Quoi ? —Une récente discussion avec mon frère au sujet de ce Weinberg, rien de bien fâcheux mais un ras-lebol. J.J Daniels veut faire les choses à sa façon, le genre tapis rouge et conférence de presse. Ce qui est regrettable quand on voit la superficie de l’espace qu’on lui destine. Mon adorable frère jouera les attachés de presse, argua la belle en plaçant les pâtisseries dans de jolies assiettes, vestige d’un temps révolu. Ils nous prennent tous pour des amateurs car sujets de la Couronne ! On n’a pas leur dollars mais au moins nous savons écrire, pas comme cette merde que nous vend Sally More. Je crois que le champagne fera son petit effet. Un cadeau de James pour les services rendus. Et je suppose que Gemma est au bord du suicide…elle n’assume pas ses erreurs et c’est le seul tors que je lui connaisse. —Hello ! Tout le monde est là ? Apparut Gemma dans l’encorbellement de la porte. J’ai un peu de retard, répondit-elle en enlevant son trench Burberry, du retard sur la ligne mais vous n’avez que faire de mes excuses. Ezz est déjà là ? Un miracle que tu es pu le sortir du lit avant minuit. C’était plutôt classe hier Rolls Royce avec chauffeur et montagne de Don Pérignon, le tout ponctué par quelques animations digne d’une réception chez Nicolas Fouquet. Oh tu as fait tes chocolats Bee ! C’est une excellente idée ! Bon dis-moi ce que je dois faire Bee, par où doit-on commencer ? Notre star américaine viendra-t-elle avec toute son armada ? Toi, tu as replongé dans la cigarette Bee ! En tous les cas tu vas faire sensation dans cette robe noire et j’ai toujours dit qu’un rien t’habillait. Tu es toujours fâchée pour hier ? Je déteste te voir comme ça. —Comment comme ça ? Je suis seulement contrariée Gemma, répondit Bee en s’essayant à un

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sourire. Tu es parfaite sur le plan professionnel mais pour le reste…l’impression que tu me donnes est : Je m’ennuie dans cette librairie mais essayons de meubler ces mornes journées en jouant les prédicatrices. C’est ce qui m’énerve profondément chez toi. Je sais que ce concept est vendeur puisque les lecteurs de type male de 25 à 99 ans se précipitent ici pour discuter de tout sauf des livres. Certes ils finissent par ressortir avec des livres mais j’avoue que cela finit par m’agacer. Je n’ai pas ton aisance relationnelle, ni ta gouille ; mes lecteurs sont des ménagères de 50 à 75 ans qui ne viennent que pour des romans mièvres mettant en scène des romances contrariées. Alors le jour où tu partiras 87% de nos assidus lecteurs partiront avec toi. —Tu oublies Gigi. —Gigi est un intellectuel ! Sauf ton respect, trésor ! As-tu déjà entendu parler du culte du beau ? Tu es leur Vénus et si tu les voyais se comporter comme des gosses, tout cela est un peu cliché tu en conviendras mais tellement attendu. Voilà tu sais tout, alors à l’avenir je préférai débuter une journée sans avoir à me confier à une thérapeute. Oh Ezz ! Tu tombes à pique ! J’aurai besoin de toi pour déplacer et pousser quelques meubles. Iens avec moi. Dans moins d’une heure, ils seront tous là. —Je viens de lire la lettre d’Elisabeth Worth-Grant. Je tiens à m’imprégner du personnage, comprendre ce qui l’a poussé à être une femme moderne loin des névroses de notre temps. On peut la voir comme une personne saine et…je t’ai perdu là. A quoi penses-tu chérie ? —A rien d’autre qu’à être heureuse, répondit-elle tout sourire. Gigi vient nous aider ! J’avais pensé descendre le paravent chinois pour le placer ici mais ces Amerloques ne comprendraient rien à notre bon goût pour les chinoiseries. Qu’as-tu pensé de Coucherie avec mon psy ? Soit sérieux Gigi, n’as-tu pas trouvé que nous avons su l’interpréter avec bri ? Pas le genre de roman que l’on trouvera ici mais sais-

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tu que Mrs Howard me l’a commandé ? Cela revient à trahir ses convictions, hein ! —Je pense comme toi. Ce genre de livre pourrait faire fuir nos plus fidèles clients. Cette même Mrs Howard croyait en mon hétérosexualité et elle m’a présenté à son hideuse fille, pucelle du haut de ses quarante piges et plus vilaine que le cul d’un crapaud. La voilà qui me parle de ses lectures préférées et s’emmêle les pinceaux au point de confondre deux auteurs l’un à l’autre. La pauvre m’a réellement fait de la peine et je lui ai gentiment conseillé de lire Les Pluies d’Automne et Rêves d’un Pacha. Peu de temps après elle et son hideuse fille sont venues commandées toute la bibliographie de Tilda Nordensten. Il m’arrive de ne pas être honnête dans de seules fins commerciales. Je crois qu’on ne peut pas sagement parler de convictions, ni de loyauté, ni de déontologie dans ce métier. Et tu serais plus sereine Bee si tu acceptais de jouer le même jeu que celui de Gemma ». Voilà donc que ce George donnait raison aux méthodes de vente de Gemma ! En dépit de leur longue amitié, il trancha en faveur de l’ennemie Fichtre ! Elle aurait trépigné de colère et serrer les poings avant de s’arracher les cheveux mais Bettina conservait sa classe. Elle se contenta d’un sourire pincé et à neuf heure quarante trois, entra James McEllroy et deux de ses sbires chargés de superviser la présentation à venir de la vedette internationale. « A-t-on des nouvelles de notre star ? Je vais devoir refuser des clients s’il ne se manifeste pas dans la minute. On étouffe ici et c’est tout juste s’il nous est possible de marcher sans craindre de tomber en syncope. Jusqu’à maintenant nous avons enregistré 17 ventes et le chiffre va croitre de façon exponentielle avant la fin de la matinée ! Grace à toi (elle lui déposa un long baiser sur la joue) Oh Leslie ! Entre ! Veux-tu bien m’excuser ? » Entra un rouquin, chef pâtissier dans un grand restaurant français basé dans le quartier de Mayfair. Un vieil ami, comme elle le disait et le seul capable de

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réconcilier un anorexique ou boulimique à la bouffe ; avec lui séjour gastronomique en Dordogne, dans la région de Toulouse, Bretagne et tous les endroits réputés de France où les servaient des produits du terroir. « Cela me fait tellement plaisir que tu sois là ! Je sais quel sacrifice cela doit-être pour toi que devoir quitter tes fourneaux pour ces vieilleries ! J’ai fait des chocolats suivant ta recette. Des pures merveilles gustatives ! Tu vas fondre. Viens en goûter un… (Elle ouvrit la boite pour la brandir à Leslie) Vas-y au hasard ! Alors verdict ? Amandes, nougatine et pistache. Quoi ? C’est mauvais ? —Pas mauvais, je dirais même très bon. J’organise un stage de pâtisserie et j’aimerai que tu y participes. Dans un mois, à l’adresse que tu connais. Les places sont chères et tu te dois d’y participer. Quant à ce concours, tu y as toutes tes chances et je tiens à travailler quelques points avec toi. Je sais que ta librairie te prend tout ton temps mais tu dois te préparer afin d’être la meilleure et tu le seras si tu travailles la technique. Qu’as-tu prévu de faire pour les fêtes de fin d’année ? Ton père prévoit-il de refaire surface ? As-tu des projets ? —Non, pas le moins du monde ! Mon père se trouve être quelque part à dépenser son fric gagné à vendre ses immondes toiles et ma mère…oh ma mère doit être en pleine phase d’inspiration ; elle qui de toute sa vie n’en a jamais eue ! Peut-être que ma demi-sœur quitterait L.A pour Londres et…je déteste les fêtes de fin d’année ! Ezz et moi allons peut-être réserver chez toi, si ce dernier n’a pas de super plans de dernières minutes. (Elle lui caressa la poitrine, le sourire aux lèvres) J’ai vraiment envie de m’éclater pour le Réveillon de Noël et passer un bon moment ». Entra Marcus Weinberg surgit de nulle part. « Marcus ! Laissez-moi vous présenter Leslie Newton, il travaille au Petit Gourmet et a délaissé ses fourneaux pour nous honorer de sa visite…Leslie, voici Marcus Weinberg de…de New York et d’ailleurs. Il est

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propriétaire de galeries et c’est une sorte de mécène à ses heures perdues. Ai-je bien résumé ? —Je n’aurai pas fait mieux. Avez-vous reçu ma lettre ? Celle d’Elisabeth Worth Grant ? —Oui ce matin même. J’avoue qu’elle a su attirer mon attention. Pas de cachet, un vieux papier jauni et cette odeur…sans parler du contenu. De combien de lettres disposez-vous ? —Plus de trois caisses pleines. Assez pour occuper votre temps libre. Ezz dit que vous voulez écrire un livre. —Apprenez qu’il ne sait pas tenir sa langue. Non, nous avons seulement émis l’hypothèse que nous pourrions rédiger quelque chose à deux et nous en sommes qu’au stade de projet ; on ne peut pas encore parler d’ébauche. Et puis nous n’avons pas assez d’éléments pour mener à bien cet éventuel projet. Je ne veux pas vous ennuyer plus longtemps avec cela Marcus. Vous êtes déjà gentil d’avoir fait le déplacement mais on ne peut abuser de la sorte en monopolisant votre temps. On se voit plus tard Marcus ? » A dix heures quinze arriva Austin Philips et sa délégation d’Américains parmi laquelle son agent littéraire, son attaché de presse, son éditeur, son styliste et manager, son avocat et James McEllroy et les deux gardes du corps de ce dernier. Austin Philips restait un auteur de best-sellers, il avait publié Les Papillons, Journée d’été au Mois d’Hiver, Rouge Baiser et l’excellent Moissons d’Eté pour lequel Bee disait avoir pleuré toutes les larmes de son cœur. Affable et bienheureux malgré ses problèmes de santé il salua tout le monde, d’une poignée de main chaleureuse et se prêta aux photos avec un naturel déconcertant. Lunettes à monture noire et bouc blanc contrastant avec ses petites boucles rasés courts ; il souriait continuellement et quand il ne le faisait pas, son regard bleu aux lourdes paupières prenaient le relais. Il blaguait allant comparer la librairie en délicieux et raffiné endroit où la culture y trouvait son salut. Deux journalistes mandatés par un journal à gros tirage

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dont on taira le nom et un autre spécialisé firent leur travail et une foule de clients et lecteurs s’amassèrent sur le trottoir, attendant sagement leur tour, derrière le long du cordon de sécurité. Assis dans le confortable fauteuil cramoisi de Bettina Baxter, libraire et propriétaire de l’antique librairie : Polymnia ne pouvait rêver mieux pour sa librairie. On ne pouvait traverser l’endroit sans se toucher les coudes et le bel Ezra discutait son art en compagnie de jeunes et talentueux écrivains en quête d’un pygmalion. Comment ne pas résister aux charmes d’Ezzie ? Pensa Bee en revenant les bras chargés des tirages de Moissons d’Eté. Un bel éphèbe aux traits fins comme les siens, une silhouette misogyne comme la sienne et sa longue chevelure dessinant des boucles soyeuses. Gemma tenait la jambe à Marcus Weinberg, se consolant ainsi de l’absence de Hugh Livingston et elle jouait les énigmatiques avec son allure de femme fatale : khôl sur les paupières inférieures comme supérieures, brushing impeccable et robe Prada bleu Roy qui naturellement lui allait comme un gant. Derrière le comptoir Gigi vendait les livres : Moissons d’Eté et Rouge Baiser, l’avant-dernier bouquin édité. Quelques passionnés du genre voulaient Les Papillons et ceux qui ne connaissaient que Moissons d’Eté voulaient des informations sur le style très singulier d’Austin Philips. « Vous avez aimé les Moissons d’Eté alors vous aimerez les précédents, répondit Gigi observant sa cliente par-dessus des lunettes écailles griffées Yves Saint Laurent. C’est un peu comme apprécier un bon Jay Hennessy et bouder un bon Château Pétrus. Ce n’est pas concevable alors vous penserez pareil en dégustant les crus de Philips. Et pour ceux qui ne boivent pas comparer cela à un sac Vuitton en édition limitée ». Les femmes gloussèrent en échangeant de commentaires ravis sur le commentaire de Gigi et Bee de lui glisser à l’oreille : « Tu as toujours su trouver les mots justes pour séduire ton auditoire…James !

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Comment est-ce ? N’est- pas trop guindé pour un richissime américain ? Murmura Bee à l’oreille de McEllroy. Je ne m’attendais pas à trouver un homme accessible et bon enfant. Adepte de l’autodérision et s’il n’empestait pas les lieux de son cigare, cela se passerait le mieux du monde. —Tout votre voisinage semble être présent mais je m’étonne de ne pas apercevoir Angus Warren-Geffrye. Il savait pour aujourd’hui non ? —Ne soit pas si détestable, ricana Bee en le prenant pas le bras, si tu n’étais pas James McEllroy soit certain que tu ne serais pas ici mais dehors à te demander si on finirait par prendre pitié de toi. Ah, ah, ah ! Qui regardes-tu comme ça ? Oh lui c’est notre Marcus Weinberg ! Je n’ai pas trop compris ce qu’il était au juste. Tout ce que l’on doit retenir de lui c’est qu’il tient des galeries d’art aux States et…il est devenu le meilleur ami de notre Gemma. Il la sort, la divertit et…il a une façon si extraordinaire de s’exprimer, ah, ah, ah ! On dirait qu’il joue un personnage de conte moderne. Tient ! Je pense à Adonis dans l’excellent Bruine à l’Ombre du Verger . Tu vois de quoi je fais allusion ? —Naturellement, je l’ai édité il y a deux ans. Sauf que notre Adonis a un serpent autour du cou, qu’il appelle : Collier des merveilles. Un animal à deux têtes, une sorte de bête mutante qui lui murmure de bons et mauvais conseils, une sorte de Janus et je me souviens d’une scène des plus bucoliques dans l’avant dernier chapitre parlant de son insuccès face au marchand de sel venu lui faire don d’un merveilleux encensoir censé lui révéler une sorte de conscience primitive. —Oui c’est la phase déterminante pour lui ! Il est acculé au fond du ravin et il ne sait pas s’il doit continuer à faire croire qu’il est celui dont personne ne soupçonne la double personnalité. J’ai trouvé ce passage très touchant, parce que très poétique. Oh ! Attends, mon ami Leslie file à l’anglaise…Leslie ! Leslie ? Tu pars déjà ?

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—Oui je suis passé comme convenu mais je ne peux rester plus longtemps. J’ai quelques plats sur le feu. Tu passes quand tu veux d’accord ? Déclara ce dernier en lui caressant la joue. Et tes chocolats sont tops ! On en parlera devant un bon cognac ». Leslie partit, Bee ne sut où se diriger. Shakespeare fit son apparition et se frotta contre la jambe de sa bien-aimée maîtresse. En levant la tête, son regard croisa celui de ce curieux Weinberg avec son bouc mousquetaire et son catogan et il se tenait en retrait, profitant d’un court moment de répit accordé par Gemma pour se concentrer sur Bee. « Je peux vous parler en privé ? —Oh, non ! Ce n’est pas vraiment le bon moment Marcus. Cela ne peut-il pas attendre ? D’accord suivez-vous… (Elle se rendit au fond du couloir près du petit salon où se tiendrait la collation avec le champagne et le fameux chocolat). Allez-y, qu’aviezvous de si important à me dire ? —Vous ne semblez pas m’apprécier. Est-ce à cause de l’autre fois ? Oui vous savez au salon de thé. J’ai manqué d’honnêteté et…je peux comprendre que vous soyez fâchée. Enfin j’aimerai que tout malentendu soit disculpé. —Les matins sont des moments longs et pénibles à passer si l’on n’a nulle idée que prendra le cours de notre destinée .Je ne porte aucun greffe contre vous Marcus et… —Vous me…vous me comparez à Adonis dans La Bruine A l’Ombre du Verger ? Oui je connais l’œuvre de Scott Renwick et donc vous me prenez pour un arlequin des temps modernes. Je pars demain pour Tokyo et j’aurai voulu vous inviter au restaurant. —Non pas ce soir ! A votre retour vous n’aurez qu’à repasser à la librairie et nous saluer au passage. Je crois deviner que Gemma vous apprécie plus que de raison alors…je dois y retourner. Si je ne vous revois pas dans la journée, bon vol et au plaisir ! » Plus tard, Austin Philips fit son discours dans le petit salon quand Ezra lui remit une enveloppe, le même papier que celui de ce matin et Bee y lut : « Mrs

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Elisabeth Worth-Grant ». Cette dernière soupira et posa la missive sur la console de la cheminée. Pas de cela maintenant ! « Tu devrais la lire, elle va te surprendre » Avait glissé Ezra avant de partir une coupe de champagne à la main. Austin Philips fit un élogieux discours au sujet de la librairie Polymnie et de ses employés, comme il était plus de treize heures et que les ventres crièrent famine, on servit les petits fours tandis que les discussions reprirent de plus bel. « Je sais que je ne devrais pas vous taquiner avec cela Mr Philips mais écrivez-vous quelque chose en ce moment ? Lors d’une interview, vous disiez écrire sous l’impulsion du moment comme d’autres ressentent l’envie de boire ou de manger. Je me suis toujours demandé comment les écrivains faisaient pour éprouver une continuelle soif. Si demain je devais écrire quel conseil me donneriez-vous ? —Si je vous appelle Bee, il faudra m’appeler Austin d’accord ? Pour commencer l’écriture s’apparente à la séduction. L’on a une ébauche de personnage, une sorte d’idéal masculin et féminin, peu importe le genre et le décor souvent emprunté à des situations réelles : wallpaper, photographie du National Geographic, peu importe…on a une brève histoire et alors opère la Magie. Enfant nous avions tous la capacité de mettre en scène des personnages méchants, gentils, fragiles ou des super-héros. Jusqu’à là vous me suivez ? Bon… Je vais pour parler de la séduction plus en détail. Pour écrire il faut tomber amoureux de vos personnages : bons ou mauvais, excentriques ou ingénues, vous devez les aimer et avoir envie de les chérir et survint alors une sorte d’osmose. L’ivresse du moment. Quand on écrit on aime de tout son être, il ne s’agit pas de description mais de naissance. Ce sont vos chocolats ? (il en croqua un morceau) Vous savez ce que je pense de tout cela ? —Surprenez-moi, Monsieur l’écrivain ! —Et bien…l’Histoire pourrait commencer ici dans cette librairie. Les protagonistes se côtoient, se connaissant mais ignorent tout des uns des autres. Un peu comme toute métropole ou plus comme un

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immeuble dans lequel tous les résidents restent de parfaits étrangers. Nous aurions une libraire qui s’appellerait Lindsay ou Lizzie non tenez Elisabeth ! Je trouve cela très anglais. Allons-y pour Elisabeth ! Cela vous choque-t-il ? Elisabeth surnommée Beth est embêtée car sa librairie est menacée de fermeture alors elle pense se reconvertir dans le chocolat. Un talent certain et une passion qui lui viendrait de l’enfance, un héritage transmit par une adorable tante. —Comment faites-vous ? Comment savez-vous tout cela ? —Je ne fais que l’iMaginer/ C’est mon gagne-pain d’iMaginer des histoires fictives tirées de quelques faits réels. Tiens je reprends un autre chocolat pour ma ligne… En fait j’arrive à puiser mon inspiration dans vos délicieuses petites douceurs. Revenons à notre Elisabeth ! Au moment le plus critique de sa vie, elle fait une rencontre, une surprenante rencontre… déterminante rencontre ». Le regard de Bee s’illumina et des larmes lui montèrent aux yeux. Avait-il le don de double vue ? Philips la dévisagea tout en savourant son chocolat. Il sentait bon le patchouli et nerveuse Bee détourna son regard de l’écrivain. Ensuite ? Que se passerait-il ? « Quel genre de rencontre ? Sentimental ? Intellectuel ? —D’ordre mystique en fait, répondit-il penché à son oreille. Avez-vous lu l’excellent La Bruine à l’Ombre du Verger du très agité Scott Renwick ? —C’est incroyable. Lisez-vous dans mes pensées Austin ? —Quoi ? Donc vous connaissez Renwick et son roman de 1530 pages ? Il y a un passage au début du roman il s’entretient avec une sorte de fée diaphane aux ailes recouverte de poussière d’or et à la fin de leur discussion, elle lui dit ceci : Tu ne peux voir ni entendre, seulement ta conscience s’élève et atteint les apogées de la raison. Si tu acceptes d’y croire je te montrerais le chemin ; ainsi tu pourras voir et entendre et connaître ce que depuis tout le temps l’on te cache, pauvre Adonis ! Possible que ce torturé de

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Renwick ait été sous l’emprise de quelques psychotropes mais.il a pondu un chef d’œuvre. Magistrale en fait ! —Et comment est-ce censé finir? Quelle fin pour cette Elisabeth et cet être mystique ? —A vous de l’iMaginer. Vous voulez écrire en ce moment ? La fin viendra au fil des pages. On ne peut jamais savoir à l’avance comment va se terminer une histoire auquel cas nous ne pourrions y placer le mot : Fin. Ecoutez Bee, si vous voulez un bon conseil : ne négligez jamais les détails. C’est ce que j’essaye d’expliquer dans mon dernier livre. —Oui je sais. J’ai pleuré au moment où…Barbara découvre la lettre posée sur… (Son regard glissa vers la console de cheminée. Son cœur s’accéléra) Euh.. Ce livre m’a plongé dans une sorte de mal-être. Oui c’est ça ! Une vie de souffrance et au moment où elle découvre enfin l’amour il lui échappe parce qu’elle a négligé certains aspects de son existence. Et le pauvre Patrick…j’ai appris par McEllroy que vous aviez cédé vos droits d’exploitations à un producteur. N’est-ce pas la consécration pour un auteur ? —Avant de vivre de ma plume j’ai vendu des livres moi aussi après un doctorat en lettres et j’ai publié mon premier livre à compte d’auteur. Seulement trois mille tirages pour La Colère d’Hadès. Il ne s’est pas très bien vendu, de quoi payer mes factures et j’ai ensuite écrit des scénarii pour Hollywood, principalement des réalisateurs indépendants et cela m’a permis de financer les travaux de ma maison, offrir une cylindrée à ma femme et ensuite, je suis revenu aux romans…nous avons alors quitté la côteest pour la Californie, son soleil et ses belles plages. Après le décès de mon épouse, je suis revenu à New York pour rédiger Rouge Baiser. Le malheur fait vendre et les critiques m’ont porté au pinacle disant que mon style s’était affermi et non affirmé et j’ai compris que l’essence même de toute existence se tenait dans l’amour aussi compliqué soit-il. Il m’aura fallu bien des années pour le comprendre. Si le cinéma

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s’empare aujourd’hui de l’un de mes romans, je vois cela comme un hommage rendu à mon épouse. —Alors portons un toast à l’ensemble de votre œuvre, susurra Bee mourant d’envie de serrer Philips dans ses bras. L’existence parait plus simple dès lors que vous l’expliquiez. J’ai toujours aimé votre plume, Austin. Vous n’avez pas peur de prendre des risques et j’aime que les auteurs nous surprennent ». Et Philips partit pour quinze heures ; avec lui toute sa cour. Bee chercha des yeux Marcus Weinberg. Il doit être sortit, pensa-t-elle ; elle s’en voulait d’avoir été froide à l’égard de Weinberg. Après tout il ne cherchait qu’à la connaître depuis qu’il avait trouvé les lettres de cette Mrs Elisabeth Worth-Grant. Etrangement elle éprouva de la peine. Restaient les derniers clients, ceux qui friands de potins voulaient obtenir divers renseignements sur Austin Philips. Ezz avait disparu et Bee le connaissait pour savoir qu’aucun mors ne pourrait retenir son jumeau assez passionné pour suivre une femme ou un homme dans la rue, tirer son coup et revenir impeccable dans son beau costume noir et chemise de soie grise. Alors qu’elle rangeait quelques volumes sur l’étagère entra Angus Warren-Geffrye. « Vous venez après la fête Mr Warren-Geffrye ! » Lui ne répondit pas marchant vers le comptoir pour saluer Gemma aux commandes de la vente. « J’ai fait mettre des livres de côté ? Les avezvous ? —Oui nous avons pour vous Soif de Plaisir, Marche sur Téhéran, Paradis des Martyrs que voici, Le Soleil de Neptune et…Nuit Bleue et Le Goût de l’Immodéré. Qu’avez-vous pensé de Réminiscence ? » Il ne répondit pas, se gratta le menton et marcha vers notre libraire en robe noire, rangeant les derniers ouvrages sortis récemment. Bee souriait d’une oreille à l’autre et derrière le comptoir Gemma n’appréciait guère cette soudaine pirouette. Angus restait son client-vedette, celui qui lui demandait des conseils sur les nouveautés ; il l’invita à de nombreux vernissage à St James et en reine de soirée, Gemma

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plaisait pour sa fraîcheur et sa vivacité d’esprit. Par moments ses dents rayaient le parquet et cette démesurée ambition lui valait les désobligeantes remarques de Bettina. « Je tiens à m’excuser pour hier. J’avais prévu de vous sortir. —Angus vous êtes marié et vous avez des tas de responsabilités outre le fait que vous déteniez une galerie et une boutique de luxe alors ne m’en voulez pas de ne point me montrer vexée. Nuit Bleue de Sam Sanders et le hasard m’a finalement guidé pour Le Goût de l’Immodéré. Quelque soit l’âge, le goût de votre amie et les convictions religieuses, ce livre lui plaira. Sinon j’avais pensé à Ultime souper. Je vous laisse à Gemma, j’ai du rangement à faire ! » L’enveloppe se tenait toujours sur la console de la cheminée et Bee l’ouvrit une cigarette entre les lèvres, les jambes repliées sous ses fesses. Et cela commençait ainsi : « Mon Andrew tomba malade deux jours avant le départ de Gorell-Barnes pour la France. A regret je déclinais son invitation, la santé de mon fils passant avant tous mes loisirs, or je rêvais de partir loin de Londres. Depuis des mois j’étais cloitrée là avec pour seule distraction mes enfants, ma sœur et mon amant. Jay n’aurait pas supporté de me voir ainsi broyer du noir, lui qui s’inquiétait de ma santé à chacun de mes éternuements. Qu’il est regrettable de ne pouvoir vivre sa vie comme on l’entend ! Je fais la lecture à mes enfants : les récits des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift et Robinson Crusoe de Daniel Dafoe et ils sont là à m’écouter mes charmants petits et nous rêvons tous trois de terres inconnues, de landes abandonnées visités par de curieux personnages ; nous serions les vedettes de ces mondes. Notre Herbert Grant passa quand il sut Andrew alité avec une forte fièvre et il a ramené du chocolat pour ma Rose. « Vous la gâtez trop, déclarai-je au moment où ma sœur apparut plus angéliques que jamais. Cette

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chère petite finit toujours par avoir le dernier mot ! » Il ne m’a pas répondu…et parce qu’il se tient près d’Andrew, je n’ose rentrer pendant tout le temps que dure la visite. Puis ma sœur vint m’annoncer son départ. « Vous devriez vous montrer plus aimable Beth quand on sait tous les efforts qu’il entreprend pour vous être aimable ! » Les rôles étaient renversés. Pendant le diner il fut tout sauf aimable et je ne fis pas là l’être affable décrit par ma benjamine. Ils parlèrent de philosophie pendant toute la durée du repas ; du moins durant une grande partie et ils ne parvenaient à se mettre d’accord sur certaines définitions empruntées à Socrate, Platon et leurs élèves. Je ne les écoutais que d’une oreille, l’autre étant tendue vers le couloir où je craignais voir surgir Mrs Duran, la gouvernante de mes petits. J’eus la surprise de voir débarquer au salon Mr Garrel-Barnes en grand complet de flanelle, prêt à une excursion à la campagne. L’un des sujets de Philosophie de la veille me donna à réfléchir sur la quête d’immortalité. Etait-ce le propre de l’Homme de vouloir graver son Histoire pour les générations futures ? On peut parler d’un héritage bien que le terme ait quelque peu ébranlé la pensée cartésienne de Grant. Il a raison : on ne peut parler d’héritage si l’on ne partage pas tous la même culture car les Romains se moqueront de la civilisation maya si ces derniers ne peuvent établir de parallélisme entre leur science et la leur. Garrel-Barnes se moquent de mon manque latent de culture. « Vous êtes d’agréable compagnie mais vous n’avez aucune idée de ce dont vous parlez ». Il trouvait encore le moyen de me taquiner, me sachant pourtant dans la plus dure des angoisses. Il s’apitoie sur mes lectures qu’il juge pauvres et insipides. Pour lui il n’existe pas plus grande désolation de me voir saccager l’héritage littéraire de ma famille. J’aimerai prouver qu’il a tort : malheureusement il a raison. Il partait pour la campagne dans l’un de ses cottages dont il appréciait la quiétude et le charme pittoresque. « J’aurais aimé

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que vous eussiez la conscience tranquille pour vous y emmener. Indépendamment de votre état physique et psychique je me trouve être une fois de plus contrarié dans mes plans. Et comment se porte votre petit ? S’il y a quoique se soit que je puisse faire, vous savez que vous pouvez compter sur moi ». J’y songerai…mais plus tard. Le bras soutenant sa tête, il est là à m’observer silencieusement, les lèvres clos et les yeux secs de ne pouvoir sourciller à leur guise. « J’écris en ce moment ». De sa part, rien ne me surprend vraiment ; il est du genre à tout plaquer pour faire le tour du monde avec seulement 4 shillings en poche. Il attendait de moi à ce que je montrasse plus curieuse en dépit de quoi il n’aurait pas eu à tenir ce long monologue : « J’étais hier comme vous le savez chez les Lawrence résidents à Mayfair. Des gens charmants qui ont un grand sens de l’hospitalité. Chemin faisant j’ai croisé sur ma route Mrs Henri Campbell qui a tenu à m’expliquer les déboires sentimentaux de son fils dont l’épouse a trouvé à apprécier les charmes d’un officier. Elle a toujours plein d’anecdotes toutes plus délicieuses les uns que les autres et voilà qu’elle se met à parler d’une dénommée Miss H. et d’un gentleman portant le doux nom d’Edonis. Pour résumer, il nous faut voir Miss H. comme une personne indépendante, financièrement et matériellement, quelque fille de la gentry à en juger par ses rentes annuelles ; quant à notre Edonis, c’est une sorte d’artiste. Il gagne sa vie, que l’on ne jugera pas misérable, en vendant des toiles quelque part à Lambeth. Jusqu’à là tous les séparent et ils se trouvent une passion commune pour le chocolat. Je sais que cela peut vous paraître absurde mais ils font connaissance ainsi : lors d’une dégustation publique. Arrivé chez moi je me suis empressé de donner une suite à leur étrange idylle et Mrs Lawrence m’a soumis quelques idées pour ma narration. J’ai tout noté dans ce carnet que voici….Mon héroïne devra être face à un dilemme. Devra-t-elle oui ou non céder à l’appel de l’amour ? Mon héros quant à lui devra se montrer

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tenace et persuasif. Il y a ici suffisamment d’idée pour remettre à jour la Bible. J’ai rédigé un premier jet que sera l’introduction et j’en suis plutôt fier ». Bien vite j’ai décroché, trouvant nul attrait à ce genre d’exercice. Duran vint m’annoncer le réveil de mon petit Andrew. Il a soif et me réclame à boire. Il semble aller mieux mais pour en être convaincue je fais chercher le Dr Lewis pour finalement voir apparaître son confrère le Dr Harold Lloyd. N’importe quel diagnostic fera l’affaire, me suis-je entendue dire en le poussant vers la nursery. Lewis a toujours fait partie de la famille pourtant ces derniers temps il dit éprouver de la fatigue ; Lloyd prend cet intérim très au sérieux. Il se tenait près de moi quand Jay a succombé et il m’a aidé à garder la tête au-dessus de l’eau. « Dans cette épreuve, vos enfants resteront la seule chose qu’il fasse que vous trouverez le goût à poursuivre. Ne les négligez pas. Mr Worth ne l’aurait pas tolérer ». A ma demande il examina Andrew de long en large et en travers avant de me rassurer du mieux qu’il put. « Je suis en mesure de vous affirmer que votre fils va mieux, Madame et le grand air pourrait lui être profitable ». Deux heures plus tard les malles furent montées sur la voiture et dans la frénésie typique des grands départs en villégiature, nous partîmes vers le charmant cottage de Garrel-Barnes non loin de Brighton. Prendre l’air est toujours bénéfique ; le vent provenant de la mer Baltique, de la Manche et de l’Atlantique vous remplit d’iode et sur le littoral les enfants et moi ramassons toute sorte de coquillages. Rose est une fieffée collectionneuse, rien n’échappe à son œil averti : berniques, moules, pétoncles, bigorneaux, tout y passe. A genoux sur les galets, on répertorie nos trouvailles par famille, genre et couleurs. Garrel-Barnes se dit-être impressionné par notre collecte. Son cottage est le plus charmant de la côte ; on y accède par le front de mer et par temps clair il nous semble distinguer la France. Les enfants sont toujours ravis de quitter Londres et l’étouffement

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que l’on y trouve avec cette marée humaine, ses voitures lourdement chargées, ses chevaux furieux ; ses dangers et ce manque de liberté dont nous sommes si souvent privée. Les petits occupent la chambre du fond et jouissent d’une vue sans égal sur la côté et assis sur le rebord de la fenêtre Rose me parla de la maison idéale ; celle où elle voudrait vivre. « Je voudrais une maison à nous avec des livres, des tas de livres ! Herbert dit qu’un jour on vivra dans une maison bien à nous et que j’aurais ma chambre dans laquelle je rangerai tous mes livres ». Herbert Grant demeure une référence pour ma fille comme pour sa tante-adorée et je les surprends à parler de lui pendant leurs activités manuelles : elles cousent toutes deux et Mag lui apprend à enfiler des perles de rocaille sur de petites aumônières. « Un jour je saurai faire de belles choses comme toi tatie G ! ». Ma Rose a renoncé à son poney depuis qu’elle sait lire ; elle passe des heures à étudier les pages illustrées et à lire quelques paragraphes à Andrew allongé près d’elle jouant avec ses petits soldats de plomb. Ma sœur parle de commander de nouveaux patrons pour des robes à tournures dont elle découvre les modèles dans les journaux de mode. Nous en choisissons chacune six avec capelines, capes, capuchons, manteaux, gants, bas et corsets ; père s’affole toujours quand on parle chiffons et notre savoir est incompréhensible pour la gente masculine. Garrel-Barnes nous écoutait donnant son avis sur tel ou tel costume et sait quelle matière, quelle couleur est susceptible de nous mettre en valeur. Mon Eugenia trouve le temps long sans son Grant et elle semble lointaine depuis notre départ de Londres. « Il ne m’écrit plus Beth et j’ai peur qu’il ait fini par se lasser de ma compagnie. C’est que je l’aime et…vous croyez que je devrais me faire une raison quant à ses longs silences ? » Et Eugenia retrouva le sourire quand une amie de Garrel-Barnes affirma que ce dernier se trouva être à Brighton ; l’occasion pour nous de nous distraire en ville. Personne ici ne me

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jugeait en me voyant progresser dans les rues aux bras de Garrel-Barnes et puis Brighton est un lieu unique avec son quartier médiéval, ses façades Régence et Le Palace Pier (où se trouvent le dancing et le théâtre) ; et puis il y a l’Old Steine, ce coquet jardin bordé par de magnifiques demeures. L’excitation d’Eugenia la rendait enfantine et quand elle l’aperçut enfin au salon de thé, il lui fut difficile de contenir sa joie. « Les hommes et leur soif de conquête ! Lança ma voisine, une éblouissante rousse au manchon de renard roux et aux fossettes hautes et rondes. Ils ne semblent être jamais satisfaits et notre beauté ne suffit à les contenter. Votre sœur à beau être jolie, Grant en convoite une autre (certainement plus riche, pouvait-elle ajouter pour souligner le caractère marchand du mariage). Voua auriez du la mettre en garde contre les hommes et leur nature si cupide, Mrs Worth. Si ces derniers s’attrapent aisément ils peuvent disparaître aussi facilement tant qu’il n’y a aucun engagement tacite conclut entre les divers partis. Il vous faudra la consoler Mrs Worth car je crains que son petit cœur ne souffre de la versatilité de notre Grant ». Et Charlotte Kent disparut au bras de son amant, marié et père de famille. Personne n’aime les messagers et en songeant à la souffrance qu’allait endurer ma sœur je partis à la recherche de notre Herbert Grant. « Je pars pour l’Inde et…je dois l’annoncer à votre sœur. Il s’agit d’un cas de force majeur et il me faille être sur place. Je ne souhaite pas plus que vous voir votre sœur souffrir mais… ». Il se séparait de ma sœur à cause de moi, moi seule en fut la cause ; dernièrement des choses fausses courraient sur mon compte et Grant pouvait les avoir entendues. Ecroulée dans le sofa, je tentai de recouvrer la raison quand il s’assit sur ce même sofa, cherchant néanmoins à se donner de la prestance. « C’est à cause de moi n’estce pas ? Soyez honnête Grant car l’avenir de ma sœur

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en dépend ! Avons-nous perdu à ce jour votre estime ? » Il hésita avant de répondre et je partis sans demander mon reste, trop bouleversée pour répondre. (…) Et Bee tourna la feuille pour y lire la suite. Quoi ? Pas de suite ? Elle retourna les feuilles les unes après les autres, sans succès, allant jusqu’à vérifier l’intérieur de l’enveloppe. « George ! GEORGE ! » Ce dernier apparut dans l’encorbellement de la porte, les sourcils froncés. « Où est Ezra ? Il croit possible de partir et de nous laisser en plan comme cela ? Tant pis pour lui…Gigi, j’ai besoin de tes lumières. Si je devais mettre la main sur un imposteur littéraire, une sorte de ghost writer sans scrupule, imitant le style d’un autre pour faire des œuvres siennes. Comment pourrais-je m’y prendre ? En ce moment je tiens dans mes mains une lettre que voici et je veux vérifier son authenticité. Jettes-y un œil…à première lecture rien d’anormal, mais je reste troublée par le contenu de ce plis. Alors qu’est-ce que tu en penses ? —Authentique papier, je ne vois pas là l’hombre d’une imposture. Est-ce le texte que t’a remis Weinberg ? Alors supposons que tout cela soit authentique. Saches sut ton Angus vient de partir, couché par K.O, continues comme ça et nous perdons le voisinage Bee. —Ah parce que tu crois que…Angus ne correspond à aucun schéma, c’est un électron libre et qu’il vienne ici ou ailleurs, cela n’est plus mon problème ! Le monde continuera à tourner quand nous aurons périclité Gigi et tu veux que je te dise ce qu’il se passera ensuite ? —Hum…tu disais ? —Laisse tomber. Quand tu auras fini la lecture, rejoins-moi devant ! » Grande surprise de croiser Weinberg au milieu de jeunes branchés de Londres, les mêmes croisés à Soho ou Mayfair ; Greenwich et St James. Lui parlait avec Gemma, tous deux penchés sur

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le même livre : Saison sur Ganimède, de Stanley Pitt, un conte poétique à portée philosophique. A l’arrivée de Bee, il leva discrètement la tête pour la regarder passer et notre libraire renseigna deux clients avant de les conduire à Gemma. Leur regard se croisa de nouveau et Bettina de lui tourner le dos. « Salut. Qu’avez-vous pensé de la dernière lettre ? —De quoi parlez-vous ? Oh ! La lettre….Je viens tout juste de la terminer et Gigi en ce moment l’étudie à son tour. Je me demande à quoi vous sert toute cette mise en scène autour de ces lettres. Pourquoi ne pas toutes me les remettre et ainsi cesser de perdre notre temps ? Prendrez-vous ce livre oui ou non ? —Je ne suis qu’un intermédiaire. Les lettres me sont remises par Mr Warren-Geffrye. Ce dernier aurait obtenu ces lettres aux enchères. Elles auraient été rendues publiques après la vente de l’hôtel de Lord Llyod. Il est possible qu’Angus soit l’arrière-arrièrepetit fils de ce Llyod et d’Elisabeth Worth Grant. Vous devriez les lire avec plus d’attention. » Et dans la soirée Bee apprécia son thé au darjeeling dans le salon du Polymnia, sa librairie ; elle écoutait la chanson de Björk en battant la mesure de ses pieds. Elle renversa la tête en arrière et son regard se perdit dans les moulures du plafond ; rien n’avait changé depuis un siècle excepté l’électricité et elle imagina cette Elisabeth prenait possession des lieux. A présent, elle savait que le Docteur Harold Llyod fut plus qu’un ami. Il avait été son amant…Qui était donc cette Elisabeth Worth ? Dans le grenier, Bee tomba sur la malle qu’elle était venue chercher : une grosse malle en cuir ayant résisté à l’usure du temps. A l’intérieur, des robes sous papier de soie —cette Elisabeth devait avoir une taille de guêpe, probablement 53 cm et plus jeune Bee essaya d’y entrer, sans succès—, des mises de grandes qualités à en juger par leur résistance : mousseline, crêpe de soie et satin flamboyant neuf ; sans parler de cette boite à chapeau contenant de ravissantes coiffes à plumes, voilettes et perles. Bettina y trouva cinq éventail et des chaussures au

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nombre de trois. Elle allait refermer la malle quand un bout de papier attira son attention, là dans la doublure de la malle. Il y avait une missive pliée en plusieurs fois mais coupée en son milieu. Mon cher ami et dévoué, Je ne peux partir et vous le savez. Londres me semble bien triste sans vous et je contemple les ruines de ce monde. Hier je suis allée me promener avec Rose et j’ai croisé un vieil ami : Sir Garrel Barnes et je fus surprise de le voir mariée et père d’une petite de trois ans. Alors nous avons fait un bout de chemin ensemble bras-dessous, bras-dessus ; il veut tout savoir sur l’Inde et dit avoir été peiné de ne pas recevoir la moindre nouvelle de ma personne depuis tout ce temps. Suis-je à ce point mystérieux ? Il savait où me trouver, qui solliciter pour avoir de mes nouvelles. Alors brièvement je le renseigne : Rose du haut de ses quinze ans et mon fils, Andrew vient de fêter ses douze ans. Et puis j’ai eu deux autres grossesses, deux fils de Grant, Alec et Frederick, de si beaux enfants… Le lendemain matin son réveil sonna et Bee glissa hors de son lit et réveilla Ezra dormant nu tout contre elle. Il dormait souvent près de sa jumelle, nu comme au premier jour de sa vie et en le voyant là, Bettina pensa à l’un des contes modernes de Bartolomey Auffray, intitulé Bois Sans Soif et elle fut prise de nostalgie. « Il est loin le temps où je te contemple sur ton nénuphar, endormi là bercé par la caresse du vent… —Hum…tu es romantique ce matin ma douce Polymnie. Si tu continues ainsi je vais avoir la verge en érection. Tu comptes vraiment t’inscrire à ton concours de cuisine ? Moi je crois que c’est encore l’une de tes lubies, tu es maniaco-dépressive et je

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m’en veux de te laisser là sans la moindre ressource. Donne-moi une cigarette. —On ne fume pas ici ! » Il quitta le lit prestement, l’attrapa par la taille et la coucha sur le lit en gloussant tous deux comme des mômes après une bonne blague. Alors tous deux allongés sur le lit s’allumèrent une cigarette, tout en s’étudiant silencieusement. Ezzie s’était endormi en essayant de finir Les douze arabesques, d’Amin Azzouf et le livre ouvert sur le traversin montrait des signes évidents de maltraitance. La lumière filtrait à travers les persiennes et glissait subrepticement entre les rideaux cramoisis. « J’ai fait la connaissance de notre aïeule : Elisabeth Worth et je crois bien ne pas être au bout de mes surprises. Quel genre de femme était cette Elisabeth ? Etait-elle comme une héroïne grecque ? Elle n’a pas du avoir eu une vie facile. Un premier mariage et deux enfants, puis elle épouse Herbert Grant qui lui donne deux fils. Et ensuite elle se tape un amant… —De quoi peux-tu bien la plaindre ? Elle s’est faite troncher par tous les mâles qui passaient près d’elle et…Aïe ! Mais tu m’as fait mal, tu veux que je monte sur scène avec un énorme hématome au bras ? Cette… Lizzie n’a jamais été à plaindre. Elle a eu la vie qu’elle voulait : des amants richissimes et des morveux adorables. Il n’y a rien d’autre à dire sur elle. —Je crois qu’elle est obsédante. Vraiment. Je me surprends à vouloir la connaître. —Quoi ? —Elle captive. Son histoire captive ! —Oh ! Bruine à l’ombre du verger, pourquoi ce livre Bee ? « Captivante comme mille étoile, fascinante et illusoire chimère » et blablabla. Amédée voit Orion comme étant la réponse à toutes ces questions d’ordre métaphysique : qui suis-je ? Où vais-je ? Rennick s’amuse avec ses lecteurs sur le thème de l’amour. Il le voit comme une fin en soi. L’aboutissement de quelque chose. C’est quoi ce sourire Bee ?

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—Rien. Je me mets à penser à l’impact qu’à ce livre sur les romantiques comme toi et ce Marcus Weinberg, et dernièrement Philips. On devrait inviter Rennick pour une séance de dédicaces tu ne crois pas ? (Elle se leva d’un bond) Crois-tu que l’amour puisse tout changer ? Le destin d’une femme et sa conception de l’univers ? J’aime cette idée. Est-ce que tu me vois être amoureuse ? Dis-le franchement ! —Toi ? Ah, ah ! Non, absolument pas ! Et pourquoi vouloir tomber amoureuse puisque tu m’as ? Tu serais orpheline, sans frère ni belle-sœur je comprendrais, mais tu m’as MOI et cela est suffisant pour faire ton bonheur. Toi et moi ne formons qu’un seul être et tu ne pourras espérer trouver mieux. Je suis ton double et la notion d’alter-ego s’adresse à nous. Que ferais-tu d’un amoureux ? Tu te souviens du livre de Balthus Zeppelin, Caveau au fond de l’abysse, tu me l’avais fait lire adolescente et tu m’as certifié que tu ne tomberais jamais amoureuse…la peur de finir comme cette Rosemund Mertens peut-être. Quelle triste mariée ! Le soir de ses noce, se donner la mort. Le monde n’est qu’une fable. Ignoble et insensée fable. Tu me rejoins là-dessus ? » D’humeur enjouée, Bee descendit dans sa robe noire ; après avoir ouvert le store, la tasse à la main elle consulta ses mails avant de tomber sur celui de Lena. « Ezra ? EZRA ! » Et ce dernier déboula, ses longs cheveux plaqués sur le côté, les lèvres recouvertes de gloss et khôl soulignant son regard de félin. Il la dévisagea de la tête aux pieds, en creusant ses joues déjà creuses pour souligner son malaise face aux cris de sa jumelle. « Qu’est-ce que tu me veux encore Bee ? Encore ton obsédante obsession du moment ? Parce que si c’est ça, je suis aux abonnés absents. En ce moment je me concentre sur mon audition à venir. Je dois interpréter le rôle magistral d’Apollonien dans le ballet de Norman Schoeller et je ne veux pas paraître grossier mais… —Tu sais, je crois vraiment que je vais la tuer cette Gemma ! Tonna Bee en faisant glisser le curseur de sa

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souris sur le bas de page. Elle est vraiment impossible ces derniers temps et elle se figure que je ne lui dirais rien parce que Madame a fait des études de psychanalyse ! Elle a contacté Lena sans rien me dire et je reçois ce mail : (…) oui je prends en considération l’étude de l’option concernant votre librairie et nous acceptions de nous porter garants pour l’éventuelle vente de ce bien immobilier (…) et plus loin, elle lui fixe carrément un rendez-vous ! Tu sais je vais vraiment me montrer agressive ! Tu étais au courant toi ? —Ben oui, elle l’a évoqué la semaine dernière pendant que tu étais rendue à l’exposition à la National Gallery et je ne vois vraiment pas ce qui coince. De toute façon tu comptais mettre cette librairie en vente, non ? Débarrasse-t-en et reviens à la réalité. Ces épreuves te mettent à cran et j’ai bien peur que tu te déclenche un ulcère avec tout cela. Bon je te laisse à des pensées assassines car je suis attendue avec mon directeur de casting ! Appelles-moi quand tu auras terminé que je vienne t’aider à nettoyer la scène du crime. » Folle de rage, Bee partit en cuisine pour avaler un cachet noyé dans un grand verre d’eau ; un peu d’homéopathie pour ne pas perdre la face. Du moins pensait-elle que cela fonctionnait car elle en consommait sitôt que la contrariété la saisissait. Entendant les grelots à la porte, elle posa brusquement le verre sur la table. « Putain Gigi, il y a des horaires à… » Et elle se tut en voyant un client dans la boutique. « Monsieur, je suis confuse…je vous prenez pour quelqu’un d’autre. En quoi puissé-je vous être utile ? —Il semblerait que j’ai manqué Austin Philips hier. Vous reste-t-il quelques une de ses œuvres ? Je pensais à Rouge Saison. L’avez-vous ? —Bien-sûr ! Nous avons tous ses livres. Une préférence ? Je veux dire qu’il y a une différence notoire entre Les Papillons et Moissons d’Eté par exemple. Les puristes du genre diraient que Philips a gagné en maturité mais personnellement je l’ai

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toujours trouvé radicalement génial. Cette audace, ce talent ne pourrait provenir que de la plume de Philips. Alors on part pour Rouge Saison ? » Il ne répondit rien tandis que Bettina Baxter saisit le livre d’Austin Philips pour le scanner. Russel Grant étudiait la couverture des livres notamment celui de Marek Hollander, Sissy Wolwertz et Bryan O’Malley. « Parlez-moi un peu de : Un Jour j’irai piétiner votre tombe. Comment est ce livre ? —Wolwertz écrit sur un rescapé d’un camp militaire, purement fictif bien entendu mais elle y mêle des intrigues policières, des angoisses métaphysiques et des analyses économiques. J’avoue que c’est un peu décousu mais cela se lit facilement si l’on prend le temps de s’immerger dans cette atmosphère postapocalyptique. —Et parlez-moi de ce livre. —Quel livre ? » Elle se pencha par-dessus son comptoir pour étudier la couverture. Cependant il n’y avait nulle illustration, seulement un titre : Les Destins Emmêlés et pas d’auteur, seulement un pseudo ; une série de chiffres en fait, peu conventionnel et si déroutant. Bee pensait qu’on lui faisait une blague ou bien était-ce James McEllroy qui l’avait oublié là, la veille au soir. « J’avoue que je ne le connais pas. Permettez s’il vous plait ! » Il lui tendit l’ouvrage et Bee ouvrit une page au hasard. (…°Ma sœur parle de commander de nouveaux patrons pour des robes à tournures dont elle découvre les modèles dans les journaux de mode. Nous en choisissons chacune six avec capelines, capes, capuchons, manteaux, gants, bas et corsets ; père s’affole toujours quand on parle chiffons et notre savoir est incompréhensible pour la gente masculine. Garrel-Barnes nous écoutait donnant son avis sur tel ou tel costume et sait quelle matière, quelle couleur est susceptible de nous mettre en valeur. (…)

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Nerveusement elle éclata de rire en le feuilletant à grande vitesse. « Je crois deviner l’origine de ce livre. Ces derniers temps, j’ai un de mes clients qui…qui s’intéresse de très près à l’histoire de ma famille. Enfin…du moins de la propriétaire de ces lieux. Mrs Elisabeth Worth Grant. C’est absurde. Ce livre ne devrait pas se trouver ici. Il n’a aucun code de référencement, pas de date de publication et l’auteur est pour le moins très anonymes. —Je vois. Il est tout à fait possible qu’on court derrière les mêmes choses. Disons qu’on cherche à rétablir la vérité. C’est là où je vous perd n’est-ce pas ? Vous êtes comme cette Pandora dans La Foire aux Vénins, de Bradley Stanford. Elle refuse d’admettre la vérité jusqu’à ce que…. —Jusqu’à l’intervention du Dieu de Lumière : Aros. Oui j’ai lu ce bouquin il y a des années de cela. Mais qu’est-ce qui vous fait croire que je suis comme cette Pandora ? Contrairement à moi cette héroîne avance dans un état psychique proche du zéro sur une échelle de conscience ; chez nous autres, on appelle cela de la schizophrénie. Elle s’invente des mondes parallèles censés la rassurer si sur propre monde pour le moins abracadabresque. —C’est exactement ça ! C’est précisément là où je veux en venir. » Bee le toisa du regard ; qu’on la compare à cette déjantée de Pandora n’allait pas l’aider à se réconcilier avec le monde entier. La porte s’ouvrit sur Gigi. Discrètement il la salua et s’enfuit dans l’arrièreboutique. Elle masqua son ennui par un large sourire et reprit la discussion où elle l’avait laissée. « Donc vous restez sur Austin Phillips n’est-ce pas ? » Perdu dans ses pensées, il la fixait se demandant pourquoi une telle colère en elle. Il sortit sa carte de crédit qu’il glissa lentement sur le comptoir. Comme son nom apparaissait sur la carte, notre Bee eut le

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temps de lie lire. Grant, comme Herbert grant ! Elle se serait crue au cœur d’une conspiration dont l’action se situait précisément à la Polymnia. « Préparez-vous à toucher les étoiles ! » Disait le héro Robinson dans la saga de David More : Le Couché de Neptune et cela la fit sourire. « C’est marrant mais il semble déjà vous avoir vu quelque part ! Eclairez-moi un peu Mr Grant ! —Vous essayez de me séduire là, Miss Baxter ? J’accepterais volontiers un verre en votre compagnie. Je suis libre dans une heure. —Ah, ah ! Reprenez-vous mon vieux ! Je ne fais pas ce genre de service. —Voici ma carte de visite, pour le cas où vous changeriez d’avis. Dans une heure seront mis en vente les derniers lots ayant appartenu à Lord Llyod et vous êtes cordialement invitée à vous y rendre. Une façon pour vous de renouer avec le passé. Avez-vous eu la visite de Marcus Weinberg ces derniers temps ? Il m’a dit passer vous voir et je m’étonne qu’il ne l’ait pas encore fait ; à moins que vous ayez reçu ce livre par coursier ? N’hésitez pas à me contacter d’accord ? Je reste à votre entière disposition ! » Bee le dévisagea de la tête aux pieds. Il était son genre d’homme, à la fois rustaud et affectueux, amical et bourrin ; elle se disait qu’elle pourrait finir par s’entendre avec cette sorte de cow boy, aux paupières tombantes, restant maître de lui quelque soient les circonstances. Après qu’il se fut en aller, Bee resta dans ses lubriques pensées. « Tu as découché hier ? Oui quand tu portes cette robe je suis à peu près sûr que tu as découché la veille au soir, ma fille ! Laisses-moi deviner…tu as été à ton club de libertin et tu t’es essayée à toutes les positions du Kâma-Sûtra ? Tu es une petite cochonne tu sais ! Et je t’ai vu le mater….je n’ai pas osé troubler cette parfaite connivence. Il te fait mouiller celui-là ? Alors tu devrais le revoir bien vite avant de le laisser à Gemma. Elle a déjà Weinberg dans le collimateur et lui se mord la queue parce qu’il avait bien l’intention de visiter ta grotte.

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—Gigi ! Remets-toi au boulot ! Cela dit….je n’aurai rien contre le fait de le revoir ! Il est charmant, tu ne trouves pas ? Et puis, il a de belles mains et il connait Bradley Stanford. Je ne peux pas faire comme s’il était….monsieur tout le monde ! Tu es d’accord sur ce point ? » Gigi écœuré par ses propos la défigurait. Lui détestait Bradley Stanford. Pour lui une écriture indigeste ; un véritable délire littéraire. Ne s’était-il pas suicidé d’ailleurs ? La folie l’avait gagné trop dépendant à la cocaïne. Alors que Grant puisse citer cet auteur nombriliste et persécuté par des troubles obsessionnels ne l’enthousiasmait guère. Bee, est-elle possédée par ce type ? Il se posa la question en la voyant pianoter sur le clavier de son PC. « Il m’a parlé des ventes aux enchères de Lord Lloyd. J’imagine que c’est une parution officielle….Oh oui tu vois ! Il y a plusieurs sites qui en parle ! Si nous allons sur celui-ci….on a le listing des heures d’ouvertures…il y a bien une vente dans une heure. Une chance pour moi que cela ne soit pas à l’autre bout de la ville. Alors on dirait bien que la chance me sourit ! » Gemma fit son entrée à 9h45 et lança un : « SALUT ! Belle journée en perspective n’est-ce pas ? » Personne ne lui répondit ; Bee dans son étude du site et Gigi dans son étude de Bee. « Je trouble quelque chose ? Lança cette dernière un sourire ravageur en guise d’introduction. Bee, il faut que tu saches que je m’absente dans une heure…. —Négatif Gemma ! Tu vas rappeler Lena et annuler votre entretien. Il faut que tu arrêtes de prendre MA librairie pour la tienne ! Les décisions concernant Polymnie c’est moi qui les prends seule, tu piges ? C’est une faute que je considère comme étant grave ! Je pourrais te renvoyer pour ça ! —Pardon ! Si tu avais voulu me virer, tu l’aurais fait depuis longtemps, tu n’es juste pas décidée à le faire ! Tu es constamment à ne pas savoir ce que tu veux ! Tu papillonnes, tu hésites et pour finir tu ne prends aucune décision majeure. Alors oui j’ai contacté Lena

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parce qu’elle m’a contacté suite aux nombreux mails restés sans suite ! Tu devais l’appeler, tu l’as oublié ? On a des tas de factures à régler et je ne nous donne pas un trimestre avant de devoir déposer le bilan, c’est la réalité des faits ! Tu ne peux pas continuer à faire l’autruche parce que tu n’es pas la seule dans cette aventure ! —Ne pense pas être meilleure que tout le monde ! Enlèves toi ça de la tête ! » Gemma leva les yeux au ciel, ce qui mit bee hors d’elle. On ne pouvait pas la prendre de haut comme ça ! Et puis on en a déjà parlé de tes sorties ! Tu ne peux pas faire comme si cette librairie t’appartenait ! —OK ! (Gemma leva les bras en l’air) Je vais me changer ! Désolée d’avoir voulu te soulager de ce calvaire ! » Notre Bee la suivit des yeux. Un jour elle risquerait de lui jeter sa tasse de thé en pleine figure. Tu l’aurais bien mérité ! Ses grands airs, Bettina n’en pouvait plus ; gigi venait de lâcher l’information selon laquelle Weinberg partageait l’intimité de son employée. Quel zèle manifestait-elle pour assurer ses arrières pour le jour où Bee devra les licencier tous les deux. De nouveau Gigi la défigurait. « Et bien quoi ! N’ai-je pas raison ? Ne me dis pas que vous vous êtes légué contre moi pour faire valoir vos droits de salariés ! j’ai toujours su apprécier ton honnêteté Gigi mais là je peux véritablement parler de trahison. » Elle s’en alla laissant Gigi devant l’écran. Soudain il fronça les sourcils en découvrant une vieille photographie d’Harold Lloyd. Immédiatement il imprima la page et partit la brandir sous le nez de Bee dans l’arrière-boutique, occupée à référencer les nouveaux arrivages. « Ce type ne te dit rien ? » Bee poussa davantage ses lunettes sur son nez. « Harold… Lloyd….c’est écrit en légende Harold Lloyd. Pourquoi ? —Et cela ne te choque pas ? Il n’y a rien sur cette photo qui te choque ? Regarde bien Bee… » Elle lui

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arracha la page des mains assise sur un carton rempli de livres prêts à partir pour le pilon. « Regardes bien ! » Mais Bee ne voyait rien qui ait pu attirer son attention. Lloyd posait pour la postérité, impeccable dans un costume noir à gros boutons dorés ; cheveux blonds tombant sur son large front et mine auguste. « Il ne te fait pas penser à quelqu’un ? Si je te dis Angus Warren-Geffrye, notre amateur d’art ! Tu ne lui trouve aucun air de ressemblance ? Même blondeur, même regard et…ses lèvres finement ourlées. C’est véritablement impressionnant tu ne trouves pas ? Il y a un lien possible entre ces deux hommes, tu crois ? » Intriguée Bee ne lâcha pas Gigi des yeux. Elle attrapa un livre, Ombre et magie de Paula H. Home. Au pilon ! Puis elle en saisit un autre : Douce et lointaine Splendeur de Yin Po Wing ; cela aurait pu déclencher de la curiosité chez elle non pas de l’indifférence. Au troisième livre, Ali Baba s’en va en guerre ! De Miller Dwayne, Gigi fut pris d’un fou rire. « Tu n’as pas l’intention de t’y rendre Bee. Je parle de cette vente aux enchères à la résidence de Lord Lloyd. Cet homme-là était l’ami de ton aïeule et tu n’as pas envie de savoir ? Putain Bee ! Parfois j’ai envie de te fiche un coup de pied au cul pour te faire réagir. Weinberg a cherché à attirer ton attention en te remettant ses lettres et… —D’accord ! D’accord j’irai. J’irai pour…. (Elle se perdit dans ses pensées) recueillir des fonds pour la librairie et ça sera toujours mieux que rien. J’emporte avec moi le manuscrit pour le cas où Gemma chercherait le vendre sur Ebay ! Tu vois, finalement je ne suis pas si gens-foutre ! » La demeure se trouvait dans le quartier de Westminster. En tenant le livre fermement sous son bras, nous remontions le temps avec Bee ; au loin on entendis le sifflement strident d’une locomotive à la Victoria’s Station ; des pigeons survolaient les cieux gris dans un claquement d’ailes ; il fallait faire attention où mettre les pieds, les rues pavées étaient recouvertes d’immondices de tout genre : crottin, pelures de légumes, fleurs fanées ; les lourdes

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calèches passèrent à vive allure dans les rues de Vauxhall Bridge road et Bee pressa le pas, soulevant sa robe à tournure bleu velours à passementerie verte foncée recouvrant ses manches, son col. De fins gants de chamois recouvraient ses gracieuses mains aux poignets desquels pendaient des bracelets d’or de grande valeur ; un ravissant chapeau recouvrait sa noire chevelure et Elisabeth contempla son reflet renvoyé par la vitrine d’un bottier. Sacrebleu, je ne serai jamais là-bas à l’heure ! Et la belle se caressa la nuque en évitant le regard des passants lorgnant de son côté. Enfin Elisabeth arriva à destination ; deux calèches attendaient stationnées devant le portail de fer forgé. En retenant ses jupons, elle monta l’escalier pour saisir le butoir et frapper quatre coups à la porte. On lui ouvrit et gracieusement elle quitta ses gants doigts après doigts. Dans le salon on débattait sur le prix d’un vase Chinois de la Dynastie Chang. Les hommes se retournèrent vers elle. « Nous disons 4500 à droite ! » La main sur le livre, elle étudia l’assistance ; une majorité d’hommes assis et alignés tels un rang d’oignons ; lorgnon à l’œil, favori sur les tempes, cheveux finement ondulés et costumes sombres sans grande originalité ni dans la coupe ni dans la sobriété. Certains tenaient nerveusement leur écriteau des prix exprimés par dizaines. Le cœur battant la chamade, bee tira sa montre à gousset coincée dans la doublure de sa redingote. « Vous êtes en retard ! » Sans se retourner elle laissa poindre un sourire reconnaissant la voix de Lloyd, Harold Lloyd. « On dit pourtant que les femmes du monde savent se faire désirer. Et puis personne n’aurait pu vous dire que je serais là, répondit cette dernière en se tournant vers Harold. Où est-il ? Où est ce Grant dont on me parle si souvent ? —Au premier rang naturellement. Il est venu seul et compte surenchérir avec garrel banes….troisième rang sur la droite. Le sinistre homme accompagnée de sa maîtresse, madame Lise Russel. Il investi dans les

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chemins de fer à ce qu’on raconte mais toute sa fortune provient des Compagnies Orientales. Mais notre principal atout reste Grant. Il me faudra vous le présenter de façon officielle. Nous aimons cela entre membres de la gentry. Observez-les s’entredéchirer. C’est un spectacle à part entière… » Une heure plus tard ; après avoir passé une dizaine de lots mis en enchères, Elisabeth montra des signes de faiblesse et tua son ennui en tapotant sur le livre posé sur ses genoux. Enfin, tous se levèrent pour se congratuler des objets remportés ; Harold Lloyd saisit Elisabeth par le bras pour la conduire à Grant. Il lui glissa quelques mots à l’oreille et s’éloigna d’eux. « Que vient-il de vous dire ? Quelle curieuse façon d’introduire les gens ! Peu importe. Vous me reconnaissez n’est-ce pas ? Vous êtes passé à ma librairie et j’admire ce que vous faites, je tenais à vous le dire avant que vous ne repartiez pour de plus lointaines contrées. Sir Harold Lloyd est…un bon ami et… —Plus tard ma petite ! D’accord…. » Il lui tourna le dos somptueux dans son uniforme de l’armée ; un bleu roy associé à la mise de son interlocutrice. Epaulettes dorées et ceinturon du métal que ses boutons. Il se pressa un chemin vers une autre personnalité portant une large moustache grise. « Bien ! Nous dinons toujours au Savoy ce soir ? » La question était adressée à ce vieux grisonnant. Pour Elisabeth se fut le comble de l’humiliation ; comment pouvait-il lui préférer la compagnie de ce vieillard ? Comprenant son malaise Harold la conduisit à la porte, des plus embarrassés ; plus que d’habitude il faisait preuve d’empathie. « Je passerai vous voir ce soir ! » Sans se retourner Elisabeth répondit par un : « Cela ne sera pas nécessaire ! Vous comme moi êtes submerger de travail ! Portez-vous bien ! —Et quelle est donc cette chose que vous tenez sous le bras si amoureusement ? » Elisabeth stoppa net se souvenant du livre. « Oh ça ?« Il n’y a que vous pour remarquer les choses

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futiles et je tenais à le lui en faire cadeau. Il a tort de ce montrer si présomptueux et… » Harold se pencha à son oreille. « ….pourtant il ne cesse de vous regarder. Non ! Ne vous retournez pas ou bien il se montrera moins engageant la prochaine fois. Parlez-moi de Marcus Weinberg. —Qui donc ? » Il laissa poindre un sourire et saisit le bras de la belle pour la conduire à l’extérieur ; au loin carillonnaient les cloches de St Paul ; sur les trottoirs un couple les bouscula puis ce fut la folle animation précédant l’’heure de déjeuner. Il fallait manœuvrer avec habilité entre les calèches, les phaétons, les charrettes, les carrioles ; les cavaliers et les omnibus lourdement harnachés. « Laissez-moi à cette station d’Omnibus je retrouverai mon chemin seule ! —Vous ne m’avez pas répondu ! Qui est ce Weinberg ? —Je l’ignore ! J’aurais pensé que vous auriez pu me renseigner. Après tout c’est vous qu’on consulte pour des affaires d’ordre public, glissa-t-elle déposant un baiser sur la joue de Lloyd. N’hésitez pas à passer à l’adresse que vous connaissez ! » L’omnibus la déposa non loin de la libraire nichée entre deux immeubles aux murs blancs qui avec le temps prenaient une teinte ivoire ; la fumée s’échappait de la cheminée et aux fenêtres noircies par la poussière et la suie soulevées et déposées par les courants d’air frais ; la petite librairie passait inaperçue par ici ; ce loin on la confondait avec une résidence aux pierres rouges, mal entretenue et menaçant de disparaître ravaler par les promoteurs cupides de St James. Un chat dormait sur la bowwindow et disparut sitôt que notre Elisabeth posa la main sur la poignée. « Alors comment était-ce cette vente aux enchères ? Questionna Gigi en voyant entrer Bee. Astu les questions aux réponses que tu te posais ? —Non mais….c’est étrange. J’ai eu l’impression à bien des moments de ne pas avoir été moi-même. Je

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ne sais pas comment le dire….C’était comme…Pandora dans la Foire aux Venins quand elle découvre que…tout ce auquel elle croyait n’était qu’illusion. Elle voyage dans le temps et fini par accepter cette fatalité. » Un long silence se passa pendant lequel Gigi n’osa la troubler dans ses réflexions. « Une sorte de monde parallèle… —C’est un peu normal. C’est une vente aux enchères concernant des lots provenant d’une autre époque. Ce voyage dans le temps est voulu et recherché par les collectionneurs. J’imagine qu’Angus Warren-Geffrye n’a pas boudé son plaisir ! A-t-il mentionné le fait qu’il passerait nous voir ? Quand il vient c’est tout le voisinage qui apparait comme par enchantement. Autant de flagorneurs se débattant dans les eaux boueuses de l’anonymat pour ne pas dire la vulgarité. Plus que jamais nous avons besoin de lui, de sa grande popularité pour ne pas perdre un client de plus dans cette marasme économique. Tu as une mine effroyable. Tu devrais aller te reposer une petite heure et redescendre quand tu te sentiras mieux. » Devant le miroir du second, Bee tira sur ses joues et se mordit la lèvre, non satisfaite du résultat ; Elle se sentait fatiguée comme après une dure nuit blanche passée auprès des autres libertins de Londres. Cette pensée la fit sourire. Qui à part Gigi et son frère avait vent de ce coquin passe-temps ? Qui était ce Marcus Weinberg ? Cette question lui revint en mémoire ; c’était parce qu’elle était fatiguée qu’elle n’avait pas les idées claires. Dormir elle y songeait mais pas maintenant. Je dormirai mieux ce soir , pensa notre Bee en grimpant le vieil escalier recouvert de moquette sur la marche duquel somnolait son chat. Elisabeth Worth, plusieurs fois cet escalier dans la journée avait emprunté cet escalier….Elisabeth Worth. Arrivée sur le palier, elle s’arrêta prise par un subit malaise : et si ce Weinberg n’était pas ce qu’il prétendait être ? « Gigi ! » L’autre tourna la tête en la voyant arrivé. il se demanda encore ce que la patronne avait encore ;

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après avoir copieusement rems Gemma à sa place il fallait s’attendre à pire avec Bee. « Si on demande après moi, tu diras que je suis sortie ! » Armée de son parapluie et de son sac à main elle poussa la porte de la librairie. Il commençait à pleuvoir. Aussitôt Bee poussa sur la bague de son parapluie pour l’ouvrir….et Elisabeth savait que Sir Harold Lloyd pourrait la renseigner. Une lourde voiture manqua de la renverser et le cocher de s’en excuser en levant son fouet. Il aurait dommage de renverser une aussi jolie fleur. Elle n’aurait pas à marcher longtemps pour se rendrez chez Harold. Plus tard elle allait franchir la porte cochère de l’immeuble de son ami quand il apparut dans l’encorbellement du portail. « Mrs Worth? Que faites-vous ici? Ai-je manqué quelque chose ? Devions-nous déjeuner ensemble ? Cela me comblerait de joie, vous le savez, répondit-il en l’entrainant par le bras. Vous dites si souvent que je vous néglige alors faites-moi cet honneur aujourd’hui ! Je suis attendu au Savoy et ma voiture est ici. S’il vous plait ! Nous causerons en chemin de l’impression que vous avez laissé à ce Grant. Je pense savoir qu’il donnera suite à vos sollicitations. —Certes, mais cette fois-ci il ne s’agit pas de votre ami, Harold ! Je veux savoir qui est ce Marcus Weinberg. Nous savons si peu de choses sur lui. il vient dans ma librairie pour me parler du futur. Est-il divin ou bien quelque chose dans ce genre ? » Le cocher s’empressa de leur ouvrir la porte. Etaitce une bonne idée que celle de monter en voiture quand ce dernier disait partit pour le Savoy ? Allons bon, si je ne le fais pas, je resterais idiote ! En attrapant sa traîne, elle se hissa sur la banquette de cuir, posant son parapluie à ses pieds et Harold de la suivre, les sourcils froncés. Le cocher referma la porte derrière eux et la voiture s’ébranla sur la chaussée dans un furieux élan des chevaux. « Que voulez-vous savoir sur ce Marcus Weinberg ? Vous voulez savoir s’il est bien réel ou s’il ne s’agit de l’un de ces farfelus artistes gagnant leur vie en jouant sur les attentes et espoirs de leur riche clientèle ? A

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vrai dire il est un peu de tout cela. Vous devriez rencontrer cet écrivain. Barnave bartoldi. Il écrit merveilleusement bien. —Songe des Insouciants, oui je connais. C’est une écriture assez modeste mais empreinte ceci dit, d’une grande prétention. Je l’ai commandé pour mes clients après que soit parue la critique datant du début d’année. Et en quoi ce roman ou écrivain rentrerait-il en rapport avec Weinberg. Je vois. Vous faites beaucoup de zèle pour un individu discret et méthodique capable d’attirer l’attention sur lui. À vrai dire je le considère d’ors et déjà comme un charlatan. —Ah, ah ! Un charlatan dites-vous ? Elisabeth, tout ce qui dépasse votre simple logique devient alors un réel problème à votre esprit si complexe. Vous avez fait bonne impression lors de cette vente privée. Il y a à Londres des tas d’hommes fortunés et admirables qui cherchent un peu de divertissement littéraire, j’entends bien, et j’aime à penser que votre entreprise trouvera à s’accroître au fil des années. —Je suis montée en voiture pour vous entendre parler de Weinberg pas d’investisseurs cupides ou lubriques, ou peut-être bien les deux à la fois ! Je veux des réponses claires ou bien je descends ! —D’accord. D’accord, Elisabeth mais si je parle il faudra ensuite vous trouver une raison de plus pour ne pas me détester. Weinberg m’a contacté il y a des mois de cela après un bref courrier disant souhaiter me rencontrer. Jusqu’’à là tout est des plus officiels. C’était un jour comme celui-ci. La pluie menaçait de tomber et je sortais de mon Club dans lequel j’aime y côtoyer tous les anciens de ma promotion de Cambridge. Il m’avait donné rendez-vous dans un endroit public pour faire taire tout soupçon quant à sa nature et ses objectifs peu communs. Donc je m’y rendais à pied, serrant ma main le pommeau de ma canne quand j’eus l’intuition étrange que le monde que je voyais était une sorte de miroir à diverses facettes tout comme le passage du roman de bartoldi. Ne prenez pas le chemin de gauche car il conduit inévitablement à vos pires souvenirs quand celui de

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droite vous révélera la parie de vous que vous cherchez à fuir. C’est une phrase du roman : Songe des Innocents. Je commençais dès lors à frissonner et puis…il m’a semblé vous avoir entraperçu dans la rue. Une fraction de seconde c’est votre image que j’entrevis au bout de la rue, poursuivit-il en souriant quelque peu nerveux. Je sais que vous n’auriez pu vous trouver là puisqu’en compagnie de vos amis Australiens. Enfin passons. Je poussais la porte de ce genre de tripot quand Weinberg me héla. Il ne m’avait jamais vu, ni même entendu en toute vraisemblance mais il en savait assez sur moi pour me proposer d’écrire ma biographie. Et il est venu à me parler de vous. Du livre que vous écriviez. Vous écrivez un livre n’est-ce pas ? —Oui ! Enfin non ! Il s’agit plutôt d’un journal. On ne peut pas parler de livre à proprement parler. D’où me connait-il ? » Harold ne répondit pas, perdu dans ses pensées. Son regard se fut plus lointain jusqu’à ce que notre Elisabeth ne le ramène à la réalité en se penchant vers lui, le cœur battant la chamade. « Oui c’est bien cette partie qui manque de sens. Il dit qu’il vous a rencontre après, dans une vie future. Ce n’était pas très cohérent mais il fit référence à votre librairie et à votre descendante, une certaine Bettina vivant au 21ème siècle et rencontrant des difficultés financières pour maintenir la librairie à flot. Il ne cessait de parler de ce que vous écriviez. J’aurai pu partir mais je suis resté pour entendre ce qu’il avait à me dire. Il dit que votre avenir dépend des indices que vous laisserez derrière vous. —Des indices ? Ah, ah ! Dans quel monde d’intrigues vivons-nous ? Il est possible que cet homme aussi mystérieux qu’il parait-être soit un charlatan qui tente à contrôler nos esprits. Maintenant que vous me le dites…. Il pourrait s’agir d’une farce dont mon défunt époux était si connaisseur. » Et notre Mrs Worth se perdit dans ses pensées. Dans quelques minutes ils approcheraient de Westminster. Peut-être vingt-cinq ou trente minutes

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avant d’atteindre la destination de Llyod. Le souvenir de son époux lui était encore douloureux ; Mr Worth fut un bon époux, le meilleur qu’elle ait pu rêver d’épouser et Elisabeth en éprouvait une indicible tristesse. Elle se souvenait notamment ce soir de pluie où elle le rencontra pour la première fois. Il s’agissait du 15 octobre 1871 et notre Elisabeth assistait à la lecture des œuvres de Sir arthur Boyle, soit en tout une vingtaine de personnes rassemblées chez les Worth. Ces derniers vivaient à St James Park dans ce qui ressemblait fort à la succursale du palais royal, on y trouvait une centaines de pièces et autant d’endroit propres à se cacher. Immense et sinistre place aux charmes néogothique, on racontait un tas d’histoires sur les derniers résidents de cet endroit et de telles fables hantaient encore l’imaginaire des contemporains du dernier descendant Worth dont on ne savait peu de choses, excepté le fait qu’il louait le rez-de-chaussée à un certain club de lecture, le Pygmalion dont le président Mr Palmore achevait de rédiger les œuvres écrites de l’aïeul de Jay Worth. Ce dernier n’apparaissait jamais en public et on le disait frappé d’un mal incurable, tantôt vampire, tantôt démon ailé, il n’avait rien d’humain d’après les sources, il allait jusqu’à boire du sang de nourrisson pour rester jeune et la nuit, il errait dans les couloirs de sa lugubre demeure, telle une âme en peine. Les vingt-deux membres se réunirent donc dans la salle d’ornement pour leur lecture des écrivains gothique de leur temps : Liotte Manders, Billy Ascott, Burn Alddlestone, etc.et notre Elisabeth connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un susceptible de la laisser découvrir ce genre de loisirs. Quand un éclair zébra les ténèbres a à peine une heure du début de la lecture. Sursautant sur sa chaise, Elisabeth leva la tête pour discerner une silhouette derrière la galerie de vitraux donnant sur la salle d’ornementa. Si cet endroit est hanté, pensa-telle, j’en aurais ce soir toutes les preuves. Et elle s’absenta, disant vouloir un peu d’air frais pour échapper à l’odeur des bougies. Elle gravit un vieil

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escalier aux pierres suintantes, poussa plusieurs lourdes portes, franchit des couloirs, galeries et corridors sans jamais croiser de fantômes quand au loin une silhouette se découpa dans l’embrasure de la porte. Lui Jay Worth ne bougea pas, comme interdit face à ce spectacle : une petite femme glissant sur les dalles noires faiblement éclairé par une ridicule bougie. Etait-ce là un spectre ? Il pensa à tous ces gens rassemblés en bas, il n’était pas rare que deux ou trois plaisantins visitent les lieux dans l’espoir d’y trouver les fantômes des Worth. « Qu’est-ce que vous faites ici ? Questionna ce dernier, laissant la petite l’approcher suffisamment près pour s’apercevoir qu’il n’avait rien d’un ectoplasme. Le sourire aux lèvres, Elisabeth tendit une franche poignée de main. « Enchanté ! Je me prénomme Elisabeth Potts ! Et vous devez être Sir Jay Worth, est-ce bien ça ? » Il ne répondit rien, les sourcils froncés. « Cela ne répond pas à question de ce que vous fichez ici ? —Et bien, en fait, je….je m’ennuie en bas. Tous ces vieux messieurs et ces femmes qui parlent d’aventures sans les vivre. Je sais que je ne devrais pas être ici mais franchement à choisir. » Il sut qu’elle serait sa femme à l’instant où elle ouvrit la bouche, une sorte de conviction profonde, la petite voix intérieure que l’on entend quand on s’y attend le moins. Cette femme sera la tienne, Jay, alors ne la laisses pas filer ! Et alors un rictus apparut sur ses lèvres. Oh, non pour sûr il ne la laisserait pas partir ! Elle avait quelque chose de cette héroïne de Sacha Lee Pratt dans Le petit Jouer de Flûte, la douce Edna et ce fut ainsi qu’il se la représentait : mystérieuse, audacieuse, avec un joli brin de voix et un joli minois. De plus, elle avait de jolies mains. Et dans l’esprit de notre Elisabeth ce fut le même désordre. Quand elle pensait Jay Worth, elle s’imaginait voir un vieux garçon au teint livide, sinistre à mourir et incapable de voir le monde dans toute sa complexité ; force de constater que Jay Worth état un génie doté d’un fort tempérament observateur, pas du genre à vous laisser mourir d’ennui dans votre coin,

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Elle le trouva immédiatement beau avec son regard si profond et son teint lumineux ; il semblait revenir d’un court et bénéfique séjour à la campagne. « Avez-vous lu Paradis céleste de Mortimer ? —C’est possible, oui. J’ai lu beaucoup de livres vous savez ! » Il éclata de rire. Comment pouvait-on être aussi jeune et affirmer avoir lu beaucoup de livres ? Il eut envie de la tester : « Je ne sais pas si c’est La colombe ou l’hirondelle que Dormont voit arriver par la fenêtre…. —Ce n’est ni l’un ni l’autre ! C’est un rossignol. Dormont est incapable de différencier un oiseau d’un autre mais il sait que le rossignol a une jolie voix et quand l’oiseau se pose sur le rebord de se fenêtre, il sait alors que son Helen cherche son oiseau. —C’est exactement ça. Et quel est votre livre préféré puisque nous sommes à parler de livres ? » Elisabeth aima la tournure que prit la conversation et adossée contre le mur fit semblant de chercher la réponse au fond de son esprit. Elle adorait Nuit Noire mais hésitait entre celui-ci et cet autre d’Andrew G. More, Horizons Funestes. Elle allait répondre quand il le fit à sa place. « Personnellement j’aime beaucoup Nuit Noire. —Vous plaisantez ? C’est l’un de mes livres préférés pour ne pas dire le préféré. Comment avez-vous fait pour le savoir ? Lisez-vous dans mes pensées ? » Des plus réjouis, il éclata de rire. Une chose était sûre à cet instant précis : plus jamais ces deux là ne se quitteraient. La voiture de LLyod s’ébranla sur la chaussée et perdue dans ses souvenirs, Elisabeth trouva amère qu’on l’extirpa ainsi. La main sur ses cheveux blonds Harold n’osait la regarder, comprenant ce qu’elle pouvait ressentir dans pareil moment. « Ma route s’arrête ici, Sir ! —Attendez ! Vous n’êtes pas….vous n’êtes pas obligée de croire en tout cela. Cela ressemble fort à une méchante farce et cet homme est peut-être bien un charlatan dont la seule préoccupation serait de

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vous soutirer un peu d’argent ou au plus, vous faire perdre votre temps ! —Ne vous donnez donc pas tout ce mal, il me reste encore un peu d’humour ! » Et elle quitta sa banquette sans plus s’attarder. Elle rentra plus tard dans sa librairie, repue de fatigue, les cheveux en pagaille et ses bottines crottées. Les enfants étaient à la campagne pour la semaine, elle disait avoir moins de temps pour s’occuper d’eux maintenant qu’elle se trouvait être seule à subvenir aux besoins de la famille. Avec difficulté elle délassa ses bottines quand Gigi apparut dans l’encorbellement de la porte. « Mes questions resteront sans réponses Gigi ! Nous n’en serons pas plus sur ce curieux Weinberg, répliqua-t-elle la tête dans la main. Gemma est-elle partie ? Ou bien compte-t-elle faire des heures supplémentaires pour mieux m’ennuyer ? C’est marrant j’étais dans les rues de Londres à me ballader et….par moment j’avais l’impression d’être….ailleurs. As-tu déjà ressenti ça ? —Non. Tu dois être en manque c’est tout. —Ah, ah ! En manque de quoi, selon toi ? —D’aventure, répondit-il en glissant vers elle. Ecoutes tu travailles non-stop et les seuls loisirs que tu t’accordes sont pour la cuisine et des clubs échangistes ! Entre nous je n’ai rien contre les clubs libertins mais il te manque autre chose. Comme quelque chose de plus….hum… —De plus spirituel tu veux dire ? Dis-moi un peu, si quelqu’un voulait laisser des indices derrière lui comment s’y prendrait-il ? Il y aurait-il une façon efficace pour que le message puisse être compris des années voir des siècles après ? Je sais que tu dois me voir comme une folle en ce moment, mais je me pose un tas de questions en rapport avec ce curieux manuscrit et je dois dire que je me trouve être face à un problème de concordance. —Ah, je vois. On peut dire que ce livre t’obsède. Veux-tu entendre ma théorie sur le sujet ? Alors viens par ici et écoute un peu. On a tous quelque part des

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cadavres dans le placard. Parfois on ne veut pas lés déterré pour des raisons évidentes de morale et parfois des illustres inconnus sonnent à notre porte, agitant les grelots de la raison. D’un côté il y a cette librairie, héritage familiale et de l’autre côté, le néant de ton existence. —Le néant de mon existence ? Merci de le voir ainsi ! Tu penses vraiment que ma vie est à ce point dénué de passion ? Bref, où veux-tu en venir Gigi ? —Ecoutes, tu ne connais rien de ce Weinberg dont finalement on ne sait peu de choses : il tiendrait une boutique d’art et aurait reçu d’une tierce personne un manuscrit ayant appartenu à ton aïeul. Ce dernier de façon très sournoise le place de façon très intelligente sur ce meuble de façon à ce que tu puisses le lire et….dévorer par la curiosité tu te mets alors à vouloir en savoir plus. Alors tu ouvres les portes du passé pour tomber sur un épais mur dense refusant de céder à tes incantations de femme moderne. —Oui ce n’est pas faux ! Et comment devrais-je opérer selon toi ? Consulter un médium ? » Il l’interrogea du regard avant d’expirer profondément, les yeux au ciel. « J’ai eu trois clients aujourd’hui qui m’ont acheté des bouquins complètement différents les uns des autres. Auteurs sélectionnés : Patterson, Stone et Hallmore. En général les clients rentrent ici sans avoir vraiment l’idée du prochain livre qu’ils lieront ; c’est là que notre rôle survint. Nous sommes ici pour les guider, orienter leurs choix vers quelque chose qui collent à leur réalité ou leurs fantasmes. Il arrive dans la vie qu’il faille prendre des décisions à leur place. Tu me suis toujours ? —Evidemment ! Je ne t’ai pas complètement perdu Gigi alors ne me ménage pas. —Tu penses être face à une énigme sans précédent mais cela n’en est pas une et tu veux savoir pourquoi tout te parait être si compliqué ? Parce que Bee tu es comme tous ces clients qui viennent ici avec une idée de titre à lire, un auteur ou bien une collection et qui ressortent de là avec précisément ce qu’ils sont venus

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chercher. Il n’y a alors pas de magie, pas de surprise ! Quelque part on a refusé de se laisser corrompre par un étranger qui voulait vous remettre dans la main les prémisses d’une incroyable aventure écrite pour vous dans le seul but de vous éloigner de vos angoisses, de vos peurs pour ainsi mieux vous révéler. —D’accord, alors selon toi je devrais…. —Accepter quelques aspects de ton passé, pour commencer. Tu as grandi en ayant la certitude que tu n’étais pas à ta place et aujourd’hui tu réalise à quel point il t’est devenu dangereux de sortir des sentiers battus, d’aller vers les autres et te libérer quelque part d’un carcan social. » Bee se perdit dans ses pensées. Elle n’avait pu vu le problème ainsi ; pourtant elle se savait être bornée et incapable de faire des compromis. Notre Bee arborait une moue boudeuse, pianotant nerveusement contre son bras croisé sur sa poitrine. Oui, Gigi avait raison ! elle aurait voulu danser comme ton frère pour ainsi toucher les étoiles, à la place de cela, elle s’était vue reprendre la librairie de son père afin de ne pas sombrer dans la folie. Les livres avaient su la maintenir hors de l’eau ; pourtant ses vieux démons surgissaient sitôt qu’elle fermait un livre. « Alors fasse à l’inévitable il me faut donc faire des efforts ! Comment agirais-tu à ma place. Chercheraistu dans un endroit en particulier ? —Chercher quoi ? Tu ne sais pas même quoi chercher ? Ce que tu veux savoir sur Weinberg tu le sais déjà. Laisses-le de côté pour l’instant et interroge plutôt Elizabeth. —Elizabeth ? Je n’ai pas encore le pouvoir de communiquer avec les esprits et qu’est-ce que je serais censé lui demander : bonjour ! Tu ne peux pas comprendre et moi non plus mais j’ai besoin de savoir pourquoi tu as écrit ton journal intime ? Il n’y a rien d’extraordinaire à tenir un journal à cette époque ; à priori tous s’adonnait à ce passe-temps et…. —Et bien c’est peut-être là où tu te trompes ! Tu l’as dit toi-même : ce manuscrit n’est qu’une suite d’indices, balança-t-il d’un regard noir. Elle avait peut-

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être tout intérêt à le faire. Penses un peu à ces sociétés secrètes, ces groupuscules religieux et ces ordres fondés il y a des siècles de cela. On trouve des explications dans les messages laissés à nous autres contemporains, bien loin de l’ésotérisme, parfois il s’agit de donner des connaissances scientifiques destinés à un public averti mais aujourd’hui nous avons tous accès à la connaissance, vrai ? —Oui mais cela serait prétentieux d’affirmer une telle chose ? Pourquoi venir me poser ce manuscrit dans ma librairie quand on pouvait directement s’adresser à mon père ou à l’un de mes cousins férus de généalogie ? C’est à ce niveau-là que j’ai besoin de réponses. —As-tu vu Angus Warren-Geffrye ? Questionna ce dernier en remettant des livres en exposition sur la table. Lui aurait pu te renseigner, tu ne crois pas ? Agaçant non, de penser que tous ici autour de toi ont à voir avec ce manuscrit ? —Comment peux-tu en être si sûr ? —Tu ne sais pas observer. Tout fait partie de ton quotidien alors tu ne prends plus la peine d’observer les détails aussi minimes soient-ils, autour de toi ! Je reste persuadée que tu t’en sortiras grandie de cette expérience. » La librairie fermée, Bee se fit un thé avant de réfléchir sur son vieux fauteuil, les jambes pliées sous ses fesses. Ezra lui avait laissé un message lui disant qu’il ne rentrerait pas de la soirée. Vers dix heures trente, elle monta se mettre au lit précédé par Shakespeare et après avoir enfilé une robe de chambre, plongea dans son livre Sourire à Palm beach écrit par Susan Norton. Elle le referma bien vite pour passer à God Save the Queen de peter Branson. Rien d’extraordinaire là non plus et en soupirant revint eus le tapuscrit laissé sous la pile des livres à lire laissée par George. Etrange qu’elle ne l’ait pas remarquée avant et ouvrant fébrilement l’ouvrage commença sa lecture.

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(…) Aujourd’hui quelque chose d’incroyable est arrivé. Sir Lyod passa me voir pour me dire qu’il avait lu mon tapuscrit et qu’il en aimait particulièrement le style et mon époux l’aurait apprécié ; il a dit que je tenais là un chef d’œuvre ! Mon excitation est à son apogée puisque bientôt je serais présentée à un éditeur. Mais à l’heure où je vous écris, force de constater que de curieuses visions m’assaillent. Il est tout à fait possible que je manque de sommeil et que sans solution de ce côté-là je risque bien vite de me retrouver bloquée ici pour cent ans…Si je viens à m’assoupir pour un long moment, sachez que j’ai laissé un mot à votre intention sous le pied de la troisième marche. A vous de le découvrir et de nous régaler de mes esquisses ! Et puis j’ai autre chose à vous dire… Bee tourna la page. Vierge. La personne ayant pris soin de réécrire le manuscrit avait-il omis volontairement la suite ? Notre Bee relut les dernières lignes comme pour en trouver le sens caché et la phrase suivante : sachez que j’ai laissé un mot à votre intention sous le pied de la troisième marche. A vous de le découvrir et de nous régaler de mes esquisses ! Et frémissant d’excitation Bee ferma le livre pour descendre prestement l’escalier. N’était-ce pas là un indice laissé par son aïeule ? Mais Bee agissait là sans réflexion ; cette histoire passée ne pouvait être trouvé écho dans son présent et puis Elisabeth n’écrivait pas pour elle mais pour une tierce personne. La curiosité tenaillait Bee au point de descendre après midi ce vieil escalier grinçant. Et que comptait-elle y trouver ? La lumière éclaira le couloir et Shakespeare se frotta à sa jambe au moment où elle s’accroupit devant l’escalier pour palper le dessus de la troisième marche. Ses doigts ne trouvèrent rien et au moment où elle avait se résigner à abandonner les fouilles, ses doigts heurtèrent quelque chose de souple. Des plus

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fébriles, elle tira dessus et comprenant qu’elle pourrait l’arracher, elle se montra plus prudente. Après vingt minutes, elle sortit le papier avec triomphe et assise sur la marche le déplia avec soin. L’écriture était fluide et guère différente de celle de Bee ; ce détail la surprit et devant son bureau, la jeune libraire compara les deux écritures avant de se plonger dans la lecture de la lettre. (…) Les choses ne se passent pas comme je les avais prévues et le Dr Elias Leighton de Leicester Avenue pourrait vous aider à y voir plus clair. Il pourrait vous surprendre ; j’avais pensé que Mr Marcus Weinberg aurait accepté mais il refuse de collaborer avec ma personne. Il dit qu’il y a trop d’énergie en moi. S’il vous plait, Soyez aimable de m’aider pour le cas où je ne reviendrais pas de cette épreuve ! Marcus Weinberg. Comment cela pouvait-il être possible ? Si cet homme vivait bel et bien dans le passé comment avait-il pu se retrouver face à Bee il y a quelques jours de cela ? Et bee se mit sur internet pour récupérer des informations sur cet Elias Leigthon. Ce dernier écrivit un livre en 1879, un ouvrage sur des expériences paranormales et ce dernier s’intitulait : comment visiter la matrice de notre conscience ? Soit un livre de 234 pages. Il n’était plus en publication depuis 1875 et bee se dit que notre Elisabeth avait du s’en procurer un ouvrage. Comment le savoir ? Elle déchira un bout de papier pour y inscrire : Qu’attendez-vous de moi ? C’était absurde elle le savait mais cela valait le coup d’essayer. Et elle poursuivit : Ce Marcus Weinberg accepterait-il de m’aider ? Le papier fut placé sous la marche et les bras croisés sur la poitrine se mit à rire nerveusement.

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« Oui c’est complètement stupide mais cela vaut le coup d’essayer, non ? » Shakespeare remua la queue, les yeux plissés, amusé par le comportement de sa maitresse. Cela va sans dire que Bee ne ferma pas l’œil de la nuit. Gemme arrivée dans la librairie, Bee lui sauta dessus ; ce fut à peine si elle la laissa se déshabiller. La jolie blonde l’esquiva de justesse, le sourire inquiet sur les lèvres. « Je peux quoi pour toi Bee ? —Voilà je…je m’interroge sur le rôle qu’à notre psychisme sur la gestion du stress ou….Si une personne est violemment soumise à un stress, son cerveau peut-il alors se mettre à interagir sur l’environnement de l’individu ? —Evidemment ! Cela peut bouleverser nos besoins vitaux, notre satisfaction par nos humeurs, nos émotions, notre cognition, notre intelligence, la structure affective, l’activité et la créativité. Même si l’individu en question à un psychisme fort, le corps humain peut également répondre à pareils stimulus cognitifs. —Attends, je t’arrête ! Tu viens de parler de cognition. Selon toi est-il possible que certains processus mentaux soient affectés notamment la perception ? Alors comment cela pourrait-il se manifester, as-tu une vague idée sur la question ? » Gemma la dévisagea de la tête aux pieds. Elle ne répondit pas de suite, talonnée par Bee ; après avoir posé des livres sur la table, Gemma haussa les épaules comprenant ce que Gigi avait dit au sujet de leur employeur : « ne la contrarie pas en ce moment, elle est un peu soupe-au-lait. » Et Gemma afficha un radieux sourire sur son visage. « Oui cela fait partie du processus mental de défense. Tu connais les réponses Bee, alors pourquoi m’en parler ? Les émotions sont presque toujours mises en avant pour le raisonnement et la prise de décision. C’est la raison pour laquelle je t’ai poussée à faire un choix concernant ta librairie et par conséquent tu ne peux repousser sans cesse ton entretient avec tu sais qui.

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—Ok ! On enterre la hache de guerre et je te présente mes plus sincères excuses reconnaissant que tu ais bien agi pour la sauvegarde de notre librairie mais…. —Il y a toujours un Mais avec toi Bee. Franchement, Gigi et moi ne méritons pas cela. On se donne tellement de mal pour maintenir cette librairie à flots et tu devrais en convenir, remarquer nos efforts ! Cela serait un bon début, tu ne crois pas ? —Nous ne sommes pas là pour discuter de cela maintenant, je veux seulement que tu me parles un peu plus de la cognition. J’ai passé la nuit à essayer d’en savoir plus quand je me suis souvenue que tu avais étudié la question à l’université ! » Elle se paie ma tête, pensa Gemma en prenant soin de poser les livres à retourner chez l’éditeur sur le chariot. Cette dernière ricana, trouvant jouissif que Bee puisse avoir besoin d’elle ; par le passé elles avaient toutes deux été de bonnes amies, puis le vent tourna et plus rien ne fut comme avant. Gemma lui piquait ses soupirants les uns après les autres et si au début bee ne s’en était pas trouvée affectée, en ce jour, notre libraire en souffrait passant ses soirées seule à cuisiner ou à lire. « Mais je ne vois pas en quoi d’aider Bee ! Si encore je savais ce que tu voulais savoir. —Laisses tomber ! As-tu le numéro de Marcus Weinberg ? Tu es toujours en contact avec lui n’est-ce pas ? —Weinberg ? Il n’est plus à Londres depuis un petit moment déjà alors s tu veux le revoir il faudra te monter patiente. » La porte s’ouvrit sur un premier client. Il semblait chercher quelque chose des yeux et quand il croisa le regard de Gemma, il sourit timidement. « Je cherche un livre en particulier et on m’a dit qu’il se trouvait être ici. —Probablement, quel est-il ? » Bee retourna sur son PC pianotant furieusement pour obtenir des renseignements sur des livres commandés par Gigi. Le client sortit de sa poche intérieure un billet.

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« Il s’agit de….Nuit noire de Andrew G. More. —Ce titre ne me dit rien. Bee, j’ai UN client pour toi. Si vous voulez bien voir avec mon employeur ! C’est elle la spécialiste des vieilles éditions. Elle sera mieux vous renseigner que moi.» Occupée par ses commandes, Bee ne prit pas la peine de relever le nez de son écran. Sur les vingt livres commandés, seulement sept furent envoyés et quand Jay la vie derrière son desk, son cœur s’emballa ; il lui semblait l’avoir vu quelque part. Oui, elle avait occupé certaines de ses nuits et redoutant cet instant il avança prudemment. « Veuillez m’excuser, mademoiselle….je cherche Nuit Noire d’Andrew G. More et votre collègue m’a dit de m’adresser à vous. » Nuit Noire. Ce livre lui disait quelque chose. Nuit Noire, Bee’ avait du l’entendu dans la bouche d’un autre. Lentement elle leva la tête pour tomber sous le charme de cet homme. Un frisson d’exultation parcourut son dos et les battements de son cœur martelaient ses tempes. Etrange comme ce visage lui rappelait un homme aperçut ailleurs. « Euh….on se connait ? Je veux dire… est-ce la première fois que vous venez ici ? —Je dois dire que oui. Nous avons un ami en commun et ce dernier m’a conseillé votre librairie. Ce dernier m’a dit que vous vendiez de vieux ouvrages réédité par James Mc Ellroy. Enfin…. par sa maison d’édition. Alors je m’étais dis que vous pourriez commander ce livre à défaut de l’avoir sur ces étagères. » Bee resta un moment comme figée et elle constata avec effroi que ses mains tremblèrent. Bien vite elle les plaça sous ses aisselles et nerveuse chercha que lui dire de censé. Mais rien ne vint. Un long silence s’installa entre eux et bonté divine, il devait ressentir la même chose pour notre libraire à en sujet l’immobilité dans lequel il se trouvait être. Les lèvres serrées et l’œil brillant, Jay voulut tenter une approche avant de comprendre que Bettina s’en trouverait dérangée.

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« Cette librairie est atypique…. —Oui ! Elle l’est ! C’est un endroit….unique. Il Elle est telle qu’elle l’était au siècle dernier et….on se précipite encore pour dévorer des bouquins et….des cookies. Je cuisine ; enfin ; quelques pâtisseries. Ma spécialité. Mais pas seulement, je….j’ai un goût certain pour les vieux objets d’antan. —Vous êtes la propriétaire de ce lieu ? Questionna t-il sans sourciller, aucune expression sur son visage livide. —Oui, ce lieu atypique a appartenu à mon aïeule et on se transmet ce bien depuis des générations. Et êtes-vous du quoi ? Peut-être un futur lecteur assidu du quartier, qui sait ? —Non, je ne suis ici que de passage. Cependant je vous laisserez une adresse pour m’envoyer le livre. Je ne serais malheureusement plus là pour le réceptionner. Ses boiseries sont-elles d’époque aussi ? —Le lambris, les boiseries, le parquet. Dans le salon, nous avons également la console de la cheminée et à l’étage, tout a été conservé en l’état. Autant vous dire qu’en hiver nous crevons de froid mais c’est le prix à payer pour ne pas avoir à détruire les structures et le ramonage des cheminées couterait à lui seul les dépenses du royaume pour l’éclairage municipale. Vous y connaissez-vous en vieilles pierres ? —Un peu oui. Mon emploi consiste à évaluer des biens et…. —Oh, vous êtes un commissaire priseur si je ne me trompe ! Un féru d’art ! Ici vous allez être servi il y a plus d’antiquité dans cette maison qu’à la National gallery ! Et pourrais-je savoir qui vous aurez influencé sur le choix de ce livre ? Les clients qui viennent ici avec une idée bien particulière sont soit des collectionneurs, soit des curieux. —Je suis un peu des deux, mademoiselle. » Fascinée elle l’étudia de la tête aux pieds. Il était si plaisant à regarder qu’elle en oublia presque ses pâtisseries dans la cuisine. « Veuillez m’excuser une

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petite seconde ! » Elle rassembla les gâteaux dans une petite boite qu’elle présenta à Jay. « Vous êtes obligé de me faire honneur ! Allez-y, ils sont pour vous ! Prenez-en au moins un ! —Ainsi vous dorlotez vos clients, c’est une bonne intention. Ils ont l’air délicieux… permettez que je goûte à celui-ci ? —Ils sont fait pour ça. Alors pourquoi la Nuit Noire ? Cet auteur a écrit de nombreux déboires éditoriaux avant de trouver son style mais Nuit Noire est difficile d’accès. Et je ne pare pas qu’en tant que libraire mais comme femme qui se respecte. Certaines descriptions qu’il fait des femmes est primitif : « Un essaim de femmes bourdonnantes et récalcitrantes évoluant autour de la reine hissée sur son piédestal et… » Quel manque d’égard pour la gente féminine quand il écrit : « Elles sont tout juste bonne à enfanter et battre les tapis. » Il faut le voir comme un misogyne. —C’est voulu de sa part. « Il n’y a qu’à espérer qu’elles se lèvent pour monter sur un champ de combat. Femmes ! Libérez-vous de ce carcan ! » C’est une plaidoirie à la condition des femmes n’est-ce pas ? —C’est peut-être ça le problème. Nuit noire est un roman sombre. Quel destin funeste pour ces héros ! La pire œuvre de Sa carrière. Dois-je pour autant voue le commander ? » Il fronça les sourcils amusé par cette femme à la robe noire et lunettes carrées sur son ravissant petit nez. Il eut envie de la serrer dans ses bras et lui dire qu’il l’attendait depuis longtemps. Il croqua un morceau de cookies et en fut séduit. Oh, que c’est divinement bon ! « Ce n’est pas... ce n’est pas mauvais ! C’est même délicieux. Pour être exact, je ne connaissais pas ce livre avant que….un matin je me suis levé avec ce titre en tête. Je l’a probablement entendu quelque part, allez savoir où. Parfois nous avons toutes sortes de mélodie dans la tête, des impressions de déjà vu… » Abasourdie, Bee resta là plantée à le fixer de ses grands yeux de chat. La vérité c’est que notre Bee crevait de frousse ; elle semblait rêver et craignait de

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se réveiller. Si elle fermait les yeux une seconde seulement, cette divine image disparaitrait. Plus elle le regardait et plus elle le voyait comme autrefois Elisabeth et son Alexander. « Mon Dieu ! Vous avez évoqué une situation de déjà vu, n’est-ce pas ? Cela va vous paraitre absurde mais en ce moment des visions m’assaillent. —Quel genre de visions ? Questionna-t-il des plus curieux. Et voilà qu’ils chuchotèrent l’un contre l’autre. Il fut surpris de la voir si près de lui et le cœur battant furieusement dans sa cage thoracique, il se promit de ne pas l’effrayer. « Il s’agit de visions du passé. Ne me regardez pas comme ça, je sais que c’est complètement insensé mais…. il me suffit de quitter cet endroit pour voyager dans le temps. Ce Londres là n’a rien à voir avec le nôtre et… tout ce bruit, ces odeurs…j’en ressens un profond malaise. —Vous devriez consulter une personne compétence en ce domaine. —Alors vous pensez que je suis folle ? —Ai-je mentionné le fait que vous puissiez être folle ? Je parle d’un médium. Il existe des spécialistes dans ce domaine. » Des plus interloquées notre Bee eut un frisson au moment où il évoqua la profession de médium. Elisabeth avait laissé les mêmes recommandations sur ce bout de papier trouvé dans la marche de l’escalier. Le poil s’hérissa sur sa peau et la gorge nouée, Bee se persuada qu’elle ne rêvait pas non plus en cet instant où Jay lui parla d’un possible contact avec l’au-delà. Il frémit à son tour : était-ce son odeur qui lui faisait tourner la tête ? Ou bien autre chose ? « Il m’arrive également de connaître ce genre d’expérience, bafoua-t-il sans oser la regarder. Le professionnel que j’ai rencontré m’a alors dit de tout consigner par écrit. Une sorte de chronologie. Un journal de bord relatant les faits les plus importants. —Des faits importants ? Mais…. depuis quand cela a-t-il commencé ?

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—Depuis maintenant deux ans. Cela n’a pas été facile de l’admettre. On pense à tort que nous sommes différents et dérangés, mais on apprend à se connaître et surtout à se faire confiance. C’est une épreuve en soi mais déterminante dans notre façon de voir les choses et considérer certains événements. —C’est….cela me rassure. J’avais pensé que tout cela était le fruit de mon imagination. Oh, je….je ne vous ai pas demandé comment vous vous appelez ! —Mon nom est Jay Alexander McLee. —D’accord, je ne risque pas de l’oublier. —Et pourquoi dites-vous ça ? » Le sourire s’effaça sur les lèvres de Bee. Ne comprenait-il donc pas ? Le visage hermétiquement clos, Jay s’enferma dans ses réflexions et la malheureuse Bee craignait de ne plus le revoir. Son départ signerait la fin de ses méditations et cette pensée la fit frémir d’horreur. « Alors….dois-je vous commander ce livre ? » Il ne l’écoutait plus, perdu dans ses réflexions et sa vision s’embrouilla. Une douce mélodie emplit ses oreilles et il vit Elisabeth dans une robe bleue, un ravissant chapeau posée près d’elle. Par la fenêtre il vit passer des fiacres. Ce décor ne différait guère de celui de Bettina Baxter. Dieu qu’elle était jolie ! Elle l’étudiait du regard cherchant à percer le secret de son mutisme. Il se serrait tué pour elle, pour ses beaux yeux. « Jay ? Est-ce que tout va bien. Dois-je vous apporter un peu d’eau ? Jay ? » La vision s’atténua au point de disparaitre complètement et comme à chaque fois qu’elles disparaissaient, Jay se retrouvait seul, éperdument seul loin de cette femme qu’il avait appris à aimer d’un amour ardent. Il ne voulait pas quitter ce monde et s’accordait à penser qu’il errait dans l’autre tel une âme en peine, cherchant résolument à comprendre toute l’essence de son existence. « Pardon, je n’ai pas saisi votre question ! —Je voulais savoir pour le livre. Dois-je le commander ? » Il sortit le portefeuille de l’intérieur de son manteau noir et en sortit une carte de visite et sans un mot la

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tendit à Bee croyant que cette dernière s’effacerait comme cette hallucination de cette autre femme évanescente et merveilleuse. « Je dois supposer que oui. Mr Jay Alexander Mc Lee, répéta-t-elle en lisant la carte de visite. Est-ce que….nous reverrons-nous ? —Tout dépend de vous. —Comment ça ? » Bee l’interrogea du regard et des plus nerveuses passa la main dans ses longs cheveux noirs pour ensuite les glisser derrière son oreille. Pendant un long moment ils restèrent à s’étudier sans oser bouger ni même respirer. On aurait pu entendre les mouches voler. Le bruit dans la rue leur parvint et en bas Gemma discutait avec Gigi ; ces derniers échangeaient beaucoup ces derniers temps et Bee loin de se montrer envieuse continuait à essayer de se faire une raison : toutes ces coïncidences n’était pas le fruit du hasard. Si seulement je pouvais avoir la clef ! Pensait-elle en voyant sa conscience se rétrécir prisonnière d’un étau. Encore cinq petites minutes, se dit-elle en défigurant Jay. « Quand nous reverrons-nous ? —C’est vous qui avez la réponse. Il ya un très bon médium au 123 de la Marylebone. Son nom est Elias Leighton. » Elle sursauta en entendant le nom du médium. Elias Leighton. Non ! Cela ne pouvait être vrai ! La tête dans la main elle tenta de recouvrer la raison et frotta son œil par-dessous son verre de lunette. « C’est….insensé ! —Il est important que vous alliez le rencontrer. Dites-vous bien qu’il sera là pour vous apporter les réponses aux questions que vous vous posez. S’il vous plait….faites-le. »

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CHAPITRE Année 1877. Il y avait du monde dans la rue. Impossible pour Elisabeth d’avancer sans rentrer dans quelqu’un et ralentie par sa robe à tournure, elle se hâta DE franchir la rue pour gagner l’autre trottoir. Des hommes au chapeau melon posèrent deux doigts sur le rebord de leur couvre-chef pour la saluer. L’angoisse tenaillait Elisabeth qui frissonna. Une charrette passa près d’elle et l’odeur de son contenu lui souleva le cœur. Elle parvint à destination et sonna au 123 de la rue. On tarda à venir lui ouvrir. Le temps pour elle de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Antique rue avec ses vieilles bâtisses de genre élisabéthain et les marchands et camelots massés là dans l’angle de ses trottoirs la regardait sans véritablement la voir. Tant mieux, pensa Elisabeth en serrant son manchon tout contre son ventre. Un homme aux favoris roux vint enfin lui ouvrir, sans pour autant complètement ouvrir la porte et la tête enfonces dans les épaules, il s’empressa de lui ouvrir. « Entrez je vous prie, Mr Leighton vous recevra d’une minute à l’autre ! » Avec prudence elle le suivit dans l’escalier et accrochée à la rampe, elle s’arrêta sur le palier afin de souffler un peu. Il lui avait fallu une heure pour arriver ici ; à présent elle aspirait à un long moment de détente loin de la cacophonie régnant dans cette très vieille cité. Elias Leighton se tenait devant la porte du second étage, les mains enfoncées dans les poches et il n’articula pas un mot en voyant la malheureuse monter les dernières marches qui la conduisaient à sa résidence. Il arborait une barbiche blonde et ses petits yeux enfoncés dans leur orbite la sondaient étrangement, joues creuses et grand nez droit. Il lissa sa pare de moustache avant de la laisser entrer. Deux autres hommes se tenaient là, tous deux portant un chapeau melon et une écharpe pendue à leur cou. Moustache et même arrogance.

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« On se reverra plus tard Elias ! Et bon courage pour votre livre ! » Le plus jeune lui administra une bourrade amicale à l’épaule avant de sourire dans la direction d’Elisabeth. Une fois la porte refermée sur les deux hommes, Elias se tourna vers sa nouvelle cliente sans cesser de la regarder par-dessus ses petits verres ronds. Elisabeth étudiait la pièce sans rien lui trouver d’original et ce petit bourgeois la fit entrer dans une sorte de grand bureau contenant une méridienne installée devant une cheminée devant laquelle un chat ronronnait les yeux clos, indifférent à la présence de la femme. Elias en gilet et cravate s’empressa d’enfiler une veste et glissa derrière son bureau après avoir nettoyé ses lunettes. . « Et puis que puissé-je pour vous ? Vous n’êtes pas venue sonner ici par hasard n’est-ce pas ? Crise de somnambulisme qui persiste ou désir de comprendre l’origine de notre monde? Recherchez –vous peut-être des méthodes paradoxales pour éliminer toute forme d’agressivité qui en ce moment vous ronge. Dites-moi en quoi je peux vous être utile. —J’ai le pressentiment que quelqu’un essaye de rentrer en contact avec moi. —Un membre de votre famille ? —Je n’en sais rien. Mais cette personne me ressemble. Cette personne pourrait-être moi. Elle et moi partageons beaucoup et….j’ai commencé à écrire un livre. C’est étrange mais….cette femme m’oblige à retourner en arrière, comme pour me faire nager à contrecourant. —Veuillez m’excuser mais reprenons tout depuis le début. Vous dites écrire un livre ? —Oui. Il a pour titre….les Destins Emmêlés. Pour le moment je n’en suis qu’au début mais je pense en faire quelque chose. —Et cette personne que vous dites rencontrer souvent vous aurait-elle influencé sur ce choix de toman ? Communiquez-vous régulièrement avec vous ou est-ce plutôt une image figée dans votre esprit ? Une sorte de miroir de votre propre conscience ?

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—Non c’est une entité à part ! J’ignore tout d’elle et je ne sais comment communiquer avec elle. —Et bien…. Laissez des indices autour de vous. Certaines entités sont capables de comprendre le sens caché de certains messages et l’important est de ne pas chercher à la repousser. Il faut voir cela comme une aide, une précieuse aide. Dites-moi si vous souhaitez être observée. Parfois ils perçoivent cela comme une menace mais bien souvent nous gagions du temps à venir à leur rencontre. —Vous pensez alors que cette personne est morte ? —Naturellement oui ! Sinon comment réussir à prendre contact avec eux ? —Cette personne vient du temps futur. » Alors le regard d’Elias se fit plus dur ; jamais encore il n’avait eu dans sa clientèle une personne qui puisse affirmer cette vérité. Il remit ses lunettes sur on nez et ouvrit un carnet pour y gratter quelques notes et sans lever le nez de son calepin poursuivit : « Et qu’est-ce qui vous fait penser cela ? S’est-elle écrier : nous sommes le 3 décembre 2017 et aujourd’hui le ciel est dégagé ! Soyez un peu plus précis, Madame s’il vous plait ! Donnez-moi toutes les raisons de croire en votre version ! —J’ai fait l’acquisition d’une librairie l’année dernière. C’est une ravissante boutique mais depuis un certain temps je perçois des choses étranges. Une entité cherche à rencontrer en contact avec moi et elle est d’un autre temps, je le sais parce qu’elle n’a pas peur de ce qu’elle voit. Je veux dire par là qu’une personne d’une époque révolue paniquerait à l’idée d’évoluer dans ce Londres industrielle : ce train, ce bruit, ces coches et ces nécessiteux…ce n’est pas une personne terrifiée alors je suppose qu’elle évolue dans un monde plus oppressant. —C’est une déduction comme une autre. Mais pourquoi Diable chercherait-elle à vous contacter ? —C’est vous le médium. Il ne tient qu’à vous de résoudre la question ! —Et la question est : êtes-vous prête à connaitre votre futur ? Parce qu’il ne s’agit que de cela madame,

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car dès l’instant où vous serez en contact avec elle, vous chercherez à en savoir plus, toujours plus et une fois que vous serez dans la connaissance alors…. Vous ne pourrez plus revenir en arrière. Vous devez en évaluer le risque. —Pitie ! Ne me ménagez pas ! L’homme que j’ai le plus aimé au monde est mort et l’écriture est pour moi une délivrance. —Peut-être auriez-vous du commencer par cela ! Votre époux trépasse et voilà qu’une entité venue d’un temps futur cherche à vous connaître. Et pourquoi selon vous ? Parce qu’elle sait ce qui s’est produit par le passé et ce qui se produira dans le futur. —Vous pensez que…. Vous pensez que mon défunt époux a été assassiné ? —Non, je n’irais pas jusqu’à là, argua Elias les mains jointes et les coudes posés sur la table de merisier. Je pense que votre époux pourrait avoir eu à vous cacher quelque chose. Probablement un fait important. Pour le savoir, il vous faut laisser des indices à notre… quel est son nom ? —Je l’ignore, avoua Elisabeth la gorge nouée au souvenir de son époux à jamais disparu. —Interrogez-la et sitôt que nous aurons une réponse nous pourrons commencer. Les indices se doivent d’être simples et concis. Allez droit au but et ne craignez pas de voir la vérité aussi crue et indigeste soit-elle. » Bee retira le papier coincé dans la marche et tint un papier jauni entre ses doigts tremblants. Elle ne rêvait pas ce papier n’était pas le sien ; celui-ci semblait être défraichi tout comme le précédent et avec soin le déplia pour lire ceci : 1877, à vous qui me lisez ! Je sais que vous me lisez. C’est difficile de l’imaginer mais le monde tel que nous le concevons n’est pas. Ce n’est plus une surprise pour moi, pas depuis que mon défunt époux n’est plus. Son décès est

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pour moi un mystère, un mystère qui remet en cause tous les préceptes qui me rattachaient autrefois à mon passé. Comment vous faire comprendre ce que je ressens précisément en vous écrivant à cette heure. Je suis récemment veuve et propriétaire d’une librairie : La Polymnia, située en plein cœur de Londres dans un quartier prisée par l’aristocratie comme vous pouvez vous en douter. St James reste donc le fleuron de notre civilisation et cet endroit est pour moi un délicieux havre de paix où les intellectuels aiment s’y retrouver. Mais ceci n’est pas le propos de mon récit. Or actuellement ma situation financière ne me permet pas de maintenir à flot cet établissement ; les dettes succèdent aux dettes et je ne peux me contraindre à vendre ce qui reste pour moi une fierté. Cette librairie m’assure une indépendance financière et je suppose que vous me comprendrez si je vous dis qu’il est difficile de renoncer à ce qui nous attache au passé. J’ignore si je dois vous en parler mais depuis peu j’ai rencontré un homme, un officier nommé Grant et lui seul pourrait me sortir ce cette fâcheuse situation mais le souvenir de mon époux m’empêche de prendre une décision nécessaire pour le bien de mes enfants et mon avenir. Une femme aurait-elle le droit de s’assumer seule ? Fort possible qu’elles en soient un jour capable ; cependant je dois me battre contre ces préjugés moraux et ne pouvant plus longtemps lutter contre l’opinion publique sui veuille que je m’établisse suite à mon veuvage, je me sens étroitement privée de raison. Vous ne pourrez rien malheureusement rien pour moi, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, seulement il est utile que je me confie sur le papier comme je ne peux exprimer mes pensées ouvertement à quiconque. Il m’est impossible de croire en autre chose qui ne soit pas matérielle ; néanmoins dernièrement j’ai eu une révélation d’ordre physique. En marchant dans la rue l’autre jour, il m’a semblé avoir l’impression d’être observée par quelque chose que je ne pus décrire. Cela est très difficile à décrire ; les fantômes n’existent pas et pourtant il existe des traces de leur

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passage et…tout cela est absurde, vraiment !Mo époux ne m’aurait pas contredit à ce sujet mais mon époux n’est plus et seule dans ce vaste monde, j’erre telle une âme en peine en quête de vérité, ce qui n’est pas sain ni pour mes chers têtes blondes, ni pour moi. Rompre avec le passé demeure une épreuve et si je ne cesse de le dire c’est pour m’en convaincre. Afin de m’assurer que vous êtes bien « réel » je veillerais à laisser à votre intention certains de mes objets personnels ; mettons-nous d’accord pour convenir d’un mode d’opération connue de nous seul, disons un endroit précis de cette maison. Si vous acceptez cette étrange sollicitation, alors retrouvez s’il cous plait mon ombrelle que je laisserais dissimulée dans le lambris de la niche de la cheminée. Il s’agit d’une ombrelle noire en dentelle de Calais et vous la trouverez à gauche de la console, au niveau de la troisième planche. Et surtout continuez à m’écrire car cela m’aidera à surmonter cette incroyable absurdité…. Votre amie dévoué et respectable, Elisabeth Worth. Bee descendit l’escalier quatre à quatre pour se rendre dans le salon. Son cœur battait furieusement et elle dut se concentrer pour étudier le problème émis par Elisabeth ; sans difficulté elle trouva l’endroit et à l’aide d’un tournevis fut sauter le lambris pour y trouver l’ombrelle en question. Par tous les Saints ! folle de joie, Bee brandit l’objet en poussant un : « Whouah ! C’est formidable ! » Comment ne pas s’émouvoir en tenant l’’ombrelle de son aïeule ? En tremblant Bee courut à son bureau pour y attraper de quoi écrire et prise de frénésie, elle commença : Elisabeth, je suis aussi surprise que vous ! Il s’avère que je suis votre descendance, votre arrière-arrièrearrière petite fille et que mon nom exact est Bettina

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Baxter, connue par tous sous le prénom de Bee. Il s’avère que je sois la nouvelle propriétaire de ces lieux et vous serez surprise de constater que rie n’a changé depuis votre passage ; depuis plus de cent ans, tout est resté comme tel. C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé vos papiers et aujourd’hui votre ombrelle. Cependant une question m’interpelle : Qu’est-ce qui vous a poussé à glisser vos papiers sous la marche de cet escalier ? Quel est donc cette petite voix intérieure qui vous aurait poussée à le faire ? Oui, cela m’interpelle et m’empêche de trouver le sommeil. Pour dire vrai je ne dors plus depuis qu’on m’a remis vos manuscrits. Cela va vous paraitre étrange mais j’ai rencontré un certain Marcus Weinberg et ce dernier m’a remis votre journal dont le récit se trouve être enchâssé dans les pages d’un roman dont le titre manque. Je viens aujourd’hui de rencontrer un nom qui porte le nom de Jay Alexander Mc Lee, n’était-ce pas votre pseudo pour vous faire publier de façon anonyme ? Si tel est le cas alors cette rencontre est une coïncidence comme jamais encore nous avons pu être confrontés. Je vous pris de m’éclairer sur ce sujet comme l’identité de Marcus Weinberg s’il vous est possible de le savoir. Continuons à correspondre ensemble Elisabeth car j’ai tant à savoir de vous. Bettina Baxter. Bettina prit une profonde inspiration avant de toquer à la porte de son ami Angus Warren-Geffrye qui des plus surpris la laissa entrer dans son bureau envahis par de vieux livres achetés chez Bettina. Angus avait les moyens de cultiver un train de vie des plus confortables. Il possédait de nombreuses galeries d’art à St James et cet homme ne se cachait pas d’appartenir à ces nantis prenant le thé dans un service de porcelaine datant d’une époque fastueuse et révolue. Il vivait dans l’un de ces imposants immeubles de style regency et aux dimensions

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massives ; à chacune de ses passages, Bee s’imaginait portant une tenue de circonstances avec de la zibeline, colliers de perles et discrets diadèmes posé devant une coiffure des plus complexes. Or ce jour-là en passant devant le couloir de glaces, identiques au Palais des glaces de Versailles, Bee sursauta car en une fraction de seconde elle se vit une robe rouge à tournure et portant un coquet couvre-chef de satin cramoisi posé sur une coiffure compliquée. Elle revint sur ses pas et tomba des nues devant ce qu’elle vit ; oui c’était bien cela ! Elle portait une courte verste noire sur une jupe cramoisie dont l’envergure laissait imaginer le travail des couturières… Non, tout cela ne pouvait être réel ! « Il fallait absolument que je te parle Angus ! Tu es mon meilleur ami et….je sais que tu ne me jugeras pas. Voilà en ce moment je….je communique avec mon aïeule Elisabeth Worth et c’est…. Invraisemblable je sais mais c’est la vérité ! Et hier j’ai fait la connaissance d’un homme qui portait le même nom que le pseudo de mon aïeule, Elisabeth. —Attends ! Attends, doucement ! Je n’ai pas suivi un traitre mot de ce que tu viens de me dire. J’étais préoccupé par autre chose. Tu essayes de me dire quelque chose Bee et j’ignore quoi. Il se passe quoi en ce moment dans ta vie ? —Et bien ce n’et pas facile à dire. Tout a commencé avec ce manuscrit qu’on m’a rapport et Angus, je sais que tu as un tas d’amis dans la profession qui pourrait me renseigner sur Marcus Weinberg. Alors c’est précisément là où tu dois intervenir ! » Ce dernier soupira, peu convaincu par la requête de sa Bee. Et puis ces derniers temps il sortait beaucoup, on disait qu’il avait une ravissante petite amie aussi jolie que Bee, peut-être moins attrayante, mais tout de même assez jolie pour qu’il la sorte. « En ce moment ce n’est pas évident pou moi non plus, mais à son retour de Londres je ne manquerait pas de le solliciter. Sois sans crainte. —Mais… tu n’as pas son numéro de téléphone ou un bureau quelconque où je pourrais le joindre ? Après

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tout il exerce la même profession que toi, alors cela devrait être facile pour toi de le contacter ! Ecoutes… ce n’est pas grave, oublie. Je suis stupide de te demander cela. C’est si absurde, toute cette situation est si absurde en soi que je ne devrais pas te mêler à cela. Oublie, de toute façon j’allais m’en aller. » Ce dernier se gratta l’arcade sourcilière et s’assit sur le rebord de sa table en ébène. Il voulait l’inviter à diner en sa compagnie, un soir de la semaine, à elle de choisir la date de leur entrevue. Cependant il hésitait à le lui demander, craignant qu’elle se refuse à lui mettant en avant leur relation amicale et « rien de plus ». Les bras croisés sur la poitrine, il l’étudiait avec attention. « Je crois seulement que tu as besoin de te reposer. Tu subis du stress et le repos est une solution a ne pas négliger. On pourrait sortir prendre l’air toi et moi. —Tu sais, j’étais persuadé que tu me croirais Angus. En fait je suis venue te voir avec plein d’espoir mais force de constater que tout cela n’a aucun sens pour toi non plus ! —Non, ce n’est pas ça ! Je crois en tout ce que tu veux Bee, argua ce dernier en posant ses mains sur les épaules de son interlocutrice. Tu traverses une mauvaise passe en ce moment mais je suis là pour toi et si tu veux de l’argent pour ta librairie, fais-le moi savoir. De combien as-tu besoin ? » Ainsi il ne comprenait rien au problème. Bee fut déçue et son regard se perdit au loin. Elle se dégagea de son étreinte, serra la ceinture de son trench autour de sa taille pour filer. « Ok, Ok ! On recommence tout depuis le début Bee, si veux bien. Tu dis être persécutée par des visions c’est bien ça ? Et ce, depuis que Weinberg t’aurait ramené un étrange manuscrit rédigée par ton aïeule ! Et tu voudrais comprendre le sens de tout cela, n’estce pas ? C’est très embarrassant de n’être mis dans la confidence que maintenant. Tu aurais du venir me voir sitôt que Weinberg a commencé à fréquenter ta

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librairie. C’est une pièce rare et unique, une sorte de pièce à conviction. —Quoi ? De quoi parles-tu ? —Et bien, certaines personnes du voisinage pensent que ta librairie fut la scène d’un crime. » Bee l’interrogea du regard, le cœur battant à vive allure. Sa vie entière prenait une drôle de tournure. Etait-ce possible de subir une telle suite d’événements en un si court temps ? « Euh… écoutes, Bee, tu n’aies pas obligé de croire en tout cela, ce ne sont que des sornettes pour amuser les gosses du quartier Et puis on n’a jamais rien pu trouver, ni à l’époque du présumé meurtre, ni maintenant avec toutes les archives dont nos disposons. Cette macabre histoire n’enlève rien aux charmes e cet endroit. —Tu as raison Angus, je suis fatiguée et j’ai besoin de repos. Tout cela n’a pas de sens. —Je disais seulement que…. —Tu es parfait pour me remonter le moral. Je te laisse, tu as tellement mieux à faire ! » Bee rentra chez elle sous la pluie diluvienne. Au loin elle crut apercevoir la silhouette de Jay. Etait-ce de nouveau une divagation ? Non, il s’agissait bien de son client abrité sous un refuge de fortune. Il fumait malgré toute cette pluie. Devrais-je l’inviter à savourer un bon chocolat chaud devant la cheminée ? pensa cette dernière en tournant la clef dans la serrure. Shakespeare l’accueillit à l’entrée et roula entre ses jambes. Il est ici le seul à ne rien remarquer de mes humeurs, pensa cette dernière en lui refusant une caresse. Ses employés venaient de partir et les dernières recommandations s’entassaient sur le desk. Elle froissa les post-il de Gemme. Elle ne cessait de prendre cette librairie pour la sienne, ces petits mots disaient : Rappeler l’éditeur avant onze heures ! Urgent ! Ou bien encore : Penser à vides les étagères concernant l’anthologie poésie…. Pour Bee cela

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signifiait encore une déclaration de guerre en bonne et due forme. Elle allait se mettre à cuisiner ses choux à la crème quand on sonna à la porte de derrière. Jay se trouvait être là. « Veillez m’excuser… je suis passé avant la fermeture de votre librairie et je tenais à vous remettre mes carnets de notes. Si vous vouliez y jeter un œil. Est-ce que tout va bien pour vous? Cette situation est loin d’être évidente alors je comprends votre désarroi et sachez que je suis passé par là moi aussi. On peut dire que ce fut là une sacrée expérience. —Je cuisinais mais vous pouvez entrer, vous ne me dérangerez pas vous savez. Et puis il pleut tellement que j’éprouverai quelques peines à vous imaginer dehors, trempé comme une soupe. Oui je pense que vos carnets me seront d’une aide précieuse. Mais venez, entrez ! Vous ne dérangerez personne ! » Il la suivit dans le vestibule faiblement éclairé avant de débouché dans la cuisine dans laquelle cuisaient des délices gastronomiques ; lui ne remarqua que la vieille horloge égrenant les secondes et le cadre audessus de la console de cheminée. Des plus nerveuses, Bee passa d’un endroit à un autre ne pouvant s’imaginer louper sa recette. Elle comptait présenter des choux aux premières clientes du matin, certaines d’ailleurs ne venaient que pour cela, pouvoir déguster ces charmantes pâtisseries tout en papotant avec Gigi et Gemma sur les derniers potins du quartier. Shakespeare derrière l’embrasure de la porte n’osait approcher, les oreilles pointant en arrière et il détala avant que Jay ne puisse le remarquer. Bee s’affairait au milieu de ses casseroles et autres ustensiles de cuisine et bien vite en oublia Jay. « Ma grand-mère cuisinait bien elle aussi. Quand j’étais gosse j’adorais me poser dans le coin de la pièce pour l’observer. » Bee cessa tout mouvement pour étudier Jay, les lèvres serrées. Elle aurait pu s’écrier : Oh mais c’est

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super, ce que vous me racontez là ! Elle resta comme indifférente et reprit alors son activité avec ma minutie d’un orfèvre. « J’ai un profond respect pour les personnes qui consacrent le temps à créer, modifier la matière et….vos employés sont remarquables. On a l’impression de les connaitre depuis toujours. Ils fon partie de notre histoire personnelle. Que ferez-vous après ? Avez-vous des projets ? » Interloquée Bee releva de nouveau le nez, la poche à douille dans la main. Pourquoi Diable lui poser cette question ? Notre libraire pressa la poche sans rien répondre et embarrassé Jay se passa la main sur son visage avant de jeter un bref regard à sa montre. « Avez-vous déjà eu l’impression de voyager dans le temps ? Je vous pose la question parce qu’en ce moment je suis très souvent visité. Des visages du passé surgissent dans mon quotidien pour me solliciter sur tel ou tel autre événement ayant eu cour vers 1870 et comme vous pouvez vous en douter, je ne suis pas vraiment là par hasard. —Oui, en ce moment c’est également mon lot. Apparemment mon aïeule Elisabeth chercherait à rentrer en contact avec moi. Un certain type m’a remis un de ses manuscrits et depuis certaines visions du passé m’assaillent. Ces visions ne sont pas les miennes mais celle d’une autre personne. —J’ai fait cette expérience un bon nombre de fois par le passé et aujourd’hui d’autres visions me préoccupent. —Que devons-nous en conclure ? —J’ai émis différentes hypothèses, s’écria-t-il en sortant un carnet de sa poche pour en lire un passage avec liesse, à l’époque je ne savais à qui en parer, pour moi il s’agissait du domaine paranormal quand j’ai pris confiance en moi en contactant un médium. Une femme de WhiteChapel qui dit avoir toujours vécu ici sa mère avant elle ainsi de suite depuis plus de cent ans, d’après ce qu’elle raconte. Enfin bref ! Je l’ai contacté avant de me concentrer sur les indices que je pouvais y trouver. Ce qui avec le recul me permet

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d’affirmer l’hypothèse que nous vivons en parallèle comme une sorte de trou de verre qui nous permettait de voir le passé tout en bouleversant ce fragile équilibre. Tout ce que nous voyons, disons et fomentons à de violentes répercussions sur le présent. J’ai noté dans ce carnet certains événements historiques relatifs à ma famille qui n’auraient plus eu lieu. C’est la raison pour laquelle je tiens à jour mes notes, tout y sont consignés par jours et par heures. A chaque nouvelle rencontre je note tout : le lieu, les personnes présentes, le contenu de nos échanges. On ne peut malheureusement se fier à notre mémoire car ce que nous pensons être réels ne l’est plus sitôt que l’on prend conscience de soi. Est-ce que vous me suivez ? —Oui, continue je vous prie, déclara Bee assise devant lui absorbée par ses propos. Et vous pensez que ce monde parallèle comme vous dires pourrait affecter notre présent ? Pourrat-t-il y avoir des indices, des traces de ces visiteurs autrement que dans notre mental ? —Oui. Un objet de notre présent peut se retrouver dans le passé. La matière se déplace et sert alors de lien entre nos entités. Cela n’a rien d’un canular. Vous savez très bien de quoi je veux parler n’est-ce pas ? Pas plus tard que la semaine dernière il m’a été confié cet objet, déclara-t-il en tendant à son interlocutrice un coupe-papier, cet objet est un exemplaire des plus mystérieux. Fabriqué en Tolède il fut l’objet de bien des convoitises. Marcus l’é étudié sous toutes les coutures et… —Marcus, comme Marcus Weinberg ? Mais oui, pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? C’est Marcus la clef de tout cela ! Imaginé qu’il soit l’un d’eux, un homme du passé prisonnier dans notre monde. Il attend à ce qu’on l’aide et nous guide sans que nous fussions étrangers à tout cela. Il pourrait servir de passerelle. Pourquoi d’ailleurs êtes-vous ici ? Vous aurait-il orientez vers cette librairie ? —Bettina, nous n’avons pas été choisis au hasard. Cette librairie est le point de passage. Il y a en ces

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murs une sorte de couloir pour permettre les voyages temporels. —Vous le pensez ? Mais alors pourquoi ressentezvous des sensations ailleurs, des hallucinations étranges sans jamais avoir mis les pieds dans ma librairie ? —Par le passé oui mais dans cette vie je ne suis que le spectateur impuissant de ces événements. —Comme c’est étrange ! Et que devons-nous faire maintenant ? Rencontrer de nouveau mon médium ou bien attendre une autre manifestation du passé ? Pour ma part je pense qu’il nous faille forcer le destin. Il m’a été également remis une ombrelle ayant appartenu à Elisabeth, ne bougez pas je vous la ramène ! » Et notre bee revint des plus fébriles tenant soigneusement son ombrelle. « Alors que pensez-vous de cela ? Faites seulement attention, c’est très délicat ! » Il l’interrogea du regard. Ignorait-elle la profession qu’il exerçait ? Il saisit l’ombrelle avec délicatesse pour l’examiner en long en large et en travers. « C’est une belle pièce. La dentelle semble comme neuve et l’ivoire est impeccablement ciselé. Un véritable travail d’orfèvre. Le nom de l’artisan est gravé là, le voyez-vous ? Avez-vous du papier et un crayon. Il me fat le noter quelque part » Le cœur de Bee battait furieusement et par-dessus l’épaule de Jay, elle ne perdait rien de son étude, l’œil brillant et les lèvres entrouvertes « C’est formidable non ? Il se trouvait être près de la cheminée. Le courrier d’Elisabeth me disait où chercher avec précision. Et je l’ai immédiatement trouvée. —A qui d’autres en avez-vous parlé ? —A un ami de longue date sui ne m’a pas cru évidemment. Il pense que je suis fatiguée et que je devrais lever le pied ! j’en ai également parlé à mes employés. Ils me connaissent et par conséquent ne sont pas dans le jugement. Souhaitez-vous rester diner avec moi ?

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—Non je ne peux abuser plus longtemps de votre hospitalité. Vous aviez du avoir pitié de moi sous cette pluie et en temps ordinaires je n’aurais pas osé vous aborder dans la rue et encore moins chez vous. Seulement je sais que vous vivez des moments compliqué en ce moment et ma présence ici n’est qu’à titre préventive. Dites-vous que quelque part en Angleterre il y ait quelqu’un qui vous comprend. —Alors vous partez ? Questionna cette dernière la gorge nouée. Et bien, je vais vous conduire à la porte ! Vous savez que vous pourrez revenir aussi souvent que vous le souhaitez ! » Une fois la porte fermée, Bee écrivit à sa correspondante et aïeule. Elisabeth, Je viens de trouver votre ombrelle près de la cheminée comme prévu. A présent je sais qu’il nous est possible de communiquer ensemble par le biais de ces objets. Je viens de faire la connaissance de Jay Alexander Mc Lee et tout comme moi, il cherche à percer le mystère de nos récentes entrevues. Il est d’accord pour dire que nous sommes tous deux élus pour comprendre une part de votre passé. Il y a ou il y aurait quelque chose qui alterne la courbe de nos existences. Cela est si complexe, si déroutant que je ne peux envisager de continuer seule. Jay me sera par conséquent un précieux allié et comme je l’ai dit au départ, nous mènerons l’enquête de conserve. Avonsnous raison ou tort de vouloir modifier le passé ? L’effet domino risquerait d’aboutir à l’anéantissement de nos respectives existences telles que nous la connaissons. Demain sera un nouveau jour et je compte mettre à profit mes nouvelles connaissances en interrogeant le voisinage par exemple, en fouillant les archives et en prenant radicalement le parti de remuer le passé. Pour cela, Elisabeth il vous faudra me donner un maximum de détail sur votre monde, les personnes que vous y croisez et les corrélations

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subies entre elles. De mon côté, il sera utile de renouer connaissance avec Marcus Weinberg, je ne peux croire qu’il est préféré disparaitre au moment précis où nous avions tant de questions irrésolues et pour lesquelles notre esprit rationnel n’est pas préparé à y répondre. Maintenant je vous laisse et restons en contact vous et moi. Bettina Baxter. Elle plia le papier pour le glisser dans la marche de l’escalier et en soupirant retourna à ses fourneaux. Ezra rentra dans la nuit et après avoir appelé Bee trouva étrange de ne pont obtenir de réponse. « Je suis rentré bee, insista Ezra au seuil de la porte. Qu’est-ce que tu fais au milieu de tout ce désordre ? Tu aurais décidé de faire le grand ménage pour anticiper sur ton déménagement à venir ? —Je viens de le rencontrer ! —Qui ? —Et bien lui ! Il est d’abord passé à la librairie pour me commander Nuit Noire et tu ne seras jamais, Ezra, il est lui aussi visité par une entité du passé. Non, non écoutes ! Ce ne sont pas des cracks ce que je te raconte et pour preuves, ces carnets ! Ce sont les siens Ezra et j’ai tout noté du début à aujourd’hui. Il y a une cause à effet, tout se recoupe et…. —Doucement, doucement là ! Tu ne me demande pas comment c’est passé ma journée ? Alors je peux vraiment confirmer que quelque cloche chez toi. J’étais à discuter avec mon metteur en scène et il a pensé que je ne pouvais interpréter Appolonien comme j’envisageai de l’interpréter. Il pense que je me montre trop distant face à ce rôle. Tu peux croire ça ? Il me demande de le jouer différemment alors que je le vois comme un être mystique chargé d’une mission divine. —Ne te formalise pas avec ces détails. Tu es le meilleur Ezzy alors ne te laisse pas intimidé par ce metteur en scène qui n’entend rien à ton jeu de danseur. Moi je sais ce que tu vaux.

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—Merci de vouloir me remonter le moral sœurette, argua-t-il allongé sur toute la longueur du canapé. Tu sais bee j’envie ton existence. Tu n’es pas là à te prendre la tête sur des futilités. C’est peut-être toi qui a tout compris. Tu es là ans cette librairie à gérer ta petite entreprise sans prise de tête et quant il te vient l’envie de baiser, alors tu sors dans l’un de tes clubs libertins. Même en amour tu as tout compris. —Quant du parles comme ça tu me fais penser à Theodore dans Nuit Noire. Il donne raison à tout ce qu’il voit et entend. L’abeille qui butine la fleur pour po, les lionnes qui chassent la gazelle. Les exemples sont multiples et variés. Il est le seul à accepter certains enjeux parce qu’il les a intégrés comme étant justes et dans l’ordre des choses. —Je crois que tu devrais aller tirer ton coup. Depuis quand n’as-tu pas été salué tes partenaires de jeux ? Ce type que tu viens de rencontrer, qui est-il ? —La réponse aux questions que je me pose. —Vraiment ? Pourquoi ne laisserais-tu pas tes notes quelques minutes pour venir me parler face à face ? Là où tu es je ne te vois pas. J’ai besoin de te voir Bee. » Alors notre libraire lâcha ses notes pour venir s’assoir près de son jumeau. Ezzy lui caressa le dos et bee posa un long baiser sur son front. « Tu sais que je t’aime. —Je n’ai jamais pensé une seule seconde que tu pouvais aimer quelqu’un d’autre que moi Ezzy. Je ‘arrête pas de penser à toute cette histoire autour de ce manuscrit. Ton ami Weinberg est au Japon et je me démène seule à essayer de recoller les morceaux de ce vaste puzzle. —Weinberg est un cas isolé. Il est de mèche avec ton Angus, son receleur. Tous deux se refilent les bons tuyaux et ça marche plutôt bien entre eux. Ils sont comme Paulus et Aden dans le très remarquable ouvrage de Hans Cherrer, Quand les orages éclatent ! Tu te souviens d’eux n’est-ce pas ? Ils sont inséparables depuis le meurtre de Stanley et tous

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deux comprennent que leur sort dépend de leur silence. Qu’est-ce qui te trouble ? » Le sourire apparut sur le visage de Bee. Comment ai-je pu passer à côté ? Pensa-t-elle. Il était évident que Marcus et Angus partageaient un secret dévoilé dans ce livre d’Elisabeth : Destins emmêlés. Pour Bee, il devenait urgent de le solliciter de nouveau, surtout après l’évocation d’un crime survenu dans la librairie et dont tout le voisinage disait être au courant. « Tout repose sur nos épaules. Aucun de deux ne veut se mouiller et ils nous chargent d’agir à leur place ; j’ignore seulement leurs motivations. Oui, il faut que je sache vraiment. »

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CHAPITRE Bee ne ferma pas l’œil de la nuit et une fois Gigi arrivé, notre libraire quitta son bureau sans un mot, sa tasse de café à la main pour aller jeter un regard dans la rue. Aussi étrange soit-il Bee semblait calme comme résignée à son sort. « Gigi, je sors ! » Sans attendre sa réponse, elle s’engagea à l’extérieur. Sa curiosité était telle qu’elle ne ménageait pas ses efforts pour déceler la vérité derrière chaque ombre. Londres était bruyante, pleine de bruits, pleine d’odeur. Un fiacre passa à vive allure sur son flanc, imité par un autre dont le conducteur invectivait les passants imprudents serpentant entre les camelots, les charrettes, les cavaliers et les marchands tirant leur marchandise à bout de bras. Elizabeth marchait à grands pas sans se soucier de son entourage, soulevant le pan de sa robe pour éviter crottins et détritus en tout genre.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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