Disciple des Orphelins

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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LA DISCIPLE DES ORPHELINS [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Erotisme d’un Bandit Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Œil de la Nuit Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Tristesse d’un Volcan Ventre du Loup

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Vices du Ciel Villes des Revenants

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MEL ESPELLE

LA DISCIPLE DES ORPHELINS

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Polymnie

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1 A la lueur de la lampe, ma plume grattait le papier. Un texte pour la Freedom Women League dans lequel je mettais en relief les aides de l’état alloués aux immigrées depuis 1840, soit la date de la famine en Irlande. Depuis longtemps mon thé était froid et la main dans les cheveux, j’entendis les discussions dans la pièce aux murs mitoyens à la mienne. La porte s’ouvrit sur Cora dont je ne pus discerner que le bonnet dans cette semi-pénombre ; le bonnet et le tablier blanc. « Miss Kennedy, veuillez m’excuser mais Mr Meara dit que nous avons terminé notre service ! » Une façon polie de s’enquérir de mes nouveaux besoins. Qu’elles aillent donc toutes deux se coucher, Maureen et elle ! Le vendredi, elles devraient savoir qu’elles peuvent partir plus tôt. « C’est bon Cora, Mr Meara a de bonnes raisons de vous renvoyer, vous devez être épuisée si l’on prend en considération tout ce travail que vous abattez ! Allez-y ! » Une rapide courbette et elle disparut en un battement de cil. J’allais reprendre ma plume quand on frappa de nouveau. « Oui Cora ! Entrez sans frapper… ah, Frank ! Dans ce noir, on pourrait te prendre pour une soubrette. Que cherches-tu donc ? » Il ne me répondit pas, le cigare d’une main et le verre de whisky de l’autre. Il portait son beau costume lie-de-vin et ce gilet ocre. Un vrai gentleman de la lignée d’Oscar Wilde avec la débauche, les scandales et l’orientation sexuelle en moins.

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« Tu pourrais te joindre à nous. Je sais que tu ne comprends rien aux règles du poker mais… j’ai renvoyé Cora à moins que tu ais voulu lui faire faire quelque chose de spécial. —Comme quoi ? Attaquer l’argenterie ou frotter le parquet à la cire d’abeille ? Allons Frank, elle travaille comme un nègre et j’ai quelques scrupules à lui demander à la faire travailler jusqu’à dix nuit, en sachant qu’elle se lève à cinq heures du matin. Jasper dit qu’il est nécessaire de garder une certaine tension. —Euh…ne m’ennuie pas avec ces détails domestiques. Tu es là pour les gérer et tu te débrouilles plutôt pas mal, alors continues comme ça, c’est tout ce que je te demande ». Il ouvrit son secrétaire pour en sortir une boite de cigarillos en provenance d’Atlanta. Il suspendit son geste, prit deux cigares qu’il jeta dans sa poche et posa une timide main sur mon épaule. « Viens te joindre à nous. Cela me ferait plaisir ». Ses lèvres se posèrent sur mon front, ce qui eut pour effet de me surprendre. Jamais encore il me m’avait témoigné pareille affection. Comme tous les vendredis ils jouent aux cartes et ce vendredi 23 janvier ne dérogea pas à la règle. Everett J. Mason sirotait son whisky tout en mâchouillant le bout d’un cigare à la jointure de ses doigts longs et fins, Thomas Mikkelsen quant à lui reste de marbre, fixant le jeu avec grand intérêt comme s’attendant à voir sortir de son jeu une divinité nordique à la longue chevelure blonde et silhouette diaphane. Aaron Livingstone caressait l’arête de son nez tout en noyant son ivresse derrière une fumée de tabac. En plus du vendredi, Livingstone trouvait le moindre prétexte pour passer au 22 de la 3ème avenue, voulant profiter du folklore irlandais et de cette atmosphère Bad Boys qui s’en dégageait.

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Frank Meara et Johann Mayer-Sachs, tous deux venaient de la Little Water Street dans ce bidonville de Five Points et tout le quartier ne parlait d’eux que comme les irish Golden Boys quand la moyenne d’âge ne dépassait pas quarante ans et dont les revenus annuels plafonnaient à cent mille dollars. Tous saluaient une telle réussite et sous le feu de la rampe, tous venaient pour profiter de cette lumière stellaire. En me voyant entrer dans la pièce un livre à la main, Frank glissa son regard vers Frank. « Tu devrais essayer de te détendre, tu ne crois pas ? Tu n’es plus en représentation et tu te couches un peu trop facilement ». Et Everett sourit, sautant sur l’occasion pour apporter un peu d’eau au moulin. « On te préconise une sortie au Palace par exemple. Les filles y sont plutôt appétissantes et à la croupe aussi bombée que celles des petite négresses du Sud. N’est-ce pas Thomas ? Toutes des déesses de l’amour dont on ne pourrait se priver. —Oui c’est fat allusion aux beautés de la Nouvelle Orléans, répondit Thomas, ces jolies créoles bien plus exotiques que ce qu’on trouve ici. Seul le Pacha nous promet autre chose que de l’Européenne. Ils ont actuellement une dénommée Aïcha ? Une sultane des Milles et une Nuit, une belle d’Orient qui est un peu chère certes, mais qui vaut le coup d’œil en plus du coup de rein ». Les autres gloussèrent autour de la table sauf Mikkelsen, ce fils d’immigré danois, aux traits grossiers et aux joues hautes. J’ouvris mon livre en me disant toutefois que je devrais monter me mettre au lit ; ce genre de discussion ne m’emballait pas, outre mesure. « Aïcha et Esméralda, soupira Everett perdu dans ses lubriques souvenirs. Ouais le Pacha reste une bonne adresse. On en a pour son argent.

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—Ces garces ne valent pas celles du Boudoir, affirma Livingstone en étudiant le fond de son verre. Car le Boudoir est très raffiné, excellence française le veut. Madame du Barry sait recevoir mieux que n’importe quel autre établissement de New York à la Nouvelle Orléans inclus. On y déroule le tapis rouge et les filles ne sont peut-être pas aussi grasses qu’au Pacha mais elles ont ce quelque chose de très français. Le lieu favori de Frank, là où nous sommes sûrs de croiser les sénateurs de notre Etat. Les queues les plus vénérées de notre cité. —Arrêtez Aaron ! Railla Everett, les petits yeux enfoncés dans leur orbite, des petits yeux jaunes et si on regardait bien on pourrait discerner de longues canines de ce vampire. Il caressa sa barbe en gloussant pour lui, un petit rire sardonique qui en disant long sur l’estime qu’il avait des autres. On descendra au Pacha ce soir et je vous offrirais les plus belles beautés d’Orient. Qu’en dites-vous Frank ? —Frank n’est plus des nôtres depuis qu’il se met à rêver des fonds pour l’orphelinat de Cross Street. » Et Johann en ajouta, le cigarillo coincé entre les dents. Je savais à quoi il pensait pour l’avoir longtemps pratiqué. Frank avait sa belle gueule passe pour un Saint homme, celui par lequel les miracles arrivent et Johann se disait que Frank au Pacha, au Boudoir ou au Palace lui permettrait de rentrer et de se refaire une réputation de bon client, puisque depuis peu fiché dans grands nombres de bordel. Loin de se montrer vexé, affecté et contrarié, Frank misa, ce qui contraignit Johann à faire de même afin de rester dans le train et ne pas se voir contraint de se coucher. Aucun de ces hommes ne sembla me remarquer, continuant à palabrer sur les filles de ces établissements de plaisir. « Que sont les devoirs et les obligations d’un Mayer-Sachs dans ce monde ? Je ne vois pas. A

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notre retour de New York, on a trouvé notre ville bien changée. Pas un endroit qui autrefois tombé en décrépitude et qui ne soit aujourd’hui le pain béni des promoteurs. Le temps des présentations est finie et avec ce changement d’année j’ai pris la résolution de moins fréquenter ce genre de maison pour me consacrer à bien des meilleurs sujets d’étude, sauf votre respect ». Et Everett gloussa, ronflait et gloussait. Il ne le prenait pas au sérieux. Le monde changeait autour d’eux et Frank Meara cherchait un moyen pour optimiser son temps et son énergie. Le regard jaune d’Everett glissa vers moi et il gloussa de nouveau. « Rien ne t’empêchera de faire les bons choix Frank. Ce qui vous distinguera d’un autre seront les relations que tu arriveras à te faire. On est loin du Middle West ici et ton voisin de gauche n’essayera pas de te tuer avec sa pelle pour te dérober ta précieuse pépite. Non ! Les choses à New York, à Baltimore, à Philadelphie et Boston, Richmond et la Nouvelle-Orléans, se font avec ta matière grise. Il te faudra garder les yeux ouverts et accepter de goûter aux plaisirs de ce monde afin de ne pas paraître arrogant, —C’est exactement qu’il faut penser, ajouta Aaron en pointant Everett du doigt. Garder les deux yeux grands ouverts, bien ouverts et continuez à fréquenter le Boudoir pour l’hygiène et pas seulement. Les relations qu’on y fait ». La fumée des cigares me piqua la gorge et je me mis à tousser ; tous se retournèrent prenant alors conscience de ma présence. « Veuillez m’excuser… » D’un bond je me levais pour aller éructer dans le couloir et une fois calmée, la main sur le flanc je m’assis sur le banc rembourré disposé dans la niche sous l’escalier. « Selon Frank on peut se passer des filles mais de bon whisky ! Attaqua de nouveau

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Johann. C’est un peu comme déclaré à un auditoire sourd et muet qu’on aime le son que produit un pet et tout particulièrement ceux de la 5ème avenue. C’est un peu vouloir tromper son auditoire, hein Franky ! —Dans l’intérêt de la soirée, il ne vaut peutêtre mieux que tu ne sortes pas Jo. Les rares hommes que j’ai entendu parler de la sorte se sont retrouvés avec une balle entre les deux yeux. Qui plus est, les filles du Boudoir n’ont pas gardé un souvenir mémorable de tes prestations ». Piqué au vif, Frank quitta sa chaise pour aller se servir un verre de whisky et de nouveau je rentrais dans la salle ; ma présence calmait les esprits déjà chauffés par l’alcool. Le livre à la main, j’arrachai la carafedes mains de Johann pour me servir un verre que j’avalai cul-sec. Et bien quoi Johann ne m’avait-il jamais vu boire ? « Oui nous avons du consoler les orpheline que tu avais laissé sur place, Jo ! Ricana Everett affichant un sourire d’une oreille à l’autre. Ton absence en soulage plus d’une, soit dit en passant. Nous commencions à nous agacer de tes exploits qui nous conduisaient à nous faire l’avocat du Diable ». Dans l’escalier, les lumières de la rue filtrait à travers les vitraux. Autant laisser ces gentlemen à leur poker et spiritueux ; aucun ne me reprocha mon départ. Le vendredi soir, il me fallait veiller car à minuit après que le whisky eut fait ses premiers effets, il n’était pas rare que l’un agrippe l’autre. Trouver un médecin à cette heure de la nuit relevait du parcours du combattant. Donc après minuit nos valeureux combattants se transformaient en créatures célestes assoiffées de sang et de chair fraiche ; bêtes sanguinaires et lubriques, toujours à l’affut de proie. Accrochée à la rampe de l’escalier, mes pas se firent silencieux à mesure que je gravissais les marches et arrivée au second

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palier, je diminuais les gaz des lampes pour me diriger vers ma chambre au milieu du couloir. Maureen prit soin d’ouvrir mon lit, de disposer ma robe de chambre et ma chemise de nuit sur l’édredon ; délasser mon corset allait être le dernier effort à fournir pour passer un autre corset de nuit. Que devions-nous nous imposer pour paraître tout à fait désirable aux yeux de ces messieurs et de la sacro-sainte convenance ? Il me fallut trente longues minutes pour tout retirer et tout remettre, coiffure y comprit. Attablée à la coiffeuse de la salle de bain je discernais à peine mon reflet dans ma glace à trois faces. Voyant que tout fut calme en bas, je refermais la porte de ma chambre. « Fils de pute ! » Normal à minuit passé de vingt minutes. Je refermai mon livre pour quitter ma place sur le palier, là où je pouvais entendre sans être vu, écouter sans éveiller les soupçons quant à mon rôle dans leur soirée. Un bruit de vaisselle suivit et les coups sourds d’un coup de poing et celui plus lourd d’un corps qui chute. Everett gisait à terre, étendu par K.O et dans l’angle de la pièce Frank retenant Johann. Ce dernier se calme en me voyant arriver et la main dans les cheveux partit en claquant la porte. « Tu peux remonter te coucher Keira, tout va bien. On gère la situation, murmura Frank aidant Livingstone a faire assoir Everett. Apportes de la glace Thomas, il va en avoir besoin. Et Everett ! Tu as la tête dure. Tu es toujours avec nous ? —Oui je suis toujours là et ne vous en êtes pas pour moi. J’avoue l’avoir provoqué, argua-til en ricanant la compresse sur son front. Maintenant je sais qu’on ne peut le taquiner sur ce sujet. Une sacrée droite qu’il a là, ah, ah ! Remets-nous de ton excellent whisky Frank ! » Partit chercher Johann, j’attendis le retour de Frank concentrant mon attention sur le verre

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éclaté au sol. Un problème pour le parquet que celui de laisser ses alcooliques tout saccager. Le parquet cela passait encore mais les tapis nécessitaient plus de temps, d’argent et de main d’œuvre. Accroupie je ramassais les morceaux éparpillés à nos pieds. « Attention à ne pas vous blesser Keira, vous jouissez d’un très mauvais éclairage. Laissezmoi vous aider ! —Il aurait fallu y penser plus tôt. Les filles ont peut-être autre chose à faire que de nettoyer vos bêtises. Si vous tenez tant à vous amuser et bien faites-le ailleurs qu’ici personne ne vous retient dès lors et il serait souhaitable que vous rendiez au Boudoir le plus rapidement possible. —Ah ! Aaron je crois qu’on s’est tout deux fait des amis ici, plaisanta Everett, et je suis d’accord avec Miss Livingstone sur le fait que nous abusons de leur hospitalité. Il est temps pour nous de les laisser se reposer. Thomas, va dire à Frank que nous partons avec ou sans lui. Aaron ? De toute façon sobre ou à jeûn, nous n’avons malheureusement rien à attendre de ce Mayer-Sachs. Allez ! Allons-nous changer les idées au Pacha ! » Le problème avait Johann restait sa susceptibilité. Il disait s’être transformé depuis ces dernières années ; pourtant il lui arrivait encore de déraper, de perdre le contrôle de soi sitôt que l’on évoquait certains sujets relatifs à Five Points, son enfance et les femmes. Cela le rendait malheureux, culpabilisant au point de fuir se cacher. Les rapports fraternels entretenus avec Frank lui permettaient de ne pas sombrer dans la dégénérescence et Frank lui servait de garde-chiourme comme l’un et l’autre me servaient de boucliers contre les agressions extérieures auxquelles je devais fais face. Ils s’en envoyaient plein la tronche et se réconciliaient tout aussi promptement. La vie reprenait alors son cours et nous aspirions tous

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les trois à une osmose, un monde sans heurts et chaos bien que nous n’ayons pas vu le jour dans un Eden. Je partis de nouveau, vite rejointe dans l’escalier par Frank. « Keira, ne nous attends pas, on va sortir et… —Et quoi ? Je n’avais pas l’intention de t’attendre Frank Meara ! Je ne suis pas l’une de tes filles que tu loues à l’heure ! Tu sais quoi Frank ? Tu vas rentrer et frotter tes souliers sur le paillasson, poser ton manteau dans le vestibule et débriefer sur le contenu de votre virée dans ces maisons closes ! Je n’en ai fichtrement rien à faire que tu décides de découcher alors pourquoi viens-tu me prévenir ? —Vas te faire foutre Keira. —Non, toi ! Vas te faire foutre ! Et saches que je suis bien contente que Johann parte de cette maison en claquant la porte. Lui au moins le fait avec beaucoup de classe, refusant qu’on le prenne pour une carpette. Tu n’essayes même pas de savoir pourquoi lui seul essaye de résoudre une équation dont la solution se trouve être dans ta caboche. Je vais effectivement me coucher, alors inutile de fanfaronner pendant de longues minutes dans le salon ! » A trois heures trente du matin, un bruit me fit dresser les cheveux sur la tête. Un voleur ? J’enfilai ma robe de chambre-kimono pour descendre et tomber sur Johann dans le salon, ramassant des livres tombés sur le sol. « Je ne t’ai pas réveillée j’espère ? En même temps tu n’es pas du genre à te coucher tôt. Je suppose que l’inspiration te prend quand tu t’y attends le moins ? —Oui je ne m’attends à ne voir personne ici avant un long moment. Ouvres-moi un verre. Un Double-scotch me parviendra parfaitement. Merci. Trinquons alors à notre infortune…Hum, il met KO celui-ci. Si nous sommes appelés à nous remonter le moral, faisons-le en chantant

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Johann, marmonnai-je avalant cul-sec le second Pure malt dont l’effet fut foudroyant. Un feu brûlait dans mon estomac, ma gorge et mes tempes. Sans plus attendre je gagnais le sofa pour m’y jeter, le bras derrière la tête et telle une concubine chinoise je battais la mesure d’une mélodie imaginaire de mon pied. A cinq heures pétantes, Cora fut surprise de nous trouver tous deux avachis dans le sofa, moi allongée la tête sur les cuisses de Johann. « Veuillez m’excuser ! » Maureen ne tarderait pas à suivre puis une heure après Jasper arriverait pour prendre le service en main. Si les petits déjeuners ne pouvaient être servis à sept heures pétantes, on pouvait compter sur le service de neuf heures ; l’heure ou je quittais mes appartements du dessous pour savourer toast, bacon et œufs, marmelade et comporte de pommes et poires, céréales et thé de Ceylan. Le samedi matin, une collation de onze heures fut préférable aux horaires de la semaine et Nelly en cuisine aimait l’ordre au chaos, ce qui nous conduisait à respecter ses horaires. Le cigarillo aux lèvres, je me donnais des airs de sultane comme je vous le disais être une concubine, celle d’un empereur chinois de la dynastie Yong et je me laissais caresser les poignets et les mains sans chercher à aucun moment à repousser ce mandarin. Après six heures New York reprendrait son activité laissée la veille au soir ; partout l’on éteindrait les réverbères et lanternes, les éboueurs passeraient ramassés les ordures et les livraisons auraient lieu pour le lait, le bétail et les journaux. Avachi dans le fauteuil Johann fixait un détail du rideau, la bouche béante et l’œil sec. Tout comme moi il entendait les soulards passés en chantant, probablement accrochés aux lampadaires pour se laisser quelques minutes de repos avant de repartir vers leur domicile sur le Lower East side ou ailleurs.

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Etait-il mort ? Il donnait l’impression d’avoir trépassé dans sa contemplation du rideau. « Tu dors Johann ? —O douce Molly, vois-tu le soleil brillait audessus de ma tête ! Oh Molly ! —Arrêtes donc, tu vas faire hurler tous les chiens du quartier ! Tu chantes faux, Jo ! » Il se redressa pour croiser les bras sur sa poitrine et poursuivit : «Je pleure Molly, ton départ pour l’ouest ! C’est une chanson d’amour. Avoue que je pourrais faire carrière dans la chanson. Personne ne chante aussi bien que moi à New York. Oh Mooooolllyyy ! C’est comme cela qu’on doit le chanter ! Il faut y mettre du cœur et de la conviction, les Irlandaises sont des femmes dures à conquérir mais une fois qu’on est dedans, on s’y sent bien. C’est comme un matelas rembourré de plumes. Hum…on est toujours bien au chaud dans une Molly ». Il me caressa la joue et à son regard je vis qu’il se posait des milliers de questions d’ordre existentielles. Une voiture passa. Il se tourna pour m’étudier plus attentivement. « A quoi tu penses Jo ? —A toi. Je me demande à quoi ressemblerait la vie sans toi. Je n’ai pas l’intention d’être romantique ou pis encore te baratiner pour te baser mais je me dis que c’est un beau revers de médaille tout cela. Il y a quelques années de cela, on n’aurait jamais pensé en arriver là et Frank et moi on est entrain de construire quelque chose de sérieux. Ce n’est plus nos petites combines que l’on faisait sur les docks de la Battery park, c’est autre chose Keira. Laisses-moi un peu m’assoir sur le canapé…(Il s’installa derrière moi et entre ses jambes, je me laissais caresser les cheveux) On voyait les bateaux déchargés leurs cales et en les voyant œuvrer je me disais que je pourrais m’embarquer et repartir en Irlande et puis

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Molly me disait d’y renoncer. Ma place était désormais ici, près de vous autres, les Kennedy. —Qu’aurais-tu en Irlande ? Cultiver des pommes de terre ? » Sa main glissa sur mon cou, en large de ma poitrine puis sur mon sein. Dans les maisons closes Johann rencontrait des ennuis avec les maquerelles parce qu’il se montrait brusque et je n’avais pas de mal à le croire ; il leur administrait de violents coups de bélier, les étranglait et les mordait. Pour se justifier il disait vouloir les sentir jouir. Or il trouva mon téton qu’il frotta de son pouce et la tête dans son cou, je fermais les yeux frissonnant de plaisir. « Es-tu encore vierge ? Je ne peux pas croire que tu te réserves pour ta nuit de noce ? Moi je crois que Frank t’ait déjà passé dessus. Et si ce n’est pas lui, ça sera Livingstone. A voir comment il te regarde, c’est pour bientôt. Il bande sitôt qu’il te voit et il a la trique, le membre tout dur prêt à te limer. Attends, attends ! (Il souleva mes jupons pour me caresser les cuisses) je ne vais pas être méchant, je veux sentir ton odeur. » Ses doigts s’enfoncèrent dans ma chatte et il les remonta lentement avant de sortir ses doigts pour le porter à son nez et sa bouche, puis la mienne. « Tu as jamais remarqué qu’il bandait ? Alors tu ne vois rien. Frank lui est plus discret mais Livingstone c’est une autre histoire. Il est monté comme un étalon. On dirait que tu apprécies mes caresses. Je vais remettre mes doigts là où ils seront les mieux. Oh Keira… » Johann n’avait rien d’un gentleman et mis à part ses belles bouclettes brunes et ses favoris, il donnait dans le genre « petite-frappe ». Et je me mordis les lèvres pour contenir ce plaisir qui m’assaillait. « Laisses-toi aller ma chérie. Détends-toi, je veux te faire jouir. La bouche dans son cou je

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voulais l’embrasser sans le lui avouer et plus il accélérait le mouvement et plus je serrais les cuisses. « Johann…Hum, m’entendis-je dire, voyant des milliers de vagues, une mer déchainée venir se frapper contre une insurmontable digue et retenant sa main, je partis au sommet de la plus haute des vagues. Il refusa de me donner sa bouche, le profil droit et les yeux mi-clos. « Tu n’es pas plus vierge que la fille avec qui s’envoie Frank. —Crois ce que tu veux ». Il prit ma main pour la porter à son sexe gonflé par le désir. Si Livingstone était bâti comme un étalon, Johann quant à lui devait avoir la bite d’un éléphant. « Tu ne devrais pas avoir peur, elle ne mort pas ! Donne-moi ta main… Je veux que tu me caresses comme je t’ai caressée et je veux que tu le fasses avec ta bouche. —Johann… ». Les amis de mes frères voulaient que je les suce et ils me tendaient leur guimauve, leur bâton de réglisse afin que je les satisfasse. Les autres filles le faisaient pour quelques pièces, mais pas moi ; l’odeur de foutre m’écœurait. Elles le faisaient toutes afin de gagner le respect des autres pubères de notre quartier. Pas question pour moi de le sucer. « Alors donnes moi ta bouche. » Il me prenait pour une putain et sans que j’accepte il voulut me voler ce baiser ; je me débattis furieusement alors furieux il chercha une autre partie de mon corps à posséder. Il mordit mon cou. La douleur me laissa sans voix. Aucune envie de finir sodomiser, brutalisé par ses morsures et sa furieuse étreinte. Puis la pression se relâcha. « Ne bouges pas ». Il attrapa ma bouche à pleines dents. Ah ça non ! Folle de rage, je le repoussai de toutes mes forces, ne supportant ni son odeur de whisky et sa langue fouillant avidement ma bouche. Il ne pouvait se comporter de la sorte ! Vexé que je l’eusse

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éconduit, il revint à la charge, s’accrochant à ma taille comme à un tronc d’arbre afin d’éviter de se voir être emporté par la tornade. Frapper et le repousser, je ne fis que cela mais entre mes jambes il cherchait à rentrer en moi. Au bord de l’évanouissement, mes mains s’agrippèrent aux siennes serrant mon cou. Il m’embrassa de nouveau. Non ! Non ! Je l’ai giflé en cherchant à crever ses yeux. Il aurait eu raison de moi si une lueur de conscience ne l’eut saisi. Alors il me redressa férocement et me plaqua contre le dossier du sofa, maintenant mon cou sous son avant-bras ; me ramenant à lui pour mieux me brutaliser contre le dossier. N’ayant plus la force de lutter, le dos en compote et à bout de souffle. « Tu n’auras pas meilleur amant que moi Keira, alors ne te refuses pas. — Dégages ! Dégage ! je ne veux pas que tu me touches, suffoquai-je en repoussant son visage. Ne me touche pas ! —Attends, attends… » Il joui, les yeux révulsés et le corps raidi par l’éjaculation. Il souleva mes cuisses et continua ses brusques mouvements du bassin. Il joui la bouche sur mon front et s’écroula comme une masse sur moi. « Dégage. Je veux que tu partes ! Tu entends ? Casses-toi ! » De nouveau je l’ai frappé et il a encaissé les coups sans broncher. Pourquoi se comportait-il comme un salaud ? Je l’ai frappé jusqu’à n’en plus pouvoir. Il avait su me protéger de mon ivrogne de père, cet alcoolique distribuant des coups de ceinturons à mes frères et sœurs à défaut d’un peu de tendresse. Terrifiée j’allais me réfugier dans les bras de Johann. Lui savait rendre les coups et cognait mon père plus fort que ne pouvaient le faire mes frères. Frank m’apaisait quand Johann chargeait droit sur ce monstre.

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« J’ai un peu trop bu, d’accord, parce que tu sais que je te respecte ». En réponse à cette excuse d’ivrogne je le frappais une énième fois. « Je viens de te dire que j’étais désolé et si tu viens réparation, je pourrais t’épouser. —Tu me dégoutes Johann ! Il faut toujours que tu gâches tout ! Tu n’as pas à te comporter comme un salaud ! Johann, regardes-moi ! Ne recommences plus jamais, tu entends ? —Je t’aime d’accord. Viens la ma chérie ! Viens, n’aies plus peur ! » Ce dernier caressa tendrement ma joue avant de m’embrasser et de sombrer dans un rapide et profond sommeil. Deux heures plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit et apparut Franck et ses comparses. « Regardez-moi ça ! Et toi qui te faisais du souci pour notre Johann, lança Andrex en remettant son haut de forme et sa canne à Cora. Reste-t-il au moins du whisky pour nos gorges asséchées ? Depuis quand dort-t-il ? —Depuis pas loin de deux heures, répondis-je à Everett me dévisageant de la tête aux pieds. De l’encre maculait ma manche et le tablier portait les traces du passage de mon acharnement à la presse rotative. Je dois y retourner, veuillez m’excuser ! » Frank avait fait installer une presse dans l’arrière-cour dans l’ancienne remise. Les épreuves séchaient sur les filins et alors que je relisais un tirage quand Everett rentra dans l’atelier en frissonnant rapport à la pluie tombant à verse. « Alors où en êtes-vous avec tout cela ? Je peux rentrer ? Et Frank vous laisse gérer tout son attirail ? C’est généreux de sa part. Il y avait du beau monde hier au bordel mas aucune putain n’a trouvé à égayer Frank. Il est un peu morose ces derniers temps et bien que je n’en connaisse la raison il devient agaçant. Est-il

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possible qu’il fréquente une jeune vierge en ville ? —Pourquoi ne pas lui poser la question vous même ? Il est votre ami après tout ! Sur ce coup oubliez-moi ! » Il n’avait pas l’habitude qu’on le remette à sa place de la sorte, lui le grand pacha de New York ! Magnat du pétrole et fils de banquier et banquier lui-même ; il transpirait l’arrogance et la suffisance avec sa barbe taillée à la Friendly Mutton Chops et ses costumes hors de prix. « Vous ne m’aimez pas hein ? Tout ce beau visage en faveur de la colère et de la haine à l’égard des gentlemen comme moi. Oui, parfaitement ! L’odeur de l’argent vous dégoûte et vous pensez à juste titre que j’en vaille personnellement à la fortune de votre ami, Frank. Si j’avais moi-même besoin de liquidités, je ne m’en montrerais pas moins désintéressé mais…le fait que vous soyez là. J’ai toujours pensé que les femmes devaient se tenir écartés de la politique et des affaires financières. Vous avez un fiancé quelque part ? —Pas que je sache. —Allez ! Belle comme vous êtes, vous devez bien avoir un soupirant ou deux ! Il n’y aurait pas d’Eden possible sur terre sans une Eve de votre aspect : belle à damner un saint et qui plus est…(il dressa son cigare au plafond) intelligente et futée. C’est ce que vous êtes non ? Brillante et futée ? Voulez-vous vous arrêter un instant ? » Livingstone me toisa, voyant en moi la petite immigrée, élevée dans la rue et livrée à ellemême ; il n’avait que faire qu’une femme comme moi et il pouvait me briser aussi facilement qu’il compterait un étalon résistant à ses éperons. Je ne l’aimais pas et il le savait puisqu’il tentait de m’attirer dans ses rets. « Qu’écrivez-vous donc ? La sécession n’a engendré qu’un climat de haine entre le nord et

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le sud favorisant ainsi l’arrogance de l’un et permettant l’humilité de l’autre…Frank ne semble pas s’être débarrassé de ses vieux démons que l’on appelle Guerre civile. Sur son lit de mort il continuera à évoquer ces temps anciens quand nous serons à enseigner à nos enfants le sens du mot patriotisme et loyauté. Dites-moi un peu ce que pense Johann de tout cela ? Il n’y a pas deux êtres aussi différents que ces derniers et vous partager leur quotidien en vous pliant aux exigences de l’un et aux caprices de l’autre. Dites-moi un peu si je vous ennuie, vous semblez ne pas vouloir m’écouter. Ai-je tort ou suis-je dans le vrai ? —Oui vous m’ennuyez vraiment Aaron mais ce n’est pas un scoop. Je vous préfère encore saoul et entendu sur le sofa, au moins votre silence est appréciable et comment vous le dire autrement qu’en vous montrant l’exemple ? » Vexé il le fut ; aucune femme ne lui résistait jamais puisque fortuné, puissant et de surcroît célibataire. Il marcha dans ma direction, m’écrasant de sa haute taille, son ombre recouvrit la mienne et il pourrait abuser de moi dans cet atelier sans que ni Frank ni Johann n’entende quoique se soit. Campant sur mes positions je ne reculai pas, le menton relevé et l’œil perçant. Vivre dans la rue vous éduquait et il serait surpris de ma force physique comme de mon mental d’acier. Qu’il essaya seulement et je le castrais. « Ah, ah ! Vous auriez la prétention d’éduquer les hommes, c’est étrange de la part d’une damnée… —Est-ce que tout va bien ici, questionna Frank dans l’encorbellement de la porte. Les sourcils froncés et les lèvres pincées il interrogea Livingstone du regard. Il savait Livingstone capable du pire probablement et il ne lui faisait pas la moindre confiance, sachant qu’un jour il l’attaquerait à la gorge et

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profanerait son sanctuaire. Livingstone acceptait cette alliance uniquement pour les lingots d’or de ces derniers. L’argent attirait irrémédiablement l’argent et avec ce riche homme on savait à quoi s’en tenir. « Tout va bien, Frankie. Je m’entretenais en toute simplicité avec ton employé préféré. C’est de l’excellent travail que vous fournissez ici et quelle plume mon ami ! Viens, allons discuter au chaud ! » A onze heures quinze Johann me rejoignit en trainant les pieds, empestant le whisky à plein nez et les boucles éparses et grasses comme après une soirée imbibée d’alcool. Livingstone et toute sa clique devait être parti, du moins je l’espérais ne pouvait accepter de les avoir à déjeuner ici. Cette maison de la troisième avenue recevait son lot habituel de démarcheurs juridiques, de parvenus s soucieux d’avoir de solides relations, de belles dames à la recherche d’amants fortunés, des banquiers de la trempe de Livingstone toujours prêts à vous soutirer votre argent pour soièmedisant le faire fructifier ; ils venaient de la 5 avenue et le tiers des nouveaux amis de Frank comptait parmi les familles les plus influentes et riches de cet état ; tous blancs, riches et protestants constituaient ce petite cercle de privilégiés nichés de ce côté de Central Park et bien entendu sans un dollar en poche nous n’aurions pu prétendre côtoyer ce milieu. La fortune de Johann s’élevait à plus d’un million de dollars et celle de Frank avoisinait les trois millions ! A eux deux, quatre millions ! Quatre millions ! Après avoir connu la misère des quartiers tels que Five Points nous dormions dans des draps de soie, nous mangions dans de la porcelaine et buvions dans des verres de cristal ; le luxe nous permit de louer les services d’un maître d’hôtel, d’une femme de chambre et d’un valet. La demeure dressée sur trois étages n’eut rien à

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envier aux résidences voisines ; boiseries en merisier, parquet de chêne, carrelage en faïence ; Frank me remit une enveloppe pour acquérir du mobilier, de la belle vaisselle et tout ce qui pourrait le distinguer des autres et il me fallut frapper aux portes des riches patriciens de la 5ème avenue pour découvrir ce qui se faisait en matière d’art. Et Frank me remit une autre enveloppe, celle la destinée à ma garde-robe ; il me voulait identique à ces déesses antiques gages de fortune et de destinée extraordinaire. La mode étant aux robes à tournure, je ne pus donc échapper aux diktats et aux magazines parisiens. Cette transformation fut aux goûts de Johann qui ne cessait de fantasmer sur une courbe et sur une autre. Or il pouvait avoir la femme qu’il voulait dès lors qu’il se disait prêt à fonder à foyer. Cependant aucune ne trouva grâce à ses yeux, il se disait être très exigeant ; Frank et moi nous le taquinions à ce sujet jouant de sa susceptibilité pour enfoncer le clou : il finira vieux garçon au milieu de tous ces dollars. « Il faut que tu excuses ma conduite de toute à l’heure…je n’avais pas les idées claires et quand je t’ai vue là belle comme un cœur je n’ai pas pu résister. Est-ce que tu…tu me pardonnes ? N’est-ce pas ? Les gars sont encore là et Livingstone dit que tu es amère et en colère contre quelque chose ou quelqu’un. Tu sais il t’observe. Livingstone passe son temps à observer le monde gravitant autour de lui et lui te voit comme le lien qui relie Frank à la terre. Tu contrarie ses plans puisque tu fais t’interpose entre lui et son nouveau meilleur ami. (Les fesses sur le rebord de la table, il mangeait sans raisins secs, perdu dans ses pensées)Ouais Frank a un nouvel ami et toi comme moi sommes délaissés. Il nous faudra faire face à l’adversité ensemble.

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—On dirait que je ne suis pas la seule à ne pas l’apprécier. Il le suit des heures entières et quand il rentre enfin il est détestable, nerveux et constamment sur la défensive. Il me reproche les factures, disant que je dépense trop pour la maison. On ne peut me reprocher d’être mauvaise gestionnaire j’ai tenu la gestion de Macy’s pendant deux ans et je ne permettrais pas que ce navire prenne l’eau. Le maigre salaire que je perçois sert à nourrir ma famille et il ne m’est pas venu à l’esprit de lui demander une augmentation. —Si tu as besoin d’argent je peux t’entretenir. Tu vivrais sur le même étage que le notre et on apprendra à mieux se connaître. Qu’est-ce que tu penses de cette proposition, hein ? Tu n’as jamais rêvé d’avoir un gourdin comme le mien entre tes jambes ? —Dépêches-toi de te trouver une épouse Jo ! Sinon je crains de finir violer avec ton bâtard dans le ventre. Bouges tes fesses de là, c’est mon plan de travail ! As-tu lu ce que je t’ai posé sur ton bureau ? Johann ! je ne peux pas tout faire toute seule et on a la charge du journal, tous les deux ! Si tu ne veux plus participer je trouverai quelqu’un d’autre pour me seconder mais je veux vraiment pouvoir compter sur toi ! —Je laisse cette tâche aux intellectuels et je n’aime pas quand tu te donnes de grands airs de diva. N’oublies pas d’où tu viens, mignonne ! Je pourrais t’y renvoyer sur le champ et ensuite tu trouveras un autre pigeon à déplumer. Tu sais qui tu es n’est-ce pas ? Ta mère n’était qu’une catin et elle nourrissait ses morpions en écartant ses cuisses… » Je l’ai frappé de toutes mes forces, il a prit le coup en pleine tronche puis furieux il me retourna contre la table, déchira ma chemise et fouilla sous mon corset à la recherche de mon sein. A défaut d’avoir mon cul, il prendrait ce qu’il pourrait comme ma bouche qu’il se hâta de

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saisir. Comme je le mordis, il se mit à couiner en s’activant derrière moi. J’ai attrapé sa couilles droite que j’ai serré jusqu’à ce qu’il lâche ma gorge. «Ne me touches plus ! Ne fais plus jamais cela ou je te castre ! Tu entends Johan ? Si tu tentes quoique se soit je mets un terme à ta virilité et ensuite tu me remercieras de m’être montrée clémente à ton égard ! Et ne manque plus jamais de respect à ma mère comme tu le fais ! Tu as oublié qu’elle t’a allaité quand la tienne était trop ivre pour subvenir à tes propres besoins. Ma mère contrairement à certaines ne s’est jamais vendue pour un plat de lentilles ! » Il m’étrangla, si fort que j’en eux la nausée et le tournis. « Ma mère a fait ce qu’elle a pu pour nous élever et si tu ne l’admets pas, tu n’as plus rien à faire ici ! Tu n’es pas mieux qu’une autre et quand je t’aurais enfin baisée, l’odeur de ta chatte n’aura pas un gout bien différent de la putain qui me suce au Pacha ! Cela te va bien de jouer les dames mais tu n’es qu’une salope d’irlandaise ! » Il allait trop loin. Devant le miroir de la salle de bain parfaite reproduction de ce que l’on trouvait dans les hôtels privés de Paris, je me débarbouillais à grandes eaux et après avoir enfilé un manteau et un coquet chapeau je descendis à pas feutré et je me dirigeai vers la porte de sortie quand un raclement de gorge me fit dresser l’oreille. « Où est-ce que tu vas ? —Oh Fran ! Tu as failli me faire mourir de peur ! Je m’en vais saluer une amie et j’ai prévenu en cuisine afin de ne pas mettre mon couvert. Je suis persuadée que vous trouverez à vous passer de moi. On se voit plus tard. —Attends ! » Il avança vers moi et dans le salon les hommes riaient à gorge déployée sans se soucier de ce qui pouvait bien se tramer dans le large corridor. « Où réside ton ami ? Tu vas avoir besoin d’un fiacre ? Suis-moi ! » A contre

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cœur je le suivis dans son bureau tout lambrissé et sûrement la pièce la plus moderne qu’on puisse rêver d’avoir chez soi : cadran solaire, toilettes à la française, électricité et radiateur. Il fouilla dans un des tiroirs de son magnifique bureau de style Louis XIII et recouvert d’un cuir vert, un véritable travail d’ébéniste chevronné. Il me tendit deux billets. « Auras-tu assez ? Je peux te donner plus si tu veux, Frank joignit le geste à la parole en me remettant deux autres billets. Essayes par la même occasion de te trouver un autre chapeau, celui-ci est défraichi et on te voit trop souvent arborer les mêmes couvre-chefs. Tu vis sur la 3ème avenue ne l’oublie pas, alors adopte l’allure d’une femme de ce monde. —Pourtant Johann ne partage pas ta vision des choses et il s’empresse bien vite de me faire rappelerèmed’où je viens. Il n’y a pas un homme sur la 3 avenue qui me manque à ce point de respect. Il est démonté et…violent. —Johann ? On parle bien de Johann là ? Attends une seconde…(Il ouvrit prestement la porte) Johann ! Rentre une seconde ici s’il te plait ! C’est quoi cette histoire ? Je viens d’apprendre que tu manques de respect à Keira. —Ce n’est que Keira, elle sait que je plaisante. Keira, voyons ! On peut seulement parler d’un malentendu. —Un malentendu ? Tu as essayé de me forcer ce matin et tu appelles ça un malentendu ? Sans parler de ce que tu as essayé de me faire toute à l’heure ! —Johann, est-ce que c’est vrai ? » Johann me fixait intensément craignant de perdre à jamais l’amitié de son ami de toujours ; un mot de moi et il disparaissait à jamais. « Johann ? » Il ne répondit pas mais si j’avais été un homme il aurait frappé, il m’aurait mise à terre pour me rouer de coups et comme lisant en lui, Frank se plaça entre nous et croisa les bras sur sa

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poitrine. « Keira ne me mentirait jamais mais toi…je sais combien tu es brutal et irrespectueux. Alors si tu oses encore toucher à Keira je m’occuperai de toi personnellement. —ah, ah ! Sourit-il des plus soulagés. Manifestement Frank lui accordait un sursis ignorant l’opiniâtreté de Johann. On ne pouvait rien lui refuser quand il rentrait dans une phase colérique ; doux en apparence il s’avérait être un monstre assoiffé de sang. « je suis sérieux Johann, tu ne peux continuer à te comporter comme un goujat. Hey, je te parle ! » Soutint-t-il en lui tapotant la joue et cette petite provocation mit le feu aux poudres ; front contre front il se défiait du regard. « Tu sais que tu ne peux pas faire ce que tu veux ici et encore moins avec les personnes qui me sont chères. J’espère que tu as saisi. —Elle n’est pas à toi Frank. Ce n’est pas parce que tu la paie une misère pour ta paperasse que tu t’octroie le droit de jouir d’elle en exclusivité. Il y a bien dans l’entourage de Livingstone une riche héritière pour soulager tes bourses et quand tu seras occupé à lui faire des bébés, Keira et moi serons au septième ciel ! » Là Frank exaspéré le repoussa violement et lui envoya un uppercut. Et là ils se battirent comme des ivrognes à la sortie d’un troquet. Je tentais de les séparer mais rien n’y fit ; la porte s’ouvrit sur Aaron, Thomas et Everett. « Ce fils de pute m’a cogné ! Lâches-moi toi ! Je m’en vais et tu n’es pas prêt de me revoir. Je débarrasse le plancher, ce n’est pas ce que tu veux Frank ? La place est pour toi Livingstone ! Cette maison pue ! Et ce n’est pas à cause de toi Keira, les responsables de cette nauséabonde atmosphère se reconnaitront ! » Il partit en claquant la porte, arrachant son chapeau des mains de Jasper le maître d’hôtel. Frank semblait souffrir de la hanche, du poing et de la jambe. Il boitait tout en essayant de se

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diriger vers le salon. « Ce salaud a une putain de droite ! » Everett l’aidé à s’assoir en ricanant. « S’il n’apprend pas à se maîtriser vous aurez des ennuis avec lui. C’est un lion sortit de sa cage et personne n’a envie de se voir taillader par un énergumène de son genre. Je me souviens l’avoir vu mettre une raclée à Norris. Aucune discussion n’est possible avec lui, aucun compromis et s’il n’était pas ton ami Frank…Enfin, il est sorti, nous allons pouvoir parler de choses sérieuses. —Quoi ce n’est pas ce que nous faisions déjà, railla Thomas en lissant ses longs cheveux blonds en arrière. Nous essayons d’avoir une conversation censée depuis hier soir, sans cesse interrompue par les tergiversations de ce MayerSachs ». Pour qui se prenaient-ils ? Johann ne pouvait être critiqué de la sorte et mis au banc de leur société ; dans la rue j’ai couru à sa suite sachant qu’il irait prendre une cuite chez Johnson., le seul tavernier acceptant de le servir. Il marchait vite, d’un bon pas et en proie à un violent point de côté, je ralentis mon allure. Il ne se rendit pas chez Johnson, il continuait jusqu'à l’Hudson et sa lointaine silhouette menaçait de disparaitre au détour d’un chemin. Un fiacre manqua de m’écraser et un charretier m’insulta au moment où j’allais traverser. Johann fut perdu. Je pouvais encore prendre un fiacre et me faire conduire jusqu’au Five points et c’est ce que je fis, lasse de chercher Johann MayerSachs parmi tous ces New Yorlais. A savoir ces belles dames accompagnées de leurs époux ou de leur amant se pavanant avec dédain, tirant leur homme du bras sitôt que ces derniers me saluèrent le chapeau à la main. Savaient-ils vraiment qui j’étais ou saluaient-ils seulement l’élégante et gracieuse personne partageant leur trottoir. Autant de Livingstone soucieux de leur paraître, vêtus à la dernière mode et affichant

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sans fausse pudeur cette appartenance à un groupe social, l’élite de cette nation. Alors je hélai un fiacre qui accepta de me descendre à Five Points à condition que j’y mette le prix. Il fallait le comprendre le pauvre ! Les rues n’étaient que des ornières, grouillante de mauvais gens, de bestiaux en tout genre et de mômes chapardeurs et grossiers ; son beau fiacre ne passaient pas certaines rues dites trop étroites dans lesquelles on devait se battre l’accès avec les lourds chariots et les convois de charrettes partant des docks pour se diriger vers les entrepôts divers. Five points restait mon quartier, le seul endroit où je me sentais vraiment chez moi, au milieu des miens et je me réjouissais de revoir des devantures familières, des visages d’antan et après avoir réglé la course du fiacre, je continuais seule escortée par les enfants qui me connaissaient tous et bien que née ici on me donnait du Ma’ame Keira et tous me déroulaient le tapis rouge pourvue que je fus Irlandaise et riche, bien que cet argent ne fut pas le mien. Nous avions jadis occupé le dernier étage de l’immeuble avant de s’en voir chasser par les usuriers de mon père. Lui partit dans l’Ouest pour trouver de l’or comme beaucoup d’autres, mes frères furent incorporés dans l’armée des fédéralistes et seulement deux en revinrent quand quatre moururent sur le champ d’honneur ; ceux qui nous restaient furent mutilés, diminués et plus capables de rien. Pour ce qui est de mes sœurs, elles sont mariées et mères de famille ; seule Saorrse restait à Five Points au grand désespoir de ma mère. L’une de mes sœur Lynne revint vivre à Little Water Street avec ses trois enfants, refusant de retourner auprès de sa brute de mari. Ma mère Margareth ouvrit la porte en tenant la petite Niahm dans les bras. Une petite de deux ans,

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blonde comme un épi aux nez rouges et aux yeux larmoyants. « Tu tombes bien, nous n’aurons pas assez de bras supplémentaires Kaira Kennedy ! Le petit Ryan est malade depuis trois jours il pleure et on a fait venir le docteur pour l’ausculter. Ton frère Ryan est parti dans le Missouri essayé de retrouver ton père qu’il dit ! C’est peine perdue que je lui ai dit, mais il n’a rien voulu entendre. Tu le connais pour être têtu comme une mule, têtu et irascible ! Les O’Casey ont marié leur fille Katherine et voilà qu’elle vient tous les jours dans sa belle voiture pour narguer tout le monde. Toi au moins tu ne joues pas les grandes dames, tu viens à pieds ! Ces Irlandais de Kerry se donnent des grands airs, c’est plus fort qu’eux ça ! » Ma mère râle toujours. Sa tenue est un peu démodée mais qui mieux qu’elle porte à merveille la crinoline ? Ses noirs cheveux toujours tirés en arrière et noués à la nuque par une résille lui donne des airs d’Espagnoles non d’Irlandaises. Elle a toujours eu un teint de porcelaine bien que constitution robuste, de bonnes joues rondes et de grands yeux rieurs et pétillant de malice. Aussi loin que je me souvienne ma mère a toujours été Molly Kennedy capable d’assener de violents coups de parapluie à la police venant arrêter l’un de ses fils. Plusieurs fois elle nous ramena à la maison par la peau du cou en nous insultant de tous les nomes et plus tard quand mon père s’en alla pour ne plus jamais revenir, elle trouva un emploi de couturière dans un atelier, payé seulement 3 pence par jour. « Qu’est-ce qui ne va pas Keira Kennedy ? Tu n’as dont pas la belle vie là-haut avec ces nouveaux riches ? Ah, ah ! Gloussa cette dernière en reprenant sa couture tandis que je tentais de consoler ma nièce. Ces nouveaux riches ! Et quand je pense que j’ai allaité ce

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maye-Sachs, c’est bien en souvenir de sa pauvre mère irlandaise que je l’ai fait ! Sûrement pas pour son père, ce grand prussien ! Le Grand Diable vert qu’on l’appelait par ici ! Quant à ce…Frank O’Leara qu’il se dépêche de t’épouser ! Ah ! S’il ne veut pas le faire, un autre catholique et Irlandais je l’espère le fera ! Et prie pour qu’il ne te batte pas si tu ne tiens pas à finir déformer comme ta sœur ! » Lynne fit son apparition tenant dans ses bras un nourrisson, joufflu et meuglant tel un veau. L’apparence de Lynne me fit froid dans le dos, elle naguère si jolie n’avait plus visage humain. Voilà ce qui m’arriverait si je venais à épouser Mayer-Sachs. Lèvre tuméfie, cocard à l’œil gauche et long balafre sur l’autre joue. « Tu vois ce que ce salaud a fait à ta sœur ? Il a pris une raclée à la salle de jeu. D’ailleurs contre Mayer-Sachs. La municipalité devrait interdire de telles rencontres…Il a perdu de l’argent et son honneur. Il est rentré et en a mis plein dans la tronche à ta sœur ! Une chance qu’il ne m’ait pas tuée, je t’dis ! A-t-il vraiment plus d’un million placé à la banque ? Alors j’insiste sur le fait qu’il doit t’épouser. On parle beaucoup tu sais et pis que de n’être pas mariée, c’est d’être une femme de petite vertu. Ce que tu n’es pas je sais, mais…il t’a toujours aimé. Toujours au petit soin pour notre Keira. Il n’aurait laissé personne te faire du mal et il est beau garçon. Il ne restera pas longtemps célibataire si tu te montres gauches et constamment sur la défensive. Tu devrais te montrer plus disponible en acceptant que l’on te fasse la courre ». En rentrant Jasper m’avoua être soulagé du départ des convives tapageurs de Frank, il allait être sept heures et la nuit venait de tomber ; les lumières de la ville éclairaient les avenues pleines de fiacres suggérant des diners, des visites nocturnes, des sorties à l’Opéra ou au

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théâtre ; un monde différent du mien et après avoir changé de toilettes, je me mise à table en espérant voir surgir Frank ou Johann. La pendule sonna huit heures trente et dans ma robe parme à parmenture bleu nuit je grignotais du bout des dents, accusant le coup : celui d’être seule, trônant au milieu de ces éclairages au gaz, ces candélabres de cristal et ses bougeoirs d’argent. Le luxe se devait d’^être partagé, à quoi bon diner dans de la porcelaine de Limoges sans profiter des commentaires des autres amphitryons ; comment apprécier ce madère seule devant son assiette ? A dix heures je partis me coucher, les paupières lourdes de sommeil. Ils rentrèrent tous deux à cinq heures du matin et dans l’escalier, le bruit d’une chute me fit sursauter. « Chut ! Chut ! Tu vas réveiller Keira ! » Le mal étant fait je me levai à tâtons, cherchant la lampe à pétrole pour me précipiter sur le palier. « Pour l’amour du ciel, quel est donc ce raffut ? » Johann soutenait Frank. Etait-il ivre ? Non, c’était plus grave que cela à en juger l’expression de Johann. « Oh mon Dieu ! » M’entendis-je murmurer en aidant Johan en le faire gravir les dernières marches conduisant à leur étage. Du sang maculait son gilet et dans la semi-obscurité je pouvais comprendre le sérieux de la situation. Il avait besoin d’un chirurgien. « mais que s’est-il passé ? —Ce n’est rien Keira, soupira Frank essayant de paraître alerte. Sa main effleura mon visage et je me hâtais de préparer le lit de Frank pour l’y coucher. Johann lui souleva les jambes tandis que je lui ouvrais son gilet et sa chemise. « Vas sonner les domestiques et demande à Cora de faire bouillir de l’eau chaude. Vite ! —Ce n’est rien. Seulement une égratignure. Je vais bien ». Une balle avait perforé sa cage thoracique et il s’en remettrait bien vite après avoir cautérisé la plaie et recouverte de

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sulfamide. Johann revint escorté par Jasper et le valet Willis. Partis à la recherche d’un médecin, je m’occupais activement de Frank respirant péniblement. Assis près du lit, Johann ne parvenait à détacher son regard de notre ami de toujours et je pus lire de la culpabilité dans son regard humide. « On devait rentrer mais il a insisté pour m’accompagner chez Cooper. Il n’a pas paru heureux de nous revoir. Frank s’est interposé et à prix la balle à ma place. Tu n’es pas obligé de me croire. Tu ne me crois pas capable de dire la vérité ». Il fut interrompu dans ses divagations par l’arrivée du docteur Mc Donough qui se mit au travail sans connaître la cause de cette blessure. Après une heure, Frank fut tiré d’affaires et j choisis de le veiller, allongée près de lui. « Est-ce qu’elle dort ? —Probable, répondit Frank en se redressant péniblement. Je veux que tu arrêtes tes conneries Johann, on a failli y passer, tous les deux ! Tu n’as plus rien à faire avec Murray mais toi tu t’obstines à tout saccager, tout corrompre par ta nature perfide et cupide. Tu voudrais toujours plus hein ? Ta fortune ne te suffit donc pas que tu veuilles celle des autres ? —hey ! Hey ! Doucement l’ami ! Tu devrais d’abord commencer par te calmer ! —Que je me calme ? » D’un bond je me redressai et la tête entre les mains ne parvenais à croire pour quelles raisons Mayer-Sachs continuaient à fréquenter ces redoutables types escroquant les plus faibles et soutirant l’argent aux plus riches. Johann ne pouvait nous faire cela à tous les deux. Ils récupéraient un faible pourcentage sur les commerces et vous assuraient protection par une milice secrète et organisée. A Five Points, Corwyn Maclellan s’en tirait plutôt bien en trouvant un emploi pour les jeunes et en ne laissant personne dans

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le ruisseau. Or je ne pouvais croire que Johann eut un jour besoin de leurs services. « Maclellan ne te causera que des ennuis Johann, comment peux-tu te montrer si complaisant ? —Ce n’est pas ce que vous croyez. Je pourrais tout vous expliquer mais…cela ne changera rien. Livingstone te tient par le colbac et bientôt tu iras chasser à courre avec sa suite. Parles-nous un peu de cette Imogen Lockwood, la beauté que tu aurais rencontré hier soir. —Il n’y a rien à dire sur Lockwood. —Je n’en suis pas si sûr. Une cousine de Livingstone non ? De la branche de New York avec un pedigree qui ferait pâlir d’envie la reine d’Angleterre ! Son père occupe un poste à Washington et il acceptera ton million si tu t’associes à Livingstone. On ne peut être qu’admiratif et envieux, n’est-ce pas Keira ? Cela t’en bouche un coin, non ? Entonna-t-il en fixant Frank dans le blanc des yeux. Cette demeure va bientôt lui paraitre trop petite. Tu savais qu’il spéculait dans ton dos ? —Assez ! Assez ! » Il leva les mains au ciel en signe de soumission. Cela n’avait pas de sens et pourtant une fille de Five Points ne ferait pas le poids face à un Livingstone déterminé à mettre Frank dans le lit de sa cousine. Il n’y aurait plus de place pour moi dans sa vie ; on ne me verrait plus que comme une pestiférée et en y songeant les propos de ma mère me vinrent à l’esprit. On ne pouvait me faire prendre mes vessies pour des lanternes ; déjà je me voyais chercher un emploi à Manhattan et comment me vendrais-je ? Comme une dame de compagnie ? Une secrétaire privée ? Le moral au plus bas je quittais la demeure de la 3ème avenue pour me diriger vers la 5ème où Mrs Wheller m’attendait pour son traditionnel thé entre copines afin de dresser un portrait alambiqué de nos proches, ceux pour qui nous

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étions prêtes à sacrifier nos existences pour femmes pour se consacrer uniquement à nos respectives carrières ; toutes occupent un emploi réservé aux hommes et toutes passaient pour des féministes convaincues. The Freedom Women League, notre association appréciait mes compétences littéraires et notre gazette comptait déjà une vingtaine d’abonnées et tendait à se développer suivant le mouvement s’éparpillant à tout vent. « Keira Kennedy ? Bien-sûr nous la connaissons ! Une ravissante femme qui vit sur la 3ème chez le très riche Frank Meara ! » A quoi l’on pourrait aujourd’hui ajouter : Mais dépêchez-vous d’aller la saluer car bien vite elle sera remplacée par la très célèbre Imogen Lockwoo ! Oui cette Lockwood apparentée au très séduisant et très fortuné Sir Livingstone ! Afin d’économiser le prix d’un fiacre je me rendis chez Wheller à pied, le parapluie sous le bras et la gazette fraîchement imprimée de l’autre, tenu religieusement sous le bras et dans une jolie chemise en cuir. Une dizaine de femmes occupaient déjà les lieux ; ce fut un bourdonnement incessant de commentaires et un AHHH précéda mon entrée dans ce gynécée. On apporta le thé et les petits biscuits tout en lisant à haute voix le texte corrigé par Frank puisque Johann rebuté à jouer les correcteurs. « C’est excellent ! Vraiment excellent ! Argua la doyenne Mrs Keira Donovan repoussant ses demi-lunes sur son nez arqué. Quel talent ! Une chance que nous vous ayons près de vous, jeune femme ! » Ce genre de compliments me donnaient des ailes ; chez les Kennedy on encourageait guère ce genre de talent qui selon ma mère ne débouchait sur rien de concret. « Ce ne sont pas des féministes qui mettront de la viande sur notre table , Keira Kennedy !» Disait-elle pour railler le mouvement. The Freedom Women League était pour moi une troisième maison et selon Mrs

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Elisabeth Duran le mouvement ne pouvait évoluer sans l’implication de sang neuf. A cinq heures je quittais ces respectables femmes quand une douce voix prononça mon nom : « Miss Kennedy ? » Souvent dans la rue, en me baladant ici et là je rêvais qu’un inconnu me hisserait sur son cheval pour me conduire loin de cette vie pleine de faux-semblants, de protocoles où chacun ne jouerait le rôle pour lequel on l’aurait destiné suite à une loterie nationale décernant des titres, des honneurs en fonction de des efforts attribués à l’expansion de ce monde. Mayer-Sachs appelle ça le capitalisme et je cherche toujours la définition dans le dictionnaire. En me retournant je fus déçue d’apercevoir sur les traits de mon bel inconnu ceux de Livingstone. Il leva son haut de forme, les mains gantées de satin ivoire et comme à chacune de ses apparitions il transpirait l’arrogance ce dandy ! Toujours impeccablement mis, à croire qu’il se rendait à la noce et derrière lui se tenaient un couple, assez loin pour ne pas avoir à être présenté. Dans un monde civilisé les plus riches jouaient les hautains et leur supériorité leur conférait le droit de nous ignorer superbement. « Miss Kennedy ! On pourrait arpenter les trottoirs de la 5ème avenue pendant un millier d’années sans avoir la chance de tomber sur vous Miss Kennedy et je crèverais de honte de ne pas arrêter ma marche pour venir vous saluer. —gardez donc votre baratin pour une autre ! Tous ces cumulus n’annoncent rien de bon alors veuillez excuser mon hardiesse à vouloir rentrer au plus vite ! » Lui me dévisageait et je lis autre chose dans son regard ; autre chose que le mépris et la suffisance. Dans un contexte moins propice à la discussion j’aurais été flattée par ses compliments et j’en aurai peut-être rougie mais

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un tel compliment provenant de Livingstone me laissa de marbre. Ses yeux glissèrent sur ma bouche et prestement j’ouvris mon parapluie sitôt les premières gouttes tombant sur Manhattan. Si je ne trouvais pas d’abri, ma traîne serait alors gorgée d’eau et une fois essorée augmenterait le niveau du Nil. « Venezvous mettre à l’abri. —Non je dois rentrer, j’ai une réputation à préserver ! Et que penserez vos amis de tout cela ? Le beau Livingstone discutant sous une marquise avec une belle inconnue ! Veuillez m’excuser mais on m’attend ailleurs ! » Nelly notre cuisinière se plaignait de ce qu’on la prévienne au dernier moment du nombre des invités de la maison. « J’ai beau vous le dire Miss Kennedy », se lamentait-e-elle se dodelinant derrière moi. Nelly travailla à Londres puisque née dans le Berkshire et forte d’une solide expérience chez un Lord qui mit sa bonne en dote pour sa fille ayant quitté le sol britannique pour s’installer à Philadelphie. Nelly était brave, méticuleuse, efficace mais très sensible à la critique, sensible et délicate. « Je ne peux travailler ainsi et vous le savez ! Ces messieurs n’entendent rien mais vous, vous êtes bien plus raffinée et à cheval sur certains principes !Je peux cuisinier pour dix pourvu que l’on me prévienne à l’avance, vous savez ! Oh ! (elle s’essuya les yeux avec son mouchoir de poche) Dites-leur Miss Kennedy ! —Faites pour le mieux Nelly, personne ne vous blâmera de réduire les portons à chaque service ! Oh, Nelly ! Votre émotivité est à mettre sur le compte du perfectionnisme, répliquai-je en la serrant dans mes bras. Avec le temps tout s’arrangera Nelly, vous verrez ! —j’aimerai vous croire Miss Kennedy mais Mr Mayer-Sachs ne connait rien à la bonne cuisine et confond un aloyau à une souris et il s’introduit dans la réserve pour manger ce que

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j’ai préparé avec tant de dévotion et de respect. Vous voyez ce que je veux dire n’est-ce pas ? » Johann ne respectait pas le travail d’autrui, c’était un fait mais le plus insupportable dans l’histoire restait sa volonté de briser les caractères aussi forts et volontaires à l’image de Nelly. La traîne de ma robe laissait de grandes traces humides sur le parquet, à l’image d’un escargot laissant sa bave sur un quelconque revêtement. Reprenant bien vite ses esprits, Nelly sortit un petit calepin de son tablier et commença à énumérer ce dont elle avait besoin pour honorer les appétits de Mayer-Sachs et d’Meara. Donc je résolus d’aller le prendre dans le bureau de Frank talonnée par la domestique. Frank mettait toujours de l’argent de côté pour palier à certains problèmes de dernières minutes ; assise derrière son secrétaire j’ôtai la clef de mon cou pour offrir un petit tiroir dérobé quand je tombai sur une lettre que je n’aurai pas dépliée si je n’y avais pas lu mon nom en transparence sur le papier. « Nelly ! C’est pour vous ! Et ramenez-moi les factures comme d’habitude. Je ne voudrais pas que les épiciers s’engraissent sur notre compte ». Une fois la porte refermée je parcourus des yeux la lettre : « (…) cette personne ayant d’excellentes références je vous destine au poste d’éditrice auprès de votre journal (à savoir le Tumes). Toutefois un poste subalterne pourrait lui convenir ayant des origines modestes et peu enclins à développer ce qu’on pourrait communément appeler : ambition (…) Ainsi votre aide sera hautement apprécié (…) » Par cette lettre il me mettait à la porte. Mon cœur battait furieusement tout comme cette pluie martelant les carreaux des hautes fenêtres. Il épouserait cette Lockwood. Le souffle me manqua et la main sur le flanc, chassais au loin les larmes montant à mes yeux. Je me sentis

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trahie, acculée au bord d’un ravin et sur le point d’y être jetée de force. « Keira, tu es là ? » Prestement je remis tout en ordre et me présenta à la porte et trempé comme une soupe Johann triturait son chapeau avant de me tendre un écrin. « J’ai beaucoup de choses à me faire pardonner. Prends, c’est pour toi ». Et dans l’écrin un magnifique collier avec une gemme en pendentif ; un semi précieux, une améthyste cerclée de petits diamants. Vu son aspect on n’eut pas du le prendre au sérieux et il me l’attacha autour du cou. « C’est…c’est ravissant ». Ne trouvai-je qu’à dire et frappée de mutisme je laissais Johann baiser mes deux joues. Il sentait l’eau de Cologne et je tentais un timide sourire qui alla se perdre dans mes réflexions. « Passes avec moi à côté (il me présenta un fauteuil et lissa ses cheveux bouclés) Keira tu n’étais pas la plus jolie ni la plus maline des filles de notre quartier mais tu savais donner des coups et les rendre à tes ainés. Tu étais une petite peste, un animal sauvage qu’il fut difficile d’approcher et aujourd’hui encore, tu sembles te tenir à distance de tout ce qui représentent l’autorité. Ton père a abandonné son foyer et il est légitime que tu le haïsses comme tu ne peux tolérer le sort des femmes et… —Attends ! Arrête un instant ! Où veux-tu en venir ? Tu me fais don de ce bijou pour mieux me corrompre. Tu sais pourtant que je ne ploierais pas même pour un million de dollars ! Je ne t’ai jamais demandé comment tu avais pu t’enrichir de façon…si controversée. Tu es un voyou, pas le genre auprès de qui l’on puisse faire des concessions et te voilà riche. Mais contrairement à ces chercheurs d’or des Black Hills, du Missouri et d’ailleurs, tu ne sembles pas être pressé de faire fructifier cet argent. Tu fricotes avec Maclellan et Frank se prend une

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balle à ta place. Je n’arrive vraiment pas à savoir qui tu es devenu. — Demande-le-moi et je t’y répondrai. On dirait que cela t’arrange de ne pas savoir finalement. Ton Frank encaisse quatre millions et il lui a suffit de claquer les doigts pour que tu accoures comme une chienne en chaleur. Moi je crois que tu n’es que cela : une chienne en chaleur ! » Je brûlai d’envie de lui coller un pain en pleine figure et lui étudiait le collier que je venais de lui remettre. « Ouais tu es sa catin, toujours prête à… Pendant quatre ans il t’a laissé tomber. Ah, ah ! Pas une lettre, pas un câble et tu lui as pardonné sa désinvolture. Tu as la mémoire bien courte dis-moi. Et tu te vends au plus offrant, prête à retrousser tes jupons pour lui offrir ta virginité. Moi je n’aurais pas tes faveurs. Jamais ! Pourtant tu sas que je te rendrais heureuse. Un million de dollars… ce qui est ironique dans l’affaire c’est que j’ai risqué ma vie pour l’obtenir ». J’en eus assez de l’écouter et mon attention se porta sur les rideaux cramoisies et le tic-tac de la pendule dans le couloir. Johann attrapa mes mains pour les porter à ses lèvres et agenouillé devant moi, posa la tête sur mes cuisses son étreinte m’apaisa. Soudain j’éclatai en sanglots, un torrent de larmes qui inonda mon visage et dont je fus incapable de stopper. Johann me serra dans ses bras et sécha mes larmes de ses doigts avant que mon mouchoir n’épongea le reste. « Je suis un peu tendue en ce moment…Rien ne va comme je le voudrais : ma sœur Lynne qui subit les coups de son époux et Frank ce matin…cela fait un peu beaucoup (j’inspirai profondément) j’avais dans l’idée de partir quelques jours à Five Points pour soulager ma mère, mais si je quitte cette demeure je ne suis

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pas certaine de la retrouver en l’état à mon retour. —Sauf si je t’accompagne. Molly pourrait me faire la charité tu ne crois pas ? —Elle t’accuse de tous les maux et cela serait une provocation supplémentaire si tu venais à me suivre. Ta résidence principale est ici…et puis les hommes de Maclellan courront toujours derrière toi tant que tu continueras à te montrer grossier et puis j’ai besoin d’être seule ». Un chien aboya dans la rue et mon neveu s’époumonait dans mes bras. Or depuis deux jours le nourrisson pleurait ou devrais-je dire, hurlait ; Lynne épuisée et enfermée dans ses peines et douleurs internes restait allongée de longues heures durant. « Pour l’amour du Christ, fais le taire Keira ! Je n’ai jamais vu un bébé pleurer autant et Dieu sait combien j’ai eu d’enfants ! Ton argent nous est profitable, avec ce que te paie Frank Meara nous nous permettons de la viande deux fois par semaine et…Lynne ! Viens nourrir ton fils ! Lynne ! (Cette dernière apparut en trainant les pieds). Ton fils a besoin de manger ! Et fermes la porte derrière toi…Je vais essayer de convaincre ta sœur de repartir auprès de son époux. Ton frère Francis s’est annoncé et je n’aurai bientôt pas assez avec ton argent pour acheter de la volaille. Tu dois te marier Keira Kennedy et me donner des petits enfants. C’est important pour une mère. Qu’en penses ton Frankie ? » Je ne voulais la décevoir mais le sujet fut toutefois abordée : il n’y aurait pas de mariage, cette Imogen Lockwood me volait la vedette. « Oh non ! Non ! Non ! Tonna ma mère folle de rage. De son poing elle frappa la table, se leva prestement pour aller ouvrir la fenêtre et s’y ventiler. « Et pour quelles raisons choisiraitil cette étrangère à ma fille ? Cette…non, je suis en colère, vois-tu ? Ces gens des beaux quartiers

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n’ont aucun sens moral. Tu es une Kennedy et si cela n’évoque rien pour toi, essayes cependant de respecter ce nom en te dégotant un bon époux. Cela me révolte. Ce Frank a été bien content de te retrouver et…Keira Kennedy, tu t’es donné à cet homme ? —Ni à lui ni à personne. Seulement je crains que ma dote ne suffise plus. Frank a toujours été un homme d’ambition et je ne doit plus convenir à son idéal féminin depuis qu’il va en société ! Il te faudra jeter ton dévolu sur MayerSachs, après tout il est à moitié irlandais et son argent vaut bien celui de Frank ! » A la demande de ma mère je me rendis chez Barne’s le prêteur sur gages pour un pistolet ayant appartenu à mon père. « C’est une belle arme. Je t’en donne 40 à prendre ou à laisser ! » Dans la rue les mioches me suivirent en jappant comme des petits chiens. « Hey, mignonne ! Cela te dirait de passer du bon temps avec moi ? » Ce grand rouquin adossé contre la façade du droguiste lorgnait dans ma direction. Tout le monde en allait de son commentaire ; où que j’aille il se trouvait toujours quelqu’un pour me suivre, m’interpeller, me courtiser ou balancer des obscénités. Il me fallait les ignorer tout en évitant les détritus au sol ignorés eux aussi par les porcs, les chiens et les enfants ; éviter la merde et contourner bien des obstacles. Une femme allaitée son enfant sous le auvent en face d’une prostituée à la poitrine découverte, relevant son jupon sur sa cuisse ferme. « Hey, on dirait que je te plaie beauté ! » il me fallait passer par une ruelle pleine de chèvres et au-dessus de laquelle pendait du linge. On entendait des bébés pleurer, des femmes pleuraient et des maris hurlaient. L’odeur des porcs me piqua le nez comme celui du crottin de cheval, de la crasse, du foutre et de l’urine des hommes. Five points c’était ça, et je savais qu’il y avait pire sur terre : des taudis

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dans lesquels on entassait des familles entières. Aucune lumière ne vous parvenez jamais et le désespoir frappait les mères à abandonner leurs enfants en bas âge. Les flics me regardèrent passer et l’un d’eux siffla en me salua la main sur le chapeau et il me fallut contourner un homme ivre couché en plein milieu de la chaussée. Plus loin une femme se battait avec un type à coup de sac et un type me suivit en frottant son membre. Un cheval crotta juste devant moi. « Hey, Kennedy ! Hey toi ! » En me retournant je reconnus Billy Joe, un colosse portant un chapeau melon et une barbe rousse. « Mais que fais-tu là princesse ? Je te croyais chez Meara ! Laisses-moi deviner : vous vous êtes encore querellé à mon sujet ? Je savais que notre relation causerait quelques ennuis, on forme un trop beau couple tu sais et cela attise les jalousies. Qu’il est bon de te revoir Keira ! —Le plaisir est pour moi Big Billy ! N’aurais-tu pas maigri du moi ? Tu as une mine superbe. A croire que Mrs Billy Wayde s’occupe bien de notre Big Billy. Je suis ici pour soulager ma mère et réconforter ma sœur Lynne. —Oui j’ai appris. Ce Rodgers a la main lourde et Mayer-Sachs est venu lui foutre une raclée. Il est très en colère sitôt qu’on menace un membre de votre clan. Oui et il est très susceptible en ce moment. Il se passe quoi làhaut ? Je n’aime pas le voir comme ça et il a parlé d’un truc qu’il aurait fait et qui n’a pas semblé être à ton goût. Dis-lui d’aller se faire foutre une bonne fois pour toute, Keira au risque de l’avoir constamment sur le dos. —Tu parles en connaissance de cause ? Il se convie beaucoup à toi Big Billy, tu es un peu comme son grand frère et il t’estime suffisamment pour écouter ce que tu aurais à lui dire. Alors dis-lui que…non, cela est sans importance.

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—Quoi ? Tu aurais des problèmes avec lui ? —Lui en a avec les types de Maclellan et Frank n’a pas à jouer les boucliers humains. Les ennuis qu’il aurait à Five Points doivent rester à Five Points et il devrait savoir quand d’arrêter. Toute son immaturité me chiffonne et…tu embrasseras ta femme et tes enfants pour moi. Je passerais les voir quand j’aurais une minute, fais-le savoir à Lizzie ! » En poussant la porte le spectacle de ma mère gloussant, un large sourire sur les lèvres me surprit ; la raison de son bonheur se révéla être Frank assis en face d’elle à qui elle resservait du thé. « Oh la voilà ! On l’attend depuis maintenant une heure et la voilà, argua ma mère en m’attrapant par le bras pour m’installer près de Frank faisant l’objet d’une étude poussée de ma sœur Saoirse. —Qu’est-ce que tu fais là Frank ? —Keira Kennedy ! Ce n’est pas une façon de recevoir tes amis ! Tonna ma mère en redessinant l’une de mes boucles ; elle alla jusqu’à mouillé le pan de son châle imitation cachemire pour m’en essuyer le visage oubliant que je n’avais plus six ans mais vingt-ans. « Maman ! —Et bien quoi ? Depuis qu’elle vit dans les beaux quartiers ma fille ne supporte plus qu’on la touche ! Toute une vie d’affection balayée par cette tempête financière appelée Meara. Tu la gâte trop Frank ! Ah, ah ! —Maman, pourquoi ne sortiriez-vous pas Lynne, Saoirse et toi ? Frank et moi avons à disctuté. S’il vous plait ! » A contre cœur elle rassembla ses jupons et posa une main affectueuse sur la frêle épaule de ma benjamine rachitique et effacée. « Viens Saoirse, nous ne sommes plus les bienvenues sous notre propre toit ! Nous allons chez Betty et si tu as besoin de quoique se soit n’hésite pas à venir me chercher. Nous sommes à côté ».

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Toutes trois partir en trainant les pieds et le calme revenu je ramassais une miette de gâteau du bout du doigt pour le manger. Un cake fait par saoirse apprenant le métier de pâtissière depuis huit mois maintenant après un emploi comme blanchisseuse. « Alors Frank, dis-moi ce que tu veux ? Five Points te manque-t-il à ce point ? T’ennuies-tu de tes frères de sang quand tes nouveaux amis n’ont pas le vice dans la peau ? Ils sont tous irréprochables n’est-ce pas ? Tous sont dignes de confiance, hein ? —Où est-ce que tu veux en venir ? Ta réputation ne t’a jamais faite défaut ici comme ailleurs. Pour quelles raisons viendrais- tu à craindre pour ta vertu ? Frank renifla bruyamment les jambes croisées l’une sur l’autre et l’air détendu. La fenêtre ouverte nous apportait les bruits de la rue dont un règlement de compte entre des voisins un peu trop portés sur l’alcool. La situation semblait leur échapper complètement et le sifflement des flics les mit en déroute. « On dirait que tu aimes toujours ça ? —Quoi donc ? —de mettre dans des situations inextricables. Tu fricotes avec Johann et je devrais continuer à fermer les yeux et prendre ta défense sitôt qu’il se montre un peu trop entreprenant. Tu sais je t’aime bien Kennedy mais il ne faudrait pas pousser le bouchon un peu loin. Je sais que Jo est un peu brutal avec les filles mais il en a jamais désiré une aussi fort que toi. —Je ne suis pas une fille ! Susurrai-je folle de rage qu’on puisse me considérer comme une putain. Pour nous atteindre, ils nous traitaient de filles faciles et si vous aviez l’audace de vous en défendre, vous passiez pour une catin ; tous pensaient la même chose des femmes comme moi et cela me rendait folle.

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« Tu sais très bien de quoi je fais allusion. Je connais Johann tout autant que toi et il hors de question que je le laisse tomber pour une fille qui s’en ira avec le premier venu quand cette dernière aura dans l’idée de pouponner. Et tu finiras par partir toi aussi. Je m’’y suis préparé et…je ne veux pas que tu le fasses souffrir avoir testé ton potentiel de séduction auprès de mon ami de toujours. —Comme il doit être difficile pour toi de devoir choisir entre ton meilleur ami et la fille qui pollue ton atmosphère ! Il serait tellement plus facile pour toi de jeter ton dévolu sur une vraie femme issue de la haute société qui t’apporterait prestige et l’ascension sociale à laquelle tu aspire. N’y aurait-il pas déjà une belle sur la 5ème avenue qui répondrait à tes attentes ? » Son expression faciale le trahit. On peut y lie de la consternation et de la déception, celle d’avoir accepté la proposition de Livingstone. On venait du même quartier, de la même rue et on avait partagé les mêmes galères, fréquenter les mêmes gens et lui tentait d’oublier ses racines. Les bras croisés sur la poitrine il me fixait exaspéré par mon caractère. Il aurait voulu ne pas en arriver là : devoir justifier son attitude envers notre communauté. J’étais le dernier rempart qui le retenait à son monde, le dernier lien qui l’attachait à son Irlande et ses traditions. Le sang des Kennedy coulait dans mes veines et il craignait de le perdre subitement ; on ne pouvait le lui arracher tel l’ivrogne à sa carafe cherchant à se frayer un chemin vers la lumière. Il caressa la poche de son gilet et tira sur la chaînette de sa montre. Le temps demeurait une notion empirique et le temps passé à mes côtés s’égrenait lentement au point de ne pouvoir arrêter la course des étoiles dans le ciel. Il s’en irait et me laisserait là à Molly Kennedy et cette pensée me contraria.

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« As-tu dans l’idée de revenir ou dois-je repartir sans toi ? Questionna ce dernier en enfonçant le fond de son chapeau. Il fixait ses souliers sans vouloir se montrer aimable. —A toi de me le dire Frank. J’avais un emploi avant et une certaine respectabilité. Tu débarques dans ma vie et… » Ma discussion l’agaçait puisqu’il se leva en soupirant. Il ouvrit la bouche puis sourit en déposant une enveloppe sur la table ; une enveloppe qu’il glissa vers moi. « Voici tes gages. Je n’ai jamais eu l’intention de te garder près de moi et entacher ta responsabilité. Alors il est préférable que tu ne reviennes plus où tu sais. Je te ferais livrer tes effets personnels à l’adresse de ton choix et…on en reste là ». Il partit comme un lâche. Ma mère dirait qu’il a agit comme mon père, ce qui n’est pas plaisant d’entendre. Il me fallait descendre prendre l’air. Il fallait voir en cela une fatalité, les hommes ne restaient jamais près de nous, notre petite société ne se composait plus que de femmes abandonnées, délaissées par des époux égoïstes et cupides, des h hommes menteurs et fourbes, violents et irrespectueux ; il nous fallait composer sans eux. Après avoir marché sur dix mètres, je bifurquai au hasard des rues sans m’arrêter ; je voulais seulement marcher et ne plus penser à rien. Je finis par m’appuyer contre un mur pour pleurer de tout mon saoul. Je devais me montrer forte et surtout ne pas pleurer pour un homme. Ne jamais tomber amoureuse…je me mordis la lèvre. On chantait une ballade celtique en gaélique et assise sur mon lit je serrai mon oreiller à pleine brassée. A quoi pouvait bien ressembler l’Irlande ? Etait-ce de vastes landes balayée par de la brume visiter par des korrigans ? Cette ballade me fit monter les larmes aux yeux,

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songeant à ces belles choses que l’on disait trouver là-bas. Lynne repartait auprès de son époux et cette dernière me toisa du regard ; une femme hautaine et fière, un visage mutin et des grands yeux vert d’eau. Pendant une semaine elle n’avait rien trouvé à me dire, trouvant juste de m’ignorer, occupée par son nourrisson qu’elle allaitait à présent sans que cela ne la fasse hurler de douleur. « Oui je vais rentrer alors ne me juge pas Keira. J’ai des enfants et je fais cela pour eux. Mieux vaut qu’ils aient un père que pas de père du tout. —Mais il te frappé Lynne ! Que t’arrivera-t-il ensuite ? Tu pourrais vivre ici avec maman et Saoirse et tu garderas les petits pendant que je travaillerais pour toi ! —Hors de question ». Tout comme ma mère Lynne avait le teint de porcelaine, et comme mon frère Ryan, des tâches de rousseur et une bouche aux bords tombant. Dans une autre vie Lynne aurait pu être une tsarine vivant dans son palais de verre, une reine des neiges froide mais si jolie. « Si tu retournes il te tuera ! —tais-toi donc ! Que connais-tu de la vie d’une mère ? Il ne me touchera plus parce que j’élève ses enfants et qu’il a tout intérêt à m’avoir près de lui, présenta-t-elle en mettant son fils sur l’autre sein. Je n’ai pas l’intention de me cacher ici et fuir mes responsabilités d’épouse et de mère. Tu comprendras cela le jour où tu seras mère à ton tour ; être confrontée à la réalité et non pas à un semblant de réalité qui servent à alimenter ton réseau de féministes. Dis-toi que certaines personnes n’ont pas le choix et pouvoir choisir son destin est un privilège qui n’est pas l’apanage de notre sexe. —Lynne tu ne peux te résigner à la violence !

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—Je ne le suis pas. Seulement il paie les factures et plus tard l’école de nos enfants. Penses-tu seulement que maman en soit capable ? Et toi-même quand ton Frank sera las de t’entretenir ? Maman a raison et il est bien rare que je lui donne raison, mais…on parle beaucoup de toi par ici et pas en des termes élogieux. Bientôt on ne sera pas surpris de te savoir avec son bâtard dans le ventre ». Son regard me pétrifia venant appuyer ses propos. Le front orgueilleux et le menton barré d’une fossette d’ange, Lynne caressa la tête de sa fille, l’encouragea à patienter calmement et revint à moi. « Je suis ta grande sœur et il est légitime que je t’en parle. Qui d’autres trouveraient les mots justes pour te faire réagir ? Trouves-toi un mari convenable et comporte toi enfin comme une femme accomplie et non comme une chatte sauvage ». Aucun courrier ne me parvint pour faire état de mes robes et de mes effets restés chez Meara. Jeèmelouais donc un coupé pour me rendre sur la 3 avenue pour constater le vestibule rempli de chapeau, écharpes, cannes et gants de soie. Jasper m’informa que Monsieur recevait. « Soyez sans crainte Jasper, je n’irai qu’à l’essentiel ! » Des éclats de rire accompagnés par la douce mélodie du piano, le tintinnabulement des verres de cristal et l’odeur du tabac de Virginie donnaient la mesure de cette journée dédiée au culte de la mégalomanie pour lequel chacun pensait tirer son épingle du jeu. On s’esclaffait, riait de bon cœur oubliant qu’à l’extérieur il tombait des cordes et que les chaussées pavées furent rendues glissantes par la pluie diluvienne. En pénétrant dans mes appartements j’eus un pincement au cœur. Comment pouvais-je quitter tout cela ? Comment parvenir à tirer un trait sur cette existence là ? Lentement je déboutonnai

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mon manteau aux larges cols à la pelisse noire et aussi douce d’une caresse. Cette cape valait à elle seule plusieurs mois de travail et pour rien au monde je comptais m’en séparer car douce et très chaude à la fois. La psyché me renvoya l’image d’une curieuse dame à la chevelure défaite, de longs cheveux longs et noirs sortant de mon chignon improbable. La fatigue se lisait sur mon visage et je pinçai mes joues pour leur donner plus d’éclat. Cette chambre allait me manquer, ainsi que cette salle de bain collé à ce boudoir, dans l’esprit français ; ce salon et l’immense garderobe pleine de tenues n’ayant été portées qu’une fois ou deux. La femme de chambre les rangeait par couleur prenant soin de tout répertorier pour éviter de commander deux fois la même pièce. Mes doigts passèrent sur le velours, le taffetas, la soie, la moire ; la dentelle, l’organdi, la crêpe de soie, la mousseline. Il me faudrait faire un choix parmi toutes ces mises en ne conservant que les plus pratiques. « Jasper m’a dit que tu venais d’arriver. Et qu’as-tu fait de Johann ? J’ai pensé que…l l est encore là-bas et il y a cinq jours qu’il devait te ramener. Ce que je comprends ce que vous vous êtes croisés. Je reçois du monde dans le salon et je serais flatté de te présenter à eux. Tu devrais…commencer par changer de robe. —Je ne compte pas rester, étant seulement venues récupérer mes affaires. —ah ! Et bien tout est là.3 On se fixa là dans ce beau costume comprenant cette redingote, ce pantalon à pince et ce gilet avec ces rangées des boutons en cuivre ; un foulard de soie gris pendait à son cou et plus que jamais il passait pour un dandy ou l’un de ces intellectuels parcourant les salons dans l’espoir d’y dégoté un mécène parmi les membres des clubs comme le Diogene Partenary et La Social Community. Ce foulard de soie noire à points brodés de fil

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d’or fut l’un de mes cadeaux ; il l’arborait comme l’amant affichant avec orgueil le cadeau de sa maîtresse comme d’autres afficheraient un franc sourire conquis, celui disant combien il tenait à cette dernière puisque capable de le maintenir dans cette sorte de possession mentale. Lentement il referma la porte derrière lui, dissipé dans ses pensées et au fond de son regard on pouvait y lire du dégoût pour la femme vénale que j’étais devenue par la force des choses. Il était venu me chercher au Macy’s disant avoir un emploi pour moi. Un emploi dans mes compétences. « Si tu écris toujours, ce boulot sera pile dans tes compétences » et ce même regard me séduisit tout autant qu’il me convint de le suivre, plaquer mon emploi fixe pour le suivre. Mon employeur craignait de me perdre, me demandant à plusieurs reprises si je pouvais reconsidérer l’offre de Frank. On ne recrutait pas de femmes à ce poste et pendant de longs mois je me battis pour me faire accepter. « Tu as trouvé un nouvel emploi autre part ? Si c’est le cas tu m’en parlerais n’est-ce pas ? Tu aurais la correction de me dire que tu partirais, à moins que nous ayons des secrets l’un pour l’autre. Comment va ta sœur ? —En quoi son destin t’intéresse-t-il ? Tu ne te soucies plus de personne et tu joues les seigneurs enfermés dans son donjon prenant des nouvelles du petit peuple, des gueux à distance ! Craignant que leurs miasmes d’atteignent, que la merde salisse ton beau costume ! —Tu as une putain de problèmes Kennedy ! Tu passes quelques temps avec les tiens et tu me reviens plus moralisatrice que jamais, crachant ton venin et insultant mon intégrité. Oui tu prends des airs supérieurs. Pourquoi ? Tu aurais pu me demander comme je me portais, comment ma blessure guérissait ; à la place de cela tu joues les provocatrices, alors tu prends

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ce que tu as à prendre et tu te casses, bien vite avant que je ne te jette de chez moi, un bon coup de pied au cul. —Tu n’as pas eu à me chasser, je suis partie avant même que tu me l’as demandé. Je ne prendrais que trois robes, le reste tu pourras les remettre à tes putains du Pacha, intimai-je en récupérant mes livres posés sur ma table de chevet. C’était encore l’une de tes foireuses stratégies que celle de venir à Five Points pour me remettre le solde de mes gages ! Me provoquer jusqu’à chez moi…Où sont Cora et Maureen ? Nous y arriverai plus vite à trois ! Tu renvoies tout ton personnel au profit d’une main d’œuvre moins sujette à la controverse et ton choix se portera bien-sûr sur le personnel dicté par Livingstone. » La valise jetée sur le lit à alcôve vert identique aux rideaux ; un vert foncé aux reflets noirs et disparates rappelant incontestablement le vert des grandes étendues verdoyantes et ondoyante caressée par le soleil ou une ombre. La main sur le flanc je constatais que mon chemisier fut maculé d’eau, des traces entières sur les manches et le col remontant dans mon cou enserré par une ficelle de soie parme comme ma ceinture à frange bleue nuit. Maureen m’aurait remise en état en séchant mes cheveux et les coiffant, en m’aidant à revêtir une toilette de fin d’après-midi et à la place de cela, je vivais les dernières minutes de cette cohabitation telle une condamnée à mort vivant ses derniers instants de liberté dans cette verdoyante prairie. « Si tu veux l’une ou l’autre des filles tu n’as qu’à sonner. Il y a un cordon installé près de ton lit. Peut-être que ce mouvement te serait devenu insupportable comme celui de me serrer dans tes bras. Tu t’en vas et mes amis attendent mon retour au salon alors viens m’embrasser ».

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Interdite je restais un long moment à ne pas savoir que faire et face à ce manque latent d’inspiration, Frank caressa mes bras, des épaules aux coudes et s’interrompit pour plonger son regard dans le mien. Alors je détournai la tête. Il savait que Johann tenta de me forcer, pourtant quand sa main glissa sur mon cou, je le repoussai. Là contre le mur, le front posé contre le mien il caressa ma nuque. « Tu t’empresse d’aller retrouver Johann, ton amant ». Il me croyait déflorée. Mon départ pour Five Points après ma rixe avec Johann ressemblait à al fuite de deux amants. Ensuite il est possible qu’in nous ais suivi dans le salon le jour où Johann m’offrit le bijou, alors il me croyait être sa maîtresse. « Très amusant et bien me crois-tu vénale à ce point ? Capable de sacrifier ma vertu pour satisfaire les caprices de Johann ? Et que restera-t-il de moi après la bataille ? Des larmes ? Un mariage contraint et forcé ? Pensestu que je veux à ce point paraître misérable en me comportant comme la première des catins ? Eloignes-toi de moi Frank j’en ai assez entendu ! Retournes auprès de tes amis et laisses-moi envisager mon avenir comme je l’entends : loin de toi et de tes complots. » Dix minutes plus tard Maureen frappa à la porte et en proie à une vive agitation. Johann la trouvait sotte, identique à un animal apeuré craignant un éclat de voix, un ordre contredit ou un tintement de clochette ; on ne lui demandait pas de briller par ses propos, ni d’être une excellente compagnie et Maureen se distinguait par sa candeur et parce que n’ayant aucune expérience dans le service, ce qui expliquait sa volonté de réussir quel qu’en soit le coût. Les yeux rougis, Maureen ferma la dernière valise. « Vous êtes très bien Maureen vous n’avez aucune crainte à avoir. Mon départ n’affectera

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en rien votre place ici et vous y resterez le plus longtemps possible. Cette maison est une école de la vie en quelque sorte, ajoutai-je sans arriver à m’en convaincre. La voiture est-elle arrivée ? —Nous avons fait le nécessaire Mrs Kennedy et Mr Livingstone tient à vous offrir la nuit au Waldorf-Asoria, Mrs kennedy. —Mr Livingstone ? Et je devrais accepter vous croyez ? Ai-je besoin d’un protecteur comme ce…malotru ? Mes gants Maureen. Je suppose qu’ils doivent se gausser en bas à qui ricanera le mieux. Je mettrais le chapeau de castor, si vous voulez bien. Je ne veux pas paraître trop habillée pour rentrer à Five Points. Vous pleurez ? —C’est que j’ai…beaucoup apprécié travailler pour vous Mrs Kennedy ! —Mais c’est moi qui devrais pleurer pas vous ! Allez ! (en la serrant dans mes bras) Vous passerez me voir chez ma mère n’est-ce pas ? En tous les cas, moi je vous y attendrais, alors Maureen on ne peut pas vraiment parler d’un adieu ». Dans le salon les rires et les discussions, la fumée de cigares et le vin pétillant se firent plus lointain encore et je ressentis un étrange mal être en entendant glousser des femmes. Bien vite remplacée, me dis-je en me dirigeant vers le vestibule, confortable vestibule avec ses tentures murales et ces fauteuils. Par la fenêtre je vis la voiture, un coupé balayé par la pluie et impassiblement le cocher attendait là tenant les guides de son cheval. Cette scène contrastait si fort avec les éclats de rire du salon, le crépitement du feu et la chaleur s’y dégageant ; toutes ces nuances vives et chaleureuses, cette bonne humeur manifeste et le parfum des fleurs livrées en commande hebdomadaire. Et puis cette rue froide et striée par la pluie tombant en rafale ; les façades des riches demeures effacées derrière cette nuée où l’on pouvait toutefois

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deviner portiques, balcons à balustrades et fronton néo-classiques. « Demain c’est vendredi ». Frank me faisait front, or perdue dans mes pensées je ne l’avais entendu venir. « Tu seras là pour six heures et j’e te ferais chercher à l’adresse que tu remettras ce soir au cocher. Tu ne peux manquer ce vendredi. Pas deux fois de suite et…j’ai besoin que tu sois là demain. Dis-moi que tu honoreras cette visite. » Il toucha une fleur dont il arracha un pétale sans grande considération pour cette fleur irisée au doux parfum dans une heure il ferait nuit et New York se couvrirait d’un halo lumineux comme celui recouvrant le gaz des réverbères. « Et notre Keira s’en va ! C’est votre sœur n’est-ce pas ? On m’a dit qu’elle était souffrante. Un retour de couches difficile, que c’est regrettable mais comme toutes Irlandaises qui se respectent, elle sera bien vite en mesure de donner à son époux de nombreux rejetons qui un jour feront de potentiels électeurs à cette belle et grande métropole. Je trouble quelque chose peut-être ? —Si nous devions lister tous les ennuis que vous nous avez causé alors… —Ce que Keira veut dire c’est qu’elle croit dure comme fer que vous cherchez à me divertir plus qu’une fille du Pacha le ferait. —Ah, ah, ah ! Que c’est délicieux ! Soutint-il en remettant son cigare entre ses lèvres. Meara est le meilleur et il n’a pas à se faire entretenir par une femme de petite vertu pour atteindre son objectif qui est…de joindre l’utile à l’agréable. Cela serait une superbe hypocrisie de penser que Meara restera un Meara, ce n’est pas une œuvre d’art de Stephen Cole que l’on acquière pour ensuite l’exposer à la vue de tous et à jamais fixé à un mur. Meara n’est pas un bien meuble dont il nous faille débattre le prix de longues années durant. Vous le comprendrez quand vous

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aurez fréquenté les bonnes personnes Miss Kennedy. —C’est bien pour cette raison que je vous le laisse n’ayant ni le loisir et surtout ni la volonté de surenchérir. Mes arguments ne feront pas le poids face à votre si redoutée influence. Jasper ! Mon parapluie s’il vous plait ! » Le match de boxe se tenait sur Broadway et il fallait jouer des coudes pour avoir les meilleures places dans les gradins. Le bruit combiné à l’odeur vous faisait tourner de l’œil si vous ne trouviez une âme bienveillante pour vous escorter à bon port. Des cornemuses se répondirent dans la salle bondée et pleine de Hurrah ; Big Bill escortait sa nièce venant assister à la première apparition de son frère Cirian McGinnis et bras-dessous, bras-dessus Scarlett et moi avançames jusqu’à l’escalier sous l’indifférence générale. Toute cette excitation, ce public sifflant et encourageant ses vedettes, ces corps à demi nus suant et encaissant les coups ; Winnie ma voisine sifflait plus fort que ces voisins et trépignait d’impatience à l’annonce de tel ou tel combattant. Elle se vantait de tous les connaître, du moins de réputation et plongée dans ce milieu depuis le berceau Winnie comme moi appréciait le spectacle. « Et les filles, voilà votre champion ! » Toutes deux hurlâmes en voyant apparaître Cioran, un grand gaillard dépassant d’une tête les autres membres de l’assemblée. « Regardes-le keira ! Il va leur mettre la branlée à toutes ces petites frappes de Brooklyn ! Notre Cioran a plus de répartie que tous réunis ! —Espérons pour lui, l’Africain est dément et a mis les Italiens au sol par KO ! Oh, non ! Regardes qui vient par là ! Les amateurs du bistrot du coin ! Ils devraient durcir les contrôles à l’entrée. Regardes-les ils sont déjà à moitié ivres pour ne pas dire complètement ! »

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Le combat dura moins de dix minutes et notre gentil petit Ciaran mit Ko le grand Africain. On se serra dans les bras pour sauter hors de notre chaise et danser à la façon des farfadets. « Ton frère est le meilleur, Scarlett ! Cela ne fait plus l’ombre d’un doute ! » Et elle m’embrassa sur les deux joues en y mettant de l’ardeur. « Les filles ! Les filles ! Un peu de calme s’il vous plait, un peu trop d’émotion et vous finirez comme ce nègre couché à terre ! Hey, mais n’est-ce pas un revenant ! Keira, mates un peu qui voilà ! » Frank se tenait près de Big Bill souriant d’une oreille à l’autre, heureux que la boxe puisse nous rassembler. « Quoi, tu n’as pas mis ton beau costume pour te rendre à l’opéra avec toute la clique habituelle ? A moins que ton gala de charité ne soit ajourné…Scarlett ? —Je reviens plus tard Keira, je ne suis pas bien loin ! » Frank prit sa place ramenant à lui toute l’attention du public massé en contrebas. Sa présence en ces lieux tenait de la farce, de l’inattendu et plutôt que de me pincer pour m’assurer de ne pas rêver, je me mordis la langue pour éviter de me montrer détestable. « Maureen dit que tu as trouvé un emploi chez un gantier, c’est bien. C’est certainement mieux que de faire la boniche chez un nouveau riche plein de mauvaises attentions pour l’immaculée petite catholique que tu es. On te béatifiera à ta mort et il y aura un lieu de culte pour toi, prise en charge par ta mère qui s’empressera d’en faire un juteux commerce. —A-t-on encore le droit d’apprécier le match sans que tu sois à gaspiller ton temps en parlote. Pour qui as-tu paré ce soir ? Pour le nègre ou bien pour une autre couleur, un autre pavillon ? —Rentres avec moi ce soir. Je me sens un peu seul en fait. On partirait après le match bien entendu et on trouvera un sujet sur lequel nous prendre la tête. Ce soir je suis d’humeur à

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entretenir le dialogue comme un feu sacré qu’on craindrait de voir s’éteindre. Juste toi et moi. —Un sujet de discorde comme tes fiançailles à venir avec la somptueuse cousine de… Lockwood, c’est bien ça ? Je ne suis pas à un secret près, sans vouloir parler de ton implication auprès des affaires de Johann. Tu savais qu’il boxait pour le compte de Maclollan et vous avez trouvé plus moral de ne pas m’en parler, tout comme l’origine de votre fortune. On pourrait remonter ainsi jusqu’à l’origine du monde mais moi je ne suis pas d’humeur. —Lockwood ? Je me souviens d’elle à présent. Et qu’aurait-elle à voir avec moi ? Tu crois qu’elle accepterait pareille mésalliance en jetant son dévolu sur ma personne ? J’avoue l’avoir trouvée désirable, brillante et parfaite à l’image de toutes ces déesses nichées dans cet Olympe, cependant je finis par les trouver insipides, ennuyeuses car dressées ces belles pouliches, dressées à flatter le premier étalon qui a le malheur de passer dans leur champ de vision ». Il déboucha une bouteille de Champagne dont la mousse coula dans des flûtes prévues à cet effet et il me rejoignit sur le sofa sur lequel je l’attendais, les jambes repliées sous mes fesses et la main soutenant ma tête par l’arrière. Une bûche craqua et s’écroula dans l’âtre et frissonnant d’aise appréciais le calme de cette demeure en comparaison à notre résidence de Five Points. On s’observa un long moment pendant lequel ma respiration s’emballa, désirant si fort être prise par Frank. Peut-être pensait-il la même chose, là, muette et peu décidé à parler. Le match fut le théâtre de notre réconciliation et Big Bill y fut pour quelque chose ; les informations circulaient à grande vitesse, se déplaçant telle une trainée de poudre. Frank fut pris par l’observation des bulles remontant à la

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surface avant de disparaître et me laisser méditer sur mon propre sort. Il s’écoula de longues minutes pendant lesquels il ne resta plus rien dans ma flûte ; une façon pour moi de prendre la poudre d’escampette, monter me mettre au lit prétextant une soudaine migraine. J’ajustai le tartan de ma robe épinglée à l’épaule ; une tenue digne d’une belle écossaise prise dans son vieux manoir hanté par des esprits, ceux de ses ancêtres. Cette écharpe de tartan vert descendait jusqu’au sol puisque longue de deux mètres et le veston baleiné épousait mes courbes offrant au corsage un aspect plus étroit encore que l’origine silhouette. Comme beaucoup de mes toilettes je l’avais voulu l’ouverture sur le corsage échancré offrant à la gorge des ruches de dentelle. Le tintement de l’horloge me tenait compagnie et le feu toujours crépitant envoyait des gerbes d’étincelles au moment où la bûche s’effondrait sur elle-même ; la pluie toujours cognant contre les fenêtres et le passage des fiacres, des coupés « Browns » descendant ou remontant la rue dans un claquement sec des sabots contre les pavés et le couinement des essieux sur le mécanisme de la roue. Je pouvais encore attendre cinq minutes de plus. Une voiture s’arrêta devant le perron du n°22 ou peut-être à la porte d’en face. J’en fus réduite à écouter les bruits environnants et à spéculer sur leur origine. On ouvrit la porte du fiacre et des pas remontèrent vers notre porte qu’on ouvrit. Johann Mayer-Sachs avait son propre jeu de clefs et il pénétra le vestibule, s’arrêta au seuil du salon, me fixa sans rien dire et attrapa la carafe de whisky. « C’était bien ? —Quoi donc ? » Il se servit un nouveau verre qu’il avala cul-sec comme le précédent. Chaussures crottées, redingote trempée et cheveux bouclés en pagaille, Johann cultivait

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son apparence de voyou ; pas de foulard au cou et les boutons de sa chemise ouvert sur son torse que je devinais nu. « Où est le maître des lieux ? —Je suppose qu’il est monté. Nous en étions à notre première coupe de champagne et…de toute façon je ne vais pas tarder à aller me mettre au lit, répondis-je en récupérant ma cape de taffetas posé sur le dossier du fauteuil cabriolet. Si tu revois Frank tu lui diras que je suis montée. —Je te trouve bien arrogante petite, lança Johann en lisant ses cheveux vers l’arrière et sa moustache par la même occasion. Tu te casses et les choses devraient se passer comme tu veux, Kennedy ! Tu crois peut-être que je ne sais pas à quoi tu joues ? Tu dois te dire que tu obtiendras tout de nous en agissant comme la plus perfide des petites chattes de Manhattan ! Retourne t’assoir. —Je ne crois pas non ». Alors il m’attrapa par les cheveux et me jeta dans le sofa ; ce n’était pas la première fois qu’il s’en prenait physiquement à ma personne. Plus jeune quand ma mère me faisait chercher par mes frères, Johann me trouvait toujours le premier pour me fesser. Il tenait à ce privilège et après le départ pour mes frères à la guerre, il se montra plus déterminé encore à me remettre sur le droit chemin, ce qui va sans dire soulageait ma mère qui se disait être incapable de me dresser. « Il va falloir que tu m’obéisses. —Plutôt crever. Lâches-moi. —Sinon quoi ? Tu vas retourner ventre à terre à Five Points et pleurnicher auprès de Molly en disant que je t’ai fichu une rouste pour avoir voulu faire ta maligne ! Tu aimes qu’on te rudoie un peu. Arrête. » Mes mains tentèrent de le faire lâcher prise et mes ongles entrèrent dans sa peau dans le seul

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but de le voir saigner et plus il s’accrocha à moi et plus je tenais bon. Il attendit que je fusse calme pour me lâcher brutalement. D’un bond je fis sur lui et de toutes me forces je le frappais, sachant qu’il ne lèverait pas la main face à cette offensive désespérée. Il me laissa le cogner encore et encore ; cela me faisait du bien de pouvoir me décharger contre lui. Un instant plus tard il enserra mon visage entre ses robustes mains et me plaque contre le mur. « C’est bon, déclara Frank sortit de nulle part et posant la main sur l’épaule de Johann. Je crois qu’elle a compris là. Lâche-la Johann, poursuivit-il assit et occupé à se rouler une blonde, ne portant plus que son gilet ayant ôté le superflu dont ses chaussures. Pourtant je revins à la charge l’attaqua de dos et Frank me retint par le dos en me serrant de toutes ses forces. « Tiens-la bien Frank, ne la lâche surtout pas. Une véritable furie que nous avons là ! » Il me tourna en une clef afin de bloquer le moindre de mes mouvements et pour le faire lâcher je n’ai rien trouvé de mieux que de l’embrasser sur la joue et de la joue je passais à ses lèvres, fraîches et douces. Ce premier contact me plut et plus encore quand il me rendit mes baisers. Il a fini parme lâcher et en gémissant de plaisir me retourna face contre lui pour fouiller ma bouche de sa langue. Cependant je sursautai quand Johann se serra contre moi, attrapa mon menton pour prendre ma bouche. Mon cœur battait fougueusement et plus encore en sentant les doigts de Frank s’attaquer à mon corsage. J’interrogeai Frank du regard avant de retourner dans la bouche de Johann. On ne pouvait pas dire que je me sentis à l’aise pourtant leurs baisers et leurs caresses eurent raison de moi. Se frottant à moi Johann continuait à prendre son pied, la tête dans mon cou et moi la main

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dans la chevelure de Frank, je laissais sa bouche recouvrir la peau de ma poitrine prenant possession de chaque parcelle. Ma main se crispa sur le poignet de Johann quand ce dernier planta ses dents dans mon cou. « Johann doucement, ne la plante pas avec tes crocs. Johann ! —Branle-la. Donne-lui du plaisir ». Johann me fit m’assoir sur lui et Frank glissa sa main sous mon bras. Je poussais un Oh quand il commença à me fouiller avec ses doigts puis sa langue. Disparu sous mes jupons, je me mordis la lèvre remuant sur Johann. « Prends ton temps Frank, fais-la venir lentement ». Johann mordillait mes lèvres tout en pinçant mes tétons. La perte de contrôle fut intense et haletante je me débattis comme sous l’effet d’une puissante drogue. Plus d’une fois j’avais joui en matant Johann par le trou de la serrure ou dans la rue, cachée derrière une caisse ou un fut. Plus d’une fois j’eus un orgasme en m’imaginant être dans les bras de Frank. Cette fois je jouis avec eux, prisonnière de leur bouche. Johann jouit dans mon oreille et grimpant sur moi Frank prit ma bouche. « Oh mon salaud, tu te fais plaisir on dirait. —Ta gueule ! » Il grogna en soulevant son bassin et pressant Frank contre moi mais ce dernier se d’ébattit. « Lâches-moi ! Je ne mange pas de ce pain ! — J’n’ai pas dit que je voulais te sucer la queue Frank, finis-toi tout seul, on ne peut plus rien pour toi ! Attaqua ce dernier en se redressant imité par Frank. Il s’alluma une cigarette en me puis se retourna pour me faire front. Si tu lui demande gentiment je reste persuadé que Leira le fera. Elles sucent toutes très bien à Five Points, hein. J’en aurai bientôt confirmation sans avoir à la supplier. —Hey Jo, tu préférais peut-être que je te dise de la fermer ? Leonard est le nouveau bailleur

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de Stadium et organise les matches de boxe et tu aurais acheté le Stadium au mieux de courir derrière les petits commerces de proximité. —Hey boyo ! Ne me dis pas comment je dois gérer mon business ! Pendant que tu jouais les mondains j’ai élargi mon répertoire de société à racheter pour une bouchée de pain ! Et le champagne c’est pourquoi ? Si j’ai quelque chose à fêter je le fais avec du whisky et non pas avec cette eau pétillante ! » Frank me tendit une nouvelle coupe en souriant. Officiellement j’étais devenue leur maîtresse à l’un et à l’autre ; si’ils n’avaient eu la moindre considération pour ma personne, tous deux m’auraient prise et ensuite payés pour les remercier de les avoir soulagés. Johann caressa mon dos, insistant sur la gracieuse courbe de mes reins et il baisa mon cou tout en caressant ma joue. « On a remarqué que Livingstone en pinçait pour toi. Il les aime avec du caractère et difficile à monter, déclara Johann en récupérant son whisky des mains de Frank. Alors tu vas te montrer avec lui et gagner sa confiance. —Il dit aimer ce que tu écris et c’est un bon début crois-moi. Epouser sa nièce aurait pu être un excellent raccourci mais l’idée de devoir me la coltiner jusqu’à la fin de mes jours ne m’enchante guère. Alors c’est toi Keira Kennedy qui va faciliter mon ascension. Il a des millions qui dorment dans une banque et…on les veut ». Ma tête me tournait et la buche dans l’âtre vivrait ses derniers instants. Alors je compris le fonctionnement de leur mode opératoire : ils investissaient dans des sociétés en faillite et en redressement judiciaire pour els revendre au prix du marché ou plus cher encore à d’autres investisseurs cupides et disposés à s’enrichir toujours plus. Ils exploitaient ce fion après une première mise de départ. Comment ne l’avais-je

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pas deviné ? ce commerce était honnête mais pas leur façon d’opérer ; poussant les sociétaires à la banqueroute, au dépôt de bilan alors que les chiffres dégagés en fin d’année comptables étaient bons, voir très bons. « On veut racheter des titres possédés par Livingstone, poursuivit Johann faisant tourner son verre vide entre ses doigts. Si Livingstone accepte le deal d’autres suivant ; on parle des actionnaires majoritaires et Frank comme moi savons que tu es douée pour ce rôle : celle d’une courtisane dont l’idée est de rester vierge jusqu’à ce qu’on obtienne tous les avoirs pour nous constituer une nouvelle trésorerie ». De source sûre je sus qu’il se rendrait au Macy’s pour trouver un cadeau pour une amie et je le suivis à travers les rayons de ce grand bazar. Accompagné par Everett il marchait d’un bon pas, la canne à la main, saluant toutes les belles dames connues comme inconnues ; connues pour la plupart en juger les longues salutations. Je le vis regarder des gants, les toucher et s’enquérir du prix au près du vendeur. Alors je saisis ces mêmes gants pour me précipiter vers ce même vendeur. « Monsieur s’il vous plait ! J’ai repéré ces gants et j’aimerai les avoir en bleu si vous les avez ! —Je suis à vous tout de suite Madame ! » Il ne me regardait pas et exaspérée je me montrais plus invective. « Monsieur, pardonnez moi mais…je suis pressée et je suis attendue à l’autre bout de Manhattan. Dites-moi seulement si vous les avez en bleu ! —Miss Kennedy ! (en faisant trainer mon nom) Il me semblait bien avoir reconnu votre voix. Ma sœur ne cesse de ma tarauder avec les grands magasins depuis qu’elle s’est rendue à paris, boulevard Haussmann et parce que nous ne sommes pas dans cette Ville-Lumière il m’a fallu me faire une idée de ce qui est contribue au

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bonheur de la gente féminine. Monsieur, allez donc voir si vous avez des gants bleus ! Venezvous souvent ici ? —Pourquoi cette question ? Trouvez-vous que j’ai à voir avec la majorité de ces clientes ? Toutes ne viennent pas pour prétendre faire de bonnes affairesèmemais pour se montrer de la 6 ème avenue à la 14 rue et je ne tiens pas à ce que vous vous emballiez car pour info mes achats sont réfléchis comme cette paire de gants que je convoite depuis fort longtemps figurez-vous ! » Il ricana en me présentant les siens. « A croire que nous ayons les mêmes gouts en matière de prêt-à-porter. —Oh ! Alors il va falloir les remettre car l’idée de ressembler à l’une de vos conquêtes du moment ne m’enchante guère et je doute qu’elle-même veuille ressembler à l’une de ces parvenues de la Little Water Street. Faites savoir au vendeur que je ne suis plus intéressée ». Mes épreuves furent sèches et en sortant de l’atelier, je vis un rideau se refermer derrière Johann car depuis notre soirée câlins de l’autre soir, il me suivait telle une ombre, partout où je me rendais il me suivait comme un petit chien or pendant quinze jours j’avais su profiter de son absence. Que je me mettre à lire, à dresser les dépenses de la maison ou à écrire mes textes engagés, Johann m’observer religieusement et cela eut pour effet de me mettre mal à l’aise. « Je ne déjeunerai pas ici, je dois aller rentre visite à ma sœur. Alors tu seras seul et j’ai contacté Gunther pour la maintenance de la presse et possible que je ne rentre pas de bonne heure. Le Lower West Side c’est…une aventure en soi. —Je ne sais pas de quoi tu me parles et je m’en contrebalance ! Tu as l’art de disparaître pour réapparaître là où la merde est la plus forte. Frank a prit le fiacre alors il te faudra te payer

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une voiture de louage. Tiens (en me lançant une pièce) cela devrait faire l’affaire. —Donnes-moi plutôt un billet si tu comptes me revoir. Lower West side est à l’autre bout du monde et je ne peux me rendre les mains vides chez ma sœur. —Un billet hein ? Pourtant Frank te paie, dismoi ce que tu fais de cet argent ? Tu le bois ? —Je n’en vois pas la couleur. Molly a du te le dire. Saoirse commence à peine à gagner sa vie et le loyer de la Little Water a augmenté comme tu le sais. Mes frères étant quelque part dans le Missouri il nous incombe d’entretenir Molly. Quoi ? Je fais des extras de temps à autre pour compenser les pertes causées par l’absence d’activités au 22 de cette rue. Je reconnais ne pas être sainte mais je fais ce qui est en mon pouvoir pour améliorer le quotidien des personnes qui me sont chères. Jasper, soyez aimable de faire livrer les gazettes à l’adresse indiquée dessus ! Je n’aurais pas le temps de le faire. Qu’est-ce que tu veux encore ? —Hey ! (Il pointa son index dans ma direction) ne m’oblige pas à te corriger petite insolente ! » Il se tut au moment où Maureen descendit avec ma pelisse à col de renard roux et mes gants aux poignets de la même matière douce, chaude et rousse. Elle m’aida à poser le bibi à voilette et ainsi vêtue je pouvais affronter le front de ce mois de février. Au moment de sortir, un coupé Brown arriva et un homme en livrée ouvrit la porte à Livingstone et un inconnu portant de la fourrure d’ours sur un long manteau. « Peste soit cet homme, je passe par derrière ! Maureen vite ! » Mais Johann contrecarra mes plans en me retenant par le bras. « Il est là pour toi alors vas l’accueillir ! Keira ! Keira ! Maureen, fermez immédiatement

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cette porte et si Keira ose mettre un pied à l’extérieur, vous êtes virée ! —Aaargh ! J’espère que cela en vaut la peine ! Je ne sacrifierai pas ma sœur à ce… seulement dix minutes et n’espère pas me voir m’assoir sur ses genoux et lui lisser sa belle paire de moustache ! Mr Livingstone ! Justement j’allais m’en aller et… (je me retournai pour constater que Johann venait de filer à l’anglaise)Johann ne devrait pas tarder à réapparaître. Molly, le thé s’il vous plait ! —Dans ce cas l’attente sera des plus agréables. Mr Hereford, je tiens à vous présenter Miss Kennedy auteur de quelques chroniques féministes car membre de la Freedom Women League et locataire de cette belle demeure… etMiss Kennedy, permettez-moi de vous présenter le juge Hereford du comté de Suffolk et exerçant dans notre ville de New York. Je n’ai pu lui narrer les exploits de ce Meara natif de la Little Water Street et à ce jour multimillionnaire, ce qui va s’en dire à exciter la curiosité de mon ami. Naturellement j’ai pris la liberté de lui parler de votre plume. Nous passons au salon n’est-ce pas ? Vous saurez nous distraire avec quelques unes de vos anecdotes sur la League et ces femmes en détresse qui la peuplent. —Je doute que cela enchante les oreilles de notre juge ! L’art de tenir une plume et l’art de conversation sont bien deux notions différentes, ce qui ne manquera pas de vous sauter aux yeux ayant certes les compétences pour l’une mais pas pour l’autre. Installez-vous-y ! » Tous deux y entrèrent suivit par Jasper, le menton relevé et la chaine pendant à son gilet. L’oreille collée à la porte, je retins mon souffle. « N’est-elle pas comme je vous l’avez décrite ? —Elle est magnifique, soupira Hereford en se penchant vers ce zouave qu’il tenait pour ami. Une jolie fleur à votre boutonnière et la

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certitude de remporter à l’unanimité le cœur des électeurs de ce district ». Les élections. Everett J. Mason restait pourtant le seul à en parler avec passion : il connaissait tous les conseilleurs municipaux par leur prénom, connaissait les grandes dates électorales de New York, les goûts d’un maire actuel, sortant et à venir ; Mason passait pour un brillant homme d’affaires, altruiste et soucieux du sort des immigrés (comme à peu prêt tout le monde dans cette ville) et Mason demeurait un disciple de Livingstone. Dans notre entourage la présence d’un juif se devait d’être. « Nous parlions justement de vous Miss Kennedy », instruisit Aaron confortablement installé sur le profond fauteuil vert s’alliant si merveilleusement bien avec les plantes grasses et les tableaux à l’encadrement doré suspendu aux murs lie-de-vin. Les tableaux représentaient non pas des scènes rupestres, mais des bateaux tout vent debout filant vers un quelconque horizon. Les fleurs arrivés odorantes s’étendaient sur les guéridons disposés sous les larges lustres aux gouttes de cristal. « N’êtes-vous donc pas lasse de parler de moi ? » Déclarai-je pleine d’exubérance dans ma robe de satin bleu aux reflets gris passementerie bleu foncé sous lequel les vaporeux jupons donnèrent l’impression qu’on m’eut cueillir ce matin dans une serre ; des mètres et des mètres de mousseline et d’organdi aux manches, sur le corsage et en pièce maîtresse. « Posez tout cela ici Cora ! Nous nous servirons nous-mêmes ! » Cette dernière avait les yeux rouges et le nez gonflé aux extrémités aussi rouges que le tapis étalé à nos pieds. Nelly, Cora et Maureen se relayaient dans leurs doléances et sans avoir à la questionner je savais que Cora voudrait exprimer des griefs quant au service. Pour l’heure il me fallut les ignorer.

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« Je disais au juge Hereford que vos frères aient servi dans l’armée de l’Union, dans le 37ème régiment, celui des fusiliers irlandais. Des héros de guerre à qui l’on devrait décerner la médaille du patriotisme. Quatre frères tombés sous le drapeau. Vous autres devaient être fiers ; le sang des Kennedy a servi notre cause ! Je parle bien évidemment de nos valeurs, de notre idéologie celle du nord. Cette nation a besoin de héros ». De douloureux souvenirs me revinrent à l’esprit. Ma mère prostrée par la douleur refusant de s’alimenter et nous autres prenant soin d’elle. Les héros ne se faisaient pas trouer la peau ayant pour références les héros grecs : Achille, Hector, Hermès, Jason, Ulysse et tous les autres ; mes frères n’eurent pas de sépultures appropriées et personne ne fut en mesure de témoigner de leur trépas. « Et puis j’ai évoqué vos talents certains pour l’écriture. Votre mère a toutes les raisons d’être fière de sa progéniture. » Livingstone se leva pour verser le contenu de la théière, un service de porcelaine chinois acheté dans une maison saisie pour la justice ; à défaut d’héritage, il nous restait ce genre d’acquisition car d’ailleurs la plupart du mobilier et des objets entassés au 22 de cette rue. Il me tendit une soucoupe et sa tasse. « Oui j’avoue avoir été convaincu par Livingstone Miss Kennedy, il a le talent de reconnaître nos héros modernes, une sorte de caractère spécial qui lui est inné et…merci Aaron, Hereford saisit son thé fumant perdu dans l’examen de la tasse représentant un port de pêche de l’empire mandchou. Il poursuivit sans me regarder. Et je vous ai lu, Miss Kennedy pour appuyer le jugement de Livingstone, une sacrée plume que vous avez là ! Etant juge dans cette cité je me dois d’être impartial mais si les choses devaient changer il

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est certain que vous feriez une parfaite ambassadrice de la cause que vous servez avec tant de passion. » J’appris à aimer le thé bien que je n’en raffole pas. On me disait qu’il fallait que je boive de ce breuvage typiquement anglais ; cela faisait si continental d’en boire au coin du feu, son cocker spaniel ronflant à vos pieds. A l’aide de ma cuillère en argent aux initiales de Frank, j’immergeai la tranche de citron en pensant à Lynne qu’il me tardait de revoir. « Nous organisons un diner prochainement, déclama le juge Hereford après avoir posé son thé sur la table basse, et il serait plaisant de vous avoir parmi nos convives. Nous étions venus pour vous l’annoncer à vous et les MM. Meara et Mayer-Sachs mais pour l’heure il s’avère que vous soyez la seule présente sur les lieux. Nous vous laisserons donc le leur annoncer. (Il me tendit sa carte de visite) Une réponse écrite dans le style Kennedy, pour ainsi votre patte serait la bienvenue. » La carte de visite fut posée sur le guéridon. Livingstone se caressa l’arête du nez puis ses favoris. Tous deux n’avaient pas l’intention de savourer ce Darjeeling à la façon de deux vieilles poules discutant du temps qu’il fait et des ragots du coin. Livingstone après avoir humé le thé le posa au loin. La porte s’ouvrit et des pas martelèrent le parquet. « Vous m’attendiez messieurs ! » Frank ici j’allais pouvoir prendre la voiture et filer vers le Lower East side en coupant par Central Park pour gagner du temps et sans plus attendre je quittai la pièce dans un bruissement de jupons. « Je récupère la voiture Jasper ! Dites à Corwyn de ne pas rentrer le cheval ! Cora mon manteau ! —Bien Mrs Kennedy ! Pourrais-je m’entretenir un instant avec vous Mrs Kennedy ? C’est au sujet de ma mère, elle est

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très malade et j’aimerai disposer d’un jour pour la visiter. Elle est très âgée vous savez et il est possible qu’elle ne passe pas l’hiver. Le docteur est formel et…je pourrais si vous le souhaitez ne partir qu’une heure ! —Non Cora, vous prendrez la journée et la voiture ! Vite mes gants ! je suis mal à l’aise à l’idée de faire attendre ma sœur ! Jasper ? Corwyn est-il prêt ? » Quatre-à-quatre je montais l’escalier à vis de l’immeuble dans lequel Rodgers faisait vivre sa petite famille et Tess, ma nièce de cinq ans se jeta dans mes bras. Ma sœur dans l’encorbellement de la porte berçait le petit Neal, l’œil glacial et la moue boudeuse. « Je ne t’attendaisèmeplus Keira. Ici nous ne sommes pas dans la 3 avenue et mes horaires sont mes horaires pas les tiens. Frank devrait t’apprendre les bonnes manières, lui que l’on dit être à présent si distingué. » Avec difficulté je tentais de reprendre mon souffle et Lynne partit vers dormir le bébé pour revenir me toiser de sa superbe. « J’ai des nouvelles de Dierdre. Elle est de nouveau grosse. Une délivrance prévue pour le mois de novembre. Bien évidemment elle vous embrasse maman, Saoirse et toi. Elle ne semble pas pressée de revenir à New York qu’elle compare à la Babylone. Mettons-nous à table car je crains que Rodgers ne débarque et ne se mette à dévorer tout ce que je t’ai préparé. Viens. » La table fut dressée devant la baie vitrée de cet immeuble de la middle class que l’on pouvait louer pour se donner des airs de bourgeois. Rodgers gagnait modestement sa vie comme chargé d’affaires dans les travaux publics. Il vivait au-dessus de ses moyens et les fins de mois étaient la cause de ses excès de colère sur Lynne à qui il reprochait de mal gérer les comptes du couple.

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Lynne posa le rôti sur la table et le coupa en tranches, quand notre regard se croisa. J’eus envie de la serrer dans mes bras ; nos rapports restaient courtois mais froids. De toutes mes sœurs Lynne demeurait celle qui eut partagée le plus avec moi et pourtant il me fut compliqué de la comprendre. D’aussi loin que je me souvienne, elle me reprochait ma conduite : celle d’une fille des rues fréquentant les bad boys de Cross Street puis plus tard ceux de la Little Water Street. « Maman se fait toujours du souci pour toi. Elle me parle sans cesse de ta réputation. Décides-toi à épouser l’un ou l’autre, Keira. Continuer à vivre ainsi et immoral, tu le sais très bien alors retourne Five Points avant qu’il ne soit trop tard. » Il me fallait revenir à la raison ou vivre à jamais dans le pêché, celui de la chair, de l’alcool et de l’argent. Je suçai ses doigts en hoquetant. Une étrange sensation d’étroitesse et la crainte de ne plus pouvoir m’assoir avant un long moment. Cora prit le soin de faire un feu dans la chambre de Johann et ce dernier, la tête dans la mousseline de mon cou, cherchait à prendre ma couche. Frank ne tarderait pas à rentrer et me parlerait de ce diner chez hereford. A l’idée de m’y rendre je me crispais. « Tu réfléchis à trop de choses, susurra Johann en léchant et mordillant mon oreille et lobe. Détends-toi…quel genre de maîtresse seras-tu si tu penses à un autre pendant que je te baise. Donnes-moi ta bouche…s’il te plait ». Nos lèvres se rejoignirent avec fougue et ses baisers me firent oublier la douleur causée par cette étreinte. Je retenais mon souffle à chacun de ses assauts et sa monstrueuse queue menaçait de me perforer de l’intérieur. Je comprenais alors ce que devaient endurer les autres femmes que lui payait pour sentir dire qu’il procurait du plaisir. Je m’éloignais de sa bouche et penchée

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devant lui, je cherchais une position pour soulager mon cul. Avec beaucoup de douleur il me pénétrait mais les yeux fermés, je me tenais à lui pour ne pas ne pas me retrouver inerte sur le sol. « Johann, je…je veux que tu te retires. Je te finirais à la main ». Il arrêta son mouvement de va-et-vient et resta un moment sans bouger. « S’il te plait. Il n’est pas nécessaire de continuer. —Tu es vilaine fille tu sais ». Johann me prit par la taille et s’assit sur le fauteuil m’arrachant un cri de douleur et me maintenant par les épaules, il tourna son sexe de droite à gauche pour mieux me forer. Bien que douloureux, je me surpris à aimer cette pénétration, ses gémissements et soudains et rapides coups de bite. « Je sais que tu aimes ça Keira Kennedy. Tu aimes tout ce qui vient de moi, hein…et de t’entendre couiner ça m’excite à un point que tu n’imagines pas…alors je vais continuer doucement. Comme ça tu aimes ? » Je hochai la tête en me couchant dos à lui suçant ses doigts, mieux que le ferait les filles du Boudoir, du Pacha et d’ailleurs. La tête me tournait et le feu de l’Enfer me brûlait à chacun de ses coups de hanche. Après cela je ne pourrais plus jamais me confesser. « AAAAaaaah ! » Il jouit si fort que Cora ou Maureen aurait pu venir frapper à la porte craignant qu’il soit sur le point de rendre l’âme. Il s’écroula dans le fauteuil et ne bougea plus. « Non ! Ne bouges pas, restes encore sur moi un petit moment. C’est inédit pour moi alors je veux en profiter. Parles-moi un peu de tes amants. Suis-je vraiment le seul ? Non, non ne bouge pas ! » Il me serra contre lui. En bas la porte s’ouvrit et quelqu’un monta prestement l’escalier. « Johann, tu es là ? » La porte s’ouvrit sur Frank.

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« Oh, boyo ! On ne t’a pas appris à frapper aux portes ? Qu’’est-ce que tu veux ? —Ce que je veux ? Tu te fiches de moi non ? Pour commencer je voulais ce contrat. Il y en avait pour plusieurs millions et tu… Je n’aime pas tes méthodes Johann. Tu pourrais ensuite te reboutonner et m’accompagner chez Mason. C’est lui qui nous a tuyautés et il va falloir procéder autrement. Tout ça parce que tu es trop agité du bocal Johann ! Je vous attends en bas ! Et…Qu’est-ce que vous faisiez ? —Ouais laisses-nous dix minutes ! » Dans la salle de bain Johann s’aspergea le visage à grandes eaux et je l’étudiais collée au chambranle de la porte, la tête inclinée sur mon épaule. Voyant que je le défigurais il suspendit son geste. « Je sais à quoi tu penses. Mais ma réponse est non ! Tu ne m’aimeras jamais comme tu aimes ton Frank et je ne veux pas être au milieu de vous deux. J’aime ma vie comme elle est actuellement et… Mayer-Sachs s’essuya le visage à l’aide d’une serviette qu’il glissa ensuite dans son pantalon afin d’essuyer le sperme recouvrant son sexe. Je ne bougeais pas d’un cil. Il poursuivit :…je ne voudrais pas que tu te fasses de mauvaises idées sur mes objectifs. Ta sœur m’encourage à t’épouser. —Ah, ah ! Quelle espèce de tordu es-tu pour penser ça ? Elle n’a pas plus envie que cela de t’avoir comme beau-frère puisqu’elle doit se coltiner Rodgers jusqu’à la fin de ses jours. Personne ne veut de toi chez les Kennedy comme chez n’importe qui. Tu as un million de dollars en poche et tu te figures que la première vierge va tomber folle raide amoureuse de toi. » Il me colla contre le chambranle et je détournais prestement la tête au moment où il voulut prendre ma bouche. Dans moins de vingt minutes on sonnerait le diner. Un repas à cinq services égalant en qualité les meilleures tables

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de la ville. Avec brutalité il me retourna et posa la main sur mon sein et de son autre s’accrocha à ma robe. « Arrêtes ! La gifle partit et je le repoussais avec la même brutalité qu’il m’avait saisi. Il tenta de me retourner de nouveau. Non ! C’est quand je veux et où je veux, Johann ! Fourres-toi ça dans le crâne, une bonne fois pour toutes ! —Un million suffirait à t’acheter. Tu as besoin de cet argent plus que moi, argua ce dernier en avançant vers sa commode dont il ouvrit un tiroir pour en sortir une boite à cigares vides. Il sortit une liasse d’argent qu’il plaça dans ma main. Tu pourrais m’aimer et me rendre heureux. Cela me fera économiser les putes. Après tout, elles n’ont pas besoin de mon argent, les clients n’ont jamais manqué et ne manqueront jamais. Gardes ce fric et places le sur un compte. Un jour tu me remercieras. —Et à combien estimes-tu les minutes passées en ta compagnie…Deux cent cinquante dollars! Garde-ton putain d’argent Johann Mayer-Sachs car si tu avais un soupçon de lucidité tu saurais qu’on ne peut acheter mes sentiments ! » Le souper fut long, morne et ennuyeux. Or le vin de Chili restait délicieux, l’entrecôte à point, le poisson frit et fondant en bouche ; les entremets, sorbets et pâtisseries vous réconcilieraient avec la nourriture et à l’image de Bacchus vous feriez de votre table un endroit unique, le seul lieu qu’il vaille la peine d’être mentionné lors d’une brève description de ce qui pourrait être votre paradis sur terre. Les filles de Nelly, trois filles qu’elle souhaitait former elle-même s’affairaient de l’aube au coucher du soleil et tout comme les femmes de chambre, elles se donnaient avec raison, faisant de leur lieu de travail, un temple de la bouffe dédié à notre Bacchus. On ne pouvait que se

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lécher les doigts et quitter la table en rotant, repus et ivre de bonheur. « Combien cela vous nous couter ? » Questionna Frank, le verre de vin à la main. Pour souper il s’habillait, se conformant aux rituels des grandes familles de New York ; on s’habillait pour le petit déjeuner, le déjeuner, le souper et le diner ; on s’habillait pour les divertissements, le parc, les visites à un proche et proche parent, pour se rendre à l’Eglise ; on s’habillait pour se mettre au lit, se laver, recevoir chez soi. Parfois plus de huit fois dans la journée, les femmes toutefois plus que les hommes et l’on ne pouvait déroger à cette formalité qui voulait qu’à chaque heure de la journée nous fussions dans la tenue adéquate. « Nous n’avons pas besoin d’extras qu’il faudra payer quand Nelly est capable de tenir la cuisine seule. Nous ne recevons personne, alors pourquoi les filles sont-elles en bas ? —Tu as dit me faire question pour les questions d’ordre domestique. Mais pour répondre à tes inquiétudes, nous devons nous aligner sur les autres. —Nous ? » Le coup m’atteignit en plein visage. Un uppercut envoyé sans ménagement. On allait sonner le K.O si je ne relevai pas cette remarque. Les sourcils froncés Frank laissa son vin en bouche et le déglutit bruyamment comme s’il ne pouvait digérer le fait que j’emploie le « nous » en parlant de mon implication dans cette maison. Il fit signe au valet de pied de le resservir et Evans fit le nécessaire. «Laissez la bouteille sur la table Evans et vous pouvez partir. Votre présence ne nous est pas vraiment indispensable. Oui, j’essaye de savoir en quoi toute cette mise en scène est essentielle et pour quelles raisons elle nous est imposée, hein. C’est superflu et…mal investi. —Comme tu veux Frank, alors nous dinerons des restes de la veille avec de la viande une fois

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par semaine dans nos assiettes ! Tu es libre de renvoyer tous tes gens si l’humeur t’en dit mais ne viens pleurer ensuite si toute ta maison s’écroule faute de soins, d’organisation et de pragmatisme ! Sacrebleu, je m’efforce de conférer des titres de noblesse à cette demeure et…il y aurait-il une chose que tu aurais voulu changer dans ton ancienne vie Frank ? —Oui mais l’argent n’y ferait rien. Toi tu te réveilles le matin et tu te demande quelle robe conviendrait le mieux à ta petite réunion à la Freedom Women League et ensuite tu reviens ici la bouche en cœur convaincue d’avoir apporté quelque chose à cette communauté… —Frank. » Johann le cigarillo à la bouche l’alluma. Il devait penser que Frank allait trop loin et lui n’avait pas terminé son dessert. Il détestait rester longtemps à table et il disait vouloir sortir le mercredi. « …mais il n’en est rien, Madame Kennedy. Pour te donner de grands airs, tu es douée et on recherche ta compagnie pour ça. Ils veulent quelqu’un capable de singer les belles dames de la 5ème avenue pour le reste, tu n’es pas très convaincante. —Tu vas encore continuer longtemps comme ça ? Donnes-moi un de tes cigares Jo et apportes le brandy, veux-tu ? Oui j’ai le profil idéal pour ce job mais si tu veux plus, il te faudra quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui dise Amen à tous vos fantasmes et qui adorerait vos idées sans perdre son temps à chercher des compromis. Comment appelle-t-on cela déjà ? Une épouse, c’est bien ça ? Trouves-toi une épouse Frank et tout rentrer dans l’ordre. —Ah, ah ! Et tu te proposes ? » Il souriait d’une oreille à l’autre, ricanant en se pinçant le nez. Visiblement cette remarque l’amusait et le cigarillo fumant entre mes doigts, je portais le cognac Hennessee à mes lèvres. « Tu entends ça Johann ? Tu n’aurais plus le monopole de son

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entrejambe. A peine rentrée ta petite queue se trouve déjà être en péril. J’aime cette idée de mariage. Tu es enceinte ? —C’est ça l’ennui avec vous les hommes. Sitôt qu’on vous concède une partie de soi, vous refusez d’en sortir, souhaitant ardemment le reste et une fois l’intégralité obtenue, vous disparaissez, vous et votre petite queue. Il y a bien longtemps que je l’avais saisi mais aujourd’hui plus que jamais je prends conscience du petit rôle que vous nous destinez, à nous autres vos rivales de toujours. —Qu’est-ce que tu lui as fait Johann ? —Je l’ai juste fourré un peu. Elle semblait pourtant avoir apprécié ».La volute de cigare monta jusqu’au lustre. Les rideaux, des vagues ondoyantes de voilage s’étendait sur les trois fenêtres aux lourds rideaux de velours. Pas aux goûts de Johann qui trouvait cela trop « Boudoir » et vu le nombre d’appliques et de luminaires, on pouvait se préparer à subir un long siège, ayant ici assez d’alcool et de cigares pour refaire le monde depuis la création à la guerre de Sécession. Johann venait de se rapprocher et en face de moi, avachi sur son siège je constatais qu’il n’avait plus de souliers. Il soupait en gilet, sans soulier, continuant à refuser toute forme de probité et de consensus. « Donnes-moi la carafe…Tu dis l’avoir fourrée alors je trouve étrange qu’elle soit encore à table à te solliciter pour un cigare et un spiritueux. Aucune femme n’est jamais revenue vers toi. Tu es un peu comme un lépreux agitant sa crécelle pour éloigner les gens sains. —Hum. Keira aime qu’on y aille en douceur, tu vois. J’ai compris en l’ayant sur ma queue qu’il fallait que je prenne mon temps et…si tu l’avais vu se dodeliner, se branler, rouler, tanguer et chavirer sur mon membre (en l’agitant sous nos yeux) tu aurais compris. Elle

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m’aurait mangé dans la main pour me voir continuer Frank. —Ah ouais ? » Cela excita l’imaginaire de Frank. Je le fis à son regard, lointain et déjà à fantasmer sur ma croupe. ¨pour l’heure, il sourit, avala cul-sec son spiritueux de quinze ans d’âge, se leva et envoya une droite à Johann. Le bruit de la mâchoire décrochée me paralysa d’effroi. « Oh, non ! Ce n’est pas possible ! » Tenter de les séparer relever d’une complexité mathématique et ils s’entretueraient sans que je puisse parvenir à les séparer. Deux lions de taille et de poids égal élevé en captivité et se battant pour avoir le droit légitime de féconder la seule lionne disponible. Ils s’en mettaient plein la tronche et s’insultaient copieusement. Celui qui s’en sortirait triomphant viendrait me faire les honneurs et ce fut la raison pour laquelle je montais me déshabiller, enfiler une tenue plus appropriée à cette nouvelle activité. Pourtant je me surpris à m’enfermer à double tour dans ma chambre et à dix heures je dormais à poings serrés. Après mon passage à la Freedom Women League, je descendis l’avenue, emmitouflée dans ma pelisse. Personne ne s’aventurait à l’extérieur avec un froid pareil et les rares à le faire portaient zibeline, de l’ours, du renard blanc ou roux, du chinchilla ; des bottines de cuir remontant jusqu’aux genoux au laçage serré, tout comme ces corsets aux impitoyables baleines. Cora insista pour me voir porter en plus de mon manchot en renard, des gants de cuir rembourré de je ne sais quel animal au doux pelage. Ce manteau de cachemire noire aux larges revers soyeux recouvrait ma robe à micheville sans atténuer l’effet faux-cul de ma mise : une robe de satin lilas, l’une de mes préférée pour l’effet qu’elle produisait sur l’œil aguerri des icones de la mode de mon avenue. Mrs Hollisworth pour ne citer qu’elle voulait

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l’adresse de mon couturier. Or cette dame en question servait de référence à toutes les autres abeilles de cette ruche. Qu’il se mette à neiger, m’importait guère ; j’avais mon manchot et l’adresse d’un bon médecin, celui de Mrs Donovan de la League entretenant des relations ambigües avec ce dernier. Dans ce genre d’association, on brassait beaucoup de vent ; toutes voulaient être entendues et peu apportaient de solutions concrètes. Sur ce point-là Frank avait raison. Quand je vins à réaliser que j’avais oublié ma pochette de cuir sur la commode d’entrée. D’habitude je le laissais au vestibule sur mes gants mais là préoccupée par la discussion de la veille, j’admis avoir manqué de clairvoyance. Le nez dans le col de mon manteau, j’avançais tête basse quand une masse me rentra dedans. « Mrs Kennedy ! Justement c’est derrière vous que je courais, déclara Livingstone en me retenant par les épaules. Ceci serait à vous ? —Oui. Mais je suppose que vous m’espionnez. —C’est exact. Je me rendu à votre domicile et votre maître d’hôtel m’a renseigné sur votre emploi du temps. Ce qui m’a conduit aux portes de votre congrégation et le hasard a voulu que vous tombiez dans mes bras ». Il prit le mien et m’obligea à marcher près de lui comme un couple le ferait. Il arborait un radieux sourire et fier marchait la tête haute dans son beau costume noir, sa lavallière et son épingle à cravate qui n’était autre qu’un saphir provocant par sa taille et son aspect. Etait-il convenable d’afficher tout signe ostentatoire de sa propre réussite ? Et que dire de sa canne à pommeau d’or ? Une canne d’ébène à bague d’ivoire qu’un simple nanti ne pourrait s’offrir qu’après avoir vendu quelques actions après que leur cote

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fut la plus haute. Il me serra si fort qu’il ne fut plus nécessaire de porter un manchot. « Voulez-vous bien vous montrer plus explicite ? Pourquoi me cherchiez-vous ? Vous passez demain soir au 22 n’est-ce pas et mes oreilles bourdonneront encore de vos folles discussions sur la couleur des bas de vos délicieuses putians du Boudoir. Parlerons-nous d’une fortuite urgence ? —C’est cela même Miss Kennedy car elle concerne l’invitation du juge Hereford. MayerSachs risque de poser problème, je ne vous le cache pas. Cependant il m’est délicat de l’annoncer à Frank qui a pour cet homme beaucoup d’estime et c’est là que vos compétences diplomatiques rentrent en jeu. Trouvez-lui une occupation de dernière minute. —Quoi ? Alors Frank ne vous l’a pas dit ? Mr Mayer-Sachs comme il vous plait de l’appeler et moi-même sortons. A la vitesse à laquelle vont les choses, j’étais persuadée que hereford vous ait prévenu. Regrettable alors que je doive vous le dire sur ce trottoir. —Vous déclinez l’invitation du juge ? —Mais je n’étais pas invitée ! Le pli faisait allusion aux MM. Meara et Mayer-Sachs, pas à Miss Kennedy ! Et ne me tenez pas ainsi, vous me coupez la circulation du sang ! Naturellement Frank tient à ce diner. Il ne pouvait pas rêver à plus belle intronisation dans le monde juridique et de la finance. Il sera très flatté de siéger à votre table. Merci, mais je vais continuer seule. » Il ne souriait plus, prenant son rôle de protecteur très au sérieux. Le soleil ne percerait pas et condamnés aux ténèbres les New Yorkais se résignaient à n’être plus que des ombres errantes dans les rues droites, propres et pavées de cette partie la moins cosmopolite de cette métropole. Le vent froid s’engouffra pardessous mon manteau et je vins à regretter le

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salon confortable et chaud de Mrs Duran, la vice-présidente de la Freedom Women League, toujours soucieuse du bien-être des membres de son communauté ; et en ces temps froids et secs, la chaleur de Livingstone paraissait être un atout majeur à ne pas négliger. Comme noter précédemment, cet imposteur ne souriait plus et s’il avait pu jurer il l’aurait fait, trouvant atroce mon attitude désinvolte vis-à-vis de ce juge. Pour un peu il m’aurait insulté. Sale petite trainée d’Irlandaise ! Et avec ou sans témoins m’aurait attrapé e par les cheveux pour me jeter sous les roues de la première voiture. « Une raison valable je suppose ; on ne peut décliner une telle invitation Mrs Kennedy ! Vous l’offenserez lui et son épouse. Mrs Hereford fait partie de la branche des de Turckheim, une vieille famille d’Europe portant armoiries et épée. Cette dernière vous a faite une faveur en vous invitant. A vous de reconsidérer votre priorités. —Frank et moi devions sortir, par conséquent… —Mrs Kennedy. Je crois que vous ne saisissez pars le sens de ma requête. —Oh si je l’entends parfaitement ! Et lâchezmoi voulez-vous ? Brutalement je récupérais mon bras et par-là même ma chemise en cuir. Je corromps ma réputation en vivant sous le toit de deux hommes et si Frank n’avait pas de fortune, soyez certains que personne ne souhaiterait me recevoir ni même me regarder. L’argent achète tout y compris une conduite et…je ne suis pas aussi naïve que vous l’imaginez ». Son regard me sonda. Il n’abandonnerait pas avant de m’avoir mise dans son lit. Ma dépucelage se chiffrerait à des millions. Ses millions et comme j’allais passer mon chemin il saisit mon bras pour me conduire là où il voulait : sur des écueils inévitables. Il me voulait et je savais qu’il y mettrait le prix.

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« Nous avons tous deux des obligations envers la société et il est important pour Meara que votre réputation soit sans faille ; lavée de tout soupçon. Son succès dépend de votre aptitude à me satisfaire comme le meilleur des serviteurs payé à sa juste valeur et je sais que vous me satisferez Keira comme vous savez satisfaire Mayer-Sachs et Meara. Il n’est pas difficile pour un homme comme moi d’obtenir certains renseignements d’ordre domestique et j’avais remarqué que votre service de porcelaine comportait une très fine ébréchure et quelque soit le prix auquel vous l’avez obtenu, vous n’avez pas fait une bonne affaire. Vous aurez besoin d’un bon pilote et moi à vos côtés, vous serez certaine d’acquérir les meilleurs prix du marché en un moindre coût. —Je me fais déjà entretenir. Merci d’y avoir songé ». Il me fallut étudier de nouveau le service de porcelaine chinois et force de constater qu’il comportait une ébréchure sur l’une des tasses. Malheur à moi ! Cora et Maureen en furent toutes deux agitées, pensant être tenues pour responsable de cette imperfection. On regrette parfois de ne pas être assez averti, de faire confiance à des personnes qui ne disent être experts en Art certes, mais de parfaits filous. Révoltée plus que contrariée, j’ouvris le New York Times pour éplucher les annonces concernant les ventes de bien proposés par les marchants d’art sous couvert de la justice. Sur la Madison square, un hôtel particulier mettait en vente tous ses biens. Il est toujours étrange de pénétrer chez de riches personnes sans espérer les y voir, c’est une intrusion, une sorte de viol de leur intimité. On peut visiter un musée et admirer les grandes œuvres sans jamais ressentir pareil malaise, mais chez un tiers, franchir la porte reste toujours une difficile étape. On ne connait rien

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de l’identité des résidents de l’hôtel, on sait seulement que ces derniers mettent en vente la totalité de leurs biens ; ce qui bien-sûr excitent la curiosité des potentiels acheteurs. Certaines personnes ne venaient là que pour se faire voir et se délecter du malheur des autres. « On dit que le propriétaire aurait fait faillite… » Deux femmes assise dans le salon cessèrent leurs discussions pour me regarder passer et me saluer poliment. « Oh, non ! Nous avons dire qu’ils repartaient en Europe après avoir fait fortune dans les chemins de fer. Quelle sinistre idée ! il faut avoir bien gagné sa vie pour repartir d’où l’on vient ! » Et le gant ôté je caressais la console de la cheminée au marbre de Carra. Tout était hors de prix et Johann ne comprendrait pas que je veuille dépenser 476$ pour un tapis ; pas plus que 251$ pour ce lustre ! D’une pièce à l’autre, il me fut impossible d’arrêter mon choix sur un objet ou un autre. Doter la demeure de nouveaux miroirs pourrait être envisageable mais leur prix m’en dissuada. Le prix des coussins posés sur le lit à baldaquin me convinrent de quitter ce lieu. Au moment de partir, mon regard se posa sur magnifiques serre-livres représentant des têtes de lions et dont le prix ne figurez pas. « Ils sont à 134$ ! Ils sont en bronze Madame et proviennent de la Villa Médicis, renseigna un commis tenant un calepin, un crayon et toute l’arrogance qu’il faille pour mener à bien la vente. Beaucoup de personne l’ont remarqué et vous n’en trouverez pas de semblables sur tout le continent car signé d’un grand nom, celui d’un artisan attaché à la cour de Naples du temps où Napoléon Bonaparte sévissait en Europe. Si vous les prenez, nous vous offrons la pendule de tableème à moitié prix. Cette dernière étant datée du 16 siècle et dernière vestige de son époque ;

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—C’est aimable à vous mais je ne dispose que de dix dollars en poche. J’ai été attirée ici par la lumière mais toutefois trop aveuglée, je préfère m’en tenir à l’obscurité. » En rentrant vers six heures, les serre-livres trônaient sur la table. Incrédule je les examinais n’osant pas les toucher de peur que leur image ne s’évanouisse. Mon esprit devait me jouer des tours et caressant le bronze, j’en restais perplexe un peu effrayée par cette soudaine vision de ce que j’avais pour un temps convoité. « Cora ! CORA ! —Madame m’a appelé ? » Cette dernière s’exécuta dans une rapide courbette. Depuis l’épisode du service à thé régnait une pesante ambiance. Il n’existait rien de pire pour un domestique d’être rabroué pour une indue inculpation qui n’était pas de leur implication. « Qui a fait livrer ces bronzes ? Et à quel motif ? Et bien répondez ! —Un livreur Mrs kennedy ! Je veux dire… qu’il venait en courses livrer ces serre-livres de la part d’un anonyme. J’ai pourtant insisté pour avoir son nom mais le livreur a dit qu’il se ferait renvoyer de son emploi s’il dérogeait à cette règle en divulguant pareille information et… —Quel est donc ce raffut ? Questionna Frank les sourcils froncés. Dans mon bureau Keira, j’ai à te parler ! » Après le mystère de l’expéditeur des bronzes, je ne fus pas épargnée non plus par Frank tenant salon avec Everett J. Mason et Aaron Livingstone. Un coup porté au moral surtout après une journée comme celle-ci. Détestable sensation que celle de me retrouver près de ces hommes avec lesquels je ne partageai rien, excepté Frank jouant le maître de cérémonie. « Je voulais dissiper tout malentendu concernant l’invitation d’après-demain soir et je voulais t’entendre sur ce point Keira. A quelle sortie fais-tu allusion ? Tu aurais la décence de

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m’en parler n’est-ce pas ? Nous irons donc tous deux chez Hereford et nous en resterons là. —Parfait ! Le malentendu est dissipé et vous voilà être soulagé, railla Mason tirant amoureusement sur son cigare, un verre de whisky à la main et je ne pus lâcher des yeux Livingstone ayant adroitement manigancé pour me voir à ce diner. —Oui il aurait regrettable d’être privée d’une si passionnante figure de célérité de l’évolution sociale ; passer des caniveaux de la Little Water Street à cette autre partie de la ville révèle d’un exploit en soi et plus encore s’il est accompagné d’un peu de tempérance. J’aime l’idée que l’on se fasse de la racaille de Five Points. —Mr Livingstone m’a faite une proposition que j’ai déclinée et il semblerait que ce dernier aie toutes les peines du monde à passer outre. Dans son univers si étriqué confondre prostitution et probité serait contraire à l’éthique mais dans le monde dans lequel nous sommes issus Frank, cela est censé, voir encouragé. N’est-ce pas Aaron ? » Mason ricana, amusé par ma désinvolture à rabrouer son ami en public plus que par le malaise apparent de Livingstone. « Et bien Miss Kennedy, il apparait que votre caractère force le pardon de nos absolus pêché. Déclara-t-il en balançant en direction de la cheminée l’embout de son cigare anglais de marque Weena, Cohen et compagny. Cependant il se puisse que vous ayez confondu une chose avec une autre, ah, ah ! On dit que votre imagination est des plus fertiles ! Ecoutez Frank si cela pose le moindre problème, nous pourrions vous trouver une autre compagne de soirée. —Oui c’est à envisager ! —Keira, tu peux t’en aller. Nous avons à discuter de sujets plus passionnants que la tenue que tu choisiras pour ce diner. Merci. »

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Le lendemain soir pour le traditionnel poker, Nelly me fit monter une assiette de gâteaux et enfermée dans le bureau de Frank je m’appliquais à répartir l’argent de nos employés dans les enveloppes qu’ensuite Jasper leur remettra. Pour tenir pareille maison il fallait un sens de la gestion inéluctable, aimer les chiffres et de la rigueur dans la tenue du budget. Nous dépensions plus que nous gagnions et les sporadiques rentrées d’argent suffisait à peine à couvrir les frais de deux, voire trois mois d’activité. Frank le savait en conséquence de quoi il me demandait de me montrer vigilante quant aux dépenses réelles engrangées par la domesticité et aux plaisirs luxueux dont on ne pouvait pour l’heure se passer. Mon cœur battait vite et mes nuits restaient agitées à l’idée de mal investir l’argent de Frank. Quitter cette adresse pour retourner à Five Points n’était pas envisageable. A n’importe quel moment Frank pouvait me chasser après m’avoir mise dans son lit, évoquant alors n’importe quel prétexte à mon renvoi. Il me fallait de l’argent pour quitter cette ville et poursuivre ailleurs, à Baltimore ou Boston probablement. L’argent de MayerSaches pouvait me convenir après tout. Je l’aimais assez pour ne pas me sentir offensé par ce commerce et comme le disait si justement ma mère : je ne travaillais pas pour la gloire. Les enveloppes scellées et remises à Jasper, je montais donc retrouver Johann dans sa chambre. Etendu sur son lit, il fixait l’horizon fumant langoureusement sans même réagir à ma présence à la porte. « Je peux rentrer ? Tu sais je ne tenais pas à me rendre chez hereford sans toi, trouvant cette façon de faire si peu estimable. N’es-tu pas le meilleur ami de Frank ? » Il ne réagissait pas à mon commentaire sur l’étroitesse d’esprit de ces hommes avec lesquels Frank devait apprendre à

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composer. Johann continuait à fixer droit devant lui et assise sur le rebord de son lit je l’étudiais allant jusqu’à le trouver bel homme avec ses traits fins et droits et ses belles boucles longues et fermes équilibrant l’harmonie de son visage, de ses gracieuses lèvres à ses sourcils fins et bien dessinés. Il me plaisait et m’avait toujours plus bien que je ne voulais l’admettre. « Lâches-moi un peu avec ça tu veux ? Je ne supporte pas t’entendre dénigrer Frank comme tu le fais en prenant ma défense. Tu crois peutêtre que parce que je te baise tu as le droit légitime de venir me sucer la bite quand cela te chante ? Ta mère crèverait de honte si elle apprenait de quelle façon tu cherches à gagner mon assentiment. Elle en crèverait de honte Keira Kennedy ! —Il y a longtemps que je ne me soucie plus d’elle, Johann Mayer-Sachs, depuis le jour où j’ai accepté de venir travailler ici à vrai dire et je ne pense pas que tu sois en mesure de saisir le sens du mot moral. —Hey, hey ! Arrêtes la veux-tu ? Murmura ce dernier en glissant vers moi et il baisa mon épaule tout en dégageant ma nuque. Tu es à moi Keira et je l’ai toujours pensé ainsi. Tu ne m’aimes pas encore mais je ferais ce qu’il faut pour entendre ton cœur battre. On s’apprécie fort nous deux et…j’ai envie que tu sois gentil avec moi et je sais que tu peux l’être quand l’occasion se présente. » Lentement je me dégageai de son étreinte craignant qu’il ne se mette à vouloir illustrer ses propos. Mon départ le vexa et il me suivit du regard, caressant sa moustache coupée façon mousquetaire et lui conférant des airs de bel hidalgo en quête de romance et de grands frissons. En bas les autres tapaient la carte et tous deux serions là, tenus à l’écart par ce scélérat de Livingstone. Derrière le rideau de sa chambre donnant sur la rue et sous la lumière

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des réverbères passaient les fiacres, les landaus, les coupés, les berlines et autres véhicules remontant ou descendant la rue sans se soucier de mon sort. Pourtant tous ces inconnus viendraient au numéro 22 de l’avenue pour acheter tous les biens de cette demeure mis en vente suite aux problèmes financiers de Frank Meara. Et puis je refermais les voilages et les rideaux pour glisser vers la cheminée attrapant au passage un manuel d’économie posée sur la commode. « Tu cherches à t’instruire Jo ? Tu aurais peur de te voir coiffer au poteau par Frank » plaisanta-je en m’asseyant dans une confortable bergère. J’ouvrir les pages du manuel sans rien y comprendre, alors j’eux le choix entre le fermer bien vite ou vérifier les connaissances de Mayer-Sachs dans ce propriété. Lui vautrait sur son lit, fumait, le verre de whisky posé sur sa table de chevet. Si je ne décidais pas de me déshabiller pour paraître nue comme au premier jour de mon existence sur terre, il me laisserait plantée ici, indifférent à mes sombres pensées. « Que comptes-tu faire ce soir ? Tu as forcément des projets qui te conduiront aux portes de l’Enfer. Une taverne ? Ou quelque endroit des plus sordides. Probablement iras-tu te faire une putain ou deux ? Tu as passé la journée dehors et…cela ne te ressemble pas de rester enfermé dans cette chambre, à bailler aux corneilles avec pour seul loisir ce livre censé faire passer les papistes de Five points pour des gens civilisés. Dois-je faire ajouter ton couvert en face du mien ? —Tu parles trop. Qu’est-ce qui t’angoisse à ce point ? Je te connais et si tu n’es pas près de ton Frank c’est que quelque chose ne va pas. Tu ne devrais pas attendre autant de lui, tu es trop sentimentale. Tu devrais te trouver un bon

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amant. Un qui te fasse oublier Frank et auprès de qui tu te sentirais en sûreté. —Un tel homme existe-t-il ? » Assise près de lui, les bras de chaque côté de son bassin, je le laissais m’étudier attentivement. Ses caresses me firent frémir et la tête penchée sur le côté, je voulus qu’il me prenne et son doigt caressa mes lèvres, pénétra ma bouche ; il se redressa et front contre front nous étions là à vivre un moment privilégié. Alors il baisa la commissure de mes lèvres et la main en bouclier sur son torse, je détournais la tête, refusant d’être l’objet de tous ses fantasmes. « Je ne voudrais pas être responsable de ta peine de cœur. Tu es plus sensible que l’on ne croit Johann et tu m’en voudras de ne pas t’avoir mise en garde ». Après avoir soupé, je rangeai vaisselle et reste de repas sur le plateau d’argent et à la lueur des lampes à pétrole, mes pensées comme le reste du décor me fut confus. Pas un bruit ne me parvint et il fallait tendre l’oreille pour discerner éclats de rire et bavardage, bruit de la pluie contre les carreaux et pas de chevaux martelant le sol pavé. Johann venait de filer, emportant avec lui le peu d’espoir qu’il me restait de voir mon univers se maintenir à flot. « Je ne vous dérange pas ? Mason se tenait dans la porte de la salle à manger et il me fixait de ses petits yeux de fouine. Frank veut savoir si vous vous joigniez à nous…Miss Keira ». Et il me dévisagea de la tête aux pieds faisant courir son regard pervers le long de ma silhouette. « Et pourquoi Frank dépêcherait-il une estafette pour me transmettre ce message ? N’est-il donc plus capable de le faire luimême ? —C’est quoi le problème avec nous… Keira ? » Il continuait encore à m’appeler ainsi et je ne répondais plus de rien. Il avança vers

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moi et impassible le sondait avec la même intensité que lui faisait à mon égard. « Le problème, Everett est votre présence ici. Nous devons vous supporter et faire comme si nous nous en accommodions. Il ne ème me parait plus possible de faire semblant. La 3 avenue est pleine de millionnaires. Pourquoi ne pas vous orienter plein Est ? —Vous êtes une sacrée femme Keira. Vous semblez savoir où vous allez. Cependant vous commettez l’erreur de vouloir nous priver d’un bon partenaire de jeu que l’on trouve en la personne de Meara. Je vois comme un préjudice moral dont il faudra nous dédommager. Un petit arrangement entre nous pourrait vous être profitable. Disons que vous pourriez nous renseigner sur les dépenses actuelles ou à venir de votre employeur. Vous y trouverez votre compte Miss Kennedy. Belle et raffinée comme vous êtes vous n’aurez aucune difficulté à retrouver une autre maison, on ne peut plus distinguée. A vous de méditer sur la question. Je vous laisse donc à vos réflexions ». Pour qui se prenait-il ? En quittant la salle à manger, une ombre se profila dans le couloir, derrière l’escalier. Une porte se claqua et je compris que Johann s’en allait, me laissant seule avec ces « proxénètes » de la 5ème avenue. Mais que pouvais-je faire ? Le suivre en courant et l’enfermer ici en proférant des menaces puériles et vaines ? Il me rirait au nez. Jetant une pelisse sur mes épaules, mon intention fut de le suivre quand Frank apparut dans le couloir, le cigare à la main et de l’autre un verre de Bourbon. « Quelque chose ne va pas Keira ? Mason dit que tu n’as pas l’intention de rester. Etrange comme on pense connaître quelqu’un pour ensuite s’apercevoir que cette dernière se fiche éperdument de nous. Alors ? Tu me dis ce que tu as derrière la tête ou je te vire de chez moi un bon coup de pied dans le cul!

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— Alors vire-moi un bon coup de pied dans le cul si cela te chante ! Je vais à l’imprimerie. J’ai des épreuves pour demain et… —Pour demain ? Ce journal est une consécration pour toi. Ces derniers temps tu ne sembles vivres que pour cela. Si tu te faisais payer plus correctement, tu serais riche. Viens prendre un verre s’il te plait. Je te le demande gentiment. —Non, je…je dois vraiment travailler. Peaufiner mon style et je préfère le faire maintenant. On ne pourra pas ensuite me reprocher de vivre à vos dépends ». Travailler sur mes épreuves me prit une bonne partie de la soirée et vers onze hures les autres sortirent. Les feuillets sous les bras je revins dans le bureau de Meara, ramassa mon livre de lecture et quitta la pièce. « Oh ! Fichtre ! Tu viens de me causer la plus grande frayeur de ma vie ! Qu’est-ce que tu fais ici ? —A moi de te retourner la question Keira Kennedy ! Surprise à quitter mon bureau à cette heure avancée de la nuit. Tu essayes de me voler ? Oui c’est bien ce qu’on pensait Jo et moi. On avait quelques suspicions à ton sujet et tout à croire que tu es une sale garce. Ta place est dans la rue, sur le trottoir à ouvrir tes cuisses pour qu’on te la fourre bien profond. —Je vais aller me coucher. A demain ! » Prestement je saisis la rampe d’escalier, quand il me colla contre le mur, m’arracha mes épreuves et attrapa une feuille pour l’étudier. Il s’’agissait d’une liste de courses et la seconde concernait mon emploi du temps de la semaine à venir. « Où est-ce que caches tes larcins ? —Je ne vois pas de quoi tu parles. Rends-moi mes feuilles et laisses-moi, tu n’es pas en mesure de réfléchir ». Il me suivit dans l’escalier après un petit temps de réflexion. La

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lampe à pétrole à la main, l’obscurité fut moins menaçante et l’embout de la lampe formait un halo lumineux sur le plafond. Une fois arrivée sur mon palier, Frank ne suivait plus, probablement conscient d’avoir abusé sur un tel sujet : la loyauté. Dos à la porte, l’angoisse ne partit pas pour autant et j’eus raison de me méfier car à peine eussé-je posé la lampe sur la commode que la porte s’ouvrit sur Frank. « On ne t’a pas appris à frapper aux portes apparemment ! Tu viens pour t’excuser je suppose ? Il est vrai que parfois tu agis comme un garçon de ferme, sans manières aucune et à croire que tes amis de la 5 ème dépeignent sur toi. » Il s’assit dans le fauteuil et dénoua sa cravate perdu dans ses pensées. Nerveuse je passais d’un point à l’autre de la chambre pour avoir l’air occupée ; on ne pouvait pas me reprocher de vouloir tenir cet endroit propre. Il déboutonna son gilet et s’avachit complètement en tenant sa bouteille de whisky par le goulot. Je pliais mes affaires sans le lâcher des yeux. Il allait me faire une scène ; j’offrais mon cul à Mayer et cet autre étalon en pleine capacités de ses fonctions n’accepterait pas de se tenir écartée de l’unique jument docile et s’offrant à la concupiscence du male au membre le plus effrayant. Il avala une autre goulée, d’un revers de main s’essuya la bouche et se leva pour poser sa bouteille sur la commode. Alors il se déshabilla, ôtant son gilet, ses bretelles et ses souliers. « Il se vante des caresses que tu lui donnes. Et j’en ai assez de l’entendre me parler de ce qu’il te fait…je veux qu’on baise tous les deux. Alors déshabilles-toi. Enlèves tout ça et donne-moi ton cul ». Effarée je pris le temps d’articuler : « Je ne suis pas ta putain Frank !

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—Parce que c’est une question de fric c’est ça ? Combien ce fils-de-pute te paie-t-il pour te baiser ? Réponds ! Il te baise sous mon toit et je devrais trouver cela normal ! Toi Keira que j’ai toujours considérée comme ma sœur et qui te fait mettre par la bite monstrueuse de Mayer ! —Si c’est pour ton égo, saches qu’il ne t’a rien volé ! Que crois-tu qu’il se soit passé pendant que tu prospecter dans le Middle West ? Tu n’étais pas là pour jouer les chaperons et tu m’as laissée dans le ruisseau où j’y ai survécu sans avoir à recourir à la prostitution ! Et tu crois que revenir ici t’octroie le droit de disposer de mon corps comme tu l’entends ? Oui, Johan est mon amant ! Et après ? —Ah, ah ! Tu crois qu’il te conduira un jour à l’autel ? Il te baise comme il baiserait l’une de ses putains ramassées à Five Points et toi tu t’imagines qu’un coup de rein va le faire tomber raide épris de toi, ah ! —Je n’attends rien de lui. J’éprouve du plaisir à recevoir ce qu’il me donne. » Frank resta silencieux, examinant soigneusement son zippo. Il ne croyait pas quand j’affirmais éprouver du plaisir aux étreintes passionnées de Johan. Mon corsage ôté, je me retrouvais en sous-vêtements devant lui et derrière mon paravent j’ôtai le reste pour apparaître nue devant lui. Mes longs cheveux descendaient en cascade le long de mon corps et il écarta mes mèches pour contempler l’arrondi de mes seins fermes, prêts à subir ses morsures. Il malaxa mon sein gauche sous sa main et une vague de plaisir me saisit. En grognant il le suça, le mordilla et l’aspira. Il me souleva hors de terre pour me poser sur le lit pour commencer par me lécher le sexe. Avec violence je jouis accrochée à ses cheveux et l’écho du plaisir ondoya de longues secondes encore ; il s’introduisit rapidement en moi sans me laisser le temps de comprendre. Il

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prit ma bouche et en deux coups de reins je fus la sienne. Il baisait mon front tout en me déflorant et crispée sous son étreinte je voulais sa bouche en gage de notre amour à venir. Il ne m’embrassa pas, concentré sur sa propre jouissance. Son pénis dans mon vagin je me sentis heureuse et à la fois finie. Dorénavant il me faudra batailler ferme pour le garder. Il ne me ferait plus comme la femme inaccessible à conquérir, cette Keira Kennedy venait de trépasser, la preuve apportée par ce sang tapissant mon drap. Prestement il me retourna et en trois coups de hanches finit par se répandre et une chanson me vint à l’esprit ; celle de Molly ‘s coming back chantée par Johan. A dix heures vingt, Johan et Frank se trouvaient être au salon. Aucun des deux ne se leva en me voyant arriver, chaudement vêtue, m’apprêtant à sortir. Frank m’avait pris toute la nuit et dans toutes les positions imaginables et inimaginables. Par trois fois j’avais eu un orgasme, mais tout ça semblait loin à présent. On s’ignorerait jusqu’à la prochaine étreinte et là je me donnerai à lui toute entière. « Tu as fait atteler la voiture. Alors j’imagine que l’on ne doit pas t’attendre pour le déjeuner, déclara Frank sans cesser de fixer son journal. Où se tient donc cette course importante que tu as à faire ? Sûrement pas dans le quartier, sans cela tu aurais pris un fiacre. Il doit te rester de l’argent n’est-ce pas ? Tu n’as pas tout dépensé j’imagine, en toute bonne gestionnaire qui se respecte. Five Points, c’est ça ? (il me lança un regard noir presque bilieux) Alors je t’accompagne. On ne sera pas long Jo et tu sauras où nous trouver si mon absence te parait insurmontable. » A la Cross Street toutes les mains l’empoignèrent, même délire à Orange Street et sur la Little Water Street au point de partager sa

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notoriété ; il était le petit Irlandais qui avait réussi à se faire un nom à New York et alors qu’on le gratifiait d’un sourire et d’une pensée bienveillante, lui me surveillais étroitement, épiant le moindre de mes faits et gestes. Il ne laissait personne m’approcher, petits ou grands, hommes ou femmes ; la fièvre s’était emparée de son esprit depuis qu’il sut que je lui avais donné ma virginité. Il voulait signaler à tous que j’étais sa propriété. Ma mère m’ouvrit la porte de chez elle et poussa un cri de joie en nous voyant. « Oh Jésus, marie, Joseph ! Mais entrez donc mes petits chats ! J’ai fait du thé, du Darjeeling et vous allez me raconter l’objet de votre visite ! Il me tarde de savoir ce que vous avez à me raconter ! » Comme tous les mères elle s’imaginait un mariage, pourtant à aucun moment Frank n’évoqua ce mot. Ils parlèrent chiffons, bout de ficelles et cuisine. Fatiguée je déposai un long baiser sur le front de ma mère. « Je vais vous laisser mère, j’ai encore quelques courses à faire mais je crois affirmer que vous serez en bonne compagnie avec Frank. N’est-il pas d’humeur plaisante aujourd’hui ? Alors il est tout à toi, prends-en soin. —Oh, tu pars déjà ? Tes sœurs auraient été enchantées de te revoir ! Tu es certaine de ne pas vouloir rester ? » A peine le pied posé sur la chaussée que Frank me rejoignit prestement, attrapa mon bras pour me guider à travers les nécessiteux agglutinés à la porte de la boulangerie. « Ne pourrais-tu pas me laisser souffler une heure ou deux ? Nous avons l’air d’un jeune couple en visite et cette pensée me perturbe quelque peu. Nous pourrions nous retrouver plus tard, qu’en penses-tu ? Chez toi par exemple ? —Tu as dit te rendrez chez Davies alors je t’accompagne. »

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Et derrière le comptoir la vendeuse me présenta des échantillons de tissu, tous plus chatoyants les uns des autres ; comment arrêter mon choix ? Si je m’écoutais je les prendrais tous tant ils étaient plaisant au toucher. « Prends ce qu’il te fait plaisir Keira, je veux que tu sois la plus jolie ! Ensuite nous irons au salon de thé sur la 5ème. Le petit salon français que tu apprécies tant. » En rentrant à la maison j’eus la surprise de voir Johan assis dans le sofa, un cigare aux lèvres et un verre de cognac dans l’autre. « Qu’as-tu fait de ton chevalier servant ? Il s’est découvert une nouvelle occupation en soulevant ton jupon pour éviter que d’autres ne le fassent dans la rue ou ailleurs. Ainsi tu n’auras pas à te salir. Ah, ah ! Quel genre d’amant est-il finalement ? —Le savoir te conduirait au suicide, répondisje en m’asseyant en face de lui, il est certes un peu brutal mais je ne me plains pas de ses caresses qui sont une invitation à l’abandon. Et toi qu’as-tu fait de ta journée ? A ce que je vois tu célèbres quelque chose ? —La perte de ta virginité, cela va sans dire. Depuis le temps qu’il rêvait de te fourrer. Et ensuite ? —Et ensuite quoi ? —Vas-tu l’épouser ? —Il ne m’en a pas fait la demande ! Et puis… je veux rester une femme libre n’ayant rien à demander à personne et surtout ne pas à avoir à rendre des comptes à un époux quel qu’il soit. Le journal accapare mon temps libre et… (D’un bond je me levai) j’envisage de partir pour Boston. Je veux m’y installer à mon compte. Mais pour se faire j’ai besoin de liquidités. Je suis parvenue à économiser une petite somme mais pas assez pour ouvrir un commerce. Tu pourrais être mon associé, qu’en dis-tu ?

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—Na, na. Tu es maintenant la propriété de Meara. Lui en tous les cas te voit comme telle, sinon il ne t’aurait pas faite venir ici. Tu t’attendais à quoi en venant t’installer ici ? Il dépense de belles sommes pour t’entretenir et il n’est pas prêt à renoncer à toi. —Et toi non plus apparemment ? Tu lui as mis dans l’idée que je le volais, tout cela dans le seul but qu’il voit en moi la réincarnation du mal personnifié. Si tu n’étais pas mon amant, sois sûr que j’aurai trouvé à médire sur toi. Je monte me changer et comme Frank ne rentre que dans deux heures, il est possible que je ressorte. » Je déposai un long baiser sur son front et monta. Je n’avais pas sonné Maureen et dans ma garde-robe je sortis une robe verte quand la porte s’ouvrit. « C’est toi Maureen ? —Non c’est moi Johan ! Pas trop déçue ? Je voulais savoir ce que t’as dit Mason hier, parce que je sais qu’il est venu te saluer. Ce qui est tout à fait inhabituel de sa part. —Il m’a dissuadé de vouloir garder Meara pour moi. Il sait que je ne l’aime pas et cela le contrarie. Il n’a pas l’habitude d’être contrarié et encore moins par une femme. Il m’a parlé d’un dédommagement moral et la discussion s’est arrêtée là. » Il m’attrapa par la gorge pour me plaquer contre le mur, souleva mon jupon et glissa ses doigts dans mon sexe. « J’aime quand tu les remets à leur place, c’est si bon de voir ces hommes admettre leurs faiblesses. Je veux à mon tour te faire jouir. » Il me souleva hors de terre et me pénétra. Après deux coups de rein je me trouvais être au bord de l’évanouissement. « Ils ne savent pas à qui ils ont à faire…il n’y a que moi qui sache… tu es à moi et à moi seul. Dis-le moi…je suis le seul sur qui tu dois compter…le seul. Dis-lemoi ! »

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La douleur me déchira de l’intérieur et j’aurais avoué n’importe quoi pour abréger le supplice. « Tu es le seul…Johan…tu es le seul.. » Je vis des étoiles et les mains sur mon cou il serra jusqu’à m’asphyxier. Il me burinait lentement. Je tentais de m’extirper de son étreinte. « Tu es à moi… A moi ! » Il me transporta jusqu’au lit et je poussais un cri de douleur quand son pénis s’enfonça plus en moi. Je me mordais jusqu’au sang pour retenir mes larmes. C’était douloureux et allongée sur lui, je pris le contrôle du coït. Puis il me serra de toutes ses forces quand il se répandit en moi. « Tu es une chouette fille. Tu auras ton fric, déclara-t-il en fermant son pantalon. Il caressa mon cou et y déposa un rapide baisé. —Cinquante mille pour commencer. Si tu refuses…je raconterais tout à Frank et tu sais de quoi je parle. Cinquante mille à chaque nouveau rapport avec toi. —Vingt mille et on oublie cet entretien charnel. —Alors je lui raconterais tout, sois-en certain ! On verra alors de quel côté se place sa loyauté. Tu l’as toi-même, je suis sa propriété et tu viens de me violer ! Tu m’as prise sans mon consentement et j’aurai pu me passer de cette démonstration de violence exercé sur ma personne ! Maintenant fiche le camp et ne reviens plus dans ma chambre ! Plus JAMAIS ! Tu entends ? Tires-toi ! » Il me fit un chèque que je m’empressais d’aller déposer sur mon compte auprès de la banque de Livingstone et après qu’on m’ait faite attendre, il arriva vers moi à quelques minutes avant la fermeture de l’établissement financier ; déjà les derniers clients quittaient les lieux aux lustres de pampilles pour remonter dans leur réciproque voiture. Tous des nantis à col de fourrure, canne à pommeau d’or et d’ivoire et des bijoux frisant l’indécence.

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« Miss Kennedy ! Que nous vaut cette impromptue visite ? Venez dans mon bureau s’il vous plait, nous y serons mieux pour discuter. » Et il prit soin de refermer la porte de son antre ; là où toutes les grandes décisions se prenaient. « C’est un plaisir pour moi Miss Kennedy, vraiment ! —Gardez vos salamecs pour vos autres clients, je ne supporte guère la flatterie ; je viens déposer un chèque rien de plus et vos employés m’ont fait savoir que vous fermiez. —Oh il s’agit de la procédure habituelle. Il ne faut pas voir cela comme une agression envers votre personne. Donnes-moi votre chèque…Oh c’est une sacrée somme que nous avons là et qui plus est de notre ami en commun. Permettez… (il ouvrit la porte) Tyron s’il vous plait ! Nous avons là un dépôt pour le compte de Miss Kennedy qui est une amie et à l’avenir j’aimerai que vous la traitiez avec tous les égards dû à sa personne. Est-ce clair ? Miss Kennedy prendra le reçu en partant. (Il revint vers moi) Ce préjudice est réparé et vous m’envoyez navré. —Alors je peux m’en aller ? Vous ne voudriez pas que l’on nous voit ensemble cela vous causera du tort. —Et pourquoi donc ? Nous vous attendons toujours ce soir chez Hereford, déclara-t-il en me tendant un verre de Bourbon. Je n’ai malheureusement que cela à vous proposer, mais vous autres Irlandais savaient boire et vous ne dérogez pas à cette règle. —Pourquoi insister pour me voir chez Hereford ? Toute la bonne société s’y trouvera et je n’ai pas l’intention d’attirer le regard de vos pairs sur mes frasques et s’il vous faut vous distraire, je ne suis pas la bonne personne. —Pour tout vous dire Miss Kennedy…Keira, je…je vous trouve très séduisante. Depuis le premier jour j’ai vu en vous tout le potentiel que vous disposiez, déclara ce dernier en posant ses

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fesses sur le rebord de la table. Pour être honnête, vous me plaisez beaucoup. Un peu trop même et je m’interdis de penser que vous êtes heureuse près de Meara et…Mayer-Sachs. J’ai bien plus à vous offrir. —Comme quoi ? Vous ferez de moi votre putain et quand vous en serez lassée, vous me renverrez bien vite à Five Points. Je lis en vous comme dans un livre ouvert. —Oui, vous…enfin vous…vous me plaisez beaucoup. Je sais que cela n’est pas réciproque mais…j’aimerai essayer avec vous. Avoir les chances pour vous séduire et ne pas être éconduit. —Ah, ah ! Vous connaissez ma réponse à la question Aaron, alors retirez-vous cette idée de la tête et le plus tôt sera le mieux. Raccompagnez-moi dehors s’il vous plait. Si on me voit sortir seule, vos employés n’auront de cesse de vous imaginer avoir une maîtresse. » Il me fixait froidement, les lèvres serrées. « Que dois-je faire pour vous convaincre de ma bonne foi ? —Ne vous donnez pas tout ce mal, je n’en vaux vraiment pas la peine. Merci pour le whisky. J’apprécie votre discrétion quant à l’origine de ce chèque. Si Frank venait à l’apprendre…il est très soupe au lait en ce moment et il en a déjà fait assez pour ma famille, je ne peux lui en demander davantage. —Nous sommes tenus au secret professionnel Miss Kennedy, les vôtres comme ceux de vos voisins de palier. Saluez-les de ma part et rappelez-les à mon bon souvenir. » Je rentrais peu après Frank. Adossé contre le chambranle de la porte il m’étudiait un verre de whisky à la main. « Tu étais où ? » Je ne répondis rien. J’avais froid. Un bon thé me ferait du bien. Dans le salon, un feu brulait, envoyant ses flammes diffuses caresser l’écran de cheminée posée contre la Waldorf-Astoria.

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Ici les femmes de chambre prenaient soin de nous ; j’appréciai y trouver le service à thé posé sur le guéridon et le cake aux fruits confis de Nelly trônait dans le plateau Devant l’âtre, accroupie les bras tendus vers la source de chaleur je n’échangerai pour rien au monde ma place ici. « Je viens de te poser une question Keira ! Où étais-tu ? —Que veux-tu dire par : Où étais-tu ? Es-tu devenu suspicieux pour me poser cette question ? Cora a fait du thé. En veux-tu avec ton whisky, questionnais-je le sourire aux lèvres et je m’en versai une tasse. Si tu veux tout savoir, j’étais chez ton ami Livingstone. Saches que je m’y suis ouvert un compte. —Ah, ah ! Avec quel argent ? —L’imprimerie me rapporte un peu. De maigres économies certes mais suffisamment pour pouvoir entretenir les presses le moment venu. J’ai dans l’idée d’en faire mon revenu principal. Les femmes émancipées de cette ville veulent joindre leur nom au mien pour permettre à ma gazette de jouir d’une certaine renommée. —Et tu as besoin d’argent ? Combien lui as-tu demandé ? » Je m’installais sur le sofa, imité par Frank. Les derniers rayons du soleil filtraient à travers les voilages. Dans peu de temps, Maureen viendra les tirer et allumer l’éclairage au gaz. La soucoupe posée sur mes cuisses, je fixais Frank sans sourciller. Ce qui le rendait malade était le fait que je puisse demander de l’argent à un tiers. « Depuis quand ai-je cessé de t’entretenir ? Tu vis sous mon toit et concernant des frais personnels je ne te restreins en rien. Mon argent est le tien et il sera toujours ainsi, alors pourquoi mendier auprès d’un autre ? Tu as ici plus qu’il ne faut pour être heureuse. Alors, que me caches-tu ? Aurais-tu des ennuis ? Keira ?

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—Non, pas que je sache. » Il ne parvenait à se détendre. Je le savais tendu. Alors je le pris dans ma bouche et le suça. D’abord il fut crispé avant de se détendre complètement ; il bascula la tête en arrière, la main sur ma tête. Au moment où il allait jouir, je le mordis de toutes mes forces et il jouit en hurlant. Il pensa perdre ses testicules. Frank m’avait dit de toujours finir un homme ainsi. Johann fut ma première expérience sexuelle et pas des moindres. DU haut de mes quatorze ans, je n’entendais rien à ces choses-là et Johann fut là pour « m’éduquer ». il n’aurait laissé personne ne toucher et il frappait quiconque osait poser les yeux sur moi. Il me tardait de le retrouver pour le sentir en moi. Et il arriva tard dans la nuit, éméché et bourré comme un coing. Ses chansons paillardes eurent tôt faites de me réveiller. « Johann ? Est-ce un état dans lequel apparaître ? Viens ici avant que tu ne réveilles tout le monde, murmurai-je fermant doucement la porte derrière lui. Il avança péniblement vers mon lit pour s’y écrouler. Tu n’as pas l’intention de dormir ici ! Vire tes pieds de mon lit ! —Oh Leira, sois mignonne….avec moi. J’ai la tête en vrac. » Profitant de l’occasion je le rejoignis et me pencha à son oreille. « Je vais partir pour San Francisco, je veux moi-même y faire affaire. » Lentement il se redressa pour mieux me défigurer, des plus sceptiques. « Que veux-tu faire à San Francisco ? Ce n’est pas une destination pour une jeune et belle femme comme toi ! Ah, ah, ah ! San Francisco. Ah, ah ! —Et pourquoi pas ? —Putain Keira, tu me colles mal à la tête….Parce que tu es à moi. Je t’ai payé très cher pour t’avoir. Tu es à moi Keira ! —Ne racontes pas de bêtises. Je n’appartiens à personne, poursuivis-je en déboutonnant le pantalon de Johann. Il se redressa quand ma

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main empoigna son membre ; il se mettrait alors à couiner et se crisperait à moi pendant je le branlerais. Et ce fut exactement ce qu’il fit. Et moi de poursuivre : c’est toi qui est à moi….Johann, tu m’appartiens. —Oui….comme une putain appartient à son proxénète. Je ne te laisserais pas tout foutre en l’air et…Frank te tuera plutôt que te laisser partir. » En entendant cela je cessais de me montrer gentille avec lui. Qu’il aille au Diable ! J’ouvris la porte en grande et l’attendit là, les bras croisés sur ma poitrine. Je ne voulais plus le voir, pas même dans ma chambre. cette nuit-là je ne fermais pas l’œil et au petit matin, je sonnais Cora pour m’habiller. J’avais l’intention de rencontrer Livingstone de façon très fortuite, au salon de thé des McCarthy par exemple ! Pour l’occasion je choisi une tenue bien sage pour me fondre dans le décor et j’optais donc pour du pastel vert d’eau à effet moiré. Livingstone se trouvait bien être là en grande discussion avec ses amis issus de l’aristocratie locale. Je buvais mon café sans cesser de le regarder et cette accentuation le troubla. Les autres clients lorgnaient dans ma direction et ce n’était qu’une question de temps avant que l’un d’eux ne vienne engager la conversation. Dans cet endroit luxueux avec ses tentures murales, ses grands lustres de cristal, ses fauteuils de brocard je me sentis presque insignifiante. « Miss Kennedy ». je répondis sur le même ton : « Mr Livingstone. » Il s’assit en face de moi et lissa sa moustache. « J’ignorai vous trouver ici. A croire que vous êtes partout où j’envisage de poser le pied. Vos amis regrettent déjà votre absence. les voilà qui conspirent à savoir qui d’eux parviendra à vous garder près de lui, murmurai-je le sourire aux lèvres. Vous êtes une célébrité ici. Comment

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faites-vous pour susciter l’admiration de vos pairs ? —Si je ne vous connaissez pas Keira je dirais que vous avez un service à me demander. Vous n’auriez pas fat tout ce chemin pour uniquement savourer ce thé. —C’est exact ! je cherche un mari. Avec toutes les relations que vous avez je me demandais si vous pouviez me prêter mainforte. » Il me fixa avec intensité, caressant mon visage de ses yeux gris verts et descendit jusqu’à mon corsage retenu par une camée. Sans rien ajouter d’autres, je me levais pour quitter le salon de thé, sachant pertinemment qu’il me suivrait dans la rue et offrirait de me ramener à la maison. Comme je l’eusse imaginée, il s’empressa de me tendre le bras et me montra le chemin de sa canne à pommeau d’or. « Et qu’aurez-vous à offrir à votre futur époux Miss Kennedy ? —Cessez de m’appeler Miss Kennedy ! On se connait suffisamment à présent pour s’appeler par nos petits prénoms. J’ai un peu d’argent en banque comme vous le savez, de l’argent que je compte faire fluctuer en l’investissant en Californie. L’homme qui m’épousera Aaron devra m’accepter avec mes projets. —Combien vous faut-il exactement ? je peux vous débloquer un fond d’investissement sans que vous passiez par le mariage. —Non ! Je veux vraiment me marier ! —Et qu’en pense Meara ? A-t-il l’intention de vous faire sa demande ? » Alors je serrai mon bras contre le sien comme pour m’y réchauffer. Il marchait en gonflant la poitrine, saluant à gauche et à droite ; fier qu’il était. Il paierait très cher pour m’avoir et je comptais bien faire monter les enchères. Tout ce que je voulais c’était de l’argent, rien de plus ! Il répondit à mon étreinte par une étreinte plus

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forte et très explicite ; il me voulait et se trahissait en agissant de la sorte. Il savait pourtant quelle racaille j’étais mais certains hommes ne s’arrêtent pas à ce genre de détails ;, plus la fille donnait à voir et plus il se gaussait de l’avoir pour eux seuls. « Que vous êtes bien naïf Aaron ! Frank comme tous les autres aiment avoir de jolies fleurs à leur boutonnière mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils rêvent de se faire jardiniers. Vous agiriez de même si vous m’aviez à demeure. » Un fiacre passa tout près de moi et mon regard croisa celui d’une femme qui sembla reconnaitre Livingstone. Partout l’on dira : Livingstone se balladait à la vue de tous avec l’employée de Frank Meara ! Livingstone arrivait à se moquer de tout cela et cela prouvait qu’il était suffisamment riche pour passer à travers pareils commérages. Il n’avait plus rien à prouver à personne et cette pensée m’excita terriblement. « Hum...j’avoue vouloir la plus jolie des fleurs sauvages ; non pas l’une de ces petites plantes que l’on voit pousser en serre mais bien une splendide fleur nichée à flanc de montagnes où seuls les braves osent s’y aventurer. Ai-je bien résumé Keira ? Combien vaut ce prix pour vous avoir à ma boutonnière ? —Vous parlez de m’entretenir quand je vous parle de profits à longs termes. —Je pourrais vous installer près de moi. Vous auriez de l’argent, une voiture et un train de vie digne d’une princesse. Qui refuserait pareil arrangement ? Quand on vient de Five Points on ne peut prétendre à mieux. C’est un grand honneur que je vous fais vous savez ! —Mr Livingstone, je viens d’oublier que je suis attendu chez mason pour lui proposer la même offre. Lui contrairement à vous se

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montrera moins regardant. Bonne journée Monsieur ! —Attendez ! Murmura ce dernier me retenant par le bras. Passez à la banque dans une heure et…je verrai ce que je peux faire. Que cela reste entre nous, je ne voudrais pas que cela paraisse dans la gazette du coin, vous comprenez ? Mes amis ne sont pas les vôtres et ils auront tôt fait de vous intimider. » Persuadée que je ne trouverais personne au 22 de la 3ème avenue j’y rentrais à grands pas, jeta mon chapeau dans l’escalier et sonna Cora quand mon regard croisa celui de Franl adossé au chambranle de son bureau. Dans ses yeux j’y lus de la colère et j’en devinais la raison : Johann avait parlé. Mon cœur battit à vive allure. « Où est-ce que tu étais ? —Tu ne vas pas recommencer avec ça ? Mais si tu veux tout savoir j’étais au salon de thé pour me changer les idées et là je m’apprête à repartir. —Pourquoi…pourquoi me mens-tu ? Johann m’a tout raconté et tu oses me mentir. Bon sang, tu…Putain Keira ! ne me tourne pas le dos ! Regardes moi dans les yeux et dis-moi que tu n’as jamais eu l’intention de partir pour la Californie ! Jure-le-moi. —J’en suis incapable. J’ai dans l’idée d’aller en Californie. San Francisco plus précisément. En quoi cela représente-t-il un problème pour toi dans la mesure où nous ne sommes pas mariés ? Ah, Cora ! Je rencontre un gentleman toute à l’heure et vous remettrez 0 Mrs march une lettre d’excuse. Nous devions nous voir mais je ne peux faire mieux, arguai-je grattant fébrilement sur un papier à-en-tête. Voici pour vous. Le mieux serait de partir maintenant. Frank, cet air méprisant que tu affiches…on dirait un collecteur d’impôts.

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—Tu veux te marier c’est ça ? Tu l’as demandé à Johann mais il a refusé. Il t’a refusé et tu n’as pas pu le digérer, c’est ça ? Quelle catin fais-tu ? —Cora vous pouvez y aller ! Qu’attendezvous ? ne me parles pas ainsi devant Cora, c’est me manquer de respect. —Ah, ah ! Elle sait très bien qui tu es ma chérie. Une putain de Five Points, sourit ce dernier en tirant sur son malheureux reste de cigarette. Une putain qui va se donner au premier venu pour un pseudo investissement en Californie. Alors maintenant tu vas m’écouter Keira. Tu vas aller chez Livingstone comme convenu et….fais-lui savoir que tu veux te marier. Maintenant….maintenant plus que jamais il est à point. Mais ne cèdes pas tant qu’il n’a rien signé. » Frank vint vers moi et déposa un long baiser sur mon front. C’était là sa bénédiction et maintenant que je l’avais, les affaires allaient reprendre comme avant. Mes lèvres rejoignirent les siennes et il me prit là sur cette commode. Chacun de ses coups de rein me conduisit à l’extase ; il se fit plus violent à mesure que je glissais dans la jouissance et alors ses mains se refermèrent sur mon cou. Privée d’oxygène j’hoquetais, le frappant pour l’obliger à me relâcher. « Tu vas aimer ça…Tu vas aimer que je te baise comme je baise les petites chiennes de ton genre. » Au bord de l’évanouissement mes mains se crispèrent à sa veste et ses violents coups de bélier m’achevèrent complètement. L’orgasme fut long et intense. J’en pleurais de joie baisant avec avidité ses lèvres moites. Livingstone me reçut de nouveau. Il s’empressa de fermer la porte derrière moi et se précipita à son bureau pour se donner de la contenance. « Que font penser vos employés en nous sachant tous deux réunis derrière cette porte ?

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Ils finiront par penser que vous me courtisez, glissai-je le sourcil remonté. Vous me courtisez n’est-ce pas ? Dix mille dollars c’est une bien belle somme pour qui veut débuter dans la vie avec un premier capital. Oh, mais regardez-moi ça ? C’est un Modiano ? je serais curieuse de savoir s’il s’agit d’un original ou d’une fidèle reproduction. —Vous me surprenez. Peu ici connaissent l’œuvre de Modiano. —je suis pleine de surprise vous vous en rendrez compte. (Et je me levai pour aller étudier le tableau de près) A combien l’avezvous obtenu ? —Un tel chiffre vous donnerait le tournis. —Dites-le moi et je vous dirais si je me sens défaillir. Aurez-vous seulement la bonté de me rattraper ? —Je tiens pour confidentiel l’achat de mes peintures. S’il vous plait, traitons ce que nous avons à traiter et retournons tous deux à nos respectives occupations. Un chèque de vingt mille dollars devrait vous convenir ? —Je ne suis pas venue pour seulement vingt mille dollars ! Montrez-vous généreux Aaron, cela m’embarrasserez de devoir le demander à quelqu’un d’autre. —je vois mais pour l’heure vous vous contenterez de ma générosité, conclut-il en me présentant le chèque. Seulement dix mille dollars. Je le déchirai en mille morceaux, me leva et gagna la porte des plus vexée. Il la referma prestement et sourit d’une oreille à l’autre. « Keira, Keira, Keira ! Vous êtes ma nouvelle meilleure amie ! Balança-t-il les mains posées sur mes épaules. Et à ce titre je….venez souper avec moi ce soir. Ma journée ici n’est pas terminée et je ne voudrais gâcher en rien le plaisir de vous recevoir, chez moi, loin de ce tumulte. Avez-vous des obligations ce soir ?

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—Je vous trouve bien cruel (déjà je quittai la porte pour retourner m’assoir, les larmes bordant mes yeux) Vous dites être mon ami mais…vous témoignez peu d’égard à mon sujet. Vous savez ce n’est pas toujours facile pour moi de travailler pour ’Meara et Mayer-Sachs. Ils savent se montrer impitoyables avec moi….alors quand je peux je songe à un avenir bien meilleur….à New York….ou ailleurs, déclarai-je en laissant rouler une larme sur ma joue. Vous savez quand j’étais petite fille je rêvais déjà d’avoir quelque chose à moi…. » Il mordit à l’hameçon ; en me voyant pleuré il fut saisi en plein cœur. Timidement sa main effleura ma tête. D’un bond je passais mes bras autour de sa taille pour le serrer fort contre moi. « Meara dit que je suis une véritable garce et il me fouetterait s’il le pouvait. —Non, ne dites pas cela ! Il ne vus fera jamais aucun mal. — Vous n’en savez rien ! Parfois il me fait peur. » Il s’accroupit devant moi et son pouce balaya ma joue inondée par les larmes. Sa caresse devint plus intense et son pouce glissa vers ma bouche. Il me voulait et s’impatientait de pouvoir le faire. Il en avait envie et cela le rendait vulnérable. « Et comment se comporte Mayer avec vous ? —Mayer ? Vous devez bien vous en douter. Il est grossier et brutal. —Etes-vous sa maîtresse ? —Non…je devrais selon vous ? Je dois y aller Aaron, j’ai assez abusé de votre précieux temps. Peut-^être aurons-nous l’opportunité de nous revoir, alors soyez aimable d’oublier tout ce que je viens de vous dire depuis le salon de thé à maintenant. Je prends tellement les choses à cœur….Au revoir Aaron. » Johann s’enfonça en moi avec brutalité. C’était douloureux et ses va-et-vient me

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charcutaient l’intérieur de mon orifice. Il s’appliquait pourtant à ne pas y aller trop profondément mais après cinq minutes de retenue il se mettait à me pilonner avec bestialité, ma tête coincée dans la commissure de son bras. J’avais la sensation qu’un couteau émoussé cherchait à me défoncer et il me fallait me concentrer sur autre chose. Les discussions de la pièce d’à côté par exemple m’empêchèrent d’hurler de douleur. Livingstone parlait à Mikkelsen. La discussion concernait des actions prises à la bourse dans la journée. N’en pouvant plus je serrai les dents, fermant les yeux pour intérioriser la douleur de ce coït. Putain de merde ! Il enfonça ses doigts dans ma bouche avant d’y plonger sa langue. Soudain il se montra très brutal, tirant sur mes cheveux pour m’obliger à me cambrer et quand je lui résistais un peu il me cloua avec rage pour m’obliger à lâcher sa main. Comme je me refusais il les emprisonna de ses serres et me mordit la nuque tout en me clouant. La morsure affligée en plus dette bestiale pénétration anale eut raison de mes nerfs. Je lui griffais les cuisses pour le faire lâcher mon cou. Il grogna. Cela aurait pu donner l’alerte. Il grogna en éjaculant par violentes saccades. Je l’ai giflé. Je l’ai frappé de toutes mes forces. Il me prit dans ses bras pour me calmer. « Hey doucement ! Doucement….ça va d’accord. C’est ok. Tout va bien Keira. Tout va bien, hum….on n’a jamais été aussi bien. » Il me laissa recouvrer la raison et regagna sa chaise et son whisky. Après dix minutes je revins dans la pièce, un livre à la main. Ils parlaient encore de Haute Finance et Frank de se retourner vers moi. « Notre Keira cherche à connaître le sens caché de nos mots. Pur elle comme pour toutes les femmes il n’y a rien de plus complexe que la finance. Aaron m’appuiera pour dire que le négoce et les femmes ne font pas bon ménage.

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—Ah, ah ! Elles sont plus habiles à dépenser l’argent qu’à le fructifier, railla Johann. —Chacun le dépense comme il peut. Toi tu le consacres bien à tes vertueuses filles sans que cela ne choque personne ! Riposta Livingstone. —Mais ce plaisir est partagé par un grand nombre. Si elles n’étaient pas là, nous autres manquerions de stimulation. Et à défaut de savoir compter on leur demande seulement de…. —Ça va Jo ! On connait ton opinion sur le sujet ! —Qu’est-ce qui te rend si prude Frank ? OK ! Keira, tu devrais aller te mettre au lit, tu empêche Frank de d’avoir une conversation censée : Tu entends Kennedy, au lit ! —Je te demande pardon ? —Tu te barres. » On se fixa en chien de faïence quand Livingstone l’ouvrit : « Non personne ne vous oblige à partir Keira ! Votre présence contrairement à certaine est hautement appréciée. S’il vous plait, faites-nous le plaisir de votre compagnie ! Présenta Livingstone en baisant ma main en bon gentleman qu’il était. De quoi agacer Mayer-Sachs. Dans son regard j’y lus de la concupiscence et subrepticement il glissa un billet dans la paume de ma main. Miss kennedy comme toutes Irlandaises qui se respectent à le sens de la mesure. Maintenant parlons de ce problème de dettes Mikkelsen ! » Le petit billet disait. « A onze heures dans le salon. » Et quand onze heures sonna les hommes se préparèrent à partir. Cora marchait sur mes talons et tendait à ses messieurs leur redingote et leur haut-de-forme ; les gras m’embrassèrent et en parfaite maîtresse de maison je leur recommandais la prudence. Une fois seule je commandais un thé twinings Earl grey à Cora qui disparut à travers ce dédale de

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couloir emportant avec elle les restes du bref festin de nos hôtes. J’attends dans le salon pour voir la porte d’entrée s’ouvrir et Jasper d’introduire Livingstone dans le salon. Ce dernier tirait sur un cigare et encore en manteau se rapprocha de moi. « Vous m’avez donné beaucoup de fil à retordre, Miss Kennedy. —Ce n’était pas le but, répliquai-je froidement posant mon livre de compte sur mes genoux. Une fois ivre et dans les bras de vos multiples partenaires lubriques retrouverez-vous un semblant de lucidité ? —Ah, ah ! J’ai laissé un carnet ici que Jasper est parti cherché. Le temps pour nous de converser. La congrégation entière parle de vous comme étant la plus sournoise des Kennedy que le monde ait pu connaître. Que répondez-vous à cela ? —Comme je vous l’ai dit j’ai besoin d’argent mais ne souhaitant pas contracter de dettes avec un tiers il ne me reste plus qu’à trouver un époux, en toute moralité. Dites-moi donc ce qui choque donc les membres de votre bienheureuse congrégation ? Faire une enquête de mœurs sur mon cas me prouve bien que vous êtes aussi morale qu’égocentrique. Je vous sers un verre ? » Il me suivit du regard jusqu’au guéridon où te nait le service à whisky de Johann et il accepta le verre sans me lâcher des yeux. On trinqua et j’avalai cul-sec. « Je sais boire et je le fais plutôt bien. On dira de moi que je ne m’enivre pas facilement. Il sera difficile de me voir rouler sous la table. D’autres ont essayé vous savez, des hommes peu scrupuleux pour parvenir à leurs fins. Qui avez-vous saouler à Liittle Water Street pour vous renseigner sur moi ? Fort possible qu’on vous ait désinformé…Mettez tout ça ici Cora !

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Elle m’est loyale vous savez, argumentai-je une fois qu’elle eut fermée la porte derrière elle. Nous autres Irlandais avons cela en commun : la loyauté. —Je ne reviendrais pas sur ma proposition. Je vous installerai à mon compte à l’endroit que vous souhaiterez et je vous verserez une rente pour aussi longtemps que durera notre collaboration. Vous n’aurez pas à vous plaindre de mes conditions que je juge suffisamment bienfaisantes. —Charitables vous voulez dire ? Je ne veux pas qu’on me fasse la charité. —Pas à moi Keira, pas à moi ! Meara vous dévore des yeux et il a pour vous plus de respect qu’il n’en aura jamais pour personne, pas même pour sa propre mère. Et vous voudriez me faire croire qu’il vous lâchera aussi facilement ? Hum-hum. Je connais la nature des hommes et….je ne vous sais pas honnête avec moi, murmura-t-il à mon oreille. Jasper ! (Il sortit du salon) C’est idiot je viens de retrouver mon carnet ! Navré mon vieux. Tenez prenez ceci en dédommagement (il lui tendit une montre à gousset) Au plaisir Miss Kennedy ! » Plus tard j’allais couper ma lumière de chambre quand un bruit de pas attira mon attention. La porte s’ouvrit sur Johannes qui immédiatement me poussa à l’intérieur de la pièce pour saisir ma bouche. « Qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! Arrête tout de suite ! Johann! » Une fois de plus je dus le flapper pour le faire lâche- prise. “Tu ne peux pas te comporter ainsi! C’est dégradant et avilissant pour moi! —De quoi parles-tu Keira Kennedy ? Tu es là à t’offrir à moi ! —Ah, ah ! paies moi correctement pour toutes les fois où tu m’as prises de force ! » Ses robustes mains encadrèrent mon visage et il serra. Ma main glissa dans son entrejambe et je le saisis brutalement par les couilles, ce qui eut

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pour effet de le faire gémir ou frissonner de plaisir, plus exactement. Tendrement il baisa ma joue, tandis que mes doigts alertent ôtèrent les crans de sa ceinture. Il allait prendre ma bouche alors d’un geste calculé je m’éloignais de lui. « Je veux que tu me paies ! —Tu n’es pas une putain. Tu es ma femme. —ta femme ? Il voudrait pour cela qu’on soit marié, or ce n’est pas le cas ! Je veux que tu me donne cent mille dollars….en compensation. —Que ferais-tu d’une telle somme ? —Tu as quatre millions à la banque. Quelle différence pour toi ? » Je fermai ma robe de chambre sur mon corset, devinant que la partie ne serait pas gagnée d’avance. Johann se perdit dans ses pensées avant de s’essayer à un sourire. « D’accord ! Cent mille dollars avec une reconnaissance de dettes de cinq mille pour le cas où tu aurais dans l’idée de filer loin de moi... » Je n’en croyais pas mes yeux…Un sourire apparut sur mes lèvres et lui de foncer sur moi pour m’embrasser. Pour lui il s’agissait d’un délicieux songe dont on veut saisir la trame avant qu’elle ne s’en aille définitivement. Il me mordit la lèvre. La crainte me saisit ; il ne tarderait pas à me retourner pour me prendre le cul. Comme je le repoussais il me saisit par le cou. « Tu préfères par devant ? « Sans attendre ma réponse, il souleva mes jupons pour fouiller mon sexe de mes doigts. C’était délicieux….au point de rechercher sa bouche pour le posséder. Un cri de douleur s’échappa de ma bouche quand il me pénétra. « Je vais aller doucement ma chérie, hein….très doucement..Voilà…c’est mieux…Tu aimes ça ? » Je me débrouillais pour qu’il n’aille pas complètement au fond de mon vagin, sitôt que son membre glissait vers les abysses, je me hissais d’un coup sec, les bras autour de sa taille et ce mouvement l’excita. Il y vit comme une invitation à la tyrannie du sexe

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par le sexe. Or il me fallait le dominer au risque de me retrouver bien vite muselée et réduite qu’à une vulgaire vendeuse. Dans cette position il pouvait me voir ; il planta son regard dans le mien et me caressa lentement la joue. Abaissant ma garde j’eus un hoquet de douleur quand il appuya sur mes hanches pour mieux m’empaler sur son herculéen pénis. La tête posée sur son épaule, je le laissais me buriner. De toute façon je n’aurais pas pu bouger tant il me serrait fort contre lui. Me voyant sur le point de défaillir, il m’allongea sur le lit et me retourna. « Non ! Non ! » je le giflai mais il me retourna, décidé à me prendre par les fesses. « Arrête ! « Je le giflais, assez fort pour le faire réagir. « Pour cent mille dollars, tu me dois bien ça ! » Il baisa mon front, puis ma joue et pour finir mon épaule. Il lui arrivait d’être si tendre. Je fixais les rideaux de la fenêtre sur ma gauche, de couleur rouge ils paraissaient noirs. Il me pénétra sans cérémonie, les bras de chaque côté de mes épaules et ainsi cambré glissait avec délectation en moi, tournoyant par de petits cercles ; la tête dans mon édredon, je rassemblais mes mains sous ma poitrine, le laissant tourner et charger, tourner et charger, tourner et charger encore. Il n’allait pas tarder à jouir mais en fait je me trompais, cela dura un petit moment pendant lequel je pensais à ma sœur enfermée dans un sale mariage. Il me faudrait aller la voir. Soudain Johann vit courir sa bouche sur mon cou et je me crispais aussitôt ; il cherchait où mordre et quand il fut sûr de sa prise, il envoya de violents coups de bélier à en faire trembler les fondations de la maison. On se rendit à la banque de Livingstone et il fut des plus nerveux. Peut-être parce que je l’amputais de cent mille dollars ? Il ne cessait de faire les cent pas dans l’office, frappant son chapeau rapiécé et lorgnant du côté des

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employés. « Il fait quoi Livingstone ? On est là depuis dix minutes non ? Cela m’emmerde ! » Johann disparut derrière une grande plante aux feuilles imposantes et restée seule je me repoudrai le nez pour constater qu’on m’épiait ici et là. Pour ces gens de la Haute, je faisais insulte à leur beauté. Livingstone sortit accompagner par un homme ventripotent et sitôt qu’il me vit, son expression faciale changea. Mes histoires finissaient par le lasser, qui sait ? Il raccompagna son client à la porte de l’édifice. L’un de ses employés désigna un couple attendant sur la banquette une tasse de thé à la main. « Miss Kennedy, je suis en rendez-vous mais j’accepte de vous prendre entre deux clients si votre requête n’excède pas cinq minutes. —Vous êtes un homme bien pressé de conclure ! J’ose imaginer que vous n’êtes pas ainsi dans la plus grandes des intimités ? Soupirai-je attrapant tout mon barda sous le bras. Aucun n’avait jugé bon de me débarrasser en raison de l’humeur de Mayer-Sachs affirmant que nous ne resterions pas là plus de deux minutes, montre en main. Il arriva ventre à terre, échangea une brève poignée de main à Livingstone et s’installa derrière son bureau, prenant soin de poser ses affaires sur la table de ce dernier. « Dites-moi ce qui vous amène ici. » Ce ton froid me déstabilisa et je compris d’où venait son malaise quand j’interceptai son regard posé sur Mayer-Sachs occupé à déplacer un objet posé sur son bureau de merisier. « On vient transférer de l’argent. Cent mille dollars….pour Miss Kennedy. » Livingstone encaissa l’annonce et un timide sourire distendit ses traits. Il passa de l’un à l’autre comme cherchant à savoir qui de nous deux étaient le

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pigeon de l’autre. Il s’éclaircit la vois après avoir lissé ses favoris. « Je suis heureuse pour vous Miss Kennedy,, vous semblez avoir atteint votre objectif. —De quel objectif s’agit-il ? Questionna Johann. —Oh Mr Livingstone parle de ma volonté de m’implanter notoirement et pour cela il me faut un fond d’investissement conséquent ! Répliquai-je en tapotant l’avant-bras de Johann. Cela sera chose faite avec tes deniers. —PFFFF ! Je ne supporte pas quand tu parles par énigmes Keira, il me semble déjà te l’avoir dit ! Fulmina ce dernier s’agitant dans son fauteuil. J’ignore ce qu’elle t’a raconté Aaron mais j’aimerais bien ne pas être pris pour un sombre crétin quand il commencera à me pousser des cornes. —Ah je vois, j’assiste donc à les soubresauts de l’amant acculé obligé de devoir se confesser et se ranger pour servir cette noble cause qu’est le mariage ! Quoi ? N’est-ce pas cela ? Je pensais qu’au vu de vos origines bien modestes, notre Johann vous honorait de cette dote. Mais force de constater que je m’égare (il quitta son fauteuil pour sortir la tête de la pièce et héler un employé). Parfait ! Je ne vous retiendrais pas plus longtemps. Mr Percy va bien s’occuper de vous. Lui mieux que moi saura vous dorloter. Miss Kennedy….votre parapluie ! » Comme j’allais le récupérer, sa main sournoisement se posa sur mon poignet, sur la part découverte par le cuir de mes gants. Les filles furent enchantées de mon nouveau tirage intitulé : « La Soif de l’indépendance ou comment épouser une noble cause ? ? »Notre association se portait à ravir ; nous comptions trois nouvelles adeptes : Susan Boyle, Theresa Milton et Hally Parker. Depuis deux semaines je m’en tenais à ma gazette et aux réunions avec ces dames. On parlait de la réception

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qu’organisait Livingstone, un gala de charité pour lequel nous ne reçûmes aucune invitation. Qui accepterait de voir débarquer la racaille de Five Points dans pareil Olympe ? Livingstone allait passer conseiller municipal et plus que jamais il avait besoin du soutien de ses pairs. Que cela ne tienne ! J’avais d’autres cordes à mon arc. Frank et moi prenions notre petit déjeuner face-à-face dans la salle à manger ; aucun de nous ne parlait, chacun dans ses propres préoccupations. Il tapota sur son cigarillo pour en faire tomber la cendre. Il savait pourtant que je détestais le voir fumer quand je mangeais ! Il fumait du bruit en fumant, inhalant à grande bouffée son tabac et cela m’empêchait de me concentrer sur les pages de mon journal. « J’ai vu ta mère hier soir. Tu devrais descendre la voir plus souvent ! C’est toujours mieux que de rester enfermée derrière ta rotative ! Tu comptes encore imprimer toute la journée ? —Oui Frank, je compte bien y trouver l’inspiration. Où est le problème ? Si toutefois il y en aurait un. Au moins as-tu la certitude que je ne courre pas le gueux à Five Points ! Et comme tu le sais, le travail à la presse monopolise tout mon temps libre. —Tu pourrais te trouver une personne fiable pour la presse ! —Non ! Je n’aurais pas d’argent pour la payer car comme toute personne censée, elle réclamera un salaire. Et puis je suis trop perfectionniste pour m’enquiquiner avec autrui qui ne cherchera qu’à vouloir gagner du temps en bâclant mes épreuves ! Non, vraiment, je suis mieux seule ! Merci de t’en préoccuper Frank ! —Je ne le fais pas pour toi mais pour moi. Il parait de plus en plus difficile de capter ton attention. Et tu ne m’as toujours pas dit ce que tu comptais faire avec tout ce fric ?

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—C’est ma part de contribution. Une avance sur salaire. Tu sais très bien de quoi je veux faire allusion ou bien dois-je te faire un dessin ? » D’un bond je me levai, refermai le journal pour laisser la pièce et Frank méditer sur mes derniers propos. Dans mon déshabillé de soie, je passais pour une comtesse d’une quelconque région d’Europe ; de celle qui prenne le thé au milieu de ses domestiques en livrée et devant une cheminée toujours bien chargée de bûches incandescentes et diffusant une homogène chaleur tout autour de sa personne. Au moment où je quittais la table, Frank me saisit par le poignet, au même endroit où quelques jours auparavant Livingstone avait laissé son empreinte. « Assieds-toi s’il te plait ! Je sais qu’il m’arrive de ne pas être juste envers toi. D’être un peu tyrannique comme tu l’a laissé entendre à Johann mais je ne suis pas aussi bougre que tu l’imagines. —Je le sais tout ça Frank, arguai-je en reprenant place à la table, non loin de lui de façon à pouvoir poser ma main sur la sienne. Je te connais assez bien pour savoir ce dont tu es capable. —Alors tu devrais savoir que je désapprouve ta participation à notre commerce. Johann et moi sommes convaincus que tu fasses une bien piètre négociatrice. —Vraiment ? Et qu’est-ce qui vous permet de penser cela ? Je gérais parfaitement mes affaires avant que tu ne viennes me chercher à Five Points ! —Tu as toujours su tirer profit de tout, Keira et personne n’aurait remarqué tes combines si ton frère n’avait écrit à Johann pour lui dire de quelle façon tu arrondissais tes fins de moi. Tu sais compter….et falsifier les comptes mieux que quiconque. Et Livingstone connait tes

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combines, c’est pourquoi ta présence est néfaste à notre commerce. Il pourrait venir à nous suspecter. » Le souffle me manqua et sous mon corset, ma cage thoracique menaçait d’imploser. D’un bond je me levais pour fuir ce regard insistant, un air accusateur. « Depuis quand s’est-il tout ça au juste ? —Depuis peu. J’ai cru bon le mettre en garde contre tes agissements passés. Il veut que tu deviennes sa maitresse mais pas à n’importe quel prix. Il te faut racheter ta conduite et pour autant que je sache, tu es encore vierge. » Mon regard se concentra sur un détail de l’applique en cristal à la porte de la pièce. Je craignais la suite et comme il se racla la gorge, je pris une profonde inspiration. « Tu pourrais être ma femme….On gravirait ensuite les échelons ensemble. —Tu n’as donc personne à te mettre sous la dent ? Elles ne sont pas faciles à attraper les pintades de la cinquième avenue ! Tu manques d’ambition Meara, je pensais que tous ces efforts te conduiraient à un mariage princier ! Tu es très beau garçon et assez opportuniste pour faire ton entrée dans ce monde si codifié. Alors pourquoi vouloir t’embarrasser avec moi ? J’ai du mal à croire que tu serais prêt à renoncer à tes beaux rêves pour une Irlandaises des basfonds ! —Alors je suppose que ta réponse est non ! Tu sais pourtant qu’aucun autre homme ne te fera pareille proposition. C’est bien plus que tu ne pourras jamais imaginer dans ta chienne de vie ! —Johann et toi ne faites que spéculer et vous vous en tirez grâce à vos relations. Mais n’oubliez pas que vous avez grandi à Five Points et que vous avez fait de sales boulots pour survivre ! Et je ne parle pas de ces hommes que vous recherchiez pour les exécuter…. »

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Sa main se referma sur sa gorge. L’air vint à me manquer et je suffoquais ; quand il me relâcha j’étais au bord de l’évanouissement et appuyée contre la chaise, je tentais de recouvrir mes esprits, la main de Meara posée sur ma nuque. « Tu n’es qu’une salope et tu es là parce que tu es bonne qu’à écarter les cuisses et je vais te dire également une chose. Regardes-moi. Regardes-moi ! Murmura-t-il en serrant ma gorge de ses deux mains. Tu es à moi Kennedy alors cesses un peu de rêver, c’est un avertissement. » Avec l’aide de Cora je fis mes valises et je partis, refusant de vivre un jour de plus auprès d’un homme qui me brutalise. Ma mère ouvrit la porte de son logement et en me voyant avec toutes mes malles, prit peur. « Que fais-tu ici Keira Kennedy ? —C’est un peu long à expliquer maman mais je me suis demandée si tu pouvais m’accueillir une nuit ou deux ! Il y a quelqu’un avec toi ? » Elle tourna la tête et toujours derrière la porte revint à moi sans la moindre expression de joie sur son vidage. « Non, les fille sont sorties ! Saoirse a un nouveau soupirant en ville et….je ne veux pas que tu reviennes ici ! —J’ai eu un différend avec Meara, maman et si je reviens maintenant il va penser qu’il peut tout obtenir de moi dont une entière soumission à des principes que je n’adhère pas. —Mais….tu es qui pour décider de ce qui est bon pour toi ? Tu n’es qu’une gamine et….tu as été élevée dans la rue avec des types comme meara et mayer-Sachs. Tu as pris des coups. Tu as toujours pris ces coups et tu as toujours su les rendre. Maintenant tu voudrais nous faire croire que parce que tu vis dans les beaux quartiers tu te dois d’être respectée ?

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—Maman, s’il te plait, laisses-moi rentrer ! C’est absurde que l’on doive avoir cette discussion sur le palier de la porte ! —D’accord. Alors je vais te paraître amère et excessive mais c’est lui qui te donne à manger et qui veille sur toi. Tes frères ne sont pas là pour le faire et nous avons besoin d’argent. Les filles ont de nouveaux besoins et je ne peux les satisfaire seule. Pas avec les dettes de jeux que ton père nous a laissé. La réalité est là. Il n’est plus question pour nous de crever de faim et tant que tu vis sous le toit de Meara, nous n’aurons rien à devoir à quiconque. —Il est passé te voir n’est-ce pas ? —Non, tu penses bien. Un homme de son envergure. » La main plongée dans l’intérieur de ma cape je sortis une pièce d’or puis une autre que je glissais dans la main de ma mère. « Je prendrais seulement le temps avec toi. Tu peux encore m’offrir un thé n’est-ce pas ? » Il faut admettre les faits suivants : mère et Saoirse vivaient mieux qu’avant ; Lynne et Dierdre passaient tous les jours et il y avait de la viande à tous les repas, viande et pain blanc. Et puis ma mère se remettait à cuisiner pour un régiment au grand bonheur de l’épicier du coin peu habitué aux nouvelles dépenses de notre foyer. Saoirse n’était plus rachitique et aspirait à une existence plus enfiévrée ; pour m’en convaincre les paquets de dentelles, de tissus achetés à foison et attendant une transformation sur les nouveaux sièges du salon. Ma mère revint de la cuisine avec deux plats de cakes dont un aux myrtilles et m’offrit des macarons pour passer le temps (le temps que la bouilloire chauffe sur le poêle). « Frank m’a demandé de l’épouser. » Aussitôt ma mère s’écroula sur la chaise et un timide sourire apparut sur ses lèvres pulpeuses. « Astu….as-tu acceptée ?

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—Non. J’ai convaincu Johann de me payer un salaire mensuel et…. —Tu as refusé ? —Maman. J’aime Frank de tout mon cœur et il le sait. Mais son amour est dévastateur. Il le rend dangereux, impulsif et jaloux. En ma présence il ne se contrôle pas et je ne veux pas être l’une de ces victimes de violences conjugales. Il y a assez de Lynne dans la famille. Avec l’argent j’ai ouvert un compte dans la banque de Livingston. Le moment venu j’investirais. —Je te trouve incroyable. Et quelle insouciance ! Tout le monde sait d’où provient ton argent. Ce n’est surement pas ton immonde journal qui te permet d’obtenir de tels gains et…. —Immonde ? Maman je défends le droit des femmes ! Comment peux-tu qualifier ça d’immonde ? —Mais ce n’est pas toi qui donne voix à ces femmes ! Toi qui vit maintenant dans ces beaux quartiers, dans cette immense demeure, entretenue par des domestiques ! Tu as un bel attelage, de beaux vêtements dont pas une ici ne pourraient s’offrir et tu nous parles d’injustice, de pauvres immigrées obligées de se tuer à la tâche et n’ayant pas assez d’argent pour subvenir à tous les besoins de leur famille. Tu sais, je ne veux pas qu’on dise que ma fille a changé, qu’elle ne se mette plus à penser par elle-même. —C’est ce que tu penses maman ? —C’est ce que tout le monde pense ici. » Elle quitta la table pour aller ouvrir le tiroir de la commode et revenir avec une liasse de papier. Il s’agissait de courrier et elle tendit un pli. « C’est ton frère Clive et il a écrit le mois dernier et ce qu’il écrit n’étais pas bien reluisant. Tu veux lire ? »

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Sans desserrer les lèvres, je tournai la tête vers la fenêtre d’où nous parvenaient les prémisses d’une embrouille. Clive Mon ainé ne m’avait jamais aimé, il me voyait comme une pisseuse et une écervelée, une petite chatte toujours fourrée sur les genoux de Mayer-Sachs ou de Meara. « Toujours en quête d’une friandise et cela ne s’arrêtera jamais ! Keira aime avoir la bouche pleine ! » Alors ce que Clive pouvait ben écrire à mon sujet, je m’en fichais. « Il dit que Mayer-Sachs lui doit de l’argent et que la meilleure façon pour lui de s’en acquitter c’est de le restituer. Tu pourrais faire ce que tu veux de tes épargnes Keira une fois que tu seras mariée, mais ne t’immisces pas entre les dettes de tes frères et ceux de tes employeurs. —Et de combien parle-t-il ? —Une importante somme. Si clive venait à venir à New York, je ne suis pas certaine que notre quartier demeurera paisible. Il est recherché dans deux états de l’Union et sa tête est mise à prix dans cet Etat depuis qu’il a commis ces méfaits. Mieux ne vaut pas qu’il s’acharne à espérer une quelconque justice en ce monde. » La voiture s’arrêta devant l’office de Johann et Frank et un commis m’invita à le suivre au troisième étage d’un building aux pierres rouges. Des hommes arborant hauts de forme et redingote piétinaient dans le couloir jetant un regard sur leur montre à gousset ou leur carnet. Ma présence sembla les surprendre car aussitôt ils se redressèrent sur leurs beaux souliers vernis et affichèrent une attitude de séducteur : rictus au coin des lèvres et œil brillant. Le commis eut la délicatesse de m’apporter un thé Darjeeling dans la petite antichambre servant de salle d’attente et le tic-tac d’une horloge égrenait le temps, secondes après secondes. Il allait être pas loin de quinze heures et mon ventre grondait

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famine quand la porte finit par s’ouvrir sur le petit commis déclarant qu’on allait enfin me recevoir. « Oh, Johann ! Merci de me recevoir ! Murmurai-je en m’empressant de déposer des rapides baisers sur ses joues. Je viens de quitter ma mère et elle me raconte que tu dois de l’argent à Clive. Est-ce vrai ? —Une maigre dette de poker. Il n’y a pas de quoi s’alarmer. Ton frère est resté introuvable ces dernières années mais quand il aura l’intention de passer nous saluer je compte bien lui rendre ce que je luis dois. Les bons comptes font les bons amis ! C’est tout ce que tu voulais me dire Keira ? Cela ne pouvait pas attendre ce soir ? —Non ! Déclarai-je, le faux-cul posé sur la chaise. Frank veut que je l’épouse et ce n’est pas tout à fait ce que j’avais imaginé en m’installant près de vous. Il s’est montré violent à mon égard et il ne me voit que comme sa putain. Toi seul peux arranger les choses. —mais je n’en ai pas l’intention. Ta ravissante sœur Saoirse raconte partout que tu te fais sauter par O’Meara. Que tu as même l’intention de t’installer définitivement avec lui et il y a longtemps que j’ai abandonné l’idée que tu puisses être ma putain. Et puis ta sœur Lynne m’accuse de t’avoir corrompu. Elle ne me voit que comme la réincarnation du mal. Elle n’a pas l’intention de me voir revenir à five points. —On ne peut blâmer Lynne d’être très dévote et inspirée par la grâce divine. Son époux l’est un peu moins mais cela finira par se résorber de lui-même. —Cela veut dire quoi Keira ? Tu te prends pour une sainte c’est ça ? Tu penses que parce que tu gagnes de l’argent facilement les choses s’arrangeront pour toi et ta famille ? Tu crois que tu n’auras plus besoin de te prostituer pour cela ? Je dois de l’argent à ton frère c’est un fait

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mais arranges-toi pour que tu n’en contracte aucune de ton vivant. » D’un bond je me levai, le cœur battant à vive allure. Après m’être faite insultée par Frank, voilà que Johann s’y mettait également ! De retour à la maison je fus surprise d’y trouver mason dans le salon. Il s’était attendu à trouver Meara, pas moi et il écrasa son cigare dans l’écuelle en étain en prenant un air satisfait. « Les affaires pour Mayer-Sachs sont florissante n’est-ce pas ? » Sans le lâche des yeux, je m’avançais vers la cheminée. Dans peu de temps les hommes viendraient pour leur poker, leur brandy et leur soirée avec les putes du Boudoir. Son regard concupiscent s’arrêta sur ma bouche et il sourit ; sous sa barbe je voyais clairement son regard de pervers m’inviter à la considérer une nouvelle fois. « Livingston dit que vous voulez faire dans les affaires mobilières et que vous chercheriez des placements ! Ah, ah ! C’est là que je dois intervenir comme personne lucide et soucieuse du bien-fondé de votre mission. Il aurait été difficile de me convaincre en temps normal : une femme, aussi talentueuse et douée soit-elle et qui à des dollars à faire valoir ! Ces combinaisons n’assurent pas toujours la victoire pour nous autres de la gente masculine. —Livingston s’est probablement oublié derrière un bon whisky car je n’entends rien à tout cela. Fort possible qu’il m’ait confondu avec une autre. —Oui c’est ce que je m’étais dis mais Livingston est un vieux renard. Il a l’esprit affuté et on ne peut la lui faire à l’envers. Ceux qui ont jadis essayé se trouvent être maintenant à croupir dans une prison fédérale. La guerre a appauvri certain et enrichi beaucoup. Ceux de l’Union par exemple n’ont plus à compter leurs

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millions si chichement gagné sur les champs de bataille, non pas ceux de la Géorgie ou de la Virginie, non ! Je parle de ceux du commerce, des affaires et des institutions de notre gouvernement. « L’ennui ne fut pas long à venir et j’inspirai profondément. Voyant qu’il me perdait, il s’alluma un autre cigare et cracha la fumée autour de lui, en une épaisse nuée grise et havre. Complètement avachi dans le sofa moelleux du salon, il quitta pourtant sa paisible retraite pour passer derrière mon fauteuil. « Personne ne se trompe à votre sujet vous êtes une petite prétentieuse d’irlandaise issue du ruisseau mais une fois qu’on vous a lavée, habillée, vous semblez avoir été un diamant taillé avec soin par un juif de l’East side. Elles sont rares les Irlandaises de votre éclat. » Il allait poser sa main sur mon épaule quand je m’en dérobais bien vite. « Je crains que la discussion soit terminée, Mr Mason ! Veuillez m’excuser mais j’ai un article à écrire et je pense qu’il s’intitulera : Leçon de morale de la part d’un réformateur cupide et rasoir visant à éduquer les pauvres immigrées irlandaises de Orange road ! » Dans les bras de Johann, je crus m’évanouir quand il me besogna furieusement. Il me mordilla le lobe de l’oreille tout en grognant. Puis il saisit mon visage pour baiser mes lèvres et y jouir tandis que je me sentis partir dans l’inconscient. Il m’allongea sur le lit et partit sans demander son reste. Plus tard je descendis et le trouva attablé avec les autres pour un poker et tous se turent en me voyant entrée dans cette semi-pénombre. Pour des raisons évidentes de non-compatibilité d’humeurs avec certains membres de leur confrérie j’avais préférée manger seule dans le petit salon et mon retour fut salué par un long silence poignant. La tête penchée sur son jeu

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Frank serrait les dents, la main crispée sur ses pièces. « Nous avons des invités de prestige ce soir Keira et tu daignes apparaitre que maintenant ? —Est-ce un crime ? je sais que vous avez tous des journées difficiles et je ne voulais en rien gâcher vos élucubrations mentales faussées par la consommation excessive d’alcool. Maintenant comme je suis fatiguée je vais monter me coucher mais avant de le faire je voulais m’entretenir un bref instant avec Mr Livingston. —En dehors de mes heures de bureau ? Vous savez pourtant que maintenant vous êtes une cliente ordinaire qui n’a pas à passer par le concierge pour accéder à mes bureaux. » Ils gloussèrent autour de la table, sans comprendre le sens caché de cette formule. « Mais elle pourrait encore se tromper d’étage et se retrouver dans les objets perdus, renchérit Frank. Si tu as quelque chose à dire d’important, sois aimable de le faire maintenant. Je suppose que cela ne doit pas l’être au moins de devoir interrompre notre partie. —Comme tu voudras Frank. Après tout nous n’avons plus rien à cacher. Je venais m’entretenir au sujet de ce que vous m’avez proposez dernièrement et ma réponse est oui. Il n’est par conséquent pas utile de conserver le mystère plus longtemps, alors il faut que vous sachiez que Mr Livingston m’a proposé le rachat de titres de propriété, soit une dizaine dont je serais l’actionnaire majoritaire à 10% et étant donné ma situation actuelle je ne peux qu’accepter cette modeste contribution. » Frank interrogea Aaron du regard ; ce dernier ne comprenait pas un mot de mon hâtive conclusion et il avala le restant de son verre de whisky en gloussant. « Alors il faudra fêter cela, Keira. Johann, apportes un verre à Miss Kennedy ! »

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Il m’attrapa par le bras pour me faire m’assoir à leur table et il y avait mis tellement de rage que je crus qu’il avait l’intention de m’arracher le bras. Il me fallait sourire, bluffer en leur faisant penser que cette idée était bien celle de Livingston. Les doigts de Frank s’enfoncèrent dans mon cou et Johann me servit copieusement. « On va tous trinquer à ton succès à venir, railla Frank, le regard noir de menace. Ensuite, on nettoiera cette putain de merde que sont les créances de Johann. On ne veut pas de merdeux du genre de Clive Kennedy dans nos placards ! —Arrête avec ça Frank ! —Que j’arrête quoi ? Barres-toi Jo ! —Crois-moi ce n’est vraiment pas le moment. » Le coup de poing partit et Johann fut envoyé sur le tapis. Ma réaction immédiate fut de le relever mais à peine fut-il debout qu’il rua sur Frank pour lui assener un spectaculaire uppercut. Everett et Aaron les séparèrent, plus vite que je ne l’aurai cru et alors qu’ils tentaient à nouveau de se rentrer dedans Livingston ouvrit sa bouche ; « On se calme ! Ton se calme tous les deux ! On réglera ça quand vous serez calme. Keira, soyez mignonne d’apporter des compresses ! —Non ! Elle n’ira nulle part ! Lança Frank ayant retrouvé l’usage de ses jambes. Elle ne bougera pas et tu ne l’emmèneras nulle part Livingston ! Poses tes fesses ici Keira et….lâches-moi Everett, j’e n’ai pas besoin d’être dorloté ! Putain, il m’a cassé le nez ! Sale fils de pute Johann ! —Je t’avais dit de la fermer, mais tu n’entends jamais rien ! Pas étonnant que Keira veuille se barrer ! C’est plus fort que toi, hein ? La fête est terminée, je ne veux plus voir ta sale tronche Frank. Vous le mettrez au lit quand il aura fini de s’enivrer ; »

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Ils quittèrent la maison vers une heure du matin et Aaron insista pour avoir des nouvelles de Frank le plus tôt possible et en le voyant quitter la maison, le chapeau enfoncé sur la tête, j’eus la vision d’un gentleman prêt à me sauver de l’Enfer. A aucun moment il n’avait nié avoir eu ce genre d’échanges avec moi. Il marchait sur des yeux et moi également. Assis devant le feu, Frank fixait les flammes perdues dans ses pensées. Il avait fini par accepter la compresse mais refusait de parler depuis le départ de Johann. Assise par terre à ses pieds, je cherchais à capter son regard. « Tu veux savoir pourquoi les gens comme Livingston nous font confiance ? Ils savent de quoi nous sommes capables et c’est notre garantie d’obtenir le crédit auprès des parvenus et aristocrates de la 5ème avenue. Ils savent qui nous sommes et ils nous craignent pour cela mais à la moindre erreur de notre part, la moindre hésitation ou mauvais rapports, ont tombent dans la fange dans laquelle nous nous sommes extirpés tant bien que mal. Lui et Mason sont ici pour nous empêcher de les dévorer et ils nous abattrons sans sommations s’ils se savent en eaux troubles. Ces hommes n’ont pas le moindre estime pour toi Keira. Pour eux, ta place est dans un bordel. —C’est également ce que tu penses, Frank. JE veux pouvoir me protéger d’hommes comme toi et si cela doit prendre du temps, je suis prête à partir en croisades si cela en vaut la peine mais j’ai vu si souvent ma mère pleurer parce qu’elle n’arrivait pas à nous faire vivre. —Tu as toujours beaucoup compté pour moi, glissa Frank, le front appuyé contre le mien. Tu n’as jamais été une enfant facile Keira. Sers-moi un verre. —Je ne crois pas que cela soit raisonnable.

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—ne me prends pas la tête fillette ! Apportesmoi la bouteille et vas rejoindre Johann dans sa piaule ! » Cela eut le mérite d’être clair. au lieu de prendre la mouche et de feindre la chose je lui apportait la carafe de whiskey m’assit près de lui sur le canapé. On échangea un long regard, lui trônant magnifiquement sue le canapé, semiallongé entre les coussins et la femme de sa vie et moi, jouant les ingénues si parfaite dans ma robe vert d’eau ; angélique et désirable à souhait avec tous ces rubans de taffetas, cette dentelle au col et ses perles de culture. « Je paie cher pour t’entretenir et toi tu te tapes ce trou-de-cul de Mayer, argua-t-il en avalant cul-sec le contenu de son verre, sers -m’en un autre et vas-y franchement, on n’est pas au bar ici ! il a beau être ce qu’il est, il est le seul homme sur terre en qui je peux avoir confiance. On peut parler de loyauté entre lui et moi et il sait tout autant que moi qu’il doit se méfier d’une petite chatte comme toi. Tu n’es qu’une putain, prête à t’offrir au premier venu pourvu qu’il ait des billets verts plein la poche. —C’est à peu près ça. Et c’est bien pour cela que tu m’aimes. Pour mes talents. —Ah, ah ! L’homme qui fat l’erreur de t’aimer est un homme mort. Je ne tiens pas à creuser ma tombe. Que vas-tu faire pour Livingston ? —Ce que tu m’as toujours enseigné : je vais lui donner un avant-goût du paradis, répondis-je la bouche collée à la sienne, ensuite il sera à toi et à toi seul. Tu me remercieras pour les services rendus à la nation et il ne sera plus jamais question d’avilissement entre nous. On partagera les gains fifties-fifties. Je vois que cette idée te fait bander. —Possible. Mais avant ça je vais devoir profiter au mieux de mon investissement. »

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Le lendemain matin, je procédais à une rapide toilette et il me fallut notamment camoufler mon œil au beurre noir, conséquence d’une rixe survenue dans la nuit entre Frank et moi. Il avait eu la main lourde et après de longs préparatifs je fus enfin prête à me rendre auprès de Livingston pour y mendier mon dû quand entra ma sœur Lynne. « Maman m’a dit que tu étais passée hier et j’ai regretté de ne pas m’être trouvée là pour te parler. Maman ne sait pas que je suis ici ; elle désapprouverait. Elle pense que ce monde-là est en tout point différent du nôtre et elle est un peu de l’ancienne école. Je te dérange, peut-être ? —Bien-sûr que non Lynne ? Tu es ma sœur et j’ai toujours du temps pour les miens ! Mais assieds-toi je te prie ! » Elle lorgnait partout et elle paraissait mal à l’aide devant tout ce luxe ostentatoire ; elle pouvait se montrer intimidée par tout cela et cela restait plausible. A peine si elle osa s’assoir et se détendre. Pourtant un sourire naissait à la commissure de ses lèvres et enfin elle ôta son ridicule chapeau pour le poser sur son affreuse robe noire de taffetas marron. La meilleure de sa garde-robe, cela va s’en dire et elle ouvrir les lèvres sans qu’aucun son n’en sorte. « Lynne je compte prochainement vous verser une rente à chacun de vous. Je suis en bon terme avec une banque dont le propriétaire est un excellent ami ! —C’est merveilleux pour toi ! Jamais tu n’aurais pu penser que cela t’arriverait Keira, tu étais le canard boiteux de la maison, celle qui passait sa vie dans le caniveau, les pieds-nus et les cheveux défaits. Tu en auras fait du chemin n’est-ce pas ? Et maintenant tu vas épouser Frank, aussi extraordinaire que cela puisse paraitre. J’ai toujours pensé que tu finirais avec un type comme Mayer-Sachs….comme quoi on peut se tromper.

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—Frank n’a jamais exprimé ce qu’il ressentait. Pour personne. Il a vécu dans la rue et il a du se débrouiller par lui-même pour survivre. Crois-tu qu’il fasse montre de son aptitude à aimer ? Il est généreux et cela prévaut sur tout le reste. Mais pour l’instant nous n’en sommes pas à parler mariage, répondis-je le sourire aux lèvres, c’est à peine si l’on arrive à avoir une idée commune sans en passer par les mains ! —Il te frappe ? —On ne doit pas oublier d’où il vient et d’où nous venons. Entre la Little Water street et la 3ème avenue rien n’a véritablement changé mis à part l’électricité et l’évacuation d’eau sans problème de raccord. Maintenant dis-moi en quoi je puisse t’être utile ? —Je veux ouvrir une pension de famille. J’ai trouvé l’immeuble et….il est merveilleux si tu savais ! Il y a un cours d’eau qui passe devant et un moulin derrière. On pourrait l’obtenir pour une bouchée de pain et….tu sais que nous avons toujours eu envie d’un endroit à nous. C’est probablement un peu trop ce que je te demande mais tu sais que je n’aurais pas un rond des banques parce que mon mari est un bon à rien et parce que ni maman ni les autres n’ont un sou de côté. —C’est une excellente idée ça ! Mayer-Sachs ou Meara pourraient estimer le bien et faire une proposition à l’ancien propriétaire. Qu’est-ce que tu en penses ? » Aucun sourire n’apparut sur les lèvres de Lynne et interdite je l’interrogeais du regard. La voyant triturer ses mains je ressentis son malaise ; à savoir être redevable à quiconque. Nous autres Kennedy étions fiers. Mes mains se posèrent sur les siennes. « Cela ne sera qu’un avis extérieur, Lynne, l’argent sera le mien et mis à ta disposition, n’est-ce pas ce que tu veux ?

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—C’est….beaucoup d’argent tu sais et Frank voudra certainement y collaborer. Or je ne veux pas qu’il finance ce bien. —Pourquoi ? Ne lui fais-tu pas confiance ? » UN silence embarrassant s’installa entre nous et Lynne finir par se détendre pour oser se confier. « Je ne critique pas le travail de Mayer-Sachs et de Meara mais tout le monde donnait leurs méthodes. Ils embauchent des gars peu recommandables peu recommandables et ils font leur sale boulot à leur place. Ils mettent des familles entières à la rue. Ceux qui ne peuvent plus payer leur loyer et….j’ignore si c’est vrai ou non, mais ils veulent réhabiliter certaines rues de notre quartier. Alors tu comprendras que j’éprouve quelques difficultés à collaborer avec eux. —il s’agit de bidonvilles Lynne ! Des endroits indécents et insalubres et ces familles comme tu dis on était relogés ailleurs mais ça personne ne le sait ! On dira toujours des tas de choses fausses sur Meara mais crois-tu un seul instant qu’il jetterait les siens à la rue ? Si tu penses cela Lynne, je ne vois pas pourquoi tu es ici, chez lui ! Réfléchis à tout cela Lynne et reviens me voir quand tu auras les idées claires. —J’ai les idées claires ! Seulement Frank ne m’a jamais aimé. Je suis la sœur grande gueule tu vois, cella qui pourrait nuire à son bonheur en lui extirpant sa fiancée des bras. Lui et Johann ne veulent plus entendre parler de moi. J’aimerai que cette démarche vienne de toi. » Allons bon ! Lynne voulait me faire acheter une maison pour en faire une pension de famille et je devais m’en ternir qu’à cela selon elle. Notre entrevue se termina là et médusée, voire contrariée je la fichais à la porte. Sur le trottoir elle se retourna une dernière fois vers moi. « C’est une superbe baraque qu’il a là. Vraiment la petite fille du ruisseau aura fait beaucoup de chemin pour en arriver là ! »

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Je savais ce que Lynne pensait de tout cela ; pour elle je n’étais pas digne de porter le nom Kennedy et une fois de plus, elle jouait les moralisatrices, brandissant la croix du Christ en scandant des psaumes, déjà gamine elle me sortait par le trou de nez. Alors pourquoi vouloir le fric des gens qu’elle exécrait le plus sur terre ? A la banque de Livingston je fus accueillie avec enthousiasme par les employés et aussitôt on me conduisit auprès du patron ; il avait l’œil lubrique et j’eus l’impression de me retrouver nue devant lui tant son regard se faisait langoureux et après de brèves échanges sur Meara, il me proposa un verre de whisky et un cigare afin de me traiter en égal. Une façon cynique de me remettre à ma place dans ce monde si sexiste. « J’accepte le verre mais le cigare, c’est une toute autre histoire ! J’ai lu l’édition du Post de ce matin et j’ai appris que votre ami le juge passait avec 53% des voix. Il doit se réjouir de ce résultat n’est-ce pas ? Lui dont la politique tend à éradiquer le crime de toute la surface des Etats-Unis ! Ironisais-je le whisky porté à mes lèvres. Ces élections sont une manne pour vos respectifs commerces et les affaires n’en seront que plus florissantes. —C’est un fait oui, mais on ne rentre pas dans la course comme dans un moulin. Nos institutions sont on ne peut plus frileuses et il faut apporter beaucoup de garanties pour avoir une chance d’entrer au panthéon, Miss Kennedy. Or vous n’êtes pas solvable. —Comment ça ? Questionnais-je refusant de croire un mot de ce qu’il venait de dire. Je vous ai déposé plus de cent vingt mille dollars et vous me dites que je ne suis pas solvable ? » Il s’assit à son bureau tout en soutenant mon regard. Ses boucles brunes encadraient ses

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favoris et apportaient encore plus de profondeur à son regard vert très intense. « Oui depuis hier les règles ont changé. Je refuse de faire équipe avec vous, car vous m’avez placé devant uns situation délicate auprès de mes amis et c’est un des cas de figure où ma conscience me dicte la sagesse et me recommande la plus grande de la prudence à votre égard. Nous ne sommes pas à Orange Streets, c’est pourquoi vous êtes une entrave à l’ascension de mayer-Sacjs et de Meara. Je ne peux pas tolérer ce genre de mystification et ….nos relations resteront purement et simplement, amicales. —Je comprends votre position, Aaron. Vous vous dites que je suis la dernière personne à qui faire confiance en ce monde et c’est tout à fait justifier. Je n’ai rien fait qu’il faille la peine qu’on s’intéresse à moi et pourtant, aujourd’hui je me tiens devant vous et comment, si ce n’est parce que deux de vos relations ont eu le bon sens de me sortir de la misère dans lequel j’évoluais pour me donner une chance de m’en sortir. Pour moi c’est une réelle consécration. —Vraiment ? Etes-vous toujours vierge ? —Je vous demande pardon ? —Vous n’êtes plus vierge je suppose. Beaucoup ont du jeter le grappin sur vous et vous avez du monnayer vos services comme on le prête à le croire ici et là. —Je suis vierge, répondis-je froidement. Il restait là à me fixer, tirant sur son cigare des plus détendus. Il vint s’assoir sur le rebord de la table devant moi et souleva mon menton pour mieux y sonder mon esprit. « Pourtant vos yeux mentent. Je jurerai y voir mayer-Sachs dans votre lot…. » Brutalement je me débattis et lui de poursuivre : « ….alors je ne m’étais pas trompé. Vous êtes tous deux des amants d’un genre nouveau. Jamais devant, toujours par derrière !

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C’est ainsi qu’il aime te prendre ? Hum….et la petite garce que vous êtes, doit aimer ça, murmura-t-il au creux de mon oreille, il n’aurait jamais accepté autant d’argent s’il n’y avait eu une histoire de fesses là-dessous. Il fait des envieux. Everett ne parle que de vous. Alors à combien estimez-vous votre prix ? » Contrariée je me précipitai à la porte quand il retint par la taille. Je le giflai quand il attrapa ma bouche avec ardeur ; ainsi collée à lui je ne pouvais m’en défaire et sa langue plongea dans ma bouche. Depuis le temps qu’il rêvait de le faire….En serait-il plus heureux ? J’allais de nouveau le frapper quand il enserra mes poignées et voyant que je ne me déroberais pas, il baisa longuement mon front. « je veux qu’on dine ensemble ce soir. —Non. Il n’en est pas question. » Son regard se fit plus rieur et il baisa ma joue. « Je veux vous louer pour la soirée et votre prix sera le mien. Vous n’êtes qu’une salope de petite Irlandaise, glissa Livingston à mon oreille, alors si je vous demande d’écarter les cuisses, vous le ferez ! » Je plaçai mon canif contre la veine de son cou. « Vous oubliez à qui vous vous adressez. Osez encore poser la main sur moi et je vous coupe les burnes ! Est-ce clair ? Maintenant vous allez vous écartez de moi et me rendre mon fric. Je veux la totalité et maintenant ! —Non, je crois qu’on ne s’est pas bien compris vous et moi ! Ce n’est qu’une feinte Miss Kennedy, vous pensiez vraiment que j’allais vouloir de vous ? Ah, ah ! Je ne veux pas que vous sortiez en pensant que je suis un salaud et que j’ai cherché à vous escroqué. Vous réagissez plutôt bien. Maintenant, asseyez-vous s’il vous plait ! Nous allons pouvoir discuter plus sérieusement. » Au Five points c’était l’enfer ! Alors je comprenais les miens de vouloir quitter ce

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lugubre endroit. Pour rien au monde je ne voulais y retourner vivre. Nous avions connu les bidonvilles et son insalubrité ; pas d’eau courante et pas d’évacuation d’eau sale, en cas d’épidémie, les enfants tombaient les premiers et à défaut d’une sépulture de choix, on laissait leur corps se putréfier au plein air. De five points, je ne devais garder que l’odeur de pisse, de vomis, de foutre et de sueur. Notre immeuble, du moins ce qui nous servat de toit partit en flammes en cours d’un rude hiver et ma mère trouva à nous loger chez des patriotes. Avec ses sœurs Deirdre et Lynne je restais deux jours chez une affreuses tante dont l’un des mouflets claqua dans mes bras. Comme l’a précédemment souligné Lynne, j’ai grandi dans le ruisseau, toujours collée à mes ainés : Aedan et Neal, les autres restant inaccessibles en raison de leur âge et de leurs activités ; Meara et Mayer-Sachs me prirent sous leurs ailes. Saoirse ouvrit la porte du logement de ma mère et en me voyant poussa un cri de joie. « Oh ! Regardez qui voilà ! C’est la future Madame Meara maman ! Mais rentres donc ! ne reste pas plantée là ! Maman dit que tu pourrais me trouver du travail chez les riches. Je ne suis pas plus bête qu’une autre ! —Saoirse, laisses ta sœur veux-tu ? Ta sœur et moi allions sortir. Pourquoi ne pas nous accompagner ? On va chez Byron et Mcgeirard. Saoirse, prends ton manteau et ne lambines pas ! » Dans les ruelles putrides, je fus en grande difficulté avec mes jupons et ma robe à tournure. Saoirse insista pour prendre la voiture et son enthousiasme fut pénible pour qui l’entendait ainsi hurler et s’extasier devant tout ce qu’elle voyait. Ma mère cependant ne semblait pas apprécier la promenade, tout autour de la voiture se pressaient les riverains peu décidés à avancer. Le crin-crin d’un violon nous

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parvint et quelque part des chants irlandais nous arrivèrent. Dans sa robe de veuve, ma mère s’agita et elle tritura son gant de cuir noir pour finir par extraire son mouchoir.de sa poche ; « Je ne veux pas que tu donnes de faux espoirs à tes sœurs Keira. Ce pseudo-mariage et la vieille bâtisse que ta sœur veut te faire acheter. C’est de la pure folie et je ne peux laisser faire ça. —Maman tu ne disais pas cela hier à cette vieille chouette de Donovan ! Tu lui en as mis plein la vue avec la situation de Keira. Maman ne veut pas se l’avouer mais elle ne parle à tout le monde, matin et soir et elle voudrait te faire croire que ce que tu fais est mal ! Ah, ah ! C’est tout elle ça ! —Si cela peut te rassurer, j’ai l’argent avec moi maman. J’ai sorti ce que j’avais à la banque de Livingston pour vous mettre à l’abri. Je me fiche de ce que vous en ferez, tout ce qui m’importe c’est que vous sortiez de ce quartier. —Oh, tu entends ça maman ? On va enfin être riche ! On va enfin se tirer de là pour de bon ! » Allongée sur le lit je me laissai défoncer le cul par myer-Sachs. Chaque coup de rein me coupait le souffle et bien qu’il se montrait moins expéditif, je ne pouvais dissimuler mon mal être face à ses coups secs et imprévisibles. La main crispée sur la sienne, je songeai à ma famille et au bonheur de cette dernière une fois qu’elle serait installée dans leur nouvelle demeure. Leur bonheur n’avait pas de prix. Je fus tirée de mes pensées par un brutal coup qui me fit hurler de douleur. Il me besogna encore et encore. Je ne pouvais retenir son ardeur toute bestiale et au moment où il jouit, je sentis le matelas se dérober sous mon corps. « Je vais partir pour la Californie et je veux que tu viennes avec moi Keira. Ce n’est pas ce que tu voulais ? ivre avec moi ? —La Californie ? »

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Je quittais le lit avec précipitation pour enfiler ma robe de chambre de damas cramoisi et j’allumai une cigarette, perdue dans mes penses. La Californie. Pour rien ne monde je voulais partir pour la Californie au milieu de ces mexicains, ces peaux-rouges et ces hors-la-loi. « Je ne crois pas vouloir partir pour la Californie. C’est au bout du monde et je ne veux pas prendre le risque de tout quitter pour aller crever de faim là-bas ! Je me suis faite à cette vie, u comprends ? —En somme tu me demande d’aller me faire foutre ? tu ne prends pas assez ton pied avec moi et tuèmete mets à penser comme ces pétasses de la 5 avenue, nota-t-il en remettant les bretelles de son pantalon. Il se servit un verre de whiskey. Tu ne m’ôteras pas l’idée que tu n’es pas faite pour cette vie. Il te faut de l’action et comment en obtenir sinon qu’en se rendant en Californie ? —Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Je suis à deux doigts de conclure avec Livingston et je pensais avoir ton soutien sur cette affaire, mais je constate que non ! tu as de l’argent ici, Johann ! Assez pour mettre tes enfants et petitsenfants à l’abri et toi tu veux tout risquer pour la Californie ? —Si tu te figures que tu vas te taper Livingston alors moi je suis roi d’Angleterre Keira ! Depuis le début il se moque de toi. Il n’a que faire d’une petite irlandaise grippe-sou comme toi. Frank a du déjà te mettre en garde contre ce type. —Oui, mais….il y a autre chose. Je crois qu’il s’est persuadé qu’il m ferait un parfait amant et je compte bien goûter ce vin jusqu’à la lie. Je dirais même jusqu’à plus soif. Il sait pour nous deux et il a laissé entendre qu’il accepterait de m’entretenir. —d’accord Keira ! je te donne un mois et si à échéance tu n’as rien conclu avec cet homme,

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plus jamais il ne sera être question de rester ici. Il en sera fait de ta réputation et ni Frank, ni moi ne pourrons rien pour toi. » La vente aux enchères avait lieu à dix heures. La bonne société de New York y serait. Assise au fond de la salle, je prenais note des lots sans enchérir en raison de mon ignorance sur ces œuvres d’art et après une heure, je commençais à montrer des signes évidents de fatigue. « Vous êtes bien la dernière personne que je pensais trouver ici Miss Kennedy ! —a vous écouter, on ne me verra nulle part que dans un lit et après le baiser volé dans votre établissement, je crois qu’il n’est pas concevable que l’on fasse affaire tous les deux, au bien cela pourrait finir par physiquement nous tuer tous les deux ! —Ah, ah ! Vous n’avez jamais manqué d’audace et ce trait de caractère est une aubaine dans la fonction que vous exercée.. —De quelle fonction parlez-vous ? —Amateur d’art, évidemment ! Depuis un petit moment que je vous observe et vous n’avez misé sur rien. A croire qu’elle vous fasse défaut quand il s’agit de miser contre un adversaire dont vous ignorer la valeur. —C’est à peu près ça. J’avoue surtout ne pas m’y connaitre. Rien ne différencie un tableau d’un autre si ce n’est la signature mais pour le reste. —Alors laisses-moi éclairer votre lanterne ! » J’en eus assez de l’entendre et je quittais ma chaise pour sortir. Je hélai une voiture quand Livingston me retint par le bras. Etrange comme les hommes aiment chasser, une proie imaginée facile à traquer qui leur échappe devient une réelle partie de plaisir. Il s’adonnait à ce loisir avec fougue et je ne cessais de penser qu’il aimait se mettre en danger dans ce monde dont il pensait tout connaitre. Un baiser volé et voilà qu’il se mettait à chanter sous la pluie. Sa main

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glissa le long de mon bras et je détournai la tête sans chercher à le regarder. « Si ce n’est le marché de l’art nous trouverons autre chose Miss Kennedy. Et pourquoi pas les chevaux ? En toutes Irlandaises qui se respectent j’imagine que vous aimez les canassons. —Je pensais rentrer chez moi et….me vider la tête de toutes ces horreurs dont on m’a garni la tête depuis trois jours. Et entre nous, je ne crois pas que ma compagnie vous soit rentable. Bonne journée Mr Livingston ! » Quelques pas en amont sur les trottoirs bondés de cette avenue avant qu’il ne me rattrapa, serrant le pommeau de sa canne comme d’autres désespérés auraient trouvé secours dans un geste plus héroïque. Cette canné, accessoire de cette haute-bourgeoisie représentait à elle seule tous les artifices de son monde ; il s’accrochait à elle comme à sa Foi. « Miss Kennedy, je reçois le mardi et je serais flatté que vous passiez à l’occasion. » Comme je ne répondis rien, il n’insista pas. Et Lunne insista pour que je vienne visiter le propriété dont elle venait de faire l’acquisition. C’était ravisant, bien plus que je ne l’eusse imaginé. Cette demeure et le reste tenait de l’idyllique ; vaste terrain vert, dépendance pour le bétail et de quoi planter et cultiver pour plusieurs saisons et ma mère ainsi que mes sœurs œuvraient à faire de cet édifice un havre de paix. Déjà la maison accueillait ses premiers résidents : des cousins et cousines venus pour les travaux de réfection et partout les cris de joie des enfants courant ça-et-là. Ma mère semblait avoir retrouvé son sourire et en parfaite maîtresse de maison menait tout ce petit monde à la baguette. Profitant d’un court moment d’accalmie, maman me prit par la main pour me conduire au fond d vaste jardin.

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« Que vas-tu faire maintenant ? Comptes-tu repartir ou t’installer ici avec nous ? Tu as vu qu’il y a assez de chambre ici pour t’accueillir de nouveau. Personne ne te blâmera d’être revenue vivre près de nous et cela fera tant plaisir à tes sœurs. Tu ne peux pas seulement être là de passage…. —Maman je comprends ton point de vue mais je suis heureuse avec Frank et…. —Mais tu vis dans le pêché ! Finit-elle par lâcher, la main sur la bouche. Tu n’es pas mariée ! Je n’aurai pas permis cela à aucune de mes ainées, c’est trop difficile pour nous autres catholiques. Tu vis avec deux hommes dont on connait les mœurs dissolues et ton père se retournerait dans sa tombe, lui et tous les autres Kennedy qui n’aient pas foulé le sol américain ! Epouse Frank et mène ensuite la vie que tu veux, mais tu ne peux survivre de cette façon car un jour tout prendre fin sans que tu l’aie vu venir. Si tes frères apprennent ce que tu es devenue….je m’inquiète et c’est légitime de la part d’une mère. —Je ne suis plus une enfant maman, tu n’as pas à t’inquiéter ! Préoccupes-toi plutôt de Saoirse, elle est pressée de quitter le foyer. —Et tu ne te demande pas pourquoi ? tu as toujours été un modèle pour elle et comment pourrais-je rester crédible quand elle voit de quelle façon tu gagnes ta vie ? A ton âge j’étais déjà mariée et mère de famille. —Etais-tu heureuse pour autant ? Je ne veux pas refaire la même erreur que toi et Deirdre et je n’envie pas la vie conjugale de Lynne. Etre obligée de se cacher de son mari pour vivre sa vie sans se retrouver rouée de coups…. —ne te crois pas plus fûtée qu’elles Keira. Aujourd’hui elles marchent dans la rue avec fierté, peut-on en dire autant de toi ? » En rentrant à la maison ce soir-là je pleurais dans ma luxueuse chambre, n’ayant plus goût à

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rien. A table les hommes remarquèrent mon chagrin et Frank le premier desserra les lèvres. Il repoussa son assiette et alluma son cigare. « Alors Keira, qu’allons-nous entendre sur ta journée à la campagne ? Comment allait notre Margareth Kennedy et sa flopée de mouflets ? Une pension de famille, c’est beaucoup de travail mais dans la famille Kennedy vous semblez aimer les défis. N’es-tu donc pas heureuse pour eux ? —Ai au contraire, je m’en suis réjouie bien avant l’achat de ce propriété, seulement…. —Keira est inquiète, boyo parce qu’elle n’a plus un rond. L’argent a servi en grande partie à cet achat et voilà ce qu’il advient quand on vit une vie qui n’est pas la sienne. A présent tu devrais peut-être la laisser tranquille avec toutes tes questions déroutantes ? —Al ferme ! Enchaina Frank tapant du poing sur la table. Quand j’aurais besoin de t’entendre parler Johann, je te le ferais savoir ! J’en ai plus qu’assez que tu t’immisces entre nous ! —Il va pourtant falloir que tu t’y habitues. Je vis sous le même toi que vous deux et tu n’as pas à me parler comme tu le feras pour l’un de tes subordonnés. Ici j’ai autant droit à la parole que toi pour le cas où tu l’oublierais. —Oh, ce n’est pas vrai, murmura Frank les mâchoires serrées tout comme ses poings prêts à s’abattre sur Johann. Il faut vraiment que tu apprennes à la fermer parce que là tu échauffes mes nerfs. —Et ensuite ? Tu vas te mettre à me frapper comme l’autre fois ? Ou bien tu vas t’en prendre à Keira, une fois que j’aurais le dos tourné ? —Johann, s’il te plait, intervins-je. Son regard plongea dans le mien et il se tut. Ma famille est très heureuse là-bas et pour l’heure c’est tout ce qui m’importe. —Dis-lui Keira.

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—Qu’elle me dise quoi ? » Johann se leva et vint poser sa main sur mon épaule. Aussitôt je baisai les yeux, refusant de parler de ce projet qui n’avait pas encore de finalité dans mon esprit. « Je lui ai proposé de venir avec moi en Californie. Le climat est des plus sains là-bas et une nouvelle vie l’attend dans cet Eldorado. Et comme tu l’as si bien déclaré, les Kennedy aiment les défis. Celui-ci est de taille n’en conviens-tu pas ? —Tu te fous de moi ? —Je ne crois pas. Mentir ce n’est pas dans mes attributions. Elle aurait accepté si toutefois ce Livingston n’était pas un obstacle à sa décision finale. Tu lui as mis dans la tête qu’elle pourrait attraper ce banquier avec son joli minois et je lui ai donné un mois pour se raviser. —elle sait pourtant que c’est absurde. —Pas autant que tu ne le crois. Il est célibataire, seul et son équilibre est plus facile qu’on ne le pense. Toute sa vie on lui a dit que l’argent faisait le bonheur mais aujourd’hui il se rend compte que ce qu’il désire le plus ne peut s’acheter. Il en souffre, plus que vous ne le croyez et plutôt que de l’admettre il vit dans la frustration et la douleur. Le jour où il réalisera que son cœur bat, il sera vulnérable et incapable de se raisonner. Laissez-moi un mois, après quoi il vous racontera tout ce que vous voulez entendre sur son Empire. N’est-ce pas là une pierre à apporter à votre édifice ? » Impossible de trouver le sommeil cette nuitlà. A pas de loups je quittais ma chambre pour gagner celle de frank. On s’embrassa de longues minutes de façon langoureuse. L’extase et j’éprouvai du plaisir quand il baisa mon dos, des omoplates à la cambrure de mes reins. J’allais m’abandonner à ses baisers experts quand Johann se glissa entre nous. Il s’agrippa à mes hanches pour me sodomiser tandis que Frank

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glissait sa langue au fond de mon palais. Au moment où Johann allait jour je me retournai pour mordiller sa bouche. Il aimait ça que je le mordille. On passa ainsi la nuit les uns contre les autres. C’était divin, un plaisir coupable et plus encore quand les baisers de Frank chatouillèrent mon entrejambe. Les mains dans ses cheveux, je jouis si fort, l’orgasme fut si intense que je m’élevai hors du lit. Et comme tous les vendredis, la soirée poker eut lieu à notre adresse. Livingston arriva avec du retard sur son horaire habituel et contrairement à ce que j’eusse pensé il arriva sans chercher d’excuses. Le maitre d’hôtel lui prit ses effets personnels et notre regard se croisa. « Pourrais-je espérer un sourire ce soir, Miss Kennedy ? il serait dommage de gâter un si beau visage si vous le privait de la moindre expression de joie. A ce sujet j’ai quelque chose pour vous, déclara-t-il à voix basse après s’être convaincu que personne ne le regarderait, oui c’est une petite babiole…. » Il n’eut pas le temps de finir que déjà frank le héla au fond du couloir. I y eut des accolades et des embrassades et une fois le calme retombé dans le vestibule j’e décachetais le paquet pour tomber sur des boucles d’oreilles en forme de poires. Probablement des diamants… « Jasper, remettez ceci dans le manteau de Mr Livingston : Cela a du tomber de sa poche par inadvertance. —en êtes-vous certaine mademoiselle ? Eut-il l’audace de me demander. Parce qu’il m’a semblé qu’il vous l’ait remis et un tel présent ne se refuse pas. » Le diner fut long et ennuyeux ; ces hommes ne parlaient que de politique et d’argent. Mason plus que jamais parlait beaucoup et Mikkelsen, jamais. Il préférait de loin laisser la parole à ces véreux hommes d’affaires. Le champagne

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coulait à flot et vêtue pout l’occasion d’une robe de satin blanche à rayures parmes, il me semblait être en représentation ce soir-là sas parler de ce diadème et de ses longs gants venant compléter cette tenue commandée pour l’occasion à la modiste en vogue de notre quartier. « Les bourgeois s’encanaillent et les racailles prennent du galon ! Déclara madon dans une conversation que j’avais point suivie mais dont la dernière sentence eut pour effet de me sortir de ma torpeur. Les résultats des élections municipales se sont jouées à quelques points près et on doit le salut de notre parti par la bonne grâce de ses représentants qui ne sont ni des conservateurs, ni des autocrates. On progresse efficacement. On pourra un jour tout se féliciter d’avoir joué un rôle actif dans ce magnifique imbroglio ! —Ah, Mason ! Vous continuez à penser que ce gouvernement, comme ses Etats ou toutes leurs circonscriptions sont dirigés par des anges ! Renchérit Livingston. Si tel était le cas, cela se serait et nous aurions pu à nous rendre aux urnes. Le progrès réside dans la diversité que cette ville de New York a à nous offrir. Le succès aussi minime soit-il ne doit pas nous étouffer. » Johann posa son regard sur moi. Un regard pénétrant et emprunt de douceur. Le champagne ne m’avait pas encore grisée et encore en pleine faculté de mes esprits je restais candide et imperméable à toutes ces discussions ; plus tard je les noterais sur mon carnet et ce résumé servira à ma gazette. Je tenais toujours à écrire malgré les récriminations maternelles. En cet acte libérateur je m’affranchissais de notre avilissement pour m’ériger au-delà de ma simple condition de dame de compagnie et de demi-mondaine.

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« Qui plus est on pourrait se méprendre sur tes intensions Everett, persifla Johann peu décidé à me lâcher des yeux. Si la racaille doit quitter le caniveau, elle gagnerait à le faire si vous et vos amis de la Chambre des représentants accordaient plus de crédit à leurs besognes, jugées nécessaires pour le bien-fondé de notre économie. —Ah, ah ! Mayer-Sachs a-t-il une conscience ? Railla Mason et pointant son couteau vers lui, il poursuivit : ceux qui y parviennent doivent pour se faire capitaliser assez de crédibilité. Il ne s’agit pas de paraître en gentleman pour s’en octroyer le droit, faut-il encore se plier à nos règles. —Ecrites et votées par des fils d’immigrés, des parvenus et des enfants de putain ! » La dernière réplique de Johann me fit sourire d’une oreille à l’autre ; il était comme un train lâché à pleine vapeur filant à vive allure à travers les plaines désertes de l’Union et sur le devant de laquelle la bannière étoilée invite chacun de nous à un sentiment patriotique. Ce plaisir pourtant fut de courte durée car Livingston me voyant sourire ôta son cigare de ses lèvres ourlées. « Cela ne veut pas dire qu’il faille accepter la lie de cette société. Certains ne sont bons qu’à remplir nos prisons fédérales ou bien s’agiter mollement au bout d’une corde. On compte dans la ville de New York plus de criminels et d’enfants de pute que l’Etat de Californie ne serait en compter. « Un frisson parcourut la racine de mes cheveux pour aller se perdre le long de ma colonne vertébrale. L’idée de finir à la branche d’un arbre ne m’enthousiasmait guère et le fait d’être une femme me poussait à reconsidérer l’offre de Johann. Les femmes de l’ouest aussi vertueuses soient-elles finissaient par assouvir le désir des hommes.

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« Pourtant c’est déjà le far west ici, Mr Livingston ! Nous n’avons droit qu’à un seul coup et si la mort ne vient pas vous chercher, la justice s’en charge très bien. Ce qui nous différencie de ces sauvages ne sont pas seulement nos manières mais notre sens aigu de la corruption. —Et voilà notre jolie demoiselle transformée en accusatrice publique ! La différence entre vous et moi, Miss Kennedy est que je dispose du droit de vote et que mon argent sert à ériger le monde dans lequel vous vivez demain. C’est aussi simple que cela. Et là où vous voyez de la corruption souffle un vent altruiste balayant toute la merde du caniveau pour rétablir un semblant d’ordre. —Alors je suppose que les électeurs ont raison de vous encenser quand vous déplacer plus de cent vingt-trois foyers pour élargir de nouveaux docks. Or à ce jour ces foyers n’ont toujours pas de logement digne de ce nom. En somme vous ne faites que déplacer le problème. » Le sourire s’effaça de ses lèvres. Il allait répondre quelque chose, certainement plus cinglant quand Livingston desserra les lèvres. « Ce genre d’affectation ne se fait pas au doigt levé. Il faut parfois plusieurs mois de paperasses pour reloger le tiers des candidats et quand enfin nous avons l’accord de la municipalité, il nous faille encore attendre que les promoteurs donnent leur aval. Nous sommes face à un problème de délais administratifs. —Keira le sait bien. Elle ne dit cela que dans l’espoir de vous voir vous indignez contre son genre de fréquentations féministes et socialistes, argua Frank en faisant signe au valet de le servir. —Et puis tout le monde n’a pas votre générosité Miss Kennedy ! J’ai appris dernièrement qu’une certaine Kennedy aurait

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acheté une propriété sur le bord de l’Hudson à cinquante huit mille dollars ! lança Everett plus sournois que jamais. Il caressa son nez tout en lisant l’inscription gravée sur son briquet en or massif. Une telle somme d’argent est….presque toujours… —…la garante d’un succès diplomatique face aux problèmes de son district ! Termina Livingston, voyant que notre débat prenait une pente bien dangereuse. C’est une famille de moins à reloger par la suite. » Après le souper je montai chercher un châle. Arrivée au premier étage, je repris mon souffle sur le palier et j’allais poursuivre mais Johann eut raison de ma lenteur ; il m’attrapa par la main et me poussa dans une alcôve de porte. Là il enserra mon visage entre ses mains pour me voler un long baiser. Cela m’effraya et plus encore quand sa main caressa ma poitrine menaçant de passer par-dessus mon corsage. « Tournes-toi ! —Non ! » je le repoussai, décidée à ne pas céder à ses brulants baisers et à ses fougueuses étreintes. Il refusait de me lâcher et continuait à me couvrir de baisers. Puis avec fougue il souleva ma robe. « Je n’attendrais pas d’être en Californie pour faire de toi ma femme ! tu vas prendre la la valeur ce soir…. » Il déboutonna son pantalon et glissa entre mes jambes. « Jo, attends ! Attends, attends ! Je ne veux pas que tu gâches tout. Attends ! Tu dois te montrer patient et…tu obtiendras ce que tu veux de moi le moment venu, mais pour l’heure nous devons rester sages et…. —Non ! Je ne te partagerai avec aucun autre. Je ne veux plus que tu te comportes comme une trainée quand j’ai assez d’argent pour t’entretenir. —Johann, attends…. »

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Sa main se posa sur ma bouche et il me pénétra avec rage, tant et si bien que j’en fus morte de douleur et d’écœurement. La première fois avec un homme je l’avais imaginé autrement. Quand j’étais plus jeune, les filles à peine sortie de l’enfance se faisaient déflorer par de parfaits inconnus au coin d’une rue. Il leur remettait une pièce ou pas et elles se barraient, marchant les jambes écartées. A croire que je n’étais pas différente de ces chattes errantes de Five Points, Peut-être seulement étais-je plus chanceuse dans mon malheur ? Il enfonça ses doigts dans ma bouche tout en me clouant contre le mur et quand je me fus calmée, il prit le temps de se montrer tendre avec moi. Il me souleva hors de terre pour me porter dans sa chambre et m’allongea sur son lit. « C’est avec toi que je partirais pur la Californie, susurra-t-il couché sur moi, son pénis enfoncé jusqu’au fond de mon vagin. Le moindre de ses mouvements me déchirait le sexe et crispée sur le tissu de sa jambe de pantalon, je cherchais à concentrer mon regard ailleurs. « Regardes moi Keira. Keira ? Je te donnerais tout mon fric si tu….on ira trouver un père demain et il bénira notre union. L’argent, je n’en ai pas besoin. Keira, cet argent est pour toi. Tu comprends ? Keira, tu apprécieras la vie que je te promets, je t’en fais le serment. »

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CHAPITRE En quittant la maison ce matin-là, je ne pensais pas être suivie. Deux types d’une discrétion sans borne me filaient le train et m’apercevant de la chose, je tentais de me cacher pour fuir leur filature. Qui étaient-ils et que me voulaient-ils ? Ils pouvaient bien travailler pour Meara ou Mayer-Sachs ; l’un comme l’autre étaient suffisamment déterminés à me garder près d’eux. Mais à y bien réfléchir, je ne voyais là aucune signature de leur empreinte, ces deux là ignoraient tout de l’art de la filature et après m’être cachée dans une ruelle, je les regardais passer avant de prendre une direction opposée à la leur. Ma voisine Diane Hollisworth m’attendait dans son salon et ses chiens vinrent à moi en jappant. On essayait de se voir chaque semaine pour prendre le thé et échanger sur les derniers potins à la mode. Mais ce jour-là son enthousiasme fut plus ménagé et force de constater que le thé n’était pas préparé. « Miss Kennedy j’ai entendu des tas d’histoires monstrueuses vous concernant au cours de ces derniers jours et cela m’a laissé pour ainsi dire sans vox. Je crois bien que mon pauvre Richard se retournerait dans sa tome en l’apprenant. Cette maison est respectable et….vous auriez du me dire la vérité depuis le début. —quelle vérité Mrs Hollisworth ? —Et bien, cest hommes et vous ! Quand je vous a vu arriver ici la première fois, chaudement recommandée par Mr Meara je me suis dite que vous étiez un ange envoyé sur terre pur soulager le fardeau quotidien par votre plume mais la vérité est erronée, corrompue ! Ma source qui est fiable, très fiable et quand on est venu me rapporter vos agissements….par tous les saints ! Nous sommes toutes deux

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Irlandaises, Miss Kennedy et j’accorde une très grande importance à la vérité. Il m’a dit que vous entreteniez des rapports très étroits avec mayer-Sachs et…. —Il vous a dit ? Donc votre source est un homme, déclarai-je le cœur battant à rompre. Je pensais que seules les femmes étaient capables de pareille bassesse. —Ma source m’a dite que vous ne comptiez pas vous marier pour vivre dans le péché de la chair et je peux tout entendre jeune fille mais vous auriez du me dire depuis le début que vous entreteniez un quelconque rapport charnel avec cet homme. —Je vois. Alors je suppose que nous n’avons plus rien à nous dire. Il est préférable de que je parte de moi-même Mrs Hollisworth ! —Voyons Miss Kennedy ne le prenez pas ainsi ! Seulement plus aucune de mes relations ne voudra vous voir si elles venaient à l’apprendre. Une réputation c’est tout ce qu’une femme possède ! » Sans l’aide et le soutien de Mrs Hollisworth je n’étais plus rien, elle disposait d’un important réseau mondain et sans son pouvoir j’allais être comme un radeau en pleine mer. J’aurais beau faire un feu avec ce qu’il me restait de voile, aucun navire ne me verrait au large et jamais plu je n’aurai la chance d’apercevoir de beaux rivages, de verts pâturages garant d’une vie aux frugaux plaisirs. Il s’agissait probablement de l’œuvre de Johann lui-même, après tout n’étaisje pas déjà sa femme ? Effondrée je m’allongeai sur mon lit, incapable de faire autre chose qui en vaille la peine. On frappa à ma porte et entra Frank. « Qu’est-ce que tu fais ici ? ne devais-tu pas sortir à ton déjeuner avec le beau monde ? —Il n’y aura plus jamais de déjeuner en ville, Frank, répondis-je la tête posée dans la commissure de mon bras. J’ai été stupide de

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croire en tout cela et une fois de plus j’aurais du écouter ma mère. » Il s’assit sur le rebord du lit et glissa un rapide regard interrogatif dans ma direction. « C’est ce que tu crois, mais moi je reste convaincu du contraire. Tu t’es affranchie du joug de ta mère une bonne fois pour toute et ce n’est pas rien. Pour cela tu auras me reconnaissance éternelle et puis tu es heureuse ici, non ? Tu as assez de papier pour écrire, tu as de beaux vêtements, un attelage et des domestiques. Qu’est-ce qu’une femme peut espérer de mieux, hein ? Dis-le-moi et je ferais le nécessaire. Qu’est-ce qui manque à ton bonheur ? Tu veux…tu veux te marier ? Je te donnerai de beaux enfants et nous n’aurons pas à nous en faire pour eux. Tu sais comme moi qu’ils ne manqueront de rien. —Si tu voulais un ventre, il ne fallait pas t’adresser à moi je n’ai pas la fibre maternelle. —Mais on peut également vivre sans enfants. On pourrait décider de vivre comme mag Susan et oncle Sean ! Tu te souviens d’eux n’est-ce pas ? Ils recueillaient tous les gosses des rues et les chats errants. On pourrait faire comme eux et attirer la sympathie de notre entourage, argua Frank tout en me caressant le bras. Quand je t’ai dit de venir ici, je voulais surtout que tu sois heureuse….ici….avec nous….et en toutes circonstances. Je pense savoir ce qui t’accable. Tu te demandes si tu dois encore nous faire confiance et je peux cependant affirmer que tu ne te trompe pas en choisissant de te joindre à nous. —Seul l’avenir nous le dira, répondis-je en m’asseyant près de lui. je t’aurais pensé moins perfide que cela. Tu sais très bien de quoi je veux parler Frank, il n’était pas nécessaire de me griller auprès de Mrs Hollisworth en supposant que cela soit toi. Tu n’as pas pensé

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que cela se retournerait également contre vous qui ‘offrez ce toit. —De quoi parles-tu ? —Je savais que tu arborais cette expression de surprise sur ton visage mais je ne suis pas dupe. Cela a toujours fait partie de ton plan. —Veux-tu bien dire de quoi il retourne exactement ! —De ma relation sodomite avec MayerSachs. Oses-tu nier ta participation à cette fable ? Mais avant cela je dois t’annoncer que je ne suis plus vierge. Johann s’est chargé de me déflorer ce qui anéanti doublement mes chances de succès auprès de Livingston. Dieu sait qu’il aurait payé cher la compagnie d’une vierge. —Cela s’est passé quand ? —Peu importe. Il est entrain de mettre un fossé entre vous et il remportera la partie si tu le laisses glisser dans mon entrejambe, murmuraije la main posé sur son pénis ferme et prêt à me donner du plaisir. Il sait ce qu’il doit faire pour que je sois à lui….pourtant, je sais que tu en a envie toi aussi….tu sais que tu as toujours eu ma préférence….et tu sais que je serais prête à faire n’importe quoi pour toi. —Tu n’es qu’une salope de petite irlandaise, répondit-ile tandis que je lui montai dessus et il couina quand je lui mordis sa langue m’empalant doucement sur son sexe. « Tu n’es qu’une putain. —Mais c’est ainsi que tu m’aimes. » Son premier coup de rein m’arracha un cri de jouissance et la tête sur son épaule, je me perdis dans mes pensées. Johann me voulait tout à lui et bientôt ils s’entretueraient pour avoir l’exclusivité d’une nuit en ma compagnie. Mes doigts se posèrent sur les lèvres de Frank et il se laissa pilonner, ses yeux plongés dans les miens. Johann insista pour me conduire en virée peu après seize heures et on se retrouva dans une sorte de tripot où les hommes fumaient des

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cigares en sirotant des vins spiritueux. Cela m’embarassait de me retrouver ici au milieu de tous ces bourgeois ventripotents, suffisants et au regard concupiscent ; les seules femmes sur place me regardaient comme si j’eusse été leur rivale. « A boire l’ami ! Apporte-nous ta meilleure bouteille de Porto ! Fanfaronna Johann administrant une bourrade amicale au maitre d’hôtel. De ton excellent Porto et du whisky que je t’ai fait mettre de côté. Détends-toi Keira, on est là pour prendre un verre ! S’il te plait, souris un peu ! —Tu attends quelqu’un d’autre peut-être ? Tu n’arrêtes pas de regarder derrière cette cloison. —Non, je….il n’y aura que toi et moi ce soir ! Mais apparemment tu es déçue, tu aurais préféré de la compagnie plus distinguée comme ce Livingston par exemple. Ah, ah ! Ici c’est ma crémerie. J’y descends pour boire un verre ou deux après une journée bien harassante et là….je savoure l’instant. —Je suis contente de l’apprendre. Ah, voilà ton Porto ! Tu vas me dire ce que tu en penses ? (Il me servit une copieuse rasade) vas-y, bois ! —Tu comptes me saouler ? —Ah, ah ! Je me sens tellement bien ici. Je n’ai pas besoin de plus. Demain….tu viendras avec moi à la banque et je ferais de toi une femme riche, très riche. Je compte te laisser tout mon fric. J’ai une opportunité d’emploi et je ne vais pas la louper. —Quoi ? Que veux-tu dire ? —Je vais prendre un nouveau départ Keira. Tout recommencer à zéro. » Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait alors, je refusais de l’entendre. Le porto je l’avalais cul-sec et mes yeux s’embuèrent de larmes. Il ne pouvait m’abandonner, me laisser seule ici quand il irait affronter maints dangers à l’autre bout de pays.

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« Alors ? Qu’es-ce que tu penses de ce porto ? C’est une tuerie, non ? —En as-tu parlé à Frank ? Je serais curieuse de savoir ce qu’il pense de tout cela. —Frank. Frank. Frank. Depuis le début ça a toujours été Frank et tu vois, je ne veux pas faire comme s’il n’y avait rien entre vous. Il t’a dans la peau. » J’éprouvais des difficultés à déglutir. A tout moment je risquais de fondre en larmes. Ses yeux me sondaient et s’arrêtèrent sur mes lèvres. « Je ne rentrerai pas Keira. Pas ce soir. Aucun soir du reste. Je ne veux pas avoir à supporter tes reproches et à devoir me justifier quand je ne trouve pas la nécessité de le faire. —Et tu me laisserais à un homme qui ignore ce que je ressens pour toi, soupirai-je, une larme coincée entre mes cils. Je pourrais vivre le restant de mes jours près de lui mais je ne m’en sens pas capable et j’ai renoncé à ce bonheur pour vivre à jamais près de toi. Et tu parles de partir, t’exposer à tous les dangers et tu sais que cela va à l’encontre de ce quoi tu avais imaginé. Je ne peux pas croire que tu sois seulement une queue avide de plaisir. Tu es bien autre chose Johann et j’ai appris à le voir ! —Alors n’aies pas peur de le dire à haute voix ! Je veux te l’entendre dire maintenant. Je veux t’entendre dire : je t’aime Johann ! En estu seulement capable ou serait-ce encore l’un de tes nombreux talents de faussaire ? —Tu as raison, je ne peux te le dire mais cela ne fait pas de moi un monstre sans cœur. Pourquoi veux-tu partir si vite ? Nous nous étions mis d’accord pour un mois et ton départ reste précipité. Pourquoi ? —Je viens de te le dire. On me propose un emploi dans l’ouest, répondit-il les coudes sur la table le vissage dissimulé derrière des volutes de

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fumée. Je m’étais dit qu’on pourrait passer la journée ensemble. —Johann…..je ne veux pas ton argent. C’est….c’est toi que je veux et je ne veux pas être seulement là quand tu as besoin de te vider les couilles, je veux être là pour t’aimer. » A califourchon sur son entrejambe je mordais sa lèvre tout en montant et redescendant sur son phallus. J’avouais aimer cela et tels des amants prisonniers du relation bien compliquée, nous baisions dans cette sorte de cagibi poussiéreux et puant le whisky ; il n’y avait pas de lit, alors nous le faisions sur cette chaise disposée devant le vieux rideau pendant mollement à la tringle. Le peu de lumière nous parvenant éclairait timidement nos visages partagés par la jouissance et le désir de s’appartenir à jamais. Les doigts dans ma bouche, Johann me faisait sautiller sur son énorme pénis dont le gland semblait vouloir percer mon vagin à chaque nouvel élan. On baisa comme des lapins, des chiens et des félins ; aucun de nous ne voulait cesser et ce ne fut qu’à la nuit tombée qu’on prit conscience de notre faiblesse. « Tu dois rentrer maintenant. Je te retrouverai demain, comme prévu. » Je finissais de remettre mes cheveux en place, fixant mon reflet dans ce bout de miroir. Johann déposé un long baiser dans mon cou. « Fais attention à toi, d’accord. Je n’ai aucune confiance en ce Livingston et ce n’est pas toujours facile à voir mais, il est possédé. Le diable l’habite et s’il avait été Irlandais, cela aurait été une autre affaire ; je le déteste pour ce qu’il est et ce qu’il représente. Meara lui mange dans la main parce qu’il tient les rênes du pouvoir et notre ami à de grands aspirations. Un peu comme toi, à la différence que tu es une femme et qu’il sera facile de te faire disparaitre. Une autre te remplacera sitôt que tu auras fini de le contenter.

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—Je vais en prendre note, Jo ! » Et il m’escorta jusqu’à la porte de notre résidence. Il refusa d’y rentrer et seule dans cette grande maison, je tournai en rond, incapable de prendre une décision. J’essayais d’écrire mais aucun mot ne fut assez beau pour figurer dans mon carnet Vers onze heures trente six, Frank arriva accompagné de Livingston. Les accueillir en robe de chambre aurait pu en choquer plus d’un mais à cette heure du jour et au vu de mon humeur, je ne cherchais pas à me coller au mieux aux convenances. Et tous deux le verre de Bourbon à la main se turent en me voyant entrer. « Que fais-tu ici Keira ? Pourquoi n’es-tu pas au lit ? Nous avons à discuter affaires ce soir et comme tu as passé la journée dehors, j’imagine que tu dois être trop exténuée pour nous écouter ! —Je ne resterais pas longtemps. Johann nous quitte demain pour de plus verts pâturages et toi que fais-tu pour le retenir ? —Il s’en va de son plein gré, personne ne l’a contraint à le faire. Mais je t’en prie, si tu veux parler de cela, n’hésite pas nous commençons un poker. Je me montrerai moins subtil quand la mise sera plus élevée. Que veux-tu savoir sur Johann que tu ne sais déjà ? S’il te plait, parle sans t’émouvoir ! —Parfait ! Alors saches que je pars moi aussi pour la Californie ! Après tout je n’ai plus aucune raison de rester ici ; ma famille est à l’abri du besoin et il me vient l’envie de voir du pays. Maintenant, veillez m’excuser ! » Le lendemain matin, il me sortit du lit de force. Je sentis l’empreinte de sa main sur mon poignet et une fois que je fus à terre, il ouvrit la porte de ma garde-robe et répandit mes tenus sur le lit par brassées entières. Cela me rendait folle qu’il puisse agir comme n voyou et il fit de même avec mes accessoires et bijoux ; le

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contenu fut rependu sur mon lot et lui les lèvres closes, fouillait partout pour mettre la pagaille dans mes effets personnels. « Tu veux emmener ça en Californie ? Pour mieux jouer les catins au milieu des Peaux Rouges ? Tu seras parfaite dans ton ultime rôle de la Mystérieuse femme de l’Ouest ! Je veux que tu rendes les bijoux chez VanDyck et les tenues que tu n’emporteras pas, tu les remettras à Mrs Thompson, elle saura quoi en faire. Tu n’emporteras rien de valeur là-bas ! —Cela va te soi, je ne comptais rien emmener si cela peut te rassurer ! » Il me fixa de son ténébreux regard, la main sur la bouche comme perdu dans ses pensées. La souffrance pouvait s’y lire ; il avait entrevu le paradis en ma compagnie et brusquement d’une façon sournoise et douloureuse il perdait tout. Si un jour on lui dit : ne tome jamais amoureux de Keira Kennedy au risque de te perdre dans les méandres de la folie, il aurait ricané en se rassurant qu’une personnalité comme la sienne ne pouvait tomber aussi bien ; pourtant il m’aimait d’un brûlant désir et même s’il ne trouvait pas les mots pour l’exprimer, son corps entier me le révélait. « Frank, je sais que j’aurais du prendre le temps de t’en parler. Mais le départ si soudain de Johann en est la cause et….le fait que tu sois en colère est tout à fait légitime car tu as su m’accueillir et…. —¨pourquoi lui ? Parce que tu as pris goût à la sodomie ? Que tu aimes qu’il te burine comme une catin sans chercher à réfréner ses ardeurs ? —Je savais que tu dirais ça Frank et je dois t’avouer que oui. J’aime son étreinte tout comme la tienne mais il y a autre chose. Johann est un saint-apôtre. Il ne me juge pas et il mérite toute mon attention. Il ne faut pas voir cela

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comme une victoire pour lui mais comme un gage de sincère fraternité entre nous. —De la fraternité ? Je ne suis pas comme l’un de tes potes de galère, ces petites frappes comme Duncan, Coleman, Mahon, Donovan et j’en passe ! Je suis bien plus que cela et je ne peux faire des compromis quand tu menaces sans cesse de te tirer avec le premier venu pourvu qu’l soit assez mauvais garçon pour te faire mouiller. —Tu es jaloux Frank. —Je suis très jaloux, déclara-t-il en croisant les bras sur sa poitrine. Avant il était question de faire ton bonheur et puis tu….c’est Johann que tu n’as cessé de voir. Dès lors je ne comptais plus pour toi. N’ai-je pas toutes les raisons du monde de lui en vouloir et de ne point trouver le repos dans mon esprit ? —Tu n’as aucune raison de lui en vouloir, je suis seule responsable de tout cela. » Cependant ce ne fut pas la voiture de louage qui vint me chercher mais bien celle de Livingston. Il me salua profondément avant de donner ordre au cocher d’avancer. Il me fut impossible de lui parler et fixant la rue alentour je concentrais mon attention vers Johann. « Miss Kennedy, je ne sais comment vous le dire sans que cela ne paraisse déplacer mais Johann a laissé un mot à la banque à votre intention et…je venais vous chercher non pas pour vous conduire à la gare mais pour vous inciter à garder votre argent au sein de notre établissement. —D’aucun me tirait que cela est risqué. — Permettez-moi alors de vous demander auprès de qui vous irez placer vos millions ? —Mes millions ? Questionnai-je en l’interrogeant du regard. Lui souriait sans vraiment sourire, des plus nerveux. « Oui, naturellement, je reste à votre disposition pour un entretien et….

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—cessez vos flagorneries Aaron ! Johann n’a pu partir sans me dire au revoir, c’est impensable. Et où se trouve-t-on la lettre qu’il vous ait remise, Dans votre banque n’est-ce pas, comme pour mieux disposer de moi à votre guise ! Vous êtes tellement prévisible. Je ne compte pas rester à new York. Il n’y a rien pour moi ici. Frank l’a très bien compris. Vous me déposerez à la prochaine intersection s’il vous plait ! » Il se caressa le favori puis le menton, perdu dans ses réflexions. Difficile d’aborder le sujet de Johann sans que cela ne le mette dans l’embarras. Le nez par la portière j’étudiais les riches dames de ce quartier favorisé en me demandant ce qu’elles avaient du faire pour en arriver là. Avec qui avaient-elles couchées car toutes n’appartenaient pas à l’aristocratie locale, selon mon bon sens. « La gare est un peu loin pour vous y rendre à pied. Et le prochain train est dans un peu moins de trois minutes. Même si nous avions des ailes ou des bottes de sept lieues je doute que vous puissiez attraper l’Union Pacific. Le prochain train cependant est pour midi. Le temps pour vous de vous rendre à mon office. » Là, je me mis à l’étudier avec attention. Il cherchait à sourire sans aucune expression ne vienne pervertir son caractère ; seuls ses yeux semblèrent émettre une faible lueur et la main crispée sur le pommeau de sa canne, il inspira profondément. La voiture s’ébranla me condamnant à un soubresaut dans la direction de Livingston. Ce dernier me retint par les avant-bras et dans pareil contexte cela me choqua. Dans la rue, un homme qui se jetait vers moi pour m’aider à m’extirper d’un passage compliqué se valait être accusé de tous les maux, alors comprenez mon malaise vis-à-vis de cet bonimenteur de Livingston.

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« Vous manquez sincèrement de retenue. Mon ami est parti et vous ne cherchez pas à me ménagez comme si tout cela vous était favorable. Il a raison en me disant de me méfier de vous. Merci de me laisser ici ! Je continuerai à pied et….seule. —Vous ne comptez pas partir n’est-ce pas ? —Non évidemment, répondis-je franchement en glissant vers la portière, entrainant à ma suite une avalanche de tissu vaporeux et bruissant. Et je poursuivis sur un ton badin : New York n’est qu’un petit village après tout et j’ai appris à composer avec chacun de ses membres, il serait regrettable de quitter cette si aimable compagnie au profit de sauvages peu enclins à nos coutumes. Bonne journée Mr Livingston ! » A midi trente je rentrais de nouveau à la maison. Je pensais n’y trouver personne, excepté les domestiques toujours dissimulés dans leur niche prêts à apparaitre comme par magie ; la vieille pendule égrenait les secondes et le n°22 semblait n’être visité que par des spectres, les fantômes des anciens propriétaires pourtant les fleures fraiches et le tabac trahissait toute présence humaine et après avoir posé mes affaires sur le bras de jasper je progressais lentement vers le salon. Grand fut ma surprise en y voyant Frank accoudé contre le manteau de la cheminée, le menton dans la commissure de son bras. En me voyant il se redressa avant d’avaler une rasade de whisky de sa flasque. « Et bien, je croyais que tu étais partie. —J’ai fait un tour, à pied. J’avais besoin de me changer les idées. Et toi ? Comptes-tu rester boire tout ton whisky avant de te décider à aller gagner l’argent de la maison ? » Je lui arrachai sa flasque pour la porter à mes lèvres. Le whisky m’arrachait la gorge et comme toute bonne Irlandaise qui savait bore, je rebus une goulée avant de la lui rendre. On se

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fixa en chien de faïence et s’arrêta sur ma bouche. « Je fais le choix de rester ici… —Oui ! » Et son regard s’illumina ; on aurait dit deux sphères lumineuses éclairant les ténèbres. Assise sur le sofa, je croisai les jambes l’une sur l’autre en caressant la passementerie de mon spencer. « Ce choix n’a pas été facile à prendre alors….ne me fais rien regretter. On ne sera pas toujours d’accord l’un et l’autre, la cohabitation sera difficile si tu refuses mon entière collaboration. Désormais je veux que tu me considère comme ton égal et… —Tu auras les parts qui reviennent à Johann et tu auras la mainmise sur ses clients. Si tu veux être mon associé, il te faudra un temps d’adaptation basée uniquement sur l’observation, après quoi je te jugerai apte à prendre les décisions et gérer notre capital. Mais pour cela et c’est ma condition, je veux un contrat de mariage en bonne et due forme. » Ma respiration s’accéléra. Même déflorée par un autre il continuait à me voir comme l’élue de son cœur, que cela était touchant ! Mes lèvres se posèrent sur les siennes et ma main alla fouiller son entrejambe. Il grogna de plaisir avant d’enserrer férocement mon visage entre ses mains. « Je veux que tu m’épouses. Ainsi tu seras une femme convenable et avant tout de chose, je veux t’offrir ce qui se fait de meilleur pour que tu cesses de me voir comme un économe. Mon argent sera le tien. —Euh….C’est ce que tu te dis en me voyant ? La pauvre petite Irlandaise, elle fait tellement pitié que j’aimerai pouvoir à tous ses besoins ! Tu sais Frank, je….toutes les filles que j’ai connu à Five Points au cours de ma brève enfances sont toutes de talentueuses filles qui pour trois shillings se plieraient en quatre pour

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tes beaux yeux. Qu’attends-tu vraiment de moi ? J’avoue l’ignorer. » Frank s’éloigna de ma personne, se passa les mains dans les cheveux sans cesser de me fixer et prit l’accoudoir du fauteuil comme d’une assise. « D’accord, je….je suis raide dingue de toi ! Quand je te vois, je prends conscience de la chance que j’ai de t’avoir près de moi. Tu es une Kennedy, de la branche la plus noble et je pourrais t’ignorer et continuer à faire sans toi mais cela ne m’est pas possible. Entre nous, tu n’aurais pas survécu sans toi et sans toi, je n’aurais pas eu le courage de faire ce que j’ai osé faire jusqu’à maintenant. » Ma main passa dans ses cheveux ; il était bel homme, comment s’en priver ? D’autres biens moins fortunés ne connaitront jamais l’amour ; mes doigts caressèrent ses tempes et ses joues. Pour sûr il était séduisant, le genre parfait sous tout rapport et toutes les mères se bousculeraient pour espérer attirer sa sympathie afin de nourrir de grands espoirs pour leur fille. Mon index caressa ses lèvres ourlées et j’eus de nouveau envie de lui. Il payait des fortunes pour se donner des airs de gentleman et dans ce délicat exercice il excellait ayant un goût certain pour les choses et ce mariage ne serait pour lui qu’une façon de dire aux autres mâles qu’il avait dans son lit la plus jolie femme de New York, du moins selon ses critères. Il me serait difficile d’accepter en songeant à Johann partit loin de nous. « Dis-moi seulement pout quelles raisons Johann aurait-il décidé de partir ? un jour je finirais par le savoir et si j’apprends que tu es responsable de son départ alors….nous n’aurions plus rien à nous dire. Alors arrangestoi pour que nos relations continuent à se montrer amicales et si tu y parviens alors seulement après, on pourra songer au mariage. »

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CHAPITRE Pour enfoncer le clou, je me rendis chez Livingston, à sa banque précisément. Il se montra bien moins enthousiaste envers moi, il agissait tel un automate, utilisant des termes neutres, des mots dénues de charme et je l’écoutais parler d’investissements, de placements, de bourse ; cela dura plus de trente minutes, de longues minutes pendant lesquelles je prenais de nombreuses notes. A un moment il sortit de son personnage flegmatique pour me parler de Frank et des choix judicieux qu’il avait osé prendre. Au moment où j’allais me lever pour disparaitre de son horizon, il me bondit dessus dans un dernier sursaut qu’on aurait pu qualifier d’inutile et le sourire ses lèvres, il enserra mes mains dans les siennes. « Miss Kennedy, vous êtes à ce jour la femme la plus riche de New York et il est de mon devoir de vous guider aux mieux dans ce monde si étriqué et…. —Je tiens à garder mon anonymat, Aaron et je comprends le mal que vous vous donnez pour dorloter vos autres patients mais je n’ai aucun avantage à laisser cet argent près de vous. Johann savait que cela vous tourmenterait terriblement si un jour je devais gérer son immense fortune et tout comme lui, je tiens à ne pas attirer la sympathie de personnes aussi calculatrices que vous ! —Vous aurais-je froissée par le passé ? Ditesmoi si un jour je vous ai manqué de respect ; à vous, votre famille et à vos origines. Je me suis toujours montré amical envers vous et très séduit par la femme que vous êtes. Je sais qui vous êtes Miss Kennedy et…. —A vraiment ? Vous savez qui je suis ? —Johann parlait beaucoup après ses brefs passages dans les divers bordels de notre

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connaissance. Il avait presque toujours besoin de se confier et presque toujours il venait à parler de cette femme qu’il aimait et il la décrivait comme une personne singulière capable de passer des larmes au rire, de la colère à la joie. Il aimait la décrire comme une fée issue du folklore celtique et moi je l’écoutais sans véritablement savoir de qui il s’agissait. Et puis, un jour vous êtes apparue. —Ah, ah ! Vous êtes un drôle de type, permettez-moi de vous le dire ! Vous tombez sous le charme d’une image et…. Pourquoi ce regard ? Ne me dites pas que vous avez pensé une seule seconde qu’il ait pu s’agir de moi ! ce type de description peut correspondre à une centaine de femmes à five points et…. —La petite en question était continuellement dans la rue au grand dam de sa mère, une sorte de garçon en jupe longue toujours prête à faire les quatre cent coups avec ses frères. Une gosse du ruisseau pour reprendre l’expression de Mayer-Sachs et il n’a pas omis de me dire qu’elle était une qu’elle était un talentueux tirelaine. —Les gosses des rues sont prêts à tout pour survivre. Moi plus j’ai du exercer mes talents dans les chiffres et nos bas instincts se réveillent pour survivre à ce que vous appelez le choix des multiples. Et puis j’ai été embauchée à Greenwich Village comme…. —Comme commis de bureau, oui je sais tout cela. Ton employeur ne tarit pas d’éloges à ton sujet. Il dit que vous lui avez rapporté plus d’argent en un an que tous ses employés en une décennie. Alors je suppose que Meara et MayerSachs ont eu raison de vous faire venir dans les beaux quartiers de cette ville pour comment dire, faire fructifier leur magot. —Si vous les connaissiez bien alors vous pourriez savoir que ces hommes se suffisent à eux même. Ils ont commencé ici sans un sou en

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poche. Ils déchargeaient les navires sur les docks et buvaient leur salaire comme tous leurs compatriotes et puis un jour, ils ont trouvé la lumière. Leur bonne fortune ils ne la doivent qu’à eux-mêmes. —La lumière dites-vous ? J’avoue ne pas saisir le sens de ce mot. Eclairez-moi un peu. S’il vous plait, asseyez-vous Miss Kennedy, nous ne pouvons écouter cette discussion quand il est question de connaissances, de savoirfaire ! Je vous offre un whisky ? —Certainement pas, bien que je tienne très bien l’alcool ! C’est une de mes aptitudes à la survie, ainsi personne ne pourra jamais me saouler. Vous n’aurez pas été le premier à essayer, Aaron. —Laissez tomber le masque, Keira, nous n’avons tous les deux rien à gagner en agissant comme deux étrangers quand nous avons tout à partager ensemble : vos défaites comme vos victoires. Plus le gain sera élevé et plus je m’en féliciterai pour vous. —Entendez-vous ça ! Et à quel degré ? —Le plus élevé, rétorqua-t-il en baissant ma main des plus galants. De la meilleure façon qu’il soit Keira car je veux m’assurer que vous trouverez à vous épanouir ici. Me repousserezvous de nouveau ? —Plutôt deux fois qu’une ! Vos charmantes manières et votre allure ne laisse personne indifférent mais je connais que trop bien les hommes comme vous. Une fois que vous aurez obtenu ce que vous voudrez, vous vous féliciterez de m’avoir mise dans votre lit en songeant à la prochaine de vos conquêtes qui vous donnera autant de plaisir. —C’est possible, je ne suis qu’un homme après tout. Et connut pour être très avide de plaisirs et vous saurez m’en donner, je vois en vous la parfaite manipulatrice qui parvint à ses

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fins. Plus le poisson est gros et plus vous vous en donnez à cœur joie, n’est-ce pas ? —C’est ce que pense Johann, déclarai-je la gorge nouée et en me levant prestement. Il a fait de moi son héritière et à la tête de cette immense fortune je déteste l’idée de devoir cohabiter avec des hommes comme vous, si imbues de leur personne et s méprisable. Me raccompagnerez-vous à la porte ou bien me laisserez-vous sans bras sur lequel m’appuyer ? » Il me faisait suivre ; ses hommes me filaient le train. Avais-je réellement besoin de cela ? Il craignait pour sa réputation maintenant que Johann m’avait remis ses quatre millions. J’étais donc à ce jour la femme la plus fortunée de New York et une foule de gens se pressaient autour de moi, : avocats, banquiers, investisseurs ; impossible de faire un pas sans que l’on me vende ses services. Impassible j’avançais parmi ces pique-sous. La voiture me déposa devant la clôture de la pension de famille, la House Kennedy et mes sœurs sortirent l’une après l’autre pour venir me saluer. Craintivement elles avancèrent et Lynne poussa Saoirse pour baiser mes joues quand mère apparut à son tour. « Ah, c’est… une bonne surprise ! La maison est encore en chantier mais entrez, les filles ce matin ont fait des pâtisseries pour nos actuels résidents. Lynne, accompagne ta sœur à l’intérieur et Saoirse, ne reste pas plantée là ! Vas voir si le cocher n’a besoin de rien. » Mes sœurs et ma mère avaient embelli le lieu et cette vieille masure ne ressemblait plus à cette vieille bâtisse poussiéreuse mais à une sorte d’auberge pour bourgeois désireux de fuir la ville. Partout le bois se trouvait être vernis, les tapis recouvraient le parquet et les rideaux embellissaient les hautes fenêtres ; les pièces suffisamment aérer apportaient des odeurs de bois frais, d’herbes fraichement coupées et de

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celles de vaches paissant paisiblement dans le pré avoisinant. Saorise me posa un verre de lait devant moi et Lynne arriva avec une assiette de gâteaux secs. Quant à Deirdre elle m’étudiait du coin de l’œil sans oser s’assoir près de moi, d’ailleurs aucune ne le vit ; elles continuaient à me voir comme une étrangère assez importante pour ne pas risquer de l’offusquer. Ma mère fut la première à briser ce pénible silence. « Il est venu nous voir avant son départ et il nous a dit que tu aurais besoin de moi pour la gestion de ton nouveau patrimoine. C’est une colossale fortune que tu as là et….ce MayerSachs….nous l’avons sous-estimé et aujourd’hui sa générosité ne peut-être contesté. —Est-ce vrai que tu vas déménager pour aller vivre dans un palais ? Questionna Saoirse ne parvenant à se contrôler. D’un bond elle se retrouve être sur moi. Et tes vêtements ? on raconte que tu te change plus de six fois par jours, est-ce vrai ? Et que tu prends tous tes repas dans de la porcelaine et des couverts en or ? l faudrait que tu nous reçoive, les filles et moi ! —Cela suffit Saoirse ! Ta sœur n’est que l’employée de Mr Meara, il ne faut pas l’oublier. Tes frères nous ont écrit. Je parle de Francis et de Ryan. Nous pensions que clive viendrait nous rendre visite mais nous n’avons dès lors plus aucune nouvelle de ce dernier. Quant à Aedan…il reste toujours muet et nous prions tous les jours pour le salut de son âme. Si tes frères débarquent en ville, ils voudront certainement te rendre service d’une façon ou d’une autre. —Oui mère, j’avais bien pensé leur faire une offre de travail. Es talents de mes frères en matière de négoce a fait leur fortune et une fois installée chez moi, je pourrais avoir besoin de Lynne près de moi.

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—Là-bas dans ces quartiers où règne le vice ? Pour rien au monde je n’accepterais Keira et tu le sais très bien. Et que ferais-je de mes enfants ? As-tu seulement pensé à eux ? Non, tu es bien trop occupée à parader dans tes beaux atours et à écrire des obscénités sur le sort des femmes ! —Lynne, tu n’es pas obligée d’être aussi amère ! —Bien-sûr que si maman ! J’ose dire ce que vous n’osez lui dire. Dites-lui mère ! Ayez au moins le courage de vos opinions ! Pour vous, votre fille est une putain et s’il n’y avait pas d’argent dans notre relation il y a longtemps que vous l’auriez reniée ! Maintenant veux-tu bien m’excuser mais j’ai un peu mieux à faire que de te regarder te donner de l’importance. Saoirse ne te laisse pas séduire par le mal, quelque soit les formes qu’il revêt ! Eloignes-toi de cette femme impure ! » Contrainte et forcée, saoirse quitta la table pour talonner Lynne. La porte se referma derrière elles et comme il ne restait plus que mon ainée Deirdre et ma mère, je pris le parti d’en rire. « C’est vrai, l’argent nous divise bien qu’il était là pour fédérer. Johann ne m’a pas laissé le choix à vrai dire et il a tenu à ce que je gère son argent. Ses avocats ont fait le nécessaire pour….J’ai eu à faire à son notaire et le juge d’instruction pour m’assurer que j’étais en pleine capacité de mes aptitudes morales. C’est beaucoup d’argent, j’en conçois et si cela peut te rassurer je vois un homme en ce moment. Notre relation est pour ainsi dire non-officielle mais il se puisse qu’il devienne mon époux. » Ma mère soupira en levant les yeux au ciel. Elle en avait assez d’entendre ça ; il y avait d’abord eu Meara, puis Mayer-Sachs et voilà qu’un troisième soupirant voyait le jour. Puis

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elle me dévisagea le sourire aux lèvres avant de voir sortir Deirdre. « Tu es enceinte n’est-ce pas ? J’ai porté douze enfants et j’en ai mis dix aux mondes. Par conséquent je sais voir quand une femme porte la vie. Avoir un enfant avant le mariage serait une chose épouvantable pour nous tous ! Le scandale éclaboussera notre réputation et ton argent ne suffira pas à nous innocenter. —Un scandale dis-tu ? Je ne suis pas entrain de jouer le rôle d’une putain de Five Points, je suis une Kennedy, maman ! Je suis ta fille et je suis attristée de penser que tu me vois que comme une source d’embarras. Lynne a eu des propos acerbes et tu dois alors te dire que cela est justifiée et qu’il fallait bien que quelqu’un ici me remette à ma place, à ma condition de demi-mondaine et…. » Les larmes ruisselèrent sur la joue de ma mère et sa main se posa sur ses lèvres. « Tu es ma fille mais en l’absence d’un père ou de tes frères pour subvenir à nos besoins nous ne pouvons faire autrement. Deirdre a connu la rue avec ses enfants et Lynne a souffert le martyr dans ce mariage dans lequel a perdu son amour propre. Tu sais aussi bien que moi que cela n’a pas été simple pour nous toutes. Ce qui est insupportable c’est le fait que tu nous donne des leçons de moral à travers tes gazettes ! Mais as-tu seulement pris le temps d’interroger tes sœurs sur leur quotidien ? As-tu seulement tenu un bébé malade dans tes bras en priant le christ pour que ce petit- être puisse survivre quand tu n’as malheureusement plus un sou en poche pour nourrir tes ainés ? Tu ne sais rien de ce monde. Tu as toujours vécu en marge de tout cela. Tes sœurs sont torturées, épuisées, elles sont à cran. Cette maison reste leur dernier espoir. Ici au moins elles sont heureuses et sourient enfin. Et tu voudrais les priver de ce havre de paix par ton

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inconscience ? Tu n’as pas le choix que de te marier. Je t’en supplie ma chérie…. Tu pourrais y trouver ton compte. » Enceinte, je refusai d’y croire et pourtant quand le médecin m’examina je perçus au fond de son regard une certitude des plus mathématiques. Il ne l’affirma pas en ce sens mais par expérience professionnelle il me demanda d’attendre aux prochains mois pour confirmer une possible grossesse. Ne pouvant attendre davantage, je me rendis dans un quartier populaire où les accoucheuses posaient un diagnostic certain sur vos éventuels doutes et la femme que je rencontrais, une grand-mère irlandaise fut radicale. J’étais bel et bien grosse. La stupéfaction allait me saisir un bon moment et partagée entre la peur et l’excitation je tardais à rentrer. Frank rentra tard ce soir-là ; à croire qu’il se doutait de quelque chose. D’un bond je m’accueillais pour l’accueillir et lui impassible passa devant moi à vive allure. « Le repas est froid mais si tu le désires, on peut demander à le réchauffer. Frank ? —J’ai déjà diné. On est mardi et le mardi je mange en ville. L’aurais-tu oublié ? Qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ? —Rien. Après tout je n’ai pas faim. J’ai peutêtre trouvé un endroit à acheter. Quelque chose de paisible pour le bébé et pour moi. Rien de bien luxueux pour y vivre des jours heureux loin de toutes contraintes. —Qu’est-ce que tu viens de dire ? Questionna ce dernier les sourcils froncés. Tu es vraiment sûre de toi ? Je veux dire le bébé et….quel charlatan a pu bien confirmer ton état ? —Ma mère hier et une accoucheuse ce matin. N’est-ce pas là une bonne nouvelle ? » Aucun sourire n’apparut sur ses lèvres ; il était comme abasourdi et frappé de mutisme il fixait droit devant lui quand sans cesser de

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sourire je partis dans le salon en minaudant comme une petite chatte. Il me rejoignit là, toujours perdu dans ses pensées. « Alors je suppose que l’on doit fêter ça ! Johann est-il au courant ? —Comment peut-il l’être ? Dois-je te rappeler qu’il s’est tiré manu militari comme devinant qu’il m’avait engrossé. Il me laisse quatre millions de dollars pour subvenir aux besoins de l’enfant à venir et c’est là mon lot de consolation. Je ne serais pas la première fillemère à vivre dans une grande ville. L’anonymat sera de mise et tu n’auras pas à t’en faire pour moi, ni pour le bébé. Alors ? Racontes-moi un peu comment s’est passé ta journée ! » Et devant le psyché, je caressai mon ventre nu. J’avais un tout petit ventre, légèrement bombé. Comment n’avais-je pu rien remarquer ? Mon cycle était irrégulier et cette grossesse était un miracle. J’allais être maman et ce rôle serait le rôle de ma vie. Il me tardait de le serrer dans mes bras et de lui parler de son père. On frappa timidement à ma porte. Le temps pour moi d’enfiler une robe de chambre et d’aller ouvrir. Frank se trouvait être devant moi et dans la semi-pénombre il me fut difficile de sonder son regard. ma grossesse ne me permettrait pas de vivre dans le pêché de la chair ; au nom de cet enfant je devais me montrer sage. « Comment te sens-tu ? Je verrais demain pour modifier mes horaires de travail. Après tout j’ai des employés qui pourront travailler sans moi à leur côté. Veux-tu que Cora te monte quelque chose de chaud ? tu as à peine mangé ce soir et…. » Je posai un doigt sur ses lèvres pour l’intimer de ce taire. « Je suis enceinte et non malade. Tu n’as pas à te faire du souci pour moi. Si prudence est mère de sûreté alors je sortirais moins et dormirais plus longtemps. C’est bien

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ce que les femmes de la 5ème avenue font n’estce pas ? Dormir et couver du mieux qu’elles peuvent ! —Euh….concernant cet appartement, je….je pense qu’une maison serait le plus appropriée. Celle-ci n’est plus à vendre étant l’actuel propriétaire mais nous pourrions trouver une maison de ce genre dans la rue et qui sait, peutêtre serions-nous voisins. Qu’en dites-vous ? —Que ferais-je d’une maison ? Déclarai-je en m’asseyant sur l’accoudoir du fauteuil. Mes besoins restent modestes mais sitôt que mon ventre s’arrondira je voudrais être loin afin de ne pas nuire à ta réputation. Déjà qu’il ne me sera pas facile de compter sur les miens. Pour les miens je ne suis pas une sainte et je crois qu’il ne me sera bientôt plus possible de les visiter. —Tu n’es pas obligée de précipiter ton départ. Cette maison est assez grande pour nous trois. Tu prendras tout l’étage pour la nursery, la chambre du bébé et la tienne et j’occuperais le second comme en ce moment. Nous sélectionnerons une bonne nourrice, la meilleure qui soit et le bébé aura tout ce qu’il faut pour bien démarrer dans la vie. —Frank j’apprécie ton soutien mais ce bébé je compte l’élever seule. Mais rien ne t’empêchera de venir nous voir quand tu auras l’occasion. » En ce mois de juin, ce temps était idéal pour une ballade dans central Park. Tout le monde se pressait pour y marcher, chevaucher, faire voler son cerf-volant ; un grand bol d’air ne pouvait pas me faire du mal et ralentie par ma robe à tournure je progressai à mon rythme entre les pins, les hêtres et les bouleaux. Comme il n’était pas convenable de se promener seule je le fis avec Livingston. Ce dernier avait accepté pour ne pas se montrer offensant. Il savait qu’un refus de sa part serait la cause de mon complet

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désintérêt pour sa personne. Cette situation risquerait de couper court à certaines de ses fréquentations mais pour l’heure il s’en moquait. Une millionnaire et de surcroit célibataire ajoutait plus de cachet à la fraicheur de mes vingt-et-un an. Il fanfaronnait au milieu de ces inconnus en haut-de-forme et belles toilettes. « Si je suis ici c’est que je compte acheter très prochainement. La cohabitation avec Meara commence à prendre un tournant bien étrange maintenant que Johann est partit vers d’autres cieux. Une petite garçonnière pourrait faire l’affaire. Je suppose que votre réseau de promoteurs immobiliers pourrait me venir en aide. Comme vous le savez je suis noyée sous des propositions plus ou moins intéressée et comme vous êtes l’ami de Frank, alors je me dis que moi aussi je peux me montrer confiante. —Pourtant vous disiez me craindre. Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer ce revirement de situation ? Laissez-moi deviner….Vous êtes sujette à une angoisse passagère. Vous vous dites que vous seriez libre de consommer vos amants loin de Meara et que pour cela il vous faut quelque chose de discret. —C’est exactement ça. Je me cherche un époux et en vivant sous le même toi que Frank je doute que mes potentiels prétendants acceptent cet homme dans mon sillage refusant de le voir comme un chaperon. —Pour cela Miss Kennedy, il faudrait vous décidez à franchir le pas en acceptant une alliance matrimoniale avec un gentleman que vous connaissez déjà. Que pensez-vous de Mason ? Il a mis quelques options sur vous et il sera un dévoué époux. Mais il reste également Mikkelsen. Il est un peu vieux jeu mais j’aime ses idées avant-gardistes. Vous voyez….il y a des gens bien dans cette ville, des hommes qui seraient prêts à vous rendre service. Ne faites

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pas la timorée avec moi et avouez que vous avez songé à ces gentlemen. Personne ne vous blâmera d’avoir essayé. —C’est faux, j’avais très sérieusement songé à vous Livingston. Vous êtes plutôt beau garçon et déterminé à ne pas céder à mes avances. » Il ricana et à la légère pression de son bras contre le mien je sus que j’avais fait mouche. Pourtant je devais m’en convaincre une bonne fois pour toutes au risque de retourner bien vite chez Meara, la queue entre les jambes. « Ah, ah ! Et qu’est-ce qui vous fait penser que j’accepterais ce marché ? Ai-je à votre égard manifesté le moindre sentiment d’affection ? A aucun moment Miss Kennedy je n’ai songé à vous faire la cour, vous êtes une Irlandaise dotée d’un sacré tempérament de fouteuse de merde pour reprendre l’expression de votre frère clive. —D’où connaissez-vous mon frère ? —Il est en ce moment en ville et si je ne m’abuse il a déjeuné avec Meara. Il semblait rechercher Mayer-Sachs pour lui « briser les genoux » d’après ses propres termes. Pour moi l’homme qui vous a engrossée n’a visiblement pas la conscience tranquille et j’ai cru comprendre que vous étiez au milieu de tout cela. J’ignore ce qui me retient de ne pas vous applaudir pour ce joli coup de théâtre. —Cela fait une éternité que je n’ai pas vu mon frère Clive. De tous mes frères c’est le pire. Il est malhonnête, roublard et mauvais joueur. —donc vous ne niez pas le fait d’être grosse de Johann mayer-Sachs ? —Ce n’est pas un secret de polichinelle. C’est la raison pour laquelle je cherche une maison pour l’enfant et moi. Pour ce qui est de l’époux, il y aura bien un héro sentiment à New York qui accepte ce marché ! Nous savons tous deux que Johann ne reviendra pas. Par conséquent….

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Cela est sans importance. Merci pour la promenade, elle fut forte instructive. —Ne le prenez pas ainsi. Il y a toujours un moyen de s’arranger. Dites-moi seulement quel sorte de bien vous recherchez et je vous dénicherez la perle rare en échange de ce petit service vous passerez chez moi, prendre le thé, disons deux fois par semaine. Je reçois le mardi et le vendredi. —Tout bien réfléchi je pense pouvoir me passer de vous. J’ai pris goût à Frank. » Il fut vexé et ses sourcils se froncèrent. On échangea un long regard et après lui avoir tourné le dos j’allais partir la queue entre les jambes retrouver Frank quand il éclaircit sa voix. « Johann n’a jamais quitté New York. Il est toujours ici et…. » Prestement je revins sur mes pas pour l’interroger du regard. « Vraiment ? Il est encore à New York ? —L’argent a un drôle d’effet sur certaines personnes. Johann n’avait pas la conscience tranquille et il a préféré se retirer du monde es affaires. Il est parti avant que le ciel ne lui tombe sur la tête. —Où….où est-il ? Et comment savez-vous cela ? Votre réseau d’espions n’est-ce pas ? C’est bien vous ça ! Votre arrogance est…. —Oui je sais ce que vous allez me dire mais le savoir c’est le pouvoir. Je sais que vous êtes extrêmement intéressée par cette information alors je reformule mon offre : quelques heures passées en votre compagnie. Votre vertu ne sera pas froissée et il ne s’agit que d’optimiser votre temps libre. —Votre arrogance est infâme et inqualifiable ! Johann est le père de mon bébé et c’est sous vos conditions que j’espère le revoir ? Alors je refuse toute collaboration avec vous ! Bonne journée Mr Livingston ! »

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Remontée contre lui je l’étais. Il cherchait à me manipuler et la colère ne me lâcha pas jusqu’à la l’office de Frank. En me voyant arriver ce dernier me précipita dans son bureau, la main serrée sur mon bras à m’en couper la circulation du sang. Il savait pour quelle raison je me trouvais être ici et à son regard je compris qu’il se préparait à tout avouer. « Johann est en ville et tu me l’avais caché ! Je veux maintenant des explications et je ne quitterais pas ton bureau avant que tu m’aies tout raconté, déclarai-je en poussant le fauteuil vers lui. Alors, je t’écoute ! » Il se servit un verre de whisky puis adossé contre la commode il resta là à me fixer avant de se décider à avaler cul-sec. « C’est une sale affaire et aucun de nous ne comptait t’effrayer. Cela remonte à plusieurs années déjà, murmura-t-il perdu dans ses pensées. Nous avions des ennuis avec un type de la virginie et ton frère Clive s’est chargé de nous en débarrasser. Au début nous avions refusé pensant que le type en question trouverait à se lasser de nous mais il n’en fut rien et force de constater qua la situation devenait critique. En temps ordinaire nous gérions nos problèmes nous-mêmes mais notre commerce, notre domaine de prédilection comportait quelques risques non négligeables. Si nous éliminions cet homme nous aurions eu quelques démêlées avec la justice. Nous étions Johann et moi dans une fâcheuse position et Clive a reproposé ses services. » Mon cœur battait vite ; Clive était un hors-laloi, de la mauvaise graine emportée par le vent. Il plongeait dans de sales combines, lui et son gang sévissait dans certains Etats et sa tête est mise à prix dans trois autres. De penser que Johann et Frank avaient pu collaborer avec lui me collèrent des sueurs froides.

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« Acculé Johann a fini par accepter. Pas de gaité de cœur certes mais il a accepté. —Johann lui doit du fric ? S’il n’y a que cela, tout peut encore s’arranger. —Oui sauf que Johann lui a fait parvenir l’argent. On n’a plus entendu parler de Clive jusqu’à ce que type réapparaisse déterminé à nous coller une balle dans le crâne. Johann a vu rouge et a chargé une bande de mercenaires pour botter le cul de ton frère. Et c’est là que Johann décide de partir pour la Californie. —Je ne saisis pas tout. Pourquoi vouloir partir ? Johann a-t-il quelque chose à se reprocher ? N’importe qui aurait agi de la même façon face à ce malfrat de Clive ! —Sauf que Johann a indirectement récupérer le fric et a remis ton frère aux autorités. Quinn a fait libéré Clive en payant sa caution. —Et pourquoi ce type vous en veut-il autant ? —Et bien parce qu’il n’a pas une once de loyauté, répondit Frank le regard sévère. Ces hommes n’agissent que par cupidité et nous avons tous deux appris à composer avec, tu comprends ? » Une terrible révélation apparut : Meara et Mayer-Sachs m’avait instrumentalisé pour mieux atteindre mon frère. Il savait que ma présence auprès d’eux ne lui permettrait pas de se venger. En y songeant j’envisageais la suite comme une tragédie grecque ; tous les acteurs trouveraient le salut de leur âme dans un combat sans merci contre le Dieu-Dollar. Tout s’emmêlait dans mon esprit : si ce Quinn en voulait à Meara et Mayer-Sachs comment n’avait-il pas pu atteindre son but plus tôt ? Il savait où ces hommes résidaient et tous deux constituaient des proies faciles si l’on se référait à leur lieu de résidence. « Explique-moi un peu comment Livingston puisse être au courant de tout cela ! Il y a-t-il

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une quelconque raison de penser qu’il est auteur de cette fable ? —C’est ton nouvel ami non ? Il serait stupide de le voir comme un ennemi au vu des circonstances. —Quelles circonstances ? Lançai-je en glissant vers lui, des plus agacées. Je me suis trompée sur son sujet et ème maintenant me voilà être acculée au 22 de la 3 avenue. Je suppose que tu me dois des excuses. » On resta longtemps à s’observer. Oui, il me devait des excuses : il m’avait mise dans les bras de Mayer-Sachs dont je portais le gosse, j’avais mon frère comme ennemi et Livingston, mon épée de Damoclès s’amusait de cette situation sachant que tôt ou tard il en récolterait les bénéfices. « Des excuses dis-tu ? J’ai essayé de te mettre en garde contre Livingston mais tu as tenu à n’en faire qu’à ta tête. J’ai seulement un peu forcé le destin en t’empêchant de tomber dans la gueule du loup. Alors je crois que c’est toi qui me dois tes excuses. Ma version de l’histoire c’est que tu n’aurais pas du vouloir attraper un si gros poisson. —Inutile. Je vais quitter ta somptueuse demeure pour un endroit plus paisible loin de cette ruche bourdonnante où tout n’est que bassesse et faux-semblant ! —Je m’y refuse. Ce bébé pourrait être le mien. —Ce bébé est celui de Johann ! Répondis-je froidement en le défiant du regard. —Comment peux-tu en être aussi sûre ? Chez nous autres Irlandais de Kerry nous avons un dicton : Le fruit se trouve sous les pieds de celui qui a labouré. —Et nous autres avons un autre dicton qui dit : Celui qui offense son voisin et un rustre dont il faille se méfier ! Ce bébé ne sera pas ta

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propriété, tout comme moi Frank, alors inutile d’en exprimer davantage ! » J’allais partir quand il m’attrapa in-extremis, me colla dans l’angle de la pièce, souleva ma jupe pour s’introduire en moi tandis que je le frappais. Il me bâillonna la bouche et commença à me clouer au mur. Je ne parvenais plus à respirer et la main sur la sienne, je glissais petit à petit dans les affres du plaisir. Empalée sur son sexe, je songeai à Johann planqué quelque part à traquer son ennemi. L’excitation fut telle que je ne pus taire un cri de plaisir et haletante j’encourageai Frank à me pénétrer plus en profondeur. « Tu es ma femme. Je ne laisserais personne….te manqué de respect… » Glissa-t-il en claquant son aine contre mon pubis et accroché à mes hanches il il me souleva pour continuer sur la table. Notre coït fut long et passionné comme à chaque fois que l’on se donnait l’un à l’autre et au moment où il jouit, je tenais son visage entre mes mains, le voyant lentement glisser dans cette autre conscience. Il grogna tout en m’arrosant de sa semence et son regard lointain trahissait son désir pour moi : plus que jamais ses pupilles furent dilatées et l’entrejambe mouillée, j’acceptais de baiser ses lèvres, si douces et si suaves. Il gémissait encore et cela ressemblait à un long sanglot. « Ce bébé… ce bébé aura un père. Tu comprends ? » En guise de réponse je posai sa tête sur mon épaule pour le réconforter. Il n’avait pas connu le sien, rien d’anormal à ce qu’il se mettre à fantasmer sur ma maternité à venir.

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Chapitre Le matin du 23 juin, d’intenses douleurs me paralysèrent et Cora s’empressa d’aller chercher le docteur. Le sang ruisselait entre mes jambes. La douleur fut intense et Frank m’apporta du whisky afin d’atténuer les effets des puissantes contractions. « Je perds le bébé…. c’est…. c’est horrible ! —Calmes-toi Keira ! Le médecin est en chemin, il ne devrait plus en avoir plus longtemps. Avale ça et détends-toi, ma chérie ! » Impossible cependant de rester calme. Mon corps entier semblait être pris de convulsions, une sorte de danse macabre et la fièvre me tomba dessus. Le médecin tarda à venir et Frank resta près de moi à me veiller. Après un laps de temps impossible à estimer, l’alcool fit son effet et fixant la rosace du plafond, je me mis à fredonner une chanson si souvent chantée par ma mère quand elle voulait voir ses petitsenfants dormir. « Dieu m’a puni… il m’a envoyé un message et… cet enfant ne pouvait vivre dans le pêché. —Qu’est-ce que tu racontes ? Dieu n’a rien à voir tout ça. Il n’y a pas de pêché de chair, seulement des personnes qui s’aiment. Crois-tu que Dieu était présent quand les citoyens de la Rome antique donnaient naissance à des Jules César, des Marc Aurèle et tout autre homme doué de raison. Ces hommes-là furent-ils donc condamnés à une dure existence dans le seul but d’expier ce que tu appelles être leurs fautes ? —Mais….je suis catholique et… une Kennedy… » On me fit garder le lit une semaine et Meara fut à mes petits soins ; la grossesse devait se dérouler dans le calme et un soir de convalescence, la porte de ma chambre s’ouvrit sur ma nièce Niahm, fille de Lynne, La petite

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effrontée de douze ans précédait Cora qui se confondait en excuses. « Il faut absolument que tu viennes Keira ! Oncle Clive menace de tout brûler ! Il est comme fou, voir possédé ! Il dit que l’argent dont tu nous a fait grâce est de l’argent sale. Granny a tenté de le raisonner mais il ne veut rien entendre ! Vite, on a absolument besoin de toi là-bas ! » La voiture nous conduisit donc dans les terres. En me voyant arriver Lynne attrapa sa fille par l’oreille, puis la gifle partit. Ma pauvre nièce fondit en larmes en protestant ; Lynne ne me salua pas. Quant à ma mère, elle s’empressa de m’écarter de ses clients. « Qu’est-ce que tu fais là ? Il y a des personnes convenables ici, alors ne fais pas de tapages. On a déjà assez avec ton frère. Je suppose que c’est lui que tu es venu voir. Lui et sa fiancée dont dans le salon avec un certain Mr Jenkins. Sois aimable de ne pas t’attarder ici ! » Clive en me voyant arriver posa son verre de whisky pour m’accueillir à bras ouverts, le sourire carnassier aux lèvres. Immédiatement il me présenta à sa fiancée : Nin belle jambe, une danseuse au sourire malicieux et au regard espiègle. Derrière le Dr Jenkins se précipita à moi pour me saluer bien bas n’omettant pas de me complimenter au passage. Une négresse arriva avec un plateau pleine de victuailles proposée par ma mère. Cette dernière me dévisagea de la tête aux pieds. « C’est tante Lou ! Je l’ai offerte à maman pour l’entretien de cette maison. Tante Lou s’est bien occupée de moi pendant mon bref séjour dans le Kentucky ! Déclara Clive en passant le bras autour des larges hanches de la noire. Une brave petite maman ! —C’est parce que tu n’arrivais pas à distinguer tes ennemis de tes amis ! Votre frère est bien heureux de vous revoir Ma’ame, il n’a

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fait que de me parler de sa petite Keira ! Oh, oui il était si pressé de revenir vous saluer qu’il en aurait oublié de payer la diligence ! » Tante Lou disparut en gloussant et ma mère arriva, n’osant à peine entrer, sur la réserve. Ce Jenkins était avenant toute comme cette Nini aux belles manières qi me renvoyait une image forte plaisante de ma personne. Puis Clive cessa de se montrer aimable face à cette situation des plus mièvres. Il n’était pas là pour parler de broderie et de pâtisseries, il avala un troisième verre cul-sec et commença à ricaner. « Alors ? Où se cachent-ils ? Je parle bien entendu des Mayer et Meara ! J’ai appris que tu vivais royalement dans les beaux quartiers ! Qui aurait pu croire ça de toi, hein ? La pire de tes filles, maman ! Le redoutable petite Keira, l’insoumise… mais ma petite sœur est fascinée par le pouvoir de l’argent. Il a ce pouvoir maman de changer les personnes morales en une sorte de monstres vicieux et corrompus. —Es-tu entrain de parler de toi Clive ? Si ce n’est pas le cas, sois aimable de changer de ton. Je ne suis pas là pour t’entendre déraisonner de la sorte. Ni maman, ni moi et ne crains-tu pas d’ennuyer tes amis ? —Ah, ah ! Je me suis battu pour l’Union Keira ! Et toi que faisais-tu d’honorable quand Neal et Ciaran y sont restés ? » Ma mère d’un bond quitta la pièce. Elle ne pouvait en entendre davantage. Il s’assit près de moi après avoir fait signe à ses amis de ficher le camp à leur tour. Il saisir mes mains pour les porter à ses lèvres et se montra plus aimable en arborant un franc sourire. « Je ne voulais pas que mère soit là à écouter ce que nous avions d’important à nous dire. Elle continue à se faire beaucoup de soucis pour toi et c’est à ce sujet que j’interviens. Les sœurs ne semblent pas t’avoir épargnées mais se trouvent bien aises de profiter de tous les biens que tu

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mets à leur disposition, en commençant par cette demeure et dépendances. Te voilà être riche et puissante. De combien disposes-tu en fond propre ? —Pourquoi vouloir savoir ? Disons que je n’ai plus à me plaindre de pouvoir manger à ma faim. Comment as-tu osé dire que cet argent, celui de la maison, était de l’argent sale ? Niahm est venue me trouver pour me dire que tu songeais tout brûler ! —Cet enfant est une sale gosse. Que je ne la reprenne pas à écouter aux portes ! Saoirse voulait se tirer et j’ai du me montrer ferme. Le ton que j’ai pris n’a peut-être pas plus à ta sœur mais au moins il a le mérite de lui avoir remis les idées en place. Mère ne le sait pas, mais je compte m’installer à New York. Définitivement. Cette maison a besoin d’un modèle paternel, un maître des lieux pour veiller sur les dépenses et recettes de notre famille. Cette nouvelle ne semble pas te ravir. Le Dr Jenkis est là pour mettre au monde le premier-né de Nini. J’ignore si tu l’as remarquée mais elle est grosse et suite à une fausse couche je mets toutes les chances de notre côté pour que cette grossesse aille à son terme. Tante Lou sait bien s’occuper d’elle et on ne peut espérer meilleure place pour mettre un enfant au monde. » Il me tenait toujours la main et son regard sondait le mien ; la présence de Clive risquerait de soulever un vent de contestation dans le coin. On le craignait à Five Points et ailleurs ; de nouveau il embrassa ma main. « Tu es vraiment charmante….qui de Mayer ou de Meara a ta préférence ? Il me tarde de les revoir et de leur proposer mes services. Crois-tu qu’ils acceptent tous deux de me revoir ? Arranges-toi pour que cela soit possible. » Dans le salon, tel un ours en cage je ne cessais de tourner en rond dans ma robe de chambre damassée à la large collerette de dentelle. On

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sonna à la porte et j’entendis Livingston demander après moi. En pleine migraine j’acceptai de le revoir et assise dans mon confortable fauteuil je cherchais à me contenir du mieux que je pus. Ce dernier resta sur le seuil de la porte, perdu dans ses pensées. « Que me vaut votre impromptue visite, Aaron ? Vous savez que je ne reçois pas si tard. Oui, vous me voyez être en piteux état, déclaraije en tirant sur la manche pagode de ma robe de chambre. Le médecin me conseille de rester alitée au risque de perdre le bébé. C’est très encourageant pour la suite n’est-ce pas ? Peutêtre ne suis-je après tout pas faite pour porter la vie ? Tout cela m’accable. » Il restait là à me fixer sans mot dire puis inspira profondément pour pousser son fauteuil vers le mien. «Je n’ai jamais eu l’intention de vous manipuler. Tout le monde me sait intègre Miss Kennedy et cela me contrarie que vous puissiez colporter de mauvaises rumeurs à mon sujet. Votre gazette n’est qu’un tissu de mensonges et je reçois ce soir des personnes très influentes à New York dont ma future femme et comment dois-je me défendre de certaines rumeurs concernant des tractations passées avec mes clients dont la liste figure sur cette immonde feuille de choux ? —Cela ne me regarde pas et il vous aurait fallu vous montrer plus prudent ! Arguai-je en quittant mon fauteuil pour aller me servir un verre d’eau à la carafe. Vous êtes loin d’être un ange vous aussi et il m’a fallu interroger des personnes de confiance pour comprendre le genre d’usurier que vous êtes. Vous saviez pour Johann mais vous avez trouvé bien plus amusant de me tenir à votre merci. Et puis vous saviez pour mon frère….or bien souvent vous faites l’erreur de me sous-estimer Aaron. Alors suis-je

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à ce point indigne de confiance ? A présent nous nous battons à armes égales. —Qui parle de combats entre nous ? Vous ne faites que mal interpréter mes propos et cela finit par en devenir navrant. Jusqu’à maintenant je pensais que votre sens de la mesure ne se trouverait pas anéantie par les projets de vos amis. Force de constater que vous vous refusez à mes conseils éclairés. » Il se servit un verre de Whisky sans que je l’eusse invité à le faire et repris sa place devant le feu. Et là pour mieux enfoncer le clou, il prit une pause des plus décontractée, sortant le cigare qu’il brûla sous mon nez, l’œil brillant quelque peu narquois. Il ne fanfaronnait pas autant en arrivant ici. A présent il jubilait soulagé de n’être pas mon ennemi juré. « Comment est Quinn ? Vous devez très certainement l’estimer. Après tout, vous arrivez toujours à gagner les faveurs de ces gentlemen. —J’ignore qui est vos sources mais rien n’atteste la véracité de leurs dires. Contrairement à Meara, je suis un homme de notoriété publique. Quant à votre frère on ne le respecte certainement pas pour ses idées. —Alors vous ne voulez rien me dire au sujet de vos amis? Mon frère est en ville Aaron vous devez savoir qu’il apprécie tout bonnement s’immiscer dans les affaires des autres. C’est un trait de famille chez nous autres Kennedy. —Alors vous avez la mémoire courte, Keira. Il est parti à votre demande. Vous le lui avez suggérez et il l’a fait ! Croyez-vous que pendant tout ce temps j’ai pu manquer de discernement à votre sujet ? Vous ne manquez pas de toupet. —Johann est toujours en ville n’est-ce pas ? —Vous pourriez… commencer par accepter l’idée que je vous fasse la cour. Ensuite, nous pourrions envisager de nous unir pour le meilleur et pour le pire. N’est-ce pas la suite à apporter à vos tribulations ?

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—Pour le meilleur et pour le pire ? Ce mariage vous permettrait de récupérer l’argent de Johann, voilà pour le meilleur ! Le pire pour vous serez de renoncer à vos associations lucratives pour vous contenter de presque rien ! —Ah, ah ! Bien que vous ne soyez qu’une putain de catholique irlandaise j’accepte cet arrangement…. —Cela aurait prévalu à l’époque où je ne portais pas l’enfant de Johann. Maintenant les choses sont différentes. Je vais être maman et j’ai assez d’argent pour élever seule cet enfant ! Votre offre aurait-elle été valable si j’étais restée la petite Kennedy de Five points ? —Non. L’argent attire l’argent. Vous me plaisez beaucoup Keira et je ne m’en suis jamais caché. Votre minois n’est jamais passé inaperçu et je suis un homme envieux et je me refuse de vous laisser à un autre ! C’est à ce prix que nous collaborerons. —Je veux voir Johann. Vous me devez bien ça ! » Avec fougue on s’embrassa tout en copulant ; les coups de reins furent brutaux et manquant de souffle je laissais Johann me buriner. Le plaisir fut intense et après l’acte qui dura assez de temps pour nous laisser sur les rotules, j’enserrai le visage de mon amant entre mes mains aux phalanges recouvertes de résille. « Pourquoi ne rentres-tu pas Johann ? Je commence à trouver le temps long sans toi. —Et qu’est-ce qui te fait croire que j’ai envie de rentrer ? De toutes les femmes que j’ai fréquenté jusqu’à maintenant, tu es la première à me prendre de haut. Je pensais que tu ramasserais l’argent pour t’établir dans les beaux quartiers. Mais toi tu décide de vouloir t’installer avec moi et j’avoue que cela devient vraiment embarrassant. Je reçois du monde ce soir, alors….je ne te retiens pas. »

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L’enfoiré ! Je jetais ma pelisse sur mes épaules et claqua la porte derrière moi. Mon cocher attendait en bas de l’immeuble et après être monté à bord, un homme frappa à la portière de la voiture. « Navré de vous importuner Miss Kennedy ! » Et le cigare à la main il monta à bord pour s’assoir en face de moi. La panique me saisit. Il ne manquait pas de culot celui-ci ! « Miss Kennedy, veuillez excuser mon intrusion, mais on m’a fait savoir que vous cherchiez à me rencontrer. Mon nom est Elon Quinn et je suis là pour répondre à toutes vos questions. Vous rentriez bien au 22 de la 3ème avenue n’est-ce pas ? » Je l’avais imaginé plus vieux, le cheveu grisonnant et plus mystérieux ; or cet homme était charismatique et sentait délicieusement bon, on aurait pu trouver mieux en matière de parfum. Un collier de barbe bordait son menton lui conférant un air moins lisse et puis son regard exprimait tant de choses qu’il me fut difficile d’y percevoir un avis favorable quant à ma personne. « Oui effectivement, j’entends des tas de choses sur vous et… j’avoue que vous avez su exciter ma curiosité. Jusqu’à ce qu’on me renseigne. Ah, ah ! Livingston se plie en quatre pour m’être appréciable. Il a du vous dire qans quelle situation embarrassante je me trouve être et maintenant que je suis riche à millions, il accepte de fermer les yeux sur tout ça. Où descendez-vous ? » Quinn porta son cigare à ses lèvres pour en extraire une volute de fumée qu’il cracha dans me direction. A en juger par son costume et ses accessoires, il soupait en ville ; cette arrogance new yorkaise le définissait bien. Il se tut pour mieux m’observer, faisant couler son regard bleu acier sur mon visage et son regard semblait

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être illuminé de l’intérieur tel des milliers de feux brulant sans jamais vouloir s’éteindre. «Johann a-t-il toujours l’intention de gagner la Californie ? Pense-t-il en avoir fini avec son emploi ? Vous devriez le convaincre de rester. —Je ne veux pas vous paraitre grossière mais si je devais parler de Mayer-Sachs a quelqu’un cela ne serait pas à vous ! —Alors on vous a mal renseigné. Frank, Johann et moi sommes de vieux amis. Vous faisiez encore dans vos couches que nous tirions les rats des caniveaux pour trois shillings par jours. Ensuite nous avons pris des chemins opposés pour finalement nous retrouver des années après, fort d’une glorieuse expérience militaire autant que civile. Je descends à la prochaine intersection. Mais voici ma carte….possible qu’on se revoit dans les jours à venir et je dois avouer que vous me faites bonne impression. » En m’entendant rentrer, Frank se leva. « Livingston est passé selon les dires de Jasper et tu es sortie en sa compagnie, toujours selon les dires de Jasper ! Où êtes-vous allé ? —Tu comptes encore m’interroger longtemps sur mes sorties ? Tout cela est navrant quand je pense à tout le mal que je me donne pour améliorer tes rapports avec Johann. Et ne fais pas l’étonné, il m’a tout dit. Il semblerait que tu aies essayé de le doubler alors que vous êtes tous deux associés. Et puis la Californie n’a jamais été une passade pour lui. il compte vraiment s’y rendre. Que feras-tu quand il ne sera plus là ? qui s’occupera de rabattre tes potentiels clients ? Et qui serait assez vicieux pour nuire aux commerces de tes concurrents ? —Où as-tu été chercher tout ça ? Laisses-moi deviner : ton frère ? —Et quand bien même s’agirait-il de mon frère, que feras-tu pour me museler ? Je suis fatiguée. Je vais aller me mettre au lit. »

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Impossible pour moi de fermer l’œil de la nuit. Vers minuit j’entendis du bruit en bas, des pas martelant le parquet et des plus cuiseuses j’enfilai ma robe de chambre pour descendre à pas feutrés. On chuchotait puis le silence envahit les lieux. Accrochée à la rampe d’escalier je tendis davantage l’oreille. Le brut de verre attira de nouveau mon attention. Quelqu’un se tenait là. L’odeur de tabac atteignit mes narines et au bord de la nausée je pris sur moi pour descendre jusqu’en bas de la rampe, tenant la traine de ma robe de chambre sous le bras. « Possible qu’elle ne trouve aucun plaisir à ton compagnie. As-tu pensé à ça ? Maintenant qu’elle est grosse, elle ne sera plus jamais la même. Alors tu devrais la laisser partir avant que cela ne se complique pour toi. Un môme, ça change une femme. » Entendre cela me contraria. Il m’avait mise en cloque et je me fichais bien qu’il assume sa paternité ; il ne voulait pas de cet enfant et sans père pour ce dernier ma mère refuserait de me recevoir. Alors ma décision fut celle de faire passer le bébé et le lendemain je me rendis chez kruger, une faiseuse d’ange la meilleure de Five Points. Par conséquent il me fallut louer une chambre d’hôtel pour tout le temps que durerait l’opération. Toute la journée je saignais dans ce bain chaud absorbant cette damnée potion censée éliminer l’indésirable et quand la chose fut faite, exsangue et vidée de toute énergie vitale je dormis jusqu’à huit heures du soir. Clive m’attendait dans le salon en compagnie de mes sœurs Saoirse et Deirdre qui me sautèrent au cou, folles de joie de me revoir. « Alors c’est donc ici que tu vis ! Clive dit que tu es la voisine des Astor ! Tu nous feras visiter dis ?

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—Ah, ah, doucement les filles ! Votre sœur a tant à faire qu’elle ne peut répondre à vos sollicitations, répliqua Clive souriant d’une oreille à l’autre. Ton maitre d’hôtel nous a fait savoir que tu dinerais seule ce soir, alors pourquoi ne pas souper en ville ? Les filles sont mortes de faim et je suis persuadée que tu connais un endroit où nous pourrions profiter de notre sœur adorée ! —Oh, oui c’est une excellente idée ! » S’exclamèrent les filles à l’unisson et gloussant sans vouloir s’arrêter. « Mais on ne peut sortir ainsi ! remarqua Deirdre, le bras sous le mien, tu dois certainement avoir de quoi nous vêtir ! —Sortir dans le monde ainsi vêtu serait un manque de respect pour ces gens, déclara Saoirse décidée à jouer les princesses. A peine étions-nous dans la voiture que je fis un malade. Il fallut solliciter le médecin. L’hémorragie me laissa sans force au point de n’être plus capable d’ouvrir la bouche. Quel effroyable spectacle pour mes sœurs et ces malheureuses insistèrent pour veiller près de moi jusqu’à l’arrivée des maitres des lieux. Comprenant ce dont je souffrais, il ne fut pas long à les mettre à la porte et mon frère fit des complications, menaçant Frank qui selon ses dires, jouait ma vie. Et pendant trois jours je restais au lit sans parvenir à me lever. Les femmes de chambre se relayaient à mon chevet et Frank refusait de me laisser. Etait-il à ce point épris de ma personne ? Ou bien faisait-il semblant pour rester dans son personnage ? Il me donnait lui-même la soupe sans parvenir à sortir un mot de mes lèvres. Dieu me punissait pour avoir mené une vie si outrageuse. Cora me fit parvenir mon courrier. Elle le lisait à haute vois, n’ayant pas recouvré la force pour le faire. Des anonymes me parlaient de galas mondains, on m’invitait aux quatre coins

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de New York pour fêter un événement ou un autre, on tenait à ce que j’inaugure une nouvelle école, institution catholique pour orphelines, une nouvelle église ; constamment on me sollicitais oubliant quelle parvenue j’étais, tout ce qui leur importait restait mon argent. Livingston joua de ses influences pour une loge à l’Opéra, aux champs de course, etc. Sur ce coup-là il était remarquable. Sous ses airs indifférents, il demeurait l’homme le plus déterminé de mon entourage. En fin de semaine comme étant toujours alitée, Cora me remit l’une de ses lettres souhaitant mon prompt rétablissement. Il disait avoir trouvé une belle demeure pour y commencer une vie heureuse. Sans vous mentir j’eusse attendue la visite de Johann. Or ce dernier ne trouva pas le chemin de la maison. Frank me disait qu’il était trop occupé ailleurs et la tête enfoncée dans mes oreillers je tentais de prendre un air indifférent. « Et ma mère, Est-elle passée ? —Non. Très occupée elle aussi. Tenir une pension de famille n’a jamais été de tout repos quant bien même elle dispose de toute l’aide du monde pour faire tourner son entreprise, argua ce dernier debout devant le voilage ; Et puis, on ne dois pas l’inquiéter avec ça. —Qu’entendus-tu par ça ? J’ai failli en crever Frank et tu ne crois pas qu’une mère aurait pu se tenir écarter de sa fille même si cette dernière n’est qu’une catin ? Je ne veux plus jamais porter la vie en moi. —Tu déraisonnes. Le médecin n’a jamais dit que tu ne pourrais jamais plus. Il a seulement parlé de te reposer. Bien vite tes tracas seront oubliés. Tu n’es pas la seule dans ce monde a avoir perdu un bébé, c’est malheureusement le lot de nombreuses femmes et le moment venu, on recommencera. —Oh, Frank ! Soupirai-je la main sur le front. Que tu es pathétique. Comment peux-tu

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t’imaginer que….que je veuille essayer avec toi ? Tu devrais me ficher à la porte et te trouver une ravissante jeune vierge pour coller au mieux à ta réalité. —ne sois pas stupide Keira, c’est toit que je veux. —Mais pour combien de temps encore ? Toi et moi ce n’est que du pur fantasme. On joue à être des personnes respectables dans une magnifique maison dans un quartier parmi le plus cher de cette ville et tout cela est faux ! Répliquai-je les larmes aux yeux, toujours la main en visière devant mes yeux. Depuis qu’on est gosse on rêve d’être comme Livingston, Mason et tous ces autres hommes qui fréquentent des clubs très prisés mais le passé finit toujours par nous rattraper d’une manière ou d’une autre. Je ne serais jamais la femme que tu rêves d’avoir pour la simple bonne raison que j’ai grandi dans la fange et… » Il vint s’assoir près de moi. Notre regard se croisa et il déposa un long baiser sur mon front moite. Cette conversation me faisait suer à grosses goutes et sous mes édredons je suffoquais. « Ta mère ignorait que tu portais la vie. Elle t’a ouvertement condamnée pour t’être montrée orgueilleuse. Tu leur en as mis plein la vue avec tes toilettes, ton attelage flambant neuf et tout cet argent que tu sortais un peu trop facilement. Mais on ne peut te blâmer d’être….ma maitresse. » Alors je détournais la tête pour fixer un détail de mon abat-jour représentant des calligraphies chinoises. Tout ce luxe….il le mettait à ma disposition. N’importe qui aurait cru juste d’en profiter. « Mais ti tu regrettes quoi que se soit, je dirais que cela n’est pas mon problème. Et je pense avoir été correct avec toi. »

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La semaine suivante je pus enfin descendre et toujours sans nouvelle de Johann je lisais mon courrier tout en savourant mon copieux petit déjeuner quand jasper annonça Mrs Margareth Kennedy. Et ma mère entra dans la salle à manger sans même y avoir été invitée, portant un voile noir sur ses cheveux châtains et une tenus on ne peut plus sombre. « Je ne peux pas croire que tu aies fait ça ! Oh, Keira, tu devrais crever de honte ! —Mère ; asseyez-vous je vous prie ! Articulai-je péniblement en l’invitant à prendre place devant moi. —Non, en aucun cas je prendrais part à cette mascarade ! Et dire que je t’ai tout donné Keira. Jamais je n’aurais accepté que tu tombes aussi bas. Comment peux-tu nous faire ça ? Nous qui sommes ton unique famille ! Oh, oui, tu devrais en crever de honte ! Tu es là à nous en mettre plein la vue mais au fond de toi, tu sais que cela ce n’est pas la vraie vie ! Ce ne sont pas là les valeurs que je t’ai enseignées et que ton père et tes frères se retourneraient dans leur tombe en apprenant de quelle manière tu agis ! —Mrs Kennedy, votre fille est fatiguée, souligna Frank dans l’encorbellement de la porte, peut-être est-il préférable de la ménager. Après tout son seul crime est d’avoir été ma confidente de toujours. Je suppose que votre époux et vous-même avez été de ceux qui aient connu les transports de l’amour ? —Ne me dites pas comment je dois juger cette situation Mr O’Meara ! Depuis toujours vous avez été l’ami de la famille mais aujourd’hui, les choses sont différentes. Vous m’avez pris ma fille et je devrais selon vous me laisser faire ? —Sachez que je ne la retiens pas contre son gré. Keira a toujours été libre de partir à tout moment. Possible que votre fils Clive désapprouve cette collaboration mais ce n’est

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sûrement pas à lui de me faire des laçons de foi. Maintenant Mrs Kennedy, permettez-moi de vous raccompagner à la porte ? —Vous ne l’emporterez pas au Paradis, Frank ! Votre argent ne me la prendra pas ! » Derrière le rideau je la fis monter à bord d’une voiture de louage et ma sœur Lynne de la tenir tout contre elle. Quand Frank revint je le giflai de toutes mes forces. Il ne riposta pas comme s’il s’était attendu à une telle réaction de ma part. « C’est ma famille, Frank ! Que me restera-til quand tu les auras tous contrariés ? » Livingston insista pour venir à la visite de la riche demeure sur les hauteurs. Entre lui et Frank régnait une ambiance des plus électriques. Pour l’occasion je portais une mise des plus modestes, soit une robe gris souris soulignée à la taille par une large ceinture noire à boucle dorée. Je la fis reproduire pour cet événement faisant ajouter aux manches et aux pieds assez de mousseline pour couvrir Paris à Rome. Les avocats représentant mes intérêts ne me lâchaient pas d’une semelle et ils se bousculèrent pour savoir qui des deux auraient le privilège de m’ouvrir une porte ou de m’offrir leur bras pour monter l’escalier. La maison était immense, bien proportionnée et de style néo-classique ; un ravissant parc en bordaient le large bâtiment et pour une femme seule, cette demeure intimidait de par ses proportions, sans parler de son prix. « Si elle vous plait, je m’arrangerais pour qu’elle ne vous revienne qu’à moitié prix, murmura Livingston serrant son bras contre le mien. Vous y serez à votre aise. Oubliez la promiscuité de la 4ème avenue pour vous projeter ici à l’abri de tout vacarme. —Je dois encore réfléchir. Vivre en ville représente certains avantages et c’est une sacré somme que cette maison, je doute vraiment

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pouvoir me l’offrir. Mais c’est gentil à vous d’avoir pensé à moi. A présent, je vous libère Mr Livingston. » Il ne trouva rien à répondre et de retour au bercail il fut là, dans le salon en compagnie de Johann. Sacrée belle surprise, je dois l’avouer ! A peine s’il me regarda. Il venait pour Frank et tous deux partis dans le bureau de ce dernier je me retrouvais seule avec Livingston. La situation demeurait un peu tendue entre nous deux. « Comment fut votre rencontre avec Mr Quinn ? —Des plus calamiteuses. Nous faire se rencontrer dans la rue c’était maladroit de votre part. Il a du s’imaginer que j’étais l’une de ces femmes que l’on apostrophe dans l’idée de passer du bon temps. Calamiteux, vraiment ! » Il se caressa les lèvres avant de lisser sa moustache. On entendit très distinctement le tictac de l’horloge du couloir et les bruits des lourdes voitures dans la rue avec le bruit des fers des chevaux. Mon attention se porta sur les fleurs posées sur le guéridon disposé devant la fenêtre. « J’aimerai….passer plus de temps avec vous ? » Mon regard le sonda. Ses yeux brillaient tels des petites lampes. Etrange comme un avortement vous terrasse et puis, de songer à ma pauvre mère ayant fait tout ce chemin pour tenter de me raisonner ne m’aidait pas à reprendre le contrôle de ma vie. Son ombre planait sur ma personne. Quelque part cette volonté d’être indépendante, de vouloir m’assumer frisait l’indécence. Et puis vivre avec un homme sans être sa femme terrassait ma mère de chagrin. Rien d’étonnant alors de constater à quel point les maisons convenables refusaient mes visites. Pour palier ce problème il me restait à faire un beau mariage. Livingston restait un potentiel candidat. Alors pourquoi

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hésiter ? Je ne pouvais me défaire si facilement de Johann, encore moins de Frank, ces derniers temps si affectueux envers ma personne. « J’apprécie que vous songiez à moi pour vos sorties. Vos amis risquent de ne plus vouloir vous fréquenter. Je ne suis pas une fréquentation. . —Vos millions forceront des portes. Avec un peu de volonté, tout cela sera bien vite effacé. Nous sommes en Amérique et non pas en Angleterre ou en France. il n’est pas important de sortir des bas-quartiers ou du fin fond de l’Arkansas pour se forger une réputation ici. Vous êtes Irlandaise, n’est-ce pas déjà un exploit que vous soyez arrivée si haut ? —Il me faudrait reconsidérer votre proposition. » Ce dernier se leva pour s’assoir près de moi. « Combien de temps encore ? Même pauvre, vous étiez très convaincante. Je peux me vanter de vous avoir connu avant ce revers de bonne fortune. Vous êtes foutrement convaincante. » Sa main se posa sur la mienne et je ne fis rien pour l’en dégager. Il la porta à ses lèvres dans un moment d’excès de confiance. « Je vous sais être ambitieuse et très raisonnable. Ensemble nous pourrions construire un Empire. Nos fils seront admis dans les meilleures académies et nos filles seront des de véritables coqueluches que l’on s’arrachera de Philadelphie, à Boston. C’est un bel avenir que je vous promets. » La porte s’ouvrit à ce moment précis sur Frank et Johann. L’amertume se lit sur le regard de Frank. « Nous sortons….des affaires importantes à gérer. Je suppose que vous serez des nôtres Livingston ? —naturellement oui. Miss Kennedy…. » Il lâcha ma main pour se lever et suivre ses acolytes. Une fois la porte refermée, je fondis en

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larmes. Il me faudrait du temps pour reprendre confiance en moi. A la nuit tombée, Frank revint mais seul. Il se servit un verre, perdu dans ses pensées. De mon côté je lisais David Copperfield de Charles Dickens acheté chez un bouquiniste de mon ancien quartier. « Tu n’écris plus, il y a un moment que tu ne publies plus rien. L’argent t’aurait-il fait perdre ton inspiration ? Maintenant que tu es passé de l’autre côté du miroir, tout te parait être plus abordable. Tu n’as dès lors plus l’esprit combatif et c’est dommage. Tes écrits réveillaient les consciences. A quoi consacres-tu donc tes longues journées ? La lecture est-elle devenue ton refuge ? » Avachi dans le sofa, il resta un moment à me fixer. « Tu ne me demande pas comment allait Johann ? Lui t’a trouvée tout à fait spectral. Tu devrais te ressaisir. Pourquoi ne pas commencer par sortir ? —Où irais-je ? Mes amis d’hier me voient comme une demi-mondaine et me cracheraient presque au visage. Cet argent les effraie, il faut croire. Et le peu de relation que j’ai dans ce quartier changent de trottoir en me voyant arriver. Tous ont compris que je ne suis plus la petite secrétaire si mignonne de deux célibataires vivant dans cette luxueuse demeure ! Ils ont compris que je leur dissimulais la vérité pour mieux m’adonner aux plaisirs de la chair. Quelque part je comprends leur mécontentement. Je les ai dupés. —et tu regrettes d’être ici ? —Je regrette seulement d’avoir perdu ma famille, Frank. Dans ma quête de liberté j’ai été aveuglée par de belles promesses et…. » Il se leva pour s’accroupir devant moi. Les larmes me montèrent aux yeux. Il soupira avant de se redresser pour me baiser le front. Une

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larme ruissela sur ma joue, suivit d’une autre plus grosse que la précédente. « Laisse-leur un peu de temps. Ta mère est une femme intelligente et une fois qu’elle aura accusé le coup, elle se rendra compte bien vite qu’elle a été un peu loin dans l’opinion qu’elle avait de toi. Si mes parents avaient été encore de ce monde, il m’aurait certainement dit que je perdais du temps avec toi, qu’il me faudrait chercher ailleurs. C’est le devoir de tout parent de veiller au sort de sa progéniture. Si tu as besoin de pleurer, alors…. » Debout près de mo il me caressa le dos avant de m’inviter à me lever. Dans la chambre, il écrasa ses lèvres sur les miennes tout en soulevant mes jupons. Je n’étais pas encore prête. Mon corps se remettait à peine du départ de cette petite chose. Ses baisers m’apaisèrent. Quand il glissa en moi je ne pus retenir un cri de jouissance. Sans me lâcher des yeux, il me pénétrait en douceur. Jamais encore il ne s’était montré aussi doux. Il enserra mon visage entre ses mains pour mordre ma lèvre sans cesser de me marteler à la même cadence. Au bord de l’orgasme je me maitrisais, fermant les yeux et serrant les dents. L’entendre râler au creux de mon oreille m’excitait terriblement. Ses mouvements répétitifs se firent plus profonds. Je jouis, la bouche contre la sienne. Il cessa tout mouvement pour apprécier ce moment avant de m’envoyer de violents coups. Sa peau claqua contre la mienne et le bruit de nos ébats pouvait alerter le voisinage. Le doigt dans ma bouche, il glissait peu à peu dans cet intense plaisir procuré par ce coït. « Je vais… te faire un bébé… un, bien à nous… » Il jouit en haletant, les mains crispées sur la taille. On resta un moment dans cette position. Lentement il se retira pour bien vite de nouveau enserrer mon visage entre ses mains.

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« La proposition de Livingston est une proposition honnête mais il sait qu’en t’épousant il devra accepter le fait que je te visite régulièrement. —Lui aussi parle d’enfants. » Frank ferma son pantalon. Son regard se fit plus dur. Il continuait à me faire épier craignant la présence d’amants dans mon entourage. Frank restait un homme bourré de contradictions. Profitant d’être dans ma chambre, je retirais mes boucles d’oreilles devant ma coiffeuse, ainsi que mon collier. Il posa les mains sur mes épaules pour se pencher sur moi. Le reflet du miroir renvoyait nos visages sereins et si beaux. Frank avait pour lui cette beauté insolente identique en tout point à la mienne ; lui et moi formions un beau couple, qui pourrait le nier ? « Que dis-tu de partir quelques temps en Californie ? Il est aisé maintenant de gagner San Francisco, ce voyage ne durera que quelques semaines. Une fois là-bas, nous investirons là où iles possible d’investir. New York fut les prémisses dune belle aventure. —Est-ce ton idée, ou celle de Johann ? —Tu aimerais qu’elle fut sienne, ainsi tu n’aurais pas à te poser de questions. Est-ce bien pour le récupérer que tu as fait passer l’enfant que tu portais ? Je te connais Keira et je sais que tu le l’aurais jamais fait si tu n’avais eu de bonnes raisons de le faire. Tu ne peux t’en vouloir pour cela. Un jour, tu seras prête. —As-tu vu Clive dernièrement ? —Non. Après la scène qu’il a faite ici, je ne suis pas prêt de le recevoir. Alors ? Que pensestu de la Californie ? —Je n’ai jamais quitté New York, soupirai-je soutenant son regard à travers le miroir. Mais cela pourrait nous être profitable. Et puis, on ne sait jamais, l’inspiration pourrait ben me revenir.

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—C’est super ! Répondit-il le sourire aux lèvres. Si tu ne m’en veux pas, je sors. Je dinerai plus tard ! » Dans la nuit une main chaude posée sur ma bouche me tira de mes songes. La panique me saisit jusqu’à ce que la vois de Johann me rassure. Il se tenait tout contre moi et sans ménagement il chercha à me retourner sur le ventre. Je le repoussai tant bien que mal en le frappant. Je n’étais pas sa petite putain qu’il prenait quand bon lui semblait. Il attrapa mon cou qu’il serra. Privée d’air je renonçai à lutter. Avec brutalité il me coucha sur le ventre, remonta ma chemise de nit, bâillonna ma bouche de sa main et me pénétra. La douleur fut fulgurante. « Je sais que tu aimes ça Keira, murmura-t-il en caressant mes cheveux, j’ai toujours sur ce qui te faisais jouir. Tu aimes qu’on te brutalise pendant l’acte. Hum…ma petite chérie. » Il serait vain de se débattre, il m’écrasait de tout son poids, son énorme phallus à l’extrémité de mon vagin prêt à me clouer avec force. La douleur finirait par passer, alors je me détendis. Mais sitôt qu’il remua, je cherchais à m’accrocher où je pouvais pour soulager cette difficulté ; lui reprit ses caresses et baisa ma tempe. Le troisième coup de hanche fut fatal dans mon appréhension de l’acte. Bien vite je me retrouvais être dans l’incapacité de respirer ; à vrai dire je commençais à tourner de l’œil. Nouveau coup de hanche, il me mordit simultanément l’oreille. C’est là qu’il lâcha ma bouche pour mieux s’orienter dans mon vagin, glisser son sexe de façon à ne pas me blesser. Enfin libérée, je repris une profonde bouffée d’air. « Tu aimes ça….que je vienne à l’improviste ? » Je hochai la tête, tandis qu’il procédait à de petits coups identiques aux clapotements d’une main sur l’eau. Allongé et

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légèrement sur le côté, il surélevait sa jambe droite pour que mes hanches purent accompagner les mouvements de son pénis. —Tu voudrais que je passe plus souvent ? —Oui, murmurai-je le laissant me forniquer de la façon qu’il lui plaisait et me soulageait. Sa main se pressa sur mon sein rond et ferme qu’il malaxa. « Alors….je passerai plus souvent. Je t’en ferai la surprise…. Ma chérie ». Il souleva mon menton afin de prendre ma bouche. Et toujours ses petits mouvements, tantôt directs et tantôt circulaires. Il savait que j’aimais ça. « Arg ! Es-tu heureuse quand je suis là ? —Oui….beaucoup…. —Et….Frank te donne-t-il autant de plaisir ? te fait-il jouir comme moi ? Dis-le-moi. Sa grosse queue ne te donne pas autant de plaisir, hein ?u veux jouir ? » Il caressa ma tête de la senne sachant qu’il faisait exactement ce qu’il fallait pour envoyer au septième ciel. Il jouit par-dessus mon orgasme, tous les membres tendus et le dos arqué. Son éjaculation fut longue et stimulée par les vagues de plaisir causés par ma petite mort. Mais les effets retombés, il devait bien vite se retirer pour ne pas m’entendre crier de douleur. Il s’allongea sur le dos, les mains sur les yeux. 3Epouse Livingston, qu’on en finisse avec cette histoire ! la Californie ne pourra indéfiniment nous attendre. »

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CHAPITRE Le majordome de Livingston m’ouvrit les portes de son somptueux hôtel et me laissa dans le vestibule, le temps pour lui d’annoncer à son maître ma présence. Il recevait de notables dont des banquiers et des investisseurs et leurs voix m’atteignirent. Des plus nerveuses j’ajustai une dernière fois le jabot de mon chemisier de mousseline sur lequel pensait une croix faite de diamants payée une fortune chez le joaillier de la 5ème avenue. Les personnes riches voyaientelles toujours à la dépense ? Livingston entra et s’immobilisa à quelques mètres de moi. Plus que jamais son regard scintillait de mille feux. « Miss Kennedy, je…si je m’étais attendu à cette visite... Je reçois des confères, mais s’il vous plait, ne restez donc pas là ! » Il ferma la porte de son salon derrière moi et m’invita à m’assoir sans plus me lâcher des yeux, craignant qu’une clignement d’œil me fasse disparaitre. « J’ai longtemps réfléchi et j’a pesé le pour et le crainte d’une possible union avec vous et…. —Vous m’envoyez très ravi ! —Et, donc….le mariage serait pour nous… la conjugaison de deux fortunes qu’il convient de cimenter, afin de…. —Nous établirons un contrat de mariage en bonne et due forme, me coupa-t-il le sourire aux lèvres. Ma profession de banquier m’encourage à la prudence, nous ne sommes malheureusement pas à l’abri d’une faillite ou d’un redressement fiscal. Mes notaires vous feront parvenir le dit-contrat stipulant que seuls nos héritiers bénéficieront de nos avoirs. Votre fortune restant moindre que la mienne, il vous sera tout à fait possible de vous en sortir si je venais à disparaitre. »

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D’un bond je me levai, les mains croisées sur le devant de ma robe. Jeèmepartis à la fenêtre jeté un regard lointain à la 5 avenue. Ce n’est pas mon argent qui l’intéressait. Il me rejoignit à la fenêtre, cherchant à capter mon attention. « Vous avez raison de vouloir vous prémunir d’une femme comme moi. Vous en savez déjà tellement. » Mon regard plongea dans le sien. Il se tenait si près de moi que cela dans un autre contexte aurait été des plus indécents. Il a de beaux yeux et une belle bouche. Je ne cessais de penser à ce qu’aurait pu être ma vie sans l’intervention de Frank. Livingston m’aurait-il seulement regardé ? Il m’aurait séduit avec sa belle allure avant de me prendre contre un mur, sans égard ni regret pour la petite Irlandaise sans fortune que j’étais. Ma mère m’aurait encouragé à garder son bâtard et j’aurais été contrainte de tapiner pour l’élever. « Vous savez Aaron, je n’ai pour vous aucune affection. Vous n’êtes qu’un homme chasseur de dote probablement ou bien très romantique, j’ignore encore dans quelle catégorie vous mettre mais sachez que si je vous épouse vous pourriez en souffrir. » Il détacha son regard de mon visage pour se concentrer sur cette avenue. Il se pinça le nez sans parvenir à desserrer les dents. Un large sourire déforma mes lèvres et ma main caressa son bras. « Ceci dit je pourrais apprendre à vous aimer parce que vous êtes le seul à me proposer votre soutien. Vous devenez me trouver bien singulière, un peu trop zélée mais ne soyez pas trop dur avec vous-même. Que croyez-vous que je fasse avec votre argent ? » Ses yeux se posèrent sur ma bouche. Alors je quittai la fenêtre pour me diriger vers la porte.

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« Cela valait le coup d’essayer. Ce fut un plaisir. Ne me raccompagnez pas à la porte, je connais le chemin ! » En sortant du salon je reconnus la silhouette d’Elon Quinn. Il se tenait là, immobile, le cigare fumant à la main. Il tarda à me saluer et un frisson parcourut mon dos, faisant durcir mes tétons. Il me tardait de rentrer pour ne plus y bouger, enfermée dans David Copperfield. Une fois sur place, je tournai en rond, tel un poisson rouge dans son bocal. Derri7r le voilage du salon je guettais je ne sais qui, le cœur battant à rompre. Enfin je me résolus à ouvrir mon livre et cette attente pays, puisqu’une heure après l’avoir ouvert, Frank entra à vive allure. « Jasper ! Fais atteler la voiture, je dors ! Tu n’avais pas besoin de la voiture Keira ? —Non, j’ai effectué une courte visite chez Livingston avant de plonger dans ce bouquin. Il veut un contrat stipulant que sa fortune reviendra à ses enfants et non à sa veuve le cas échéant. —Et que tu as-tu répondu ? Questionna Frank marchant vers moi. —Je suis partie. C’est ce que j’avais de mieux à faire. Elon Quinn se trouvait être chez lui. —Et cela t’angoisse qu’il puisse avoir une vie sociale ? Quinn et lui sont de vieux amis. Tu n’auras plus à t’en soucier ? Johann veut avancer la date de notre départ. Possible que nous partions en fin de semaine. —Si tôt ? Pourquoi vouloir précipiter ce départ ? » Il déposa un baiser sur mon front. Il me cachait quelque chose. Quelque chose m’échappait Après son départ je partis me changer pour rendre visite à ma faille. Jasper m’annonça la présence de Mr Quinn dans le salon. Que faisait-il ici ? Il tenait un vase dans la main, ce dernier trônait auparavant sur la console de la cheminée.

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« Mr Quinn, J’allais m’apprêter à sortir et si vous venez pour Mr O’meara, Jasper a du vous dire qu’il est sorti depuis un heure maintenant. —C’est bien vous que je viens voir, Miss Kennedy. Avez-vous des nouvelles de votre frère ? —J’allais sortir comme je vous le disais. —Alors vous n’estes pas curieuse de savoir ce qui lui est arrivé ? « Interdite je l’interrogeai du regard. Que savait-il que j’ignorais ? Alors je fermai la porte de la pièce pour me diriger vers lui, les gants à la main. « Et bien je vous écoute. Vous avez toute mon attention, Mr Quinn. —Votre frère vient d’être embauché par mes soins comme travailleur indépendant pour l’un de mes chantiers. Ses compétences m’ont quelque peu déroutée et il semble connaitre tout le monde dans cette damnée cité. C’est vous qui avait refaite la décoration de cette maison ? C’est très…. éclectique. Des pièces chinées à droite et à gauche. On pourrait presque penser que tout ceci est le décor d’une pièce de théâtre. —embaucher mon frère n’est pas ce que j’aurais fait de mieux. Vous auriez du me consulter avant de faire un tel choix. —Comme vous auriez pu me consulter avant d’accepter la proposition de Livingston. —Je vois que les nouvelles vont vite. 66Il n’a plus toute sa tête. Ni lui, ni plus O’meara et Mayer-Sachs. J’en déduis que c’est l’effet que vous faites aux hommes. Ils ne sont plus à leurs affaires et vous devez comprendre que cela représente beaucoup d’argent sans compter mes intérêts. » Mon cœur battit à vive allure. Un rictus apparut à la commissure de ses lèvres. « J’avais espéré que vous les feriez changer d’avis mais la Californie se rapproche inexorablement. Cela ne doit être qu’un rêve

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pour Mayer-Sachs et O’Meara, vous comprenez ? Il ne vaudrait mieux pas que votre mère sache que ces hommes vous sont passés dessus et qu’un gosse par votre irresponsabilité ne verra jamais la lumière du jour. Comment vont vos sœurs ? J’image qu’elles ne sont pas tout à fait remise des fâcheuses conséquences de votre avortement ? Quel beau spectacle leur avez-vous donné ? —A vous de me le dire. Vous fouinez partout. —Votre frère pourrait en vouloir à votre amant pour cette peine qu’il vous a infligé. Il pourrait les dissuader de partir. —Qu’il essaye toujours ! » On resta longtemps à se fixer. Il avait un coup de poing américain sur ses phalanges et à tout moment il pouvait cogner. J’avais grandi à Five points. Il le tenait dissimuler sans son chapeau. « Quand aura lieu le mariage ? —Votre ami est un homme censé, on ne pourra pas le lui reprocher. —Vous ne l’aimez pas alors pourquoi vous infliger pareil supplice ? J’étais loin de m’imaginer qu’une femme aussi indépendante que vous pourrait avoir à se marier par intérêt ? Courrez-vous donc derrière ses dollars ? L’idée d’être une jeune veuve vous comblerait-il de joie ? Jeune et à la tête d’une colossale fortune, n’est-ce pas le rêve de notre Keira Kennedy ? —C’est exactement ça. Je compte m’en débarrasser dès la nuit de noce. Cela vous choque-t-il ? Vous pourrez vous joindre au cortège funèbre si le cœur vous en dit. Vous qui semblez de distraction.» Il ne cessait de me fixer. Comment un air aussi calme pouvait abriter un monstre ? Aussi loin que remonte ma mémoire, je ne me souvenais pas de lui. A le voir, on pouvait le trouver séduisant, calme et désintéressé. Mais il n’en était rien.

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« Vous aviez eu dans l’idée de me châtier ? Pourquoi dissimuler votre coup de poing ? —Je sais que vous dissimulez une arme blanche dans votre manche et un pistolet dans votre aumônière. En toute logique je me défendrais. —Contre une femme ? Vous pourriez avoir l’avantage ? Cela ne semble pas vous perturber outre-mesure. Pourquoi ne pas vous assoir ? —J’attendais que vous me le proposiez. » Tous deux assis, on s’observa encore, chacun refusant de lâcher l’autre des yeux. L’horloge carillonna dans le couloir, annonçant six heures du soir. Mon attention se porta sur l’écran de cheminée représentant des angelots enlacés sur un nuage. Force de constater qu'il m’observait toujours. « Il vous faut un homme à poigne. Un homme qui partage vos convictions. Livingston ne vous servirait à rien. Il vous apprécie beaucoup c’est certain mais vous ne l’aimerez jamais. Il n’est pas comme Johann, ni comme Frank. Vous vous en rendrez vite compte que ce mariage n’était qu’un leurre pour vous comme pour lui et une fois mère de ses enfants, vous ne pourrez vous en défaire si facilement. Ne songez ni au divorce, ni au meurtre ; ses avocats vous tailleront en pièces. Ses avocats et tous ceux qui l’estiment suffisamment pour vous condamner à une longue errance dans ce monde dans lequel vous n’êtes pas taillée pour survivre. Il existe bien d’autres pigeons moins véreux à déplumer à New York. —Faites- m’en la liste. Etes-vous en voiture ? je comptais prendre un fiacre de location mais si vous pouviez me déposer quelque part, cela m’arrangerait. Un échange de bons précédés, n’est-ce pas ? » Le lendemain deus coursiers vinrent me livrer un paquet contenant une bague dont le diamant avait la taille d’un ongle. Je crus m’évanouir en

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voyant la taille de la pierre. Le mot disait : A défaut d’une liste, voici un gage de mon affection pour vous. E. Q. Ni une, ni deux je sautais dans le premier fiacre venu pour gagner la résidence de Quinn. On me remit l’adresse de sa société dans laquelle je m’y rendis. Il se trouvait être assis autour d’une immense table entoure de tous ces actionnaires en fracs noirs. L’espèce de préposé à l’accueil des visiteurs me talonnait en m’implorant d’attendre la fin de la réunion. « Veuillez m’excuser, Mr Quinn ! Je n’ai rien pu faire. Mrs Kennedy ici présente, dit vouloir vous parler ! —Oui, Mrs Kennedy devait passer et nous avions précisément rendez-vous à cette heure-ci. Messieurs, veuillez me pardonner, nous remettrons notre réunion à plus tard. Miss Kennedy, veuillez me suivre s’il vous plait ! » La porte refermée derrière nous, je défis mes gants et fouilla au fond de mon aumônière pour lui tendre sa bague. « Pouvez-vous m’expliquer Mr Quinn ? Je crois avoir besoin d’une courte explication. —Pourtant, je ne peux pas être plus clair. Etes-vous prise par l’émotion ? Vos joues sont particulièrement roses mais cela n’ôte rien à vox charmes. —Vous….vous m’envoyez cette bague avec….votre carte de visite ? —Oui. Vous auriez pu aller remercier la mauvaise personne. » Au borde de l’évanouissement je m’assis dans un profond fauteuil et la tête dans la main et l’autre sur le flanc, ej tentais de recouvrir la raison. Il m’apporta un verre d’eau que j’avalais d’une traite. Mais rien n’y fut, une énorme boule menaçait d’éclater dans mon estomac sans parler de toutes ces petites étoiles devant mes yeux.

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« J’ai besoin….d’un peut d’air…. » Il partit ouvrir la porte fenêtre et approcha un fauteuil en face du mien. La sueur recouvrait mon visage, j’étais en nage et ruisselais de partout. Je n’avais pas pris le temps de me changer, mes cheveux en désordre s’échappaient de mon chignon et j’avais tout l’air d’être une folle échappée de son asile. Seule cette robe bleu nuit à rayures me faisait honneur, notamment ce corsage croisé sur la poitrine. Encore l’une de ces mises qui vous embellissent considérablement, il me fallait songer à remercier mes couturières. Renifler le sel d’ammoniaque me sortit de l’embarras de cet évanouissement et tenait ma main dans la sienne. Pourquoi se tenait-il près de moi ? « Vous venez de faire un malaise. Vous sentez-vous mieux ? Miss Kennedy, vous devriez vous ménager un peu. Surtout, restez allongée. —Je... je vais mieux. J’étais venue vous remettre votre bague. L’avez-vous reprise ? —Elle ne vous plait pas ? —que suis-je censée répondre ? Est-ce là une demande de plus appropriée ? Vous ne me connaissez pas et vous me provoquer avec….cette bague ! « Alors il posa le genou à terre, l’écrin à la main. « Miss Kennedy….acceptez-vous d’être ma femme ? —Non ! Bien-sûre que non ! Vous n’avez pas à me poser cette question ! Je dois m’en aller… —Vous êtes tout à fait libre de refuser. Je ne vous retiendrais pas davantage. Laissez-moi raccompagner chez vous. » Brusquement je me dégageai de son étreinte. Il venir par obtenir gain de cause. Une femme ne pouvait se déplacer seule et dans la voiture aucune de nous ne parla. Johann se trouvait être

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à la maison et à peine ouvris-je la porte qu’il me sauta dessus. « Que faisait-du dans la voiture de Quinn ? —Ce ne sont pas tes affaires, répondis-je en me précipitant vers l’escalier. Il me talonna. « Pas mes affaires ! » Il me retint par le bras pour me frapper. Le coup fut si fort que je me retrouvais face contre terre. « Keira…..je suis désolé… » Il voulut m’aider à me relever mais j’y parvins seule et la main sur la joue, monta prestement l’escalier pour aller m’enfermer à double tour dans ma chambre. Plus tard, Frank toqua à ma porte avant d’essayer de l’ouvrir. « Keira, ouvres cette porte s’il te plait ! Johann m’a tout expliqué. Il avait trop bu et…. Il sait qu’il n’aurait jamais du porter la main sur toi. Il s’en excuse. Peux-tu m’ouvrir maintenant ? » Les bras croisés sur ma robe de chambre je lui ouvris et m’assura qu’il ne se trouvait pas être derrière la porte. « Je ne compte pas l’excuser. Il n’est pas mon père, aucun moins mon mari ! Comment a-t-t-il pu oser porter la main sur moi ? Il sait que je condamne la violence et lui… il valait mieux pour lui qu’il s’en aille. —Il n’aurait pas apprécié te voir sortir de la voiture de Quinn. Que faisais-tu en sa compagnie ? —j’étais partie lui remettre une babiole lui appartenant. Jasper a du e dire qu’il est passé hier. Je croyais qu’il était votre ami. —Quinn n’est pas du genre à parler alors je suis en droit de te demander ce que vous avez fait ensemble. Tu sais Keira je finirais par le savoir. Alors il vaut mieux pour toi que tu parles maintenant. —Et tu me menaces toi aussi ?

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—Non. Ce n’est qu’un simple conseil. Quinn a fait sortir ton frère de prison en lui payant sa caution. Or ton frère dit vouloir récupérer du fric, soi-disant qui lui appartiendrait. Quinn fait pression sur Johann pour récupérer une certaine somme. —Alors pourquoi ne pas lui rembourser ce que vous lui devez ? —Parce que ton frère voudra toujours plus. Et Quinn en tient assez pour nous mettre au trou, Johann et moi. Mais il refuse de faire le sale ménage lui-même, alors il passe par des intermédiaires comme ton dégénéré de frère. —Qui d’autres est au courant de vos combines ? —Seulement toi et Quinn. » Frank me faisait confiance. Sitôt qu’il apprendra la véritable raison de ma présence dans les locaux de Quinn il deviendra fou. Il arpentait la pièce, les mains sur les hanches et s’arrêta pour se caresser le menton. Il devait avoir deviné quelque chose. Il reprit sa marche et assise dans ma bergère, je fixais le tapis d’orient à mes pieds. « Il est venu me voir au sujet de la Californie. Selon lui vous feriez une grosse erreur à partir. —Et toi ? —Et moi, quoi ? —Tu penses comme lui ? Depuis hier tu aurais eu le temps de m’en parler, mais toi…. Tu vis sous mon toit Keira, l’on ne peut avoir de secrets l’un pour l’autre. —Johan et toi vous vous servez de moi pour tenir Clive à l’écart de cette maison. Ainsi vous n’êtes pas inquiétés. Il peut continuer à vous menacer, vous tenez sa sœur sous votre toit avec… tout ce fric pour vous garantir sa loyauté ! —Tu pourrais avoir raison sur ce pont mais ce n’est pas exact.

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—Je ne suis pas stupide et je sais voir N’estce pas pour cette raison que tu me baises ? Le problème Frank c’est que maintenant c’est que tu t’es entiché de moi. Tu ne peux plus faire marche arrière, alors tu as convaincu Johann que la Californie pouvait être une solution pour n’avoir plus à me partager avec celui que tu considère être ton frère. » Il me dévisagea froidement avant de sonner Maureen. Il ouvrit les portes de mon dressing et attrapa quelques robes au hasard qu’il jeta sur mon lit. Il en avait plein les bras quand ma pauvre Maureen arriva, des plus ahuries. « Maureen ! Miss Kennedy s’en va ! Videzmoi cette garde-robe, je ne veux plus rien voit trainer ici ! Cinquante dollars, poursuivit-il la main dans son portefeuille, cela devrait te suffire ? le cocher la déposera à l’hôtel de son choix, pourvu qu’il se trouve être loin d’ici. Et ne t’avise plus de revenir. Maureen assurez-vous qu’elle n’air rien oublié qui l’encouragerait à revenir. » Ma nuit à l’hôtel ne fut pas pire qu’une autre. Pour cinquante dollars, je pouvais rester deux mois dans cet hôtel modeste donnant sur l’Hudson. En me voyant débarquer le personnel de l’établissement n’en crurent pas leurs yeux ; je louais donc une chambre supplémentaire pour entreposer mes malles. Levée aux aurores je pris un petit-déjeuner au restaurant de l’hôtel. Les hommes ne me lâchaient pas des yeux et la tasse à la main je me perdis dans mes pensées. A la réception je fis parvenir un pli à Quinn, lui demandant de venir me rejoindre à une adresse précise. Ce qu’il fit à l’heure convenue. Le temps passa au salon de thé de la 3 ème avenue. Quinn n’allait pas honorer mon rendezvous. Au moment où j’allais quitter l’établissement il arrivait.

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« Vous m’avez fait attendre plus d’une demiheure mais maintenant je suis fatiguée…. » Il me saisit par le bras pour me faire entrer de nouveau dans le salon de thé. Il salua le maitre d’hôtel et me précipita sur la banquette. Où étaient donc passées ses bonnes manières ? Il me faudrait du temps pour m’en remettre et après s’être assuré que personne n’écouterait notre conversation, il me sonda de ses yeux bleus et pénétrants. « Je me fiche de savoir à quel jeu vous jouez comme je me fiche de savoir qui de Frank ou de Johann a eu raison d’avoir eu le comportement qu’ils aient eu à votre égard, mais vous m’avez mise dans le pétrin en me soupçonnant d’être déterminé à couper l’herbe sous le pied de Mayer-Sachs. Il est mon associé. Voilà la seule raison de ma volonté de le voir rester à New York. Qu’est-ce que vous vous êtes donc figurée ? Le monde entier est une immense farce pour vous mais pas pour moi. Mon commerce en dépend et…ici nous sommes loin des quartiers miteux dans lesquels vous avez grandi ! A Manhattan tout est à reconstruire et je ne pourrais y parvenir sans la collaboration de Mayer-Sachs et de votre O’Meara ; —Ne me prendrez pas de haut ! —Je vous prendrez comme il me convient de vous prendre, argua-t-il en me serrant le bras, les dents serrés. Vous ne m’aurez pas comme vous avez eu ces hommes ! —C’est pourtant vous qui m’avez fait votre demande l’autre jour ! Alors pourquoi devrais-je faire comme si rien ne s’était passé ? Et lâchezmoi pour l’amour du ciel ! Vous me coupez la circulation du sang ! Merci. Vous n’avez pas été tout à fait clair sur vos intentions. Vous avez su me trouver pour envenimer les choses et il serait plus juste que se soit moi qui demande réparation. Vous ne croyez pas ? —C’est à moi d’en juger. »

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De nouveau il sonda mon esprit. On resta à se fixer. II fouilla dans la poche antérieure de son frac pour en sortir l’écrin contenant la bague. Il le glissa dans ma direction et sans sourciller je la repoussais dans sa direction. « Ce n’est pas avec un diamant que vous m’achèterez. Vous vous méprenez sur mon compte. —Alors ceci devrait vous convaincre. » Il sortit une enveloppe de sa poche qu’il posa sur la table. Piquée par la curiosité, j’ôtai mon gant pour la décacheté. Il s’agissait d’un contrat de mariage. Il acceptait de partager ses biens. Je pris sur moi pour ne pas paraitre enjouée. Le moindre sourire me compromettrait. « Je pourrais partir avec votre fortune. —Je n’en doute pas un instant. » Il se rapprocha et prit ma main qu’il porta à ses lèvres. « Vous et moi sommes faits du même métal. Il y a longtemps que je vous observe. Il n’y a aucun homme qui vous désire plus que moi. Vous êtes taillée pour cette vie et je vous initierais à toutes ces subtilités. » Il ouvrit l’écrin pour glisser la bague à mon doigt. « Laissez-moi prendre soin de vous et vous serez la femme la plus comblée de ce pays. —Et quelle est la contrepartie ? Dans toute transaction, il faut s’attendre à une contrepartie. » En réponse à cela, il embrassa ma joue. Sans rien commander nous partîmes comme nous étions venus avec empressement et il chargea son valet de récupérer mes malles pour les porter en sa demeure, une immense demeure à l’extérieur de la ville, une sorte de palais avec ses nombreuses pièces et cette s toutes plus lumineuses et luxueuses les unes des autres. Difficile pour moi de ne pas me sentir insignifiante, toute petite et inutile.

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Il me servit un verre d’eau dans une pièce ayant les dimensions de deux pièces à vivre chez Frank. N’étant pas à mon aise dans ce décor emprunté aux maisons de Londres selon les représentations faites dans les magazines de décoration pour riches propriétaires, je triturais mon sautoir, incapable de me calmer, le gros diamant à mon doigt. « Une fois installée ici vous pourrez arranger cet intérieur comme bon vous semble. Vous avez un goût certain pour la décoration, me flatta-t-il assis dans ce fauteuil à oreilles en cuir vert. Je compte casser quelques murs pour espacer cette espace. Les endroits confinés ne m’inspirent guère. —Oui cela doit-être terriblement excitant pour vous. Je ne parle pas seulement du mariage mais de l’emploi que vous ferez de moi. J’imagine que je ne suis pas ici pour vous faire des bébés. Vous savez que j’ai refusé de garder le mieux. Un petit bâtard reste une charge pour sa mère même si né dans les meilleurs conditions. » Il éloigna le cigare de ses lèvres pour me juger en silence. La cheminée, colossale attira mon attention en raison du blason qui s’y trouvait. « Avez-vous des parents Mr Quinn ? Une mère aimante quelques parts ? J’en sais moimême bien plus sur vous que vous ne pouvez l’imaginer. L’avantage d’être une femme c’est qu’on peut obtenir sans avoir à se forcer. Quelques larmes, un mouchoir pressé autour d’un nez sec et le tour est joué. Mais il n’y a aucun déshonneur à être le fils d’une putain. Vous avez réussi où d’autres ont échoué. » Il remit son cigare entre ses lèvres. Je posais le verre sur le guéridon pour me lever et arpenter la pièce dans un froissement de jupons soulignant chacun de mes pas.

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« Ma mère est bercée dans la tradition, la religion et la morale. Elle se console tant qu’elle peut en se disant que sa fille chérie finira par rentrer dans le droit chemin en faisant un bon mariage qui la tirera de l’embarras dans lequel elle me pense être. Vous lui ferez bonne impression. » Ma main caressa son épaule comme pour en essuyer quelques poussières. Et je poursuivis mon chemin. « Bien-sûr vous comprendrez que je veuille me montrer généreuse à l’égard de la femme qui m’a mise au monde. Pensez-vous qu’ne partie de ma fortune soit consacrée à des œuvres de bienfaisances ? Les prostituées par exemple pourraient avoir des soins médicaux appropriés et leurs bâtards, de l’instruction. Ce mariage sera une consécration pour vous. —On nous mariera dans la semaine. Mieux vaut en finir au plus vite avec ces formalités. Les fiançailles ne feraient que vous donner l’opportunité de retourner auprès de vos amants. —Et bien ! Et bien ! Seriez-vous pressé de consommer le mariage ? —Que pourrais-je attendre d’une femme qui copule pour le plaisir ? Je pourrais vous prendre maintenant et ainsi savoir ce que vous valez .Mais cela ce ne sont pas mes intentions ni dans les vôtres, le sais. A preuve du contraire vous étiez vierge quand O’Meara et Mayer-Sachs vous ont débauchée. Nous en resterons à un mariage pour sa forme première : un accord entre deux personnes. » Il quitta la pièce sans plus aucun regard pour moi. Les sourcils froncés j’allais le suivre. Toutes ces pièces ! Le majordome me fit savoir que Quinn venait de sortir mais qu’il espérait que je sache apprécier le confort de sa demeure. Le tête tournait dans tous les sens et petit-àpetit je me sentis défaillir. Le majordome me retint par la bras et ensuite plus rien….

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Mon réveil fut difficile, du moins qi on pouvait appeler ça n réveil, ma bouche était pâteuse et le son d’un piano attira mon attention, ainsi que des éclats de rire et le bruit des verres entrechoquées. Avec difficulté je m’assis sur le rebord du lit, incapable de recouvrir la raison. En proie à une sérieuse migraine j’envisageai de me recoucher quand on frappa à la porte. Un type se tenait là, à la porte, un homme que je ne connaissais, arborant une barbe et des cheveux tirés en arrière. « Comment te sens-tu ? » La main sur la tête je tentais de me concentrer. « Mais vous êtes qui ? —Keira, je sais qu’il est difficile en ce moment pour toi de te concentrer, mais tu dors maintenant depuis longtemps et il faut vraiment qu’on le fasse, touts les deux, comme il était convenu qu’on le fasse. » Interloquée je fixais l’homme au regard pénétrant, assis près de moi. Il portait une chevalière à la main, celle de West Pont et lui arbora un timide sourire sur ses lèvres. « Ils sont là, alors c’est aujourd’hui ou jamais. Nous n’aurons pas de deuxième chance. —Mais de quoi est-ce que vous me parlez ? Et où suis-je ? je ne connais pas cet endroit ! —On est à New York. On est arrivé depuis trois jours et tu as été prise d’envie de dormir, ce que je conçois après un long périple depuis San Francisco mais on a perdu trop de temps. —San Francisco ? » Il fronça les sourcils avant de jeter un œil sur sa montre à gousset. Une belle pièce, le genre d’accessoires que je ne pourrais jamais l’offrir. « Vous ne m’aviez toujours pas dit qui vous étiez. —Je suis Elon quinn, répondit-il des plus ennuyé, je suis ton époux Keira mais de ça apparemment tu ne t’en souviens plus ! Ecoute, si c’est encore une de tes absences, alors il vaut

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mieux pour nous repousse rà plus tard mais ce train de vie risque de me couter un bras. De quoi te souviens-tu ? » Ce type était mon mari. C’était à n’y plus rien comprendre. Oui, je portais bien deux bagues à mon doigt ; mais alors comment expliquer que je ne me souvienne plus de rien. « De quoi te souviens-tu en dernier ? » Les yeux fermés, je tentais de faire le vide dans mon esprit. Il y avait cette grande demeure à new York et lui, Elon Quinn. « Nous devions….nous marier. Tu étais….différent. —Comment ça ? —Tu étais plus…distant. Tu ne me disais rien et tu insistais pour ce mariage. Et…. —Et quoi ? Nous sommes ici à ta demande Keira et si tu ne veux plus le faire, alors on rebrousse chemin et on en parle plus. » Il se leva pour gagner la porte d’entrée. Il allait s’en aller et je resterais alors sans réponses. « Et que devenons faire au juste ? —Tu devrais encore te reposer. Tu en oublies que nous sommes mariés alors il est préférable que tu te repose. Je repasserai dans une heure. —Mais où allez-vous ? —Là, où je ne risque pas de te troubler. » Une fois seule, je me levai pour fouiller dans ses valises, dans la penderie à la recherches d’indices, ce que je trouvais furent des reçus d’hôtels, de restaurants ; assez pour repeupler une forêt des Ardennes. Je trouvais deux livres de lectures David Copperfield et un livre sur un auteur inconnu dans mon répertoire d’auteurs à lire ou déjà connu. Ensuite il y eut des croquis représentant des paysages, des Amérindiens, des aigles royaux et des enfants en haillons. Je fouillais dans une malle peine de jupons sans rien y trouver. Inutile de chercher ici, je devais questionner cet Elon Quinn.

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Il était plus de six heures et un châle autour de mes épaules, je quittais cette chambre. En bas je trouvais des femmes vêtues comme pour se rendre à un bal et elles se pavanaient au bras d’hommes impeccables dans leur complet. Où Elon avait-il pu se rendre ? Un majordome s’approcha et me dévisagea de la tête aux pieds. « Mrs Quinn, pouvons-nous vous être utile ? Avez-vous besoin de quoi que se soit ? —Oui, je….je cherche….l’homme qui… l’homme qui m’accompagne. » Intrigué, il me dévisagea droit comme un i et si guindé quon pouvait penser qu’il allait d’une minute à l’autre éclater dans cet uniforme si serré. « Vous faites allusion à Monsieur votre époux, je suppose ? Mr Quinn se trouve être dans le salon de thé mais si je peux suggérer à Madame de vous vêtir pour l’occasion, cela vous sera plus appréciable. —Je ne resterai pas longtemps. » Il m’escorta jusqu’au salon de thé et au passage tous les autres clients ne manquèrent pas de m’observer. Elon se leva avant même que je ne parvienne à sa table et remercia d’un signe de tête ce majordome, visiblement très à cheval sur la tenue vestimentaire de ses clients. « J’ai besoin d’en savoir un peu plus sur….nous deux et sur la raison de notre présence ici. Une partie de ma mémoire semble ne pas vouloir ressurgir. C’est le néant et… comme vous savez en savoir beaucoup sur moi, je suis descendue à votre recherche. —Que veux-tu savoir précisément ? —Qui je suis. Les grandes lignes. —Keira, tu…tu as grandi dans un orphelinat quelque part ici, à Five Point, c’est ce que tu….tu as vécu une enfance difficile et….nos routes se sont croisées. —A l’orphelinat ? Mais….je suis persuadée d’avoir….j’ai la certitude d’avoir des frères et

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des sœurs. Des personnes avec lesquelles j’ai grandi. » D’un bond il se leva et m’attrapa par le bras, on traversa la couloir à vive allure et il claqua la porte de la chambre derrière nous. « Il faut que tu prennes tes médicaments, argua ce dernier en sortant d’une sacoche une fiole et s’empressa de chercher un verre. Je ne peux pas prendre le risque que tu fasses une crise. La dernière nous a causé bien des ennuis. Tu ne t’en souviens probablement pas mais tu criais à qui voulaient l’entendre que je t’avais enlevée. Tu vas avaler la potion et une fois que tu auras les idées claires, nous pourrons avoir une discussion censée. —Ma mère s’appelle Margareth Kennedy et j’ai des frères et des sœurs ! La mémoire m’est revenue. Mes sœurs se prénomment Lynne, Saoirse et Deirdre. Mes frères sont…. —Keira, on en a déjà discuté une bonne centaine de fois et…je ne peux pas….je ne veux pas qu’on ait fait tout ce chemin pour rien. Maintenant avale ça… ;s’il te plait. —ais qui me dit que vous n’êtes à m’empoisonner ? Je refuse de boire ça tant que vous ne m’avez pas dit ce que je fiche ici ! Répondez ou je me mets à crier de toutes mes forces ! —D’accord ! D’accord ! Tu sais que je ne te forcerais pas à boire ce médicament si tu n’en éprouves pas le besoin mais il te faut te concentrer. Tu pourrais lire un peu. Tu m’as fait acheter David Copperfield et tu écris ! Pourquoi n’écris-tu pas ? —Je n’ai pas d’inspiration en ce moment. Frank O’Meara vous dirait la même chose. Lui me connait bien. Il sait que j’ai une mère nommée Margareth et il connait mon frère Clive ! —Ce Frank O’Meara existe bel et bien, mais ce frère Clive n’est que le fruit de ton

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imagination. C’est une sorte d’entité que tu as inventé pour donner un sens à ton existence. C’est un travail sur soi qui demande du temps mais toi et moi nous y sommes parvenus tous les deux. On a fait du bon travail et on ne peut baisser les bras maintenant. Pas si près du but. » Il s’écroula dans le fauteuil et lentement se caressa la barbe. Comment pouvais-je me fier à cet homme que je ne connaissais pas ? Il caressa ses cheveux, perdu dans ses pensées et toujours dans l’entrée de la chambre je me tenais pétrifiée devant cet Elon. Je me souvenais de tout en détail mais Quinn affirmait que cela restait le fuit de mon imagination. Les bras croisés sur la poitrine, j’éprouvais de plus en plus de mal à respirer ; cette situation m’oppressait. « Frank O’mera et Johann Mayer-Sachs existent et nous allons les rencontrer… à ta demande. Tu m’as dit qu’il avait quelque chose t’appartenant. —Je me souviens e tout en détail, m’exultaije le cœur battant à vive allure. Johann n’a pas apprécié me voir vous parler, alors il est devenu comme fou et m’a giflé. Ensuite Frank et moi avons eu une discussion au sujet de vous et….il m’a mise à la porte. C’est là que je vous ai contacté pour venir discuter à ce salon de thé. Mais avant cela vous m’avez demandé en mariage. Enfin…. Avant que Johann ne me frappe. » Elon quinn se gratta l’arcade sourcilière. Il sortit de la poche intérieure de sa veste un petit carnet qu’il ouvrit. «C’est exactement de dont tu m’as parlé hier. Tu m’as même dit que je t’avais convié dans une riche et spacieuse demeure en périphérie de New York et que je t’ai fait faux bond. Ensuite tu aurais perdu connaissance. Nous sommes au même stade qu’hier

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—J’ignore de quoi vous parlez. Mais tout ce que je sais c’est que je ne devrais pas me retrouver là. —Mais je ne te retiens pas. Tu es libre d’aller sonner à la porte de Frank O’meara pour comprendre que je ne t’ai pas menti. S’il faut en passer par-là, alors… Je te remettrais son adresse. » La voiture de louage vint nous prendre à huit heures, nous devions diner au numéro 23 de la 3ème avenue et j’étais des plus impatiente de revoir Frank. L’excitation fut telle que je n’avais plus aucun regard pour Elon Quinn, la main crispée sur la canne au pommeau d’or. Frank m’avait tellement manqué que je n’hésiterai pas à sauter dans ses bras et si Johann pouvait se trouver là ce soir, alors je serais la femme la plus heureuse de ce monde. Jasper nous ouvrit la porte. Il ne fut pas plus heureux que cela de me revoir et nous aider à prendre nos manteaux, nos gants et nos chapeaux ; des rires s’échappèrent du salon. Oui,, ma mémoire ne pouvait me faire défaut, cet endroit je le connaissais pour y avoir vécu. Des plus crispées je refusais de prendre le bras tendu de Quinn. « Mr Quinn ! Heureux que vous soyez là ! Avez-vous fait bon voyage ? Et je suppose qu’il s’agit de la très heureuse Mrs Quinn ? » Le sourire s’effaça sur mes lèvres. « Oui c’est précisément Mrs Quinn ! » On venait de me planter un couteau dans le cœur. « Et bien, venez mon ami que je vous présente ! Vous me parlerez de votre voyage en chemin… S’il vous plait Gentlemen ! Permettez-moi d’interrompre votre réflexion sur le cours du change mais je tiens à vous présenter Mr Quinn de San Francisco et… son épouse qui a accepté de se joindre à notre assemblée ! Mr Quinn possède une banque d’actions à son nom propre et a besoin de vos lumières Mr Livingston pour

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ouvrir une succursale à New York ! Comme vous l’avez compris Mr Quinn, Mr Aaron Livingston et l’un de vos confrères tout comme Mr Everett J. Mason, sur votre gauche… Thomas Mikkelson, également un très vieil ami et expert en courtage et là dans le coin, Johann Mayer-Sachs, mon associé avec qui je partage le toit de cette coquette bâtisse. Mais installezvous je vous prie ! » Mon attention se porta sur Johann ; il ne semblait pas vouloir me regarder lui non plus. Les hommes parlèrent de leur emploi respectif et Elon Quinn accepta un cigare tendu par Everett Mason, ce fourbe de Mason. Frank échangeai avec entrain et de le voir si heureux me contraria. Livingston quant à lui m’étudiait sans pour autant manifester le moindre bonheur sur son visage. « Vous plaisez-vous à New York Mrs Quinn ? » Mon cœur battait si fort qu’il menaçait de passer à travers mon corset. « Je connais cette ville pour avoir grandi ici. —vraiment ? Alors vous êtes new Yorkaise, renchérit ce dernier amusé par mes propos. Et où précisément ? Cela sera un certain avantage pour vous, une femme qui a grandi ici, est la garantie d’un franc succès ! —C’est également de mon avis, répondit Elon Quinn avant de changer le cours de la conversation. Je n’en pouvais plus d’être ici ; tous se moquait de ma présence, ils buvaient et fumaient. Ils enchainaient whisky sur whisky et je me levais pour aller me rafraichir. Au passage je m’arrêtais dans mon petit bureau dans l’espoir de trouver ici des notes, des factures attestant de mon existence passée en ces mieux. Soulevant mes jupons et sur la pointe des pieds, je glissais vers la petite salle à manger dont la porte commandaient le bureau, pas commode mais pratique pour qui veut manger non loin de

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ses laborieuses préoccupations Ma robe rouge se reflétait dans le vitrage de la commode, ma robe et mes bijoux verts, de l’émeraude. Je ne suis pas experte en bijou mais je sais reconnaitre un vulgaire caillou d’une pierre. Mes jupons bruissaient et les uns contre les autres et avec délicatesse je tournai la clef dans le mécanisme du tiroir. Il y avait des papiers mais pas ce que je cherchais. J’avais beau fouiller, rien signé de ma main ; pas une facture chez ma couturière, chez ma modeuse, chapelier non plus, bijoutier encore moins. Où les avait-on rangés ? Folle de rage, mes gestes furent plus empressés et la tête sur la main sur le front, je ne pouvais croire que tous se léguaient pour me faire perdre la tête. « Vous avez besoin d’aide ? » Je sursautai en voyant Johan adossé contre le chambranle de la porte. « Je peux vous demander ce que vous faites ici ? —Je suis….à la recherche d’un papier et d’un crayon. Et, euh…. Jasper m’a dit que je pourrais en trouver ici. —Hum, cela peut se trouver. » Il se rendit vers le secrétaire pour en extraire un papier et une plume dans on encrier. « Vous n’êtes non plus pas obligée d’écrire dans le noir, à moins que vous vouliez vous préserver de la lumière. Ainsi vous êtes née à New York et où exactement ? En fait…. Frank et moi nous nous sommes un peu renseignés sur vous quand on a appris qu’une certain Quinn de la Californie cherchait à nous joindre. On voulait être certain que….vous sauriez vous adapter ici et là, j’entends que vous êtres native de Ne York. Alors il y a de quoi tomber des nues. Vous n’êtes donc en rien étrangère à nos mœurs, à moins d’avoir grandi dans le ruisseau. Ce que je doute. Alors ? Où avez-vous grandi ?

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—Permettez que j’écrive mon billet ? Je crains que nous ayons à passer à table sans que celle-ci ne soit rédigée. » Une fois seule, la panique me saisit. Si tout cela n’avait pas été réel, alors qui étais-je ? Il me fut de plus en plus difficile de respirer, prisonnière de ce corset si serré et de retour au salon, force de constater que Quinn s’entretenait en-aparté avec Livingston. En me voyant arriver, Quinn eut des difficultés à dissimuler ses émotions. « Est-ce que tout va bien Keira ? —Non ! Je vais retourner à l’hôtel. Je suis désolée mais…je ne me sens pas très bien. —Mrs Quinn, si vous le souhaitez, vous pouvez aller vous reposer. Le souper ne sera servi que dans vingt minutes, proposa Frank, il serait regrettable de nous quitter maintenant ! Tout New York pensera que nous vous avons effrayés. Mr Quinn, nous avons un petit salon dans lequel votre épouse pourra y retrouver le calme… » Tous deux m’y escortèrent mais Elon insista pour rester près de moi. Il était collant ; cela m’ennuyait qu’il puisse se montrer si familier avec moi. Il me caressa la joue et baisa avec tendresse mon front. Vingt minutes s’écoulèrent et il revint pour m’escorter à la table ; comme je faisais semblant de dormir il n’insista pas et discrètement je quittais le petit salon pour atteindre l’escalier et y monter. Il ne pouvait avoir changé la décoration de la chambre et certaines de mes affaires devaient s’y trouver. Mais rien ! Peut-être n’avais-je fait que rêver ? Tous se levèrent quand je vins m’assoir à leur table. «Ainsi vous avez trouvé le chemin de la salle à manger Mrs Quinn, attaqua Johann. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

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—Pour cela il m’a fallu suivre les billets de banque que vous semiez à tout-va ! » Cette remarque fut accompagnée par quelques gloussements, ceux de Livingston et de Mason. « Votre femme est piquante, Mr Quinn, on pourrait regretter qu’elle ne connaisse rien aux affaires des hommes, une telle clairvoyance est une bénédiction. Ah, ah ! Je vous heurte peutêtre Mrs Quinn ? —Pas plus que ces gentlemen de la Carlisle House avec qui vous échangez vos secrets d’alcôves. Soyez certaine Mr Mason que s’il me faille être choqué par quelqu’un, vous ne partirez pas favori. —Euh….mon épouse est….veuillez l’en excuser ! » On arriva à notre hôtel de la 5 ème avenue au petit matin et Elon Quinn jusqu’à maintenant prenait sur lui mais une fois dans notre intimité, il explosa. « Ces hommes sont…. Tu as été détestable Keira, du début à la fin de cette soirée ! et ne t’attends pas à ce qu’ils nous invitent de nouveau c’est terminé ! Où sont les femmes de chambre ? On ne pourra pas au moins une seule fois avoir un service décent ! Tu as tout fait pour te faire détester et je noue, nous jouons notre avenir ! —Mais je suis censée me comporter comment selon vous ? Aucun de ces hommes ne m’a reconnu et toute la soirée je n’ai été que la femme, l’épouse de Mr Quinn ! Rien d’autre que cela ! —Et voilà de nouveau ce même sujet qui revient ! Mais comment veux-tu que l’on te nomme en public ? Tu es me femme Keira, MA femme et pas celle du voisin ! Alors oui, tu es Mrs Quinn, mon épouse et ma femme ! Qu’estce qui ne va pas encore ? « Les femmes de chambre m’aidèrent à défaire ma robe et une fois en robe de chambre, la

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discussion reprit, là où l’on l’avait laissé quinze minutes plus tôt. « Je t’aime Keira et je suis prêt à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider. Tu disais vouloir te rendre à new York pour tirer cette histoire au claire avec Mayer-Sachs et O’Meara, à la place de cela, tu va et vient dans ta tête et j’avoue ne pas arriver à te suivre. Pourtant je me tiens là, près de toi. Rien n’y fait, tu continue à me voir comme un étranger. » —Je cherche à comprendre qui je suis, c’est tout. Vous feriez pareil à ma place. —Nous partirons demain. Il n’est pas nécessaire de rester ici plus longtemps. Ce voyage te fatigue plus que de raison et les enfants vont finir par trouver le temps long. » Les enfants ? Il avait poussé le vice jusqu’à me faire croire en la présence d’enfants. « Arrêtez ! Arrêtez ! Arrêtez,, tout de suite ! Je ne veux pas que vous me manipuliez de la sorte ! Tous vous cherchez à me rendre folle ! je le sais. Ce n’est pas la vie que j’avais avant de me rendre chez vous et perdre connaissance. Mon existence me satisfaisait et je finirais par comprendre ce qui vous pousse à agir de la sorte. Oui, je finirais par le comprendre. —Aucun de ces hommes ne te connais. Finiras-tu par l’admettre ? » Avec rage il me colla dans un fauteuil et pointa son index vers mon visage. A présent Quinn me menaçait physiquement. « Ne prolonge pas davantage mon supplice, Keira ! Ce que tu penses être réel ne l’est pas. ce n’est que le fruit de ton imagination. Tu as été internée pendant deux ans dans un institut dans l’Oregon. Deux ans de supplice pour toi comme pour moi et je suis parvenu à t’en faire sortir parce que je t’aime Keira ! Tu es ma femme et l’amour de ma vie. Mais ce que tu me fis subir en ce moment est une torture. Je pourrais me dire que tu subis une nouvelle crise et que cela

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va passer mais cela reviendrait à se mentir à soimême. Tu ne vas pas mieux Keira et j’en suis responsable. Je pensais que cela t’aiderait. Ce voyage aurait pu être u affranchissement pour toi On se heurte à un mur. » Il s’écroula dans un fauteuil face au mien. Il semblait être épuisé. Il se versa un verre de whisky qu’il avala cul sec, les bras tendus audessus de la table, le dos voûté et la tête dans le creux de ses épaules ; dans cette position il réfléchissait. Les larmes me montèrent aux yeux et s’il disait vrai. Le dégoût me monta aux lèvres, le dégoût et la peur. Et s’il disait vrai ? La peur me saisit et les larmes aux yeux je tentais de recouvrir un semblant de dignité. L’hôtel demeurait calme. Les derniers noctambules revenaient de leur soirée et les rares voitures descendaient et remontaient l’avenue avec langueur. « Je m’appelle…. Keira Kennedy, n’est-ce pas ? Et je suis originaire de New York, c’est bien ça ? » Il inspira profondément avant de se caresser le front. Là-dessus il ôta sa redingote et déboutonna son gilet. Il était bel homme, je devais au moindre reconnaitre cela. Les couples se retournaient sur notre passage ; il émanait une aura de sa personne et je comprenais qu’il puisse être amical envers les étrangers. « Je veux comprendre Elon ! » Il arriva droit sur moi me tenir contre lui et me masser la tête. « Tout au départ, tu allais bien. On menait une vie ordinaire. Je travaillais et tu t’occupais du foyer. Tu n’as jamais aimé cela, tu rêvais d’autres choses. Et puis après l’accident, tu commençais à devenir une menace pour les autres et pour toi-même. J’ai du prendre une décision, peut-être pas la meilleure mais celle qui semblait être le plus appropriée à tes troubles. A chacune de mes visites tu me parlais

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de New York et de ces hommes. Je pensais eux eut délirais quand j’ai lu leur nom dans le journal. Mayer-Sachs, ce nouveau riche avec une fortune de trois millions de dollars passait associer de O’Meara. Alors je t’ai faite sortir de li’insttut pour te ramener à la maison. Et là, tu ne cessais de me parler d’eux, de leurs exploits et plus je t’entendais parler et plus je cherchais à comprendre. Tu semblais connaître des tas de choses les concernant. Alors maintenant nous sommes ici, unis dans l’adversité. —De quel accident parles-tu ? » Son étreinte fut plus ferme. Notre regard se croisa mais lui eut un regard fuyant. « On s’est juré de ne plus en parler. Ce n’est qu’un accident. » Il s’éloigna de moi pour gagner la chambre et je le suivis, pressant le pas. Il ôta sa robe de chambre cramoisie au blason sur la poitrine et glissa dans le lit à l’imposant dais. Il n’était pas question pour moi de dormir en sa compagnie. Pour moi seuls comptaient les bras aimants de Johann et ou ceux de Frank quand ce dernier faisait défaut. « Vous ne pouvez me cacher la vérité en supposant que je sois cette autre folle que vous décrivez ! Ou bien peut-être êtes-vous à inventer ce passé à l’heure précise où je parle ? Peut-être n’^tes-vous qu’un charlatan ? —Je ne veux pas discuter de cela avec toi, murmura ce dernier. Certaines choses de doivent de rester où elles sont. —Vous êtes une espèce de monstre ! Tout ce que vous touchez vous le transformez en cette chose pas très nette. J’irai aux autorités demain et je leur parlerais de tout cela. Vous irez en prison pour m’avoir enlevée et vos complices connaîtront le même sort. J’ai peine à croire que vous ayez agi seul dans cette odieuse farce ! » Il enfouît son visage entre ses mains et son corps fut secoué de spasmes ; il pleurait. Cet homme pleurait, là sous mon nez. Un criminel

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aurait-il agi de la sorte ? Il se reprit bien vite et essuya ses yeux et les joues, tout comme sa barbe. il crois les bras sur sa poitrine. « Fais ce que tu veux Keira. Je ne peux te convaincre de rester et encore moins de m’aimer. Tu as oublié jusqu’à tes propres enfants et…. Tu as volontairement effacé certains passages de notre existence. C’est bien plus qu’un homme seul puisse endurer. Je suis là à vouloir y croire. Vas voir les autorités si cela peut te soulager mais c’est toi qu’ils interneront car rien de ce que tu leur diras n’auras de sens. Je pense savoir qu’il est bienveillant de te laisser le seul cette nuit. Je vais dormir sur le sofa., du moins….essayer. »

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CHAPITRE Le lendemain je me rendis à la pension de famille tenue par ma mère et mes sœurs. A la place de cela je trouvais une bâtisse à l’abandon. L’herbe y était haute et partout la nature poussait et colonisait l’espace. Une fois de plus pour m’en convaincre je poussais la porte. Dans cet endroit je me souvenais avoir eu une discussion avec ma mère…. Et puis lors de ma dernière visite, Clive s’était tenu là avec sa fiancée. A l’intérieur de la voiture, Quinn fixait un point à l’horizon et une fois assise en face de lui, il tourna la tête pour m’étudier. « il y a-t-il autre chose que je puisse faire, —Oui, me laisser tranquille. » Alors toute cette vie je l’avais rêvée. Je ne pouvais concevoir cela. Les larmes bordèrent mes yeux et ne parvenant à respirer, je me mordis la langue jusqu’à dissiper cette douleur morale. Cela ne pouvait être vrai. Et je fondis en larmes. Quinn chercha à prendre ma main et je m’y dérobais avec empressement. Il cogna dans la paroi pour faire stopper la voiture de louage et je descendis prestement pour aller vomir dans l’herbe. J’avais ce goût rance dans ma bouche ou bien ce goût de la mort. Assise dans l’herbe haute je laissais court à mon chagrin. Quinn devait jubiler, lui qui depuis le début tenter de me raisonner. Pourtant je ne pouvais n’avoir fait que rêver tout cela ? Il devait bien y avoir une part de vérité dans toute cela. Ma tête me tournait. Ce fut un kaléidoscope de couleurs, de formes, de visages, de mots ; encore des visages et le ciel, le tout morcelé dans mon esprit. Quinn posa la main sur mon épaule. Je me débattis furieusement, la main sur les lèvres

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prête à restituer mon déjeuner d’une minute à l’autre. Difficile fut le retour à l’hôtel. Tous les regards convergèrent dans ma direction. Tu es une folle ! Que tous aient pitié de toi ! Incapable de mettre le pied l’un devant l’autre je glissais dans une sorte de tétanie. Plus jamais je ne pourrais sortir, me confronter au monde dans toute sa complexité. Il me faudrait trouver un endroit pour m’y cacher. Dans la chambre d’hôtel je demandais à ce qu’on ferme tous les rideaux et dans cette semipénombre je me bouchai les oreilles afin de ne pas entendre les bruits environnant comme ce piano et ce chuchotement, ces rires et ces bruits de verre entrechoqués. Quinn entra pour me trouver dans la même position qu’il m’avait laissée. Il posa sa main sur mon épaule. Je sursautai prise de sanglots, agitant ma tête d’avant en arrière ; un kaléidoscope d’images envahit mon esprit. La confusion mentale ne laissait plus place au doute et la main de Quinn se tendit, tenant un verre comme solution à mon problème. Je n’étais pas dupe ce verre contenait mon traitement ou du poison destiné à briser à jamais les derniers maillons de la raison. Tout de suite, je me sentis mieux, au point de poser ma tête dans la commissure de mon bras en position fœtale sur ce fauteuil. Et Quinn me fixait, les mains posées à plat sur ses cuisses. Lentement ma vision s’embrouilla et mes paupières se fermèrent, alourdis par la fatigue. D’un bond je me levai, le cœur battant furieusement. Cette chambre….je ne la connaissais pas. en panique je glissais hors du lit pour constater le décor autour de moi. Cet endroit se voulait être agréable et le nez à la fenêtre je découvris un vaste parc. Je n’étais pas à new York. Je venais de faire un étrange rêve :

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je n’étais pas moi-même mais cette autre femme enfermée dans une vie qu’elle n’avait pas souhaitée. Un diamant scintillait à mon doigt et je me souvenais maintenant. Quinn m’avait fait sa demande et j’avais accepté. Ce mariage était la promesse de pouvoir mais en même temps je n’étais pas certaine de ce que je voulais. Cette immense et luxueuse demeure était celle de Quinn, non pas la mienne. Il me fallait rentrer pour me faire pardonner de Frank. Or ce dernier ne se trouvait pas être à la maison. Ce rêve m’obsédait. Cette autre femme….ne plus se souvenir de son passé et renier le présent. Quel funeste destin ! la main posée à plat sur le ventre et l’autre sur le front, je fixai la console de la cheminée. En même temps ce rêve n’était qu’un rêve, une sorte de transfert, là où le subconscient parasite votre esprit. Non, tout cela était absurde. La voiture me déposa à la pension de famille de ma mère. Cette dernière en me voyant arriver s’essuya bien vite les mains sur son torchon et attendit que je me tins suffisamment prêt d’elle pour se laisser aller à un sourire. « Tu as fini par revenir ? Ces beaux quartiers ne t’inspirent donc plus confiance ? Tes sœurs sont sorties mais entres si tu acceptes encore notre humble demeure ! » Elle préparait un gâteau, une délicieuse tarte aux pommes quant une tarte aux abricots se refroidissait sur le rebord de la fenêtre. « tes sœurs vont bien si c’est ce que tu veux entendre. Deirdre pense que tout cela aurait pu être évité et Lynne dit qu’il est incorrect que je sois passé te voir. Ma présence fut pour Frank une énième provocation de ma part. Il ne cesse de me voir comme une bigote et une virulente donneuse de leçon. Crois-tu qu’il faille que je m’excuse en retour ? —Non, Frank n’a jamais cessé de te voir comme une mère de substitution. Tu n’est en

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rien blâmable pour ce qui est arrivé. J’aurais du me montrer prudente. Je t’aime beaucoup maman et je n’aurai pas voulu te décevoir, avouai-je en séchant mes larmes. Je pourrais me racheter une conduite et…. —Ne t’inflige pas t’épreuves Keira, tu sauras incapable de t’y tenir ! » Cette remarque me surprit. Elle disposa les tasses sur la table et versa l’eau chaude sur les feuilles de thé ; ma mère paraissait sereine, reposée et en paix avec elle-même. « Tout cela est bénéfique pour toi. Tu n’aurais jamais espéré mieux. —Frank est….mon amant, mais j’e fus grosse de Johann. » Silence pesant. Perdue dans ses pensées, ma mère ne fit aucun commentaire ; au fond d’elle je savais que sa foi en moi venait de se briser à jamais. Pour elle desserrer les lèvres fut une épreuve et calmement, elle posa les mains à plat sur la table ; « Le diable s’est emparé de toi. Tu as perdu la tête mais accepte de nouveau de faire confiance en notre Eglise. Tu peux encore être sauvée. —Je n’ai pas besoin d’être sauvée ! Pourquoi ne pourrai-je pas vivre comme je l’entends ? —parce que tu en es incapable. Tu auras beau vouloir être cette autre personne, tu n’y arriveras pas. Tu peux encore te sauver, échapper à cela. Pourquoi ne reviendrais-tu vivre ici quelques jours ? tes sœurs ne te jugeront pas et nous seront t’accueillir, sois sans crainte. Keira, ces hommes…. Ces hommes te veulent du mal. Ils ne sont pas dignes de confiance. Tu sais ce que pense ton frère te tout cela. Cette histoire le rend fou et disons qu’il serait prêt à te venir en aide si tu l’acceptais. Tu n’as qu’un mot à me dire pour que tout cela cesse. Un mot de toi Keira et ton calvaire prendra fin. »

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En rentrant la voiture percuta quelque chose dans les rues, assez fort pour que le conducteur éprouve des difficultés à maintenir son cheval. En panique je descendis pour constater des jambes allongées sur la chaussée. Une femme gisait là. « Je n’ai pas pu l’éviter ! Elle s’est jetée sous mes chevaux ! » Déjà les curieux arrivèrent de tous les coins pour prendre part à l’accident. Pourquoi cette malheureuse s’était-elle jetée sous mes roues ? La police alertée arriva sur les lieux et recouvrit le corps de l’inconnue. Comme je ne pouvais partir sans rien faire je donnais un pièce à l’officier afin de connaitre l’identité de la personne et de venir en aide à sa faille. Frank arriva dans la soirée et me trouva prostrée dans mon fauteuil. « Toi ici ? Je te croyais être chez Quinn ? —J’y étais mais….j’ai écrasé une fillette dans la rue. Elle s’est jetée sous les roues de la voiture de louage et….c’était affreux ! —Oui c’est malheureux mais ce n’est pas la première personne à se trouver être broyée par les chevaux poussés à vive allure dans les rues de New York. Combien Quinn t’a t-t-il payé pour ce service rendu ? C’est un proxénète. Il est connu pour trouver des femmes. D’habitude des jeunes filles, orphelines de préférence pour les maisons d’abattage. Un commerce comme un autre tu me diras. —Quoi ? De quoi me parles-tu ? Quinn est… honnête. Et je ne pense pas qu’il prendrait de tels risques avec moi pour….je ne suis pas orpheline et encore moins pubère ! Je te parle de cet enfant morte sous les roues de la voiture et toi tu… Quinn dit qu’il a grandi à Five Points et qu’il a beaucoup d’estime pour vous ! —Et toi naturellement tu l’as cru ? Il t’a promis quoi pour endormir ta conscience ?

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T’aurait-il drogué ? Tu es bien naïve Keira et cela me désole. » De nouveau mon rêve me revint en mémoire. Des frissons parcoururent mon dos et je refusais de croire un mot de ce qu’il disait. Quinn un proxénète. La peur et le dégoût m’envahir. J’avais pleuré la petite morte et voilà que Frank me révélait des choses atroces sur Quinn. Et je fus dans un état second pendant deux jours jusqu’à l’arrivée de la police. « J’ai des informations concernant la jeune accidentée de l’autre jour. Cela ne me prendra que quelques minutes. Permettez-vous que je rentre ? La petite s’appelait Niahm Murphy et jusqu’à maintenant personne n’a réclamé son corps. Possible qu’elle n’ait pas de famille. C’est une vieille femme, vivant dans la rue qui l’a reconnu. Une certaine Catherine Jedburgh. Si vous le souhaitez vous pourriez la rencontrer. —Non, je n’y tiens pas ! Je vous donnerai de l’argent pour les funérailles de la petite. Je vous remercie d’être passé. » Une fois la porte fermée je m’écroulai sur la chaise, la nausée au bord des lèvres. Oui ce n’était qu’un stupide accident ! Sans raison aucune, cette pensée me ramena à mon rêve : Quinn me parlant de cet accident. Il ne voulait pas dire de quoi il s’agissait. A ma demande Johann arriva, s’étonnant de me trouver dans cet état proche de la léthargie. « J’ai besoin de savoir pour Quinn. A quel genre de commerce s’adonne-t-il ? Frank dit qu’il est un proxénète mais j’ai peine à croire ça. —Tu m’as fait venir uniquement pour me parler de lui ? Oui il ramasse des jeunes filles dans la rue et leur promet une meilleure existence. Il ne le fait pas directement, il est bien trop malin pour cela. Il recrute des hommes comme ton frère pour faire le sale boulot. Je

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pensais que tu le savais. Frank et moi avons essayé de te prévenir mais tu n’entendais rien. » Abattue je pris l’escalier incapable d’en entendre davantage. Un frisson parcourut mon dos. Quelque part un piano se fit entendre ainsi que le rire des femmes et le bruit des verres que l’on entrechoque. Possible que je sois devenue folle. Il me fallait des réponses aux questions que je me posais. Dans l’escalier je m’écroulais, la tête entre les mains. Johann me rejoignit là où je m’étais assise et tout contre moi m’étudiait sans essayer de me réconforter. « Que sais-tu au sujet de ces filles ? —Ce que tout le monde sait à leur sujet. Elles sont en majorité orphelines et ce que Quinn fait s’est les sauver en leur offrant un meilleur avenir dans ces maisons de passe —Tu n’es pas sérieux. Un meilleur avenir distu ? ce ne sont que des enfants, comment croistu que leur avenir puisse être meilleur ? —Elles sont tout à fait libre de choisir de partir ou de rester. Quinn a compris que ce la réussite de ce commerce dépend de la volonté de ses employés à exécuter un bon travail. Tu devrais te rendre sur place pour constater par toi-même. —Dans un lupanar ? Tu voudrais que je mette les pieds dans un endroit si peu fréquentable ? —Tu prétends défendre la cause des femmes alors quoi de plus naturel que celui de te rendre là-bas et constater le travail de Quinn. —Tu l’as dit toi-même, c’est un proxénète. Je ne tiens pas à être vue en sa compagnie, cela nuerait à ma crédibilité. Je me passerai de ce genre d’expérience » Pourtant grande fut ma curiosité. La mort de cet enfant écrasé par mon véhicule me hanterait jusqu’à la fin de mes jours si je ne cherchais pas à savoir qui elle était ; alors à la faveur de la nuit je pris une voiture de louage pour me

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rendre à l’un des lupanars de Quinn, celui dans lequel Niahm Murphy travaillait. Le visage dissimulé derrière un loup je frappais à la porte de cet endroit de débauche et la matrone vint à moi en gloussant agitant avec grâce son immense éventail fait de plumes d’autruche. Non loin de là un piano jouait et des femmes gloussaient…. « Dites-moi quel genre de femmes vous cherchez et vous serez exaucée ! Nous en avons pour tous les goûts et vous sortiez de là avec le sentiment d’être une autre femme, argua cette dernière en soulevant mon menton à l’aide de son éventail. Pearl ! Occupez-vous de notre charmante cliente ! » Pearl guère plus âgée que moi vint en trottinant sur la pointe des pieds, ôta mon fichu et m’entraina dans un petit salon où patientait cinq femmes toutes arborant une pause des plus lascives. Comme par enchantement elles ouvrirent un œil puis l’autre, se levèrent mollement pour gagner un canapé et tomber dans une sorte de somnolence des plus subjectives. Deux d’entre elles glissèrent vers moi en me cajolant. « Prendrez-vous une coupe de champagne Mademoiselle ? —Non, pas vraiment. Je cherche une certaine Niahm Murphy. Une petite femme qui a travaillé ici. Je pensais que vous pourriez me renseigner mais sois sans crainte je vous dédommagerais pour le temps passé à me répondre. » Et la matrone revint escortée par pearl. Force de constater que tout circulait à la vitesse du vent. La matonne revint si flamboyante avec sa chevelure de feu. « Venez par ici ma toute mignonne ! En tant que nouvelle invitée vous ne pouvez effrayer mes filles en leur parlant d’une ancenienne pensionnaire. Ce qui est arrivé à cet enfant est

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regrettable mais nous n’y pouvons rien, cela arrive souvent. Demain je dois passez chez un important client pour y accompagner une fille. Nous pourrions nous y voir avant notre retour à la maison. Disons pour quinze heures devant le Pierre. » Madame Joséphine me héla depuis sa voiture. A en juger par les bijoux qu’elle portait elle n’avait aucun mal à subvenir à ses besoins. Une fois montée près d’elle, Joséphine tira le rideau et porta sa cigarette à ses lèvres. La moue boudeuse elle gonfla la poitrine avant de me jauger de ses grands yeux verts. « Nous n’avons jamais eu de souci avec Niahm Murphy. Elle se faisait appeler Jewel par les hommes et jolie comme elle était nous ne manquions pas de protecteurs pour cette dernière. Elle a toujours été très à l’aise dans son emploi. —Est-ce que le nom de Catherine Jodburgh vous dit-il quelque chose ? —Oui c’est le nom de la logeuse chez qui elle avait choisi de s’installer après sa démission. Quand elle est partie nous n’avions pas faire d’histoires parce qu’elle a indemnisé le patron en lui apportant six autres filles des bas-fonds de Five Points. De ravissantes petites Irlandaises. —Je vois. C’est le genre d’accord que passent les filles avec Quinn, est-ce bien ça ? Toute cette histoire me met mal à l’aise. —Et pourquoi donc ? Elle a eu une vie heureuse et si vous ne l’aviez pas écrasée elle aurait ouvert son commerce puisque c’est ce auquel elle aspirait. Il n’y a plus rien à ajouter sur ce sujet. » Joséphine me remit l’adresse de Catherine et une femme d’un certain âge entouré d’une dizaine de marmots dont le dernier ne devait avoir que quelques jours.

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« je peux quoi pour toi ma chérie ? Pour le moment je n’ai plus de place mais si la naissance n’est pas prévu pour tout de suite alors je peux encore te garder ne place pour ton bébé. —euh….à vrai dire il ne s’agit pas de moi mais de Niahm Murphy. » Elle cessa de bercer le nourrisson qu’elle remit à une gosse d’une dizaine d’année. Elle s’essuya les mains sur son tablier et se passa la main dans les cheveux. « J’ignore qui vous envoie mais je pense avoir tout dit à son sujet. Depuis que cette petite est morte tout le monde vient me rendre visite à son sujet. Il y a d’abord eu un monsieur, très distingué et bienveillant qui m’a remis de l’argent et puis cet autre au regard pénétrant qui m’a dit l’avoir très bien connue de son vivant. Enfin un tas de monde tous très élégants qui prennent le temps de venir me parler de ma si tendre et regrettée Niahm. —Je suis heureuse d’apprendre que Miss Murphy fut appréciée à sa juste valeur. On me dit que vous avez été sa confidence alors je….cela va vous paraitre insensé mais il s’avère que je sois à l’origine de son trépas. —Oh ! Alors vous devez être Miss Keira Kennedy ? Niahm ne faisait que parler de vous. —Vraiment ? » Un rictus apparut à la commissure de Catherine qui aussitôt me présenta une chaise. Deux femmes se tenaient là à coudre non loin de l’unique fenêtre et l’une d’elle grosse et nu pied me lança un regard contrarié dans ma direction. La plus âgée des deux, une grande et maigrichonne créature aux cheveux coupés cours abandonna son ouvrage pour coiffer une poupe disposée par terre dans un berceau improvisé.

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« Permettez un instant…. » Elle revint en tenant un paquet emballé et tenu contre sa poitrine. « Ceci est pour vous ; elle écrivait beaucoup vous savez. Elle disait que cela lui permettait de ne pas perdre la face elle était déterminée à changer de vie et elle avait économisé assez pour sa fille. La petite n’a malheureusement pas survécu. —De quoi est-elle décédée ? —Un affreux accident. La petite s’est noyée et quand elle est arriva sur place il était déjà trop tard. Et comme pour se punir de la mort de sa fille, elle a refusé d’assister aux funérailles de son enfant. Toujours est-il qu’elle vous a laissé ceci. —Mais…comment savait-elle que je passerai ? —Et bien, n’étiez-vous pas sa meilleure amie dans cet institut pour Jeunes Filles ?

FIN

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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