Erotisme d'un Bandit

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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EROTISME D’UN BANDIT [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Pollymnie’Script Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Disciple des Orphelins Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Œil de la Nuit Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Tristesse d’un Volcan

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Ventre du Loup Vices du Ciel Villes des Revenants

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MEL ESPELLE

EROTISME D’UN BANDIT

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Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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Chapitre 1 Enregistrement n°1 : Ruadh Murray nous avait recommandé la plus grande des vigilances et surtout de ne pas attarder près des British pour le cas où les choses tourneraient mal. On savait où trouver le type alors on tire au sort et je m’y colle. C’était son idée à Ciaran : faire diversion pendant que je l’étranglerai, la cigarette pendant entre mes lèvres. Nous sommes en juillet 1971 et dans le journal vous lirez ceci : un incendie involontaire serait la cause de la mort de Neeson McFarrell. Ce pédéraste n’a ce qu’il mérite et plus encore si en remonte sur les faits de l’année 1968. Neeson McFarrell. Ce nom ne vous dira rien et c’est tant mieux. Cette excursion punitive, car ça en est bien une ; elle s’est fait dans les règles de l’art. Pas de témoin, pas de pitié et quand le travail est enfin terminé, vous effacez toutes les traces de votre passage. Un groupe de hippies tout droit débarqué des USA avec la ferme intention de libérer l’Irlande de ses mœurs quelque peu conservatrices nous a recueillis en leur giron jusqu’à Derry pour ensuite sauter un autobus pour Belfast. Les filles portent des robes longues, fluides telles de coquettes nymphes et les gars de longs cheveux et plus des tas de symboles de leur

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mouvement de la contestation pendant sur leur poitrine. En leur compagnie j’ai fumé mon premier joint, j’expérimenté mon premier buvard de LSD, ma première défonce, mon premier trip….J’ai la tête en frac. A la rentrée j’intègre l’université de Dublin pour poursuivre mes études de littérature. Cela vous surprend-il qu’une criminelle veuille parfaire son éducation ? D’ailleurs à cette perspective, je me dis que le voyage en vaut peut-être la chandelle. Qui sait ? Trouverai-je probablement un quelconque appel ? Une vocation, de lointains horizons, ou des terres inconnues qui forment dit-on la jeunesse. En même temps je n’y crois pas trop. Tout à déjà été explorer par l’homme…j’attends le prochain canular façon Orson Wells. Les Hippies ont tout compris, bien avant nous autres nécromanciens. Après tout c’est peut-être ça ma destinée ! M’ouvrir l’esprit à coup de psychotropes, d’acides, de plantes…Je plane jusqu’à Belfast que tout le monde sait être en pleine guerre civile ; une ville sombre dont je ne garderai pas un excellent souvenir, croyez-moi, les habitants y sont plutôt antipathiques et les protestants traquent les papistes jusque dans leurs retranchements. Je ne pensai voir cela que dans la presse, mais je suis naïve et déjà je regrette cette virée sans intérêt aucun. Parmi les filles, il y a Plume, Summer of Love, Ginger, Anis. Elles sont insouciantes et je viens presque à envier leur détachement. Elles s’affichent ouvertement, sautent dans les bras de parfaits inconnus en murmurant un : « Faites l’amour et pas la guerre ». On a envie de les croire. Elles savent parfaitement ce qu’elles font, offrant des

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guirlandes de fleurs aux soldats britanniques postés dans les ruelles. Cette ambiance m’angoisse et puis mon idiot de frère n’est pas là pour jouer les protecteurs. Il flirte avec les filles du pays sans aucune retenue. Il me dit de me lâcher, de sourire et de m’éclater. Je ne décoince pas. Belfast peut sauter d’une minute à l’autre parce qu’un forcené de l’IRA aura décidé d’appuyer sur son détonateur. Mon envie de rentrer à Dublin grandit d’heures en heures, de jours en jours et plus encore depuis que Ciaran me laisse en plan dans un squat fréquenté par des Amerloques. Le dépaysement total. Ils parlent sans cesse de Katmandou, de leur élevage de moutons du Tibet et de leur pavot. Ils me tiennent éveiller à l’aide de puissants hallucinogènes. Parfois je ris sans aucune raison jusqu’à ce que la mélancolie me rattrape. A la nuit tombée les filles dansent nues autour de musiciens experts en musique psychédéliques quand ils ne sont pas avec Joplin, The Doors, etc. Elles sont à l’aise avec leur corps et lme demandent de les imiter, de danser dénudée avec elles. Ciaran n’est pas là pour me voir…cela vaut mieux. Quant à lui ses exploits se résument à des parties de jambes en l’air avec des filles du coin, des filles de mon âge ayant le feu au cul. Des protestantes surement pas des papistes. Summer me fait un aveu : elle est amoureuse de moi. Je ne sais pas si je dois rire, partir en courant ou jouer l’indifférente. On peut dire que Summer Of Love fut ma deuxième expérience sur le plan sexuel. La première fut Deirdre du temps où je fréquentais un institut

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religieux où l’on vous apprenez à vous aimer les uns les autres, telle est la volonté de Dieu. « Je dois te présenter à quelqu’un. C’est une personnalité dans le coin et tu lui plairas, j’en suis persuadée ». Ce soir-là je décide d’être clean, puis étrangement je me retrouve bien vite dans les WC du pub tirant sur une pipe à herbe. Ginger c’est la rouquine aux cheveux gaufrés. Elle est plutôt jolie femme et représente tout à fait mon idéal féminin : émancipée, très ouverte d’esprit et coquette à souhait. Elle exhibe ses formes au milieu d’une piste de danse. Les hommes la regardent, l’étudient avec concupiscence. Vautrée sur la table au milieu des verres vides, remplis, remplis et vides, je m’imagine courir sur une plage avec ses attributs. Puis, il y a ce type venu de nulle part. Je crois qu’il a flashé sur Ginger. Il n’arrête pas de regarder dans sa direction depuis un long moment déjà. « Vous prenez un verre ? » A peine si je parviens à ouvrir les yeux. Je lui fais signe de passer son chemin. Il ne démord pas et m’observe sans aucune pudeur. Derrière moi Ciaran embrasse goulument l’une de ses nouvelles conquêtes. Il n’aurait rien contre le fait que sa petite sœur se fasse offrir un verre par un étranger. On me bouscule. C’est Ginger tenant un homme par les bras. Elle le traque jusqu’à sa table et lui murmure des paroles suaves à son oreille. Le type est en transe. Après ils partiront baiser et je me retrouverai bien seule dans ce bar. Il me faut un chevalier servant pour le reste de ma soirée. « D’accord, juste un verre, c’est offert de si bon cœur ».

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—D’où est-ce que tu viens ? Tu es dans le coin ? C’est la première fois que je te vois, au creux de mon oreille. Tu traînes avec Summer, c’est ça ? » La tête posée dans la pliure de mon coude, je tente de recouvrer la raison. D’un bond je me redresse. Oui, il vient bien de me poser une question et je ne rêve pas. Allons debout petite ! Il me dévisage lentement et sa main de glisser vers mon entrejambe. Il a envie de baiser. Mais pas moi. Je bois mon bock de bière cul-sec avant de le poser sur le comptoir et de le voir être aussitôt remplacé par un autre. Vais-je finir ma soirée dans un caniveau à gerber tripes et boyaux. En même temps, je n’ai rien dans le ventre. Les hippies ne mangent que du végétal et ce régime m’a littéralement affaibli. « Comment tu t’appelles ? Tu as bien un petit nom ? Comment vaut-il t’appeler ? » Soudain, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Je me suis mise à parler sans discontinue. Je me suis inventée une vie, une autre personnalité, de nouvelles ambitions, des tas de trucs énormes. En deux mots j’ai affabulé. Il n’a pas cherché à m’interrompre. Il sa de quoi je parlais, il dit me comprendre. Il y a comme une lueur folle au fond de ses yeux. Il semble être troublé à la perspective de passer la nuit à me baiser. Quant à Ciaran, il a disparu avec sa conquête du moment, tout comme Ginger. J’invite Genann, Donovan, Dorian…enfin je ne sais plus qui à me rejoindre dans l’arrière cour du pub et là, le trou noir. Incapable de me souvenir de la suite. Que c’est-il passé ? Je me réveille prestement le cœur battant à rompre et mon poignet me fait

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atrocement souffrir. Mon train pour Belfast part pour 10 heures, le temps pour moi de me rendre à la gare. La tête en vrac j’ai glissé hors du lit, les muscles pris dans une sorte de tétanie. Chez qui ai-je trouvé asile, Furtivement, je quittai sur la pointe des pieds le cagibi qui servait de chambre, pour me diriger vers la porte d’entrée. Mon hôte dormait sur un canapé en piteux état. Le seul truc qui me vint à l’esprit est : « Essayes au moins de partir furtivement ». Il dort un journal sur le visage et si Dieu me vient en aide je peux encore disparaître sans avoir à jouer les prolongations. « Tu veux un café ? » Aïe, il ne dort pas. Il s’assoit sur le rebord de l’antique canapé et passe la main dans ses cheveux pour les aplatir. Non hors de question de m’éterniser. A présent, je me souviens et ce souvenir me sauve la mise : « J’ai un train à dix heures, je retourne chez moi pour le week-end. —Tu ne seras pas restée longtemps ». Ironise-t-il en faisant revenir un café dans une vieille casserole. Ses muscles saillants jaillissaient de partout. C’est un athlète sec et sans un pet de graisse. Je focalisai mon intention sur son torse. Il est du genre à prendre soin de lui, mais je ne cessai de le trouver sec et trop osseux à mon goût. « Assieds-toi c’est prêt ». Je m’exécutai docilement sans lâcher mon sac en bandoulière de mon flanc. « Qu’est-ce qui s’est passé hier soir ? —A quel moment ? —Après le verre ? Je ne me souviens plus de rien. Avons-nous… ? —Non. Tu es bien trop défoncée pour quoi que se soit et puis ce n’est pas mon intention de profiter d’une quelconque

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situation. Tu m’as dit que tu avais sommeil et que tu cherchais où pioncer. Je me suis naturellement proposé à t’héberger. Une fois arrivée ici, tu as dormi immédiatement sans demander ton reste. A croire que tu n’avais pas dormi depuis des jours entiers, voire des semaines. Tu prends du lait avec ton café ? ». Il pose la bouteille sur la table et disparait sans attendre ma réponse. Son appartement est minuscule et l’on ne peut s’attendre à mieux dans cette rue d’Albert’s street. Certains quartiers de la working class étaient à éviter, soit parce qu’étant la scène d’émeutes les plus sanglantes, soit le terrain d’actes de vandalisme de toutes sortes. En même temps, l’appartement ne semble pas être habité depuis longtemps. Aucune photo sur les murs, mobilier absent et cartons encore fermés. L’eau fuyait inlassablement de la tuyauterie indiquant des pertes considérables d’eau potable. Les cloisons sont fines au point d’entendre les voisins copuler, traverser leur salon, tirer la chasse d’eau, etc. Le café est très fort. Il n’a pas eu tort de me proposer du lait pour couper un peu le résultat pour le moins imbuvable. J’avais besoin de cela pour rester éveillée. Alors que je passe les lieux en revue, une enveloppe s’engouffra à travers la porte et vint stopper sa progression en plein milieu du corridor. Une part de moins veut se casser de là au plus vite, tandis qu’une autre tente de me convaincre de rester. J’allais abuser de lui en lui demandant de me déposer non loin de la gare ferroviaire de la Great Victoria Street. « Il ne te plait pas ce café ?

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—Oh…je ne fais pas abusé plus longtemps de ton hospitalité » Répondis-je prise en flagrant délit de gaspillage. Chemise blanche sur un pantalon, il se prépare à aller bosser. Mon objectif est de placer le mot : gare avant qu’il ne ferma la porte derrière moi. Il y a quelque chose dans son regard d’électrique, de glacial, de bestial. Je l’avais sous-estimé la veille, mais ce matin-là je voulais croire certaines de mes amies qui accordent une grande importance au regard de la gente masculine. Il enfila une veste par-dessus sa chemise, puis termina par une montre. « C’est loin d’ici la gare ? —D’où est-ce que tu m’as dit que tu venais déjà ? —D’un petit bled perdu dans le Westmeath. —J’ai de la famille là-bas, répondit-il en avalant son café d’une seule traite, du côté de ma mère. C’est une partie de l’Irlande que j’ignore. Une vie dans les bocages et loin de la côte me plairait bien. Et tu étudies quoi à Dublin ? » A quoi bon qu’il sache, nous n’sommes pas destinés à nous revoir. Froidement je répondis par la littérature afin d’atteindre une école de journalisme. Il se perdit dans ses pensées, mais pas assez pour ne pas oublier qu’il s’allumait une cigarette sans me lâcher des yeux. Voilà, il sa tout de moi à présent. « Tu n’es pas très loquace pour une journaliste. Racontes moi d’où tu viens, parles moi de ta famille, de tes amis (il tira furieusement sur sa Marlboro). Parles moi un peu de toi. —J’ai peur de ne pas être très intéressante. Mon existence se résume à mes études. Vraiment rien d’excitant,

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crois-moi. Dis-moi quel itinéraire je dois suivre pour me rendre à la gare ». Mon attention et ma priorité restait l’heure dont les cruciales minutes défilaient sous mes yeux. Il me jette devant l’édifice et prestement je courre au guichet. Ciaran va-il venir pour me saluer ? Je scrutai la foule des yeux, mais sans succès. C’est là qu’un type au blouson noir me barra la route en glissant discrètement une plaque de métal sous mon nez. « Inspecteur Ian McNeil, de Le RUC, veuillez me suivre s’il vous plaît ». Le Royal Ulster Constabulary ? Qu’avais-je fait de mal ? Immédiatement je pensais à Ciaran qui n’va pas me trouver sur le quai et puis je pensais à mes vieux au moment où ils apprendraient mon arrestation. J’allais rentrer à Dublin telle une criminelle. Le sang battait rageusement dans mes tempes. « Nous avons quelques questions à vous poser au sujet de Genann Fingen. —De qui ? Qui est-ce, je suis supposé le connaître ? —L’homme chez qui vous avez passé la nuit, cela vous revient ?» Non là je vivais un réel cauchemar. Je peux tirer une croix que mon train. Pour quelles raisons m’envoyer dans les locaux de Le RUC, le bastion des protestants de l’Ulster ? Assise sur un banc, au milieu des crépitements des machines à écrire, je somnolais épuisée par l’angoisse, l’hypoglycémie et le manque de drogue dans l’organisme, je lutte avec ma conscience pour ne pas ficher le camp. La sortie se tient à une vingtaine de mètres de mon banc ; en vain l’autre détective venu

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m’arrêté à la gare quitta sa chaise, une feuille à la main. « Veuillez me suivre s’il vous plait ? » une pointe d’accent écossais sur la langue, puis il m’invite à entrer dans un bureau occupé par deux hommes dont Ian McNeil adossé contre le mur. « Assoyez-vous mademoiselle, lança le supérieur de McNeil en relisant des notes. Donc dans la déposition, vous dites ne pas connaître Fingen, est-ce bien cela ? Donc je vais aller droit au but Niamh. Cet homme est un membre présumé de l’IRA Provisoire, cela vous évoque-t-il quelque chose ? Il le devrait. Nous manquons cruellement d’informations sur lui. Je sais ce que vous nous direz : que vous êtes une citoyenne de l’Eire et que nous n’avez nulle intention de vous mêler à nos histoires, mais un simple appel téléphonique à votre gouvernement suffirait à vous faire changer d’avis. Ici vous êtes sur un territoire britannique et vous n’avez nul droit, à part celui de coopérer le plus sagement possible. Genann Fingen est dangereux, c’est un poseur de bombes. Cependant nous manquons de preuves pour le faire inculper. C’est là que vous intervenez » Me voici partit dans un éclat de rire. « Hors de question. —Vous lui plaisez. Il n’a pas approché de femmes depuis des années et vous êtes la première depuis cinq ans qu’il fait monter chez lui. Tôt ou tard il cherchera à vous revoir. —Et après ? Vous êtes le lieutenant McNeil c’est ça ? Vous voulez m’envoyer près d’un homme jugé dangereux par vos services et…c’est moi qui risque gros dans l’histoire, alors ma réponse est non. Ce job

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n’est pas pour moi et puis je ne me bats pas pour les Droits Civils de Catholiques. Ce que je veux dire c’est que je ne milite pas par conséquent vous ne pouvez me faire subir une quelconque pression. Sortie de là mon casier judiciaire restera vierge. Je n’ai rien à me reprocher. —Tu traines avec des hippies alors c’est tout comme. » C’est qui ce Flaithri Gowan et son accent cockney ? Un grand rouquin avec un collier de barbe et ça se donne des airs de guerriers pictes. Les bras croisés il lança un regard condescendant vers McNeil. « En sortant de là, tu pourrais avoir des tas d’ennuis. On est en pleine guerre civile pour le cas où tu l’oublierais et tu es du mauvais côté de la barrière. Tu flirte avec Fingen et tu voudrais que l’on te prenne pour une sainte. On ne peut pas se farcir la tête avec ces conneries. Qu’est-ce que tu es venue faire à Belfast ? —J’intègre l’université en octobre. —Ici à Belfast ? —Oui ça fait une différence ? Si j’avais couché avec un protestant vous auriez fait moins d’histoires. Baiser un Orangiste et vous m’auriez déroulé le tapis rouge. Si votre Fingen est un poseur de bombes alors c’est tout Belfast qu’il vous faudra inculper. Vous m’offrez une cigarette ? » McNeil se pencha vers moi pour m’allumer. « Vous étudiez quoi ? —La littérature. —C’est vaste la littérature. Parles-nous un peu de votre spécialité ; les étudiants en général sont très loquaces sitôt qu’on les branche sur leurs études. Et vous non, quel tempérament. Si j’entends la littérature moi je pense à l’étude moderne ou ancienne, la culture politique ; l’art de la

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rhétorique et j’en passe. Le programme est assez vaste, vous voyez. Alors qu’étudierez-vous ici bien loin de Dublin ? N’y aurait-il plus d’université en République d’Irlande ? —J’ai choisi de suivre le programme de la Culture littéraire du 20ème siècle. —Pas très redondant. J’ignorai qu’ils avaient un tel programme. Donc vous vous destinez à être journaliste ? Le taux de réussite est très réduit et plus encore ici avec seulement 23% contre 12% pour les femmes. Quant à trouver du travail, c’est une autre paire de manches. Pourquoi ce choix Niamh ? » Les deux autres me fixaient cherchant à percer mon identité derrière mon épais blindage. Ce Lieutenant McNeil connaissait son métier et j’ai écrasé ma cigarette dans un cendrier déjà rempli de mégots. Je refuse de croire qu’un salaud comme Fingen ne m’ait pas baisé. A présent la mémoire me revint : Summer Of Love nous a déposés dans ce bar rempli de membres de l’IRA identifiables par leur suffisance, leur égo surdimensionné. Très peu de femmes sur place, excepté nous autres. Derrière le voile de défonce, j’ai accroché le regard de Fingen, il a écrasé sa clope, vidé son verre de whisky, abandonné sa table de poker pour me rejoindre au pilier de bar. Fingen m’a menti ce matin : on a baisé dans les chiottes. Du moins cela ressemblait à de la baise. C’est un super bon coup Fingen. Empalée sur son sexe, je lui mordis le lobe de l’oreille tout en me laissant limer. En sortant des WC je suis tombée sur Fingen. Merde ! Alors qui ai-je baisé ? Son nom me revient : Kinstry.

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C’est ainsi que l’autre à la moustache de morse l’a appelé. « Est-ce que le nom de Kinstry vous dis quelque chose ? —Il bosse pour l’IRA oui et connu de nos services pour être un tireur d’élite, répondit Derek Clarkson en jouant avec un élastique. Qu’avez-vous à nous dire sur lui ? —Euh…et bien. Je ne sais pas vraiment ». Pendant l’acte il a tenté de prendre ma bouche. Je lui ai dit d’arrêter, ce qui ne lui a pas plus. « Tu sais si j’ai envie de te foutre ma queue dans ta bouche je le ferai d’accord, parce que tu n’es qu’une salope. Murray aurait honte de toi ». Murray ? Kinstry connaissait Murray. « Je crois qu’il…il est infiltré. —Quoi ? Qu’est-ce qui te permet d’affirmer ça ? Ton flair si remarquable de journaliste en herbe ? Quoi Mc Neil je suis seulement curieux. J’en ai assez entendu je sors. —A moi de vous retourner la question : comment savoir qu’il est un sniper ? Ces hommes agissent dans l’ombre et… l’université de Belfast a de bons professeurs en dehors des protestants. Je me fiche du faible taux de réussite tant que Murray soit faire de moi. —Qui s’est ce Murray ? —Gowan est-ce que tu peux nous laisser ? Et vous aussi mon capitaine. Je termine l’interrogatoire puis je libère l’espace. Cela ne me prendra que dix petites minutes ». La porte refermée sur les deux hommes, Ioan McNeil s’assit sur le rebord de la table sans me lâcher des yeux. « As-tu discuté avec Kinstry hier ? Il ne se laisse jamais approcher, c’est un homme

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de l’ombre. Toi tu débarques et tu t’envoies en l’air avec les deux à la fois, en une seule et même soirée. Comment as-tu fait ? Tu les as regardés droit dans les yeux et tu leur as dit que tu connaissais un Murray ? —Je ne sais pas trop bien ce que j’ai pu leur dire, j’étais défoncée et…j’ignore vraiment ce qui a pu se passer dans la soirée et la nuit. —Je ne te crois pas. Si je fais venir Catherine Doole ici elle dirait que tu mens, que tu étais parfaitement lucide hier soir et que tu as remis 20 livres sterling au gérant du pub pour qu’il glisse un mot de toi à l’oreille de Fingen. Tu es qui au juste ? —Je ne connais pas de Catherine Doole. —C’est pourtant elle qui te remet la drogue et c’est également elle qui t’a branché sur Genan Fingen ». Summer Of Love. Il parle de mon amante et moi de ricaner, la main sur le front. Je n’éprouve plus le besoin de parler d’hier soir. Il me tend son paquet de Lucky Strike. Les protestants de la RUC sont de mauvais garçons mais pas lui : distingué, honnête et il parle de façon très clair. On peut parler de gentleman et il en a conscience, prenant son rôle très au sérieux pour ce qui est de vous mettre en confiance. En fait, c’est le pire de tous. « On la connait bien ici Summer of Love. Elle aime la digression et elle parle vite, il est difficile de la suivre même pour un analyste comme moi. Mais les faits sont là : tu arrives et toute l’attention est portée sur toi, ces gros machos de l’IRA cherchent de jolies femmes, cela renforce leur position et leur donne le sentiment de charisme, d’appartenir à l’élite, des Dieux

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et leurs Déesses sur le mont Olympe. Tu faisais quoi à Dublin ? » Et voilà c’est repartit ! Quand je vous dis qu’il est sournois. En fait hier soir cela ne s’est pas exactement passé comme ça. J’ai chauffé Fingen et une fois qu’il a été chaud comme la braise, soit en pleine érection j’ai attrapé Kinstry par la chemise pour faire plus que nous regarder dans le blanc des yeux. Au moment où il s’est répandu en moi par saccades de sperme je lui ai glissé ça : « Je suis sa carte de visite et il me charge de te dire qu’il t’encule, qu’il te baise avec le plus grand des plaisirs ». Qu’il est bon de jouir après l’arroseur et les cuisses crispées autour de ses hanches, j’ai joui au point d’en faire frémir les murs de ce lieu d’aisance, qui ne l’est pas par hasard. « J’élevai des moutons dans un village du Westmeath. —Quelle espèce de moutons ? —Les plus cons. Ceux qui réfléchissent avant de sauter de la falaise mais qui le font quand même par dépit car l’on ne peut parler de solidarité dans la race animale. Il faut perpétuer le genre et si les femelles venaient à manquer dans un troupeau, les béliers sont les premiers à faire le grand saut. —Une métaphore pour décrire tes expériences précédentes. Je connais ton profil Niamh. Tu es une prédatrice mais j’ignore encore ce que tu saches mais la sociopathe que tu es finiras par se révéler dans toute sa grandeur. Ruadh Murray influence bien des carrières et son spectre continu à nous hanter. —Il n’est pas mort. Il est derrière chacun de nous et agite les ficelles prenant plaisir à articuler tous ses pantins. Tu sais

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McNeil, traquer Fingen n’a t’apportera aucune promotion, aucun honneur et tu sais pourquoi ? Je connais ton destin et plutôt tu l’accepteras et plus vite tu t’écarteras du jeu. Maintenant que tout est dit, je peux m’en aller ? » Deux jours après Summer veut qu’on se voie. Encore l’un de ses plans-cul qui me vaut de nombreuses courbatures ! J’ai accepté sous l’effet de l’acide. « On va boire un verre et baiser ». On rit tellement. Les beaux yeux cristallins de Summer se perdent dans les miens. Qu’est-ce qu’une aussi jolie femme fiche dans ce merdier qu’est l’Irlande ? Quand je la vois je pense à la chanson si triste de Nat King Cole, Unforgettable. Summer c’est tout ça à la fois, une femme forte et si faible à la fois. On a envie de la serrer dans les bras et lui dire que tout ira bien. On a envie de l’aimer, encore et encore. Sous la pluie diluvienne on se rend au Barry’s et là un type aux traits épais nous accueille avec deux de ses potes au visage fracassé. Le petit ami de Summer se présente comme étant de Derry. Je n’ai pas compris son nom ; à moins que je n’aie pas voulu l’entendre. Qu’ils continuent donc à m’ignorer. Summer de rire aux éclats sitôt que j’ouvre la bouche et lui de l’imiter. Je n’arrive pas à savoir ce que je raconte et puis l’autre Fingen franchit le pas de la porte avec ses molosses marchant les poings serrés. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Ouah, quel accueil ! Je lui arrache la clope du bec pour fumer et il ne semble pas apprécier ma présence puisqu’il me fixe prêt à me refaire le portrait. « Tu pourrais d’abord dire bonjour ensuite je suis dans un endroit public, alors

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si tu veux me virer il faudra que tu aies une bonne excuse. —Tu veux quoi McCullen ? Tu m’ennuies déjà tu sais, alors si tu n’as rien à me dire en particulier tu te casses, toi et ta salope de junkie ». Là j’ai commencé à voir rouge. Il se prenait pour qui celui-là ? Il attendait que je parle mais aucun son ne sortit de mes lèvres. Summer méritait qu’on la respecte. Je me suis souvenue d’une fille de classe, le souffre douleur des autres nanas en pleine crise de puberté ; en deux mots des excitées non pas sur le plan sexuel mais sur le rapport à autrui. Des petites branleuses, des pestes. A chaque récréation elle s’en prenait à leur proie favorite et la passaient à tabac. Personne ne bronchait. On laissait faire. Normal personne ne voulait attirer l’attention sur soi. Un jour j’ai mis de la mort aux rats dans leur boisson. L’école mit cela sur le compte d’une intoxication alimentaire. Voilà ce qui se passe quand Dieu laisse votre libre arbitre décider à sa place. Sera-t-ton un jour jugé pour avoir rendu la sentence divine ? « Tu sais Fingen je n’ai rien contre moi bien que je reste persuadée que ta place n’est pas ici mais quelque part au Vatican, près du Saint-Père. Pour toi la robe de cardinal ou peut-être une crosse d’évêque à la place d’un flingue. C’est ainsi que je t’imagine être. —Alors tu ne veux pas me lâcher McCullen. Pourtant tu peux te fourrer bien des queues ici, tournes toi et fais ton choix. —La tienne aurait pu me convenir si je pouvais toutefois la discerner quelque part entre tes jambes mais j’ignore où la trouver. Avec Kinstry j’ai eu un putain

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d’orgasme, murmurai-je en regardant vers ce dernier. Si tu es impuissant on ne va pas faire un scandale, cela restera entre nous bien-sûr. —Dégages McCullen. —Depuis quand n’as-tu pas vidé tes couilles ? Ne sont-elles pas trop lourdes ? Tu bandes, remarquai-je ne lui caressant le sexe. Je te fais donc de l’effet et si le temps nous est compté autant passer à l’acte sans plus tarder. Tu aimes quand je te caresse… » Les jambes écartées, il me laissait le caresser et tout contre lui mon regard vint à croiser celui du petit copain actuel de Summer. Il détourne la tête avant de se lever, la bière à la main. C’est vers nous qu’il se ramène, s’installe derrière Fingen pour ne rien manquer du spectacle. « Tout va bien vieux ? —Pourquoi cela n’irait pas ? Nina Simone nous enchante de sa voix et la Guinness est meilleure ici qu’ailleurs. Alors ? Comment tu t’appelles déjà ? Ah oui c’est ça Dalaigh. Pirate Jenny évoque bien des souvenirs à ceux qui comme Fingen se demande toujours ce qui les attend au bout de la nuit. Son ombre seule suffirait à l’effrayer. —Summer nous avait pas dit que tu jouerais les nurses. —Ne t’approches pas d’elle Lochlainn, elle veut seulement qu’on la foutre un peu. Elle est pour toi mon grand, cela te changera de ta junkie de San Frisco. —Il n’est pas sérieux. Il n’entend rien du mot foutre. Je suis seulement ici pour la musique, il passe de la bonne musique. Summer m’a dit que tu apprécie le jazz. Que penses-tu de celle-ci ? My Baby Just Cares For Me.

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—Je doute que tu veuilles savoir. Alors comme ça tu vas à l’université de la Queen’s. Belle et cultivée, enfin une qui sort du lot. Malheureusement Fingen les aime plutôt mûres et plus vaginales. Il faut qu’elles aient du chien, non pas une de ces petites chiennes bien dociles des salons qu’on monte par derrière, non il veut sentir sa bite s’enflammer, tel un brasier. —A moi d’être son buisson ardent ». Dalaigh semble être sensible à mon humeur mais pas Fingen. Il ne veut pas d’une femme qui lui mangerait dans la main. Pourtant il me semble discerner un léger sourire sur ses lèvres et puis il veut ma bouche, tout comme ce Lochlainn. Si j’ai la petite frappe de Derry dans ma poche, Fingen va aussitôt abaisser sa garde ; à moins de le convaincre d’être aussi voluptueuse que Summer. « Depuis quand traînes-tu avec Summer ? —Pourquoi cette question ? Ai-je l’air de lui ressembler ? Et toi depuis quand fréquentes-tu Fingen, parce que je trouve qu’il détint un peu sur toi ? Tu sais Lochlainn, la boxe t’a grillé quelques neurones. Offres-moi un verre et je te parlerai un peu de moi ». Fingen se barre et me laisse seule avec le dealer de Summer. Et alors qu’on se fait service nos mousses il me propose un peu de poudre. Je la sniffe en toute discrétion et déjà je pars dans le monde imaginaire de Peter Pan, Neverland m’offre ses portes. Des tas de choses improbables m’apparaissent ; je suis sur un petit nuage à des années-lumière de Belfast et du sinistre de situation. Il me faudra au plus vite faire peau neuve.

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« Tu es la sœur de Ciaran c’est ça ? Il cherche du travail et j’ai vu ce dont il est capable. Il peut nous rapporter gros, tout come toi. Tu as du potentiel et je ne peux pas te laisser filer. Tout le monde sait que tu ne donneras pas ton cul pour de l’argent ; Fingen pense le contraire mais il a toujours manqué de pragmatisme c’est pourquoi il est entouré de cracks comme McGill, Kinstry et moi. On est arrivé à l’apogée de notre art quand lui ne sait pas pisser droit. —Que me proposes-tu ? —De l’argent facile. Tu vois les deux types derrière toi, ceux qui sont devant la porte ? Convaincs-les de prendre un verre avec Fingen et l’affaire est dans le sac ». Il n’a rien trouvé de mieux pour me tester. Les deux hommes en questions font le double de ma taille, tout en muscles et la mâchoire serrée me dévisage tel un insignifiant insecte. Ils ne veulent pas entendre parler de Fingen. Que c’est étrange le dégoût qu’il aspire à ses tiers ! Alors je prends un air de chien abattu et je les entourloupe. « Que leur as-tu dit ? —Cela ne te regarde pas, le résultat est là. Alors, regardes et prends-en de la graine. Dans moins de deux minutes ils vont se rendre à la table de Fingen, ils vont en venir aux mains. Ensuite ton ami viendra ici pour m’insulter. Cela va prendre de l’ampleur. Je vais répliquer férocement et au moment où tu voudras t’interposer, je t’enverrai un pain en pleine tronche. Regarde et apprend… » Les hommes sont parfois si prévisibles. On ne peut pas en dire autant de Ciaran. Il est fidèle à lui-même. Toujours là où on ne l’attend pas. De son manteau il sort des

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faux-papiers : carte nationale, permis de voiture, passeport, etc. Il veut qu’on fête ça. Il y a pour 2000$ de forgerie. La bière à la main il déambule dans le squat fier d’avoir trouvé du bon matériel en ville. « Alors qu’est-ce que tu en penses ? Tu crois que ça va me rapporter combien ? Il me faut des clients Niahm. De gros clients qui me paieront cash de quoi rentabiliser notre investissement de base. Tous ces putains d’Irlandais, suceurs de bite anglaise n’ont aucun sens des affaires. Voilà ce qu’on peut obtenir pour un dollar. Jette-y un œil. —Un laissez-passer, hein ? La Royal Constabulary Ulster dispose d’énormes moyens d’intimidation. Il y a plus de dix gradés subalternes, trois officiers supérieurs, cinq en formation, trois sousofficiers sans parler d’hommes de rang. Ce bâtiment grouille de bleusaille prête à faire ses preuves et…Lochlainn me propose du travail. Ce n’est pas cher payé mais je pense pouvoir y arriver. Pile dans mes compétences ». Ciaran ne l’entend pas de ses oreilles. Il se pose près de moi comme lisant dans mes pensées : « Ceux qui peuvent renoncer à une liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité », réplique piquée à Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs des Etats Unis. Il froissa un billet entre ses doigts et me le glissa sous le nez. « Tes compétences, hein ? Ouvres les jambes et je te dirais qui tu es. Les hommes ne veulent qu’une chose et sitôt que tu le leur donne ils n’ont dès lors plus aucune considération pour toi et le sac à foutre que tu représentes, aussi talentueux

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soit-il. La leçon du jour est terminée, tu t’en remettras va, d’autres avant toi on fait les frais de cette atroce vérité. Tu n’es qu’un sac à foutre ». Je bondis sur lui pour simuler un étranglement quand Roan Loughlin s’est présenté à la porte du squat. Lui, vient du quartier d’Ardoyne niche comme tout le monde le sait en plein quartier protestant. Grande mèche sur le côté il passe pour anglais avec ses airs de bon garçon : verte de cuir, cravate fine à rayures sur une chemise de soie à imprimée et santiags. Il me dévisage de la tête aux pieds avant de tendre un, paquet de cigarette à mon frère. « Personne ne t’a suivit ? » Ciaran est parano et il a raison de l’être, pour un rien les types de l’UDR vous tombent dessus et vous laissent pour mort si vous n’avez pas assez d’amis dans le coin pour vous venir en aide. « C’est ma sœur Niahm. Tu as ce que je t’ai demandé ? » A croire que je lui fais bonne impression, il ne me lâche pas des yeux. Le contenu d’un sac en plastique finit sur la table et il y a pour plus de 120£ de contrebande. Echapper aux contrôles militaires revient à un tour de prestidigitateur et il nous faut tirer notre chapeau face au talent de ce Roan Loughlin connu sous le sobriquet de Billy ou The Kid par les gens de la profession, cela sous-entend les dealers, les camés et les flics ; sans parler de ceux de l’UDR et de la RUC, ces fouilles-merdes invétérés et les gens ordinaires à qui il rend de menus services. Ciaran lui remet 50 livres et part récupérer le reste de faux-billets dissimulés quelque part dans son barda. « A l’avenir tu passeras par moi. Les types de l’IRA ont toujours besoin de

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s’approvisionner parfois à la barde de leur propre organisation. Plus je me rapprocheras d’eux et plus ton commerce sera juteux. Rends moi les cinquante que mon frère vient de te donner…j’ai mieux pour toi. Tu connais du monde à Belfast, chaque recoin, chaque pierre de cette nécropole alors je veux que tu fasses ébruiter une rumeur. Si tu y parviens tu n’auras pas 50 mais bien 100£ dans ta poche. Veux-tu cet argent ? »

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Enregistrement n°2 Ciaran a sympathisé avec un groupe d’étudiants rencontrés dans la rue. Des types qui nous abreuvent inlassablement de Karl Marx, nous citant des passages entiers de ses œuvres. Le même Karl Marx étudié en cours mais abordé d’une façon plus personnelle. Ils se disent les « Défenseurs de la Liberté Catholique ». Vaste programme qui se veut le seul fiable de cette ville aux allures minières. Ils se réunissent dans un ancien atelier en plein cœur de Belfast. Partout des affiches, des tracts, des instructions attendent d’être distribués dans les lieux publics. Une sorte de résistance identique à celle que l’on a pu trouver dans l’Europe envahie par les nazis. D’ailleurs on vient à me parler du combat d’Hans et de Sophie Scholl comme de la référence majeure à leur propre engagement. A voir comment ils ont fini, je doute que toute cette jeunesse aspire aux mêmes desseins. Un sentiment d’exaltation me saisit. Le leader du groupe, un dénommé Colin Maloney parlait fort, gesticulant dans tous les sens, condamnant l’Ulster Defense Regiment pour ses exactions. Très charismatique, il sa faire accepter ses idées sans lever un débat stérile sur le bienfondé de leur groupe de lutte pour les droits civiques. Ciaran me dit d’écouter et que cela va me servir mon expérience à venir dans le journalisme. Qu’il aille se faire foutre ! Ciaran me lance un regard noir, de ceux qui en disent long sur mon incapacité à me fondre dans un groupe. Tant pis j’assume ma grande part d’individualisme. Le

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monde autour de moi n’est pas parfait et je l’es encore moins. Peut-être en avais-je tout simplement assez d’être trimballée d’un endroit à un autre, d’un groupe à un autre au gré des humeurs de mon frère. Ici c’est Ciaran qui menait la barque et il a cette capacité à s’adapter à toutes les situations. C’est mon frère quoi ! Un brin de folie, surmontée d’une dose de folie. Je n’avais qu’une hâte : finir avec tout ça et m’offrir le luxe d’une existence plus terreà-terre, où l’on ne craindrait pas de traverser la rue sans se retrouver avec une balle entre les deux yeux. Face à mon mutisme, mon frère accepta de rentrer avant la fin des festivités. Ce soir-là il n’a aucune conquête à mettre dans son pieu et célibataire parmi les célibataire m’entraîne à l’extérieur de l’édifice, les mains dans les poches et une cigarette au bec. Il sait pour mon arrestation de Le RUC mais depuis n’a pas trouvé le moment importun pour en discuter à nouveau. « Tu veux boire une bière avant de rentrer? Un tout petit verre et je te laisse rentrer. Dis oui sista adorée, dis-oui et je t’emmène au paradis ! —Non, tu sais que c’est une bien mauvaise idée je dois garder les idées fraîches. Mais toi rien ne t’empêches de sortir, de voir du monde, tu en crèves d’envie. Détends-toi tout va bien pour moi ». Et lui de me suivre dehors. On fixe les étoiles et les rares piétons filant entre deux averses. Sale temps, vraiment. « Pourquoi ces fanatiques ? Il nous fallait ces Défenseurs de l’Ordre catholique pour paraître crédibles ? Tu sais bien que j’ai du mal avec cette ville.

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Regarde ces soldats qui ratissent les rues, constamment à la recherche de quelqu’un. Ils craignent que ça pète au-dessus de leur tête et ils avancent en formation prenant ces rues pour des terrains d’entraînement. Mais la guerre est vraiment là et cela m’ennuie d’être mêlée à tout cela. —Alors il te faudra songer au couvent. Bon allez, tu veux le prendre où ton verre ? » Il m’entraîne dans un endroit des plus intimistes fréquentés par des jeunes gens, des hommes sans famille à en juger par leur aptitude à traîner dans ces pubs. Un gros chien au dos vouté nous accueille à l’entrée du lieu public. A quelque chose près, il me semble être à Dublin. Un orchestre de chant gaélique par sa musique endiablé me rend gaie. La femme a une voix cristalline, très mélodieuse capable de vous tirer des larmes en moins de temps qu’il faut pour le dire. Dans une semi-obscurité, Ciaran commanda deux bières avant de revenir vers moi, attentif comme je l’es à la musique. La bande d’étudiants arrive tambours battant. Cet endroit devait être leur point de ralliement. A ma grande consternation, une brunette se rua sur mon frère pour lui rouler une pelle. Alors c’est ça, « Un dernier verre pour la route » ! Venant de Ciaran j’aurais du m’en douter. Il a une fille à chaque port et pendant notre bref passage au QG de cette association politique, il a vraisemblablement craqué sur l’une des membres à forte poitrine. « Alors c’est toi la sœur de Ciaran, ton frère m’a parlé de toi. Moi c’est Melen Enchantée…Tu sais que l’on a un point en commun. Oui, la photographie. Tu sais que l’on a du matériel dans l’atelier, je devrais

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en toucher un mot à Colin, je suis persuadée qu’il te laisserait y toucher. Colin c’est le grand rouquin avec des rouflaquettes là-bas et son frère, l’autre rouquin est également passionné par la photo. Tu devrais venir essayer demain ». Ils m’ont laissé utiliser leur matériel. Des caisses entières d’objectifs, d’obturateurs, de pare-soleil, etc. Je suis aux anges et plus encore quand Alan me remet un vieux Canon entre les mains. Une façon bien sournoise de me faire rallier à leur cause. Certaines pièces sont défectueuses mais en les remplaçant on peut aisément les revendre bon marché à quelques amateurs et c’est bien ce qu’ils comptent faire. Le spécialiste de la photographie c’est Colin et non son benjamin ; qui soit dit en passent se débrouille bien sans vraiment de technique. Colin a récupéré ce vieux matériel dans l’atelier de son oncle, un réparateur d’appareil photo. Là je me sens dans l’obligation de tester le matériel. Maloney me fait visiter Belfast en commençant par le City Hall, puis Le Queen’s University et d’autres édifices de style victorien. Je mitraille encore et encore. Finalement j’arrive à trouver du charme à cette ville que j’avais trouvé trop industrielle, trop froide et trop anglaise. Colin me demanda de ne pas être trop regardante sur la qualité de vie des irlandais. Que dois-je sous-entendre ? Ils sont sujets de sa Majesté et partout on fait référence au gouvernement britannique et à son hégémonie. Il suffit de voir comment sont découpés certains quartiers pour comprendre ce franc contexte d’instabilité, de violence, de méfiance endémique.

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Puis une émeute éclate. Des piétons se mettent à courir dans tous les sens. Des coups de feu claquent et une sirène mugit. Avant de comprendre ce qui se passe, je me retrouve par terre, un violent coup porté à la tête. Colin m’aide à me relever constatant avec effroi qu’une pierre vient de m’atteindre. La visite de la Cité est terminée pour moi et Colin Maloney me porte les premiers soins. Quelque peu terrifiée, je reste allongée sur un lit de camp dressé pour l’occasion et les pieds relevés, je jurais à qui veut l’entendre que j’avais la tête solide. De telles émeutes survenaient en plein centre ville sans que l’on n’en connaisse vraiment la raison. Les catholiques républicains ? Les Unionistes protestants ? Personne ne sait au juste. Le lendemain on lirait dans la presse locale qu’aucune victime n’est à déplorer. Un jour sans en somme. « Je vais rentrer, lâchai-je en tenant une compresse sur mon crâne meurtri, tu sais j’en ai vraiment ma claque de toute cette agitation ». Le soir je sonnais à la porte de Fingen après avoir essuyé un interminable contrôle en sortant de la zone-tampon. Personne il va croire. J’allais faire demitour quand tous les verrous sautèrent les uns après les autres. J’ai vu à son regard circonspect que je ne suis pas une invitée attendue. Derrière la porte de son appartement m’interrogeait du regard. « Genn c’est qui ? » Lança une vois féminine derrière lui. Il ne répondit rien et revint sur moi des plus silencieux. « Il faut que je te parle d’un truc…cela ne prendra pas plus de trois minutes. —Genann, tu es là ? ».

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Il referma la porte derrière lui pour me fixer intensément. « C’est quoi cette chose si importante ? Tu sais qu’il est plus de neuf heures du soir. Où as-tu appris à lire l’heure ? —Le jour où tu m’as déposé à la gare, j’ai fait l’objet d’une interrogation de la part du gouvernement britannique ». Il m’attrapa par le bras pour me pousser à l’intérieur de son appartement. Il verrouilla la porte quand sortit de l’ombre une femme blonde très légèrement vêtue à qui il demanda de quitter son appartement sur le champ. La fille ramassée je-ne-saisoù me lança un regard noir plein de reproches avant de partir en faisant claquer la porte derrière elle. « Tu veux un café ? —Non merci. Tu sais tu n’es pas obligée de la mettre à la porte. Ce que j’ai à te dire n’aurait pris qu’une phrase. Le RUC veut des renseignements sur toi. Tu vois j’ai fait court, il est encore temps pour toi de rappeler ta pute ». Il s’alluma une cigarette tout en préparant son immonde café. « Qui a mené l’interrogatoire ? Encore ces fils de pute d’anglais ? Laissez-moi deviner…le lieutenant Ian McNeil et Derek Clarkson. Avec leur méthode d’investigation, il ne faut pas s’étonner que les prisons soient bondées de présumés terroristes. Cependant quelque chose m’interpelle. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour venir me trouver ? Ils te tiennent sûrement à la gorge en ayant passé un accord avec toi. Ils sont forts pour cela. Ils attrapent des parfaits inconnus et leur bourre le crâne de telle façon à entendre ce qu’ils veulent. Ils sont venus faire le ménage ici, sans oublier de me

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passer à tabac pour être certain que je retienne la leçon. Ce genre d’intimidation ne prend pas sur moi. Ils devraient le savoir depuis le temps qu’on est voisin. De plus je sais que tu ne m’as pas balancé car à l’heure qu’il est tu serais déjà loin par peur des représailles. Les Irlandais sont bagarreurs d’après ce qu’on en dit. Il nous faut un juste milieu. Il y aurait-il autre chose dont tu souhaiteras me prévenir ? » Nous nous étudiâmes en chien de faïence, lui tirant nerveusement sur sa cigarette et moi, les mains moites posées sur mes cuisses. « Je vais être franc avec toi Niamh, c’est bien comme ça que tu t’appelle ? Me demanda-t-il en s’asseyant face à moi, le café fumant posé sur la table. Si tu tiens vraiment à savoir qui je suis, cela risque de prendre la nuit. Alors je propose que tu me poses une question et une seule qui résumerait toutes tes pensées. Le reste n’aura à mes yeux aucune valeur. A toi, je t’écoute ! Lances-toi ! —Que ferais-tu si tu apprenais que demain serait ton dernier jour sur terre ? —Je m’enfilerai café sur café et fumerais cigarettes sur cigarettes pour rester éveillé. Peut-être ramasserai-je une femme sur le trottoir ou dans un bar, de la compagnie féminine pour ne pas appréhender le lever du jour. Je lui ferai l’amour à n’en plus pouvoir. Ensuite, j’irai voir le prêtre de ma paroisse le père Donoghan, un brave type ce père. Je me confesserai longuement avant de remettre mon âme à Dieu. Avant la tombée du rideau, je prendrai un grand verre de Scotch afin de quitter ce monde en fanfare. Puis quand la mort viendra me chercher, je serai assez ivre pour l’affronter de plein

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fouet. Tu vois mes intentions sont modestes. —As-tu peur ? —La mort ne m’effraie pas, même si j’ai sous-entendu que je prendrai un verre avant de décoller. Ma mère n’a pas élevé un lâche et elle se retournerait dans sa tombe en pensant que je puisse flancher face à l’ennemi commun. Prends une cigarette, tu lorgnes mon paquet depuis tout à l’heure. —Non je pensai seulement à ce que tu disais sur la cigarette du condamné, celle que l’on fume quand on sait que c’est le moment. Ecoutes…je ne te connais pas et à vrai dire, il en est mieux ainsi. Le soir où l’on s’est rencontré, je ne suis pas claire et je regrette d’avoir manqué de lucidité à ton sujet. Me voilà plongée dans cette sordide histoire d’investigations et j’ai fait tout ce chemin pour avoir la conscience tranquille. Je trouve tellement idiot qu’il puisse t’arriver la moindre galère si tu avais été innocent, mais je ne me fais plus d’idée te concernant. Tu n’as pas cherché à démentir quoique se soit et ce genre de révélation n’est pas pour me plaire. Je ne veux pas avoir d’histoires avec le gouvernement britannique contrairement à toi et tôt ou tard tu auras à répondre de tes actes. —Quels actes ? On ne fait que se défendre. On n’est pas dans un film de guerre, où les méchants sont froidement abattus par la cavalerie. Il n’y a pas de Happy end ici et pendant que la jeunesse dorée de l’Eire dépense le fric de leur parents, leurs cousins vont à l’école avec une matraque dans le cartable et les seuls loisirs qu’ils ont, sont l’apprentissage de la self-défense et le maniement de produits chimiques pour le cas où les petites

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frappes d’en face viendraient aux poings. Ca c’est le climat dans lequel j’ai grandi. Les quartiers en périphériques sont de véritables poudrières où les gosses voient leur père crever dans le caniveau parce que ce dernier aura eu l’imprudence de traverser sur le mauvais trottoir. C’est ça notre combat et ce n’est pas une gosse de riches qui me fera penser le contraire. La vérité est que tu n’es pas à ta place à Belfast, parce que tu conteste de voir le monde comme il est dans toute sa cruauté. Tu vois la société derrière des lunettes roses et tu fréquentes l’Eglise de Dublin en prononçant des prières bidons du genre : « Oh Mon Dieu fasse que je décroche mon master en littérature, que mes parents puissent être fiers de moi ! ». Les filles de Belfast qu’elles aient ton âge ou non se battent avec leurs tripes et ce sont les mêmes qui ont défilées dans la rue pour la liberté sexuelle et le droit à l’avortement. Elles sont audacieuses et ne tremblent pas à l’idée se mouiller quand d’autres filles modèles dans le Westmeath jouent à touche-pipi avec les ados du coin. C’est affligeant. Je t’ai ramassé dans ton vomis l’autre soir, non pas pour te sauter mais bien pour t’éviter de te faire défoncer le cul par des types qui n’ont aucune foi en la justice de notre propre pays. Alors maintenant casses-toi ! » Alors je serrai mon sac à main contre mon ventre et me lève à la façon d’un automate. Il me retint par le poignet. « La prochaine fois sera la bonne et ils ne feront pas de cadeaux à des types comme moi. C’est la prison à vie pour les membres de l’IRA Provisoire. J’ignore combien de temps il me reste encore à vivre avant qu’ils viennent fracasser la

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porte de mon appartement. Et si la chose vient à se produire, je voulais que tu saches que…tu es quelqu’un de bien. Peu de personnes auraient eu le courage de faire ce que tu as fait et je t’en suis très reconnaissant. Je sais qu’ils préparent quelque chose, Le RUC est bien trop discrète en ce moment pour ne pas éveiller le moindre soupçon. En attendant l’échange de tirs, j’aurai voulu en apprendre un peu plus sur toi. —Je ne suis pas maso, alors retire ta sale patte de mon bras ». Le lendemain je quittai l’appartement de Fingen. Lentement je descendais l’escalier pour me retrouver dans la rue. Un rapide coup d’œil derrière moi afin d’être certaine de ne point être suivie. J’avais passé la nuit avec Fingen, le poseur de bombes. On a passé la nuit à discuter jusqu’à ce que la lumière du jour ne s’engouffre à travers les stores vénitiens. Nous avions avalé café sur café afin d’aborder des sujets comme la musique, les films que nous avions vu et appréciés, la musique que nous écoutions et des quantités de sujets riches et divers. « Miss, s’il vous plaît ? Me coupa McNeil dans mon élan. Si vous voulez bien me suivre… ». Il poussa la porte d’une brasserie, en dehors de la zone d’enclave, proposant les petits déjeuners et après avoir salué le patron m’invita à m’assoir sur une banquette rouge, de celle que l’on trouvait sur les aires d’autoroutes américaines. « Vous prendrez quelque chose…Puis en se tournant vers la serveuse, une femme au double-menton mâchant bruyamment sa pâte à mâcher. Bon et bien, un café noir, serré sans sucre. Avec du lait demi-écrémé.

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Que faisiez-vous chez Fingen la nuit dernière ? —Et ça vous excite de le savoir ? ». Répondis-je froidement en regardant à travers la baie vitrée les premiers citadins à se rendre au travail. Le temps est à l’orage. Il étouffa un bâillement sous le revers de sa veste en faux-cuir. « Vous devez vraiment vous ennuyer en ce moment. Les étudiants catholiques ça peut encore passer, mais Fingen…Il faut avouer que vous avez fait fort. Merci… Vous êtes sûre que vous ne voulez rien, pas même un verre d’eau ? » Il a des cernes sous les yeux et semble sortir de son lit. Quant à moi je ne dois pas être jolie à regarder. Quelle aventure ! Un bon bain aurait le bienvenu, tout comme un bon petit déjeuner avant de sauter dans des vêtements propres. C’est de cela dont j’avais le plus besoin. Je pensai à Ciaran qui devait s’angoisser en ne me voyant pas venir. La boule au ventre, je tente de reprendre le contrôle de mes sentiments. « Qu’est-ce que vous me voulez ? —Seulement discuter. —Probablement votre vilaine conscience qui vous taraude. —Oui c’est exactement ça. Répondit-il sur le même ton nonchalant. Je n’en ferme pas l’œil de la nuit ; à en juger par leur nombre de cafés que j’avale pour tenir le coup. Et vous ? Comment trouvez-vous le quartier d’Albert’s Street ? » Je lui lançai des éclairs de haine avant de détourner les yeux, les ongles rentrer à l’intérieur de ma paume. « Fingen est un fouteur de merde, rien de plus. Il travaille dans une distillerie de whiskey appartenant à l’Old Bushmills, l’une des plus renommée de l’Ulster. Il est

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consciencieux, minutieux et obstiné. Il a refusé un avancement au poste de directeur de production et quand il a appris qu’un unioniste a racheté la firme, il y a commencé à avoir du sabotage. L’information nous est remontée et Clarkson a jugé nécessaire d’ouvrir une enquête sur Fingen. C’est là que les choses ont dégénérées. Quelques fanatiques ont trouvé le moyen de piéger la voiture de Clarkson. Et puis il y a des attentats avec pour cibles des militaires anglais. On a tout de suite pensé que Fingen se tient derrière tout ça sans néanmoins apporter la moindre preuve. Mais il n’est pas difficile de faire le lien avec un pro de la chimie et ces actes de terrorisme. —Cette histoire est bien belle, mais je doute être intéressée par vos états d’âme de petits fonctionnaires. Je vais vous laisser à votre café, j’ai un bus à attraper. —Restez assise…Vous allez le convaincre de quitter Belfast pour le reste de la semaine jusqu’à la fin de la semaine prochaine. Persuadez-le de s’en remettre à vous, c’est très important ». Abasourdie je l’interrogeai du regard. Fingen a raison. Quelque chose se tramait sous le ciel de Belfast. « Pourquoi faites-vous cela ? —Quoi donc ? J’enquête pour le cas de Le RUC et cette entrevue n’est ni plus ni moins qu’une formalité de plus. Je pourrais être plus autoritaire et vous ordonner de ne pas rester à Belfast dans la nuit du neuf août. Est-ce que vous comprenez Niamh ? Une fois que vous aurez quitté cet endroit vous nierai avoir eu la moins conservation à ce sujet avec moi. Il en va de ma carrière et de mes

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libertés individuelles. Vous pouvez partir, je n’ai plus de raisons de vous retenir ». * Mon frère veut comprendre d’où me vient toute cette frénésie et comme je ne pipai mot, il commença à s’impatienter. Je ferme mon sac de voyage que je jette sur mon dos avec empressement. Puis au moment de compter l’argent mis de côté pour mon voyage de retour je constatai qu’il ne me restait plus rien. Ciaran a eu la bêtise de taper dedans et il n’a rien laissé. J’entrai dans une colère noire et l’invectivai de tous les mots. Comment a-til pu ? « D’accord, j’ai merdé mais j’avais besoin de cet argent pour payer nos nuits d’hébergement. Et qu’est-ce qui t’arrive d’un coup ? On s’est mis d’accord pour le financement du reste du séjour. On est censé rentrer ensemble, tu as oublié ou quoi ? L’autostop est une façon moins onéreuse de voyager. Me voilà que tu veux jouer les princesses à voyager par le train. —C’est moi qui devrais gueuler dans l’histoire ! J’ai épluché tous les horaires afin d’avoir le voyage le moins cher et toi dans mon dos, tu dépenses le peu de fric qu’il nous reste pour arroser tes filles ! Cela me tue et ne restes pas dans mes pattes, tu ne vois pas que je vais péter un plomb ! —Il y a une manifestation aujourd’hui dans le centre ville et tu t’es proposée comme photographe. C’est ainsi que Niamh tient ses engagements ! Qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? D’abord tu découches sans me prévenir et là tu veux prendre la tangente et me laisser en plan.

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C’est fou qu’on puisse compter l’un sur l’autre. —Je veux seulement partir loin d’ici et tu connais le chemin pour rentrer. Tâches seulement de ne pas nous revenir avec du plomb dans les fesses ». Je claquai la porte derrière moi pour tomber sur Summer et Plume, tendant l’oreille quand un son plus fort que l’autre traversait les cloisons. Le digger (organisme de bienfaisance hippie s’occupant des pauvres) n’est pas loin de la petite distillerie de Whisky de l’Irish distiller. Il me faudrait prendre différents bus et m’arrêter à six stations de là pour opérer un autre changement en fonction des compagnies protestantes ou catholiques. Dans le transport en commun, une fillette me suit du regard sans la moindre réserve. Les gosses ne m’aiment guère, mais celle-là a le cran de le prouver. Sa mère la reprit à l’ordre en lui tapant sur la cuisse. « Tu as vu maman, la dame elle a un bigoudis dans les cheveux… » Discrètement je le retirai et la tête dans la main me maîtrisait pour ne pas hurler de rire. Quel naze, mon dieu ! Devant le desk des standardistes l’une d’elle m’observait sournoisement en faisant ses ongles, tandis que l’autre suspendue au téléphone ricanait en se fichant complètement de la communication plus importante que ses anecdotes de soirée. Quand Fingen arriva enfin, la stupéfaction se lit sur son visage aux joues creuses : « Qu’est-ce que tu fais là ? Je suis loin de me douter que ça serait toi. —Tu t’attendais à La RUC peut-être ! Désolée de te décevoir Fingen. Mais je

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peux encore partir et te laisser t’empêtrer dans toute cette merde qui fait ton quotidien. —Toute la merde ? De quoi causes-tu encore ? Je ne sais pas ce qu’il me retient de ne pas te fiche à la porte. J’ignore si tu l’as remarqué, mais ici c’est mon lieu de travail, ce n’est pas un de tes Pubs pour étudiants de ta catégorie ». Il me poussa à l’intérieur d’une petite pièce gardant l’odeur du tabac. Il ouvrit une des fenêtres condamnées par une grille en aluminium et éloigna une chaise de la table pour que je puisse y poser mon derrière. « Alors c’est quoi cette fois-ci, hein ? —Depuis quand travailles-tu dans cette distillerie ? C’est marrant mais je ne te voyais pas travailler là-dedans. Est-ce une vocation comme celle de poser des bombes ? Ironisai-je en jouant avec mon sautoir. Parles-moi un peu de ton travail. La distillation, à quoi ça consiste ? J’avoue avoir de faibles connaissances en la matière ». Il éclata de rire ; attrapa une chaise pour me faire face et me dévisagea longuement avoir d’ouvrir la bouche : «Je ne t’aime pas Niamh. Tu as le don de m’exaspérer. Tu fouines ton nez partout dans le seul but de renseigner les petits morveux de la RUC. Je doute que tu t’intéresse au Whisky ; les gens normaux ne se taperaient pas le trajet pour discuter distillerie quand on peut obtenir de telles informations dans le pub du coin. —Peut-être mais je ne suis pas comme les autres. Tu as du le remarquer. Je ne suis qu’une étudiante arrogante susceptible de fiche tes projets en l’air. Tu sais je ne devrais pas être là en ce moment, mais il

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me tient à cœur de t’informer que quelque chose se prépare en ce moment à Belfast. Une arrestation musclée : certains irlandais, dont tes petits compagnons provisoires figurent sur une liste destinée à les envoyer au trou pour les années à venir et tu fais partie de cette liste Genan. On pourrait discuter distillerie comme de vieux potes autour d’un bon café, mais je ne me vois pas perdre mon temps, tout comme le tien. A la longue c’est usant de faire preuve de civilité quand rien ne m’y oblige. —Navré de te voir te forcer à te montrer aimable, Niamh McCullen. Il te baise ? —Quoi ? —Ce plouc de McNeil te baise, c’est ça ? Tu as sacrément l’air de t’être faite tirée par ce fion de poulet. Tu sais ce ne sont pas mes affaires ; j’ai d’autres chats à fouetter. Tout particulièrement en ce moment où les provos rêvent de te coller une balle en pleine poire. Tu n’as rien à foutre à Belfast, dans nos quartiers ; tu fréquentes nos petits frères et nos sœurs ; ta grande bouche est toujours amène de déblatérer des conneries. J’ai une petite amie. —Contente pour toi. —Alors tu n’es pas déçue ? » Je laissais courir mes yeux sur son visage autoritaire ; la barre de ses sourcils exprimaient la dureté et ses fines lèvres dessinèrent un carnassier sourire. « Pourquoi le serai-je ? Tu baises qui tu veux. Je ne fais pas cela pour gagner ton estime. Depuis le début de notre étrange relation tu ne sembles pas m’apprécier au point de vouloir me sauter. Je débarque dans ta vie et… (J’attrapai son paquet de cigarettes et en alluma une) menace ton

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équilibre. Il y a de quoi m’en vouloir. Tu pourrais toi-même me coller cette balle entre les deux yeux. —L’idée m’a déjà effleuré l’esprit. Les filles comme toi n’intéressent personne ici, alors retournes jouer à la marelle avec tes petites amies de bac à sable. —C’est bien ce que j’ai décidé de faire. Les types comme toi n’entendent rien aux filles comme moi. Inutile de me raccompagner à la porte, je connais le chemin. Adieu Fingen. Je crois bien que nous reverrons plus ». En quittant le bâtiment, je manquai de me faire écraser par un véhicule. A son bord un prêtre qui ouvrit prestement la portière pour s’assurer que je n’avais rien de casser. « Vous pourriez faire attention mon père ! —A vous d’ouvrir les yeux quand vous traversez. Ecraser un chien pourrait se concevoir, mais une jeune femme me serait impardonnable. Ne nous serions pas déjà vus ? Oh si je vous remets. Je suis passé il y a maintenant quinze jours dans ce squat fréquenté par une majorité de hippies. Comment va votre frère Ciaran ? Votre nom est Niamh c’est ça ? —Oui et je ne me souviens plus du vôtre, ni du contexte de notre rencontre. —Donoghan. Padraig. Ma mission est d’apporter le soutien de l’Eglise à cette communauté s’exposant à certains vices que la brigade de stups n’hésiterait pas à sanctionner. D’après votre frère, vous êtes une spécialiste du Tin Whistle ». Ainsi c’est lui le vieux Padraig. Il est fort possible que je fus sous acide quand il passa. Il a un air sévère, les sourcils constamment plissés et les lèvres pincées.

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« Mon frère a tendance à affabuler. Je n’ai fait de la flûte que lors de mes années collèges. Les bonnes sœurs tenaient à faire de nous de bonnes danseuses et musiciennes afin de mieux se fondre dans le folklore. Nous venons d’un milieu assez rural et entièrement bercé dans la culture celtique. Vous venez saluer Genann Fingen je suppose. Faites attention, il mord aujourd’hui. —Je vous demande pardon ! —Oui, je suppose que vous passer dans le coin pour le saluer. Fingen m’a également parlé de vous et je crois que vous arriverez à le convaincre de quitter Belfast mieux que moi. Quelque chose se trame et… ». Il m’attrapa par le bras et me poussa à l’intérieur de son véhicule. J’ai manqué de laisser ma chaussure dans le caniveau. Puis il claqua sa portière et démarra sur les chapeaux de roue pour aller se garer quelques mètres plus loin. Le moteur coupé, il se tourna vers moi, les mains toujours posées sur le volant. « Connaissez-vous Ulysse et son fameux cheval de Troie ? Après dix années de longs sièges, les grecs trouvèrent une ruse pour infiltrer la cité. Epéios construisit un cheval géant en bois ceux capable de cacher un groupe de soldats menés par Ulysse. L’intervention de Sinon, un espion grec convainc les Troyens à accepter cette offrande faite au dieu Poséidon. Le cheval est alors tiré dans l’enceinte de la cité. Personne ne se méfia de la supercherie, mais ce n’est que lorsque les Grecs sortirent du cheval pour ouvrir les portes que le piège se referme sur eux. Cette ruse de guerre leur a permis remporter cette guerre. Je ne veux pas dire que vous soyez

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Ulysse, mais Fingen vous perçoit comme tel. Comme beaucoup d’irlandais il est borné. Quelque soit votre degré d’implication dans l’histoire, vous devriez vous faire une raison et renoncer à vos projets ». Il me tendit un paquet de cigarette que je déclinai. Des piétons longèrent la vieille voiture en lorgnant dans notre direction. « Ne perdez pas votre temps avec ces querelles, au risque de vous perdre en chemin. Préférez une existence plus paisible loin des tracas de notre Irlande en plein déchirement. Ciaran et toi me donnez l’impression d’être des gosses équilibrés qui l’un comme l’autre réussiront dans leur entreprise. Ne gâchez pas votre talent, j’ai malheureusement vu trop de jeunes désarmés se laisser manipuler, embarquer dans cette organisation paramilitaire illégale qu’est l’IRA. C’est une guerre sans merci où beaucoup y laissent leurs plumes, leur âme ou leur vie. Comment c’est Dublin ? » Alors je lui parlai sans détour de mes origines, de mon cursus scolaire et ceux de mes frères, de mes passions et mes doutes. Non pas que j’eus l’envie de me confier mais bien parce qu’il me l’a demandé. On me reprochait bien souvent de ne pas être des plus loquaces, ce que je démentis ce jour-là, vraisemblablement stimulée par mon overdose de caféine. Il me demandait de renoncer à ce combat, mais je ne peux faire machine arrière, pas après ce que je savais. Moi aussi je suis Irlandaise, citoyenne de la République irlandaise mais aussi têtue que Fingen et j’allais le leur démontrer. « Si vous rencontrer le moindre souci, venez me trouver sans la moindre

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hésitation. Il est temps pour moi d’aller retrouver ce Fingen et mieux vaut-il qu’il ne nous voit pas ensemble. Il commencerait à se sentir trahi ».

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Enregistrement n° 3 La marche pacifique pour les Droits Civiques des Irlandais se tint comme prévue dans le centre-ville. Point de départ St Anne Cathedrale jusqu’au City Hall. Beaucoup de jeunes gens parmi les manifestations, mais également des mères de famille et des hommes sans emplois. Tous étaient des catholiques. J’ai immortalisé de nombreux visages grâce à mon argentique et munie d’une vingtaine de pellicules, je me déplaçais à la vitesse de la lumière. Les soldats de l’Ulster Defense Regiment escortent cette foule compacte venue scander sa misère sous les fenêtres du gouvernement britannique. Ciaran avance, le bras autour de la taille de Melen. Comment a-elle fait pour obtenir de lui l’exclusivité ? Il ne la lâchait pas des yeux, pardon je devrais dire qu’il la dévorait des yeux. D’après Ginger, ils n’ont pas couché ensemble bien que tout laisse à le supposer. Ginger est la spécialiste des relations abouties ou non et elle dit avoir un sixième sens pour ce genre de choses. Il lui suffit de regarder une fille pour savoir si cette dernière a couché. Il est amusant de l’entendre déblatérer des imbécilités. Pour l’occasion je porte une longue robe à imprimés fleuris sous un caraco fait de pelage de mouton. Une véritable hippie. Arrivé à la High Street, la marche prit une autre allure. Une faction d’Unioniste disposée de part et d’autre de la rue chargea telle une vague humaine meurtrière. Leur objectif : casser le plus de Républicains. Ils ont tapés sur tout ce qui bougeait. La riposte est immédiate du côté

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des manifestants et de l’Ulster Defense Regiment, toujours prête à intervenir dans le feu de l’action. Allongée sur la chaussée, recouverte par le corps des autres participants, je rampai non pour sauver ma peau mais bien pour ramasser mon appareil photographique en piteux état. « Les salauds ! » M’entends-je dire avant d’apercevoir Ciaran heureux dans on élément. Il se battait comme un lion mais son combat est de courte durée. Des militaires armés de bouclier en plexiglas fondirent dans le tas pour séparer les différents protagonistes. Ils lui assenèrent de violents coups dans le dos, les jambes et le torse. Le pire moment de ma vie…Je bondis sur le dos d’un de ses mastodontes pour le faire lâcher prise. Une robuste main se referma sur mon crâne et un genou écrasa ma colonne vertébrale. La joue sur le goudron et complètement sonnée, je n’ai pas réagi quand on m’embarqua à bord d’une fourgonnette. Au milieu des inconnus des deux bords, je me demandais où le reste de mes relations ont filés. Comme dans tous conflits musclés, mieux ne valait point être le perdant. On nous débarqua dans les locaux de la police Nord-irlandaise et une série d’humiliation va s’en suivre. Volontairement on nous provoquait pour mieux nous condamner. La tête en vrac, je faisais de gros efforts pour rester lucide. Où est Ciaran ? « On ne relâche pas ces fumiers, je veux l’identité de chacun et une garde à vue adéquate, lança l’inspecteur Clarkson les manches relevées et le regard aussi illuminé qu’à son habitude. Garry trouvez

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moi les responsables parmi ce panier à crabes ! —Fumier d’Orangistes ! —Quoi qu’est-ce que tu as dit ? Qu’on m’interroge celui-là en premier, qu’il nous raconte ce qu’il a tant envie de partager ». Répondit ce même homme en posant ses yeux sur l’un et l’autre des détenus. Curieusement la salle est étrangement épurée d’Unionistes, il ne devait rester que des Républicains en piteux état. Quand mon tour vint Flynn m’observa dans le blanc des yeux. Je ne correspondais à ce qu’il cherchait. L’homme aux cheveux blonds tirant sur le roux va me remettre mes papier quand Clarkson ordonna de me garder dans leur base jusqu’à nouvel ordre. Je suis atterrée et en proie à un profond malaise. Ma vessie menaçait de lâcher à tout moment et j’avais besoin que l’on me rassure sur le sort de mon frère. Depuis deux heures, j’angoissai à l’idée d’être séparée de lui. On me fait signer une dizaine de papiers avant de me conduire en cellule. Je ne dois y sortir que quarante huit heures après, mais en attendant je me faisais littéralement dessus. Ceux qui n’ont rien à se reprocher ne tremblaient pas, assumant leur captivité en vociférant au nez des officiers derrière la porte. Quand aux fauteurs de troubles, on ne les entendait pas. De temps à autre, l’un d’eux se lève pour chasser le désordre dans sa tête. Il s’asseyait pour mieux se remettre debout. D’autres allaient uriner ou vomir contre le mur. Un vrai bordel. Après cette garde-àvue, nous devions nous soumettre à une interrogation présidée par trois ou quatre officiers du Royal Ulster Constabulary. L’ultime étape avant la liberté. A mon

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entrée dans la pièce, ils étaient déjà quatre mais à peine m’invitait-on à m’assoir que la porte s’ouvrit sur Clarkson et McNeil. « Vous avez déjà fait l’objet d’un procès verbal, alors avez-vous des raisons d’en vouloir à la Couronne Britannique ? Parlez plus fort, voulez-vous ! C’est mieux, répondit l’officier le nez dans un dossier. Pour quelles raisons êtes-vous à Belfast, des parents ? Un petit ami ? Alors pour quelles raisons dites-nous. —C’est l’idée de mon frère… —Ciaran ? —Oui c’est ça. Il a toujours rêvé de traverser l’Irlande, une façon comme une autre d’élargir son horizon. En partant on ne pense pas forcément à Belfast, mais en chemin on est tombé sur un groupe de hippies qui nous ont convaincus de monter jusqu’ici. Mais on est bien loin d’imaginer un tel chaos ». Ils m’interrompirent une centaine fois, soit pour me contredire, soit pour m’empêcher de terminer ma phrase, soit pour me déstabiliser. Mais à chacune des fois, ils le font avec détermination. Adossé contre le mur, les derniers arrivants ne pipent mot jusqu’à ce que j’aborde malgré moi le sujet de l’IRA et de ses adeptes. Le sujet devait être abordé n’importe comment. Cela fait partie de leur plan. « Et Fingen quand est-ce qu’il rentre dans l’actualité ? Fait-il partie de votre… comment dire, votre combat contre le mal ? —Je ne vois pas de quoi vous voulez parler ». Répondis-je à l’inspecteur Clarkson qui à présent semble me suspecter ouvertement de terrorisme. Puis il posa des photos l’une après l’autre sur la table. Elles me représentaient

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en compagnie de Maloney, de Kevin, Adam et des autres membres des membres de la contreculture et de d’autres irlandais pour le moins anonymes que j’avais rencontrés ici et là. Tous selon Clarkson ont la particularité d’appartenir à l’IRA. Il tente de me faire avaler des couleuvres et malgré mon abnégation, il dit avoir assez de preuves pour m’inculper de complicité de terrorisme. C’est absurde et n’importe qui extérieur à leur organisation peut penser le contraire. Ma captivité se prolongea une journée entière et quand la nuit tomba sur l’édifice, je me sentis terriblement perdue, consternée par les charges qui m’accablèrent. Dans pareille situation, un citoyen de la Républicaine irlandaise aurait demandé l’autorisation de passer un appel afin de rassurer sa famille, mais toute communication m’est interdite. Le RUC disposait de tous les droits pour faire plonger les suspects dans un état proche de la résignation et de l’abandon. Grande est ma surprise quand le père Donoghan entra dans ma cellule. Il vient sur les prières de Ciaran. Ainsi j’appris qu’il a été relaxé le jour-même. Ils ont recueilli sa déposition et l’a jeté à la porte. D’autres ont moins de chance, comme Maloney, son frère et d’autres membres qui tremblaient quant à leur destin. « Il est possible qu’ils vous relâchent ce soir, mais dans le pire des cas, vous devez vous montrer forte et contester le moindre compromis avec eux. Vous comprenez Niamh ? Ils ne doivent pas obtenir satisfaction. —Ils ne cessent de me poser les mêmes questions. Je leur ai dit que je n’avais rien

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à voir avec les paramilitaires de l’Ulster mais ils ne veulent rien entendre. Le fait que j’ai pu côtoyer Fingen les convainc du contraire. J’aurai besoin de bien plus que la présence d’un prêtre pour ne pas craquer. Comment va mon frère ? —Il culpabilise. Plusieurs fois il a tenté de forcer l’entrée pour vous faire sortir, mais sans succès. —Que va-t-il ensuite se passer pour moi ? Vous n’en savez rien bien-sûr… C’est gentil à vous d’être passé me voir, vous n’étiez pas obligé de vous impliquer autant et c’est une chance qu’ils vous aient laissé entrer. Ils ne laissent entrer personne. Les loyalistes nous sont tombés dessus et on n’a fait que se défendre mais pour Le RUC c’est un acte de trahison visà-vis de la Couronne. Qu’auraient-ils fait s’ils ont été à notre place ? Se seraient-ils assis, prêts à encaisser les coups ? L’armée s’en est prise à mon frère. Elle le frappe si fort et j’ai pensé que les soldats allaient le tuer. C’est une horrible impression d’être à quelques mètres de leur victime sans pouvoir intervenir. Vous-même auriez riposté, n’est-ce pas ? —J’ai grandi à Ballycastle, dans le comté d’Antrim. Mes parents n’ont pas d’argent pour nous faire vivre et la vie est des plus difficiles pour mes frères et moi. Certains jours pour ne pas dire la majorité du temps, nous n’avions rien dans l’assiette, ce qui nous poussait à trouver la nourriture où nous pouvions. De larcins en larcins nous nous en sortions plutôt bien, mais l’histoire a commencé à se savoir dans le village. Partout on cherchait les responsables pour les punir. Et puis un jour mon grand frère me proposa une ballade, or à cette époque je n’es pas très malin et

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suis aveuglément mes frères sans me poser la moindre question. Nous marchâmes de longues heures jusqu’à arrivée à la propriété de la Veuve O’ Fleming. Elle élève trois poules et autant de lapins bien gras, mon frère a sorti son couteau et m’a demandé de l’attendre. On est rentré en courant, nos butins dans de grands sacs. Ce soir-là, on a mangé comme des rois en mentant sur l’origine d’un tel festin. Mais le lendemain des hommes armés sont venus à la maison. Ils ont sorti mes frères l’un après l’autre et les ont aligné dans la cour. Ils ont fais feu. Je me tenais dans un buisson et une poule égorgée pendait à mon bras. J’ai maudit ce soir Niamh et tous les autres qui ont précédés. Je me disais que j’aurai du avouer les crimes bien avant que les villageois excédés n’en appellent aux autorités. Vous avez eu un comportement exemplaire Niamh, d’autres n’auraient pas trouvé cette force ». Une larme ruissela sur ma joue. Il y a plus malheureux que moi sur Terre et le père Donoghan en est l’exemple. Pleurer me fait du bien et dans la solitude la plus totale, je versai mes larmes à n’en plus pouvoir. Ayant perdu la notion de temps, allongée sur la banquette je fixai la porte grinçant sur ses charnières. L’officier McNeil prit le relais sur le vieux Padraig. Terrifiée je rassemblai mes jambes sous mon menton, sans oser le regarder. « Je vous ai apporté de quoi manger, tenez c’est pour vous. Allez-y le contenu n’est pas piégé, blagua l’inspecteur en ouvrant le papier pour en présenter la contenance. J’ai pu sauver cela des mains des collègues. L’un d’eux a obtenu une promotion et on a fêté l’événement.

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—Je n’ai pas faim, merci de vous en inquiéter. —Et bien vous mangerez cela plus tard ». Il expira, les mains jointes entre ses jambes. Il se perdit dans ses pensées tandis que je sors des miennes. Que fait-il ici alors que tous festoyaient à l’étage ? Encore l’une de leur méthode subtile et sournoises pour obtenir des aveux ? Je n’avais rien à ajouter et la vérité leur est déroulée un bon nombre de fois. Il plongea son regard dans le mien que je détournai prestement. Il y a quelque chose d’étrange en lui, sans que je sache quoi. Il croise les bras et les jambes sans parvenir à se lancer dans le but de sa visite. « J’ai signé votre feuille de sortie. Vous êtes libre. —Et sous quelles conditions ? Il y a forcément une contrepartie… —Pourquoi ne pensez-pas pas que l’on puisse faire les choses simplement ? Vous êtes libre Niamh et ce n’est pas ce que vous vouliez ? Dites-moi seulement pourquoi Fingen est encore en ville. Aprèsdemain il sera trop tard, n’aviez vous pas compris ce que je vous disais l’autre jour ? —Oui je regrette, cela n’est pas clair ! Tout le monde sait qui vous servait alors il est inutile d’être aussi dissimulé. Parce que c’est ce que vous êtes, un sournois. Vous vous montrez disponible, confiant mais par derrière vous être le plus perfide. C’est tout comme ces gâteaux que vous me ramenez dans l’espoir de me faire tomber. Et puis vous venez m’annoncer que je suis libre, mais à peine serai-je sortie que vous me suivrez dans la rue pour me mitrailler en compagnie de mes amis. Je suis étiquetée « ennemi public » et ceci est en

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partie de votre faute. Fingen et moi n’avons rien en commun mais vous niez l’admettre aveuglé par votre insigne et les prérogatives qui vous confèrent le statut de tourmenteurs. —Nous avons été briefé par le gouvernement britannique. Le neuf aout, il y aura une opération sans précédent. Des catholiques seront arrêtés, plus de 400 noms figurent sur une liste. Des présumés membres de l’IRA, mais également des individus soupçonnés d’avoir des rapports avec elle. Fingen figure sur cette liste. Croyez-vous que je vous mente en trahison Le RUC de la sorte ? —Et pourquoi feriez-vous cela ? Vous n’avez aucune raison de trahir les vôtres. —Vous n’êtes pas censée à rester ici. Ce que je fais maintenant n’aurait aucune incidence sur mon avenir et un jour si j’ai à répondre de mes actes, c’est à Dieu en personne que j’aurais à me justifier. C’est aussi simple que ça. Cette sorte de bilan de conscience a pour seul but de purifier mon âme, tout comme vous pourriez le faire en vous confiant à votre prêtre, ce père Donoghan venu pour vous ramener sur le droit chemin. J’apprécie son travail. Ce brave homme tente désespérément de ramener ses brebis égarées là où il n’a plus le moindre espoir. Il est connu de nos services et a convaincu Clarkson de la nécessité de vous faire sortir. Selon lui vous êtes différentes des autres et votre action ne se situe pas dans la rue, mais dans le cœur des personnes que vous touchez. Ce sont là ses termes et étant homme d’Eglise je le respecte.». Vautrée sur le matelas qui me servait de lit, je fixai le plafond depuis mon retour. Personne n’osait venir me déranger et il

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valait mieux ainsi. Ciaran est venu m’apporter une infusion au tilleul et des gâteaux secs, trouvés je ne sais où et sue je savais si indigestes. En bas, les hippies s’adonnaient à la musique —leur seule distraction depuis leur arrivée dans ce Crash — et les murs vibraient d’accords venus des entrailles de la terre : percussions, flûtes de pan, sitar indien… Warhol, me proposa un cristal pour me faire passer tous mes tracas. Mais je ne voulais pas de drogue et surtout pas de poudre blanche. J’avais mal au ventre et plus encore en pensant à Fingen dont le visage me revient sans cesse de jour comme de nuit. Il n’est pas possible d’être aussi faible que moi et ce sentiment d’incapacité m’horripilait. « Niamh je peux rentrer ? Il y a quelqu’un qui voudrait te voir. —Qui est-ce ? ». Ma réponse est apportée au moment où la porte s’ouvrit sur Fingen en personne. « C’est donc là que tu crèches ? Un squat pour les gens de la contre-culture, succursale de l’asile psychiatrique. Comment une petite bourgeoise de Dublin peut-être apprécier de coucher parmi les drogués en tout genre. Qu’est-ce que dirait papa McCullen en voyant sa fille chérie coucher à même le sol au milieu du foutre et du vomi. Pourquoi n’ouvres-tu pas cette putain de fenêtre ? —Parce que cet endroit n’est pas censé être habité. On l’occupe de façon illégale. Les autorités le savent et n’hésitent pas à descendre un jour sur trois pour nous en déloger. Cela fait partie de l’aventure. —Tu es vraiment bizarre comme nana. Tu te drogues ? Je voulais savoir comme tu

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allais. Cela te dit qu’on aille manger un morceau. C’est moi qui régale ». Et voilà comme je me retrouvais avec Genan Fingen dans un de ces pubs de New Lodge Road. Le patron, un gros gaillard aux tatouages à la gloire de l’IRA nous ouvre ses portes et son bar. Une femme pousse la chansonnette au milieu d’un orchestre celte. Pour l’occasion je porte une robe bleue à la taille soutenue par une fine ceinture. Le chapeau est l’accessoire incontournable —j’ai envie de ressembler à l’une de ces gravures de mode que l’on retrouve dans les catalogues de vente par correspondance—, et Summer me file quelques tuyaux vestimentaires sur le sujet. « Deux whisky, s’il te plait…Tu vas voir comment on déguste le Single Malt ici. On boit beaucoup à Dublin ? Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? (en suivant mon regard) C’est Lois. Elle chante souvent dans cette taverne. Une façon comme une autre de gagner sa vie. On dirait qu’elle te plait ». Je la trouvais jolie, oui. Et beaucoup d’hommes devaient également être de mon avis à la manière de la dévorer des yeux. Genan me tendit le whisky qu’il avala culsec. « C’est un putain de bon Malt ! Douze ans d’âge, l’un des petits bijoux de l’Irish Distiller. Tu n’en verras jamais des comme ça… » La chanson terminée j’ai applaudi avec ferveur. Une sacrée voix. J’en avais tout simplement des frissons. « Elle a une voix magnifique. Tu disais quoi ? —Rien. Je t’observai ».

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Alors j’ai quitté la table pour me rapprocher de la chanteuse. Sa voix était telle que je me revoyais enfant courir les champs avec Ciaran. Adossée contre le pilier, je battais la mesure de mes jambes. Mon frère n’était pas là pour l’entendre ; quel dommage…Je me mords la lèvre. J’ai envie d’être amoureuse. « Viens, je vais te présenter à mes amis ». Et Fingen de m’entraîner au fond du pub. A l’une des tables, il y a ses potes entraperçus chez lui : Duncan et toutes les petites frappes de l’IRA-provisoire. Ils me dévisagent de la tête aux pieds. Duncan, l’homme aux larges épaules et à la moustache de viking ne tourne pas autour du pot. Il veut savoir quels liens j’entretiens avec Le RUC. Ils savent que je sais quelque chose. « Qui t’a mis au parfum ? Tu sais si tu mens on aura vite fait de le savoir. Attaqua Duncan en versant du whisky dans un verre. C’est McNeil, n’est-ce pas ? —Je l’ignore et l’avertissement ne vous concerne pas excepté si vous avez quelque chose à vous reprocher. Je ne connais aucun McNeil, je ne suis là que depuis le 27 juillet, laissez-moi le temps de poser mes valises. —C’est quoi son problème Fingen ? » Les potes de Genan Fingen n’avaient plus envie d’être courtois ; déjà on me lançait des éclairs de colère. Fingen a avalé son whisky, à fait une grimace et m’a tendu mon verre que j’ai avalé d’une seule traite. « L’IRA provisoire ne doit rien vous dire. Les loyalistes parlent de leurs ennemis comme des papistes assoiffés de sang. Vous n’avez rien de ces pourvoyeurs de la

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mort. Désolé les gars. Le RUC ne m’a parlé que de Fingen. C’est lui le monstre à abattre. —Ta nouvelle copine ne me plait pas Fin, marmonna Duncan entre ses dents, sans me lâcher du regard. Selon moi, elle nous ballade. Tu sais qu’on te surveille depuis l’autre soir. Pour nous ta présence n’a rien du hasard. —McCullen. Cela sonne comme une mauvaise blague. Cette histoire ne tient pas la route. Renchérit Padraig Murphy en ôtant le cure-dent de ses lèvres. Pourquoi ton père s’est tiré de Belfast McCullen ? Tu pourrais peut-être nous renseigner. —Allez fillette, craches ce que tu sais… ». On me servit un autre verre de whisky ; je l’avalai cul-sec avant d’en être étourdi. Je n’étais pas assez lâche pour refuser un troisième verre en leur si estimable compagnie. « Ils savent boire à Dublin, renchérit Fingen le sourire aux lèvres. McCullen étudie la littérature à l’université et elle se destine à des études de journalisme. On a sûrement du lui dire que Belfast ressemble à s’y méprendre à Beyrouth ou une lointaine contrée de Lybie. Ces intellectuels sont convaincus de pouvoir changer le monde et quand ces culs-bénis s’en mêlent c’est toujours la catastrophe (en avalant un autre verre). Niamh McCullen prétend pouvoir changer l’ordre des choses. Il y a eu Saint Patrick, William Wallace, Michael Collins et voici Niamh Mc Cullen, la nouvelle Jeanne d’Arc irlandaise ». Les hommes gloussèrent et moi de les imiter. Le patron du bar apporta une assiette de cacahuètes ; jeta quelques mots en gaélique à la table avant de disparaître,

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englouti par le flot de musique et les quelques applaudissements sporadiques du public conquis. « Elle va s’en aller n’est pas Niamh ? —Je n’ai pas l’intention de rester ici dans cette ville en constante agitation. J’aurai pu également choisir de suivre les mouvements des Black Panthers mais bien que l’Atlantique nous sépare, je me sens tout de même plus proche de vous autres sujets de Sa Majesté que de ces afroaméricains luttant pour leurs droits civiques. —McCullen est également adepte de la contre-culture. Je me permets de te présenter en détails à mes pauvres camarades d’infortune, déloyaux sujets de la Couronne britannique et « négros roux » dont on bafoue les droits civiques. —Vous comparer est un bien grand mot, eux ont la peau noire et… —Notre parfaite citoyenne de l’Eire rêve de politique. Militer est son crédo. J’imagine que vous devez fermement vous ennuyer à Dublin pour venir gaspiller votre temps à Belfast ». Tous les regards convergent vers moi. « Oui je m’ennuie cela va de soi et mon esprit est si étroit qu’avant de poser le pied ici, j’ignorai tout de vos coutumes et de vos inclinations politiques. Autant de partis républicains ne parviennent à vous assembler… —Je ne peux pas croire que tu t’embarrasse avec cette tronche de cake, lâcha Don Fitzgerald en jouant avec une boîte d’allumettes. Elle n’a rien d’une irlandaise. —Usurpateur d’identité. McCullen c’est pourtant irlandais ? Renchérit Mc Conaugh. On pourrait penser que Le RUC

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l’envoie ici pour tester notre loyauté au Sein Finn. Quand est-ce que tes vacances scolaires prennent fin dis-moi ? » La musique derrière vient de s’interrompre et arrive Róis. La belle m’aperçoit —il règne ici une ambiance que je n’apprécie pas—, il me faut partir avant de gouter à l’humiliation infligée par ces monstres de l’IRA. « Salut les gars ! Vous ne me présentez pas ? Róis O’Brian et toi c’est Niamh McCullen, je te connais déjà. Mais on aura d’autres occasions de se revoir dans le coin si tu fréquentes Fingen. Sois la bienvenue Niamh ! —Non. McCullen a seulement perdu son chemin. C’est une touriste qui nous quitte et de façon définitive. On voulait seulement fêter cela. Comment ça se passe à Ballymurphy ? —Passes-me voir qu’on discute un peu Fingen. Ravie de t’avoir revue Niamh ». Les hommes la suivent du regard excepté Fingen ; il continuait à me fixer intensément —j’avais le choix entre fuir et fuir ; qui plus est Ciaran finirait par s’angoisser. Et puis le Single Malt commençait à me monter à la tête. « Qu’est-ce que tu fais McCullen ? Personne ne t’a dit de te lever à ce que je sache ! Lança Duncan, déterminé à me coller un pain avant la fin de la journée. Tu as commencé à nous parler de McNeil et au moment où cela devenait intéressant, tu es subitement devenue muette. Poses ton cul sur cette chaise et détends-toi. —Je suis détendue, pas vous ? Quant à votre McNeil, je vais étudier la question… » Le poing de Duncan s’abattit avec violence sur la terre faisant voler les

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cacahuètes hors de leur assiette ; il n’avait plus envie de rire. « Je crois qu’on va causer sérieusement nous deux ».Et c’est dans la cour arrière qu’ils me conduisent ; ils fouillent dans mon sac à la recherche de je ne sais quelle preuve accablante. Moi je reste calme, mais j’ai la vessie sur le point d’exploser. Alors Duncan m’attrape par la gorge pour me coller contre le mur. Mes pieds ne touchent plus le sol. « Tu sais Fingen n’aime pas trop que tu fouines dans ces affaires et il a été clair à ton sujet. Tu vas gentiment quitter Belfast sans faire d’histoires d’accord. Et il ne sera plus jamais question d’entendre parler de toi ». Il me tape la joue. Le contenu de mon sac jonche le sol ; c’est à quatre pattes je ramasse mes affaires quand je surprends le regard de Fingen posé sur moi. Il fume et il m’observe, triomphal dans l’encorbellement de la porte. « Je vais te ramener auprès de tes petits amis junky. Tu n’as plus rien à faire ici ». Dans la voiture je fixe un détail du tableau de bord. Duncan vient de me menacer. Il fallait bien que cela m’arrive. C’est mon orgueil vient d’en prendre un coup. « Tu as perdu ta langue McCullen ? Tu es d’habitude plus loquace. Dans le coin on n’apprécie pas les petits pisseux de ton genre. Et je sais que tout ce que tu m’as raconté depuis le début c’est des conneries. Je ne sais pas ce que Le RUC a dans la tête, mais toujours est-il que tu es devenue leur pion. Si tu avais été un putain d’Orangiste on t’aurait fait bouffer tes couilles… »

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Il baissa sa vitre pour tendre ses papiers au check-point du coin. Les militaires posent les usuelles questions à Fingen : où se rend-il ? Compte-t-il respecter le couvre-feu ? Le coffre se referme violemment. Le véhicule est en règle et on nous fait signe d’avancer. « Tu vois, ils m’aiment bien ici. Je suis un citoyen britannique sans histoires. Comment c’est Dublin ? Il paraitèmeque les vikings ont fondé cette ville au 9 siècle et moi qui croyait que c’était celte. Comme quoi on se trompe toujours sur l’identité présumée de quelqu’un (il tourna les boutons de sa radio, à la recherche d’un programme). Tu as un petit copain là-bas ? Tu n’as personne apparemment. Une jolie femme comme toi devrait avoir plein de copains ». Et moi de continuer à fixer l’accotement de la chaussée. Il me tarde de rentrer chez moi ; tout le monde devrait avoir un refuge dans lequel se cacher quand les choses tournent mal. Là j’ai véritablement envie de me casser loin d’ici. « Je ne veux pas que tu quittes Belfast avec de mauvaises pensées, tu comprends. On va chez moi une heure ou deux et je vais te faire du café. On va discuter comme de vieux potes et ensuite je te ramènerai auprès de tes…je ne sais pas comment les appeler, enfin tes beatniks férus de bouddhisme ». Profitant qu’il ait le dos tourné je vide son immonde café dans les plantes. Il met Janis Joplin. Il a acheté le vinyle. Il a suffi que je lui en aie parlé pour qu’il se le procure et il semble être heureux de sa nouvelle acquisition ; il se met à parler musique pendant de longues minutes. Moi je ne l’écoute que d’une oreille.

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« Tu sais je prends les menaces de tes amis très au sérieux. Je suis une conspiratrice qui s’envoie en l’air avec McNeil. Le problème Fingen, c’est que je me fiche d’écouter Janis Japlin ou The Doors ou Bob Dylan ce soir tant que tu n’auras pas admis l’objectif de ma présence ici. C’est tellement facile de faire exploser des bombes et de tuer des innocents quand on se cacher derrière une entité telle que l’IRA ! Mais tu n’as jamais vu le visage de tes victimes ! Moi si…c’est monstrueux, ce que tu fais ! Jamais je ne cautionnerai ce genre d’actions ! Jamais ! Et…Je rêve qu’ils te mettent en prison, toi et tes petits potes provos. Pourquoi tu souris ? —Parce que tu ne sais pas de quoi tu parles. —Vraiment ? —Il ne te suffit pas regarder cette ville en flammes derrière ton poste de télévision et de penser que les médias en raison à notre sujet : nous ne sommes qu’une bande de dégénérés incapables de prendre des mesures correctes pour éradiquer tout le vice qui corrompt nos âmes. Ceci inclus le trafic d’armes, la prostitution et la prise en main des futurs membres de l’IRA. Dans tes manuels, on te parle de révolution pacifique, de l’activisme religieux en citant Gandhi ou Martin Luther King ; mais on oublie ceux qui ont fait dérailler les trains, ceux qui se sont insurger contre des tyrans et des dictateurs ; ceux qui faute de moyens se sacrifiaient physiquement à leur cause. Tu ne connais rien de l’engagement qui est le mien. —C’est vrai et sous prétexte que je ne paie pas d’impôts ici, je suis censée ne rien comprendre à votre cause. Pourtant vous

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appréciez quand vos compatriotes américains vous envoient des fonds pour financer votre guérilla ? Mais mon Dieu, ne leur demandons pas d’ouvrir leurs portes pour témoigner de ce qu’ils auraient pu voir à la télévision qui n’est qu’une vérité tronquée ! Stop à l’affabulation ! Pourquoi ne pas organiser des visites touristiques dans les quartiers chauds d’Ardoyne ou de Ballymurphy ? Cela marquerait leur conscience à jamais sans parler de l’impact que cela aurait dans leur quotidien. Quoi ? N’ai-je pas raison ? » Il tarda à répondre. Dehors une ambulance passa à vive allure et des gamins entamèrent des chants patriotiques. Il faisait suffisamment chaud pour laisser les fenêtres ouvertes et c’est tout Albert’s street qui s’agitait dans cet appartement. De l’épicier à l’angle de la rue et de Milford Street occupé à fermer boutique, au boucher jetant l’eau de ses étals dans le caniveau. « Pourquoi es-tu là ? Tu as du manquer de fessées étant jeune. Parles-moi un peu de Dublin. —Et que veux-tu savoir ? —Tu y es heureuse ? Je t’imagine bien revenir de l’université remontée comme une pendule parce que ton professeur aurait sous-coté ton travail. Tu entrerais dans une colère noire quand ton père ancien champion de boxe à la retraite dirait qu’il refuse de te payer une chambre en ville ; parce qu’il fait partie de la vieille Irlande ; ceux qui allaient à l’école sans souliers et qui connaissent la valeur du fric. Peut-être que ta mère viendrait à ton secours ; une énième fois elle prendrait ta défense argumentant sur l’émancipation des femmes et autres délires sortis tout

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droit d’un cerveau affecté par l’enseignement qu’elle dispense à ces merdiques petits étudiants de la pathétique université de Dublin. Tu vois ma chérie, le plus dur ce n’est pas de collecter des informations mais bien de les assembler pour former un tout plausible et efficace. Tu veux être journaliste c’est ça ? Alors commence d’abord par taire ce que tu sais ; garder l’essentiel de l’info pour le régurgiter plus tard, au bon moment. Il faut garder une poire pour la soif, ce que tu ne sais pas faire. Tu es si pressée de tout dévoiler que tu manques cruellement de bon sens. Si tu avais l’esprit de synthèse tu casseras la baraque, à la place de cela tu es désordonnée et improductive. Ce que tu écris doit-être merdique. Un vulgaire condensé de cours sur la politique de l’Irlande depuis sa création. Mais tu ne sais rien des vrais hommes d’ici. De ceux qui côtoient la mort quotidiennement ; des rescapés et de leurs blessures, lança-t-il en déboutonnant son gilet et sa chemise pour dévoiler une cicatrice au milieu du torse). Calibre 33 à quelques centimètres du cœur. Alors que tu jouais à la marelle, je défendais déjà cette idéologie. Mon père a eu moins de chance. On lui a explosé la cervelle. Descends de ton nuage McCullen et accepte l’évidence que les guerres se gagnent par la force ». J’ai envie de rentrer. J’ai envie de vomir. Soudain on frappe à la porte. Le temps pour moi de me mordre la langue pour ne pas fondre en larmes. Un type vient de rentrer ; chemise rose sous une veste kaki avec pièces de cuir sur le coude. Lui je l’ai croisé plusieurs fois sans savoir qui il était. Dalaigh Lochlainn de Derry. C’est un boxeur. Il est né pour se battre.

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« Il y a de l’action dans le coin. Les salopes de l’UVF et de la Red Hand fichent une pagaille du diable, déclara ce dernier en se roulant une cigarette. On a posté des tireurs embusqués sur Falls et Springfield. La British Army ne semble pas décider à intervenir. Le vieux Riagal demande à ce que l’on se tienne prêt. —Et toi ? Tu décides quoi pour ce soir ? —J’ai passé trois nuits à Le RUC. C’est une chance qu’ils m’aient libéré. Ce soir je raccroche. J’avais pour idée de me faire une toile. Tu as un peu de café ? » Fingen partit en cuisine, il change le vinyle pour Burl Ives et son Cow boys’ laments présenté sur une compilation de Blues, de Gospel et Soul. Il a les épaules larges, les cheveux tirés en arrière et une barbe de trois jours. « Finalement tu te plais chez nous. Il n’y a pas meilleure place pour qui aime se battre, ironisa Dalaigh les mains enfoncées dans les poches. Et j’ai pu constater que tu avais une sacrée droite. J’en ai encore la mâchoire défoncée (en remettant son maxillaire en place). L’autre soir tu m’as pris pour un putching ball. —Je suis navrée mais je ne m’en souviens pas » Il est bel homme. J’ai envie de l’aimer. Il se caresse la mâchoire sans me lâcher des yeux. Les lèvres pleines et le regard électrisant ; C’est l’homme de ma vie. Toutes les femmes doivent se le dire en le voyant pour la première fois. Ses yeux descendent sur mes seins. « Tu ne te souviens pas du Barry’s ? Alors laisses-moi te rafraîchir la mémoire. Tu connais Summer n’est-ce pas ? Il s’avère que l’on devait boire un verre ensemble. Fingen nous a rejoint après et

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vous avez longtemps discuté. Comme l’heure tournée et que je devais rentrer avec Fingen, j’ai interrompu votre conversation. Alors tu m’as demandé d’aller me faire foutre, après quoi je t’ai répondu qu’on pourrait y aller ensemble et tu m’as frappé. —Tu devais l’avoir amplement mérité ». Il a quitté la pièce sans rien ajouter d’autres. Summer n’aurait jamais dû me faire prendre de l’acide ce soir-là. Dans l’entrebâillement de la porte je vois Lochlainn armer une arme de poing. Le cliquetis métallique de l’arme me fait froid dans le dos. Fingen m’aperçoit, sort et referme la porte derrière lui. « Je vais y aller. Je ne veux pas troubler votre entrevue. —Les rues sont dangereuses à Falls Road, tu as entendu Lochlainn. Je ne peux pas te laisser t’exposer de la sorte. Tu peux dormir ici, proposa Fingen en retirant mon sac à bandoulière de mon épaule. Restes, s’il te plait…s’il te plait. —Mon frère va s’inquiéter. —On peut lui passer un coup de fil d’ici. Niamh, je sais que tu ne tiens pas à sortir. Tu avais plus d’assurance ces dernières heures. Ne me dis pas que tu as peur ? Duncan ne te fera rien si tu décides de rester la nuit chez moi. Il n’a que faire des filles que je ramène ici ». Derrière les rideaux de son appartement, il observait l’ambiance de la rue. Je le rejoignis à pas de loup jetant un long mais pas moins blasé regard sur les véhicules stationnés le long de la chaussée. L’Ulster Defense Regiment quadrillait les quartiers comme à son habitude, soucieuse d’écarter toute menace venant des foyers occupés

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par des catholiques non parqués dans les résidences situées en périphérique. « Il fait partie des provos lui aussi ? —Tu es très perspicace. Tu as trouvé cela toute seule ou est-ce Le RUC qui t’a renseignée ? » L’autre sortit de l’hombre. Il disait devoir y aller et remercia Fingen pour le café. La porte claqua. Il dévala l’escalier pour se retrouver dans la rue. Il tourna la tête dans notre direction et fila sans même nous saluer. Et Fingen continuait son observation sur ma personne. « Si tu cherches du boulot j’ai quelques pistes. Je connais personnellement Joseph Anthony Arrington, le fondateur de notre journal républicain l’An Probacht. Il recherche constamment des pigistes en ce moment. C’est en général le job qu’on cède volontiers à des jeunes diplômés de la Queen’s University. Tu pourrais tenter ta chance. — Non, Belfast ce n’est vraiment pas mon trip. Et pour tout l’or du monde je ne voudrais pas y vivre. J’en ai assez vu et mon absence ne se remarquera pas. —C’est ce que tu cRóis vraiment ? —Oui, tu ne sais pas à quel point tout cela me dépasse. J’aimerai parler littérature si cela ne te dérange pas. Je viens de lire Ulysse de James Joyce et avant ça, j’ai dévoré la trilogie de Roddy Doyle qui dépeint la classe ouvrière dublinoise. C’est acerbe et drôle à la fois. —Pas étonnant de la part d’une communiste soutenant le prolétariat de masse. Ce soir, je veux que tu me parles de toi. Qui est véritablement Niamh McCullen ? Il y a fort à parier que tu te caches derrière ton arrogance et tes bouquins dont la liste est représentative de

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ton esprit étroit. Tu es bandante mais sitôt que tu ouvres la bouche ; cet épais vomis qui en sort nous faire craindre le pire ». * Brusquement des coups de martèlement résonnèrent dans ma tête. On cognait à la porte tandis que le téléphone sonnait furieusement. D’un bond Fingen se redressa les yeux ronds d’étonnement. Son premier réflexe est celui de jeter un œil sur sa montre. 4 heures 15 ! Merde, je n’aurai jamais du rester ici ! On s’acharnait de nouveau à la porte, mais Fingen me repoussa « Non, toi tu restes ici et tu ne bouges pas ! Oui allo ! —Casses-toi Fingen…Ses salauds arrêtent tout le monde. —Ne vas pas ouvrir ». Le suppliai-je jusqu’à ce que la porte vola en éclat dans la pièce d’à côté. De lourds pas traversèrent à vive allure et le cliquetis des armes à feu se firent entendre. L’Ulster Defense Regiment vient d’infiltrer l’appartement de Fingen et tRóis hommes bondirent sur lui pour l’embarquer. Un frisson de terreur me submergea. On est le 9 août et l’Opération Démétrius voyait le jour. Les enfoirés de Le RUC ont fait ce qu’il faut pour mener à bien cette mission. « Toi, tu restes tranquille, ce n’est pas toi qu’on est venu chercher ! Me lança un soldat, le visage recouvert d’une visière en plastique. Je t’ai dit de dégager ! Est-ce que tu comprends quand on te parle ? —Hey le gros, c’est moi que vous êtes venu chercher alors vous l’a laissé. Tu entends soldat ?

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—A qui tu t’adresses sale fils de pute, c’est le fait que l’on touche à ta chienne qui t’excite ? Et tu vas me faire quoi au juste, appuyer sur le détonateur pour me faire sauter ? —Je vais te faire avaler ta langue, je te jure que je vais le faire ». Un coup de crosse lui fracassa la mâchoire. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je mordis l’un des soldats jusqu’au sang, mais il répondit par une gifle qui me fait perdre le fils des événements. « Fingen, tu ne vas commencer à nous créer des histoires ! Attachez-moi cet homme…Putain, les jambes, allez-y pour les chevilles ! Empêchez-le de bouger…Ce forcené aura tôt fait de vous abattre si vous n’y prenez pas gare ! » Aboya un lieutenant de Le RUC. En relèvent la tête, je reconnus l’un des sbires de Clarkson. Il soulève Fingen par les cheveux. Un filet de sang s’échappait de ses lèvres et il exultait de colère. « On va prendre soin de toi Fingen comme tu as pris soin de nos hommes et tu ne vas pas regretter le séjour que l’on te réserve. Allez, on ne ramollit pas ! On fonce les gars ».

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Enregistrement n°4 Belfast est en pleine ébullition. De plus la présence des paras vint accroître la colère des Républicains ainsi pourchassés jusque dans leur retraite. Partout des rassemblements s’organisaient pour tenter d’apporter des réponses à cette arrestation sans précédent, visant uniquement les irlandais suspectés d’appartenir à l’IRA « provisoire ». Les blindés de l’Ulster Defense Regiment descendaient les rues sur les chapeaux de roue suivie par l’infanterie mobile courant ça-et-là pour se mettre à l’abri des snipers de l’IRA. Toute progression dans certains quartiers ne peut se faire sans être contrôler par les militaires. Ces derniers fouillaient vos sacs, votre véhicule et après une rapide inspection vous rendez vos papiers. Je finis vraiment par détester cette ville. Le lieutenant McNeil sortit de l’immeuble autour duquel les anglais ont érigé une véritable barricade. Après les émeutes, Belfast comptait dix morts. Les check-points se multipliaient de part et d’autre et les hélicoptères survolaient inlassablement les quartiers incendiés, soit un total de plus de deux cent cinquante maisons. Ciaran ne cessait de me demander si je tenais vraiment à rester dans ce merdier ; ma réponse restait toujours affirmative. Plus que jamais je suis décidée à en savoir un peu plus malgré le cordon de sécurité autour des inspecteurs de police et les soldats. Une déflagration me jeta au sol ; des débris de verre volèrent de part et d’autre de la rue. L’endorphine aide à ne pas mourir de peur ; les balles ont beau fuser autour de moi, je suis dans les quartiers les

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plus chauds de Belfast-ouest. Tous les catholiques s’agitent ; les plus raisonnables tentent de maîtriser les jeunes armés de fusil d’assaut. Le cœur bat fort dans ma poitrine. Je prends des photos. Des dizaines de photos. Mes mains tremblent. Ciaran me sert d’éclaireur dans les rues jonchées de débris. Là on vient de retourner une voiture avant de la recouvrir d’essence et d’y mettre le feu. Dans la rue adjacente, les jeunes du quartier ont incendié une boutique ; la fumée sort de partout mais rien ne semble se consumer à l’intérieur. Il y a du sang sur la chaussée. La nausée me colle aux lèvres. Ciaran prodigue les soins aux blessés, tandis que je mitraille. Dans la pagaille on a perdu Maloney et les autres étudiants. Ils sont partis sur Cupar Way et Clonard Street ; éparpillés comme autant de feuilles en une journée venteuse d’automne. « Hey ! La presse est là ! Hurla un type en me voyant accroupie sur la chaussée. On a les journalistes avec nous ! Si tu veux voir de l’action, suis-nous… » Les mômes envoient des pavés en direction des blindés de la Royal Army. Ils dispersent la foule à coup de balles de caoutchouc. C’est assez dissuasif quand on s’en prend une ; celle que je viens de recevoir m’a littéralement arrachée la jambe. En boitant je rattrape le cortège courant vers le Nord. Par moment le silence revient. Mais ce n’est jamais bon signe. Les FN MAG se mettent à crépiter, répondant au sifflement strident des RPG-7, ces lance-roquettes pulvérisant les véhicules de l’armée. A couvert dans une impasse, je recharge mon appareil photo. En face, une femme

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sur son balcon rentre son linge et tire ses rideaux. Ici ça pue la poudre. L’odeur vous pique le nez. Les soldats quadrillent le secteur ; défoncent les portes, bousculent ceux qui n’ont aucune raison de se trouver dans la rue. On vérifie mes papiers avant de me laisser en plan. Le calme semble être revenu dans cette partie de Belfast bien que les balles continuent de ricocher contre les murs de briques. Et surgit de nulle part, des femmes me coupent la rue. Elles sont armées de SAM 7 et d’AR 15, de M4 et leurs armes contrastent avec leur jupe courte laissant dévoiler leurs genoux cagneux. L’une d’elles s’appelle Keira et du haut de ses 17 ans rêve de tuer autant de britanniques qu’il lui soit possible. Mon frère aussi a 17 ans. « Alors il devrait être avec nous ! C’est aujourd’hui qu’on peut venger les nôtres. Ils ont arrêtés mon père l’année dernière et il n’a pas eu droit à un procès. Voilà pourquoi je suis ici, pour le venger ! » Elle repoussa ses lunettes à grosses montures noires sur son nez. Keira ne veut plus entendre parler du gouvernement britannique. On a fait un bout de chemin ensemble et elle veut savoir pour quel journal je travaille : l’Irish Telegraph ? Si c’est le cas, elle se dit être prête à me donner des tas d’informations. Alors je mens. Je dis être pigiste à l’An Probatch. Bien-sûr qu’elle le connaît ! Quel républicain ne connaît pas cette feuille de choux ? Plus loin on vient à se séparer et on rapporte le bruit qu’il y a un settings devant les bâtiments de Le RUC située au

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large de Knock Road. Et j’y retrouve Summer, Ginger, Harvard, Noemie Beck et Sanford. L’union fait la force et l’on se sent vraiment invincible ; fiers de soutenir les opprimés de cette guerre civile, on entame des chansons de Jimi Hendrix, de Bob Dylan et autres contestataires. « Quelle pagaille ! Tu n’avais encore jamais vu ça Niamh, me glisse Summer plongée sous amphétamines. Moi non plus je vais t’avouer. Bande de sales porcs ! Rendez-leur leur liberté ! » Et les autres de scander les mêmes propos que cette dernière. L’Ulster Defense Regiment exaspérée par notre présence chargea dans le tas, en tirant des balles en plastique. Quelques se levèrent pliés par la douleur, mais les plus combatifs restèrent sur place, serrant les dents en lèvent le majeur vers les soldats venus nous fichent la raclée de notre vie. « Rentrez chez vous ! Vous n’avez rien à faire ici ! ». Puis se furent les jets d’eau, envoyés en trombe qui en balaya plus d’un. Il en faut bien plus pour saper notre moral et accrochés l’un à l’autre, nous résistions aux assauts des militaires. Trempés et couverts d’hématomes, nous voulions leur prouver que nous sommes des durs à cuire, tant et si bien qu’ils ont fini par nous arrêter Summer, Stanford et moi. Heureux d’avoir obtenus ce que nous voulions, nous attendions notre tour sur le banc, le sang battant furieusement dans nos veines. Etant déjà enregistrés dans leurs fichiers, il ne est guère long d’attendre le verdict de la Royal Ulster. Comme l’ordre est de nous relâcher, je tapai un monumental scandale, criant avoir

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des renseignements à transmettre à l’inspecteur McNeil. Info ou intox, on m’observa attentivement avant de faire venir le concerné. « J’ignore ce qu’elle a à me dire, mais faites la sortir c’est une emmerdeuse et s’il le faut, employez la force. Vous entendez ce que je dis ? Faites la sortir sur le champ ! —Niamh, il vient de te traiter d’emmerdeuse ? —Oui, ce lieutenant a la mémoire courte. Ses propos étaient : « A la date du 9 août, il y aura une arrestation musclée de présumés suspects dont Genan Fingen ». Dois-je continuer Mr McNeil ? Vos collègues veulent-ils entendre le reste de l’histoire, selon laquelle vous m’auriez faite une fleur ? Lâchez-moi ! Je peux encore me lever toute seule ! Lâchez-moi vous m’entendez ? » * « Oui, allo…pourrais-je parler au père Donoghan ? Je suis Niamh McCullen. —Ne quittez pas…Padraig Donoghan, j’écoute ! ». Pendant un bref moment je restais sans voix, le combiné collé à mon oreille. J’appréhendais ce qu’il va me dire. « C’est Niamh…avez-vous quelconque nouvelles des détenus de Le RUC ? —Niamh ? J’espérai que vous m’appelleriez plus tôt. Je vais être bref. Le RUC attendait une arrestation de 452 personnes mais seulement 350 ont été retenus dans leurs locaux. Ils font être envoyés dans divers centres régionaux pour une durée de 48 heures. Mais ces fumiers n’en ont relâchés que cent quatre. Le reste a été envoyé à bord d’un prison-

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navire ou à la prison de Crulim Road. Douze d’entre eux ont subi un interrogatoire plus poussé dont Fingen. Il est toujours maintenu en captivité. —Que pouvons-nous faire ? —Absolument rien. La politique d’internement imposé par le gouvernement britannique est cruelle et vise à répandre un climat d’injustice et de violentes tensions dans tout le pays. Vous avez quitté Belfast avant la bataille, maintenant les jeunes gens révoltés courent droit à l’IRA dans la ferme intention de mater l’Ulster Defense Regiment envoyée par Westminster. Je m’insurge contre toute forme de domination, mais ma voix comme celle de mon Eglise n’est pas entendue. Je dois y aller, mais n’hésitez pas à m’appeler si le besoin s’en fait ressentir. —Mon père je…je m’inquiète également pour un dénommé Dalaigh Lochlainn, lui avouai-je derechef en jouant nerveusement avec le cordon du combiné. Avez-vous déjà entendu parler de lui ? —Oui c’est une vedette locale de Derry. Il a été envoyé à Crulim Road. D’où le connaissez-vous ? Niamh, vous êtes toujours là ? » Un match de boxe se disputait ce soir. Nous étions le 11 août 1971, soit deux jours après Demetrius et les catholiques irlandais reprenaient leur vie dans la plus déconcertante résignation. Tant qu’il y avait du sport, la foule supportait encore son quotidien ; les catholiques dépensaient leurs sous auprès des bookmakers pour ensuite venir s’entasser dans la salle municipale de Suffolk. Jouant des coudes je me suis assise au premier rang sous les sifflets de

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désapprobation des spectateurs moins culottés. Les deux gros malabars sur le ring s’en sont mis plein la tronche. J’ai vraiment mal pour eux. Ils sont partis sous les hurrahs du public déchaîné. Summer se pencha à mon oreille. « Le gros dur à gauche c’est Moose. C’est comme ça qu’on l’appelle dans le coin. Il travaille pour Riagal, tout comme Lochlainn. Mais sache que sur le ring personne ne l’appelle ainsi, pour les initiés c’est Linux. Tu entends ce que je dis ? Linux et non pas Lochlainn. Niamh, tu n’es pas avec moi…Tiens il suffit d’en parler pour qu’il apparaisse. C’est lui Riagal, susurra-t-elle en me désignant un homme au front dégarni et aux petits yeux vicieux. Il gère un peu tout dans le coin. Tu comprendras ce que tu voudrais, mais mieux ne vaut pas l’avoir comme ennemi. Et puis il y a Duncan, l’autre excité de la gâchette. Il vient souvent ici, c’est un peu leur second foyer. Ce quartier grouille de provos et de militants. C’est la place où il faut être pour échanger des infos à condition bien entendu de faire partie du réseau. Salut Billy, ça va ? —Dis tu ne présentes pas ? —C’est ma sœur tu n’y touches pas vieux cochon. William vient de Manor Street et c’est un bon élément. Cela fait longtemps que l’on ne t’a pas vu dans le coin, dis ! —Je n’arrête pas en ce moment. —Moi non plus mais je suis toujours dispo pour mes amis. Qu’est-ce qui se raconte dans le coin ? —Oh tróis fois rien… Toujours les mêmes emmerdes : on manque un peu de tout ici ; alors on s’organise pour sur vivre. On monte des embuscades, des sabotages

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et cela semble porter ses fruits et maintenant que la guérilla gagne du terrain, on peut faire la nique à Brian Faulkner (il se pencha vers moi pour me proposer des montres dissimulées sous sa veste de cuir). Si tu es intéressée je te fais un prix… » De la contrebande vendue sous le manteau ; que ferais-je de ces fausses montres ? Prenant un air détache, il détourna la tête tout en me présentant d’autres produits non soumis aux taxes britannique et Summer de glousser à mon oreille —quand elle n’était pas stone ou complètement défoncée c’était vraiment une chouette fille : avenante, souriante et parlant d’une voix agréable et reposante. Seul soucis : tous les hommes lui courraient après, peut-être parce qu’elle avait tout simplement une présence folle. « Ce que je cherche Billy, tu n’es pas en mesure de me le fournir. Nos canalisations fuient et Summer et moi, on a constamment les pieds dans l’eau. Si tu t’y connais un peu, il nous faudrait un expert dans la plomberie capable de briser des tuyaux gros comme ton poignet. —Tu parles de tenailles et de pinces coupantes ? » Ils ont sifflé la reprise du match. Lochlainn contre Moose. L’autre Billy me prenait certainement pour une folle ; ici ce n’était pas l’endroit pour causer plomberie. « Ne te prends pas la tête avec ce problème de canalisation ; de toute façon Harvard nous a trouvé un autre squat sur New Lodge ». L’air était chargé de testostérone, de sueur et d’hurlements bestiaux. Et quelle désolation de les entendre causer. Pas un pour surpasser l’autre.

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« Oscar Wilde était un putain de pédé, tonna un abruti dans le pub jouxtant la salle de sports. Voilà pourquoi on l’a arrêté ! Summer, c’est qui ton amie ? Tu as oublié de lui dire qu’on ne connaît pas Oscar Wilde ici ». La veste militaire sur sa longue robe vaporeuse, elle se contente de lever les épaules. Je n’arrive pas à me détendre, vraiment j’ai beau essayer mais…j’avais oublié l’ambiance survoltée des pubs de Belfast et plus encore après un soir de boxe ; ces poivrots jouent les gros durs, descendent des litres de bières insipides et beuglant des insanités. « Détends-toi ma chérie, cet endroit vaut bien un autre. Hey, Dalaigh ! Restes ici je reviens… » Et ils causent de moi, je vois bien que l’autre vedette de Derry ne semble pas enchanter de me voir traîner parmi ses potes. Soutenant ma cause, Summer se faire reprendre. La colère se lit sur le visage du boxeur à l’arcade sourcilière ouverte. Il ne viendra pas sur notre table ; or c’est lui qu’on attend depuis maintenant une heure. La star de Derry est une petite capricieuse ; j’éteins ma cigarette et attrapa mon sac. Je n’avais plus rien à faire avec ces fanatiques de dernières heures, au grand désespoir de Summer.

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Enregistrement n°5 A la date du 15 août 1971, Maddén et son époux Cameron Mag Gabhann m’accueillirent à la demande du père Donoghan. Ils insistent pour que je fasse comme chez moi, avec le désir que je me sente à l’aise dans mon nouvel environnement rempli de gosses dont la moyenne d’âge ne dépasse pas les dix-sept ans. J’aurai pu me sentir bien s’il n’y a eu tout ce tapage au-dessus de nos têtes. Les voisins étaient particulièrement bruyants et ne ménageaient personne. Retranchée dans ce quartier catholique d’Alliance Avenue, ma vie ne tournait plus qu’autour de la recherche d’un emploi dans une ville qui pratiquait ouvertement la ségrégation d’ordre social. Il n’y a du travail pour personne et encore moins pour une citoyenne de l’Eire. Mais je ne désespérais pas de trouver quelque chose pour honorer ma parole prise envers mes hôtes. Il me restait à voler de la ferraille comme les petits-fils de Nora et Cameron, ou à participer à tout autre commerce souterrain. La nuit, enfouie sous mes draps je me mettais à chialer pendant de longues minutes avant de trouver enfin le sommeil. Toutes mes nuits étaient peuplées de cauchemars et mes journées ne différaient en rien à mes nuits. La faim me tenaillait, chez les Mag Gabhann je sors de table le ventre encore vide. Parmi les membres de cette famille, il y a les petits enfants qui comme tous les adolescents mangeaient comme quatre. Or en ces temps de troubles, mes hôtes comme énormément de foyer en Irlande du Nord éprouvaient des difficultés à se

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nourrir en raison de leur attachement à leur communauté. Et puis je culpabilisais pour des tas de choses dont l’internement de Fingen. S’il a été là, rien ne se serait passé ainsi. « Je suis au bout du rouleau. La NICRA et l’Association for Legal Justice devraient être saisis quand on sait que les internés subissent de « mauvais traitements ». Mais ça c’est trop leur demander ! —Et des clichés ? Tu as trouvé à qui les vendre ? —Non ! Aucun journal n’en a voulu, ce n’est pas assez mordant qu’ils disent. Mon frère et aussi largué que moi, mais lui a la clairvoyance de pas s’immiscer dans les conflits. On est aujourd’hui le 19 août et je n’ai plus d’argent ! Un frère est aux abonnés-absents et je suis là à t’ennuyer avec mes ennuis ; voilà où j’en suis Maddén. —Allez Niamh, vas-y tu as le droit de craquer, hein, personne ne te jugera ici ». Les Mag Gabhann ont perdu un fils en 1969 lors des premières rixes et à présent élèvent leurs deux petits-fils, Dagan de quinze ans et Neal de dix-huit ans. Tous deux portaient de longs cheveux et des vêtements troués de partout. Le contact passe bien avec Neal du même âge que mon benjamin, en moins calme et contrairement à lui ; Neal parlait plus et pas seulement pour émettre des jérémiades et des borborygmes. L’autre Dagan est plus introverti, bien que très bagarreur et il m’observait continuellement derrière sa frange, prêt à me rentrer dedans à la moindre occasion. En revenant de la cuisine, je surpris ce petit con fouillant dans mes affaires et

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quand je l’interrogeai, il me répondit calmement : « C’est l’IRA qui me demande de t’avoir à l’œil. Ils disent que tu sers les Orangistes et que je ne dois pas te lâcher. —Mais qu’est-ce que tu racontes ? Attends, ne t’en vas pas ! Ne cRóis pas t’en tirer comme ça, reviens ! ». Il me claqua la porte au nez. Prise de panique je jette un œil par la fenêtre. Les jeunes en bas de l’immeuble n’ont pas bougés, fumant comme les adultes. Une voiture calcinée servait de terrain de jeux au plus jeune et au loin, un groupe de femmes discutaient entre elles en faisant de grands gestes. L’IRA est sur mon dos et ce n’est pas étonnant au vu de mes activités. On m’observait en permanence, que je suisse à l’intérieur ou à l’extérieur de cette communauté. Qu’est-ce que cet enfoiré de petit morveux a-t-il leur raconter à mon sujet ? Qui plus est, je m’aperçus qu’il a tiré mon portefeuille et dans la rue se pavanait de ce butin. Folle de rage, je me mis à sa poursuite quand une portière s’ouvrit. « C’est ça que vous recherchez ? Monte dans la voiture Niamh McCullen.... » On me jette à bord où attendait deux autres hommes dont Duncan, la brute épaisse et acolyte de Genan Fingen. « On t’avait pourtant prévenu Niamh McCullen et tu persistes à rester à Belfast, lança le type aux pattes d’oies et aux favoris grisonnantes. On n’a pas été assez explicite à ton sujet ? Les Mag Ghabban sont des gens bien, de vrais patriotes. Il serait mal vu que tu leur causes quelques tracas. Pour éviter d’en arriver là, on peut faire courir toute sorte de bruit à ton sujet.

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Le feu est toujours difficile à étouffer quand le vent souffle de toute part. —Je vais essayer de m’en souvenir ». Une autre Niamh parlait à travers moi ; une redoutable colocataire qui ne mâchait pas ses mots et qui me causait bien des ennuis. J’avais emprunté deux livres à la bibliothèque — un des rares livres encore exploitables et auxquels il restait encore toutes les pages — et dans la chambre je me renseignai sur le sujet. Il me faut être incollable sur l’histoire de l’Irlande. Une explosion me tira de mon étude. Dagan et ses petits copains font sauter des explosifs artisanaux dans les poubelles et se félicitèrent de leur exploit. S’il a été mon frère, il aurait déjà reçu une paire de claques depuis bien longtemps. La promiscuité du lieu me tapait sur le système. Les voisins de l’étage baisaient à nouveau et les couinements du lit vinrent s’ajouter à mon malaise. La fille semble prendre son pied et on entendait qu’elle. Les mains sur les oreilles, je trouve la situation des plus inconfortables. Enfin le 24 août, un courrier à mon intention arrive. Dans la boîte je trouvai mon dictaphone (celui que j’utilisai pour mes cours), ainsi que trois cassettes, deux carnets et une liasse d’argent. Mon père n’a pu s’empêcher de rédiger un courrier dans lequel il traduisait ses pensées des plus insultantes. A Clonard Street, l’église romaine grise et triste se tient au milieu des rues silencieuses où plusieurs soldats passent l’arme automatique au poing. Un des gamins du quartier les poursuit avec une arme factice fabriquée à l’aide de bois et de bout métallique.

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Le père Donoghan me reçoit, mais il affirme qu’il n’y a pas de travail pour moi dans le coin et je le crois bien volontiers. « Cependant, si vous êtes motivée vous pourriez travailler pour la communauté en distribuant des tracts. Ce n’est pas cher payer, mais vous pourriez ainsi vous faire connaitre. —Oui pourquoi pas. Quand pourrais-je commencer ? » Voilà comment je me retrouvai parachutée avec d’autres étudiants venant des quartiers d’Ardoyne, Hopewell Crescant, West Belfast, Ballymurphy, Westrock drive, Glenveagh Drive, Lenadoon et Twinbrook. C’étaient des militants souvent impliqués dans le crime organisé : trafic de drogues, contrebande, extorsion, racket. Leur objectif restait de renforcer l’intérêt de chacun pour leurs droits civiques. Ils sillonnaient les quartiers catholiques en brandissant leurs feuillets. Nous sommes payés à l’heure, ce qui représente très peu en fin de journée. Leur préoccupation n’est pas seulement de distribuer leurs tracts, ou faire circuler des pétitions, mais bien de s’ériger contre le gouvernement de Jack Lynch, le premier ministre d’Irlande et Edward Heath, Premier ministre britannique. Sur le groupe de six, nous sommes deux filles. Deirdre a du mal avec moi. Elle vient de la classe moyenne et trimait comme une chienne pour poursuivre ses études à Belfast. Par conséquent elle affichait ouvertement son mépris pour une citoyenne de la République d’Irlande. Toute amitié pour le moment est impossible et je me cantonnais à mon job,

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sans chercher à cultiver des relations aimables avec le reste du groupe. Le lendemain, alors que je squatte chez Summer, on frappe à la porte. J’ouvris nupieds et une serviette sur la tête. Summer n’est pas là, il faut repasser plus tard et le type à la veste en cuir marron insiste lourdement. Ce n’est pas elle qui veut voir, mais bien moi. « Viens dans une heure au Bailey’s. Et sois à l’heure ». Le Bailey’ s est l’un de ces restaurants où l’on mange de la viande de qualité un verre de bon verre français à la main. Là le personnel vaque à ses occupations et l’un deux quitte son journal pour m’escorter jusqu’à l’arrière-salle. Putain, qu’est-ce que je fiche là ? Et pour tuer l’angoisse j’allume une cigarette. Un homme rentre en me fixant intensément. « Niamh, c’est bien ça ? L’IRA t’aurait contacté dernièrement et c’est à ce moment précis qu’on intervient. Que saistu de Summer. ? —Ce qu’il faut savoir d’elle. —D’après ton frère tu te destinerais au journalisme. Les clichés que tu as pris sont convaincants et tu as une sacrée paire de couilles pour ainsi provoquer Duncan. J’ai ici ton dossier remis par Le RUC (en le jetant devant moi). Altercations avec les forces de l’ordre, insoumission et rassemblement illicites. Tu excelles dans tous les domaines de la Désobéissance civile. Dans pareil cas la Loi ne te protège pas et comme tu es citoyenne de l’Eire, tu as l’avantage sur les autres ; c’est exactement le profil qu’il nous faut. —Vous êtes qui au juste ?

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—La CIA nous envoie ici pour contrôler le trafic d’armes et un tas de choses ; Summer est un agent dormant. Sa couverture a été compromise, c’est la raison pour laquelle nous devons nous passer d’elle. Elle repart aux Etats-Unis et toi tu vas prendre sa place. —Je n’y tiens pas… —L’Agence te paiera tes études et tous tes frais annexes jusqu’à ce qu’on finisse par se lasser de toi. Celui qu’on veut c’est Genan Fingen. Il ne restera pas longtemps au Maze car le MI6 a tout intérêt à le relâcher. Ses amis, son frère et ses ennemis sont des plus importants pour la CIA et plus tu en sauras sur eux et mieux ça sera. Ici, je suis ton contact et mon nom est Cinéad Kinstry. On va devenir les meilleurs amis du monde mais si je vous que tu cafouilles et que tu tentes de nous la faire à l’envers, je te tue d’accord ? » Il me faut un certain temps pour assimiler ses propos. Et il me fixe sans se démonter pour autant ; fort possible qu’il cherche à m’intimider et la bouche entrouverte je le fixe avec la même intensité. Et Kinstry de sortir une photo de sa mallette qu’il glissa vers moi : « C’est le frère de Genan, Conall Fingen travaille au siège du parti SDLP et comme tu peux t’en douter, il lutte fermement contre la détention préventive. Il dîne ici deux fois par semaine, sur la table 17 et ce soir il a réservé. Il ne sera pas seul ; tRóis autres grands bonnets seront présents à sa table et c’est toi qui les serviras. Sois sans crainte, il n’a jamais entendu parler de toi. Tu l’approches et tu glisses ce micro dans sa poche. —Et s’il me pose des questions personnelles ?

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—Du genre ? Tu n’as pas à le séduire ; tu poses seulement le micro et c’est tout. Restes toi-même et tout se passera bien ». Je n’arrive pas à rester calme. Ce qui m’arrive m’excite au plus haut point ; je n’ai rien vu venir et au Bailey’s, la sueur ruisselle dans mon dos. « Allez Niamh, ne t’endors pas ! » Me crie-t-on en cuisine et le chef hurle les ordres à ses cuisiniers. « La table 17 vient d’arriver ! Niamh, c’est pour toi ! » Je me fais dessus, arrange mon chignon et traverse la salle à l’ambiance tamisée ; les clients parlent à voix basse sous les appliques de style baroque. Les autres serveurs sont là entre les tables avec un professionnalisme déconcertant. « Mesdames, Messieurs avez-vous choisis ? » Et moi de courir jusqu’à la table 17 en transpirant par tous les pores. « Summer n’est pas là ce soir ? Alors espérons que le service soit d’aussi bonne qualité, entonna Conall, la cigarette coincée entre les lèvres. On prendra une bouteille de votre meilleur cru pour commencer et apportez-nous des amusegueules qu’on puisse se mettre en appétit ». Il ne me regarde même pas, me rend la carte des vins et retourne dans ses préoccupations que sont la politique et la politique. Quand je reviens avec le vin et les petits gâteaux, ils sont déjà en plein débat et très discrètement je les sers quand je surprends le regard de Conall sur mon poignet. « C’est quoi votre petit nom ? On ne va pas vous siffler si on veut se faire entendre de vous. Très bon (en goûtant le vin) vous pouvez servir. Alors, comment doit-on vous appeler Miss ?

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—Vous n’avez pas à le faire, c’est moi qui viendrait à vous ». Le 29 aout se tient un match de boxe et je m’y rends avec Summer. En ce moment elle n’est pas très loquace et ne manifeste aucun enthousiasme à voir se battre Dalaigh, son champion. Si sa couverture a été compromise, pourquoi se tient-elle près de moi ? Et elle me dévisage silencieusement comme si elle venait de lire dans mes pensées. « Je vais retourner aux States. Cela ne m’enchante guère mais les autres bougent. On a trouvé un squat à New York en attendant de regagner San Francisco ; vivre à Belfast est plus compliqué que je l’eusse pensé et je ne suis pas seule à penser cela ». A ma grande surprise je découvre Cinéad Kinstry derrière lui ; cheveux gominés et tirés en arrière, même regard de fouine et physique de jeune garçon avec le profil imberbe en plus. Sournoisement je demande à Summer de qui il s’agit et cette dernière me dévisage l’air de penser que je suis la plus crétine des crétines sur terre. « C’est Cinéad Kinstry, un sniper. Il bosse pour Abel Riagal depuis trois ans déjà et mieux ne vaut pas se frotter à lui ; sous son visage innocent se cache un redoutable prédateur. Crois-en ce que l’on raconte ici, ce n’est pas une fréquentation, alors évites seulement de croiser sa route. Le Business ici c’est de ne pas se faire tuer. —Il a quoi Duncan en ce moment ? C’est quoi son putain de problème ? Je n’aime pas la façon qu’il a de me regarder. —Le RUC est sur son dos. Malversations et trafic de drogues. Il croit qu’on la balancé et l’IRA lui donne raison

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car depuis que Fingen est au trou tous pensent que c’est lui la balance, excepté Duncan, le très loyal Duncan. Evites-le, ça vaudra mieux pour toi ». Et la cloche sonna le premier round. Les combattants rentèrent en lice comme les gladiateurs des l’antique Rome ; sous les hurrahs et les sifflements. Quand mon frère fit son apparition en compagnie d’Abel Riagal. Je cRóis que là on venait de toucher le fond. « Tu peux me dire ce que tu fiches ? Depuis quand ce repère de truands est ton kiffes, hein ? Réponds-moi Niamh ! —Et toi ? On peut dire que tu sais t’entourer. Tu ne me donnes pas de nouvelles pendant tRóis jours et tu apparais avec ce…Oui je vais bien grand frère comme tu peux le constater ! Je profite du match avec Summer et après on va peut-être descendre prendre une bière ou deux. Il faut qu’on discute Ciaran mais pas ici… » Il me conduisit à l’intérieur d’une voiture qu’il disait être la sienne avec quel argent, allez savoir ! C’est tout lui ça. « Alors tu voulais me dire quoi de si secret mais avant qu’on cause j’ai deuxtróis trucs à te dire. Je bosse avec Riagal, d’accord. Il y a de la tune à se faire ici et je sais que je peux te faire confiance. Le marché est assez juteux et je vais me faire des couilles en or, mais avant j’ai besoin que tu me rendes un service : tu m’as trouvé des tenailles et des pinces coupantes et aujourd’hui j’ai besoin que tu me trouves ce qui figure sur la liste (en me tendant un bout de papier). Riagal est du genre parano et je ne veux pas qu’il sache où je me procure mes outils de travail ».

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Et moi de jeter un œil sur sa liste de courses. J’ai éclaté de rire en voyant ce qui y figurait. « On dirait que tu veux te fabriquer une bombe et il va falloir que je fasse tout Belfast pour me procurer tous ces ingrédients chimiques. Il semblerait que Le RUC soit sur Duncan ; une balance sévit auprès de l’IRA. Ton nouvel ami doit savoir quelque chose là-dessus… —Non. Ne te mêle pas de cela. Oh en fait Melen et moi c’est terminé pour le cas où tu viendrais à me poser la question ; je l’ai surprise au lit avec un autre et de toute façon cela ne pouvait pas durer. On n’était pas compatible. Branches-moi sur Summer, elle me plait bien cette amerloque. Attends trois secondes, j’ai un truc à régler… » Prestement il sortit de son véhicule pour fendre sur trois hommes et il s’est battu. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’il se passe dans la tête de mon frère ; à croire qu’il a toujours grandi ici et qu’il cherche à laver son honneur après un conflit dans une cour d’école. Uppercut. Droite. Crochet gauche. C’est sur le ring qu’il devrait et non dans la rue à ficher des trempes. Et Le RUC a débarqué de nulle part et ils nous ont embarqué tous les cinq. Le lieutenant Ian McNeil prit notre procès-verbal et mon frère est là à lui causer d’Arthur Griffith à l’origine du traité anglo-irlandais ; puis il enchaîna sur les élections de Terence O’Neill en 1963 et j’avais du mal à le suivre tellement son raisonnement équivalait à celui d’un professeur d’université en plus enragé ceci dit ; son érudition me laissa sans voix. Et McNeil de l’écouter et de reprendre la frappe de son rapport.

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« Ici on est des touristes pas des terroristes et autres fanatiques nationalistes. Essayez de le comprendre une bonne fois pour toutes, cela vous éviterait de perdre un temps fou à taper ce foutu papier. Vous voulez quoi McNeil ? Qu’on vous décore et qu’on vous décerne la médaille du meilleur fonctionnaire de la SIS, parce que c’est bien ça n’est-ce pas, vous appartenez au MI6 (il éclata de rire). Je le savais. Et que faites-vous ici quand vous devriez être à vous pavaner auprès de vos petits copains-espions ? Vous étiez en Libye n’est-ce pas avant qu’on vous parachute ici pour démanteler un réseau de trafics d’armes et vous laissez les autres de la Special Branch fait le sale travail à votre place, c’est élégant de la part d’un british. C’est quoi le tuyau en ce moment ? Un délateur, l’un de vos agents infiltrés a lâché selon laquelle Fingen serait déloyal à l’IRA. Moi j’ai du mal à le croire…Vous le faites arrêter et ensuite vous cherchez à leur faire croire qu’il a vendu les siens. Tout nous ramène aux ventes d’armes. Combien de livres sterling cela leur rapporte-t-il par an ? Assez pour exciter votre cupidité. Dalaign Lochlainn est votre informateur…Il était avec Fingen le jour où on est venu le chercher et vous l’avez fait sortir de prison alors que ce type n’a rien d’un Saint. Il va falloir qu’on négocie votre porte de sortie McNeil et oubliez le baratin que je vous ai servi sur Arthur Griffith. Ici ce sont les Anglais qui se font baiser pas les Irlandais ». Comment Ciaran savait tout cela ; il était tout simplement bluffant et maintenant je voyais clair en son jeu : diviser pour mieux régner. Il savait pour Dalaigh comme il savait pour McNeil ; il suffisait d’un coup

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de fil en direction de l’IRA pour que l’un et l’autre se fasse exploser la cervelle. Dans la voiture qui me ramenait chez les Mag Gabbhan, il me demanda d’ouvrir dans la boîte à gants ; là dans une enveloppe il y avait plus de trois cent livres et une arme à feu. Maintenant qu’on avait le pied dedans, on ne pouvait plus faire machine arrière. « Tu me fais confiance Niamh ? Alors tu vas faire tout ce que je te dis. La Special Branch ne va pas nous laisser tomber, tu saisis. Les officiers vont nous coller au cul et chercher à nous intimider. Si on attend calmement qu’ils se manifestent on est mort…Alors écoutes-moi attentivement… » Et j’ai frappé à la porte de chez Lochlainn. Il avait l’œil légèrement tuméfié et une humeur de chien cela transparaissait sur son visage. La musique de The Doors tournait à fond ; People are strange et les frissons parcoururent ma colonne vertébrale. C’est fou ce que la musique a le pouvoir de faire ressurgir un souvenir ou un autre ; ceci me conduisit auprès des copines de l’université de Dublin. Et Strange days arriva : « We want the world and we want ir…Now ! » et là je me mis à tortiller du croupion. Mon frère lui adorait Riders on the Storm. Combien de fois l’a-t-on écouté? J’avais envie de danser et dans le salon de Dalaigh j’exécutai des pas de danse. « Je n’ai pas beaucoup de temps, alors dis-moi ce que tu veux ! —Oh ! J’adore (en augmentant le son pour Touch Me) C’est ça le bonheur Dalaigh ! Il faudra que tu me prêtes cet album. Mon frère a été recruté par ton boss et…je voudrais savoir pour quelle raison ?

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—Tu n’as qu’à lui poser la question. Il est possible que Riagal ait été séduit par ses talents de forgerie. Les bons forgeurs ne courent pas les rues et ton frère a l’œil. Ton frère contrefait des documents, tu étais au courant non ? » Evidemment. Mon frère était le meilleur et aussi loin que je me rappelle Ciaran avait toujours eu cette passion de fabriquer des faux en écriture ; adolescent il avait imité la signature d’une dizaine de personnalités de Dublin pour obtenir de l’avancement, des privilèges, de l’autonomie et pis encore de l’argent. Comment faisait-il ? Je n’en sais rien mais il le faisait à la perfection sans jamais être ennuyé. Pourquoi l’Ulster ? Parce qu’il y avait de l’argent à se faire et il avait besoin de mes compétences en photographie pour mener à bien son projet. Néanmoins j’avais une autre corde à mon arc et des plus avantageuses : les explosifs. Je savais tout ce qu’il fallait savoir sur la fabrication des bombes…A nous deux nous formions une sacré équipe. Et moi de lui demander s’il avait des nouvelles de Fingen. « Toi et ton frère avez la mauvaise habitude de fouiner un peu partout et de vous deux j’ignore qui est le plus habile à obtenir ce qu’il veut. Je te repose la question Niamh : qu’est-ce que tu veux ? Me sucer, acheter de la poudre ou écouter The Doors pendant que tu seras là à me casser les burnes avec ta littérature irlandaise ? Tu dois savoir que je ne suis pas Fingen, hum et ce qui a pris avec lui ne prendra pas avec moi. —D’accord…alors je vais acheter un peu de poudre, écouter The Doors tout en te suçant. Tu pourrais prendre ton pied qui sait. Qu’est-ce qui te fait rire ? Tu es

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nerveux ? Tu n’as peut-être pas l’habitude de t’envoyer en l’air avec la copine de ta petite amie. Oh non c’est vrai ! Summer n’est pas ta petite amie ; c’est juste un bon plan (en lui mordant la lèvre). Ton rendezvous peut attendre…Viens ».

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Enregistrement n°6 : Grande manifestation à Dublin à la date du 3 septembre 1971. Ils sont tous là pour représenter leur parti ; les forces de sécurité officielles telles que Le RUC, leurs branches spéciales, l’UDR et la Special Branch sont là à faire le gros dos et en renfort le SAS et des centaines de militaires en faction. De part et d’autre de la rue, les groupes militaires loyalistes provoquent les troupes paramilitaires républicaines et déjà les gaz lacrymogènes font pleurer les premiers rangs. Ciaran m’entraîne au loin ; il ne veut pas qu’on nous prenne pour cible. Il a dans l’idée de se faire discret bien qu’on soit fiché pour les années à venir. Et loin des banderoles, des slogans clamés et scandés haut-et-fort et des fanatiques en pleine démonstration de leur conviction, Ciaran arme son pistolet. Je l’imite ; il pénètre à l’intérieur d’une maison ; des types sont là et il demande à causer avec Gall O’Mara. Le type en question apparait ; c’est un barbu, le bonnet noir enfoncé sur ses cheveux, le col remonté sur la nuque il fait signe à ses hommes qu’il gère l’intrusion. Mon cœur bat à cent à l’heure parce qu’on est un peu loin de nos bases. Lui c’est un leader de la DUP (Democratic Unionist Party) et c’est le pire, cela se voit à son regard délavé, empreint de haine pour ceux qui ne portaient pas leur couleur. « Je suis là pour discuter O’Mara. Te proposer un deal. Tu marches ou tu crèves. Toi ! Tu ne me touches pas ! (en menaçant un type de son index). Je connais des types de l’autre côté de ces barbelés qui serait prêts à te faire la peau et je suis prêt à leur

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donner ce plaisir excepté si tu contribues à rendre notre séjour agréable. —Votre séjour ? Et tu es qui toi au juste ? —Le père-Noël ! » Et Ciaran envoya un coup de boule à l’un des pions de Gall O’Mara, si violent que j’ai bien pensé que mon frère se retrouverait également par terre. « Que personne ne bouge ! » Lançai-je afin de couvrir mon frère et ce dernier, le sourire aux lèvres poursuivit son discours sur l’intérêt qu’il avait à nous écouter parce que la mort survient toujours quand on ne l’attend pas, tout comme ce coup-de-boule. L’autre de la DUP éructait de colère mais il écouta mon frère lui exposer son plan. « Je ne sais pas qui tu es et rien ne m’oblige à te faire confiance. Mais si tu dis vrai…et on sera bien vite fixé, tu sauras ce que tu demandes. Maintenant casses-toi d’ici avant que l’envie me vienne de t’expédier en Enfer ». Il était difficile de suivre Ciaran, au sens propre comme au sens figuré ; ce genre d’émotion nous donna soif et on choisir le Murphy situé non loin de mon quartier de prédilection. On commanda deux whiskies pur malt puis on a dansé quand les hommes de Duncan ont déboulé. Belfast c’était notre Far West : les duels en pleine rue, les règlements de compte pour quelques bagarres d’ivrognes ayant choisi de s’insulter plutôt que d’échanger sur les derniers résultats sportifs. « McCullen ! C’est justement toi que je voulais voir. On a des ennuis et je suis persuadé que tu vois de quoi je parle. Tu nous balades depuis le début et je n’aime pas ça. Je pourrais te briser les genoux tu sais ça ou t’arracher ta petite langue.

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—Je le sais oui mais ce n’est pas ton intention. Tu l’aurais déjà fait et tu n’aurais pas proférer ce genre de menaces devant ma sœur si tu n’avais pas les pieds et mains liées. Les ordres tu les reçois de Conall Fingen et tu risquerais gros à désobéir ». Où avait-il obtenu ces informations ? A court d’arguments Duncan le fixa intensément avant de tenter un sourire. « Eloignes ta sœur de ton commerce et fais les choses proprement. Si tu touches encore à mes gars comme tu viens de le faire, je ne serais pas certain de pouvoir me retenir davantage (en lui tapotant la joue). Ici tu es chez moi d’accord alors tu te plies aux règles ou tu dégages, les pieds devant. —Alors il faudra éviter de le faire devant les types de l’UDR. Vous ne pouvez pas vous torcher le cul sans qu’ils soient là à regarder de quelle couleur est votre merde. La berline grise…ce sont les vôtres ? Vous êtes peut-être chez vous mais il semblerait que vous ayez égaré vos clefs. Si j’étais vous je descendrais l’autre tapette de la SIS qui sème la discorde dans votre si mignonne petite famille. Et j’ai mon idée sur la question ». Allait-il balancer Dalaigh Lochlainn ? Mon cœur battait la chamade en songeant au bon moment que nous avions passé ensemble ; il avait la peau douce, recouvertes de tatouages. Il sentait bon le chèvrefeuille ; cela vous faisait voyager. On a discuté comme de bons vieux potes et la tête sur son poitrail je me disais que je ne pouvais tomber amoureuse d’un homme aussi facilement. On n’a pas baisé, on s’est juste caresser et embrasser.

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« Si je l’expose il faudra ensuite me tuer ; personne n’aime les messagers et plus encore quand l’homme en question mange à votre table et partage vos humeurs. Niamh tu peux nous laisser. —Quoi ? Attends Ciaran je…D’accord, on se voit plus tard ». Et la voiture grise m’a suivie ; au pas bien évidemment. Alors j’ai fait demi-tour afin de photographier les types dans le véhicule. TRóis clichés pour prouver les efforts de Le RUC pour nous être agréables et j’ai bondi à une cabine téléphonique. « Allo j’écoute… » Répondit une voix féminine. Alors j’ai dit mettre trompée et j’ai raccroché. Derek Clarkson est apparu, barbe de trois jours et sourire angélique ; l’IRA piégeait des voitures mais les mauvais s’acharnaient toujours à vivre. Des véritables parasites dont la chaux ne suffit à dégager. « Ton frère dit vouloir négocier et toi tu le soutiens ? Questionna ce dernier, les bras croisés sur la poitrine. C’est marrant comme…comme les gens sans importance veulent s’en donner pour se prouver qu’ils sont dignes d’intérêt. C’est le cas de ton frère et à vouloir jouer les malins il va finir par s’attirer de graves ennuis. J’espère que tu m’écoutes Niamh, ce que je vais te dire est très important : impressionner McNeil est une chose et proférer des menaces en est une autre. Je n’aime pas ce sourire sur ton visage. Alors moi aussi je vais te menacer…Si ton frère joues encore au caïd et bien nous aviserons ». J’ai passé l’enregistrement à Ciaran assis près de moi sur le lit de la piaule que j’occupais chez les Mag Gabbhan. J’avais tout enregistré après l’avoir attendu dans

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cette cabine. Il pouvait se réjouir ; tout se passait à merveille et de mon côté j’attendais que Dalaigh se manifeste. Il fallait que dans son esprit germe l’idée que Riagal voulait se débarrasser de son narcotrafiquant de Ballymurphy sous prétexte que Le RUC avait eu vent d’un trafic parallèle de cocaïne provenant de l’Afrique-occidentale. L’info n’était pas bidon ; Ciaran avait des sources que je devais citer à Dalaigh…Et il avait dû être saisi de panique en sachant que je savais pour l’avoir entendu des lèvres du lieutenant McNeil. « Niamh, tu es là ? » Maddén était de retours et prestement nous rangeâmes nos effets personnels sous les couvertures. « Oh mais tu n’es pas seule ! Ton charmant frère est ici. Je vais faire à manger et tu vas être heureuse d’apprendre que mon petit-fils sort de l’hôpital demain. Mais on en reparlera plus tard. Je vous laisse papoter entre frère et sœur ». William le receleur de Summer me tend la marchandise que je règle au comptant ; le coffre de la voiture de Ciaran en est rempli et il est réglo. Mon frère confirme les à-priori sur cet homme après enquête et il nous faut l’arroser pour obtenir en plus de la marchandise, des informations de premier choix. Sacrément doué pour dénicher l’impensable, il devient bien vite mon meilleur ami. Et Genan Fingen est sorti le 11 septembre 1971 ; c’était le jour décidé par mon frère pour lancer l’attaque de Gall O’Mara contre Abel Riagal. Une fête aurait lieu et on ne prit pas soin de m’inviter ; vous voyez le topo : certains types de l’IRA devaient encore penser que j’avais trahi l’un des leurs. A lors personne

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n’avait cru bon de m’inviter. Tant pis, mon frère et moi allons faire la fête à notre façon. Règle de guerre n°1 : ne jamais sousestimer l’ennemi. L’une des premières règles enseignées par Ciaran et lui de se pinter en relookant le derrière des jupons traînant dans le pub rempli d’étudiants et d’adeptes de la contre-culture. Me ferait-il faux bond ce soir ? Et il l’a fait. Elle et lui sont partis dans les toilettes pour fumer et baiser. Quand apparut Cinéad Kinstry, Il s’installa près de moi au pilier de bar. « Salut… » Et moi de ne pas répondre. « Sers moi une bière, chef et remets la même chose à la demoiselle…ça va pour toi ? Comment va ton frère ? Oh laissesmoi deviner : il s’envoie en l’air et te laisses seule. Tant mieux on va pouvoir causer. Demain il va reprendre ses activités et tu dois retourner auprès de lui. Rends-le jaloux et il va rappliquer aussi sec. Ses sentiments pour toi n’ont pas changés. —Ses sentiments ? Attends, attends…Tu voudrais dire qu’il est capable de sentiments ; j’en doute fort. Et que me faudra-t-il faire ? Baiser et… —Niamh, tout va bien ? Tu ne me présentes pas ? » Questionna Ciaran surgit de nulle part ; et moi de perdre mes moyens. Inutile de vous dire que mon frère n’aimait pas les surprises du nom de Kinstry et son regard pénétrant et noir en disait long sur ses intentions : celles de lui fracasser le crâne contre le bois du pilier. « Et bien c’est… —Kinstry. Cinéad Kinstry, tu sais très bien qui je suis McCullen. Ta sœur et moi on ne fait que causer, mais si cela pose problème on peut aller régler ça dehors.

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—C’est justement ce que j’allais te proposer. —Ciaran ? On ne fait que discuter, où est le problème ? Ressaisis-toi et ta dulcinée vient de réapparaître. Ciaran, tu m’écoutes (en lui attrapant le menton). Kinstry je crois malheureusement qu’il faut que tu nous laisses…Voilà, tu es content il est partit. Ce que tu peux être étroit d’esprit par moment. —Ecoutes-moi petite. Je ne veux plus te revoir avec lui. Ce type je ne le sens pas. Arrêtes de lever les yeux au ciel, ton attitude désinvolte ne prend pas avec moi, déclara ce dernier en attrapant mon bras pour le serrer fermement. C’est un putain de sniper et je l’ai vu faire. Il a descendu un type devant moi et il a pris son pied. Ce type est barré, tu comprends ? Tu ne vas pas te taper Lochlainn, puis ce type ! Tu ne vas pas devenir une poche à foutre, Niamh ; tu vaux mieux que ces nanas que je saute, cRóis-moi. —Heureuse de te l’entendre dire. Détends-toi Cinéad, tu es tendu comme un string et nous avons besoin de Kinstry autant que les autres. Il a…de nombreuses relations et connu ses ennemis mieux qu’il ne se connait lui-même et l’enjeu est de taille. Je sais que tu désapprouves cette stratégie mais Fingen a été relâché et cette relation fortuite tombe à point nommée. Tout va bien se passer, je contrôle la situation alors prends un autre verre et détends-toi un peu ». Les voisins ont baisé toute la nuit ; impossible de fermer l’œil et les mains sur les oreilles, j’ai espéré que leur coït cesserait ; puis le calme revint. Dehors un chien aboyait contre l’hélicoptère tournoyant au-dessus de notre tête ;

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Maddén s’était endormie devant la télé et son petit-fils dans l’encorbellement de la porte me fixait avec intensité. Ce petit merdeux ne tiendrait pas une semaine avant de rejoindre ses petits amis pour faire sauter leurs pétards dans les poubelles de l’immeuble. A la piscine municipale j’ai fait des longueurs au milieu des autres nageurs. Je sortis de l’eau ; attrapa ma serviette et me rendis à la douche ; l’eau y était chaude, cela délasse les muscles. Un violent coup atteint mon dos, je m’écroule. A coups de pied on me frappe et un coup dans les côtés c’est particulièrement douloureux parce que vous ne pouvez plus respirer. C’était mon sang que je voyais se répandre sur le carrelage pour s’évacuer sous la bonde de douche. L’eau du pommeau coule toujours et quand elle s’arrête, je pense à Ciaran. Il a merdé quelque part et on cherche à lui faire passer un message. Mon frère n’est pas un imbécile. Règle de guerre n°2 : ne jamais sous-estimer l’ennemi. Il est très en colère et s’agite dans tous les sens. Cette menace vient de Duncan ; il aurait découvert une vérité qui l’a particulièrement dérangée mais quelque chose me dit que ce n’est pas lui. Alors qui ? Les types de la Special Branch ne prendraient pas cette peine sans avoir amassé les preuves de la culpabilité. Il ne nous restait plus que Lochlainn et Genan Fingen. L’un comme l’autre, ils n’avaient pas l’intention de porter la main sur moi. Nous n’avions plus d’autres hypothèses que celles de se tourner vers les Unionistes ; ils étaient assez perfides pour nuire à nos projets.

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Passer à la vitesse supérieure avant que la situation ne dégénère pour nous et le prochain objectif était de s’emparer de l’arsenal de Riagal ; les petites copines de Gall O’Mara nous avaient simplifié le travail en plaçant ma bombe artisanale dans le camion chargé de déplacer les armes ; la minuterie avait été programmée pour onze heures. Aucune victime ne fut déplorée. Riagal sut que quelqu’un en voulait à son fond de commerce ; la seule solution pour lui était de prendre de nouvelles mesures sécuritaires et de réorganiser son équipe. Ainsi ni Le RUC, ni le MI6 n’auraient les informations escomptées ce qui laissait assez de temps à Ciaran pour intervenir. Voler l’arsenal. Ciaran risquait gros sur ce coup-là et plus encore depuis qu’on m’avait refait le portrait ; il ne pouvait faire preuve d’humilité parce qu’il voulait voir tous ces enculés lui lécher les couilles comme il me le répéta ce jour-là en chargeant son arme de poing avec la dextérité d’une fine gâchette. « Riagal est un pourri et je trouve cela étrange que la CIA ne soit pas dans le coup. Les armes proviennent des States ; les sympathisants de la diaspora irlandaises envoient des fonds pour entretenir le trafic nord-irlandais et pas l’hombre d’un ricain dans le coin. —En es-tu certain ? Et Summer n’est pas américaine par hasard. —Qu’est-ce que tu essayes de me dire ? Tu crois que… ? Non ! Pas elle ! Elle ne bosse pas pour l’Agence. À moins que tu saches quelque chose que j’ignore dans ce cas il faut qu’on quitte le pays. Souris frangine, je te taquine ».

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Je continue à distribuer des tracts dans la rue ; cela a de nombreux avantages comme celui de connaître les quartiers et ses résidents ; d’être à la fois visible et invisible ; et celui d’agir sans éveiller les moindres soupçons. Ce job c’est la planque idéale pour couvrir les avancées de mon frère et entre deux averses, je lis le journal républicain l’An Probatcht. Ces derniers recherchent une pigiste et ils laissent un numéro de téléphone. Alors j’appelle mais ils disent avoir déjà trouvé quelqu’un. « Ne raccrochez pas ! Je sais que vous ne faites pas dans le sensationnel mais j’ai un scoop concernant le trafic d’armes. Cela pourrait intéresser vos lecteurs. Ils se préoccupent sûrement de savoir de quelle façon le trafic est alimenté. Je cRóis que Joseph Anthony Adam voudra me recevoir si vous lui dites que Niamh McCullen a appelé ». Et le journal m’a contacté le jour-même pour me proposer le poste. L’équipe était sympathique, jeune et dynamique ; les employés me prirent en considération et plus particulièrement ce Hamroi., ce type au front dégarni et aux lunettes à grosses montures noires. Les mains croisées derrière la nuque il m’apprend les rudiments du métier : qui interroger et comment entretenir ses contacts. J’ai pris une centaines de notes et immédiatement je me suis mise au travail. « Niamh McCullen ! —Oui c’est bien comme ça que je m’appelle » Répondis-je à Abel Riagal qui s’assit près de moi, le béret enfoncé sur sa tête au front dégarni. Néanmoins, je n’ai pas levé le nez de mon carnet sur lequel je rédigeai une chronique sur le nationalisme

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irlandais vu par des étrangers ; je devais rendre cela pour demain et cette dernière aurait peut-être une chance d’être publiée dans les jours à venir. « Nouveau job, hein ? C’est bien on dirait que tu d’adaptes à notre environnement, me glissa-t-il à l’oreille, un large sourire aux lèvres. Tu sais qui je suis et on a dû te dire que je n’ai aucun sens de l’humour. Pourtant quand je te vois l’envie de me détendre me gagne tout comme le désir de causer un brin. L’UDR colle au derche de Lochlainn depuis qu’ils l’ont relâché de Maze et peu de temps après ton frère et toi occupez les locaux de Le RUC. Etrange coïncidence non ? Puis clou du spectacle mon camion se transforme en tas de ferraille fumant le soir où Fingen sort du Maze ». Il se tait un long moment et me fixe de ses petits yeux vicieux. Il est largué, la confusion est telle qu’il ne sait pas où frapper ; c’est l’impression qu’il donne en tous les cas même s’il parait décontracté et sûr de lui. « Comment va Genan ? Je suppose que vous le maternez en ce moment. Je lis la presse républicaine moi aussi et j’ai appris que sa liberté divise l’opinion publique ; que c’est dommage quand on sait à quel point il a mouillé sa chemise. En effet, vous allez être heureux d’apprendre que j’ai obtenu une place à l’An Probacht en tant que pigiste. C’est bien payé et… —Duncan est un imbécile. Tu aurais essayé de le prévenir de la présence d’une taupe parmi nous et il n’a rien voulu entendre et voilà que mes hommes sont mis sur la touche l’un après l’autre. Je sais que Le RUC n’est pas derrière tout cela ; quel intérêt aurait-elle à matraquer mes

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hommes quand elle peut le faire en toute impunité ? Alors me vient la question de savoir ce que te veux Derek Clarkson ; c’était bien avec lui que tu causais l’autre jour ? Niamh, je suis là…On dirait que cette question te trouble. Tu as des ennuis avec la Special Branch ou autre chose qui te causerait quelques tracas ? Tu sais j’ai le choix entre te coller une balle entre les deux yeux ou te briser tes petits genoux mais il y a une part de moi qui m’encourage la patience ; sans elle je ne serais pas là aujourd’hui. Tu comptes te faire Lochlain ou poursuivre avec Fingen ? Si tu veux un conseil évites les tous les deux ; ils ne te feront pas de cadeaux quand ils découvriront la véritable nature de tes sentiments. —Je peux vous poser une question ? Combien avez-vous versé pour la campagne de Conall Fingen en 68 ; est-ce que cet argent proviendrait uniquement du trafic de stupéfiants, ou bien de…(en relisant mes notes) de la contrebande. Je vois ici que vous avez brassé une sacré somme le trafic d’armes en provenance de la Libye et j’aimerai savoir si les citoyens apprécieraient ce genre de blanchiment d’argent : le crime nourrissant l’ambition politique d’un seul homme quand bien même il se dit solidaire de l’IRA provisoire ? —Ce ne sont pas tes affaires et je doute que la feuille de choux pour laquelle tu écris manifeste le désir d’en savoir un peu plus. —Pourquoi ? Parce qu’ils recevraient des lettres de menace de votre part ? En Amérique, le FBI traque ce genre de malversations et ici le MI5 a le monopole des investigations. Ses résultats

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proviennent de leurs différents rapports sur ce qu’ils appellent les Gangs de Fallsroad, qui est selon leur enquête votre Q.G. —Impressionnant, dit-il en cRóissant les bras sur sa poitrine sans me lâcher des yeux. Très impressionnant et de qui tienstu ces infos ? Attends, laisses-moi devenir…McNeil ? Ce trou-de-balle a une certaine façon d’opérer mais je reconnais bien la sa façon de faire. Sais-tu qu’ils l’ont mis sur le banc de touche depuis que son frère a touché sa pension d’invalidité à cent pour cent ? Oui un tragique accident de voiture : oui le jeune bidasse n’a pas vérifié sous sa bagnole avant de démarrer. Oh cela aurait pu être bien pire mais…à croire qu’il y a un ange-gardien pour chacun de nous sur terre ». En panique j’ai appelé mon frère là où il était censé travailler. Manifestement il n’était pas sur place et Dieu seul sait ce qu’il magouillait dans son coin ; et Maddén m’a suivi dans l’appartement en causant sur le voisinage : qui se plaignaient de l’augmentation du coût de la vie et des charges du loyer. Elle causait trop Maddén et si l’IRA observait mes agissements par l’entremise de son morveux de fils, il voudrait bien vite me mettre à l’évidence que cette charmante ménagère constituait une réelle menace surtout quand l’envie lui prenait de nettoyer le cagibi qui me servait de chambre. Dagan en pleine crise acnéique ne sortait plus guère, marchant péniblement avec ses béquilles et éructant de tout son saoul sur sa pauvre grandmère. Puis deux camions blindés s’arrêtèrent derrière les barbelés et une vingtaine de militaires investirent les lieux, défonçant

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les portes et exhortant aux habitants de mettre les mains sur la tête. « Qu’est-ce qu’ils cherchent encore ? Ils n’en ont jamais assez et ce n’est pas eux qui font réparer nos portes. Oh Eileen ! Justement je pensais à venir te rapporter ton moule, déclara-t-elle à l’intention de la voisine de palier accoudée à la balustrade du balcon). Nous avons fait un délicieux gâteau Niamh et moi, je t’en apporterai une part… » Et je les ai laissés à leur discussion quand Dagan m’a barré le passage, l’air menaçant prêt à causer en gaélique pour m’insulter. C’était tendance pour les jeunes de ces quartiers défavorisés de s’exprimer en gaélique et ce crétin au nez cassé ne dérogeait pas à la règle. C’étaient des expressions comme « Chienne d’irlandaise » ou « satanés papistes » ; c’était doux mais en cette langue cela sonnait comme une déclaration de guerre. Ils ont défoncé la porte de chez Maddén ; évidemment elle s’est mise à gueuler contre le gouvernement Thatcher et la lâcheté de nos représentants élus aussi bien ceux des modérés, des unionistes radicaux qui n’avaient pas leur place dans notre monde et tous les autres perfides qui au gré du vent changeaient leur chemise dans le seul but de ne pas brasser la merde de peur de s’en souiller les mains. Affolée de les voir fouiller partout, elle gueulait sur le gradé resté à la porte ; un grand rouquin aux joues creuses. « Miss, dîtes à votre grand-mère de nous laisser faire. Nous sommes seulement ici pour faire notre travail ; Est-ce qu’elle peut le comprendre ? —Sir, il y a des armes ici ! »

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Cet imbécile de Dagan tenait un arsenal ; pour lui la prison alors j’ai menti : ces armes étaient les miennes. Ils m’ont menotté et arrêté sans autre forme de procès. La vérification de papiers a pris un temps fou pendant laquelle ils étaient là à contacter leur supérieur hiérarchique confortablement installé derrière son bureau. Puis le blindé a démarré et au milieu de ces militaires, je savais que Riagal était derrière tout cela comme pour s’assurer que je ne déconnerai pas ; c’était une façon pour lui de marquer son territoire et surtout me montrer qui était le maître. Pris dans une émeute, le véhicule dû prendre un autre itinéraire et les anglais ont échangés des blagues sur les Républicains ; des remarques qui feraient rougir de honte leurs fiancées ou femmes, voire leurs mères. Stanley Pitts, l’officier le plus gradés me fit entrer dans son bureau. Ce gratte-papier aux lèvres ourlées et à la fossette d’ange a cherché à m’intimider en citant mes droits avant de m’envoyer à la prison de Crumlin Road, vieille prison de Sa Majesté ouverte depuis 1846 et qui avait sérieusement besoin d’être rasé. La prison. Il n’existe rien de pire sur terre pour vous abrutir, cette institution totale n’a pour seul but de réduire l’Homme au rang de bêtes privées de raison dont des millions d’années d’évolution conduisent à ce flagrant constat : la prison fait sortir ce qu’il y a de pire en vous. « C’est toi la nouvelle ? Questionna une détenue en tirant mon plateau-repas vers elle. Et d’où est-ce que tu viens ? » C’était le genre de rencontre qu’il fallait éviter quand on se fait serrer ; elle cherchait la cogne et vu le nombre de

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cicatrices qu’elle arborait sur son visage, elle n’était pas de nature à fraterniser avec ses codétenues et les présentations faites j’ai frappé la première. Elle a pissé du nez et ses autres disciples ont bondi sur moi pour me faire la peau ; je dois mon salut à l’intervention des gardiennes. Et pour avoir provoqué la bagarre à la cantine, ils m’ont mis à l’isolement pour une durée de 72 heures plus 48 heures supplémentaires pour avoir frapper deux autres prisonnières dont les salaces propos avaient heurtés ma sensibilité. Pour gagner leur respect et ne pas finir à jouer les esclaves sexuels à ces bouffeuses de chatte, je devais frapper la première et ne jamais baiser ma garde. Le 23 septembre, on m’annonça une visite au parloir. Ciaran ne m’avait pas abandonné…Mais le sourire s’effaça de mon visage quand j’aperçus Genan Fingen derrière la table. Tout endimanché et badigeonné d’eau de Cologne, il me tendit son paquet de cigarettes. Je ne pouvais refuser la saveur d’une blonde. « Ça va, tu tiens le coup ? —On peut voir cela comme ça. Je passe de ma cellule à l’isolement pour agression envers les anciennes. Mais ça va, je n’ai pas encore pour projet de m’ouvrir les veines. —C’est bien, ne te laisses pas faire. —Comment va Ciaran ? Tu sais c’est vraiment con, j’avais trouvé un job sympa en tant que pigiste et me voilà ici à… Comment as-tu survécu à toutes ces semaines de captivité ? Il y a-t-il quelque chose de spéciale à faire pour ne pas crever ici ? —Je vais m’occuper de tout cela ; tu n’auras qu’à continuer à jouer des poings

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pendant que je m’occupe de ton confort. Ils ne veulent pas te libérer ; tu représentes une menace pour leur gouvernement et ils appliquent le Special Powers Act pour éradiquer ce genre de problèmes ; tu risques de rester ici un long moment. Quant à ton frère, il bosse pour moi maintenant. Riagal avait quelques suspicions non-fondées sur lui mais il travaille plutôt bien et vite ; c’est un bon élément. —De quoi Riagal le suspectait ? —C’est sans importance, le problème est clos. Par contre j’en rencontre un autre : as-tu couché avec Lochlainn ? Il nie s’être prêté à des jeux sexuels avec toi et j’ai besoin de t’entendre sur le sujet pour le croire. En ce moment j’ai tendance à croire qu’on veuille me coiffer au poteau et cela parmi mes gars. —Il n’a jamais voulu de moi ; à croire que je ne lui plaisais pas assez malgré l’envie qu’il m’a pris de me donner à lui. Seulement j’ignorai qu’il me faille de demander la permission pour m’envoyer en l’air avec l’homme de mon choix. A moins que tes intentions aient changées à mon égard. Si un jour je venais à sortir d’ici, je… j’irai saluer le père Donoghan. Il m’a été d’une si grande aide. —Et ensuite que ferais-tu ? —Je prendrais un bon bain avec de l’eau chaude. C’est ce qui manque ici et…avec du sel. J’écouterai de la musique. Janis Joplin par exemple ou Joan Baez et les orteils en éventail je prendrais mon pied en humant les bougies odorantes que j’aurais pris soin d’installer aux quatre coins de la baignoire. Voilà ce que je ferais ». Et les bagarres ont repris dans l’aile de la prison où l’on m’avait jeté ; j’ai cogné et

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l’on m’a cogné. Les filles me craignaient parce que j’étais la « petite amie » de Fingen ; les plus téméraires se servaient de moi comme exutoire à leur colère ; toutes avaient perdu un proche lors des Troubles et leur bouc émissaire était désigné d’avance : l’IRA provisoire que je représentais si dignement. J’étais exténuée et incapable de raisonner autrement qu’en terme d’évasion ; il me fallait fuir, creuser un trou dans cette imposante muraille et ramper sur plusieurs mètres et recouvrer ma liberté ; Ciaran m’avait abandonné, il m’avait abandonné…Je commençais à craquer dans ma cellule et à la date du 7 octobre 1971, il se pointa enfin. « Qu’est-ce qu’il se passe Ciaran ? Cela va faire plus d’un mois que j’attends de te voir et tu n’apparais que maintenant. Dismoi ce qu’il se passe à l’extérieur. —Maîtrises-toi un peu, d’accord ; je sais que tu es à cran en ce moment mais cRóismoi ici, tu ne risques rien tant que Riagal s’excite sur d’autres. Regardes-moi Niamh ! Je sais que tu vas tenir, tu as bonne droite, pas vrai ? Alors tu vas leur foutre la raclée du siècle à toutes ces brouteuses de pelouse ! Regardes-moi…Tu veux des nouvelles de Lochlainn, hein ? Tu veux savoir comment cette crapule va finir ? Pour le moment il est intouchable parce qu’il a des alliés en béton et… —Que s’est-il passé entre toi et lui ? Ne me dis pas que tu t’es battu avec ce type ? Ciaran tu n’as aucune preuve de ce que tu avances, cela pourrait se retourner contre toi. J’ai essayé de t’appeler le jour où l’on m’a arrêté mais… —Ressaisis-toi, tu es entrain de craquer. Je réglai un putain de problème, d’accord ! Lochlainn m’a pris pour cible et je n’aime

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pas qu’on me rendre dedans alors il a fallu qu’on s’explique avant que les choses ne dégénèrent. Tu comprends ce que je veux dire par : choses qui dégénèrent. Il fouinait son nez un peu partout jusqu’à interroger mes informateurs et il leur a filé de la Marijuana pour qu’ils se défoncent et avouent mes intentions. Ecoutes, je suis sous la protection de Fingen parce que j’ai nettoyé la merde laissée par mon prédécesseur et bientôt tout cela ne sera qu’un mauvais souvenir ». Un mauvais souvenir ? Un cauchemar oui et plus encore quand mon père débarqua le 19 octobre sans crier gare ; de ses yeux gris il me fixa avec intensité sans desserrer les lèvres. Il ne m’a rien, son silence a parlé pour lui ; il se leva, ajusta sa veste noire à rayures et est partit en faisant claquer le talon de ses chaussures. Cette visite fut pour le moins inattendu mais il était ainsi ; capable de disparaître pendant des mois et revenir comme si rien n’avait changé depuis sa dernière escapade. Combien de fêtes de famille avions-nous passé sans lui ? Alcoolique à ses heures perdues, il lui arrivait de se montrer violent et déterminé à nous « éduquer » à sa façon. Il disait que Ciaran était un bon-à-rien ; il en avait mangé des coups et…il s’est interposé entre mon père et moi quand ce dernier était trop bourré pour nous distinguer dans l’obscurité. Cet ancien boxeur avait la main lourde et ma mère de pleurer quand elle ne pouvait manifester sa détresse autrement que par des larmes. C’était un salaud de la pire espèce et nous étions ses enfants ; ce qui manifestement n’avaient rien pour faire sa fierté.

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« Ton père est à Belfast en ce moment et cela met Riagal en rogne, lança Genan Fingen en me remettant discrètement un papier sur la cigarette qu’il me tendit. Tu sais pour quelle raison ton père a fui Belfast ? L’amour. Une pin-up aux courbes avantageuses et il est parti alors que son commerce fleurissait ; à présent on sait qu’il avait la CIA au cul. Quand Kennedy a passé l’arme à gauche à Dallas, L’Agence l’a disculpé d’appartenir à la mafia irlandaise : les Leprechauns. Qui l’eut cru ? Niamh McCullen fille d’un parrain du crime organisé. —Alors nous appartenons à la même famille. Penses-tu maintenant que j’ai un quelconque rapport avec Le RUC ? Et qui vous a aiguillé pour la CIA ? Mon père a fui Belfast pour ne pas avoir à s’expliquer sur ce dont on l’accusait et je ne crois pas que les Américains aient eu l’intention de divulguer ce genre d’informations sauf s’ils ont l’intention de finir le boulot qu’ils avaient commencé il y a des années de cela. —Qu’est-ce que tu essayes de dire ? —Tu le sais très bien ; je n’ai rien à voir avec vos querelles et me gardez ici ne résoudra rien, dis-le à qui doit l’entendre. Demain ou dans quinze ans qui sait je ne changerai pas ma version de l’histoire ; vous traquez le mauvais gibier et si tu avais un peu de bon sens tu ne serais pas là à tailler le bout de gras avec moi. Tu as tellement mieux à faire à l’extérieur. La visite est terminée… » Pourtant il faut reconnaître la bénéfique intervention de Genan Fingen dans l’amélioration de mes conditions de détention ; grâce à lui j’ai du papiertoilettes, du véritable savon, des journaux

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républicains me sont livrés par la matrone de mon baraquement ; il a graissé la patte du directeur du pénitencier pour obtenir une cellule non pas dans le quartier des « terroristes » —bien qu’elles le soient toutes ici si l’on reprend le motif de leur arbitraire détention— , mais dans le quartier des prisonniers de droit commun. Elles sont bien moins violentes que leurs concitoyennes et plus enclin à la discussion. Et je peux me vanter d’avoir une amie en la personne de Casey Mullingham arrêtée pour avoir distribué des tracts lors d’une manifestation pacifique en 1968. Cette militante activiste partage ma cellule et je l’apprécie beaucoup ; elle me permet de ne pas sombrer dans la folie. C’est une mère de famille de 31 ans qui me parle de ses enfants avec une certaine émotion dans la voix. Les reverra-t-elle un jour ailleurs qu’au parloir ? Pour revenir à Genan Fingen il se montre protecteur plus que je ne l’aurai imaginé. Il me fait parvenir des tas de produits de première nécessité en contrebande et arrose les gardiens de bonnes intentions pour ne pas perquisitionner ses biens lors d’une éventuelle fouille ; il est possible qu’il m’ait dans la peau. A la visite du 22 octobre, il m’a remis la liste des mots de passe employés pour faire plier les gardiens et obtenir d’eux des services particuliers. Un jour la matrone frappa contre les barreaux de ma cellule « McCullen, tu sors ! » Et on m’a escorté jusqu’à la sortie sans que je peux saluer Mullingham une dernière fois. Dans une berline noire m’attendait Abel Riagal ; on me fit monter à bord.

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« Alors c’était comment ? Tu t’es faite de nouvelles amies, sourit-il en me tendant une flasque de Whisky. On rentre à la maison… » En mon absence Belfast était restée la même ; deux mois passés au trou m’avaient semblé duré une éternité alors qu’il n’en était rien. Il y avait toujours ces barricades, ses militaires pour les garder ; les barbelés au check-point et les hélicos survolant inlassablement le ciel couvert. Les enfants courraient en tenant des armes fictives dans leurs bras et ils s’amusaient à faire la guerre avec la même hargne que leurs aînés. J’ai souri, The Times they are A-changing de Bob Dylan traînant dans ma tête. Un groupe de jeunes se bagarraient ; des morveux de la trempe de Dagan Mag Gabbhan quand la police les sépara. C’était ça Belfast ; une véritable poudrière, une zone de guérilla civile. Ils étaient tous là à m’accueillir : Fingen, Ducan et ses sbires ; Lochlainn et mon frère. J’étais à la « maison ». Et Fingen m’a serré dans ses bras mais c’est Dalaigh que je regardais ; ne m’avait-il pas balancé aux autorités agacé par les agissements de mon frère ? « Epouses-moi. Tu as parlé d’aller voir le père Donoghan à ta sortie de prison, alors épouses-moi ». Complètement sur le cul face à sa demande, je restais un long moment sans voix. Dans la pièce à côté, les hommes chahutaient au milieu des pintes de bières et de la musique celtique ; ils riaient forts tandis que Genan Fingen déboutonnait mon chemisier pour sucer mes tétons et les mordiller. Cette partie de mon anatomie était particulièrement érogène ; si je le laissais faire nous allions y passer la nuit.

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« Attends, pas ici… » Murmurai-je à son oreille ; on a baisé avec toutes les figures du Kâma-Sûtra et au petit matin je me suis barrée comme une voleuse. * Les explosifs ne sont pas de bonne qualité ; je ne peux rien faire avec et Ciaran me presse en permanence. Alors Billy m’envoie une nouvelle livraison : trois boîtes de chocolat en poudre, deux paquets de pâtes alimentaires, des sachets de thé et des gâteaux fourrés : mes préférés. Et j’allonge deux billets supplémentaires pour des renseignements ; s’il me tendait un paquet de cigarette cela signifiait que les types de l’UDR me filaient ; deux si c’était l’IRA et ce jour-là il m’en remit trois. Il me fallait changer de mode opératoire. En empruntant l’escalier de Ciaran je tombais sur Lochlainn accoudé sur la rambarde d’escalier. Il n’avait pas traîné le bougre… « Tu alimentes le marché noir on dirait. Tu veux un coup de main ? Laisses-moi faire…Détends-toi Niamh, tu es tendue comme un nerf de bœuf. Alors c’est donc là que tu crèches depuis qu’ils t’ont libéré ? C’est toujours appréciable d’avoir une femme chez soi pour s’occuper de l’entretien du logement ; — Gardes tes propos machistes pour toi. Poses tout ça là et ne t’attends à ce que je te remercie pour Crumlin Road. Je sais que c’est toi tout comme l’agression à la piscine ». Il éclata de rire, les mains enfoncées dans les poches. Il est beau comme un Dieu et je l’aime ; il m’est impossible de

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l’exprimer ouvertement tant que Fingen me surveille étroitement. Pourtant je meure d’envie qu’il me sert dans ses bras. Il releva les jambes de son pantalon pour s’assoir sur l’accoudoir et jouer avec son zippo ; le cigarillo allumé il enfume toute la pièce. « Tu crois peut-être que je suis assez stupide pour transférer ma colère sur ton joli popotin. Tu cRóis vraiment que je t’ai balancé ? C’est bien ce qui me semblait… très touchant que tu aies pensé à moi. Tu vois nos relations je ne les imagine pas comme ça ; on doit pouvoir se faire confiance et avancer mains dans la main. Cappish ? Cette salope de Kinstry dit que tu as plusieurs cordes à ton arc ; oui il quadrille mon secteur, cela te surprend-il ? Tu fais des microfilms, combien et à quelle fréquence ? » Comment savait-il pour cette activité subalterne ? Oui, je développais des microfilms et réalisais des micro-points avec mon appareil ordinaire. La technique était simple : je photographiais le document avec un objectif normal puis après l’avoir développé, séché, je prenais un morceau de carton que je découpai à la taille du négatif. Ensuite avec une ampoule électrique je collai l’appareil photo à 1,20 mètre du document et de la source d’éclairage. Le tour était joué. Ne me reste plus qu’à photographier le document et développer le négatif Enfin il fallait un microscope pour le lire le négatif du document original. C’est là qu’intervenait mon frère pour sa forgerie. C’était un travail d’équipe et le meilleur de toute l’histoire de l’espionnage. « Il s’avère que j’ai besoin de tes compétences en la matière. Riagal me

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demande de filer Conall Fingen et Summer a démissionné de son poste de serveuse ; alors la place est définitivement vacante. —Pourquoi lui ? Notre première rencontre ne fut guère concluante et je doute qu’il veuille me revoir ; les politiques n’aiment pas qu’on chie dans leurs bottes. Et j’ai passé deux mois au trou, je ne tiens pas à y retourner quelque soit le service que tu me demande. —Sois tu marches avec nous, sois tu crèves dans le caniveau avec en prime Le RUC sur ton dos. L’IRA a besoin de savoir qui marche avec elle et qui subitement à décider d’abandonner le navire. Entre l’IRA Provisoire et la Véritable c’est la guerre. Ouvres les journaux pour t’en apercevoir : entre les pourparlers secrets, les déclarations de presse en bonne et due forme et tout le toutim c’est un peu tendu ». Grande ambiance au Bailey’s. On arrose l’anniversaire d’un politicien nomme Garreth Cahill attaché à l’aile conservatrice de l’IRA Véritable. Ils ont fait venir des strip-teaseuses, de vraies professionnelles aux seins rebondis ; dans mon coin j’empilai les commandes sur mon plateau sans détacher mon regard de Conall Fingen. « Ces verres vous sont offerts par la maison » Déclarai-je en slalomant entre les tables quand Conall Fingen glissa un billet dans mon corsage. Il veut la meilleure bouteille de champagne et il relooke mon cul avant de murmurer quelque chose à l’oreille de son collègue ; la clope pendant à ses lèvres, il sait qu’on vient de me libérer de Crumlin Road et que j’ai couché avec son frère. « Je t’ai sous-estimé McCullen. Et moi qui croyais que tu n’étais qu’une

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spécialiste de Byron et de Yeats ; l’une de ces arriviste d’étudiante ennuyeuse à souhait incapable de penser par soi-même. (En se penchant sur moi)Si mon frère te cause tes ennuis fais-le-moi savoir ». Dans le vestiaire je lui fais les poches ; les documents sont photographiés et restitués le plus naturellement possible. Au Bailey, je porte une perruque pour ne pas que l’on puisse m’identifier une fois dehors. Discrètement je verse un somnifère dans le verre destiné à Conall Fingen. Le but est de permettre une intrusion dans son domicile par mon frère et ses sbires. Pourquoi lui ? Parce que l’IRA cherche à savoir si l’argent investi en 1968 pour sa campagne a servi à quelque chose. J’ai rencardé Ginger sur ce coup-là ; cette adepte de la contre-culture sait comment faire craquer les hommes et ce soir j’ai besoin de ses talents de séductrices. Elle n’en sera pas plus et la liasse d’argent devrait la convaincre de garder Conall Fingen le temps de poser des mouchards dans son logement. Mais ce que je n’ai pas prévu c’est Duncan. Il est là au Bailey ; à la table n°12 et sa présence est des plus préoccupantes. Et il glisse un papier vers moi : Le RUC est chez toi, lisais-je avant de sentir le sol se dérober sous mes jambes. Qu’est-ce que ces salauds fichent là-bas ? Et je ne peux pas me griller en me précipitant sur le téléphone ; Duncan m’attrapa le poignet et dégagea la veste de sa ceinture où pend un flingue. « J’ai dit à Riagal que tu seras bien sage ce soir. Mais je ne le sens pas. Tu vois l’homme là-bas ? Regardes mieux que ça…Il est mort tu piges ? Si tu veux le

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sauver je te donne dix minutes pour dégager Conall Fingen d’ici. —Et pourquoi le ferais-je ? —Parce que ce type là-bas (en le pointant du doigt) t’a fait sortir de prison. En juillet dernier, le Social Democratic and Labour Party a quitté le parlement d’Irlande du Nord en signe de protestation contre l’internement et lui avec ; le problème maintenant c’est qu’il pige rien à notre mouvement et voit le Sinn Féin comme un club de vacances où chacun rentre chez soi après avoir échangé quelques blagues autour d’un feu de camp. Fais sortir Conall Fingen… » Duncan bluffait. Pourquoi je le savais ? Le RUC fouillait l’appartement de mon frère ; un délateur avait excité leur curiosité et ce délateur était Duncan. Ensuite ce salaud voulait me voir quitter le Bailey pour mieux me compromettre aux yeux de Riagal. Sans prêter attention à ses menaces, j’ai servi les tables quand un type en cagoule rentre, approche de la table et fait feu sur un de nos clients. Le mercenaire est un piètre tireur ; il a manqué sa cible ou était-ce volontaire ? Les tireurs recrutés par l’IRA ne manquent jamais leur cible et les premiers soins lui sont apportés. Comme le gérant de l’établissement a appelé les secours et la police, Duncan et ses copains de barrent dans la cohue générale. Alors qu’on remet le blessé aux ambulanciers, je constate que Conall Fingen n’a pas bu son verre de vin. S’il ne boit pas, il me faudra reporter le programme de cette soirée. « Vous connaissez bien cet homme n’estce pas ? Je crois qu’après ça on va descendre une bouteille de vin sans se cacher. La vôtre est pleine…et j’avoue que

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ces émotions m’ont donné soif. (Je remplis un verre et le porte à mes lèvres). Oh, c’est délicieux ! Vous ne buvez pas (en me réservant un verre). Votre ami est vivant c’est tout ce qui nous importe. Portons-lui un toast ! (en lui tendant son verre).A la fin des conflits et pour une Irlande libre ! » Entrer par effraction chez quelqu’un. Rien de bien sorcier si vous avez pris soin auparavant de minimiser les risques. Le voisinage reste le plus imprévisible ; dans la semaine j’ai fait deux repérages de jour pour calculer les points de fuite d’une zone, le terrain, les habitudes de Conall Fingen et de ses proches voisins. Les mouchards sont installés à la lueur d’une lampe torche et je me prépare à partir quand deux voitures s’arrêtent devant le bâtiment. Il y a des jours où rien ne se passe comme vous le voulez. Ginger était là avec ces hommes ; ce n’était pas le plan. La porte de derrière étant fermée j’ai dû glisser sous le lit. Un couple est rentré et j’ai reconnu le ricanement de Ginger ; l’inconnu s’est endormi avant de pouvoir la baiser. L’adrénaline est retombée et j’ai gerbé dans la rue au milieu des noctambules écœurés. J’ai envie de m’envoyer en l’air et n’importe quelle queue fera l’affaire ; Genan Fingen était chez lui et je suis tombée dans ses bras pour lui raconter ma soirée au Bailey. « Oui je suis au courant. Tu fichais quoi pendant tout ce temps ? Le RUC était chez toi et j’ai envoyé Duncan te prévenir. Quant à ce type…des vacances aux frais de Sa Majesté ne lui fera pas de mal. La balle a traversé son épaule».

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La porte des WC s’ouvrit sur Duncan et je lui ai sauté à la gorge, griffes dehors. Genan m’a séparé de lui au moment où il allait riposter. « On se calme ! Toi tu ne la touches pas ! On se calme maintenant, tu entends Duncan ? Tu ne t’approches pas d’elle. —Tu étais où McCullen ? —Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Tu tiens à me border ou bien ? Pourquoi tenais-tu à ce Conall Fingen sorte de ce restaurant ? Il essaye de me rendre folle (je l’ai giflé), ton Duncan chéri a décidé de me vendre aux plus offrants. C’était toi, hein ? Espèce d’enfoiré ! (en le giflant de nouveau) Tu as un sérieux problème et si tu joues encore à ce petit jeu-là avec moi, je te crève ! —Tu ne me menaces pas, salope… » Tonna ce dernier en m’attrapant par le cou et me plaquer contre le mur. Et Fingen a collé son arme à feu sur la tempe de Duncan ; a viré le cran d’arrêt. « Tu touches encore à un de ses cheveux et c’est moi qui te bute, d’accord ? Alors maintenant tu la lâche… (Ils se fixèrent en chien de faïence) Tu ne la touches pas Duncan, siffla ce dernier en prenant le temps d’articuler chaque mot. Je ne me répéterai pas deux fois, hum. Elle est avec moi. Tu comprends ce que cela veut dire ? S’il lui arrivait malheur, tu seras le premier à casquer (en le giflant) C’est un contrat moral entre toi et moi, tu es averti. Maintenant (il s’éloigna pour coller le canon de son arme contre le front de Duncan) tu lui présentes tes excuses. —Niamh je…je te demande pardon. J’ai pensé à tort que tu travaillais contre l’IRA mais il semblerait que j’ai perdu en efficacité. Dans cette histoire il y a quelque

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chose qui ne tourne pas rond et si je découvre que tu nous as trahis je t’arrache le cœur pour te le faire bouffer ». Avec fougue on a baisé jusqu’à épuisement ; Duncan dormait sur le canapé du salon et il devait tout entendre. Comme je mourrais de soif j’ai quitté le lit pour traverser la pièce ; il était là, le cul posé sur le rebord du sofa cramoisi ; les coudes posés sur les genoux, il fixait droit devant lui sans même sourciller. Dormait-il debout, « Je te jure que je vais t’arracher le cœur Niamh ; à toi et à ton frère ». Il pleuvait à verse ; nue sur le lit j’échafaudais un plan pour contourner la méfiance de Duncan. Le voir mort résoudrait bien tous mes problèmes mais aussitôt les soupçons s’abattraient inexorablement sur ma personne. Alors je l’ai ignoré ; jusqu’à ce qu’on m’agresse dans la rue. Des types de l’UFF (Ulster Freedom Fighters) la branche militaire de l’UDA (L’Ulster Defense Association) fondées en septembre 1971 et devenus les plus importants groupes loyalistes de l’Irlande du Nord. Ils étaient six, tous plus éméchés les uns des autres et ils m’ont passé à tabac pour le plaisir de se faire entendre. Et Duncan intervint : les os ont craqués, le sang à couler et les articulations ont pétés ; ensuite il m’a conduite à l’intérieur d’un Pub pour m’offrir un verre ; le verre de l’amitié dans le seul but de désinhiber nos relations. Il avala son Malt cul-sec et moi de l’imiter. « Tu ne fais pas encore partie de la famille Niamh et tu ne seras jamais une Fingen ; j’ai un sixième sens pour débusquer les traîtres et toi je ne te sens pas, depuis le début à vrai dire. Maintenant

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que nous sommes seuls dis-moi ce que tu sais de Gall O’Mara. —C’est un activiste de la DUP et il a été arrêté par les RUC lors de l’Opération Démétrius. Il a été suspecté d’avoir dérobé des armes dans les locaux de ces derniers ; il a nié jusqu’à ce qu’il s’en prenne dernièrement à Riagal. Conflit d’intérêt probablement. Mais si tu veux des infos sur cet homme, adresse-toi directement à Ciaran ». Furieux il m’a attrapé la nuque pour se pencher à mon oreille et moi je lui ai pris ses couilles que j’ai serrées le plus fort possible. « Tu n’es qu’une petite pute McCullen et tu voudrais que je te crois quand je sais que tu l’as payé pour voler nos armes…Si tu ne me tenais pas par les couilles, je te les ferai bouffer. Je suppose que tu prends beaucoup de plaisir à faire ce que tu fais… c’est si jouissif de nous baiser, murmura ce dernier en prenant ma bouche. Détends-toi je sais que tu aimes ça…(en me relâchant) Tu nous remets la même chose, garçon et augmentes le son de ton téléviseur ! » J’essuyai mes lèvres avec dégoût quand Frank Kiston, le responsable militaire de Belfast et auteur d’Opération de faible intensité-subversion, insurrection et maintien de l’ordre répondait aux questions du journaliste républicain sur la répression antiguérilla. Leur stratégie globale demeurait celle de la guerre contre-subversive ; s’il prenait le conflit nord-irlandais comme « terrain d’expérience » il n’avait rien à faire ici. Derrière les autres clients sifflaient, insultait l’invité à la cravate à rayures et gueulaient à tout-va contre l’abus des

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médias à présenter ce monstre comme une réponse à tous leurs problèmes. « Viens, je vais te montrer quelque chose… » Pourquoi l’ai-je suivi ? Ils étaient là, dans une des planques de Riagal ; une maison sur Springfield Road et toujours pleine de Provos. Si le RUC y descendait souvent, il n’y trouvait jamais rien ; les officiers se donnaient à un mal de chiens pour tout retourner puis s’en aller bredouilles. Là au sous-sol, j’allais regretter d’avoir suivi Duncan. Trois Provos dont Genan Fingen se tenaient devant un type ligoté nu sur une chaise. Les manches retroussées sur ses avantbras, Fingen cognait avec la rage de Thorr, le Dieu de la foudre. Et j’ai reconnu Beck, l’un des hippies assez efféminés qui trainait avec Summer Love. Mon Dieu, il n’avait plus figure humaine ! « Je vous ai dit ce que je savais…je ne sais plus quoi dire… » Gémit ce dernier, les yeux clos par le pus et le sang. A ce rythme-là, ils allaient le tuer. Il était terrifié et pleurait ; Fingen de l’attraper par ses longs cheveux bruns pour l’obliger à coopérer. « On n’a pas entendu ce que tu disais, glissa Fingen à son oreille. Répète-le pour que tous ici puissent entendre. —Ils…ils étaient deux et…ils ont contacté Summer pour lui demander si elle voulait ce job. Elle a accepté et…on ne l’a plus jamais revu. Elle n’était pas très causante… C’est tout ce dont je me souvienne… » Duncan lui a brisé les côtes de son poing. Il s’est plié en deux avant de cracher du sang.

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« Je veux mourir…je veux mourir. Tuezmoi ! Cria-t-il en pleurant. Je vous en prie, tuez-moi… » Et Genan Fingen a sorti son flingue et a tiré à bout-portant. J’ai sursauté quand le coup est partit ; c’est horrible quand cela se produit sous vos yeux parce que vous n’y croyez pas, même quand le sang gicle partout avec des morceaux de cervelle, vous n’y croyez pas. Pourquoi l’ont-ils tué ? L’IRA avait grillé Summer Love et je devais absolument savoir qui et comment ; et au-dessus des godes j’ai fondu en larmes avant de m’encourager à me lever. « Tu ne restes pas avec nous McCullen ? » Et tous les regards des joueurs de Poker se tournèrent vers moi ; je ne savais pas jouer au Poker et je ne voulais pas de leur bière. Duncan m’a attrapé par l’épaule. Dans la cuisine, les hommes goûtaient à de la cocaïne avant de la faire partir pour les quartiers-ouest. Appuyé contre le chambranle de la porte, Lochlainn supervisait tout cela, la mâchoire crispée et jouant nerveusement avec son zippo. Ils n’auraient jamais arrêté Beck si on ne l’avait pas donné ; son corps serait retrouvé dans une poubelle avec pour seule raison une histoire de drogue qui aurait mal tournée. Mon Dieu, pauvre Beck… il ne mérite pas de finir dans le caniveau. La question : pourquoi lui ? Lochlainn ne connaissait rien de ses clients, les dealers de Ballymurphy, New Lodge et d’Ardoyne Road faisaient leur business et leur remettait l’argent ; mais il n’était pas exclu que l’’un de ses revendeurs avaient vu quelque chose ou entendu quelque chose et que cette info soit remontée aux oreilles du narcotrafiquant de Derry. Que fichait

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Ciaran ? Il devait nettoyer derrière moi et par sa faute Duncan refusait d’avaler des couleuvres. Depuis que le RUC leur causait quelques tracas depuis l’internement de Fingen, Duncan cherchait toujours le traître qui mangeait à leur table. « Je dois me rendre à Manor Street, tu peux m’y conduire ? Demandai-je à Lochlainn en sachant qu’il allait m’envoyer sur les roses. Tu peux me rendre ce service ? » Dans la voiture sur le poste tourne Walk On The Wild Side de Barry Manilow ; c’est trop bon, j’ai envie d’un bon pétard mais Lochlainn me propose de la coke. Il prépare un rail que je renifle entre ses jambes. Putain que c’est bon ! Il y a des milliers d’arc-en-ciel dans ma tête et j’ai envie de crier à pleins poumons, de hurler comme un loup et de plonger du haut de Queen’s Bridge. « Tu viens de Derry n’est-ce pas ? Cela ne doit guère changer d’ici ? Les mêmes fréquentations et les mêmes adversaires à combattre. Pourquoi vous avez fait cela au frère de McNeil ? Ce n’était qu’un gosse et maintenant il est condamné à se déplacer en fauteuil pour le restant de ces jours. —Duncan McGill sait ce qu’il fait. Le petit voulait rejoindre les fillettes du RUC, alors ils ont piégé la voiture du gamin. —Comment ? —Et bien je suppose qu’ils ont fait le voyage jusqu’à Londres. Qu’est-ce qui t’échappe ? Ce genre d’intimidation est fréquent alors ne sois pas si sentimental qui plus est avec les inspecteurs du Constabulary. Parce qu’eux, ils nous ménagent pas ; interroges Fingen pour savoir comment s’est passé son séjour au

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Maze et tu comprendras pourquoi on ne joue pas à la marelle avec eux ». Un ciel étoilé c’est toujours beau à regarder ; celui-ci était voilé presque énigmatique et il ne manquait plus à ce tableau qu’un pierrot sur sa lune balancé du pied en fredonnant quelques berceuses. Et il s’arrêta au Manor Street au milieu de ces pavillons récents aux pierres rouges alignés les uns contre les autres ; c’était le quartier protestant séparé par un mur des catholiques dont les vieilles baraques n’avaient pas été démolies. « Tu veux que je t’accompagnes ? —Non ça ne sera pas la peine. Je suis une grande fille, je pense pouvoir m’en sortir seule ». J’ai frappé au n°15 de la rue ; l’autre clébard me suivait en reniflant mes souliers. Quelqu’un regardait derrière le rideau de la maison adjacente ; les protestants étaient particulièrement attachés à leur confort et la quiétude de leur quartier. Ici plus qu’ailleurs leur principale activité était la traque des papistes et certains étaient doués à ce jeulà. Le lieutenant McNeil m’ouvrit la porte, regarda par-dessus mon épaule et me laissa entrer. « J’ai appris que tu avais été relevé de tes fonctions pour insubordination ; mais je ne sais pas qui entre Clarkson ou de Duncan est le plus heureux. Je viens ici en paix et…tu as des poissons rouges ? Il parait que c’est très bon pour le moral d’avoir à s’occuper d’un animal. J’aimerai avec un chat mais Maddén ma logeuse se dit être allergique aux félins alors je convoite ceux des autres. Et euh…Tu es très beau McNeil. Je veux dire que…tu devrais sortir un peu et aller t’éclater. Il y a

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des tas de femmes qui rêveraient de sortir avec un type comme toi. Tu veux danser ? Si tu as The Jefferson Airplane on peut danser ou…autre chose qui puisse nous transporter ». Le Whisky que je lui ai apporté me réchauffe la gorge et attablée dans sa salle à manger, je lui remis un verre. « Je voulais seulement te remercier pour ce que tu as fait pour Fingen ; il ne te remerciera jamais mais je tiens à le faire à sa place. Alors voilà, je suis passée pour cela. Maintenant je dois y aller et comme tu as un rencard ce soir…Le whisky est pour toi. A boire sans modération. —Tu me surveilles ? —La déduction c’est tout. Ce parfum et cette chemise blanche en disent long sur tes activités et elle doit être quelqu’un de bien pour supporter sortir avec un officier de la RUC ou bien j’imagine qu’elle a depuis toujours bercé dans ce milieu-là. —La porte est ouverte Niahm, je ne puis te garder plus longtemps. Tu le conçois non ? —Les balles font commencer à siffler, lui murmurai-je en prenant le temps d’articuler. A ta place je n’aimerai pas avoir un choix à faire ». Dalaigh et moi on est sorti prendre un morceau et alors que je commandais toute la carte, il a glissé sa jambe contre la mienne. J’ai aimé ce contact ; comme en prémisse à des jeux sexuels. Ils passaient du jazz dans ce pub ; l’ambiance était faite pour attiser la passion entre adultes consentants et j’avais envie d’être caressée par Lochlainn. Il me prendrait sauvagement comme Fingen le faisait et j’aurai des milliers d’orgasmes au cours

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d’un seul rapport. Oui, cela est impossible mais dans mon imaginaire ça ne l’était pas. « Comment était-ce ? —Quoi donc ? Répondis-je en souriant comme craignant qu’il ait lu dans mes pensées. Oh ! Il sort avec une catholique… —Christy Donovan, oui. Je ne te parle pas de cela Niamh, je veux que tu me dises si tu as aimé te retrouver à Crumlin Road. Ces frites sont dégueulasses, ne me dis pas que tu vas manger cette merde ? Le RUC n’apprécie guère qu’on les prenne à revers ; ils ont leurs méthodes de travail quelque peu déroutantes mais les officiers, les gradés ont tous bossés auprès des Services secrets de police, ce n’est pas un scoop. McNeil appartient à la Special Branch et c’est un pro du renseignement, contre-espionnage et antiterrorisme. Depuis Démétrius il sabote les efforts de son unité. —Et pourquoi ne le virent-ils pas s’il a perdu de sa vergue ? —Cela ne se passe pas comme ça. Il faudrait qu’il commette une faute grave. Le type au comptoir et la femme qui se repoudre le nez derrière toi sont également de la Special Branch. Ils doivent nous filer depuis qu’on a quitté Manor Street. Ces idiots ont mordu à l’hameçon. Tu vois il y a un certain intérêt à garder ses agents sur le terrain. Vas te refaire une beauté aux toilettes… » On leur a faussé compagnie et on a ri comme des gosses avant de se caresser du regard. On avait envie l’un de l’autre et il a proposé de m’escorter jusqu’à la porte des Mag Gabbhan. Et à la porte de l’appartement, il a caressé mon coude avec pudeur. « Fais-attention à toi d’accord ! » J’ai souri et on s’est séparé sans rien

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échangé d’autres que des pensées lubriques. Le 3 novembre, Ciaran a obtenu une promotion au sein des Provos ; il allait trop vite et il me fallait le ralentir. L’attrait du pouvoir est ce qu’il y a de pire chez les hommes ; ils se sentent alors invincibles et indispensables sitôt qu’ils goûtent à cette drogue. L’argent, toujours l’argent c’est ce qui comptait le plus aux yeux de mon frère et pour un billet fabriqué par ses soins, il en récupérait cinq autres dont tRóis qui allaient dans la poche de Riagal et nous nous partagions le reste. La contrefaçon c’est son truc et cela lui a pris des années pour atteindre ce degré de perfection. Il ne voulait pas toucher à la drogue se plaisant tant à dominer les autres par son savoir-faire ; la forgerie était ce qui allait rapporter le plus à Riagal et son chiffre d’affaire ne devait pas dépasser celui des autres narcotrafiquants, experts en leur domaine et qui étaient tous issus de la Mafia irlandaise. « Comment ton frère fait-il ? A-t-il un réel don pour la falsifier une existence ? » Questionna Fingen en baisant mon dos dénudé. Je frissonnai de plaisir avant de plonger mon regard dans le sien « Mon frère n’est pas un imposteur. Il fabrique des faux mais ne vole pas tes existences comme tu voudrais le laisser prétendre. Il n’y a rien de plus grisant selon lui que de suivre l’exemple de Gutemberg et de son imprimerie. Il est persuadé d’accomplir quelque chose de noble, mais il ne se qualifiera jamais comme un voleur ». Et il caressa mon visage, allongé sur le côté et il aimait le faire après qu’on ait baisé ; cela le tranquillisait. Ainsi, il

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pensait que quelques caresses après l’acte me ferait l’aimer davantage ; mais en toute honnêteté Duncan avait raison : je n’étais pas la femme qu’il lui fallait. Pourtant un jour il me vaudrait lui avouer cette chose. «Tu vas être triste de savoir que ton amie Summer est morte. Une overdose a eu raison d’elle. —Summer ? Non, ce n’est pas possible ? —On a retrouvé son corps hier soir et… » D’un bond je me levai, le drap autour de mon corps nu. Summer morte d’une overdose, cela ne pouvait être possible ! Pas elle ! La NCS l’avait éliminée ; elle s’était suicidée ou un des types de l’IRA l’avait descendue en apprenant qu’elle jouait double-jeu. « Et c’est bien triste, elle était mignonne. Habilles-toi maintenant, je dois aller travailler, déclara-t-il en me jetant mes vêtements. Elle comptait beaucoup pour toi n’est-ce pas ? D’après ton frère, vous étiez de grandes confidentes. Crois-tu qu’elle est jouée les informateurs auprès des tapettes de la Special Branch ? Tout le monde croit maintenant qu’elle a joué un rôle important. Elle fréquentait Lochlainn pour lui soutirer des informations de choix et il ne se serait douté de rien, jusqu’à ce qu’elle se mette à causer de McLay. —Qui est ce McLay ? —Le type qui s’est pris une balle au Bailey. Shane McLay, il travaillait au SDLP et touchait des pots-de-vin de l’Ulster Defense Association pour qu’il sabote nos efforts. L’UDA est devenu une union légale qui comprend de nombreux groupe d’autodéfense protestants et aujourd’hui, cette association est devenue

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importante au point de corrompre nos politiciens. —Et en quoi Summer représentait une menace ? —Fais marcher ta tête, Niamh. Elle fricotait avec l’ennemi, répondit-il en enfilant sa veste, parce que McLay en est devenu un. Il a beau parader auprès des Officials, il magouille avec la Special Branch dans le seul but de faciliter les pourparlers ». Alors voilà où on en était ! Duncan au Bailey pensait que j’allais protéger McLay et ainsi me griller auprès de l’IRA ; ce type m’avait fait sortir de Crumlin Road dans le seul but d’attirer tous les regards vers moi. La Special Branch avait tout combiné, jusqu’à l’overdose de Summer ; si cela était bien leur œuvre. Elle ne reculerait devant rien pour m’éloigner de Lochlainn, leur agent de terrain. Alors Lochlainn était bien leur taupe… « Et ton frère est-il impliqué dans ces malversations ? —Évidemment c’est pour cette raison qu’il n’est plus mon frère. Tu n’étais pas au courant ? Il va falloir que je fasse ton éducation. Conall ne m’a jamais soutenu, il me voyait comme trop radical et plusieurs fois à tenter de me raisonner ; il sait que je fabrique des explosifs et m’a dissuadé de le faire quand l’IRA provisoire revendique les attentats ciblés sur les Orangistes. Je ne trahirais jamais les miens ». Son regard était noir, persuasif et j’en ressentis un profond malaise : j’avais posé des micros chez Conall Fingen à la demande de Lochlainn et placé sur écoute, ce politicien pouvait se prendre une balle perdue envoyée par Kinstry ou l’un des

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autres snipers chouchous de l’IRA Provisoire. Les deux frères ne s’aimaient pas, ils se détestaient. La CIA m’avait faite prendre la place de Summer parce qu’ils savent que le RUC me perçoit comme une menace. « Conall ne veut pas de ma candidature au sein du Grand Quartier Général et ce salaud pense que je ne ferais pas un bon directeur à l’entraînement des recrues et le Chef d’Etat-major, Séan MacStiofán lui donne raison : j’ai contribué au sabotage économique par des attentats à la bombe avant que deux types de la RUC se fassent abattre le 11 août par nos gars. Les armes provenaient de l’arsenal de Riagal et on m’a suspecté de les leur avoir remis. Or à cette date j’étais au trou avec la RUC comme nounou. Ils ont essayé de me faire parler mais j’avoue avoir manqué d’enthousiasme ». Cinéad Kinstry me bouscule, les sourcils froncés ; il ne veut pas causer et surtout me voir près de lui dans ce Pub. Pourtant Summer vient de mourir ; il me faut en savoir plus. « Tu faisais quoi chez McNeil ? —La vaisselle. —Et tu as cassé combien d’assiettes ? On ne peut pas faire la vaisselle sans rien casser et là, tu en casses des pots. Tu fumes ? Gardes le paquet de clopes ». Il avait glissé un papier blanc dans les clopes ; une adresse et un horaire apparurent à la chaleur du briquet. Et je m’y rendis. Celui qui m’avait contacté la première fois y était et faisait craquer la jointure de ses phalanges avant de croiser les bras. « McCullen. Niamh McCullen on a un sérieux problème avec toi !

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—J’aime bien savoir à qui je m’adresse. Qui es-tu ? —Ne pas le savoir ne t’empêchera pas de vivre. Tu sais, on a déjà eu à faire avec des filles comme toi. Tu crois être supérieure aux autres et tu le fais à ta façon ; au risque de compromettre la couverture de tous nos agents. Finalement je crois que tu ne nous aide en rien. C’est Fingen la cible. Tu imprègnes ? Questionna-t-il en taponnant mon front de son index, les sourcils froncés. Ce n’est pas Lochlainn ou McNeil, c’est Fingen. Genan Fingen. Tu n’es pas encore à la Queen University, tu piges ? Et pour toi tout peut s’arrêter du jour au lendemain, pour toi comme pour ton frère. On sait qu’il bosse pour Riagal et qu’il y est jusqu’au cou ; c’est probablement pour cette raison que tu as coopérer si rapidement. Tu sais que la CIA ne vous cherchera pas des poux dans la tête si vous vous fiez à elle. Or ton père a un dossier à l’Agence et il n’a été relaxé qu’après avoir coopérer lui aussi ; alors il ne sera pas difficile pour nous de faire tomber ses avortons pour reprise du commerce familial. —Je ne pige pas. —Création de faux issue de sa forgerie ; quant à toi le crime organisé est ton affaire on dirait. Tu as été arrêtée à Dublin pour avoir monté des étudiants dans un traquenard, une sale combine. Les inspecteurs n’ont jamais trouvé de preuves de ton forfait mais une certaine Duhh O Mordha a certifié que tu lui avais demandé une rançon pour lui restitué un Rembrandt dérobé à son domicile. La compagnie d’assurance a bien évidemment craché et l’argent a approvisionné un compte en

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Suisse. On pourrait rouvrir l’affaire. Qu’est-ce que tu en penses ? Manipulation, vol, intimidation et recèle d’œuvre d’art. Combien tu penses en tirer ? Dix ans, vingt ans ? Les criminelles de ton genre on les coffre. —En supposant que tout cela soit vrai, il faut tourner cela à votre avantage. Je fais votre sale boulot et vous blanchissez l’auteur de ce délit. Autant que je m’en souvienne, les complices courent toujours et il n’y a rien de plus facile pour vous d’exploiter les affaires non-résolues de la criminelle. Un simple coup de fil à Dublin suffirait à blanchir tous les membres de ce syndicat du crime ». Il m’a dévisagea de la tête aux pieds avant de sourire. Ils me tiennent de force ; bien que je ne sois pas en mesure de négocier je prouve par mon audace que j’en sais plus qu’ils ne le savent. « Je comprends que le cerveau c’est toi. Ton frère n’est qu’un pantin que tu déplaces à ta guise, mais nos gars n’ont pas l’intention de se faire mettre par une McCullen. Summer est morte, et tu sais comment ? Pointe de stylo empoisonnée. A peut près de cette taille-là (en sortant un stylo de l’intérieur de sa veste). Un coup porté à la nuque ou plus précisément derrière l’oreille. Pourquoi ? Ils allaient la buter, tu comprends. Comme ils l’ont fait pour Beck. Cela ne te touche pas plus, mais il est difficile de perdre un agent après des mois voire des années d’infiltration. Et elle est morte par ta faute. —Je ne vois pas comment. —Vraiment ? Le match de boxe du 11 août. Une grande première pour toi, mais pas pour Summer. Elle savait que tout se passe à Suffolk ; les rencontres sportives et

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les rencontres des différents gangs. Lochlainn n’a pas apprécié de te voir làbas et il n’était pas le seul. C’es types ont du flair, un putain de flair ! Peu après que tu aies quitté le Pub, Duncan McGill a fait son apparition et a menacé Summer. Il lui a dit qu’une « ricaine » n’avait rien à faire à Suffolk, qui plus est quand son amie renseignait la Special Branch. Elle a nié que tu les balançais à la RUC et ça aurait pu se terminer là si tu n’avais ouvert ta grande bouche au sujet de l’Opération Démétrius. Il est évident que Duncan a voulu en savoir plus ; et il a suffit d’un détail anodin pour faire voler sa couverture en éclat. Et ce détail fut Lesley Davies. —Je ne connais pas de Lesley Davies. —Toi non mais lui oui. C’est le nom d’un informateur de l’IRA ; personne ne sait qu’il opère sous couverture sauf McGill. Or Davies est officiellement mort le 16 août 1969 à Derry lors de la Bataille du Bogside. Et quand ils ont fouillé son squat, ils ont trouvé un sachet de drogue. Ils l’ont filé et cette filature les a conduits chez Davies. —Quel est le rapport avec le reste, à savoir Démétrius et moi ? » Alors il s’est frotté l’arête du nez et à fouillé dans sa poche pour en sortir de la poudre. « Summer snifait du saccharose et non pas de la coke. Ces sachets portent le sceau de Lochlainn : un croissant de lune et celui qu’ils ont trouvé n’est guère différent. A l’envers la confusion est possible mais pas pour l’œil expérimenté de McGill. Davies a changé de nom, il se fait appeler Stuker et chaperonne Gall O’Mara. C’est aussi simple que ça. Grillée pour avoir acheté de la drogue chez les protestants ».

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Oui cela paraissait aberrant, mais cela ne justifiait pas qu’on la tue. A moins d’avoir manqué un épisode… « Ils sont persuadés que Summer leur a donné la planque du camion de Riagal, ce qui leur a permis de commettre une attaque-surprise et de leur voler leur livraison. J’aimerai savoir ce qu’il vous a prit pour ainsi monter ce commando et compromettre la vie d’un des nôtres. Si tu continues à merder, tu sais ce qu’il va t’attendre. —Non, c’est toi qui m’écoute ! Ne me tenez pas responsable de sa mort, elle était votre agent et c’est vous qui deviez la protéger ! Votre absence de réactivité est condamnable et… » Il m’a giflé. Qu’est-ce que je morfle en ce moment ? La main sur la joue j’en suis abasourdie. Je crois que je saigne. « Toi tu ne me donnes pas de leçons ! Contentes-toi de baiser Fingen et ne cherche pas à contrarier ses plans, sinon tu en prends pour vingt ans ; cela te convient ? » Ils avaient tué Summer pour éviter à l’IRA de le faire. C’était à vomir. Et Ciaran de me demander ce que je faisais dans ces chiottes. Il avait du vin et fait cuire des pâtes alimentaires ; et sitôt je me mis à table le téléphone sonna. Ciaran devait partir. Il baisa mon front et disparut en s’excusant pour son absence. Comme je n’avais pas fait j’ai tout jeté avant d’ouvrir le journal. Puis Ginger a débarqué. « Je ne te dérange pas ? Je ne peux pas rester toute seule là-bas…C’est horrible ce qui vient d’arriver à Summer. Elle ne méritait pas cela et voilà qu’elle est morte. D’abord Beck, puis elle. C’est trop, tu comprends. Tu n’as rien à manger par

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hasard ? Ce n’est pas grave, de toute façon je suis complètement stone. Les Pigs ont fait une descende chez nous. D’habitude ils ne nous rendent pas visite. —Tu veux dire les officiers de la RUC ? —Ouais c’est ça. Ils nous ont mis dehors et ont embarqué Stanford et Noemie pour possession de stupéfiants. Je ne peux pas croire qu’ils fassent ça. Notre mouvement contestataire est pacifique ; ils ferraient mieux d’arrêter les terroristes, ceux qui posent les bombes mais pas non ; on n’a rien à voir avec leur putain de guerre ! » Elle pencha la tête sur le côté et s’endormit ; derrière le rideau était calme. Quelques jeunes traînaient en bas ; ils avaient l’habitude de se rassembler ici et avaient la réputation d’être non-violents pas comme les petits nerveux de Ballymurphy. Pourtant ce quartier de New Lodge était animé et depuis 1970, le théâtre des émeutes ; pour preuves les maisons calcinées, les gravats amassés devant quelques vétustes immeubles. Un fumeur attira mon attention ; il était déjà là quand je suis rentrée et il y a de cela deux heures. Non pas à cet emplacement précis mais un peu plus haut, je reconnais son pantalon aux jambes trop courtes. « Ginger ! Ginger réveilles-toi ! Allez ! (en la secouant) Tu vas repartir d’où tu viens, Ginger ! —Quoi mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est quoi le problème ? Attends…je suis crevée. C’est que je ne suis pas dans mon assiette en ce moment. Mais je vais me ressaisir, je te promets…Laisses-moi seulement une toute petite minute. —Le problème ce n’est pas toi, c’est ce dealer en bas de la rue. Qu’est-ce qui fiche ici ? Tu lui as dit que j’allais acheter sa

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putain de came ? Il t’a refilé de la merde Ginger ! Tu as pris quoi ? Pour cent livres de marijuana, alors tu n’es pas censée Bad-triper. Alors maintenant lèves-toi, remets tes chaussures et tires-toi ! » Parfois il arrivait que les dealers suivent leurs clients pour leur proposer plus ; sous l’effet d’acide, de grass ou d’autres stupéfiants vous achetiez sans vous en rendre compte. Le problème avec certains dealers c’est qu’ils n’hésitaient pas balancer quelques uns de leurs gros clients à la RUC afin d’être tranquilles quelque temps ; là les policiers venaient perquisitionner et s’ils trouvaient une boulette de shit cela suffisait à passer la nuit dans leurs locaux. Ginger au bras, j’ai filé par l’arrière ; emprunté le passage de secours et nous sommes sortis le plus naturellement possible. La RUC voulait m’avoir à l’usure ; employant la méthode forte pour m’envoyer définitivement en cabane et elle se servait de mon entourage pour parvenir à ses fins. Je devais leur donner un os à ronger ; n’importe quoi mais quelque chose sur laquelle ils puissent s’exciter. « Oui, toi tu peux rentrer mais pas elle, tonna Ronan Conchur en désignant Ginger du menton. J’ai des consignes ma belle et l’autre junkie ne rentre pas. Toi, tu te barres ! —Ecoutes, elle a besoin d’une piaule pour la nuit et je sais que tu pourrais me rendre ce service. Il y a un lit ici et…qui est avec toi ? —Un peu tout le monde ; Aonghus, Ó Cuinn, Mc Conaugh, O’More et McGill. Et on attend De Burgh, Mc Iosa et Paor. Tu vois il n’y a pas de place pour deux autres personnes.

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—On ne recueille pas les chattes errantes ici ! —Tu as entendu Duncan ? Alors du balai ! » En l’absence de Genan, Duncan régnait en maître sur ces Provos et j’avais sérieusement envie de les lui briser. Déjà Ginger redescendait l’escalier sans même m’attendre ; alors j’ai dû la suivre par crainte qu’elle ne se fasse écraser par une voiture. Furieusement elle se débattait, m’empêchant de lui attraper le bras pour lui venir en aide. On n’a pas fait cent mètres avant que la RUC ne nous tombe dessus ; ils nous ont jetés en cellule. La raison fut : cause d’ébriété sur voie publique, je n’avais encore jamais vu cela. Dans la nuit, alors que Ginger dormait contre mon épaule, le lieutenant McNeil entra dans la cellule et il m’a conduit dans une petite pièce. La lumière est faible, très tamisée et je ne vois que le regard de l’officier de la Special Branch et il a l’air particulièrement calme ; les mains posées sur sa cuisse, il balance sa jambe dans le vide. Je l’interroge du regard. « Pourquoi tu es venue chez moi l’autre jour ? —Pourquoi m’as-tu ouvert ? » Répondis-je sur le même ton. Et il a sourit en croisant les bras sur son pull vert à épaulettes kaki. « Quand j’étais petit je voulais être médecin, peut-être pour suivre les traces de mon père. Je n’avais pas beaucoup de tempérament tu sais ; j’étais plutôt le gosse qu’on ignorait jusqu’à ce que je trouve ma voie. Alors je suis devenu le mec qu’on respectait, Niamh c’est…c’est grisant quand enfin les regards se tournent vers

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vous pour vous saluer, tel un champion de boxe qui monte sur un ring. —Je n’ai jamais voulu être astronaute. —Je le sais. Comme je sais que tu baises Fingen pour lui soutirer des informations. Tout finit par se savoir ici ; il suffit d’observer et attendre que la bourde se produise. Les menaces de ton frère et ton insolence en disant long sur vos réciproques activités. —Tu as dû en manger des coups quand tu étais gamin pour vouloir postuler ici ? Devenir médecin aurait été plus gratifiant, mais je suppose que sauver des vies t’importe peu quand tu trouves plaisir à abattre tes pseudos-ennemis dans le dos. —C’est exactement ça, tu veux une cigarette ? » Il essayait d’instaurer un climat de confiance et si je plongeai, il n’y aura plus personne pour me venir en aide. J’ai refusé la cigarette et j’ai fixé les galons épinglés sous son épaulette ; on l’avait promu capitaine. Démétrius avait favorisé son ascension. Il a allumé sa cigarette et recraché la fumée de façon décontractée avant de me l’enfoncer dans la bouche. « Je te trouve un peu naïve. Tu penses vraiment que tu vas réussir ? Je ne te donne pas trois semaines avant que Fingen ne découvre la vérité. —Quelle vérité ? Je ne suis pas là pour jouer les Mata Hari ; alors il aurait valu que je m’y prenne autrement. —Comment ? Je suis curieux de savoir comment tu t’y prendrais. En t’observant bien je me dis que tu aurais peut-être une chance dans le contre-espionnage. Le SIS recrute et des agents comme toi contribueraient à la Sécurité de tout un Empire ; tu es déterminée, méthodique et

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tu ne reculerais devant rien pour assouvir tes fantasmes, déclara notre capitaine en souriant. On ferait du bon boulot avec toi. —Est-ce cela qui figure dans mon dossier ? McCullen ferait un bon agent de renseignements parce qu’elle couche avec Fingen ? C’est marrant mais je ne crois pas un seul mot de ton baratin. Comment elle s’appelle ta petite amie déjà ; celle que tu sors pour te prouver que tu es un vrai mec ? Christy Donovan, c’est ça ? —Ouais, tu vois tu n’étais pas si défoncée que cela. —Elle sait… —Elle sait quoi ? —Que tu as tué son frère en 1970 pendant la Bataille du Bogside ? Et c’est pour te faire pardonner d’elle que tu joues les Donjuan ? Et ton pauvre frère qui explose avec sa caisse pour finir cul-dejatte, tu crois vraiment qu’il existe une justice sur terre ? Tu es sous antidépresseurs McNeil et quand tu te lèves le matin tu es tellement shooté que tu ne sais même plus par quel trou tu as défoncé Donovan. Le truc avec les espions qui ont de la bouteille, c’est qu’ils se sentent invulnérables. Le ciel pourrait s’écrouler sur leur tête qu’ils seraient toujours à saluer leur drapeau et toi quand on te mettra sous terre, parce que les types de l’IRA auront posé une bombe sous ton cul, tu seras toujours là à dire que ce que tu as accompli est noble et que tu recevras la médaille du mérite à titre posthume». Silencieux il l’est resté pendant que je le fixai en serrant les fesses. « Et ensuite ? Tu penses t’en tirer comment ? Ils sont rusés tu sais et la plus grosse erreur est de les sous-estimer. Ce McGill, ce De Burg, de Mc Iosa et tout le

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reste. Ils sont compétents et très organisés, ce qui les rend particulièrement difficile à harponner ; ils se déplacent à la vitesse de la lumière et brouillent les pistes. Genan Fingen n’est pas un amateur et de toi, il sait tout ce qu’il faut savoir. Ils ont tout passé au peigne-fin : ton enfance à Dublin, tes études et tes motivations. Tu joues avec le feu Niamh et la Special Branch pourrait te couvrir si tu acceptais de nous rejoindre. —Vous rejoindre ? —C’est cela. A moins que tu n’es pas confiance en moi. —Je n’ai pas confiance en toi. —Pourtant je t’ai prévenu pour Démétrius même si tu n’as pas su convaincre le véritable concerné ; j’ai trahi mon camp pour couvrir Fingen et tu sais pourquoi ? Parce que tu me plais beaucoup, pas seulement sur le plan physique mais bien parce que tu me ressembles ; on cherche tous deux à prendre notre revanche sur notre passé et jusqu’à maintenant on a réussi à convaincre. Tu en as dans le ventre et c’est un trait de caractère que j’apprécie chez quelqu’un ». Il caressa ma joue ; j’ai détourné la tête et il m’a forcé à le regarder. Je savais qu’il mentait, flattant mon égo pour mieux pénétrer ma conscience ; il agissait comme une araignée qui attire les insectes en se faisant passer pour un des leurs. C’était un prédateur de la pire espèce et vous savez ce que cela fait de se retrouver dans ses griffes ? Vous vous sentez impuissant, prêt à céder aux chants des sirènes. « Tabasses-moi McNeil qu’on en finisse ». Cela ne pouvait continuer ainsi ; de retour chez mon frère ma décision fut

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prise : je devais les obliger à s’entretuer et la meilleure des attaques restaient la corruption et pour cela une seule issue s’offrait à moi : Stuker. « Pourquoi lui ? Questionna Ciaran en vérifiant la qualité de son tirage. Il sera dur à avoir tu sais et il va falloir y mettre le prix. Il travaille à Shankill Road, je sais ça pour être rentré en contact avec l’un de ses sbires, un dénommé Murrough Doyle. Une pointure en matière de proxénétisme ; c’est lui qui recrute les petites pisseuses d’Unionistes et ces lavettes de Loyalistes. Il a ses entrées au parlement soutenant leur politique, notamment le Special Powers Act. Ce n’est pas un tendre et il vient d’Ecosse, tu le remarqueras à son accent. Il est là pour cogner, rien de plus. Il fait équipe avec Les Hennessy, Nodlaigh Conn, Eolas Reilly et Kerwan Alton. Mais pour revenir à Roan Stuker…il ne te créera pas le moindre ennui tant que McGill ne sait rien de vos transactions à venir. Lui et Gall O’Mara cherchent à fédérer tous les protestants de l’Antrim et pour cela ils ont besoin de l’appui politique de McLay. La politique c’est toujours une histoire de gros sous et le commerce de Stuker en génère d’importants revenus. —Il me faut un point de chute à Shankill et des hommes prêts à me suivre dans les Enfers —Alors tu auras ton équipe ». Et ils vinrent : Owain Dónall, Ordan McMahon, Meallan Cleary, Oney O’Daly et Billy dont le véritable prénom était Roan Loughlin. Il me fallut peu de temps pour comprendre que ces partisans sous leurs airs d’amateurs étaient de redoutables mercenaires. Trois d’entre eux venaient de la mafia irlandaise de Brooklyn et avaient

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opérés parmi les Leprechauns et les Shamrock’s Club avant de débarquer ici et offrir leurs services de façon ponctuelle. C’étaient bien eux qu’il nous fallait : des tueurs à gages et des cambrioleurs de haut niveau ; nous avions les moyens de nous les offrir alors on les a recrutés. On avait des armes dans notre planque : des pistolets mitrailleurs de type Uzi, des fusils d’assaut comme les AK-47, des armes de poing, mais aussi des lanceroquettes de modèle RPG-7, des explosifs Powergel, des lance-flammes LPO-50 et des munitions ; assez pour permettre un siège de plusieurs semaines, voire de quelques mois en économisant sur les balles. Ils avaient pour mission de filer Conan Fingen, Genan Fingen, Cinéad Kinstry, le capitaine McNeil et Roan Stuker. Ils devaient tout savoir de leurs faits et gestes, leurs habitudes et leurs divers contacts. Leurs informations me provenaient des gosses des rues, des ménagères, des étudiants croisés ici et là, des clodos, des clients des Pubs, etc. Tout Belfast contribua à ce qui allait être notre succès. Le 23 novembre, soit dix-huit jours après avoir formé notre équipe ; Genan Fingen vint me rendre visite. Impeccable dans son costume noir, il déambula dans la pièce en observant les lieux. « Tu n’as toujours pas déballé tes cartons ? C’est pourtant chouette ici, cela change de la cage à lapins que tu avais chez les Mag Gabbhan. On raconte qu’ils vont bien, qu’ils se remettent lentement de ton arrestation du 13 septembre. Tu m’offres un café ? » Qu’est-ce qu’il fichait là ? Dans la cuisine, mes gestes me trahirent. Il restait

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très peu de café dans la boîte métallique prévue à cet effet et je sais que Fingen le prend toujours très fort. « Tu as fait une demande pour la Queen’s University ? » Dans l’encorbellement de la porte je le vis consulter le dosser d’inscription. La CIA avait fait le nécessaire en août et si officiellement je comptais parmi les étudiants ; officieusement je n’y avais pas encore mis les pieds car encore à Crumlin Road lors de la rentrée. Alors pour confirmer l’inscription je devais renvoyer ma candidature pour pouvoir me présenter aux prochains examens. « Oui, je…j’ai pour projet de réintégrer le milieu universitaire. Je n’ai plus de café, je peux te proposer du déca ? Seosamn Poar est passé avec Murphy et Mc Conaugh. Ils avaient l’air remonté. Je n’ai pas trop saisi le problème mais j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un plan astucieux pour fournir les services de transport de la ville. —Quoi ? De quoi tu parles là ? C’est quoi cette histoire ? —Je n’en sais rien Genan. J’ai fait un crumble aux pommes hier, tu en veux un morceau ? Assieds-toi et manges un peu de ma délicieuse tarte. C’est une recette de Madden ; moi j’y ai ajouté un peu de Marijuana pour relever le goût. —Et de quoi d’autres ont-ils parlé ? —Genan ! Ne sois pas si parano, tout tourne pour le mieux ! Tes hommes font un travail remarquable et tu devrais apprendre à déléguer un peu. Et te reposer… » Avec brutalité il m’a prise ; et moi de songer à Lochlainn pour me donner davantage d’ardeur. C’était ça mon secret : fantasmer sur un autre homme pour

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pouvoir prendre mon pied et je peux vous dire que c’est dément, surtout sous l’effet de la Marijuana. Alors à ce moment-là je devenais la Mohammed Ali du sexe et Fingen pouvait s’avouer vaincu par K.O. J’aimais dominer même pendant l’acte sexuel ; l’autre Mr X de la CIA m’avait parfaitement ciblée et je ne pouvais lutter contre ma véritable nature. Là j’avais envie de le mordre, de le frapper et de lui faire comprendre que j’étais une mante religieuse qui agissait sans état d’âme. « Vous fournissez des armes à la collectivité ? D’après un rapport, l’IRA dépenserait plus de 850 000 livres sterling dont les recettes proviendraient des holdups, du racket et l’aide de l’étranger. Or la participation des sympathisants irlandais ne représenterait que 120 000 livres sterling ; c’est bien peu quand on sait l’argent qui passe entre vos mains. Estil possible qu’un pourcentage de cette somme ne soit pas blanchi ? —A quoi cela te servirait de le savoir ? Ces chiffres sont erronés comme tout ce qui provient des bureaux de la RUC ; McNeil est un as de l’entourloupe. Il faut vraiment que tu arrêtes d’écouter ces petites histoires. Et depuis que tu es sortie de Springfield Road, je te trouve un peu distante et je viens à me demander si je dois vraiment te faire confiance. Je peux croire que tu sois agacée par leur acharnement mais de là à tenter de fuir Duncan… C’est quoi le problème avec lui, hein ? Tu es une grande fille et je ne supporte pas que tu le défis en public ; ici c’est mon équipe avec mes règles et je ne suis pas là pour arbitrer votre match. Cependant s’il venait à découvrir un truc sur toi, je le laisserai te buter, tu

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comprends ? Alors ne me poses plus jamais de questions ; ni sur mes gars ni sur nos méthodes de travail. Pour moi tu en sais déjà trop. —Tu me baises, alors je pensais bien pouvoir discuter avec toi entre deux salves ; si tu veux une femme moins loquace ramasses-la sur le trottoir. —C’était également mon intention. —D’accord, alors casses-toi ! Paies-moi et casses-toi ! Je suis sérieuse Fingen, en tant qu’Escort-girl je te facture mes services à 460 livres de l’heure et comme tu restes une à deux heures, je ne te ferais pas de tarif particulier. Donne-moi l’argent Fingen ! » Et lui d’attraper ma bouche pour y fourrer da langue ; je l’ai giflé et j’ai tendu la main dans l’attente de mon argent. Lentement il a fouillé sa veste, extirpé son portefeuille et sortit de l’argent. L’enfoiré ! Il le faisait vraiment, jouant à mon propre jeu pour me prouver que lui aussi n’avait aucun humour. « Fais gaffe aux MST que McNeil pourrait te refiler. —Il n’y a pas assez ! Tu ne m’as donné que 120 livres ! Où est le reste ? Tu vois quel client tu ferais ? Tu n’aurais même pas assez d’argent pour te payer une Escort et tu voudrais pouvoir profiter de moi sans contrepartie. Récupère ton sale fric… » Brusquement il m’attrapa par le bras pour me conduire dans la salle de bain ; il a fait couler l’eau tout en me tenant par les cheveux. Puis il m’a arrosé en insistant sur la bouche et il est difficile de respirer quand l’eau vous pénètre la bouche ; ajouté à cela la panique et l’étroitesse de la baignoire ; toute les conditions sont

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réunies pour vous faire passer un sale moment. « Je vais te laver la bouche une bonne fois pour toute ! C’est quoi ton problème, hein ? Tu crois que je ne remarquerais rien de tes déplacements ? Arrêtes de bouger… Arrêtes ! Si tu es encore en vie c’est bien parce que tu couches avec moi et pour rien d’autres. Si tu essayes de monter tes combines, je te crèves ». Il me fit sortir de la baignoire et me tendit une serviette alors que je peinais à respirer. C’est toujours mortifiant de prendre une raclée mais j’avais des nerfs d’acier ; un moral de guerrier et comme disait Nietzche : Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort. Accroupit devant moi, Genan Fingen m’observait silencieusement. « Si tu veux un scoop, Duncan va coincer la taupe de la Special branch ; ça aura lieu dans les jours à venir et on a déjà envoyé les cartons d’invitation ; une grande fête sans précédent. Tu vois, je ne garde pas tout pour moi ». * La voiture de McNeil a été piégée et le 26 novembre 1917, le véhicule sauta. Il n’était pas à bord. L’explosion a été programmée à distance ; la charge était assez puissante pour soulever le Titanic et le quartier a été soufflé, les vitres parties en éclat ont tapissés la chaussée. De la voiture il ne reste plus rien et un cratère s’est formé à l’emplacement même de l’explosion. Les médias se sont chargés de l’affaire et comme l’IRA n’a pas revendiqué cet acte, les Unionistes et les Loyalistes les

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accusent de lâcheté ; et la RUC se trouve être bien vite débordée quand deux autres explosent ; l’une à Shankill et l’autre à New Lodge. Des blessés et un mort. Et alors que j’attends au Q.G avec les autres, on nous apprend qu’il y a eu une fusillade à Shankill : on aurait tiré sur les sbires de Stuker. Au même moment, c’est ici à New Lodge qu’on nous attaque. Et c’est la pagaille. « Ces fils-de-pute sont prompts à réagir, tonna Mc Iosa en pénétrant la salle suivi par Poar et Murphy. Une bombe en plein New Lodge et cette fusillade, tu ne crois pas Fingen qu’on devrait passer à l’artillerie lourde ? Fingen ? —La bombe n’était pas la nôtre. Quelqu’un a cherché à imiter mon style, répondit-il perdu dans ses pensées. Et il est plutôt doué. —Tu peux le dire mais je suis un peu déçu que McNeil n’ait pas sauté avec sa bagnole. Vas nous chercher à boire toi et dis à la petite McCullen de ramener ses fesses. A te voilà (en me dévisageant la clope à la commissure des lèvres) et bien prends une chaise ! Je tiens à te remercier pour…pour tu sais quoi. —Vous m’expliquez ? —Ma femme est malade en ce moment, chef et Niamh m’a trouvé des médicaments. Alors par principe je la remercie. —Tu te mets à faire de la contrebande maintenant ? —Fingen, elle est réglo. Les médicaments en question ne sont pas en vente libre, il faut une ordonnance pour se les procurer et son intervention fut des plus bénéfiques. Le problème n’est pas là ; on a un sérieux problème à l’extérieur. La Red

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Hand et les types de l’Ulster Defence Regiment s’en donnent à cœur-joie et la note du boucher risque d’être salée si l’on ne revendique pas l’explosion de ce matin. Or il va être vingt heures, Fingen et la presse fait le pied-de-grue devant les locaux du Sinn Féin pour obtenir leurs aveux. Quelque en soit l’auteur, la bombe a été larguée en zone protestante contre un officier de la Special Branch et tu sais ce que cela signifie : battage médiatique pour savoir qui a le plus de couilles d’opérer à visage découvert. Ils vont vouloir nous en faire baver. —Moi je crois qu’ils savent pour l’arrivage d’armes, renchérit Murphy se curant les ongles avec un canif. Et ils veulent que la RUC soit sur le coup. —On ne t’a jamais appris à la fermer, hein ! —Quoi Siomon, tu ne partages pas mon avis ? Il y a un petit rigolo qui veut tous nous voir danser quand les balles vont siffler ; un sale traître assez véreux pour tous nous donner. Tu en penses quoi Lochlainn ? —Et bien que cela puisse servir de diversion. —De diversion ? Non, mais vous l’entendez causer ? Ici Lochlainn t’es pas sur ton ring ! Les coups que l’on échange ne font pas revenir à la vie. —Lâches-le tu veux ! Persifla De Burg, la main posée sur son épaule. Restes calme ! —Ne t’en mêles pas Murphy, coupa Siomon Mc Iosa en le fixant avec dureté. Retournes à ton bricolage et fais pas chier, petit ». L’ambiance était électrique, Mc Iosa caressa sa barbe poivre-grise en étudiant

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Murphy. Et lui de fixer Lochlainn comme prêt à lui sauter au cou pour lui trancher sa carotide ; des plus calmes ce dernier ne le lâcha pas des yeux. Quand Duncan frappa Seosamh Paor pour le faire dégager et une fois assis fit glisser un bout de papier en direction de Fingen. Après ces échanges de regard, toute mon attention se porta sur Lochlainn ; les poings serrés il paraissait étrangement calme mais je savais qu’à l’intérieur de lui c’était le désordre, la confusion la plus totale et il savait qu’ils ne le lâcheraient. Padraig Murphy tapa du poing contre le mur et sortit un cure-dent de son portefeuille pour le mordre ; il n’était pas dur de deviner à quoi il pensait, il suffisait de suivre son regard pour savoir ce qui l’agitait. «On ne change rien à ce qui est décidé. L’échange aura bien lieu à la date, au lieu et à l’heure prévus ; on ne change pas un seul détail. Conclu Fingen en posant le pistolet sur la table. Pas un iota, Lochlainn a raison : cela pourrait nous être profitable. —La RUC ne va pas nous lâcher, contesta Murphy, et il est possible qu’ils soient entrain de préparer nos cellules au Maze. Cela te fera quoi d’y retourner Fingen, hum ? De subir quotidiennement leur torture psychologique sans parler des agressions physiques et c’est ce qui nous attend tous. —La ferme Murphy ! On apprécierait tous que tu te taises. —Pourquoi ? Parce que tu sais que j’ai raison McGill et sérieusement ça me fout les boules. Je descends, je vais aller rejoindre les autres. —Là on est dans la merde, commenta Siomon, si Murphy pète un câble, il faut

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vraiment croire qu’on est dans une impasse. Duncan tu devrais descendre causer un peu avec lui…Merci. Tu penses comme moi Fingen ? Parfait, alors Lochlainn va chercher Kinstry et emmènes la petite McCullen avec toi ». En bas, accoudé au bar mon frère me vit sortir avec Lochlainn ; immédiatement il sut que Fingen venait de changer son plan. Quand on infiltre un gang, on se met à penser comme eux et tout devient alors plus facile ; pour eux Dalaigh Lochlainn était leur taupe mais un détail devait être éclairci. Avait-il ou non un lien avec Gall O’Mara ? Et on le trouva sur Springfiel Road ; l’œil collé dans son viseur. Il ne pouvait croire que Fingen le fasse chercher alors que la fête battait son plein. Alors que nous descendions l’escalier, Kinstry me fit un croche-pied, me frappa dans les côtés et colla un pistolet sur ma tempe. « Qu’est-ce que tu fais Kinstry ? —Ce que tu aurais dû faire depuis longtemps. McCullen t’a donné à Fingen ; cette chienne est une salope de la pire espère et là, il n’y a que nous trois. Alors descends-la ! Butes-la ! —Je ne suis pas leur taupe… —On est persuadé du contraire et Fingen veut que tu lui prouves ta loyauté en abattant cette chienne. Tu viens de Derry et on se connait depuis quoi ? Trois ans ? On veut être certain que tu n’es pas entrain de nous balancer à la Special Branch, alors descends-la Lochlainn, qu’est-ce que tu attends ? Tu hésites ? Pourtant tu n’en aies pas à ton premier homicide. Prends cette putain d’arme et tires ! » Alors il a pris l’arme de Kinstry et a appuyé sur la détente. Un bruit sec et

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ensuite, plus rien…J’étais en vie. Dieu avait voulu que je survive… Lochlainn se rendit compte que le chargeur était vide. Conclusion : on l’avait piégé. « C’est quoi le délire ? C’est un test d’initiation ou bien ? Et tu vas me dire que j’ai réussi avec brio. Enfoiré ! Alors je vais te dire un truc Kinstry : tu me refais un coup pareil et je t’étripe ! —Ah oui, je voudrais bien voir ça. Tu sais tu as beau vendre de la merde pour le compte de Riagal, cela ne te met pas à l’abri de Fingen et de sa bande ! Alors si tu ne bosses par pour la RUC, c’est auprès des Unionistes que tu te distingues. Toi, tu ne bouges pas ! (en me collant une gifle du revers de la main) Et arrêtes de geindre, en ne s’entend plus parler. Crache le morceau Lochlainn, avec qui tu causes de nos activités ? —Tu crois vraiment que je suis une balance, hein ? Regardes-moi bien Kinstry avant que je te colle mon poing dans ta sale gueule de petits merdeux ; tu crois vraiment ce que je vais te laisser m’insulter. Baisses ton putain de flingue, c’est entre toi et moi maintenant ! McCullen n’a rien à voir avec ce traquenard…. —Tu es sentimental maintenant ? J’agis sous les ordres de Fingen et si cela te pose un problème, viens en discuter à New Lodge et ce problème ne concernera pas que nous deux ». Les armes à feu crépitèrent tout autour de nous ; la surexcitation avait gagné chacun de nous et c’était la débandade, le capharnaüm et au-dessus de nos têtes les hélicoptères sondaient les immeubles. Ils volaient si bas qu’il semblait face de

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pouvoir les abattre au simple fusilmitrailleur. Et Dalaigh Lochlainn de « m’apprendre » à charger un AK-47 ; silencieusement je l’ai imité et j’allais rejoindre les autres à l’angle de la rue quand il me plaqua contre le mur délimitant deux rangées de maisons. Frappée d’ébahissement, je compris à son regard qu’il se passait un truc. Il me poussa à l’intérieur d’une arrière-cour ; il se mit à pleuvoir et à l’abri sous un auvent, il m’a demandé une cigarette. Comme pris de délire, il déchira l’intérieur du paquet pour en sortir un micro qu’il jeta à terre pour l’écraser. La CIA me filait toujours par le biais de mes propres contacts. J’étais verte de rage. Il a vérifié l’intérieur de mon long manteau noir de style militaire de la Stasi et palpé mes jambes pour s’assurer que je n’avais pas d’autres micros posés sur moi. « Je ne savais pas… —Ne te rends pas demain chez Mc Iosa. C’est le seul conseil que je puisse te donner. Tu devrais freiner un peu et regarder les oiseaux chanter plutôt que de jouer aux petits soldats. —J’apprécie que tu veuilles jouer les anges-gardiens, mais tu devrais toi-même d’occuper de tes propres affaires. Tu oublies que c’est toi qu’ils veulent. Quant à ce micro, c’est un terrible malentendu et je crois qu’on cherche à me faire plonger ». Il a posé son index sur mes lèvres ; a caressé la joue avant de baiser mon front avec tendresse. « Je le sais et je vais m’occuper de ça. Embrasses-moi…

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—Quoi ? Je suis avec Fingen et s’il apprend il va te couper les couilles, tu sais que… » Il recouvrit mes lèvres des siennes. Je frissonnai d’aise tandis que la pluie martelait l’avant-toit et mes mains glissèrent sous sa chemise. J’avais envie de le caresser et il a retenu mon ardeur. « Pas maintenant, il est encore un peu tôt pour les câlins. Gardes ça pour Fingen. Est-ce qu’il te respecte ? Tu peux me répondre en toute franchise Niamh ; je veux savoir si un jour tu serais prête à le tuer. Duncan semble très agacé par son comportement. —Agacé lui ? Duncan est un monstre. —Mais tu lui plais et il suffirait d’un petit choc pour amorcer la bombe. Tu comprends ? Et ce choc c’est toi. Si Fingen doit couper les couilles de quelqu’un, ça ne sera pas les miennes. Mc Iona organise une petite fête demain pour le rétablissement de sa femme et il y aura tout le gratin ; Riagal a les poings qui lui démangent en ce moment et avec ce qui s’est passé aujourd’hui il n’aura pas envie de te voir débarquer comme une fleur dans notre réunion ». Et le lendemain je m’y rends ; tout le monde est là et Abel Riagal fait la gueule en me voyant et Rowlant Aonghus pose une main rassurante sur son avant-bras. L’heure ne semble pas être à la décontraction. Pour une petite fête prévue pour l’épouse de Mc Iosa, je ne vois aucune femme ici. Ils sont tous là à me fixer étrangement ; qu’à cela ne tienne, je me sers une Guinness et une espèce de pudding conçue par Mrs Mc Iosa. Où est Lochlainn ? Curieusement il y a du mouvement dans le couloir et en penchant

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la tête, je vois Mc Conaugh sortir de la salle de bain. « Qu’est-ce qui se passe là-bas ? —On a notre taupe ». Alors mon souffle se coupe. Mon cœur bat à rompre. L’envie d’uriner est là. Ils ont attaché Dalaigh Lochlainn à une chaise. Une seule issue la fenêtre. La baignoire est remplie de glaçons. Six hommes se tiennent ici dont Fingen. Le sang souille la chemise de Lochlainn et la tête penchée sur ses cuisses, il semble s’être endormi. Merde ! Et Kinstry est parmi eux. Le coup des micros coupés n’a pas dû l’enchanter mais là on joue cavalier-seul. Je comprends mieux maintenant pourquoi Lochlainn ne voulait pas que je vienne ; il savait qu’ils allaient le passer à tabac ; il savait qu’il allait en crever, ce qui justifiait ce baiser et les conseils concernant Duncan. Les manches retroussées, Fingen avait du sang sur les articulations et sur son pantalon. Oui, il m’avait brutalisé en me plongeant dans la baignoire ; j’étais prête à me venger en l’abattant sur le champ. « Tiens on a de la visite, plaisanta Fingen le rictus au coin des lèvres. Tu viens au bon moment Niamh ; Lochlainn allait avouer bien des choses. —Et vous allez l’abattre comme vous avez abattu Beck ? Non, mais ouvrez un peu les yeux ! Il n’y a pas que Dalaigh Lochlainn dans ce foutu Belfast à avoir été intimidé par la RUC ; on est combien à avoir été sollicité ? Tous ici avons fait l’objet d’une enquête, alors on est tous suspect, non ? Mais la Special Branch a une botte secrète et un talon d’Achille.

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—Qu’est-ce que tu baragouines McCullen ? Questionna Duncan avant de pointer son arme vers moi. Pose ton flingue ! —Ne panique pas McGill, mon chargeur est vide. Il me faudra six secondes pour le recharger, ce qui vous donnerez suffisamment de temps pour m’abattre ; à vous de poser vos flingues. Fingen dit à tes hommes de poser leurs joujoux… (Et j’ai fait glisser mon arme de poing vers Duncan) Kinstry a défié Lochlainn hier dans un superbe numéro de roulotte russe dont j’étais la cible. L’enjeu était la loyauté de Lochlainn envers toi, Fingen et il a tiré. S’il y avait eu une balle ma cervelle aurait volé en éclats. Voilà le peu de cas que tu fais de ma vie et aujourd’hui j’ai cruellement envie de faire participer Murphy. Ta loyauté sur la tête de Lochainn. —A quoi tu joues pétasse ? —A toi de me le dire. C’est toi qui a remis le sachet de poudre à Summer pour qu’on l’accuse d’avoir sympathisé avec Stuker. Elle était mon amie, enfoiré ! —Tu mens ! Cette chienne ment ! Tu ne vas pas la croire Fingen ! Tu ne vas pas croire un seul mot de ce qu’elle raconte, parce que cette salope ment ! » Fatiguée de l’entendre, j’ai braqué un autre pistolet sur Murphy et les hommes ont commencé à s’exciter. « Non, je ne mens pas. Prends ce flingue et jures de ta loyauté sur la tête de Lochlainn…Je manque de persuasion on dirait ; à croire que je n’ai pas les talents de Kinstry. Alors dis-moi un peu ce que tu faisais le 3 novembre à Manor Street ? Tu nous filais Lochlainn et moi, mais pour quelles raisons ?

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—Je vais te crever McCullen ! Je te jure que je vais te saigner, sale putain ! Il t’a payé combien McNeil pour que tu nous montes les uns contre les autres ? Tu l’as bien sucé pour éviter de retourner à Crumlin road et j’imagine que tu y as pris un certain plaisir. Faites la sortir, j’en ai assez entendu ! —Mais eux non. Alors que tu pensais être tranquille, tu as été pris la main dans le sac, vois-tu ? Tu as tiré sur McLay en prenant soin de ne pas le blesser, ce qui est très touchant mais un Provos n’aurait jamais manqué sa cible, surtout d’aussi près. Je pense que tu devais être troublé de devoir abattre ton nouvel ami. —Tu n’as aucune preuve de ce que tu avances ! —Moi non mais Ler Hennessy et Kerwan Alton pourraient servir de témoins. Tu as été sollicité par Gall O’Mara pour le renseigner sur les camions de Riagal et… —La ferme ! —Putain c’est quoi ce raffut ! Tonna Siomon Mc Iosa en entrant dans la salle de bain. Est-ce que tout va bien ici ? » Personne ne répondit. J’avais fait mouche et le temps que l’information percute dans l’esprit de chacun, Mc Iosa me frappa pour récupérer mon arme. Après le coup dans les côtes infligés par Kinstry et celui-ci j’étais prête pour la rééducation. « J’avais pourtant été clair, Fingen. Pas de femmes. Hey ! Ça va les petits gars ? Elle va bien McCullen (en m’aidant à me relever). Dis-leur que tu es capable de marcher. Allez, debout ! » Je ne pouvais plus respirer ; il m’avait brisé les côtes et j’allais devoir rester allongée un bon moment.

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« Duncan…Il faut que tu me crois. —Fermes-la, salope ! — Foutez-la-moi dehors, pesta Fingen avant de plonger son poing dans le thorax de Lochlainn. Oh et…je ne veux plus te revoir ici McCullen, tu perturbes nos réflexions ». * Au lit avec de la fièvre, mon frère jouait les infirmiers à domicile. Tandis que l’effet de l’haschich atteignait mon organisme, Duncan entra dans ma chambre, une boîte de chocolat à la main. Et moi de sourire bêtement, allongé sur un nuage bien moelleux au milieu des anges ; je voyais le monde sous un autre angle. « Tu sais j’ai réfléchi à ce que tu as dit sur Murphy et…Tu m’écoutes là ? Niamh ? Je t’ai ramené du chocolat…Les choses ne vont pas comme on voudrait qu’elles aillent. Tu devrais aller à l’hôpital et te faire soigner. —Je déteste les médecins…Ils m’ont toujours terrifiés et cela depuis ma naissance. L’accouchement n’a pas dû se passer comme il le fallait. C’est tellement compliqué… —Quoi ? Comment ça ? Qu’est-ce qui est compliqué ? —Tout cela. Mais heureusement que tu es là (en posant la main sur la sienne). C’est important la famille. Où est la tienne Duncan ? —Ma femme n’est plus de ce monde et…parles-moi de Murphy. Comment tu as su pour lui ? Si tu veux que je te croie, il faut que tu me dises tout ce que tu sais ; en commençant par le début. Fingen

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n’admettra jamais qu’il s’est planté, mais je peux gérer cela à ma façon. —Hum…tes chocolats sont très bons. Tu aurais dû prendre deux boîtes, j’en raffole ! Dis-moi comment va Lochlainn. —Il y a quoi entre toi et lui ? » Lochlainn était mon ami, le seul que je n’ai jamais eu ; il était en vie et c’est tout ce qui m’importait. Alors j’ai dit tout ce que nous savions sur Padraig Murphy ; « nous » inclus toute la bande fraîchement recrutée. Les infos une fois recoupées nous permis de conclure qu’une chose : Murphy les avait baisés. « Tu sais que Stuker ne se laisse pas facilement approcher alors dis-moi un peu comment tu t’y es prise. —D’accord, j’ai su que quelque chose ne tournait pas rond la veille de Démétrius. Fingen m’avait offert un verre et Murphy a eu un comportement étrange ce jour-là. Alors que votre amie se produisait sur scène, il a laissé un gros pourboire au serveur. Il a arrosé le personnel de l’établissement ; cela aurait pu être anodin mais pas quand il a mentionné que : McCullen rimait comme une mauvaise blague. Il savait de moi quelque chose que vous ignoriez ; l’arrestation de mon père peu après les élections de Kennedy. Cela n’a pas dû vous interpeller mais moi si. Ce genre de renseignement s’achète mais pas n’importe où ; il devait avoir une relation très haut placé et il me fallait la trouver. Pour suivre un homme véreux, il faut suivre l’argent. Alors j’ai soudoyé le type du Pub pour qu’il me remette un complément d’info : est-ce que Murphy était ambidextre ? Il a contrefait la drogue de Lochlainn et tiré sur McLay de la main gauche et quand il a sorti son portefeuille

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chez Mc Iosa, il l’a fait de la main gauche. Verdict : ce type est ambidextre. —Ambidextre ? Et cela t’a suffit à le conduire auprès de Stuker. —Oui. Une fois que je l’ai découvert, j’ai eu la visite de Ginger ; elle est shootée à la coke. Mais la drogue avait été coupée avec de la saleté dont j’ignore le nom. Quelqu’un voulait m’envoyer de nouveau au trou, me restait à savoir qui ? Et ce soirlà Murphy n’était pas avec vous, mais auprès de la RUC puisqu’ils ont tout de suite su où me trouver. Quant à l’attitude de McNeil, elle...il a eu une mise à pied, Duncan ! Ce gars est le meilleur de la Special Branch et il n’est pas prêt à mourir pour une cause qui le dépasse ; à savoir cette balance de Murphy. Il a vendu Fingen parce qu’il fricotait avec moi. Je sais que cela peut paraître aberrant, mais pas quand on a pour ambition le pouvoir et Murphy en veut toujours plus. J’ai essayé d’avertit Fingen et quand je lui ais dit que ces gars prévoyaient d’élargir leur terrain de compétences, il m’a gentiment demandé d’aller me faire foutre. —C’est quoi ton putain de problème Niamh ? Tu auras mangé tout ton chocolat et je prévois une bonne crise de foie. Alors c’est ça, tu es là pour faire du nettoyage ? Est-ce personnel ? (en s’allumant une cigarette) Laisses-moi deviner la suite… Vexée par le comportement de Fingen tu décides de soudoyer les petites salopes de l’UVF en contactant Stuker. Mais la suite m’échappe un peu. Pourquoi lui précisément ? » Le pistolet fut sorti de la poche de sa veste ; il le posa sur le rebord du lit et les jambes croisées, il m’a encouragé à poursuivre.

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« Pourquoi ce flingue ? —Tu vas avoir de la visite…Murphy dit que tu nous ballades depuis le début, alors le seul moyen de t’en sortir » Et ils ont défoncé la porte ; Murphy était là et mon frère aussi. Le grand rouquin de Mc Conaugh a tout saccagé. Comme mon frère a tenté de s’interposer, Duncan l’a frappé au visage ; le sang a coulé. Là j’avais envie de vomir et Fingen semblait fou de rage. « Tu bosses pour qui McCullen ? —Pour personne. —Ce n’est pas une réponse ». Il m’a fracassé le nez avec la crosse de son pistolet. Putain ! Je crois que j’ai le nez cassé. Ça fait un mal de chien…Oh, mon Dieu ; à ce rythme-là je vais crever la gueule ouverte et Fingen me relève prestement. « Duncan fais la causer un peu. —Non, attendez ! Je vais parler… demain…onze heures à l’interception de New Lodge et de Lepper Street. Réduire une heure…pour avoir l’heure de livraison de la marchandise…véhicule noire de la société Barney’s se tiendra postée non loin pour couvrir votre sortie. —C’est quoi ce bordel ? Comment elle sait tout ça ? —Je vous l’ai dit, elle bosse pour la Special Branch, aboya Murphy en me crachant au visage. Cette salope connait notre plan ! —Attendez ! Comment l’aurait-elle su ? —Je t’ai dit de la fermer Ciaran McCullen, rouspéta Duncan en le frappant de nouveau. Maintenant Niamh, tu vas te montrer conciliante et faire un brin de causette.

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—J’ai dit tout ce que je savais…et eux aussi le savent… —Qui ils ? —Gall O’Mara et les inspecteurs de la RUC…Ils vont vous coincer après la livraison d’armes. C’est leur plan… Fingen, je t’ai…prévenu pour Démétrius comme j’ai essayé de te prévenir que tu faisais fausse route…Je ne t’ai pas laissé tomber…si tu ne me crois pas…si tu penses que je t’ai trahi, tues-moi (il a braqué le canon de son arme entre mes deux yeux) mais souviens-toi de ce que je vais te dire. Il y a une bombe placée à l’interception de New Lodge et de Lepper Steet…Elle sautera une demi-heure avant votre présumé rendez-vous et…la RUC avec elle ». Et Murphy a sorti son arme aussitôt arrêté par Duncan et Fingen. A deux contre un, il n’avait aucune chance de s’en tirer. « Qu’est-ce que tu en penses Duncan ? —Qu’on devrait aller faire un petit tour, hein Murphy…juste nous trois. Allez viens par ici mon gars ». Une fois sortie, Siomon Mc Iosa a pointé son gros index bagué vers nous deux. « On vous a à l’œil tous les deux. Et surtout toi (en me désignant) Ils vont tirer ça au clair et quand on saura le strict mot de l’histoire…Cela va faire du bruit et si tu nous as menti, l’on ne te fera pas de fleurs Niamh McCullen ». Puis ils sont revenus, m’ont mis la tête dans un sac, fait monter dans une voiture pour me conduire au lieu de mon exécution ; non loin des chantiers navals et je le sais pas l’odeur salée et du cri strident des mouettes. Là on me mit à genoux, ôta le sac de ma tête et je découvris le décor : un ancien entrepôt avec ces vieilles poulies

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rouillées, ses détritus en guise de tapis, les débris de verre et la poussière amassée là depuis des lustres. Sans me ménager ils me jettent sur une chaise et on me délie les poignets ; je ne fais plus ma maline ; je fixe Fingen, les larmes au bord des yeux. A coin pense-t-on quand on se tient devant un peloton d’exécution ? A la vie meilleure que l’on aura dans l’au-delà, probablement et ils laissent seul avec le père Padraig Donoghan ; un prêtre pour recueillir mes dernières confessions. Assis près de moi, il baisa son bréviaire et plongea un regard noir dans le mien. « Niamh McCullen, quand ils sont venus me chercher, je me suis demandé ce que tu avais encore fait qui ait bien pu les enrager à ce point. Quand j’ai réfléchi et une évidence m’est apparue : tu es ici pour faire des affaires. Le profit ici, en attire plus d’un. Dernièrement j’ai eu de la visite au presbytère, un type qui venait de s’être refait le portrait et qui pensait qu’il ne s’en tirerait pas. Une petite frappe de Ballymurphy dévorée par le vice. Je le connais depuis toujours, depuis son baptême pour être précis et rien n’aurait pu laisser envisager qu’il allait se mettre à voler de la ferraille et commettre des cambriolages pour pouvoir s’acheter de la viande pour sa mère. Mais d’autres… d’autres le font pour diverses raisons. —C’est Murphy qu’il faut interroger, pas moi. —Je les connais tous ici. On a tous grandi ensemble et personne ne croit un mot de ton baratin. Personne. —Je comprends ; alors cela leur donne l’immunité hein ? J’ai consonné du LSD, fumé du haschich et snifé de la coke ; si

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vous voulez plus de détails sur la liste des vices, je peux vous la fournir mais jamais je n’ai cherché à épingler Fingen auprès de la Special Branch et si je ne suis pas native de Belfast, j’ai jusqu’à maintenant fait preuve de loyauté envers les Provisoires quand d’autres ont trouvé plus judicieux de passer à l’ennemi. —Es-tu en colère en ce moment ? As-tu envie de venger la mort de Summer ? C’était une droguée, n’est-ce pas ? Attends, ne m’interromps pas s’il te plaît ! On sait qu’elle avait été contactée par deux hommes dont elle ignorait l’identité et quelques heures plus tard elle mourrait. Or ils voulaient lui proposer un job. C’est bien à toi qu’elle se confiait le plus et au cours d’une conversation elle aurait bien pu glisser le nom de Murphy, ce qui aujourd’hui te laisse penser qu’il ait joué un rôle dans son overdose. Tu es en colère Niamh et justice ne pourra être faite que si tu acceptes de laisser Fingen gérer ses propres affaires ». Alors j’ai accepté. Ils ne voulaient pas me tuer tant que Ciaran leur ramener de l’argent ; leur putain d’oseille et Genan Fingen voulait encore de mon cul comme un drogué sa came pour ne pas avoir se trouver en manque. Et il disait qu’exceptionnellement ils fermeraient les yeux sur mon délire du 29 novembre. Ils se fichaient de savoir que Murphy fournissait des informations à Roan Stuker sur la drogue ; Dalaigh Lochlainn était là pour dissuader quiconque de toucher à leur commerce et Fingen de lui donner les moyens de se réaliser. Quant à nous, le plan restait inchangé. Le 30 novembre à 9H30 la bombe explosa et je donnais dix minutes à la RUC pour

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venir me coffrer ; à la place de cela Lochlainn me fit monter dans sa voiture. Il pleuvait à verses et il roula à grande vitesse, sans se préoccuper ni de la circulation ni de l’état de stress dans lequel devait se trouver le reste de l’équipe de Fingen. Dans cette planque se tenait Duncan McGills, sans personne d’autres autour de lui et quand Lochlainn partit, je sus pour quelle raison j’étais là. « Détends-toi Niamh, je ne vais pas te violenter si c’est ce que tu crains. Enlèves ton manteau et donnes-moi ton sac…Non, restes assise ! (en prisant mon épaule de sa main) C’est bien toi qui a posé les bombes l’autre jour ? Détends-toi, déclara ce dernier en me caressant la joue d’un revers de main. J’apprécie les efforts que tu fournis pour sauver les miches de Fingen mais n’attends rien de lui en retour. Il fréquente la fille de Riagal et il est question de mariage. Riagal tient à ce que Fingen rentre dans la famille, tu sais ce que cela veut dire ? Il va nommer quelqu’un pour lui succéder et tel un bureaucrate, il s’en ira bosser au QG de l’IRA comme il a toujours rêvé de le faire. (Il s’assit sur ma droite) Il faut que tu le saches avant que cela ne devienne officiel ». Je restai impassible jusqu’à ce que la main de Duncan se pose sur la mienne. Je ne le sentais pas…La CIA allait me tomber dessus insatisfait par mes compétences ; tant que je couchais avec Fingen il l’avait à l’œil, mais là je risquais de me retrouver empoissonnée tout comme Summer ou pis encore, dans une prison pour le restant de ma vie. Et Duncan posa un paquet sur mes cuisses. Comme je l’interrogeai du regard,

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il me fit signe d’ouvrir et je tombai sur une main. Horrifiée je l’ai jeté au loin avant de me lever d’un bond. « C’est celle de Murphy ; il a eu un stupide accident hier soir en rentrant chez lui. Il s’est brisé la nuque en tombant de l’escalier. N’aies pas peur Niamh, détendstoi…(en enserrant mon visage entre ses mains) Lochlainn et McIosa sont au courant et pour le moment ce sont les seuls à l’être. Mais si j’apprends que tu cherches à me la mettre bien profond, c’est ta main que l’on trouvera dans une boîte ». Et comme je l’avais craint, Mr X me contacta à la bibliothèque de Alliance Avenue, le nez dans de la poésie de Yeats, il quitta la pièce pour m’inviter à le suivre dans la salle d’archives et là, il alla droit au but après m’avoir observé de la tête aux pieds. « Dois-je te rappeler notre contrat ? Tu fais tout en dépit du bon sens et c’était quoi cette bombe à New Lodge ? Tu fabriques des bombes maintenant ? Fingen pense que ce n’est pas toi. Il ne te croit pas si brillante quant à McGill, il te croit capable du pire et c’est ça qui nous pose problème. Un putain de problème à vrai dire. Comment c’est l’Université ? Dans quel genre d’embrouilles tu vas nous conduire McCullen ; parce que là on ne peut plus te faire confiance. On devait arrêter Fingen hier et le cuisiner un peu ; à place de cela tu nous fais perdre un temps fou et… —Il va épouser la fille de Riagal pour ensuite obtenir un poste au QG de l’IRA. Si vous voulez votre homme, laissez-moi faire ». Lentement il s’assit sur le rebord d’une table, les bras croisés sur la poitrine. Je ne

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pouvais oublier de quelle façon Kinstry avait joué ma vie pour faire parler Lochlainn ; la CIA contre le MI6 mais ni l’un ni l’autre ne savait à qui ils avaient à faire. C’était cette piste que je devais exploiter. Mon équipe de mercenaires avaient pour ordre d’appuyer sur la détente et d’abattre Kinstry si ce dernier voulait me faire la peau. « La fille de Riagal dis-tu ? C’est de l’intox, cette info est bidon et tant que je n’ai obtenu conformation de la part de mes agents, tu fais profil bas et tu t’arranges pour que Fingen ait encore envie de toi. —Duncan a abattu Murphy et lui a coupé la main gauche. Lochlainn et Mc Iosa sont les seuls témoins de ce meurtre. Ils vont s’entretuer les uns après les autres et tu n’aurais plus qu’à cueillir Fingen alors privé de protection. —C’est ça ton plan ? Diviser pour mieux régner, hein ? Tu veux encore la faire à ta sauce, alors écoutes-moi bien… —Non c’est toi qui m’écoute ! J’ai assez morflé ces derniers temps pour ne pas savoir que le temps m’est compté; je sais que l’Agence peut m’éliminer à tout moment et je sais que cet enfoiré de Kinstry appuiera sur la détente, c’est votre nettoyeur et il n’est ici que pour cela. Le jour où cela se produira Richard Helms recevra un joli microfilm sur lequel figurera un tas de renseignements connu de moi seule. Et je peux te dire que l’effet sera l’équivalent de quinze kilotonnes d’uranium 235 à Langley et sayönara à tout le personnel de la Virginie. —Attends, tu crois d’adresser à qui là, McCullen ? J’en connais un paquet sur toi, alors ne comptes pas me manipuler ; à ce jeu-là tu serais perdante.

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—Pas tant que le microfilm est en ma possession ». Les bras autour du cou de Lochlainn, je me laissais aller ; j’adorai le sentir contre moi et frémir à chacune de ses caresses me faisait l’aimer plus que de raison. Il avait cette cicatrice sur l’arcade sourcilière, un cadeau de Duncan pour obtenir ses aveux et je l’aimais avec toutes ses balafres et ces cocards. On a sniffé un peu de coke avant de se lécher sur le ventre et les tétons, sur les fesses et à l’entrejambe ; c’était bon comme une chanson de Buffalo Springfield et j’ai joui avant même qu’il me prenne. A deux heures quinze du matin, on frappa à la porte ; l’un des sbires de Lochlainn venait annoncer qu’il y avait du grabuge à Ardoyne road : l’un des dealers avait abattu l’un des hommes de Stuker sur Sandy Row et Murrough Doyle n’allait pas se laisser faire. L’échange risquerait d’être musclé. Le lendemain je devais rejoindre les autres universitaires à la Queens pour rendre mes copies, des pages et des pages de dissertation sur la colonisation anglaise d’Henri II d’ Angleterre aux « Lois pénales » de 1695 et 1727. Ces Lois étaient un ensemble de discriminations économiques, sociales et politiques vis-àvis des catholiques et force de constater que rien n’avait changé depuis. Et à trois heures trente, c’est Fingen qui s’annonça chez Lochlainn dans un costume noir, suivit par Duncan ce descendant de vikings aux muscles saillants. Silencieusement ils traversèrent la pièce et Fingen renversa de l’eau sur la coke laissée sur la table basse.

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« Je ne veux pas que tu touches à cette merde. Rapproches-toi Niamh, je veux que tu te me racontes ce que tu sais sur Stuker. J’ai diné avec Riagal et… (Tendrement il me caressa la joue) comme tu peux t’en douter, on a parlé de toi. Murphy a été retrouvé mort. Peut-être sais-tu qui l’a descendu ? On va tirer cette histoire au clair et ces lopettes d’Unionistes font toutes chier dans leur froc. Lochlainn est parti faire le ménage et apparemment il se tape ma femme…Tu peux croire ça McGill ? Je t’ai un peu surmenée ces derniers temps mais ouvrir tes cuisses pour ce péquenot de Derry, c’est de la provocation et de la trahison. —Tu ne me fais pas confiance. Comment pourrais-je vivre avec un homme qui est prêt à le donner en pâtures à ses hommes. Tu n’as pas idées des souffrances et des privations que j’ai endurées pour toi ; je suis là à essayer de te faire comprendre ce que tu perds mais tu préfères aller diner avec Riagal pour couvrir des yeux une autre femme. Tu veux que je te dise ce qui fait mal, Genan ? C’est le jour où tu es venue me chercher à Crumlin Road et que tu m’as demandé de m’épouser…Je t’ai cru sincère. —Tu n’étais plus vierge quand je t’ai prise. On est en Irlande ici, pas à Los Angeles ; les femmes dans l’Ulster on les épouse vierges ou on les enferme dans couvents de la Madeleine pour qu’elles se repentissent de leurs pêchés. —Non mais je rêve ! Tu parles de ces institutions pour les prostituées professionnelles et ses filles-mères ? Je suis heureuse qu’on ait inventé la machine à laver le linge afin de libérer ces pauvres

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femmes et toi tu me parles d’un retour radical à… —C’est comme ça et si tu n’es pas heureuse tu retournes à Dublin avant que je te jette dehors de force ; Dieu a un plan pour moi et tu ne sembles pas en faire partie. Oui je sais, je te dégoute mais il n’y a pas de place pour toi dans ma famille ». Bad Trip ! Riagal l’avait monté contre moi ; toute cette satanée famille unie jusqu’à la mort faisait obstruction à mes projets. J’étais furax et plus encore quand dans la rue, une voiture me filait le train. Probablement les types de la Special Branch, il leur arrivait bien souvent de manquer de discrétion. Owain Dónall fila mon Mixter X de la CIA. Il n’était autre que le professeur Indech Mc Gerailt et il écrit un livre pour l’université de Princeton. Ses grandsparents et arrière-grands-parents avaient fui l’Irlande pour s’installer à Boston et dans le New Jersey. Pour lui de très nombreux contacts dans le milieu littéraire et politique ; et son père siégeait en tant qu’adjoint du sénateur Edward Moore Kennedy, surnommé Ted Kennedy opposé à l’avortement en 1971, il finit par changer d’avis une fois que la Cour suprême des Etats-Unis ne la légalise. Indech Mc Gerailt avait publié trois ouvrages pour les universitaires sur l’économie de l’Irlande que je m’empressai de louer à la Queen University. Il écrivait bien, jolie plume et bonne argumentation. Il maîtrisait son sujet et l’on ne pouvait pas en dire autant de ses compatriotes issus de la diaspora irlandaise. Et il ne devait pas s’attendre et ce que je vienne troubler son déjeuner dans une restaurant huppé du centre-ville. Entouré

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par trois hommes en costume, il cessa de parler en me voyant m’installer en face de lui. Pour l’occasion je portais une robe noire très cintrée à l’encolure prononcée descendant assez profondément pour exciter la gente masculine. Avec grâce je tendis un billet au maître d’hôtel qui s’empressa de m’apporter un excellent vin français et sans lâcher Mc Gerailt des yeux, je fumais et m’assura qu’il me suivrait aux WC. « Vous fumez ? J’ai égaré mon feu… » Il m’alluma, craignant qu’à tout instant on fasse interruption dans les toilettes. Cela ne serait pas bon pour ta réputation ; on le disait chaste et célibataire endurci et cette info je la tenais de sa secrétaire de Princeton. « Je tiens confirmation que ton ami va épouser la fille du grand Pacha. On va le perdre si tu ne te montres pas plus acharnée. Ecoutes Niamh (il se passa la main sur le visage) c’est moi qui fixe la date et l’heure de nos entretiens, alors… Oui, il fait remarquablement doux en cette période, mais je crains que le bon temps ne reste » Une femme venait d’entrer pour se refaire une beauté ; elle me jaugea, sortit son tube de rouge à lèvre tandis que je répondis à la question d’Indech sur le temps particulièrement clément que nous avions à Belfast. Une rapide anecdote qui fit sourire notre agent de la CIA ; la femme repartit sans rien soupçonner. « Ne me lâches pas sur ce coup, d’accord ? Ou je te fais trouer la peau pour ne plus avoir à contempler son air satisfait. —Ce n’est pas mon intention maintenant que je sais qui tu es, seulement je suis un peu triste que tu aies tardé à te présenter.

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En passant j’ai dévoré tes livres et j’ai découvert que l’on n’est pas différent l’un de l’autre. Mon rendez-vous ne va pas tarder…au plaisir Mc Gerailt ». Mon rendez-vous arriva en la personne de Shane McLay. L’attentat manqué contre sa personne avait eu pour effet de le rendre parano ; il souffrait du syndrome posttraumatique et il nous a fallu le convaincre de l’importance de ce déjeuner pour qu’il accepte de se rendre dans un lieu public. Et ce n’est qu’après avoir observer son environnement qu’il s’assit là devant moi, des plus nerveux. « Pourquoi cet endroit Miss McCullen ? Vous savez que je suis de notoriété publique et que je n’ai pas pour habitude de m’afficher en compagnie d’une…d’une femme aussi jolie que vous sans qu’on pense à mal. J’aimerai commander maintenant. Où le serveur ? (Et il passa sa commande) Je n’ai pas vraiment beaucoup de temps à vous consacrer. Alors allons à l’essentiel, si vous voulez bien ? —Depuis quand entretenez-vous vos relations avec le MI6? (Il me faudrait songer à arrêter de fumer). Je suppose que c’est bien eux qui vous aient donné envie de trahir l’IRA. Non, ne regardez pas derrière ! Personne ne viendra vous abattre aujourd’hui ; ils sont tous à festoyer chez Riagal et il semblerait qu’ils aient délibérément oublié de m’inviter. Qu’estce qui vous aurait tant déplu Mr McLay ? Est-ce que tout cela aurait un rapport avec les élections de 1968 ? » Il resta à m’observer un bref instant ; sur la table de droite la femme blonde croisées aux WC gloussa tout en faisant du pied à son interlocuteur. Et Mc Gerailt quant à lui avait une folle envie de poser une micro à

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notre table afin d’écouter notre conversation. On diffusait du jazz dans ce restaurant et la fumée des cigares avait l’avantage sur les volutes de mes cigarettes. « Vous voulez quoi ? Le MI6 ne m’a jamais contacté, affirma ce dernier en caressant sa cravate. On va déjeuner sans se soucier de la politique et de ses représentants. Dieu que le service est long…Monsieur, s’il vous plaît (et il se plaignit de la lenteur du personnel). J’ai démissionné de l’IRA Véritable en 1968, c’est exact mais cela ne fait pas de moi un sociopathe. J’éprouve des remords, une culpabilité et il s’avère que j’ai une conscience Miss McCullen, ce qui vous fait cruellement défaut. Vous êtes ambitieuse et vous aimez tout contrôler ce qui a pour conséquence d’attirer le mépris des autres sur votre personne. Les hommes de Belfast et vous savez à qui je fais allusion, n’ont nulle envie de vous avoir à leur côté. Vous êtes leur pire cauchemar. —Mais vous m’avez faite sortir de Crumlin Road. A en croire votre raisonnement, c’est encore là-bas que je pouvais trouver à m’épanouir ; au milieu de tous ces asociales et ces filles de mauvaises fortunes. Je n’ai pas gardé de bons souvenirs de Crumlin Road pour être franche et si l’homme peut s’habituer à tout, il n’est pas préparé à goûter à la merde que l’on vous sert en prison. Je sais que vous touchez actuellement des potsde-vin d’un certain Mr N. et cet argent est issu en partie du blanchiment de quelques commerces souterrains. Vous devez certainement vous demander comment je sais tout ça ? Par l’un des membres de la UDA ; l’un de vos compagnons, un

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forcené de travail qui s’imagine que jamais sa femme ne découvrira l’existence de sa maîtresse jusqu’à ce que des photos viennent tout compromettre. —Quand j’étais allongé sur ce lit d’hôpital j’ai pensé à ce que je ferai après ; à savoir m’assoir confortablement dans mon fauteuil, une pipe au coin de la bouche à lire l’œuvre de Dickens en ne pensant à rien d’autre qu’à la virtuosité dont certains font preuve pour se démarquer des autres. Je n’ai rien à vous vendre, rien qui puisse maintenir votre intérêt pour les rétributions que nous obtenons du Séin Finn. Je peux savoir ce qui vous fait sourire ? —Démission en 68, hum. Je vous vois très mal démissionné, ce n’est pas dans votre tempérament. J’ai fait l’acquisition d’un bout de papier (en le sortant de ma besace) et j’aimerai savoir s’il s’agit d’un faux. Ce bout de papier date de 1968, quelques mois avant votre démission, il semblerait ». Il enfila ses lunettes puis après l’avoir parcouru, m’observa par-dessus le papier. Il joua avec la lame de son couteau et moi de jubiler face à sa réaction. « Où avez-eu obtenu ce papier ? J’ignore quelle est votre source mais vous ne devriez pas y prêter attention ; ce ne sont que des chiffres qui n’apportent aucune indication, ni sur le destinataire, ni sur la nature de ces transactions. Je ne peux en rien vous renseigner. Et si ce document a été rédigé quelques mois avant mon départ, je n’ai rien à voir avec tout cela, désolé. —Sachez-vous qui en aurait pu être l’auteur ? J’ai seulement besoin d’un nom. Combien Mr N. vous verse-t-il pour

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obtenir votre coopération ? (En faisant glisser une enveloppe contenant des billets américains) Votre secrétaire Maureen Fitzgerald m’a certifié que je n’aurais aucune chance de vous corrompre ; à croire qu’elle ignore tout de vos activités. Est-ce que Maureen rime avec loyauté ? Jusqu’à maintenant elle a fait exactement ce que je lui ais demandé de faire sans manifester la moindre opposition et ce rendez-vous n’aurait pu se faire sans son concours. —Vous êtes ... —Un modèle d’impertinence, je sais. C’est bien ce que me reprochait la Mère supérieure du Collège jésuite dans lequel j’ai fait mes premières armes. Mille cinq cent dollars pour vous mettre à table, c’est fort payé pour l’obtention d’un nom. Mais peut-être que Maureen a finalement raison…(en ramenant l’enveloppe à moi). Je ne mérite pas votre attention ». Il me dévisagea ; je fis tomber l’enveloppe ; me pencha. « Vos lacets sont défaits » glissai-je à McLay avant de croiser le regard acier de Mc Gerailt ; il devait être au bord de l’explosion. En me repoudrant le nez, je vis l’agent de la CIA attablé derrière moi se lever dans la ferme intention de mettre un terme à notre entrevue. Alors je me levai d’un bond, laissa quelques billets sur la table et prit congé de McLay. Il me rejoignit dans la rue, la poche remplit de dollars américains. « Conall Fingen. Oubliez-moi à présent ». Fingen, je savais ! Il était corrompu jusqu’à la moelle. Et le type de la CIA sortit à son tour pour me perdre lors de sa filature.

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Je rejoignis l’université en courant ; on devait rendre les compositions sur lesquelles nous avions bûché de longues heures dans la bibliothèque de la Queen’s University. Je m’installais au fond de l’amphithéâtre près de Colin Maloney, mon nouveau meilleur ami. « Qu’est-ce que tu fichais ? J’ai bien cru que tu ne viendrais pas ; ils ont fermé la route de Rugby Road en raison d’une alerte à la bombe. Ça n’arrête pas en ce moment…Tu ne m’écoutes pas. On révise ensemble ce soir ? Et tu pourras me montrer tes derniers clichés, tu en penses quoi ? » J’enfonçai la clef dans ma serrure quand j’ai senti la porte se déroba sous l’action. J’avais de la visite. Cette odeur je la connais, c’est celle de Genan Fingen. Il est là dans la cuisine à lire un journal vieux de la veille. Les bras chargés des courses effectuées par Roan Loughlin ; à présent il me livrait le soir, deux fois par semaine et jamais au même endroit. Le journal contenait des codes pour renseigner quant au lieu, à la date et à l’heure de nos transactions. Brutalement j’arrachai l’An Probacht des mains de Fingen. Il n’avait rien à faire ici. « Détends-toi Niamh, tu es tendue comme un nerf de bœuf et je n’aime pas te voir dans cet état. Tu m’en veux encore, n’est-ce pas ? J’ignorai que tu puisses être susceptible à ce point. —Qu’est-ce que tu veux ? Je ne suis pas disponible en ce moment. Je reçois de la visite, alors oublies-moi». Il fit glisser un paquet diablement ficelé ; il y avait là un détonateur, une charge d’explosive assez importante pour faire sauter l’immeuble, des clous et tous les

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autres ingrédients utilisés pour fabriquer mes bombes. Il venait me griller, sachant parfaitement comment retrouver un poseur de bombes à ses matériaux de fabrication. « Tu commences à me plaire Niamh. D’abord tu te mets Duncan McGill dans la poche, puis tu te débarrasse d’un de mes vieux potes et ensuite tu me grilles auprès du MI6 et de ces autres tarés d’Orangistes. C’est quoi ton truc ? La diversion ? Que dis-tu de cela ? En ce moment même, il y a cette même composition chez Lochlainn prête à sauter. Dis-moi pour qui tu bosses et je l’épargne. —Je bossai pour toi Fingen jusqu’à ce que tu me dises d’aller me faire voir en me ridiculisant auprès des tiens. Tu savais exactement quel genre de garce j’étais avant de vouloir me baiser et… » Il me précipita contre le mur, serrant sa main sur mon cou. Privée d’air, je me débattis furieusement. « Ecoutes bien ce que je vais te dire. Ici on fait les choses à ma façon et si je n’avais pas besoin de ton frère, tu serais déjà au fond de l’eau, une balle dans la tête. Tu cherches à m’impressionner, mais tu n’es qu’une putain ». Je lui ai craché au visage ; il a serré le poing prêt à me frapper puis sa main à glisser dans mon entrejambe. Il avait envie de me prendre, là contre ce mur ; ma langue fouillait sa bouche tandis qu’il me pénétrait avec brutalité. Il fallait que je donne à Indech Mc Gerailt matière à se calmer, tout à Fingen la certitude que j’étais sa « pute ». Et j’ai joui, le laissant se vider en moi. Quand il eut terminé, on resta un long moment silencieux, puis il me baisa le front ce qui signifiait en autre

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terme qu’il me réhabilitait. Il prit ma bouche qu²and on tambourina à la porte. « Mc Gerailt ? Mais qu’est- ce que… —Salut, vous devez être Genan Fingen c’est ça ? Ravi de faire votre connaissance, Niamh m’a beaucoup parlé de vous. J’écris actuellement un bouquin sur l’Opération Démétrius et ses retombées sur les républicains. —Je n’ai pas compris qui vous étiez ? —C’est sans importance. On sera probablement amené à nous revoir. Tu es prête Niamh ? Tu n’as pas quelque chose de plus seyant à t’enfiler. Vas t’habiller… » Et dans ma chambre, je charge mon pistolet semi-automatique ; puis je le glisse dans mon sac à main. Indech Mc Gerailt va m’abattre. Il y a cette putain de voiture en bas et un type de la CIA collé contre la portière, la cigarette entre les lèvres. Merde ! Je n’avais pas prévu cela. Il vient de me griller auprès de Fingen. J’ai lamentablement échoué. Il me faut fumer pour me calmer. Mon choix vestimentaire se porte sur une robe de mousseline blanche à losanges bleus et des chaussures lacées façon rangers des GI. La portière se referme prestement ; l’autre Mc Gerailt s’assoit près du chauffeur, un type aux larges épaules. Il roule sur plusieurs rues avant de ralentir et de s’arrêter non loin des docks. « De quoi as-tu causé avec McLay ? —De la pluie et du beau temps, professeur. Je suppose qu’en haut de cet immeuble se tient votre sniper préféré prêt à me descendre après cette entrevue. » Il tapa au carreau et fit signe à un agent au front dégarni et au nez busqué. Ce dernier s’installa près de moi et alluma une

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cigarette. Impassible mon professeur dénoua sa cravate rouge et lissa ses cheveux blonds. « Roan Loughlin c’est montré plus coopératif. Il a balancé le nom de tes petits camarades de jeu et parmi eux Owain Dónall, Oney Ó Daly, Ordan McMahon et Meallan Cleary. Trois d’entre eux appartiennent à la mafia irlandaise et ont agi pendant longtemps pour les Leprechauns et le Shamrock club. Tous trois ont fait l’objet de poursuite pour assassinat, malversations et recèle. Tu les as engagés pour faire ton sale boulot. —Je rêverai de les connaître mais je n’ai pas ton envergure pour les approcher de près. Que ferais-tu pour la sécurité nationale de ton pays ? Jusqu’où serais-tu prêt à aller ? La CIA s’inquiète de la mafia irlandaise plus que ses autres gangs nuisant à votre si mythique American Way of Live. Mais ils ne te remettront pas de Medal of Honor si tu parviens à démanteler le réseau de Fingen car tout comme l’hydre la tête repousse sitôt qu’on la coupe. Le véritable problème n’est pas Genan Fingen, c’est un pion vulnérable parmi tant d’autres. Et plus tu menace ma reine et mets en périls mes tours et mes fous, plus le roi se cache, se dissimule et renforce sa protection. Tues-moi ce soir et le roi mettra en difficulté ton jeu. —Loughlin a parlé de Casey Mullingham arrêtée en 1968 lors d’une manifestation pacifique. Elle a partagé ta cellule à Crumlin road et on est parti la questionner sur des personnalités politiques. Pourquoi ? Est-ce que Conall Fingen faisait partie de cette liste ? —Non.

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—Tout le monde sait que son frère a soudoyé les gardiens de Crumlin Road pour améliorer ton quotidien. Tu as eu de la bouffe chaude, des couvertures supplémentaires, du PQ et des cigarettes. Il a été facile pour lui de rentrer en contact avec toi. Alors dis-moi un peu quel genre de messages tu lui transmettais. Tu es restée deux mois là-bas et à ta sortie, on t’a intronisé près de Riagal. Tu savais des choses qu’ils ignoraient tous. La veille de l’Opération Déméttrius tu as été contacté par la RUC et l’un de ses officiers t’a gentiment aiguillée. Or ce dernier a tenté de se suicider hier soir. La pression est trop forte ou bien on l’aurait poussé d’un escabeau ».

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Enregistrement n°7 : Le 30 janvier 1972, le 1er bataillon parachutiste tire sur une marche pacifiste de plus de 200 000 personnes près du Bogside à Derry. Ils prétendaient riposter contre les tirs de l’OIRA et de la PIRA présents à la manifestation ; or ces derniers étaient venus sans armes. Il y eut 14 morts. On n’a encore jamais vu cela ; c’est vraiment horrible. Maddén Mag Ghabban pleure devant son poste de télé et promet d’abattre les paras britanniques envoyés en renfort à Belfast. Et ses petits-fils ne parlent que de rejoindre l’IRA. C’est partout la même rengaine ; Duncan m’attend en bas de l’immeuble, le boss Abel Riagal veut causer avec moi. L’on se rend dans l’une de leur planque située dans le quartier de Ballynafeigh à l’ouest de Belfast. Ici on est en pleine zone mixte mais étant donné le boucan qui règne à l’extérieur, je me demande si l’on n’est pas au Liban ou quelque part en Amérique latine en pleine guérilla communiste. Riagal tient ces locaux derrière un garage appartenant à l’un de ses neveux ; l’endroit parfait pour disparaître sans éveiller les moindres soupçons. Ils peuvent ici cacher tout le matériel de leur contrebande en un temps record et le faire disparaître à la vitesse de la lumière, évitant ainsi de se faire prendre par les agents expérimentés de la RUC et des autres du MI6. Siomon McIosa, la cigarette au coin des lèvres me fit signe d’entrer ; il est simplement furax et en l’absence de Fingen il dépense son énergie à motiver les troupes. Avec sa barbe et son regard rieur il aurait fait un parfait Santa Claus, à la

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place de cela il distribue des pains en guise de cadeaux et sectionne les doigts de ses adversaires pour ensuite les envelopper dans du papier kraft et les envoyer en recommandé à la famille de ces derniers. « Qu’est-ce que tu regardes comme ça McCullen ? Tu n’étais jamais venue ici avant hein ? On m’a demandé de ne pas te lâcher d’une semelle, rapport à ce que tu as fait ces dernières heures. Fingen ce n’est pas moi, d’accord, alors tu ne me baiseras pas. Restes la et boucles-la ! ». Dans le couloir j’attends en réchauffant mes mains et la voix de Riagal se détache des autres : ils sont furax, car il leur manque des armes. Difficile d’imaginer en songeant à tout l’argent engrangé par ce trafic. Et McIosa apparait de nouveau, suivit par Duncan et deux autres types que je ne connais pas. Riagal est assis sur le rebord de son bureau et joue avec un curedent tout en riant d’une blague lancée par son neveu, une espèce de grosse frappe au nez cassé. « Entres ma chérie ! Inutile de te présenter, tout le monde te connait ici. Niamh McCullen est notre nouvelle recrue. McGill apportes le whisky ! On va boire à ta santé ma chérie…Prends ce verre, allez ! Des nouvelles de McNeil ? La dernière fois qu’on l’a vu, il ne se sentait pas bien. C’était le mois dernier n’est-ce pas ? Quelques heures avant qu’il ne cherche à abréger son existence. C’était un bon pote à toi ? Maintenant que tu fais partie de la famille on ne doit plus avoir de secret l’un pout l’autre. Tu as débusqué ce traître en jouant la carte de l’amitié avec ce McNeil. Il faut être sacrement rusée…J’ai un autre travail pour toi. Derek Clarkson est notre prochaine cible. Tu places une

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bombe dans son domicile et Pffff. Ce fonctionnaire de la Couronne disparait à jamais de la surface de la terre. Tu as jusqu’à demain et tu agis seule. Si tu te fais prendre on dira ne pas te connaître, tu piges ». Clarkson ? Et pourquoi pas la reine Elisabeth II en personne ? McIosa me raccompagne en bas et m’administre une violente bourrade amicale. Je fais partie de la famille à la seule condition d’éliminer ce type. Le seul souci est que je n’ai jamais tué quiconque. Je retrouve Dalaigh Lochlainn dans ce pub ; il commande une bière brune et peu de temps après des agents de la CIA s’installent non loin de notre table, rejoint par ceux de la RUC. Lochlainn m’allume une cigarette tout en observant ces nouveaux clients des plus ordinaires : ce couple faussement amoureux, ce quadragénaire amateur de sports, cet étudiant gribouillant sur un carnet à spirales. « Tu ne veux plus assister aux matches de boxe ? C’est regrettable, je dispute un match prochainement. Il va vraisemblablement rentrer dans les annales du sport. Si tu tiens à une interview pour ton journal j’ai peur d’être un peu trop radical concernant les résultats de boxe de cette saison. —Tu veux éviter le sujet…Derry et ses victimes. Moi aussi. Je veux seulement passer un peu de temps avec toi, c’est tout. Discuter sans avoir recours aux psychotropes. —Peut-être n’ai-je pas envie de discuter avec toi Niamh. Tu sais que je ne suis pas à l’aise à ce jeu-là et ce que j’apprécie en toi c’est qu’il ne vaille pas obligatoirement discuter de tout et de rien pour se prouver

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qu’on appartient au genre humain. Fingen m’a dissuadé de t’approcher. Il veut une relation exclusive avec la plus barrée des citoyennes de l’Eire et je ne veux pas le contrarier. —Et tu ne tiens pas ses menaces au sérieux à ce que je vois. Où iras-tu vivre après ? Tu pourrais te trouver une citoyenne de l’Ulster et lui faire plein de bébés pour commencer et ensuite tu entraînerais des jeunes à la boxe. Ils ne te manqueront pas tu verras, tous autant qu’ils sont à commencer par Riagal ». Son rire fut sarcastique, il se frotta le nez avant de jeter la monnaie sur la table, attraper ses affaires et s’en aller sans demander son reste. S’il appartient à la RUC il a tout intérêt à m’écouter et je le rejoins dans la rue au milieu des militaires et des civils de Ballymurphy. On me demande de tuer ; je ne peux endosser cette responsabilité tant que j’ignore ce que l’IRA lui reproche. J’ai ma petite idée sur le sujet mais je n’ai pas droit à l’erreur. Il est possible que Riagal cherche également à me piéger d’une façon ou d’une autre. J’ai peur d’avoir raison : tous ses agents me collent d’un peu trop près. Brusquement Lochlainn s’arrête et pointe son index sous mon nez. « Ne me demande pas d’être ton indic McCullen ! Je ne veux rien entendre de tes arguments et à tes délires de psychopathes ! Tu devrais peut-être songer à rentrer chez toi et jouer à la marelle avec tes camarades de classe. Je suppose que Ruadh Murray doit te manquer. —Ruadh Murray ? Attends, attends ! Qui t’a…d’où est-ce que tu sors ce nom ? Lochlainn ? »

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Il me dévisagea de la tête aux pieds, le regard rieur et le rictus au coin des lèvres. Et il rompit le silence par un gloussement. Murray était le nom d’une de mes relations de Dublin, spécialiste en criminologie et notamment sur le crime organisé. En 1967, il disparut au large des côtes irlandaises jusqu’à ce qu’il refasse surface en 1969 lors d’un meeting étudiant. Puis je devais le revoir en 71, quelques heures avant de monter à bord du train en partance pour Belfast. Comment Lochlainn connaissait-il son existence ? « Je le garde pour moi, je ne voudrais pas nuire à mes sources. Tu sais je ne crois pas possible de te faire confiance, je t’ai vu à l’œuvre McCullen et je ne tiens pas à finir dévorer par des impressionnantes mandibules. Quel sort réserves-tu à Fingen, hum ? Tu as saboté le bateau de Murray pour faire croire en un accident puis tu t’es introduite chez lui pour effacer toutes les preuves de votre relation. Mais tu es trop sentimentale McCullen, tu n’as pas tenu à te débarrasser de cet ami d’enfance. A moins que…vous ayez tous deux des projets de grande envergure ». Qui l’avait renseigné à ce point ? Le seul à être au courant était Ciaran mais il ne pouvait me trahir de la sorte. Ma respiration s’accéléra et mon regard se voila d’incompréhension. Non, Ciaran ne ferait jamais cela ! Diviser pour mieux régner, c’était là l’idée de Fingen et…j’ai couru jusqu’à son appartement. Mon Dieu ! Comment n’avais-je rien vu ? Ils l’avaient torturé. Ces salauds le tenaient dans leurs locaux. Riagal le savait. Comme il savait que je chercherai à venger mon frère.

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Acculée comme je pouvais être en ce contexte, j’ai contacté Langley d’une cabine publique. Un numéro privé appris par cœur pour le cas où ma vie se trouvait être menacée. On finit par décrocher au bout du fil et la main crispée sur le combiné, j’ai balancé in-petto : « Vous êtes Mark Lewinsky n’est-ce pas ? —Cela dépend qui le demande ? —Mon frère est retenu par la RUC et il était de votre devoir de ne pas les laisser faire. Votre agent de terrain Indech Mc Gerailt reçoit les ordres de votre bureau et je n’ai obtenu votre numéro par hasard. Je sais qui vous êtes et qui travaillent pour vous, par conséquent il me suffit d’un coup de fil pour que l’IRA se charge d’eux. L’IRA vous me remettez ? —Absolument pas et je m’en balance. Et tu veux que je te dise ? J’espère que ton frère va y rester. Tu croyais quoi ? Qu’en m’appelant dans la nuit j’allais me mettre à paniquer, sortir de chez moi et courir à Langley pour rappeler mes agents ? Ce n’est pas moi qui suis coincée dans un épouvantable merdier. —Quel merdier ? J’ai passé un accord avec vous Lewinsky par l’entremise de Mc Gerailt. C’est vous qui allez vous trouver dans la merde si vous ne convainquez le MI6 de relâcher mon frère. Il s’appelle Ciaran McCullen et je suis persuadé que votre patron Ronald Myers apprécierait notre entrevue téléphonique. Ignorez mon frère et vous vous retrouverez bien vite au chômage. —Hum…Donnes-moi quelque chose à me mettre sous la dent, Niamh McCullen. Donnes-moi envie de t’aider. Parles-moi de Murrough Doyle, tu pourrais peut-être

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commencer par coucher avec lui pour faire accélérer les choses ». Murrough Doyle, en quoi pouvaient-ils l’intéresser ? J’ai raccroché la première pour ne pas lui donner le sentiment de victoire. Par prudence, Ciaran garait son véhicule dans un hangar délabré et sous la bâche je reconnus sa vieille Ford. Il avait pour habitude de me laisser des messages sous le siège du passager, entre le rembourrage et l’acier. Cet imbécile avait trouvé le moyen de se faire pincer par la RUC. Au check-point, la British Army fouille mon véhicule et releva le numéro de ma plaque ; l’un d’eux me demanda de me garer tandis que l’autre contactait son QG. « Veuillez sortir du véhicule s’il vous plait ! » Et je m’exécutai docilement : ils recevaient leur instruction d’en haut et après la tragédie de Derry, me valait ne pas les contrarier. On me jette en cellule. C’est le bordel làdedans. On crie, on profère des menaces ; les officiers britanniques nous mettent sur une liste et à coups de gourdin nous menacent de tous nous jeter en prison. En temps normal j’aurai manifesté ma colère et mon incompréhension face à cette garde-à-vue mais ce soir-là, les mains dans les poches j’attendais la confrontation avec une impatience non feinte. « Niamh McCullen ! Vous voulez sortir s’il vous plaît ? Par là…C’est ici que cela se passe » Et l’on m’installe derrière une table sans me défaire de mes menottes. Je vais y rester plus de trois heures, coupée du reste des contestataires de dernière minute, à moins qu’ils ne soient dans la contestation depuis l’avènement de Jacques 1er. Rien ne les oblige à se montrer

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si courtois : on vient m’apporter une cigarette et du café. Tout cela fait partie de leur plan. L’autre inspecteur blond roux me dévisage froidement. Cela fait-il aussi partie de leur plan ? Cet écossais aurait pu être le descendant direct de William Wallace mais au lieu de jouer les héros il s’était rangé du côté des oppresseurs. « Flaithri Gowan et vous venez d’Ecosse, n’est-ce pas ? Je vous ai entendu parler et votre accent vous trahi. Les Highlands et son fameux Loch Ness. Vous détenez mon frère pour une raison que j’ignore. Il bosse pour Riagal, l’ignorezvous et l’on me charge d’une mission mais délicate. —Ton frère n’est pas ici, prit-il le temps d’articuler les bras croisés sur sa poitrine. J’ignore seulement où ce fils-de-putain a été expédié. Tu vois, je ne te suis d’aucune aide McCullen (en articulant mon patronyme). —C’est à moi d’en décider. Tu n’es qu’un pion que je déplace à ma guise. Le moment venu tu me seras d’une quelconque utilité mais pour l’instant tu n’es bon qu’à m’offrir une cigarette. Votre taupe Padraig Murphy n’a pas terminé son boulot, trop vite interrompu par les Provos. Ce qui est fort regrettable en soi. Il avait des révélations croustillantes à vous faire car avant de mourir il devait s’établir à son compte en touchant une partie des dividendes de la vente d’armes. Mc Conaugh n’a pas suffisamment l’esprit de synthèse pour bosser pour vous, alors il ne vous reste plus que…Lochlainn. —Qui te dit que Murphy était des nôtres ? —Vos petits amis Loyalistes m’ont plutôt bien renseignée. Parmi eux un

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dénomme Hennessy, Alton et O’Mara. Tous trois savaient pour les transactions de Fingen et les infos sont remontées jusqu’à vous en un coup de fil. Dernièrement j’ai appris que Murrough Doyle était votre favori, votre poulain et il dispose de toutes les prédispositions pour enculer Fingen. Cependant j’ignore quelles sont ses motivations à part le fait qu’il soit écossais tout comme vous, qu’il aime utiliser ses poings et qu’il voue une profonde haine à Riagal. J’ignore en fait la partie invisible de l’iceberg, la face cachée de la lune. —Tu écris pour l’An Probacht, c’est ça. Tu ponds des merdes que personne ne lit et tu as la prétention d’être le porte-parole de ces barons du crime organisé. Dans ce milieu, il y a toujours des coïncidences et pour passer à l’action, il faut avant tout surveiller ses arrières. Toi et ton frère manquez cruellement d’expériences et c’est étrange que des types comme Fingen aient besoin de vos services. Vous êtes dans la merde jusqu’au cou. La forgerie est passible d’emprisonnement ». Voilà où nous en étions : ce salaud d’Indech Mc Gerailt avait lâché l’info à la RUC concernant les activités de mon frère. Ce genre de détails valait de l’or et le gouvernement britannique le ferait plonger pour contrefaçons de billets et de toutes autres pièces administratives. Rien ne pourrait arrêter la machine, rien excepté la CIA ; Gerailt le savait puisqu’il marchait de concert avec le MI6. Un sacré enfoiré n’ayant aucun sens de la négociation. « Je ne vous apprendrais rien en disant que McLay a touché des pots de vin de Conall Finen en 1968. Depuis il se rependit comme la pire des âmes, un damné parmi les damnés. Et voilà que sort

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de sa tombe le pire de tous, Murrough Doyle. Est-il possible que ces hommes se fréquentent et entretiennent des relations pour le moins peu louables ? Où est Clarkson ? » Et la porte s’ouvrit sur notre inspecteur. Il avait tout entendu de notre conversation et sortit les mains de sa poche pour poser la main sur l’épaule de son sbire. Derrière la porte j’aperçus la silhouette de cinq hommes en costumes ; tout un comité venu pour m’écouter narrer les exploits des Provos et de mon frère. « Notre Helen of Troy en chair et en os ! Désolé pour le retard, j’étais en proie avec un autre McCullen et il a été très coopératif. Tu aurais du prendre tes précautions Niamh, c’était votre boulot après tout. Mais trop confiante tu as négligé la plus importante des pistes, celle qui indubitablement allait nous conduire à toi. —Pourtant vous pissez dans votre froc à l’idée d’être assis sur une poudrière. A chaque fois que vous tentez de m’arrêter, un événement inattendu survient, un accident regrettable qui vous oblige à changer votre fusil d’épaule. Actuellement vous détenez mon frère…A ta place, j’envisagerai ma démission pour un poste plus peinard quelque part dans cette capitale où ta femme tente de briser l’attente de ton retour en s’envoyant en l’air avec un dénommé Arthur H ». Il ignorait pour sa femme comme il sousestimait la véracité des investigations fournies par Owain Dónall. Ce barbu aux cheveux mi-longs était connu du milieu pour dégotter les meilleurs morceaux. C’est impressionnant de le voir faire.

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Indépendant et rusé comme un renard il sait exactement où fouiner. « Ma femme ? Elle pourrait sauter la reine d’Angleterre en personne que je m’en ficherai. Il y a longtemps que je ne me préoccupe plus de la sexualité de celle qui se dit être encore mon épouse. Ainsi tu aurais reçu l’ordre de m’éliminer ? Et comment vas-tu t’y prendre maintenant que tu es grillée auprès de la Special Branch ? Laisses-moi deviner…En soudoyant tes Leprechauns, j’imagine. —Vous partagez les mêmes informations que la CIA à ce que je vois ; Leprechauns ou pas, tu crèveras quand je l’aurai décidé. Sauf que tu ignores que ta femme intente une action en justice pour te priver de la garde de tes fils. Dans les jours à venir tu recevras la lettre de son avocat. Il serait dommage de te priver de cet événement, toi qui es si présent dans leur vie. —Nous avons besoin de toi McCullen et tu sais pour quelle raison. A toi de jouer le jeu ». Gall O’Mara a prit les dispositions nécessaires pour me revoir. Il est au courant pour mon frère et celui qui l’a averti n’est autre que le lieutenant Ian McNeil. D’après notre membre de la DUP McNeil se serait entretenu avec Riagal avant l’arrestation de mon frère. De quoi ont-ils bien parlé ? Il est fort possible que Riagal cherchent à nous éliminer en si prenant de façon très sournoise. O’Mara est également de cet avis ; il connait Abel Riagal et Genan Fingen aussi bien que leur propre mère ce qui m’est d’une grande utilité. « Ce sont tous deux des ordures et ils ne bougerons pas le moindre petit doigt même pour tes beaux yeux McCullen.

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Qu’est-ce que tu veux savoir sur Roan Stuker ? Mais saches que mes tarifs ont changé et si tu n’es pas contente, trouvestoi un autre indic. —Je paie pour obtenir de vraies informations et non pas des brides dispersées ça-et-là au gré de vos envies ! Tonnai-je en le repoussant violemment. Depuis le début tu me ballades en me cachant la vérité sur McLay et Stuker. Et puis tu savais pour Murphy ! —Qu’est-ce que tu veux insinuer ? J’ai des gosses à nourrir, je n’ai pas le temps de jouer à la marelle avec toi. Casses-toi maintenant ! Barres-toi ! » J’ai pris des photos. Une vingtaine de photos pour illustrer Belfast au lendemain du Bloody Sunday. Les types de l’UVF ont fait beaucoup de zèle, mais en face les paras répondent par des balles en caoutchouc quand sur leurs flancs ce sont la PIRA qui s’échauffe en envoyant des tirs de rocket pour dissuader les chars d’avancer. Les snipers m’ont dans leur viseur et je sens leur index se crisper sur la gâchette de leur fusil de modèle Springfield et en toute franchise je me donne pas deux jours pour mener à bien mes projets. Il me faut une mule pour déplacer mes colis d’un endroit à un autre de Belfast sans attirer l’attention de l’IRA ou du MI6, sans parler de la CIA toujours prête à me rendre service. Duncan McGill s’apprête à monter en voiture avec Rowlant Aonghus, Ó More et Ó Cuinn. Sitôt qu’il me reconnait il me fait signe de monter à bord. Aucun des trois n’est bien causant parce qu’ils savent que Riagal m’a à la bonne. « Il te donne deux heures au-delà j’ai pour ordre de te tuer. Qu’est-ce qui s’est

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passé hier soir ? On a des contacts infiltrés à la RUC et ça sent vraiment mauvais pour toi McCullen. —Oui bien-sûr que cela sent mauvais mais pas de mon côté. Je suis contente que tu m’appuies auprès de Fingen et si tu as l’occasion de le voir avant l’échéance dislui que les armes sont stockées chez l’un des sbires de Roan Stuker. Son nom est Grellan Moore et il est secondé par Luam Gallagher, un ancien champion de boxe. Les armes de Fingen sont entreposées là avec les leurs. Il y a pour dix mille livres sterling. J’ai le sentiment que Murphy n’agissait pas seul. —Pourtant cette histoire est close. Ton intervention nous a causé beaucoup de tors. Je ne peux plus rien pour toi, même si ton intuition te parait fondée. Alors à partir de maintenant tu as deux heures. —Riagal sait pour sa marchandise mais il ferme les yeux car il a passé un accord avec les loyalistes. Dix pour cent pour avoir certains types de l’UVF dans la poche dont ce Murrough Doyle. Summer savait quelque chose qu’elle ne devait pas savoir et elle est morte en emportant ce secret dans sa tombe. Deux heures ne me seront pas suffisantes, j’ai besoin de plus et il faut que tu m’accordes plus de crédits. Je t’en prie Duncan…fais-le pour Fingen. —Rejoins-moi où tu sais dans une demiheure ». Nous n’étions à nous défigurer comme à notre première rencontre. Il ma fallait une mule. On nous servit un café noir ; la télévision diffusait en boucle les vidéos de cette sanglante guérilla dont on ne voyait pas l’issue. Et Faulkner s’adressait à la presse d’un ton des plus autoritaires, mais comme tous ces politiciens il devait se

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chier dessus. Et l’autre serveuse parlait en gaélique pour s’assurer que nous étions bien des républicains. « Tournes la tête sur la gauche. La femme là-bas est la nièce de Riagal et la fiancée de Fingen. Cora c’est comme ça qu’on l’a baptisée et si elle n’était pas la nièce de Riagal il y a longtemps qu’elle serait à sucer ma queue. Fingen ne va pas tarder. Ils s’envoient en l’air à l’étage, mais ils descendent séparément. Un charmant petit couple. —Ce ne sont pas mes oignons. Parlesmoi plutôt Conall Fingen. Où est-il en ce moment ? —Non, n’essaye même pas. Otes-toi cette idée de la tête ou bien je t’envoie la balle que je te destine immédiatement dans ton petit crâne, tu as pigé ? —Il me reste moins de deux heures à vivre alors je veux au moins rejoindre l’audelà en ayant la satisfaction d’avoir élucidé un mystère. Il y a des micros dans son appartement, quatre précisément et à cinq reprises il aurait mentionné le nom de Dillane, August Dillane. Cela t’évoque-t-il quelque chose ? —Ne te mêle pas de cela si tu tiens à tous ceux qui te sont proches. Bois ton café et vides-toi un peu la tête. —Pourtant c’est à la demande de l’un de tes frères de l’IRA que j’ai placé ces micros à son domicile. Alors j’aimerai savoir ce que vous me cachez…Hey, Fingen ! —Qu’est-ce que tu fous là ? Qu’est-ce qu’elle fout là Duncan ? (son regard acier me sonde) Comment va Lochlainn ? J’ai pourtant tenté de le mettre en garde contre toi ; une pute de bas étage est à fuir comme la peste. Oh moins tu ne m’aurais

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pas coûté cher. Eloignes-la de moi Duncan, elle me colle la gerbe ». Il s’en va au comptoir ; je me lève pour lui coller un pain. Sa Cora toutes griffes dehors se rue sur moi et l’on se bat. Exactement ce qu’il faut pour être crédible dans mon rôle de la maîtresse rejetée, donc vulnérable. Duncan trouva le moyen de nous séparer en m’attrapant par la taille. Et dans la salle de bain de la chambre, il me dorlota, veillant à ce que mon visage ne marque aucune séquelle de cet échange. J’allais mourir mais il me dorlotait. A l’extérieur les sirènes hurlaient et l’impact de pierre sur les carrosseries révélait l’identité des conducteurs. Non sans difficulté je pouvais clairement imaginer la colère des Irlandais au lendemain de ce 30 janvier ; défiler pour les droits civiques des catholiques apporta la mort parmi cette foule de 10 000 participants pacifistes ; et les journaux insistaient sur le fait que ce drame eut en partie dû à l’incompréhension de certains à rejoindre le cortège pour se rendre au meeting de Bernadette Devlin. « Pour les micros, quel était ton mandataire ? —Ces pellicules sont à remettre non pas à mon journal mais à un contact à l’autre bout de la ville. Il me faut une personne de confiance pour cette livraison de dernière heure. —Qui t’a chargé de placer ces micros chez Fingen ? —Je n’ai aucun intérêt à te divulguer cette information même si je suis déjà morte. Si j’en échappe je te donnerai l’identité de la cette personne. Alors arranges-moi un sursis ».

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D’un bond il se leva fatigué que je vienne à négocier avec lui. Il n’aimait pas mes méthodes d’investigations, je n’aimais pas me sentir acculée là tel un rat pris dans une souricière. Il était là à m’étudier quand la porte s’ouvrit sur Genan Fingen à quelques minutes de mon exécution. « Tu voulais qu’on cause alors causons. L’absence de ton frère nous pose un sérieux problème. Il nous doit de l’argent. Une sacrée somme à vrai dire et je suppose que McGill a cru bon te prévenir. —Combien ? Questionnai-je refusant de croire qu’un expert en forgerie puisse se retrouver endetté auprès de ses pigeons. —Plus de 10.000 livres. Crois-tu être en mesure de nous rembourser ? Niamh, j’ai besoin de récupérer ce fric et je sais que tu es suffisamment rusée pour me l’apporter. (Il se pencha vers moi) 10.000 livres, c’est un jeu d’enfant pour toi, non ? Duncan, laisses-nous s’il te plait » La porte refermée, il me roule une pelle. Je tente de le gifler mais il retient mon geste avant de m’allonger sur le lit avec brutalité. Si je ne fais rien, il va me violer ; il me faut crier, hurler et me débattre. Sur le ventre, je cherche un objet n’importe quoi pour l’assommer tandis qu’il me bâillonne la bouche de sa main. J’entends le bruit distinct de sa braguette et il me susurre de me calmer. Il se frotte à moi, de violents coups de hanche à m’envoyer dans le décor. « Tu vas être bien sage maintenant Niamh et faire ce que je te dis et…chut, chut, chut. Ne bouges pas, ne bouges pas ! Il y a longtemps que tu devrais être sous terre mais je t’ai dans la peau et c’est un putain de problème, tu piges ? Je ne veux pas te perdre. Maintenant tournes-toi

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lentement que je te vois… (De nouveau, il attrapa ma bouche) On va y arriver Niamh mais je ne peux le faire sans 10.000 livres. Gifles-moi maintenant, de toutes tes forces frappes-moi. Vas-y ! » Et j’ai frappé. C’était violent. Cela soulageait. Et puis on a baisé comme des bêtes ; assise sur son sexe, je le dominai, encadrant son visage de mes mains. Les yeux dans le vide, il n’a pas réagi quand je lui ai parlé de Clarkson. Le message de Ciaran laissé dans la voiture concernait les coordonnées géographiques de la personne à contacter si nous rencontrions des soucis de trésorerie ; il résidait à Ardoyne dans nord de la ville et il recelait des armes et toute sorte de marchandises prohibées par le gouvernement britannique. Pour faire circuler les armes de façon clandestine je devais convaincre Duncan de s’y rendre et l’histoire des micros allaient jouer en ma faveur. Derrière mes jumelles, je suivais le déplacement de son véhicule tout en consultant ma montre. Dans moins de quarante minutes j’étais une femme morte. Avec délicatesse j’ai fini par assembler ma bombe pour ensuite la poser dans un joli colis ; il fallait qu’elle pète celle-là qu’elle fasse du bruit. Bien que Clarkson soit en sursis j’en voulais à la RUC d’avoir jouer au plus malin avec les McCullen. La CIA est toujours sur mon dos, incapable de déclarer forfaits. Cet acharné d’Indech Mc Gerailt ne peut admettre la défaite ; pas de cette façon. Pourtant ils savent que je ne bluffe pas et ils ont tout intérêt à faire ce que je dis. J’aimerai tant être une petite souris pour savoir quelle ambiance règne à Langley. Mon cher Lewinsky doit être à se tirer les cheveux

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derrière son bureau. Peut-être a-t-il punaisé l’un de mes portraits sur lequel il jouera aux fléchettes ? J’attends mon frère devant les locaux de la RUC ; ils vont le libérer et dix minutes avant ma condamnation, Ciaran sort en boitant, le bras en écharpe. Mon pauvre frère…Il dit qu’il a une pêche d’enfer, néanmoins il a morflé. Il suffit de voir son œil tuméfié pour s’en convaincre. Il y a un bouchon sur Springfield Road et Ciaran me dit de faire attention à ma conduite. « Doucement Niamh, putain ! Tu ne vois pas que tu vas lui rentrer dedans ! Il conduit comme un pied et toi tu vas l’engloutir ! Recule ta caisse et prends l’autre rue…Les SAS sont devant et tu leur fonces droit dessus ! Niamh, tu vas me rendre folle… —Le véhicule de derrière m’empêche de reculer. Je n’y vois rien et cette camionnette qui essaye de s’engouffrer, répondis-je sentant nos pare-chocs se rentrer dedans. C’est un piège, Ciaran ! Accroches-toi, ça va secouer ! » Où suis-je ? Mes poignets et mes chevilles sont ligotés ; ma tête se trouve être sous une espèce de sac en toile de jute et je suffoque là-dessous. Dans la pièce avoisinante, un type parlait au téléphone. On marche vers ma chaise. Un violent coup de poing s’abat sur mes côtes. Ça fait un mal de chien ! Je ne peux plus respirer. On ôte le tissu de ma tête et la lumière est des plus aveuglantes ; je fronce les sourcils, discernant la silhouette de Mc Gerailt derrière l’aveuglant halo de la lampe. « Je voulais savoir si tu éprouvais encore de la douleur et si tu n’étais pas complètement vidée de toute substance

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spirituelle. Par conséquent je m’étonne que tu sois encore en vie. J’ai de quoi te faire plonger pour un long moment, mais j’ai encore besoin de toi. Searlas Byrne a été retrouvé mort assassiné dans une prison fédérale, quelques heures après ton appel vers Langley. Notre gouvernement n’a jamais voulu l’extrader et voilà que notre témoin-clef est retrouvé mort dans sa cellule. Tout cela n’est pas le fruit du hasard. —Je suis citoyenne de la République d’Irlande et je ne bosse pas pour le gouvernement. Aucune charge ne sera retenue contre moi pour la simple bonne raison que je ne connais pas ce Searlas Byrne et il pourrait être le pape que je m’en ficherais. N’importe quel avocat prendrait ma défense. Le combat de David contre Goliath a la nature d’exciter l’opinion publique et c’est l’affaire de quelques semaines pour me faire sortir de détention. —Ce n’est pas pour de l’argent que tu prends de tes risques et encore moins pour ce Genan Fingen. Pourquoi alors, en sachant que le MI6 te file le train et que l’IRA attend la première occasion pour te descendre ? Alors on va discuter d’égal en égal, comme de vieux potes et pour cela je dois défaire tes liens…Byrne a été pris en possession d’une importante cargaison d’armes à Baltimore. Ils devaient les vendre à Genan Fingen et leur contact nous échappe. Si nous avons l’identité de ce dernier, nous pourrons coincer ce Fingen et démanteler le réseau, avoua-t-il en me fixant dans le blanc des yeux. Il est possible qu’il soit actuellement à Belfast ce qui expliquerait le comportement étrange de Fingen au sujet de ce mariage.

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—Tu n’as jamais pensé qu’il pouvait avoir des sentiments envers cette femme ? Il est vulnérable et risque de se fermer comme une huitre si je l’approche de nouveau. Il m’a réclamé 10 000 livres, ce qui représenterait les dettes de mon frère ou bien la somme des armes volées au 13 septembre Il a une idée derrière la tête dont j’en suis exclue pour le moment mais le jour où il lâchera sa bombe, je n’aimerai pas me trouver à proximité. —Il a été difficile de convaincre le MI6 de relâcher ton frère et nous devons leur affirmer ta volonté de servir la Couronne et tous ses représentants. Le deal ne semblait pas compliqué jusqu’à ce que j’apprenne ta fascination pour un certain Doyle. C’est un gros morceau, quasi indigeste.sur lequel beaucoup de nos agents y ont laissé des plumes. Ceci dit la prise de risque ne semble pas te poser de problèmes, tu es toujours prompte à dégainer. Tout cela est un jeu pour toi et par conséquent j’ai un nouveau jeu à te proposer ». Et Duncan me retrouva en pleine déroute de la SAS. On a un accord lui et moi : celui de rétablir la vérité Un café me ferait le plus grand bien. Jusqu’à maintenant il est le seul à accorder crédit à mes accusations ; il sait que je suis réglo et qu’on ne peut pas se jouer de moi. For What It’s Worth de Buffalo Springfield passe sur les ondes. C’est étrange comme la vie prend un tout autre sens quand la mécanique s’enraille. Il y a quelques mois de cela j’étais à Dublin à siroter mon café au campus à me demander de quoi serait fait demain ; me voilà à présent à siroter un autre café en compagnie d’un enfoiré de l’Ira prêt à vendre ses frères pour une

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nuit passée dans mon vagin et ma bouche. Les hommes n’ont jamais été très doués pour dissimuler leur penchant comme l’alcool et la baise. Duncan semble heureux de notre petite transaction : plus de 10.000 livres sterling d’armes à Ardoyne attendent un prochain acquéreur et à la date du 6 février 1972 arrivent Roan Stuker et ses sbires. Ces types sont méfiants et prennent de grandes dispositions à éviter la fuite d’informations. En leur compagnie mon cœur bat furieusement dans mes tempes et mon cœur menace d’exploser à chacun de leur mouvement. Les nerveux m’ont toujours révulsé, leur faiblesse est si évidente qu’on ne peut délibérément les fréquenter sans éprouver une sainte horreur. Et lui Stuker de me fixer comme le ferait le bourreau pour sa victime et déjà je me mets à le détester. Il a trahi les siens pour infiltrer l’IRA en se faisant passer pour un dénommé Lesley Davies. En le voyant c’est Summer Love que je vois agoniser dans le ruisseau et le mépris me gagne. « Doyle ne veut pas te voir. Il serait vexé d’apprendre qu’une putain dans ton genre veuille le sucer et si je suis là c’est pour cette sordide histoire de bombe posée dans les locaux de la RUC. On nous suspecte d’en être les auteurs. Des foutaises ! Trois de mes hommes ont été arrêtés sous dénonciation. Trois de mes meilleurs limiers et McGill et toi apparaissez la fleur au fusil…Je veux les armes pour 8.000 Livres. —Ce n’est pas ce qui était prévu, trancha Duncan le cure-dent coincé entre ses molaires. Le tout pour 12.000 et tu sais combien il est difficile d’acheminer des

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armes maintenant que l’armée marche sur nos pieds de bande. Ton commerce risque d’en prendre un coup. —Que devient ton frère McCullen ? » Il tient une forme olympique et bientôt il pourra disputer un grand match avec Mohammed Ali. Ciaran est un électron libre très occupé en ce moment à rassembler les ingrédients pour forger des faux papiers pour s’immiscer auprès de l’ainé des Fingen. Si notre plan fonctionne nous n’aurons plus besoin des nounous de la CIA pour nettoyer nos culs tout crottés de merde. Sans me lâcher des yeux, l’autre anglais fait signe à son molosse au crane rasé et à l’œil vairon d’approcher. Il lui murmure deux-trois trucs à l’oreille avant de se lever pour écraser mon épaule. « L’un de mes hommes de confiance m’a trahi. Disons qu’il a vendu des informations concernant des armes appartenant à Riagal. Et ces informations ont contribués à maquiller une toute autre action. En deux mots, tu voudrais me vendre de la contrebande provenant de mes propres locaux en pensant que je n’y verrais que du feu. C’est osé comme manœuvre il faut en convenir et tu connais mon opinion sur ce sujet. Bien mal acquis ne profite jamais. Elle est impressionnante n’est-ce pas McGill ? Cette pute arrose tout le monde : les Provos comme les Orangistes, les inspecteurs de la RUC et les Amerloques. Oui tu as bien entendu, la CIA nous a à l’œil et ne chôme pas depuis que leurs indics filent le train de ta petite protégée. Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez McGill et elle te tient par les couilles (en susurrant à son oreille). Mais c’est Lochlainn qu’elle veut. Le

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champion de Derry ! Ils se retrouvent en cachette et je doute que se soit pour parler boxe. Alors écoutes-moi bien…on s’en tient à 10.000 livres mais je veux qu’en prime tu disparaisses et McGill y pourvoira ».

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Enregistrement n° 8 : Belfast est dans la tourmente. Le sol se dérobe sous nos pieds. Les victimes succèdent aux victimes et le Bloody Sunday n’est pas loin. Les familles endeuillées pleurent leurs fils et leurs filles ; les messes succèdent aux messes et Belfast est en larmes des deux côtés des communautés. Il n’est pas possible de sortir sans crainte un tir de roquettes, des explosions de bombes et les tirs précis des snipers. Le 2 février a eu lieu les funérailles des morts et à Dublin plus de 30.000 personnes manifestent devant l’ambassade britannique incendiée par des cocktails Molotov. On mitraille. On prend des photos. Par effraction je m’introduis dans le bureau de Conall Fingen à la recherche de preuves pour le disculper. A quelques kilomètres de là a lieu un match de boxe. J’ai besoin de preuves ; les journalistes à l’extérieur font leur investigation et mettent le groin partout. A l’aide de mon appareil je photographie en macro. Il me faudra plusieurs heures pour en faire des microfilms. Je rêve de le coincer mais je manque cruellement de preuves. « Où étais-tu ? » Genan Figen me fit sursauter. Ce fils-de-pute se tient près de la porte d’entrée et m’interroge du regard. Derrière lui une voiture noire, grosse berline stationne contre la chaussée. « Tu veux monter ? J’ai fait quelques courses…A moins que ta petite chérie soit à attendre dans la voiture. Alors tu décides quoi ? Tu montes ou bien tu prends racines ici ? —On a un sérieux problème McCullen. Tu ne nous as remis que 10.000 livres mais

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ça c’était avant les intérêts. Maintenant on veut 5.000 cash pour moi et 5.000 pour le grand boss. C’est dans tes compétences. Pour demain. 18 heures (en me caressant la joue). Ensuite tu viendras me retrouver, il faut qu’on discute ». Toute ma marchandise fut dispatchée sur la table où trainaient des vieux journaux, deux cendriers remplis et des restes de bouffe. Roan Loughlin mon Billy continuait à me fournir, je continuais à fabriquer des engins explosifs et la CIA continuait à m’observer à travers la lunette d’un Springfield. N’importe qui peut fracasser la porte de mon appartement. En l’espace d’un an j’ai déménagé plus de dix fois afin de brouiller les pistes et je ne dors pas deux jours de suite à la même adresse. Si on me retrouve c’est bien parce que je veux qu’il en soit ainsi. Les tapettes de la CIA ont leur méthode… Soudain des crépitements me perforent les tympans et le plâtre enneige la pièce. On tire des salves et sous la table, je me débrouille pour rester en vie malgré les balles sifflant autour de ma tête. Je protège ma nitroglycérine et les autres mélanges des plus instables ; un faible choc et la déflagration souffle toutes les vitres de l’immeuble. Si je reste une seconde de plus ces salauds se féliciteront d’avoir accompli leur tâche. Je suis encore en vie et c’est une chance. Une telle fusillade pourrait avoir raison de vous. C’est l’horreur ! Votre esprit va dans tous les sens et la peur vous dévore. Il faut un beau coup de pied au cul pour vous motiver à réagir. L’épicerie dans laquelle j’ai l’habitude de faire mes courses est fermée pour cause de deuil, cela m’oblige à changer de

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crémerie. Trois types aux épaules de déménageurs me filèrent sans même chercher à jouer sur la discrétion et rapidement je m’engouffrai dans une espèce de General Store identique à ce que l’on pouvait trouver au Far West au temps de la Gold Rush. J’ai envie d’une glace, d’un sorbet au citron et j’ai exactement 3 shillings en poche. Sur les marches je savourai mon sorbet avant de me décider à décamper. Il se met à pleuvoir au moment où je descends du bus pour courir m’abriter sous l’auvent. Il me faut moins de trois minutes pour assembler mon arme cachée dans la gouttière toute défoncée de cet immeuble délabré. Il pleut tellement. L’œil au viseur j’ai quadrillé le carrefour dans l’attente du véhicule de Conall Fingen et…j’ai appuyé sur la détente. Il me faut ensuite trois minutes pour démonter mon fusil à lunette et attendre le bus. Je viens d’abattre un homme de sang froid… Dans le bus j’ai la nausée ; je réfléchirai à tout cela plus tard. Il me faut agir vite, très vite et la nécessité n’a pas de loi. La mélodie qui me vient en tête est la Symphonie n°9 de Beethoven, plus particulièrement le mouvement Allegro ma non troppo, un poco maestoso. Puis j’abats l’un des sbires de Derek Clarkson. Des deux côtés l’on pensera à un règlement de compte. Tout ce qu’il vaut pour mes affaires. Une fois avec mon frère, je me suis rendue à New York City, à Brooklyn plus précisément et là j’ai vu des Black Panthers faire précisément ce que je fis en ce jour : sauver ma peau et probablement plus encore dans le seul but de venir en aide aux plus défavorisés, aux diminués, à nous autres Les Nègres Roux. Je sais ce

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dont l’homme est capable et mon objectif est de limiter leurs pulsions. Les sirènes hululent au loin. Les secours finissent par déblayer les débris. C’est une chance que l’on m’ait retrouvée là-dedans. Alors qu’on m’évacue bien vite dans l’ambulance, une berline noire démarre en trombe et un dénommé Roy me colle un masque sur le nez pour m’aider à respirer. Et parmi les curieux il me semble discerner le visage de Cinéad Kinstry. On l’a dépêché ici pour être certain que je ne filerai pas. Et dans l’ambulance, je repère la bouteille d’oxygène. Voler un fourgon n’est pas ce qu’il y a de pire, non, le plus dur est bien de rendre cela crédible. Ciaran m’a appris deux-trois trucs là-dessus. En moins de temps qu’il faut pour le dire, le véhicule explose et part dans un nuage de fumée. On lira dans l’édition du lendemain : Une ambulance prise pour cible par l’IRA alors qu’elle contenait à son bord un témoin-clef de la RUC. Cela sonne plutôt bien. Et dans la rue les soldats de la Royal Army multiplie les contrôles et les fouilles. Tout est passé au peigne fin jusqu’aux petites culottes des filles. Léger contretemps et me voilà à la porte de Siomon McIosa, le bras droit de Riagal. « Putain de merde ! » Quel accueil ! « Je ne peux pas te recevoir maintenant, tu comprends. Il y a eu du grabuge à Shankill Road et un enfoiré a tiré sur Moen Sullivan et Lothar Burke. Ce n’est pas bon pour nos affaires. Les frères Fingen vont commencer à montrer des dents et ils font tirer sur tout ce qui bouge. La nécessité de maintenir un équilibre en traquant les adversaires de notre ordre afin de faire

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naître du chaos la stabilité. Combien te demande-t-il ? —Dix mille livres pour demain 18 heures. Riagal le tiendrait donc responsable de l’énorme trou dans sa caisse ? J’ai l’argent mais Fingen n’est pas stupide à ce point-là. Mon crétin de frère a fait la maile et sortir autant d’argent me trahirait. J’ai besoin de plus de temps. —As-tu les microfilms ? » McIosa est un petit malin. Depuis le début il a flairé le pot-aux-roses et veut mettre un terme à la fratrie des Fingen. Il me fait confiance, sachant les gains immenses qu’il empocherait si les frères venaient à disparaître et son objectif tout comme le mien est de les faire tomber pour trafic en tout genre. Après avoir réceptionné les capsules, il me remet une enveloppe scellée. Notre contrat comprend le vol de données contre des vols de données. Un échange de bon procédé. Il y a là la liste des personnes susceptibles de me renseigner sur les élections de 1968 et après l’avoir brièvement parcouru des yeux j’y découvre celui de McLay. Il me tient par le bout du nez et depuis le début me mène en bateau. Mon cœur bat à rompre. J’ai sorti un pistolet pour le braquer sur McIosa des plus surpris. « Tu n’as pas à t’inquiéter, seulement il y a un tireur posté sur le toit de l’immeuble. Je vais devoir te prendre en otage le temps de lever le vol sur ma suspicion. Avales les microfilms et s’il venait à tirer, acceptes mes plus sincères condoléances ». La CIA se trompe sur une chose : mon implication dans la disparition de Ciaran. Pour ces imbéciles-là la mort de Byrne serait étroitement mêlée à cette surprenante absence. Leur ennemi public

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fichait le camp avec le secret le mieux gardé de l’histoire, à savoir qui des deux Fingen tirait les ficelles de ce merdier ? Ce que Ciaran a fait de bien en disparaissant est bien d’avoir semé la zizanie. Bon, notons tout de même que ces Amerloques ne sont pas tous des débutants, des petites recrues tout justes sorties de la « Ferme » de Camp Peary. Mark Lewinsky sait que je ne plaisante pas ; un seul coup de fil et vous vous trouviez la jugulaire tranchée marinant dans votre propre pisse. Les dealers du coin sont autant de taupes, d’indicateurs. Il est possible que Ginger ait craché le morceau. Et qu’auraitelle dit au juste ? La parole d’une toxico valait-elle quelque chose auprès d’un tribunal dit-compétent ? Depuis que j’étais ici j’en avais fréquenté des adeptes de la contre-culture accros au LSD, à la grass et à l’acide. Et pour savoir comment ils pensent il faut au moins une fois dans sa vie faire l’expérience d’un kiff, juste pour que l’on vous dise : Toi aussi, tu as connu le nirvana ? Et après la perte de Summer je restais convaincue que cette merde-là tôt ou tard vous grillez lamentablement le cerveau. En résumé la CIA cherche n’importe quel moyen pour m’extrader (bien qu’elle manque de preuves) et là le cul visé sur ma chaise je découpe des lettres dans un journal pour une lettre anonyme à l’ancienne. Un tube de colle, une paire de ciseau et une pince à épiler et voilà le travail ! Le 4 février, jour de mon ultimatum avant qu’une balle de calibre 30 ne vienne perforer mon crâne, Owain Donall me trouva un subterfuge pour éviter les fouines de la RUC et malgré cela l’autre

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fouille-merde de Derek Clarkson crut bon m’envoyer cette momie de McNeil. Il a l’air en forme. « Que s’est-il passé hier soir ? Ton appartement aurait explosé à ce que l’on raconte et l’ambulance aussi. Tu aurais été admise aux urgences peu de temps après, c’est surprenant non ? —Pas plus surprenant que ton expérience de mort imminente. Mon appartement a été truffé d’explosifs et il a fallu une étincelle pour faire exploser le fourgon. En quoi suis-je responsable ? » Il parait des plus sceptiques, affichant un sourire qui en dit long. Cela m’agace la bonne foi que certaines victimes affichent quand plus aucun espoir ne semble subsister. Je lui fais répéter sa question avant de trouver une faille dans son blindage. C’est un ancien combattant de la Lybie et…comme tout ancien soldat il est vulnérable. « Tu étais à Tripoli quand Kadhafi vous a bouté hors de son territoire et vous avez laissé ce déséquilibré imposé un nationalisme arabe radical, ce qui eut pour conséquence la montée en flèche du prix du baril. Quand cela se produit, quel sentiment éprouvez-vous ? —J’étais un soldat et l’on ne demande pas à un soldat de réfléchir. On appelle cela le devoir. Mais revenons à ta soirée d’hier. Quelle brillante mise en scène, il faut l’avouer ! Le timing, l’équipe dans l’ambulance et l’autre au carrefour. La dose d’explosifs dissimulés dans le premier véhicule. Le faux urgentiste et l’admission bidon. Du grand art. Plus que jamais tu te surpasses. —J’aimerais être cynique comme à mon habitude mais je ne suis pas d’humeur

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aujourd’hui. Dis-moi ce que ressent un soldat en voyant ses frères d’armes tomber devant lui. Est-il juste que tu sois encore en vie quand tant d’autres sont tombés pour une cause qui leur échappait ? Le devoir semble-t-il et tout le monde sait que tu es un homme de principes convaincu d’avancer pour le bien fondé de sa mission. J’aimerai avoir cette confiance en moi mais tout le monde sait ici que j’ai mes faiblesses. —Quelles sont-elles ? » Voilà, il commençait à se montrer enthousiaste. La MI6 recrute ses fins limiers après examens, tests et tutti quanti. Aptitudes à gérer le stress, capacités d’adaptation, charisme indéniable, compétences linguistiques, l’instinct de conversation et une immense réserve de confiance. La confiance. C’et bien ce qui m’agace en lui car il a développé une forme de renforcement mental. Il est imperméable au monde extérieur, rien ne l’atteint. « La confiance. Elle nous condamne dans tous les cas et tu n’échapperas pas à ce triste principe. —Je suppose… » Il sait que je bluffe mais faire semblant nous permet de trouver un terrain d’entente. Disons qu’il est réceptif à mes mensonges car il sait qu’ils font partie de mon quotidien. Pour comprendre les fous, les psychiatres s’immergent dans l’univers chiadé de leur patient et il en sort parfois la guérison. Alors il est tout à fait normal qu’on l’ait désigné pour venir me questionner sur mes objectifs. Il analyse très vite, j’aimerais être dans son esprit pour comprendre ses motivations. Il sourit.

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« La nécessité a-t-elle une loi quand on s’appelle Niahm McCullen ? —Quand la chance tourne, il faut alors se fier à autre chose comme le talent ou le travail. Hier j’ai eu de la chance quand le talent m’a fait défaut. Jusqu’à maintenant je n’ai fait qu’étudier dans des manuels universitaires et ce travail m’apporte matière à réflexion ». Un groupe d’étudiants passa devant notre banc. Il les suivit du regard avant de faire glisser un journal vers moi. La manchette annonçait la mort par balles de deux officiers de la Ruc en plus de celle des députés dont on taisait pour le moment l’identité. « C’est étrange non ? —Quoi donc ? Qu’il y ait autant d’officiers de la RUC sur un périmètre si réduit ? J’ai été victime d’un attentat hier et… tu es là à me questionner sur la nécessité d’une bonne guerre. Si tes hommes appuient sur la détente il y aura des cadavres de la Special Branch dissimulé un peu partout sur ce même périmètre. A ta place je tiendrai à la vie, alors acceptes mon offre ». Derrière mes lunettes fumées, je vis Dalaigh Lochlainn et mon cœur s’emballa. Que faisait-il ici ? Le cure-dent coincé entre ses lèvres pleines il monta à bord d’un véhicule. Il savait que je regarderai de ce côté, que je mordrais à l’hameçon. Les snipers de l’IRA me tenaient en focus dans leur lunette et ceux de la RUC également. J’étais faite comme un rat par la faute de Ciaran. « Ton offre ? Tu es déjà morte Niahm et tu ne quitteras jamais ce parc vivante. Aurais-tu une dernière volonté avant que l’on t’exécute ?

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—Je demande dix mille dollars pour un nom, celui du contact de Fingen et du regretté Byrne ». Son expression faciale le trahit. La fameuse confiance citée précédemment. Le MI6 chargeait la Special Branch de me faire cracher l’info et de nombreuses carrières en dépendaient visiblement. Ce type restait le seul capable de témoigner contre Fingen. L’idée était de tous les faire tomber. « Montes dans ce véhicule ! » Lochlainn me poussa à bord avant de me conduire dans le QG de Riagal où se tenaient Mc Iosa, Paor, Mc Donaugh et tous les autres pontifes. Enfin ils sont tous là. Grand silence autour de la table et cette cave enfumée pourrait être le dernier endroit où je me serais sentie vivante. « Prends cette putain de chaise Mc Cullen ! » Tonna Siomon Mc Iosa tandis que Riagal me fixait prêt à me tailler en morceaux. « Tu as l’air en vie pour quelqu’un qui vient de survire à une explosion. Spectaculaire ! Quelques égratignures superficielles mais rien qui ne t’ait déformé. Toujours aussi bandante, n’est-ce pas Lochlainn ? Il n’est pas très loquace en ce moment parce qu’une salope a descendu deux de ses poulains. Il est nerveux, tu comprends. Il va bientôt disputer un grand match et… Paor, donnes lui son présent. C’est pour toi, ouvres le carton ! Allez ! » J’ai retenu un hoquet en voyant la tête du capitaine Ian Mc Neil plantée dans la glace. « Kinstry l’a abattu et Mc Lochlainn a fait le reste. Avoue que c’est du joli travail, ajouta ce dernier en m’enserrant les épaules. Tu n’aurais pas fait mieux ».

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La porte s’ouvrit sur Duncan McGill et Fingen. « Combien elle te doit encore ? —Dix milles dollars avant dix-huit heures, répondit Fingen en dégageant Thomas d’une chaise pour s’y assoir. Elle va respecter les délais, et elle a plutôt intérêt ». Ce clin d’œil et quelle façon horrible de mâcher sa gomme ! Putain, Ian Mc Neil est mort et je ne remarque que les dents découvertes de Fingen ! Il me faut dire quelque chose et très vite. Le MI6, la CIA et l’IRA s’attendent à se partager la part du lion, celle de ma carcasse. Ils s’attribueront des mérites et l’affaire sera classée sans suite, jusqu’à ce que Ciaran réapparaisse un jour… « Ma dette sera acquittée quand Fingen réglera la sienne. Et bien tu ne leur as pas dit ? Ta modestie t’étouffe car ce trophée de chasse devrait revenir à notre Fingen. —Quelle dette te doit-il ? On forme une famille ici alors rien ne doit être tu. Parles ! —J’ignore ce dont elle fait allusion mais il n’y a rien qui puisse… —La ferme Fingen ! Toi tu causes ! » Alors j’ai feint la surprise. Et si nous avions été seuls il aurait ferma ma gueule à coup de clefs à molettes. Tous nous fixaient passant de l’un à l’autre en se demandant ce qui clochait entre nous. « Et bien… j’ai miné l’entrepôt de Doyle. Dix mille dollars c’est exactement la somme dépensée pour faire un peu de ménage chez Stuker et… —Des putains de conneries. —Laisses-la finir, intervint McIosa en se grattant le menton. Mon otage de la veille me suivrait jusqu’à la mort désormais trop impliqué pour faire machine arrière. Elle

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est réglo alors tu la laisses finir. Petit, sert nous à boire ! » Corcoran allait s’y exécuter quand mon tireur d’élite préféré apporta verres et whisky. Il fallait boire ou crever sans aucun honneur. Tandis que le liquide coulait, Fingen me fixait tout en broyant sa pâte à mâcher de ses puissantes mandibules. Tout le monde autour de la table a bu cul-sec et puis les cœurs se sont mis à battre pris d’une soudaine frénésie. « Alors si ce sont des conneries je n’irai pas plus loin ». Et McGill d’appuyer fermement sur mes épaules pour me faire assoir de nouveau. Riagal ne pipait mot mais commençait à comprendre, pas trop tôt ! Fingen cherchait à couper sa principale source de revenus en gelant toute transaction avec Doyle. Aussi modeste soit-elle, cela aurait tôt fait de le contrarier. « Tu ne veux pas savoir ce que ton petit copain de la RUC aurait dis avant de crever McCullen ? —Il était déjà mort avant que vous ne l’abattiez par conséquent j’ai pu entendre sa confession. Mais je serais heureuse de savoir ce qu’un ancien officier des renseignements de la Libye aurait pu vous révéler de si croustillant. Mais vas-y Lochlainn fais-moi cet honneur ». Il posa un doigt enroulé dans un vulgaire journal. La chevalière de mon frère… C’était une blague ? Non tout cela n’était que de l’intimidation. Mon frère avait le doigt plus fin. « Il s’excuse d’avoir manqué de discernement et salue ton entreprise. C’est quoi la phrase qu’il a employé déjà ? Ah oui. La nécessité n’a pas de loi quand on s’appelle Niahm McCullen. Il a dit que tu

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comprendrais. Et ça, en désignant le doigt de Ciaran, c’est tout ce qui reste d’un traître après un rapide passage aux abattoirs ». A peine eussé-je bondis sur lui pour lui foutre un coup de boule que Fingen m’a jetée à terre pour me réduire au silence. Je remercie toujours la providence dans pareil contexte. Ils m’ont évacué. Je criais et gesticulais dans tous les sens. C’est ce qu’il faut faire quand vous n’avez plus d’autres alternatives, ainsi vous disposez d’un peu de temps pour réfléchir. Non cela ne pouvait être Ciaran ! Dans chaque conflit armé il y a des pertes mais… je dois rester concentrée. Alors qu’on me conduisait dans une cave humide loin de tout espoir j’ai transmis des repères cartographiques à l’oreille de Kinstry. Il sait maintenant où chercher. Il ne me reste plus qu’à attendre que la CIA fasse son travail. McGill m’a tabassé avant de me laisser inerte à geindre comme une chienne pleurant qu’on l’achève après une collision avec un véhicule. Quand j’étais gosse j’ai vu un chien claquer devant mes yeux. Du sang coule de mes lèvres et c’est à peine si j’arrive à respirer. La porte a fini par s’ouvrir. Putain c’est Fingen…je n’arrive même plus à ouvrir les yeux mais je le reconnais à son odeur quand il soulève mon ma mâchoire pour m’obliger à le regarder. Il est furax et il va me le faire payer cher. Duncan enfile des gants de cuir. Comme s’il n’avait pas assez frappé toute à l’heure ? « Tu vas m’écouter attentivement. Tu m’écoutes là ? Il ne te reste plus que trente minutes pour rassembler la somme dont tu me dois. Mais comme tu es ici pour un long moment Duncan et moi on va te filer

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un coup de main. Non, n’ais pas peur. Je ne te ferais aucun mal. Duncan sait parler aussi parler aux femmes, tu verras ». Et il recule pour le laisser faire. Il suspend une corde à une poulie fixée au plafond et attache mes poignets par l’arrière. Je ne vais pas survivre. Mes articulations font craquer. Duncan saisit une batte de baseball à pleines mains et active un espèce de moteur pour me hisser sans le moindre effort. « Je veux mes dix mille dollars McCullen et ensuite tu seras libre. —Vas te faire foutre… —Alors on va devoir te cuisiner un peu au sujet de ce que tu sais : la mort si soudaine de Byrne par exemple. Tout comme tu avais un nom à donner à McNeil mais il a clampsé avant de pouvoir l’entendre. Duncan, montes-la un peu… au début ce n’est pas douloureux mais après tu vas véritablement prendre du plaisir. Tu vas avoir des putains d’orgasmes ma chérie et tu vas en redemander. Non, ne t’évanouis pas maintenant ! » Il m’a giflé. De petites tapes qui n’ont fait que prolonger le supplice. « Dis-nous pour qui tu bosses ». Le temps leur était compté. Fingen savait que Riagal ferait son enquête aidé par Sioman McCiosa prêt à rétablir la vérité. La vérité. Il est également possible que Riagal ne veule rien entendre : trop d’intérêts mis en jeu. Alors que mes os craquent je pense à la tête que fera Kinstry en découvrant le petit paquet savamment ficelé à l’adresse chuchotée à son oreille. Se précipitera-t-il sur un téléphone pour appeler l’autre tapette de McGerailt et lui ne pourra s’empêcher de contacter Langley. « Je n’ai

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pas entendu Mc Cullen, pour qui tu bosses ? —Pour ton salaud de frère ». Réussisseje à bafouiller avant qu’il ne fasse signe à Duncan d’activer la poulie. « Prouves-le. —La fusillade était l’œuvre de ton frère… si je meure…il y aura une place au purgatoire pour vous. Il n’apprécie pas que… Il a des preuves de ton implication contre Riagal et…à dix huit heures…il te remettra ton putain de frics avec une jolie petite note à l’intention de Riagal. —Relâches-la, dépêches-toi ! Toi et moi on va faire une petite ballade ». Je n’aime pas entendre ce terme : petite ballade. Et dans la voiture j’attends en tremblant, une sorte de réaction physiologique face stress et les os en vrac, la peau tirée de partout je fixe le rétroviseur sans parvenir à cesser mes nombreux tressautements. Lochlainn remonte en voiture et remet un paquet de cigarettes à Fingen. « Il va être dix-huit heures et tu n’as toujours pas le fric. On fait quoi d’elle ? —A toi de nous le dire champion, riposta Duncan en se retournant vers nous. L’autre enfoiré nous a dit d’attendre ici. Voilà notre homme. Vas chercher le fric, fillette ». Le contact est l’un des sbires de notre Mc Gerailt. Il me remet le fameux petit paquet savamment fixé avant de disparaitre comme il était² venu. Finalement la CIA se monstre coopérante et en boitant je remontai dans le véhicule au bord de l’évanouissement. Les oreilles bourdonnantes et le souffle réduit à un dé je m’efforçai de rester éveillée. Les sons me parvenaient par saccades quelque peu étouffées par l’afflux du sang dans mes

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tempes. « L’argent est bien là et il y a un papier vierge avec. —Donnes-moi ça, c’est que tu ne sais pas lire ! C’est l’adresse d’un pub. La carte de visite d’un pub, l’un des bouges du boss. C’est ton secteur Lochlainn et j’espère que tu y as fait le ménage avant de venir me sucer la queue. —Je n’aime pas le jeu auquel tu joues Fingen. Ne nous implique pas dans une histoire qui ne concerne que toi et toi seul à un moment où tu n’étais pas en phase avec toi-même et où tu aurais pu tous nous perdre avec tes idées absurdes et ton égo surdimensionné. —Oh, oh ! C’est quoi ça ? Tu nous fais quoi là Lochlainn ? Qu’est-ce qui t’arrive, hum ? On ne te demande pas de réfléchir Dalaigh Lochlainn mais bien d’agir et c’est bien pour cela que tu as intégré la famille ; faut pas que tu l’oublies ça. —Je ne te demande pas ce que tu faisais à Ardoyne avec notre Sleepy beauty à la date du 6 février ? Tout ce que je dis c’est que ça pue et je m’interroge c’est tout. Tu es réglo avec moi n’est-ce pas ? Ai-je des raisons de m’inquiéter ou est-ce que tout rentre dans l’ordre ? » Les deux se toisent du regard. La tension est bien palpable et lentement je reviens à moi. Les hommes ne sont pas bons menteurs et Lochlainn bien que fieffé menteur ne résistera pas longtemps à un nouvel interrogatoire de la Sainte Inquisition régit par le Saint-père-Riagal. J’ai tellement morflé toute à l’heure que je ne ressens plus mes membres. Ma soirée se passera dans une baignoire remplie de glaçons. « Tout rentre dans l’ordre, trancha Fingen sans le lâcher des yeux, mets-toi

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cela dans le crâne ou quittes cette bagnole. Toi tu roules jusqu’à cette adresse et si notre champion est d’accord on va faire un peu de nettoyage pour nettoyer toute cette merde avant que l’odeur nous importun ». Dans le rétroviseur mon regard croise celui de Duncan. A présent il tient une preuve supplémentaire de la culpabilité de Fingen : la peur lui fait prendre des décisions irréfléchies. Comme il tire nerveusement sur sa cigarette j’en déduis que la carte du club l’interpelle. Siomon McIosa est déjà sur place avec ses grosses brutes toujours soucieuses de plaire à leur leader. « Je ne veux pas de mouchard chez moi, laisses-la dehors. Lochlainn ramènes-toi, on a besoin de tes compétences d’ouvreur. Une putain de boites qui refuse de s’ouvrir. Vois ce que tu peux faire. Quant à vous deux…on va boire. C’est la tradition non, avant le grand saut ? » Des milliers d’images me submergent, des images sans lien direct s’estompent pour former une falaise. Des chevaux galopent. Un garçon joue avec un ballon. Une mère pousse un landau contenant une bombe. Et je saute de la falaise…c’est toujours étrange de se sentir happer dans un rêve. Tout le corps semble être attiré par le vide causé par votre subconscient ; la porte s’ouvre et l’air s’engouffre. Tuezles tous. Jusqu’au dernier. Il me faut me reposer, mais pas maintenant. Plus tard. Dans le véhicule cahotant, Duncan me fixait dans le rétroviseur et je ne distingue que ses sourcils circonflexes. « Les choses s’améliorent pour toi on dirait. Le vent tourne en ta faveur. Tu te réveilleras dans un hôtel aux draps propres, au service de chambre correct et

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demain tu auras tout le loisir de profiter de ton nouveau statut. Tu es en état de choc Niahm et on t’a administré un sédatif qui va te faire dormir de longues heures durant. Nous voilà arrivés… » Et lui de me sortir du véhicule comme s’il eut s’agit d’une vieille loque. Je souffre et je bave. Qu’il n’est pas bon d’être dans cet état. La tête entre les jambes je ne parviens à vomir. L’appartement est miteux : des cartons partout, la moquette défoncée de partout, une putride odeur de pisse. Sur le sofa je fixe l’insecte déambulant paisiblement entre mes chaussures. J’ai envie de pisser et je crois bien m’être faite dessus. Là en face, Duncan me fixe de ses petits yeux, le mégot pendant sous sa moustache de morse. « Personne ne sait que tu es ici, pas même Fingen. Quand je dis que tu as obtenu de la promotion ma chérie c’est bien pour la simple bonne raison qu’on va apprendre à se connaître…dans l’intimité et plus en détail. Qu’est-ce que tu dis, je ne t’entends pas ? —…te faire foutre ». Cette remarque, je sais est des plus pourries mais je ne parviens à réfléchir tant mon cerveau semble griller. Et puis je ne sens plus rien, impossible de ressentir la douleur, or je me souviens avoir dégusté. Ses lèvres se posent dans mon cou mais je ne sens rien, pas même quand il baise mes lèvres tout en titillant mes tétons. Il me retourne puis s’enfonce en moi. Le coït dure assez de temps pour tenter de mettre mon cerveau en marche. C’est enfoiré me baise et je suis incapable de réagir. Il me mord le lobe de l’oreille au moment où il

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jouit et reste un moment sur moi comme pour mieux apprécier la situation. « Je vais buter Fingen. Je vais me faire ce fils de pute et tu vas m’aider à le coincer. Cet endroit sera notre planque avant notre adresse officielle. J’ai confiance en toi Niahm et…on mettra le monde à nos pieds ». Il se met à pleuvoir. Une ambulance passa à vive allure en envoyant des trombes d’eau de chaque côté de la chaussée. Al Capone est tombé pour fraude fiscale. Eliot Ness et ses Incorruptibles. L’administration fiscale et la police l’on inculpé pour des revenus plus importants que ceux déclarés entre 1924 à 1929. Impossible pour moi de réfléchir davantage. La porte s’ouvrit sur Dalaigh Lochlainn et il m’est impossible de savoir ce que je ressens pour lui : aversion, colère, haine ou incompréhension. De tels sentiments s’équivalent. Mon café n’a aucun goût et puis ce gout métallique dans la bouche. Pour quelles raisons ont-ils descendus Ciaran ? « Tu brasses de l’air avec tes beaux serments sur la loyauté et le sens du devoir. Je prendrais un café, noir et sans sucre…je suppose que tu es à l’initiative de ce rencard, pas de Duncan derrière le rideau à agiter les ficelles de son nouveau pantin. Retiens-le avant qu’il ne commette l’irréparable. —Il faut que tu m’aides ou tous nos efforts auront été vains ». Avec quelle rapidité avala-t-il son café ? Dehors ses molosses l’attendent. Il est sous haute protection depuis que l’assassin de Byrne courre toujours, les crocs découverts prêts à arracher toutes ces

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gueules d’Irlandais véreux et cafardeux. Le béret enfoncé sur le crâne et le curedent entre ses lèvres épaisses, il est là sans être là. Lointain et peu loquace comme à son habitude. Il règle les deux commandes et se prépare à décamper. « Dans cette merde tu t’y es mise toute seule. Qui a dessoudé Byrne, hein ? Continues à nous prendre pour des cons quant à moi, je me tiendrais à distance de ton petit cul jusqu’à ce que Fingen s’extirpe des griffes de la RUC ». Il s’est barré et je n’ai rien trouvé à lui répondre, moi qui d’habitude suis si alerte et spontanée. Où donc est passée ma vergue ? « Il y a quelqu’un pour vous au téléphone ». La serveuse, une grande blonde au visage chevalin me pointa du doigt l’alcôve servant de relais téléphonique. J’ai décroché. « J’ai quelque chose pour toi, rappliques ». Puis plus rien. Qui ? Je ne suis pas parvenue à l’identifier. Qui cela peut-être ? Ma tête va éclater telle une pastèque. Je dois rester concentrer pour ne pas…je pleure suspendue au combiné. L’envie de m’ouvrir les veines me prend soudainement. « Mademoiselle, Mademoiselle ! » Tu réponds conasse ? « Quelqu’un a laissé ceci pour vous… » Quelqu’un ? Cela pourrait être n’importe qui. Tout va trop vite dans ma tête. Tirestoi, ne restes pas une seconde de plus dans ce bouge. La RUC me cueille à ma sortie et Derek Clarkson m’invita à monter dans la Ford. Pour moi c’est un grand moment de gloire dont je ne parviens à apprécier la saveur. «Pourquoi mon homme ? McNeil était mon meilleur officier et lui te confiance, le seul à pouvoir affirmer que tu n’étais pas

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aussi paradoxale qu’on pourrait le croire. Tout ce que tu entreprends répond à un plan bien défini et je pourrais te faciliter la tâche si tu te montrais plus coopérative. J’ai perdu un homme, mort de façon atroce et en ce moment Genan Fingen fait l’objet d’une enquête concernant son implication dans le meurtre de mon lieutenant. —Il ne tombera pas pour cela et vous le savez mieux que moi. Souvenez-vous d’Al Capone et si vous voulez tomber dans la légende et que l’on se souvienne de vous comme d’Elliot Ness alors allez frapper à la bonne porte. —Attends, attends, attends, qu’est-ce que tu essayes de dire ? Niahm, je dois pouvoir te faire confiance ». Comment tout faire péter ? Comment en finir avec ces ploucs ? Il existe portant un lien entre Clarkson et Lochlainn ; un lien qui me permettrait de toucher le jackpot. Et quel jackpot ? Une vie à fuir les vengeurs de Fingen car la CIA malgré les dispositifs déployés se montre bien peu efficace face à une armada de tueurs venus de l’Ulster pour vous expédier dans l’audelà. Duncan m’a violé. « Est-ce que tout va bien McCullen ? Niahm ? —Pourquoi crois-tu que je vais réussir là où d’autres ont échoué ? Rien ne changera jamais. Fingen sera remplacé et le monde continuera à tourner sans que la génération future ne se souvienne de vos actions. Fingen devait se marier et sa pétasse va se persuader que je l’ai vendu à vos officiers. Ce qui va sans dire jettera l’opprobre sur mon nom. Les irlandais ont besoin de leader comme les afro-américains ont les leurs, ce n’était vraiment pas le moment de tout compromettre avec de tels soupçons. Fingen n’a jamais donné l’ordre de tuer

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McNeil. Siomon McIosa pourrait cependant être cet homme. Il est le trésorier de Riagal et le bras droit de Fingen, par conséquent il est mesure d’influencer l’un ou l’autre des protagonistes. Après l’explosion de mon appartement je suis allée le trouver pour qu’ils puissent m’accorder un sursis. Rien n’est gratuit et le prix à payer a été… Duncan s’est gracieusement servi. A lui je lui réglerai personnellement son compte. —L’étau se resserre sur toi et à moins d’être invincible tu n’échapperas pas à la colère de ces psychopathes. On pourrait te mettre à l’hombre quelques jours. Le mieux pour toi serait Crumlin Road, tu y as tes habitudes et tes relations. Niahm… prends soin de toi d’accord ».

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Enregistrement n°9 Belfast ne semble pas prête à se remettre de ce qu’il s’est passé au Bogside à la date du 30 janvier et partout dans les ghettos catholiques l’on ne parle que de revanche et de vendetta. Si la mort du lieutenant McNeil passe pour « accidentelle » rien ne semble ébranler le moral de la RUC et encore moins celui des catholiques organisant grèves et manifestations. Nous sommes à la mi-février et j’ai mes deux bras, mes deux jambes et je respire toujours ; une chance pour quelqu’un qui a tant d’ennemis dans cette ville. Depuis la mort tragique de McNeil, Indech Mc Gerailt semble s’être évanoui. A l’université, notre professeur d’économie ne laissa aucune note quant à la reprise des cours et comme la classe se trouve être décimée suite aux événements politiques j’erre dans les locaux de la Queen telle une âme en peine. Pourquoi Diable la CIA ne donne-t-elle plus de nouvelles ? Alors que je me file voir Maddén Mag Ghabban qui bientôt se retrouvera son logement social, un type s’assoit derrière moi dans le bus et me tend un livre au moment où j’allais descendre. « Je crois que vous avez oublié ceci ». A l’intérieur de la couverture du livre je trouve une adresse où je m’y rends. Indech se tient dans les gradins du stadium où ont lieu les courses de lévriers. Je parie sur deux courses avant de me rendre à la cafète remplie de soiffards et d’amateurs de sport gaéliques. Ici les diffusions radio et télévisuelles sont en langue oghamique et ici l’on ne cause que de l’IRA provisoire, du Sein Finn et de la boxe tout en sirotant de la Guiness et du Whisky. Et

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McGerailt s’assoit près de moi, commande une pinte d’Ale et des cacahuètes avant d’attraper le journal posé près de mon café noir. « Qu’est-ce que c’était toute cette merde McCullen, tu m’expliques ? On a perdu un allié de choix, l’un des meilleurs du MI6 alors ne refais plus jamais cela ! Tu connaissais l’enjeu putain, alors que s’estil passé ? —Et tu crois peut-être que sa mort ne m’atteint pas ? Je fais seulement ce que vous autres craigniez de faire : vous salir les mains. Le sniper m’avait dans son collimateur et c’était lui ou moi. —Il nous était très utile lui, et tu viens de saborder des années de collaboration pour…pour quoi au juste. A-t-on seulement une identité ? Aucun résultat parce que tu ne nous sers à rien sur le terrain qu’à nous faire perdre du temps. Or chaque jour mes hommes risquent leur peau. Est-ce que tu comprends cela ? Tu es dans une merde incontrôlable et j’ai l’ordre de t’évacuer. —Quoi ? Pour aller où au NouveauMexique ? A la Barbade ? M’évacuer signifie pour vous m’envoyer dans une prison fédérale avec en prime des charges bidons capables de faire plier un grand jury et ainsi m’inculper pour le restant de mes jours. —Et tu ne prendras que vingt ans, c’est peu cher payé avec en prime la possibilité de faire appel. —Tout cela est sensé me faire peur ? —A moins que l’on trouve un autre arrangement. On a besoin d’agent de terrain expérimenté, des agents de ta trempe et tu passerais par Langley un an ou deux, ce qui sous-entend une nouvelle

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identité et une loyauté sans faille pour la cause que tu serviras. C’est là la plus belle offre que je puisse te faire au vu de tes antécédents et de tes relations peu recommandables. —Langley, hein ? N’est-ce pas un peu prématuré comme enterrement ? » Tous les mâles celtes sont dans les gradins pour encourager leurs chiens. L’occasion nous est donné de parler sans attirer l’attention de l’IRA. Il attrape le mégot de sa cigarette pour l’écraser dans le cendrier. « Tu vois mieux peut-être ? Ta réponse maintenant ou bien ta mort passera pour accidentelle dans le quotidien de demain. Tes petits amis Provos se montreront moins tendres avec toi si l’on te piège de la même façon que tu as piégé McNeil. Alors ? » Mes pensées se tournent vers Lochlainn. Je l’ai dans la peau et il me serait impossible de quitter Belfast sans lui. Or jamais il n’acceptera de me suivre, refusant de sacrifier sa carrière pour une McCullen de mon espèce. « Combien votre boss a-t-il parié sur ma tête ? Trois cent dollars ou seulement six ? Je doute que cela doit-être très excitant pour vous autres du Pentagone mais pour moi…cela révèle une certaine forme d’abnégation à mon grand sens de l’humour ». Soudain ma respiration se coupe. Vient d’entrer Duncan McGill et bien-sûr c’est moi qu’il cherche. Derrière les agents de la CIA s’agitent derrière leurs jumelles, leur journal et leur bock de bière. « Jake Guzit, cela te dit-il quelque chose ?

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—Oui il collaborait avec Capone lors de la Prohibition et qu’est-ce que cela vient faire là dedans ? » Aux WC McGill me rejoint dans l’escalier Sa robuste main me coupe le sang et depuis la journée du 4 février je suis tendue, nerveuse et susceptible de dérailler à tout moment. Il le sait et ajoute un peu plus de pression à tout ce merdier. « Une connaissance veut te voir. Salle municipale de Suffolk et il m’a chargé de ne pas te lâcher des yeux. On dirait que tu as pris du galon ». Les boxers se battent dans la cage. Aïe, ils dégustent bien les bougres ! J’attends là depuis deux heures, autant dire une éternité et à l’aide du programme je m’évente parce qu’ici il fait une chaleur à crever. La peur des bombes oblige les plus craintifs à couper la chaufferie. Absurde. Les terroristes n’emploient pas l’arrivée d’air à des fins d’extermination massive. Terrorisme ne rime pas avec nazisme pour la petite histoire. Et Conall Fingen se place derrière moi entre un beatnik à lunette et le médaillon peace and Love et un gras du bide accompagné de sa bière pour ensuite beugler dans mes oreilles comme si le sort du monde en dépendait. Comme il pleut, l’air semble s’être rafraichi mais pas suffisamment pour m’empêcher de transpirer par tous les pores. « Il faut parier. Tout le monde parie ici et tu ne peux déroger à la règle sans passer pour arrogante au sein de cette communauté. Ils sont respectueux envers toi et t’ont accueilli comme un membre de leur famille à part entière. Ce genre de privilèges ne peut être bafoué. Il existe des

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règles à respecter et je ne voudrais pas que tu es d’ennuis, tu comprends ? » Je comprends surtout l’objectif de cet entretien. Il veut s’assurer de mon silence et il a les moyens de me faire taire. Si je suis en vie aujourd’hui c’est bien en partie grâce à lui. Nulle envie d’être sa chienne, celle que l’on fait venir en sifflant. Passer un accord avec moi ne me fera pas renoncer à mes objectifs. Ses doigts effleurent mes bras et j’en éprouve des frissons de dégoût. La nausée me monte aux lèvres. « Personne ne te veut du mal Niahm mais mon frère est très susceptible. Ce trait de caractère est de famille. Sur un malentendu il pourrait te briser la nuque ». Ses yeux s’arrêtent sur mes lèvres et descendent jusque dans mon corsage là où ses mains rêveraient de s’y engouffrer. Son odeur me taquine les narines, cette menthe poivrée a tout pour me déplaire. Pour masquer l’odeur d’alcool il doit en croquer en forme de pastilles. Dès lors mon attention se concentra sur le match et sur McGill, le cure-dent dépassant de derrière ses moustaches de morse. « Ton amie. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Ginger si je m’en souviens bien aurait fait quelques confidences à mon chauffeur, notamment le fait que tu t’immisces chez autrui pour leur soutirer des informations. Je déteste la boxe mais je viens ici pour parier, c’est pour moi le seul moyen de me faire des relations et de prendre la température de la ville. Même si un tremblement de terre viendrait ébranler Belfast, il y aurait toujours des spectateurs pour ce genre de divertissement. —La parole d’une junkie aurait-elle subitement de l’intérêt pour vous ? Un

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tremblement de terre pourrait altérer votre jugement de la situation. Cette ville est au plus mal, brûle de partout et vous profitez d’un match de boxe amical pour me parler de Ginger ? Où donc se cache votre soif de vérité ? A présent laissez moi voir comment se comporte mon favori du jour, que je sache au moins si mon investissement me rapportera quelque chose ». A l’excitation de la foule, je comprends qu’il vient de se faire mettre K.O par l’autre champion d’un bled paumé de l’Antrim. Autour de nous, on siffle, on jette des projectiles de toutes sortes, on s’invective. L’ambiance arrivée à son paroxysme n’annonce rien de bon pour la suite des confrontations à venir. « Tu viens de perdre. Admets que tu ne peux gagner à tous les coups, en léchant le papier d’une cigarette à rouler. Misé sur le mauvais bougre et perdre sept livres quand tu aurais pu le faire sur un boxer d’une catégorie inférieure à la sienne et remporter le double voire le triple. Je serai curieux de savoir ce que ton père t’a dispensé comme enseignement. Certainement pas la prudence et l’humilité. West Belfast, hein ? Avec pour camarades de jeux des petites frappes comme Bartley Fitzgerald ou Vaughan Leach. Aimeriezvous savoir ce qu’ils sont devenus ? » Incapable de contrôler les pulsations cardiaques et par extension ma respiration, je m’efforce de paraître détachée voire indifférente mais l’angoisse est telle que je crains perdre la tête. « Arrêtés il y a six jours de cela. Tous les deux pour avoir commandité l’assassinat du lieutenant de la RUC. Scotland Yard les interroge et d’autres noms vont tomber. A

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votre place je me ferai du souci. La CIA niera t’avoir impliqué dans leur ménage et le MI6 ne se mouillera pas davantage, pas pour l’assassin de mes deux hommes et celui de Byrne. Les pistes ne seront pas dures à remonter. —Je ne suis pas responsable de tous les macchabées dont il vous faille identifier à la morgue. Cela vous va bien de prodiguer des conseils, vous qui… Non rien, laissez tomber. Votre frère a raison sur un point : vous êtes… » Les mots refusent de sortir. Alors j’éclate nerveusement de rire. Paris. J’aimerai aller à Paris, croquer Notre-Dame et la basilique du Sacré-Cœur ; je passerais du bon temps là-bas à siroter un Perrier à la terrasse d’un café dans le quartier de Saint-Michel. Il ne comprend pas mon sourire. Il pense que tout va bien, que cela fait partie du jeu mais au fond de moi, rien ne va plus ; quelqu’un quelque part à appuyer sur le détonateur et je vais imploser, ma chair va se répandre partout, les premiers à en être recouverts seront les types de devant. Ils partiront en hurlant, sans vraiment comprendre ce qui leur arrive. « Et ensuite ? Quelle sera la limite ? Vos petits amis de l’IRA véritable se montreront réceptifs à votre patriotisme révélé au monde entier ? Je vois déjà leur tête quand ils liront dans l’An Probacht combien l’action des Provisoires aura été décisionnaire dans votre quête de mysticisme. —Intéressant. Est-ce Janis Joplin qui t’inspire à ce point ? Ou ton du Dr. Martin Luther King ? J’aimerai avoir plus de temps mais les affaires sont les affaires. Tu comprendras n’est-ce pas ? »

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En sortant de l’immeuble je vomis dans la ruelle. Il me sort plein par le nez, un liquide visqueux composé des restes non dissous de la bouffe de ce midi. J’y trouve des morceaux de saucisses à l’ail et de la purée rendue liquide en plus de ce moelleux aux noisettes ; le tout m’ayant couté plus de cinq livres sterling et voilà ce repas rendu à mes pieds. « Est-ce que tout va bien pour toi ? » Duncan use et use de politesse envers moi. A croire qu’il est affecté aux dernières volontés du prisonnier et cet air condescendant m’exaspère. Quoi j’ai vomi, on ne va pas en faire tout un pataquès ! Lui bien-sûr ne l’entend pas de cette oreille depuis la mise au trou de son employeur. Sa robuste main caresse ma nuque et il me faut peu de temps pour fuir son étreinte. Conall Fingen suppose mon implication aux meurtres des deux politiciens et il n’est idiot au point d’imaginer que je cherche à me disculper de quoique se soit. La merde remonte toujours le courant et parfois tirer la chasse d’eau devient compliqué. « Riagal veut opérer quelques modifications au sein de son équipe et il a soumis des candidatures à Conall Fingen pour l’IRA dont celle de son frère ; il fallait s’en douter non ? Il épouse Cora et le voilà propulser au QG. Tous les mêmes ces Fingen. —Tu bosses pour lui Où est donc passée ta loyauté envers cet homme ? Ne me touche pas ! Je t’interdis de me toucher ! —Et depuis quand ? Un large sourire apparut sur son visage. Je connais tes plans et tu connais les miens, ce qui fait de nous des associés à présent. Un contrat moral existe entre nous et il ne serait pas bon de

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le briser pour quelques rares moments de lucidité. Tu te montres un peu trop nerveuse en ce moment et si j’en connaissais la cause, il y a longtemps que je t’aurais soulagé d’une façon ou d’une autre. En ce moment la RUC le questionne et on pourrait leur simplifier la tâche en leur donnant ce qu’ils veulent ». Prêcher le faux pour obtenir le vrai. A quoi jouer Duncan ? Il me dégoûte au plus haut point ; j’ai encore besoin de lui mais je vous jure que…je rêve de lui coller une balle en pleine tête. Au loin Conall Fingen s’apprêtait à monter dans son véhicule et au milieu d’une foule d’alcooliques locale, il me toisa du regard engoncé dans son imperméable de cuir. A aucun moment il n’a parlé de son benjamin car il sait comment le faire sortir des griffes des sujets de Sa Majesté. Lui aussi a un plan qui va nous mettre KO si l’on ne se montre pas plus zélé. Il me sourit. Demain sera un jour de triomphe pour lui et toute sa clique de fossoyeurs. Ginger pleurnichait à chaudes larmes. Elle se voulait de s’être montrée si faible, la raison est le LSD et toutes ces merdes qu’elle s’envoie dans l’organisme. Son squat est une infection : nul endroit propre pour y poser ses fesses et puis les autres junkies avec qui elle partage la piaule sont tous trop défoncés pour prendre conscience de leur état physique. Pour eux rien ne compte plus que leur nirvana, la transe dans laquelle ils se trouvent être enfermés pendant les longues heures de leur si pathétiques existences. La poudre dans le nez je me sens mieux. Tout va très vite dans ma tête ; des milliers d’idées et de pensées à la seconde, à croire que le cosmos tout entier est rentré dans mon

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cerveau par une porte inconnue peut-être située entre le vortex et mon lobe cérébral. C’est le pied. La musique psychédélique vous emporte pour ne plus vous laisser retomber. Une seule et même note capable de vous hérisser tous les poils du corps. « Tu ne peux pas m’en vouloir, murmurait Ginger nue et couchée contre moi. Ils ont dit que rien de mal ne pouvait t’arriver et je les ai crus capables d’amour et de compassion pour le genre humain. Il avait un regard si doux…il m’a donné deux cachets pour m’aider à voir plus clair. Des pilules magiques. J’espère que tu es heureuse et que tu ne connaîtras pas le même sort que notre regrettée Summer ». Littéralement je défonce la porte de l’appartement de Lochlainn. Il reçoit ce soir et il me faut lui parler. Les filles gloussaient en me voyant des plus hirsutes. Les garces nous suivent des yeux et collent leurs oreilles derrière la porte de la salle de bain où nous nous sommes enfermés. Il est nerveux. Baiser avec l’effet de la drogue dans le sang c’est toujours la panacée à toute angoisse passagère ou constante. Il mord ma langue et me pénètre contre le lavabo. Ce soir je me sens libre de l’aimer et je lui dis au creux de l’oreille : je t’aime. Il se vide en moi et ses mains d’amant maudit soulagent mes ecchymoses. J’ai envie de lui, constamment ; un immense vide que je ne puis combler. Sans sa présence, il y a à craindre de mes pulsions. « Genan attend que tu lui rendes visite. Il aurait des confidences à te faire sur ton frère. Je crois surtout qu’il t’a encore dans la peau. Il a envoyé Cora à l’hosto suite à un commentaire mal placé de sa part. Le fait que je te baise m’épargne bien des bassesses du genre cirage de pompes. La

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peur d’avoir à te perdre le tenaille fortement et s’il ne l’exprime pas ouvertement il est vulnérable à tes charmes au point de corrompre ses relations avec Riagal. Quant à Duncan c’est une autre histoire. Mieux ne vaut pas qu’il le sache ». Il ferma le robinet d’eau après s’être soigneusement lavé les mains. Alors je me blottis dans ses bras et impassible refuse de me serrer tout contre lui. Or plus que jamais j’ai besoin de son affection. Derrière la porte les rires fussent et la musique donne à boire et s’amuser toute la nuit ; une nuit que je passerai à veiller, l’arme sous l’oreiller. « J’ai tué les deux sbires de Fingen. Je connaissais leur emploi du temps et je l’ai abattu de sang froid. —Eprouver des remords fait partie du jeu. Accepter les règles c’est fait preuve de professionnalisme. L’IRA pourra se congratuler de t’avoir embauché. —On peut faire tomber le masque au moins ce soir. Echanger comme des gens ordinaires sur des sujets aussi sensibles que la souffrance et l’empathie face à des événements dont on ne pourrait contrôler le sens. Combien de syndromes as-tu depuis que le MI6 t’a recruté ? Non, attends…Restes un peu avec moi car qui que tu sois j’ai…j’éprouve des sentiments pour toi. —La violence requiert l’abnégation de soi. Tu es une criminelle Niahm. Tu poses des bombes et abats des hommes régissant à tes propres pulsions. Tu discutes comme quelqu’un qui aurait une conscience, or le crime n’en a aucune. Une fois que Fingen tombera, ce qui est sur le point d’arriver, tu tomberas aussi pour crime organisé. Les

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charges dont on t’accuse sont énormes et tu tomberas sans que personne n’agite le moindre petit doigt pour de la prison fédérale dans laquelle tu croupiras pour le restant de tes jours. —Il y a déjà depuis onze ans que je suis morte. Mon père pensait que je survivrais mais les Enfers m’ont rattrapés et dans ma descente j’ai haï Dieu au plus haut point en me jurant de ne plus avoir à m’agenouiller devant quiconque, homme ou divinités dont la parole n’était que mensonge et laideur. Oh oui j’ai haï le genre humain assez fort pour ne pas avoir à craindre la putréfaction de son âme ». On tambourina à la porte. Loin de se montrer pressé de sortir il me tendit un paquet de cigarette. Une voix d’homme se fit entendre et les filles s’éloignèrent en gloussant. Et après ? Que vais-je lui raconter après ? « Tu n’es pas obligée d’être causante. Je crains qu’ici les murs aient des oreilles et des langues pour faire leur rapport à plus gradé. Tu ne devrais pas toucher à cette merde, c’est une saloperie qui va te rendre accroc et tu as besoin de garder toute ta tête. Qui t’a fourni ? » Ginger a ses adresses. Tantôt Plutarque ou Leonidas, des pseudos pour désigner des types non pas accro aux narcoleptiques mais dealers de drogues de synthèse. Savoir chez qui Ginger se procurer n’était pas ma préoccupation. Et puis je braque mon arme sur lui. Il n’a pas eu l’air surpris ; à croire qu’il s’y attendait. Il ne bouge pas d’un ciel le salaud et je crois même discerner un rictus au coin de ses lèvres. « Où est mon frère ? Et ne me mens pas cette fois ». Sans rien comprendre je me retrouve déposséder de mon arme et

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l’avant-bras sous le menton il me fouille l’entrejambe. Le souvenir de Duncan me fouillant le vagin pour y introduire son pénis me rend nerveuse. « Ton frère est mort, je ne peux rien pour toi. —Oh si tu sais des choses que j’ignore et j’ai besoin d’informations pour arrêter les enfoirés qui…D’accord que veux-tu savoir sur moi ? Poses moi une question et nous serons quittes. —Tout ce que je veux savoir sur toi je le sais déjà. La voie est libre tu peux partir, répond-il en ouvrant la porte sur un corridor dégagé. Prends soin de toi d’accord ». Je referme la porte. Elle claque si fort que j’en suis moimême surprise. « Mon nom est Max Aylward et avant d’être en Irlande j’étais en mission en Libye. C’est là qu’on m’a recruté pour seulement 25dollars. Le prix du taxi jusqu’à Tripoli. Tu vois ma vie n’est guère différente de la tienne. On vit tous deux sous de fausses identités. —Tu ne veux pas laisser tomber, hein ? Alors vas voir Fingen, tu pourrais être surprise par ce qu’il a à te révéler ». Le problème c’est cette drogue de synthèse vendue par les dealers de Lochlainn et j’en ai volé à Ginger et à Dalaigh non pour les consommer mais bien pour étouffer Fingen avec. Pour gagner son domicile, j’ai contacté mon nouveau chauffeur : Duncan McGill et il arrive pneu crissant sur la chaussée. « On peut aller manger un morceau si tu veux » Et moi je ne réponds pas, fixant la chaussée pour ne pas avoir à le regarder.

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Sa main se pose sur ma cuisse. Il a envie de me baiser. « Arrêtes-toi là je vais aller acheter des clopes. Donnes-moi cinq livres… Ne bouges pas ». Indech McGerailt est assis au comptoir et fume tout en prenant un café. Ils me suivent de près, de très près. Ils utilisent mes armes en l’occurrence Loughlin mon receleur. La CIA et le MI6 semblent travailler de concert. Dans la boite d’allumette se trouvait cette adresse et voilà qu’on y trouve Indech McGerailt, impeccable dans son costume gris et cravate rouge. « Ne remontes pas dans cette voiture, ce n’est pas une bonne idée. Prends la porte de derrière, une Ford t’attend avec de l’argent et un nouveau passeport. L’aventure s’arrête ici. —Tu ignores la raison pour laquelle je suis là comme tu ignores ce dont je suis capable. A l’époque on a loué mes services pour seulement 25$ et j’ai abattu 25 hommes avec une PGM 338 en moins d’une semaine. Avant que vous puissiez m’arrêter, je serai déjà loin. Envolée pour ainsi dire. C’est ainsi que tes petits amis me connaissent. Mais pas toi apparemment ? Des Phillips Morris s’il vous plait ! Gardez la monnaie… Désolée de devoir mettre un terme à cette charmante discussion. —Tu veux toujours savoir où est ton frère ? » En retournant à la voiture de Duncan, l’amertume me gagne. « Tu en as mis du temps ». Je rêve de lui enfoncer un objet tranchant dans la carotide ; il n’a nulle idée de ce qui va l’attendre. Comme il me caresse la nuque, je me laisse faire en

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songeant à la chaude étreinte de Lochlainn. Il empeste le whisky. Un violent coup dans les burnes et il me lance exposer la situation. « Il me faut une bonne raison pour déranger Fingen quand il dispute un poker avec son frère. —A toi de la trouver et si tu veux avoir une chance de te distinguer alors hâtes-toi avant que je change d’avis ». L’endroit où réside Genan Fingen me rappelle ses demeures des vieux Lords. Il s’en donne les moyens maintenant qu’il a épousé la Riagal. Murs couleur framboise, rideaux de velours cramoisi, boiseries et plâtres au plafond. Cora la nouvelle maîtresse de maison grogna en nous voyant à la porte de son antre. Derrière son maquillage l’on devine les coups subits lors d’une rixe domestique. « Dois-je te rappeler que tu n’as pas été invité McGill ? Toi, tu restes là ! » Et dix minutes plus tard elle vint me chercher, un sourire narquois sur son visage amochi par ce maquillage trop visible. Les deux frères jouent au-dessus d’un guéridon et ils ne sont pas seuls ; autour d’eux gravitent quelques membres Provos. En tout plus de dix participants derrière cet écran de fumée et de vapeur d’alcool. Les jetons sur la table révèlent deux autres joueurs « couchés » pour les besoins du jeu. « Viens t’assoir près de moi. Je ne te présente pas mon frère Conall. McIosa sers-lui un verre, veux-tu ? Duncan dit que tu as des informations à nous transmettre…je serais heureux de les entendre ». Et Siomon McIosa me tendit le verre tout en me glissant subrepticement un petit papier sur lequel est écrit : Tires-toi. Est-ce

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sérieux là ? Deux portes de sortie condamnées par les sbires de Fingen et si leur intérêt est de me tuer ils n’hésiteront pas une seconde ; or ils ont hésité à maintes reprises. Pour McGerailt cela sentait le sapin. « Quoi aurais-tu perdu ta langue ? A moins que Lochlainn t’aies épuisée ? Tu ne devrais pas te fier à lui c’est une salope. —Arrêtes de vouloir la materner. Des deux c’est bien cette salope qui te l’a met bien profond. N’est-ce pas Niahm ? C’était comment la Lybie tu nous racontes un peu ? —La Lybie ? » Il y a une taupe à la CIA. Une putain de taupe capable de balancer sur Ruadh Murray et les activités de Summer of Love en dehors de son rôle d’Escort-girl, un peu junkie défoncée à la saccharine. Un enfoiré prend son pied en ce moment-même et cela pourrait être…Conall Fingen sourit et son rire et accompagné d’un ricanement proche de celui d’une hyène aux crocs acérés. « Tu voudrais nous faire croire qu’on ne sait rien de toi, rien de ton passé Max. Tu t’introduis chez moi pour poser des micros, tu te fais l’alliée de Lochlainn et comme cela ne suffit pas tu suces McGill. Tu vas faire quoi maintenant, hein ? Faire péter une bombe en plein Suffolk ou bien dessouder l’un de mes hommes ? Il faut admettre que tu as des putains de couilles mais l’arroseur finit toujours arrosé. —De qui tiens-tu ces infos Conall ? Laisses-moi deviner…De McLay ? Ouvres un peu les yeux avant de finir avec sa bite dans ton trou de balle. Il renseigne la Special Branch et vous vends des infos pour le moins corrompus. Depuis le début

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il vous ballade, c’est un peu comme Ulysse et son Cheval de Troie. Apparemment cela n’ébranle personne ici ». Au moment où je me lève, Genan déverrouille son pistolet. « Tu restes assise et tu nous balances ce que tu sais ou bien je finis ce que j’ai commencé l’autre jour. Poses tes fesses et… » La gifle me fait me plier en deux. Putain, l’enfoiré ! Conall a un sacré revers. Le sang se met à couler, à croire que je vais perdre une dent sous l’impact. « Tu ne sais pas lui parler Genan, alors maintenant tu me laisses gérer cette merde ». Il m’a tiré par les cheveux puis m’a assené un violent coup dans les côtes. Putain, j’ai cru mourir de douleur ! Il n’a pas arrêté pour autant. Les gifles ont fusé et McGill a pris le relais. Une force de la nature ce Duncan. Du sang partout. Sur mes vêtements, sur le tapis et les murs. J’ignore d’où il provient. Peut-être de partout à a fois, c’est là le problème. Ils m’ont trainé dans la salle de bain où un bain m’attendait et ils m’y ont plongé. Horreur ! Je vais mourir…putain, je vais mourir. « Maintiens-la sous l’eau McGill » et comme les choses ne vont pas comme il le souhaite, Conall Fingen prend le relais. Inutile de lutter. Si je meure ce soir ils auront une sacrée surprise demain à leur réveil. Le mécanisme se mettra en marche telle une machine parfaitement huilée ; on peut parler d’une bombe à retardement dont peu de démineur reste susceptible de parvenir à maitriser. Tues-moi, sale fils de pute ! Tues-moi ! Tues-moi !

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Je suis sur un vélo et mes petites jambes me conduisent vers une falaise. Le ressac y est violent ici. Des mouettes tournoient audessus de ma tête. La mer frappe la roche comme cherchant à creuser le flanc de la terre. Au loin la berline noire ne bouge pas. Et je roule vers elle. Des hommes en noir en sortent et se dirigent vers mon père. Le sang gicle de sa gorge. Réveillestoi. Debout et sois forte. Mon père est mort merde ! Je ne peux plus respirer. A l’aide ! Quelqu’un m’entend ? Salut petite, comment t’appelles-tu ? Mes lèvres semblent sceller. L’homme s’assied près de moi et me tend une douille. Est-ce avec cela qu’on a tué ton père ? Ils ne me croient pas. Personne ne me croit. Ton père c’est suicidé Jayne, personne ne l’a assassiné. Et pourtant je revois clairement leur visage. Pourquoi ne me croient-ils pas ? Il m’extirpe de la baignoire et je crache mes poumons. Satané plongeon. Je tousse. Je crache. Combien de litres ais-je bu ? « Débarrasses-toi d’elle Duncan, qu’elle aille nourrir les crabes ». Dieu que j’ai froid. Mes membres tremblent et mes os craquent. Il me pousse vers le rivage et arme son pistolet. « Tes dernières volontés ? » Sans attendre ma réponse, Duncan me force à m’agenouiller dans la vase et appuie le canon de son arme contre ma nuque. Le métal est froid mais pas plus que l’air environnant. « Est-ce qu’il disait vrai pour Lochlainn ? Tu continues à le fréquenter et…je t’ai donné mon amour. Je t’ai aimé, en as-tu conscience ? Tu étais différente des autres jusqu’à ce que…Tu…tu n’aurais pas du me trahir de la sorte.

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—Tues-moi, il me tarde de rendre des comptes à Dieu ». Il appuie. Aucune balle ne sort. « Avant de mourir McNeil a parlé. Il a fini par ouvrir sa grande gueule de flic. Nos méthodes ont raison de types comme lui. Alors je vais te dire Niahm. Ouvres bien grandes tes oreilles si tu en es encore capable. Il a parlé de McLay et de ses transactions foireuses avec des types de l’UDR dont Murrough Doyle. Il dit qu’il touchait des pots de vin de Conall Fingen. Troublant non ? Le même type alimenté par deux réseaux différents sans que personne ne s’en aperçoive. Un coup de maître, n’est-ce pas ? Je peux encore te sauver Niahm, dis-moi seulement … » Un coup de feu claque et Ducan McGill tombe de tout son long près de moi. Le poids de son corps fut amorti par la boue. On me relève sans ménagement. Un sac en toile de jute atterrit sur ma tête. On me jette dans une voiture. Mon cœur bat au ralenti. J’ai froid. Allongée sur la banquette, je m’endors. A mon réveil Genan Fingen m’observait. Mon œil tuméfié me fait souffrir tout comme mes côtes et à peu près toutes les parties de mon corps ayant subit les assauts effrénés de l’autre Fingen. Ce fils de pute, j’en ferais mon affaire. Genan semble prêt à me faire une fleur. J’ai mal à la tête et je tremble de tous mes membres. Un type à la portière tape à la vitre ; grand, aux épaules larges, visage allongé et fermé ; cet Irlandais m’observait tout comme ces mouettes tournoyant au-dessus du véhicule stationné en haut de la falaise. Fingen sort. « Comme convenu cent mille dollars US ! » Et l’autre de lui tendre une

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valise d’on y vérifie le contenu avant d’ouvrir de mon côté. « Descends McCullen… ». Derrière près de la Lincoln, un blondinet aux joues creuses et aux lèvres dessinées en forme de cœur avança les mains dans la poche de son imperméable. Il échangea un regard avec un troisième larron, un large chapeau enfoncé sur la tête, le pied posé sur le marche pied de leur imposante voiture noire aux vitres tintées. Dalaigh Lochlainn descend à son tour. « Alors c’est vous Dalaigh Lochlainn, le champion de Derry, catégorie poids lourd ? —Hum…et vous les petites tapettes du MI6 ? —Oui c’est bien lui Lochlainn, déclara le blond en enserrant le col de sa gabardine autour de son cou. Bon et bien ne perdons pas de temps en transaction. —Et souvenez-vous Fingen, on vous a à l’œil ! —J’attends de voir, mais vos menaces ne prennent pas sur chaque Provos que vous tentez d’intimider depuis toutes ces années. Gardez votre putain et si elle apparait de nouveau à Belfast c’est son petit crâne que j’explose en guise d’avertissement ». Dans la voiture au milieu de ces British, mon cœur s’épuise en battements. Ils sentent tous les trois l’after-shave, les épices et la citronnelle ; le rouquin arrangea sa mèche sur le côté tandis que l’autre, le grand mufle continuait de m’observer, les lèvres pincées. « Quel arrogant fils de pute ! Katrin, fais les présentations ! —Voyez-vous ça. Niahm, permettez-moi de me présentez. Peter Arrington dit Katrin, là-bas notre homme de main c’est

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Jared Trenton dit The Bull et le boss c’est Mulryan, Etair Mulryan né dans l’Antrim. Allez-y Niahm montez à bord…le MI6 a été récemment contacté par la RUC pour intervenir sur un dossier délicat, le vôtre Niahm Mc Cullen. Ils vous ont salement amoché et je suppose pour vous que l’idée fut de mourir en martyr. —Parles lui du cadavre Katrin, celui qu’ils ont découvert devant la Queen University. » Mes yeux se fermèrent et bercée par la pluie tombant sur le capot et la vitre je partis dans un profond sommeil. La sirène du Ferry me réveilla ainsi que l’odeur de tabac échappé des lèvres de Mulryan. Des jeunes femmes gloussèrent en longeant le véhicule poursuivis par des gaillards désireux de faire leur connaissance, là une mère traversait la rue en poussant un lourd landau suivit par trois autres bambins, devant une vieille femme se hâtait de se diriger vers un banc donnant sur la rade où deux trois voiles croisaient. Encore ces mouettes et cette odeur de iode si particulière. « Alors a-t-elle retrouvée ces esprits ? Niahm nous avons des questions à vous poser. La première est : qui est ce Murray ? Elle aurait pu vous être posée par Katrin puisqu’il a suivit vos exploits depuis votre arrivée à Belfast. Enfin, passons…la deuxième est : comment vous y êtes vous prises pour atterrir dans ce merdier et ne pas y laisser votre peau ? La troisième…Pourquoi n’avoir pas appuyé sur la détente quand vous en aviez l’occasion ? —Parce que j’ai quelque chose à échanger. La CIA refuse de me prendre au sérieux et propose même de blanchir mon

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ardoise si j’accepte de venir à Langley. Je les ai envoyés se faire foutre. Je veux ajouter une pierre à cet édifice en m’aventurant là où personne ne s’est aventuré avant moi. Abattre un homme est très facile mais faire tomber le même homme pour malversation relève du suicide. Usurpation d’identité et création de faux, la forgerie rapporte un paquet. —Attendez doucement ! Combien d’identité au juste ? Questionna Katrin en sortant un carnet de l’intérieur de son imperméable. Max Aylward, Niahm Mc Cullen et qui d’autres ? —Qui d’autres ? Pensez-vous qu’il faille m’interner pour personnalités multiples ? Vous allez avoir besoin de toute mon attention si vous espérer obtenir les réponses aux questions que vous vous posez. —Est-ce la reconnaissance le moteur de votre motivation ? Envoya Mulryan en se retournant vers moi, le journal enroulé dans sa grosse paluche. Si c’est le cas, soyez assurée que le MI6 aura toute votre attention. Il règne un sacré bordel au sein de l’IRA et plus vite l’on aura réglé cette affaire et plus vite la mémoire de nos morts seront honorés. Mon raisonnement doit vous paraître déplacé en pareilles circonstances mais pour avoir connu Tripoli vous devez savoir que l’on ne badine pas avec la mort quand on peut l’éviter. A moins que…vous ne soyez pas allée à Tripoli ? —Je vois. Lohlainn n’est pas seulement une taupe infiltrée il est également à l’origine de mon départ anticipé ! Je tiens Fingen et…j’ai amassé assez de preuves pour le faire tomber. Ce sont des mois de

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combat, d’abnégation de soi, de concentration pour…rien ! —Déplorez-vous la mort de votre frère ? —Evidemment ! —Quel intérêt pour l’IRA de le vois mort ? Il tenait la forgerie n’est-ce pas ? Alors pourquoi Fingen l’aurait-il fait exécuter ? Vous êtes très douée Niahm, votre force de persuasion et votre grand sens de l’analyse vous place au-dessus de vos ennemis mais j’ai passé de longues nuits à tenter de vous analyser quand j’ai compris à quelle partie de poker vous jouez. Aucune bonne carte mais un sacré bluff. —Un sacré coup de bluff Katrin ! L’on pourrait vous décorer pour faits d’armes, qu’en pensez-vous ? Le Congrès vous remettrait la Medal of Honor (Médaille d’honneur) et le Parlement britannique, la Victoria Cross (La Croix de la Victoire). Oh oui, elles vous seront toutes deux discernées pour votre brillantissime stratège. —Pourquoi tant d’ironie ? Je ne cours après nulle gloire ; morte je ne manquerai à personne et vivante, je suis le douloureux furoncle posé sur votre postérieur. Un furoncle à cent mille dollars tout de même ! Pourquoi avoir payé autant pour une terroriste ? —Laissez-nous seuls juges. The Bull revient avec les billets, boss. Savez-vous où l’on vous emmène Niahm ? L’Ulster ne voudra pas de vous pendant un très long moment alors pour cent mille dollars, on s’offre le luxe de votre compagnie ». Dans la cabine du ferry je teste le matelas de la couchette. Trop dure et puis il y fait un froid de canard. Trop lasse pour déjeuner, je restais assise là a fixer la barre

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de seuil de la cabine puant la mer et le poisson. Sans difficulté on peut imaginer les embruns vous fouetter le visage à la proue du bateau ; derrière la porte The Bull fume cigarette sur cigarette et moi de souffrir comme une chienne. Katrin revint, jeta son imperméable sur le lit et jeta un comprimé d’aspirine dans un gobelet. « Il n’existe rien de mieux pour les maux de crâne. Comment vous sentez vous à présent ? Le médecin de bord pourrait vous examiner, qu’en pensez-vous ? Cet œil doit vous faire un mal de chien…tenez, buvez un coup ! » Collé contre moi il glisse sa flasque de whisky dans ma paume. Dieu que cela réchauffe ! Eprouvant des difficultés à déglutir je lui ai rendu son bien en avalant par saccades. Le citron me taquina le nez. Une folle envie de vomir me tenailla. Le mal de mer. Il me faut m’allonger et fermer les yeux. Soucieux de mon confort, Katrin m’aida à glisser sous les draps et ferma la lumière. A 08/13 je me levai d’un bond pour distinguer la silhouette de Katrin sous le hublot. Il sourit en me voyant immerger de dessous la couverture. « Notre Sleepy Beauty se réveille et les rêves s’estompent pour laisser place à notre existence si cauchemardesque. La CIA est sur votre piste et ils ne vont pas tarder à nous contacter pour faire monter les enchères. Dans peu de temps votre cote atteindra le million et il vous faudra songer à investir pour faire fructifier votre capital. Que ferez-vous de tout cet argent ? —Puissè-je échapper à ce genre de discussion ? » Le plateau-repas n’avait pas bougé et du room-service une autre commande avait été montée. Affamée je m’attaquai au

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mini-sandwich, au bacon fris, au pané de poisson avec son riz pilaf, la semoule de riz aux raisons ; le tout arrosé d’un bon vin français. Ce repas me parut digne d’une grande table gastronomique. « Soulagé que vous ayez retrouvé l’appétit. Le risque pour vous fut que vous serviez de nourriture aux poissons et il est de notre devoir de vous éviter cela. Il vous faut une nouvelle arme, argua ce dernier en se levant d’un bond. —J’ai ce qu’il me faut et davantage encore. —Non je ne parle pas de vos petits joujoux mais d’une nouvelle stratégie d’attaque. Jusqu’à là nous n’étions qu’à l’ouverture et après cet interlude de court instant vous allez tous les éblouir. Mais il va falloir vous refaire une beauté ». Desserte est la coursive et le bruit des moteurs couvrent le passage des chariots du room-service, la course des gosses loin de la surveillance maternelle, la discussion chuchotée des couples…Atteindre la poupe du ferry me prend moins de dix minutes et sur le pont supérieur, les canots de sauvetage brinquebalent au-dessus du vide. Les étoiles scintillaient derrière le cordon de nuages et le vent froid ondulait la surface de l’eau et fit frissonner ma peau. Il me fallait une cigarette ou bien un peu de haschich pour faire passer la douleur. Le remous soulevé par les hélices et cette odeur de diesel me ferait presque restituer mon diner par-dessus le bastingage. Le canot pneumatique est enroulé audessus de la cabine. Si je le déroule, l’attache à ma cheville et me jette dans le vide il me faudra également tenir compte du froid environnent, de la température de

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l’eau, de la vitesse de ce rafiot et de mes blessures. Mes chances de survie ne s’élèvent qu’à 75% de mes capacités. C’est trop peu. Il me faut alors trouver un autre moyen d’évasion. « Je savais que je vous trouverez ici, lança Katrin derrière moi. L’eau n’est qu’à 9° et à moins de nager très vite pour lutter contre les risques d’hydrothermie et espérer se faire ramasser par un bateau de pêche, vous voici condamnez à rester près de nous. —Le MI6 n’est-ce pas ? Vous voulez que je vous dise ? J’emmerde les services secrets, un ramassis de gens-foutre et de parvenus, je n’ai pas très envie de me souvenir de la médiocrité de leurs actions, leurs vains efforts pour conserver un semblant de respectabilité. J’ai de violentes migraines en votre compagnie. —En admettant. Les criminels commettent toujours des erreurs et il devient alors possible de remonter jusqu’à eux. —A qui pensez-vous ? —Je comptais justement sur vous pour me renseigner ». Les mains enfoncées dans les poches, il attend ma réaction. Caresser dans le sens du poil et tendre la perche, voilà comment les agents de sa Majesté prétendent obtenir des informations de leurs collaborateurs. J’ai envie de l’envoyer par-dessus bord. Pourtant…Que tient-il dans sa poche ? « Votre prénom est Tara Fillmore, née à Liverpool. Vous travaillez pour Westminster auprès du Secrétaire aux Affaires Etrangères, par conséquent vous aurez accès dossiers sensibles. Vous aurez quarante-huit pour prouver l’implication des Fingen dans la corruption de l’IRA.

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Vous trouverez votre passeport sous le matelas de votre cabine. —Et si je refuse ? —Allons, vous ne pouvez refuser. C’est pour vous une consécration. Depuis des années vous attendez ce moment et aujourd’hui il vous est possible d’accomplir vos rêves. Je vous laisse l’opportunité d’avoir votre moment de gloire ». Il me faut fuir ce rafiot de malheur. Le passeport est bien sous le matelas ainsi qu’une poignée de livres et une adresse située à Mayfair. « Où étais-tu ? » D’un bond je sursaute et prend conscience de la présence de Lochlainn dans la porte de la salle de bain. « Il y a plus d’une heure que j’attends. —Que fais-tu là et… —Le service d’étage nous a délogés en B56 et je t’attendais pour inaugurer notre nouvelle cabine. Quoi ? » Qu’avait-il fait de son accent ? Il baisa ma joue et me caressa le dos avec une réelle affection. Puis ses lèvres glissèrent sur les miennes. Dans notre cabine, une espèce de suite, la housekeeper finit de dresser le lit conjugal et une cigarette entre les lèvres, je l’étudiais plus en détail ; navrée elle posa un triste regard sur mes bleus avant de détaler à la vue de Lochlainn. Un homme violent, brutal envers son épouse, voilà ce qu’on pensait de lui sur ce bateau. Une fois seuls, Dalaigh se plaça devant moi sans sourciller. « Comment dois-je t’appeler ? Mon chéri, je présume ? —Thomas, mais pour toi cela sera Tom As-tu lu les gros titres du Times ? Le Parlement envisage de faire amende

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honorable envers les terroristes de l’IRA dont les noms seront transmit par le gouvernement de l’Ulster. C’est une chance que le nom de Fingen n’y figure pas. A Londres l’origine de tes plaies vont susciter la curiosité, alors il faudra que tu trouves à me disculper de tout malentendu. —Je ne mettrais pas le pied à Londres. Le MI6 pense que je suis à vendre ? Et c’était quoi cette putain de transaction entre Dalaigh, Fingen et ce tordu de Mulryan ? McGill n’avait pas l’intention de me descendre, juste m’intimider mais pas me refroidir parce qu’il…j’avais une dernière carte à abattre et Fingen a cru bon le faire taire. Lui aurais-tu insufflé l’idée ? —Il n’est pas mort. La balle a touché son épaule. Cela faisait partie du plan. —Quel plan ? Tu voudrais me faire croire que Fingen a eu en l’espace d’une seconde une once de jugeote ? Ta couverture a été compromise un bon nombre de fois et tu devais leur prouver que tu ne blaguais pas, à aucun moment. Alors tu m’as balancé à l’IRA. C’est smart, très smart de ta part et… » A présent les tremblements me reprirent et l’index tendu vers Dalaigh je le menaçais verbalement. « Oui j’ai posé des bombes ! Oui j’ai abattu les sous-fifres de Fingen ! J’ai éprouvé énormément de plaisir à les faire flipper mais toi tu restais planqué tranquillement de ton côté à attendre un signe du ciel et quand les événements ont commencé à jouer en ta faveur tu as pris la tangente en retournant dans le giron du MI6. —Qui que tu sois, il serait vain de discuter avec toi. On t’a fiché comme terroriste et si tu tentes de me planter à un moment ou à un autre, tu pourras être

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certaine de te retrouver entre quatre planches. Je n’hésiterais pas à t’abattre. —Alors tu ignore tous de mes intentions. —Je n’ignorais pas l’existence de Ruadh Murray et je n’ai pas hésité une seconde à rendre publique votre relation. Moi aussi j’éprouve énormément de plaisir à divulguer ce qui devait rester secret. L’espionnage n’est pas l’affaire de novices confondant fiction et réalité. Ce programme peut se passer de toi. —Crois-tu que je bluffais en parlant de Tripoli ? Sais-tu combien d’ordres de mission périclitent fautes de bons agents capables d’abattre son ennemi une balle en pleine tête ? Vous autres agents êtes trop sentimentaux et la CIA en a fait les frais en négligeant ses pistes. Ils se disent être prêts à fiche une raclée à l’URSS mais… —Je croyais que c’était personnel. —Et bien ça l’est. —Natalia Semanova ». Le sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Mon oreille me démangeait. Depuis la scène de la baignoire, mes tympans vrillaient. La soif me saisit et la poitrine perforée je tentais de reprendre mon souffle, trouvant détestable la cigarette que je tentais de fumer. « J’ai connu une fille au nom de Natalia Semanova. Agent du KGB et arrêtée en 1968 peu après le Printemps de Prague. Ce redoutable membre du PCUS n’a pas résisté à notre interrogatoire et quand elle s’est confiée à nous…Le médecin a du constater son décès mais nous tenions ses aveux. Alors parles-moi un peu de Tripoli ».

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Enregistrement n°10 : Alors c’est moi la cible. Moi et mes côtes fêlées ne pourrons nous tirer de ce rafiot alors il me faut composer avec ce Tom Lee-Graham ou crever la gueule ouverte. En Grande-Bretagne, les obsèques des victimes de la fusillade de Londonderry figurent sur la une du Times tout comme le nombre de manifestants prenant d’assaut l’ambassade de ce foutu pays. Et puis je vois qu’en Italie, Rome reste paralysée par une grève générale ; au Japon c’est l’ouverture des XIème jeux Olympiques d’hivers à Sapporo. Entre autre on parle encore des grèves des mineurs en Grande Bretagne et la Longue marche de protestation catholique à Newry (Irlande du Nord) remontant au 6 de ce mois dont les poursuites judiciaires contre les organisateurs portent leurs fruits. De la cendre tomba sur le Times et en soufflant dessus un détail m’interpella ; si l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, la confiture pourrait être plus appréciable. Cette cabine est truffée de micros. Ce guet-apens prouve encore l’insuffisance tactique de services secrets. « On m’a laissé pour morte à Tripoli. —Qui ? Le lieutenant McNeil et ses hommes ? » Il a lu mon rapport à la RUC ; tous les moyens sont bons pour découvrir mon identité et m’envoyer en prison. « Tu savais qu’il avait été en Libye pour prêter main forte à ce Kadhafi. Tu en as fait mention et… —Comme j’ai toujours su que tu bossais pour le MI6 ! Il est aisé de savoir quand quelqu’un vous ment. Quand tu m’as contacté dans ce pub, tu t’es trahi et j’ai

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sauté sur l’occasion pour approcher Fingen. Pour moi il n’y a pas eu meilleure opportunité. Tu ignores encore comment ? Et bien quand tu as parlé de mon frère et de son travail. Quelqu’un autre des renseignements t’a renseigné et j’ai très vite fait le rapprochement quand tu as tendu deux billets marqués au patron de ce pub. La veille j’avais remis 20 livres sterling à ce même type pour obtenir un arrangement avec Fingen et parmi ces billets, les deux marqués. Et puis Kinstry…est plus loquace que l’une des recrues du MI6. C’est lui qui t’aurait renseigné sur Murray et entre agents ont se filent les bons tuyaux. La RUC n’a pas paru surprise de savoir que Catherine Doole s’entretenait avec moi ; une sorte de Mata Hari défoncée au LSD. C’était ton domaine ça, le trafic narcoleptique ? » Il caressa son nez, les lèvres serrées et assis sur le rebord de la table joua avec son zippo. Ils sont là à m’écouter, Ce Etair Mulryan et ce Peter Arrington au visage émacié. Dieu seul sait ce qu’ils pensent de tout cela, mais il me semble percevoir leur respiration, si saccadée, si nerveuse. Lentement j’arpentais la pièce et en passant devant la glace, mon reflet m’arracha un hoquet de répulsion. Qu’avait-on fait de ma personne ? Putain de vie ! Je ne suis plus l’ombre de moimême et cette enveloppe charnelle manifeste tous les signes de putréfaction, de décomposition. Cette image spectrale pourrait en effrayer plus d’un. Vite un linceul que je puisse m’y cacher à jamais ! « Pourquoi l’IRA ? —Et pourquoi pas ? McNeil savait où il m’était les pieds mais tes supérieurs l’ont bien mal conseillé. L’on ne peut

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continuellement jouer avec le feu sans jamais se brûler et il connaissait les règles et la fin de son jeu mais il a nié, il a refusé de voir l’évidence. Le SIS a préféré te rappeler au siège. Sage décision quand on sait comment l’IRA fat peu de cas des officiers de sa Majesté. J’ai toujours pensé que Vauxhall Cross resterait une destination touristique. —Et qu’elles étaient les règles du jeu, Alex ? —Alex ? Pourquoi Alex ? —C’est comme ça que tu disais t’appeler l’autre soir. Tu sembles l’avoir oublié ça encore ? Ou préfères-tu Niahm ? Que cherches-tu ? —Les micros ! J’en ai déjà repéré trois mais je ne peux croire que tes employeurs soient si radins. Enfin…je suppose que c’est toujours mieux qu’un bon Clint Eastwood ou un Coppola, Kubrick ou Sergio Leone. Que veux-tu savoir Tom ? Si Duncan McGill avait accepté de jouer ? La réponse va te déplaire. —N’y aurait-il rien de condamnable chez toi ? A ton décès, l’on écrira au Saint Père dans l’espoir de te voir un jour canoniser. Cependant il te faudra accepter de mourir en martyr. On sait que cette idée n’est pas pour te déplaire. —Je n’éprouve plus la force de rire à certaines blagues. Faits en sorte que les tiennes soient plus gaies. McGill a mordu à l’hameçon sitôt mon intérêt pour les armes de Riagal, soit 100.000 livres sterling ! Stuker nous les a achetées sachant parfaitement que le stock provenait de leur propre dépôt. Alors oui Riagal a conclu un pacte avec les loyalistes et Fingen laisse faire. La raison est que son frère ainé, le gentil et très charismatique

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Conall Fingen soudoie des types comme McLay et consœurs pour…Ils tirent à boulets rouges sur les Provos et Siomon Mc Iosa m’a été d’un grand secours en acceptant de lire les enregistrements pour attester de leur véracité. Les rats ne quitteront jamais le navire excepté si l’on n’y met le feu et… —Et bien évidemment c’est là que tu interviens ! La courageuse Alex de Jussieu intervient ! Et quel sera ton champ d’action ? Que préconises-tu pour parvenir à tes fins ? Une bombe ou deux ? D’une manière ou une autre on finira par le savoir. Après tout tu n’es pas si imprévisible que cela. Un whisky ? » Au buffet il se servit un verre, les lèvres serrées. Il se voulait détendu et quand il me tendit l’alcool et comme il caressa sa lèvre supérieure je décelai une forme de nervosité. Nos doigts s’effleurèrent. Nos gestes se suspendirent. Le roulis faisait vaciller la surface du Malt et mon ventre se noua en une horrible boule. « A quoi allons-nous trinquer ? Une idée ? —A toi de me le dire Alex. C’est toi le cerveau de toute organisation, le pilier de la réflexion. As-tu peut-être une victoire à célébrer ? Allons, si McGill avait tiré, aurais-tu quitté ce monde soulagée ou frustrée de n’avoir pu aboutir à ta quête ? —Je vois… » Ma vision se troubla. Une nouvelle nausée me gagna et au-dessus de la cuvette des WC j’ai vomi tripes et boyaux. Depuis le temps que cela me dérangeait. A présent une forte envie de m’assoupir m’envahit et n’en pouvant plus me jetai sur le lit. Le mal de mer me terrassa et Tom me fit avaler un cachet déclencheur de spasmes

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encore plus violents. Ainsi je devais la nuit à vomir. Quand l’Ile de Man fut dépassée, le Ferry mit plein gaz pour attendre Liverpool et la grisaille de la Baie entre l’Anglesey et Lancaster. L’Angleterre. Que dire ? La lassitude me gagna avant même d’avoir atteint le pont d’embarcation et alors que je cherchais un moyen de fuir, un homme se précipita à notre devant. De Liverpool, il nous fallait rallier Manchester par l’aérodrome et Londres par vol direct. Voler des informations quand personne ne se soucie de votre activité peut, en théorie être facile, mais le cabinet dans lequel on m’a placé est une forteresse inviolable et la grogne vient de la grève des mineurs. On prévoit du chômage technique pour environ 1200 000 travailleurs. Cet événement agite le Parlement plus que le sort des Irlandais. Le Premier Ministre Edward Heath élu en juin 1970 est un conservateur et un incapable ; il se veut libéral sur le plan économique et progressiste sur le plan social, ce qui ne fait qu’envenimer la situation. Le soir on me donne rendez-vous dans un lieu public. De la part du SIS l’on n’aurait pu s’attendre à mieux. « Tu as les documents ? » Arrington dit Katrin relooka mes jambes sans la moindre pudeur. L’un après l’autre Arrington éplucha les feuilles assis dans le fauteuil à oreilles du salon dans lequel m’abandonna le contact aux services de l’Intelligence. « Qu’est-ce que c’est ? Ecoutes Graham, il ne s’agit pas d’un test en vue d’un recrutement ; nous autres britanniques sommes moins à cheval sur le protocole contrairement à ce que l’on pourrait penser. La Special Branch se dit être

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satisfaite de vos talents et…nous ne sommes plus aux formalités d’usage. —Vous devriez à mon sens sélectionner vos recrues avec davantage de sérieux. A moins que votre but ultime est bien celui de m’éliminer et alors les choses vous seront simplifiées ». Son visage me passa à la sonde. « Jusqu’où se porte votre loyauté pour Murray ? —Alors tout cela pour me conduire à cette question : Mais qui est donc ce Murray ? Vous êtes un homme sensé Arrington, alors ne perdez pas votre temps avec pareille fantaisie. —Vraiment ? Neeson McFarrell selon vous est mort accidentellement ou l’auraiton aidé à mettre fin à ses jours ? —J’ignore de quoi vous parler ». En fait c’était faux. McFarrell je l’ai buté l’année dernière avec Ciaran. En 1968 il a merdé, ce qui nous a conduits à lui. Si vous relisez le début de mon enregistrement n°1 vous verrez que je le mentionne pour la forme. Une petite raclure planquée dans l’Antrim là où personne ne chercherait. Murray nous a alors mis sur sa piste et je l’ai étranglé. Pas de quoi casser la patte à un canard. « Une erreur fut commise par ce Murray lisez ceci…un rapport de Scotland Yard date du mois de mai 1971, soit trois mois avant Démétrius. Lisez les mots entourés et dites-moi ce qu’ils vous évoquent. Tout ceci a un réel sens ». Nulle raison de paniquer. Pourtant la concentration me joue des tours en refusant de coopérer ; tout s’emmêle et jamais la vérité ne m’a semblé si confuse. Les mots entourés sont : Fingen, infiltration, décès, armes, vendetta,

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honneur et le dernier…Tara Lee-Graham. Cela ne me surprendrait pas s’il venait à m’annoncer qu’il a utilisé ces informations pour le contre-espionnage ; la désinformation servit à Fingen. Plus j’avançais et plus la situation empirait car quelque part à Belfast un petit génie s’amusait à jouer les devins, informant Fingen de mon implication avec les Services Secrets. « Ce Murray s’il existe, a rendu la situation plus compliquée qu’elle n’aurait pu l’être. Il pense contrôler la situation mais il n’est pas maître de ses actes. Il spécule et perd. Vous l’avez dit vousmême. Il a commis une erreur en ajoutant ce nom en bout de liste. Tara Lee-Graham établie à Westminster comme stagiaire au Cabinet des Affaires Etrangères. Couverture de choix mais cette Tara aurait accepté des pots de vin de Fingen en 1968 ; alors pourquoi m’avoir jetée dans la gueule du loup en sachant ce qui s’y tramait ? —Ce n’est pas moi l’assassin c’est vous. A la Queen’s Université la RUC a retrouvé le corps d’une dénommée Abbey Corcoran connue sous le nom de Ginger et celui de Colin Maloney. —Vous plaisantez là ? Maloney et… Ginger ? —Selon l’autopsie ils auraient été torturés. Leur corps était salement amoché : dents éclatés, membres disloqués et orteils manquant. Des témoins affirment vous avoir vu en leur compagnie quelques heures avant leur décès et l’IRA a confirmer les dires. —Et vous me mettez également le meurtre de mon frère sur le dos ? Je suis ici pour une seule chose : Fingen, Conall

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Fingen et les documents que je vous ai remis sont les derniers étudiés par Mrs Lee-Graham. La secrétaire Miss Dorothy Bell certifie que jamais Graham n’a mis le pied à Westminster. Alors j’ai inventé une jolie petite histoire bien larmoyante pour qu’elle accepte de me laisser consulter les archives. L’autre Cynthia Lewis fut plus curieuse et pour un peu elle m’aurait jeté aux autorités pour usurpation d’identité. —Rien que cela. Vous êtes toujours dans l’exagération, le mélodrame. C’est bien pour cette raison qu’on prend en charge tous vos dérapages, vos actes de rébellion. Entre nous j’apprécie vous avoir dans l’équipe et…j’ai pour vous la plus grande des considérations ». Il plaisantait là ? Ses yeux verts translucides glissèrent sur mes lèvres et il sourit, laissant se former ses rides d’expression autour de son regard. Les Anglais restaient connus pour leur sens de l’hospitalité en plus de leur aptitude à brouiller les pistes tout en savourant leur Darjeeling. Les jambes croisées il transpirait la décontraction. Sur la table basse reposait le Times et un cendrier en cristal. « Vous mentez avec un tel aplomb. Vos yeux mentent et je sais ce que vous mijotez là dans votre petite tête, murmura ce dernier en pointant l’index contre mon crâne. Tara Lee-Graham. C’est le titulaire fictif d’un compte à la National Bank of London. Cette personne aurait effectivement versé d’énormes pots-de-vin à Fingen afin de financer une partie de sa campagne. Jusqu’à maintenant de telles pratiques restent légales mais notre homme aurait détourné une partie de cet argent pour fournir l’IRA Provisoire en armes à

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feu. Cette malversation nous est apparue quand… —Laissez-moi deviner : quand son frère s’est mis à fréquenter Riagal. L’argent va toujours à l’argent. Il ne faut pas être Einstein pour le deviner. Quoi ? Pourquoi ce regard ? Vous savez Arrington, vous êtes plein de mystères pour moi aussi. Vous n’êtes pas plus un agent d’infiltration que moi Tara Lee-Graham. —Qui pensez-vous que je sois ? —Vous pourriez être ce Murray. Une couverture idéale pour berner tout le monde. Cet homme est suffisamment rusé pour tirer son épingle du jeu et vous semblez connaître un tas de détails me laissant penser que vous et ce Murray êtes la seule et même personne. Vous aussi vos yeux mentent. A l’instant-même, ils viennent de vous trahir. —Je pourrais m’amuser à être quelqu’un d’autre mais pour l’heure je n’en tirerai aucun bénéfice. Je laisse ça à d’autres. —C’est loin d’être un amusement. —Qui cherchez vous à fuir ? —Personne. —L’IRA est maintenant persuadée que vous officiez pour le MI6 et si vous retournez à Belfast…Vous finirez comme pâtée pour chiens. Vous ignorez peut-être dans quel état nous avons retrouvé Corcoran et Maloney ? La liste de leurs victimes croît de jours en jours et l’on ne mentionne pas celles dont l’identification du corps est rendue impossible suite à une explosion d’une bombe. —Désolée pour vous mais je ne baigne pas dans le pathos ». La porte s’ouvrit sur Etair Mulryan ; une dizaine d’agents me filent l’arrière-train depuis mon arrivée à Londres. Ils sont

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partout et nulle part à la fois. Les espions du temps de Jules César n’auraient pas fait mieux en matière de discrétion et d’efficacité. Mulryan s’installa face à moi et fouilla dans sa poche intérieure, en sortit une poupée gigogne qu’il posa sur la table basse. « Il y a six poupées emboitées l’une dans l’autre et la dernière, celle dont on remarque le moins les détails est la plus importante. La CIA n’a pas traîné à nous contacter quand elle a su que vous vous trouviez ici. A Langley ils sont un peu nerveux ce qui m’a conduit à m’intéresser à la dernière poupée. La voyez-vous correctement ? Trouvons-lui un nom. Que dites-vous de…Nora O’Mara ? —Trop classique. —Et bien alors trouvons lui un nom plus conventionnel. Que dites-vous d’Alex de Jussieu ? C’est un peu comme gagner au loto, il n’y a qu’une combinaison gagnante et le but est bien celui de rafler la mise. Alors on garde Alex de Jussieu et trouvons-lui un passé. Elle pourrait être née en Algérie, une famille de colons installée au sud d’Alger jusqu’en 1954. Les Evénements d’Algérie auraient contribués à faire de cette Alex de Jussieu une dangereuse partisante du FLN, du moins ses parents étaient-ils de fervents défenseurs de ce parti. Puis survint le Massacre d’Oran où bon nombre d’Européens furent enlevés par le FLN ». Peter Arrington croisa les jambes et ce geste me sortit de la torpeur dans laquelle je m’étais retrouvée. Le FLN. L’Algérie. Les Pieds-Noirs. Le Massacre d’Oran. Face à moi Etair Mulryan du MI6 se creusait les méninges pour me faire avouer les faits. Et puis je vins à penser aux

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petites salopes de Langley prête à vendre des informations dites Secret-Défense pour ne pas avoir à se salir les mains. La question est : « Pourquoi l’Irlande ? Et que ficherait une Française dans cette partie du monde ? » Alors j’éclatai de rire, un bon rire franc jusqu’à ce que les larmes me viennent aux yeux. « Ne prenez pas la CIA au sérieux quand elle dit m’avoir à l’œil. Aucun de ses agents ne se trouvaient sur place quand Byrne a réussi à se faire trouer la peau dans une prison fédérale la mieux gardée du pays. On a tenté de me faire porter le chapeau mais…l’une de vos poupées emboîtées pourrait l’avoir fait. Cette Nora O’Mara ou qui sait Niahm McCullen ou bien Tara votre amie de toujours, mais pas cette Alex Aydyard. —Et pourquoi pas ? » Katrin me déçoit. Vraiment. Il est si prévisible et me fait penser à ces parasites vivant sur le dos des cétacés. Totalement inutiles bien qu’important par le nombre, cependant aucune fonction véritable. Quelle perte de temps pour nous tous ! Je reposais alors la poupée cigogne en la glissant vers Mulryan. « La vérité a un prix, naturellement. Soit vous me faites sortir de ce putain de pays sans être inquiétée, soit vous passez pour la risée de tous. Mon nom est Niahm McCullen et je vous défends de penser le contraire et ce que j’accomplis aujourd’hui n’a pour mobile que le désir de rétablir la vérité sur…Fingen ». Les deux inquisiteurs échangèrent un bref regard et debout devant la fenêtre, les mains dans les poches, Katrin se perdit dans ses pensées ; mais bien vite ses lèvres se mirent à remuer.

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« Et les élections de 1968 bien entendu. D’où la participation de McLay, une sorte de protecteur n’est-ce pas ? —Evidemment McLay et moi sommes les meilleurs amants du monde c’est bien connu ! Où allez-vous chercher tout cela ? Il est mon informateur et celui de la Special Branch. Mais je suis prête à renier si cela fait trop désordre et je lui choisirai Murrough Doyle. Si vous n’avez aucune charge contre moi j’aimerai regagner l’Irlande au plus vite pour finir ce que j’ai commencé ». Dans la rue je me frayais un passage entre une camionnette et une voiture, le col de ma gabardine repliée sur mon cou. On m’observait à chaque coin de rue et rapidement je gagnais une cabine téléphonique. Il y eut une longue tonalité avant que l’on ne décroche. « Corin Fingen j’écoute…Allo ! Il y a quelqu’un ? —Il va y avoir de l’action et si tu tiens à ta vie, trouves-toi une bonne planque ». Immédiatement j’ai raccroché pour composer un autre numéro. Sur le trottoir d’en face, les types du MI6 m’observaient avec l’ordre de m’abattre si je tentais quoique se soit d’illégal, à savoir les dix commandements remis à Moïse sur le Mont Sinaï par le Dieu d’Israël. Un chuchotement eut lieu au bout de la ligne. « Epicerie O’Flagery que peut-on faire pour vous ? —C’est pour une livraison entre le Donegall Street et la Linenhall Street. Au 33 plus précisément. Pouvez-vous livrer avant 08/00 PM chez Rosemund Parks. Il me faudrait de la farine, des œufs frais et avez-vous des raisins secs ? Il m’en faudrait également. Etes-vous toujours là ?

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—Oui. Je vous les fais livrer de suite. Serait-ce tout ? » Fabriquer une bombe est aisée. La difficulté de cet art réside dans la créativité. Dans la chambre allouée par les Services secrets de Sa Majesté il me faut faire preuve d’ingéniosité pour ne pas éveiller les soupçons de mon colocataire jugé un tantinet encombrant dans mes manœuvres de fuite. Il ne se doute de rien. Du moins, en apparence. Il serait présomptueux de ma part de manquer de discernement. Acta jacta est ! Le nez dans le journal il ne fait pas grand cas de moi. Tranquillement je soigne ma pédicure en grand renfort de rouge vermeil. Un soin compris des femmes de ce monde. « Qu’est- ce que t’as dit Mulryan ? De quoi avez-vous parlé pendant ces longues minutes ? —Connais-tu la notion du terme secret ? Cette notion s’applique également au MI6 même si cela te parait sujet à des esclaffements de rire des confins de la Sibérie jusqu’aux portes de la Corée du Nord. Mulryan et moi sommes devenus de bons amis et je suis sérieuse en affirmant cela. Il m’invite à me confier. —Au sujet de quoi ? Tes exactions auprès de l’IRA ? A ce sujet l’on dit avoir fait le tour. Peter Arrington a clôturé le dossier. Je te sers un verre ? Toujours ton Porto ? Tu sais Alex…tu es trop superstitieuse. Ton éducation te pousse à passer outre les codes élémentaires de notre société, ce qui est établit et les interdits, ceux que l’on nous inculque depuis notre plus jeune âge et lorsque tu te surprends à suivre cette ligne directrice propre à tout individu est bien tu pète les plombs.

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—Vraiment ? Et qui penses-tu être au fond de toi Dr Freud ? Un intellectuel psychorigide d’Oxford ou un maniaque des enquêtes non résolues de ta pitoyable unité d’Investigation ! Cela fait du plus bel effet auprès de tes compatriotes à sang froid mais pour moi, tes exploits d’analyse psychologiques ne m’impressionnent pas. Un Porto hein ? Y aurai-je un sérum de vérité à l’intérieur de ce contenu ? —Assez pour faire parler Kroutchev quant à ses plans au sein du KGB. Je te propose de traquer à notre prochain succès. —Et qui est ? » Grande fut sa surprise. Il me fixait comme si je venais de balancer une niaiserie. Un époux aimant aurait caressé tendrement la joue de sa femme et lui révéler ses sentiments en portant un toast, mais lui Tom demeure toujours impeccable. C’est bien pour cette raison que je l’aime. Pourtant depuis que nous sommes à Londres, il me parait possible d’appuyer sur la détente et de lui trouer son crâne dans le seul but de dissuader Arrington de poursuivre sa quête de vérité. « L’ignores-tu vraiment ou tiens-tu à ce que je te rafraichisse la mémoire ? Qui traques-tu depuis le début ? Conall Fingen ? Son cadet ou bien une tierce personne ? Tu n’as rien à craindre de ce Porto. Le poison est l’arme des lâches et nos méthodes ont depuis longtemps portés leurs preuves. —J’aime te l’entendre dire. Je finissais par ne pas y croire, alors si tu es assez réfléchi pour y croire…trinquons. Et ma foi, il n’est pas mauvais. Parlons un peu de Démétrius. Ton ami Genann Fingen pisse dans son froc. Il sait qu’il a été infiltré et il sait qu’il ne lui reste plus qu’une carte à

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jouer. Il a toujours été dans le viseur de Ruadh Murray ce qui fait de lui un super héros. Un Captain Ira ou un truc dans ce genre. Pour les Papistes luttant pour leur droit civique il peut ou ne pas être un Martin Luther King prêt à mourir pour la cause. —On sent en toi l’universitaire passionnée par son travail encyclopédique. Grande sera ta déception quand tu apprendras son extradition et un jugement sans appel devant le tribunal compétent. Les martyrs ne sont pas toujours ceux que l’on pense servis par un destin hors du commun. Certaines personnes ordinaires deviennent les héros de demain. Tout ce que l’on veut c’est pouvoir s’identifier, tes super héros sont avant tout des personnages très ordinaires à qui arrivent des faits extraordinaires. Le mérite vient de là. —Ils pensent tous que je suis une garce. Le genre qui maintient le suspense et l’attention sur elle. Or si j’étais l’une de ces garces arrogantes je dirais que Murray est aussi nerveux que ce Fingen et que l’heure est au duel. —Tu parlais de dernière carte à jouer ». D’un bon je me lève. J’ai du mal avec cet appartement et cette tapisserie à carreaux verts il y a quelque chose de très théâtrale, sur joué dans cette atmosphère pesante. L’on n’y prépare le dernier acte d’une tragédie grecque. Mélopée de Cassandre, pourra-t-on la nommer. Rideaux lourds, en velours et aussi poussiéreux que la pile de livres jonchant le sol devant la cheminée condamnée par un écran, pâle reproduction de la Bataille de Bayeux. Et que dire de ces bibelots bon marché, tout ce qu’il y a de plus ringard ; pour un peu je me serais

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sentie dans un des récits d’Agatha Christie. La lumière tamisée diffuse des ombres indistinctes et devant Tom il me faut prendre sur moi pour ne pas l’appeler d’un diminutif cliché allant de paire avec le décor. « As-tu confiance en moi ? Jusqu’où m’accompagneras-tu si tu me savais disposée à me confier car le temps nous est compté ? Je dois savoir avant de partager mon mépris des convenances. —Tu connais la réponse. Il parait évident que tu veuilles te défaire de ta sale réputation avant d’entreprendre ce long chemin du retour alors j’accepte le deal ». Tout ce que je veux c’est coucher avec lui. J’en ai fini avec mes ongles de pieds et lentement ma robe de chambre en satin glisse le long de mon corps ; il n’est pas très réceptif à mes charmes. Je le préférai en Dalaigh Lochlainn. Moins chiant. « Regardes-moi Clay. Je sais qui tu es Clay Levinson. On m’a fait certains aveux te concernant et…regardes-moi. Tu vas m’aider à regagner Belfast au plus vite. Si tu refuses sois certain que ton nom apparaîtra à la une de l’An Probacht et les Provos se feront une joie de te traquer jusqu’à la fin de ta chienne de vie. Le Mossad ne fera jamais mieux pour débusquer les criminels nazis comme Eichman et… (Il m’attrapa fermement par le poignet). Le SIS ne prendra aucun risque pour tenter de te sortir de ce mauvais pas, tu peux en être convaincu. Ils sont là n’est-ce pas ? » Il ne répond pas. Ses grosses mains enserrent mon cou. Dehors la pluie tombe en rafale, frappant les volets avec fracas ; pas un temps pour mettre un chien dehors. Dans son regard j’y décèle de l’ennui ; la

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même attitude que le lieutenant Mc Neil lors de notre dernier entretien. Ils savent que j’ai raison mais veulent encore et toujours se convaincre qu’ils disposent des meilleurs atouts pour me baiser ou tenter de le faire. Son étreinte devint plus ferme. « Arrington a mis de sa poche pour te voir quitter l’Ulster. Tu sais pour quelle raison on l’appelle Katrin ? C’est un code. Il a servi dans l’unité de cryptographie quand le KGB disposait un important réseau international d’agents capables d’infiltrer énormément de milieux pour ne pas dire tous les milieux. En face de lui de fervents communistes hissés au rang de déités face aux dissidents envoyés au Goulag tel qu’Alexandre Soljenitsyne. —Oui notre Prix Nobel de la littérature de 1970. Absurde de ne pouvoir se rendre à Stockholm pour y recevoir les honneurs par crainte d’être déchu de sa nationalité. Le KGB fait de cet homme un conspirateur et il nous faut saluer sa détermination dans une URSS qui étrangle tous ses nouveaunés sitôt leur premier braillement émis. —Tes petits copains de la CIA a du te parler de Katrin. Non ? Pourtant le Projet Manhattan ne t’est pas inconnu ? —Evidemment. Il aura fallu attendre Hiroshima et Nagasaki pour que le monde entier connaisse plus intimement l’uranium et le plutonium. Oppenheimer est un chic type et son travail n’est guère différent du mien ». Un bruit de débris de verre attira mon attention à l’étage supérieur. Le quartier est huppé, cela me change des quartiers populaire de Belfast ; des immeubles aux loyers modérés et des bruits incessants de l’aube au coucher du soleil. Les pas sont feutrés, les Anglais chuchotent plus qu’ils

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ne parlent et leurs chiens grognent plus qu’ils n’aboient. J’ai beau tendre l’oreille, aucun bruit ne vient troubler la quiétude de notre retraite. « Katrin est un projet qui a révélé Arrington. Pour lui un ordre honorifique et cette année il obtiendra une médaille pour les services rendus à la Couronne. Il fut en l’espace de quelques années un agent dormant, un agent double, un agent provocateur, un officier traitant chargé de mon recrutement ; il apporta son aide aux transfuges des espions du KGB s’exilant du bloc de l’est vers l’Occident. Katrin n’est rien d’autre qu’une opération clandestine, autrement dit un enlèvement d’espions russes. Il est passé maître dans la stéganographie, soit l’art du secret, l’art de la dissimulation. —Alors nous pouvons dormir sur nos deux oreilles ». Dans la salle de bain j’ouvre le placard à pharmacie pour y avaler mon paracétamol. Une violente migraine m’assaille et audessus du lavabo je suis prise de nausées. Arrington sait qui je suis mais il ne dit rien. S’il parle il sait qu’il risque de me perdre. Je vais lui simplifier la tâche en disparaissant sans crier gare. Le col de la gabardine remontée sur la nuque je courre jusqu’à la station de métro. En théorie je suis toujours Tara Lee-Graham. Il me faut quitter Londres au plus vite. Dans le métro il me faut me mettre à l’évidence que je suis suivie. Trois hommes appliqués dans leur filature. Holy Shit ! Arrington n’est pas si idiot que je l’eusse pensée. Derek Clarkson n’est pas loin non plus, deux de ses hommes s’immiscent à notre rendez-vous. J’ai toujours aimé les rencontres fortuites. En

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Irlande un autre combat a se livrer entre les titans et je veux y être. Qui empêcherait un oiseau de voler ? La sonnette d’alarme vient d’être tirée. Les pneus crissent. Terminus, tout le monde descend ! Il est plus de onze heures quand j’atteins ce pub. Owain Donall regarde les actualités tout en mangeant cacahuètes arrosée d’une bonne ale. Pour moi cela sera un Martini Gin. Il pleut à verse et dans cet endroit enfumé et chargé de testostérone en raison du match LiverpoolManchester, aucun de ces gentlemen ne me remarquera. « Sale saison pour Liverpool, déclarai-je en ôtant ma gabardine et écharpe. Entre temps je mettais changée pour déjouer les plans des agents du MI6. L’objectif est celui de se fondre dans la masse. A votre air il n’est pas dur de voir que vous soutenez Liverpool. Grace à vous, votre bookmaker s’en tirera à bon compte. —Il faut apprendre à cacher sa colère et apprendre à sourire face à la douce consolation offerte par la providence. De toute façon je ne comptais pas rester jusqu’à la fin du match. Demain je dois me lever de bonne heure. J’ai un vol à prendre en direction de Washington D.C. —Vraiment ? Et vous êtes qui au juste ? Un diplomate anglais en charge d’aller fesser le derrière de Nixon suite à ses bévues politiques et je ne parle pas seulement des poignées de main avec ce Mao Zedong. Je déplore tout engagement avec le Kremlin dans le but de faciliter les échanges avec ce Brezhnev car ce Nixon me fait l’effet d’une grenouille qui se gonfle pour paraître plus grosse face au bœuf communiste. Tôt ou tard elle finira par exploser.

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—Je partage votre opinion. Mais je suis sérieux en disant que je me lève de bonne heure. Sept heure trente à l’aéroport d’Heathrow. —Et serriez-vous seul ? —Non. Quatre de mes collaborateurs m’accompagnent. L’on ne peut aller seul botter le cul de ce Nixon. Ce verre est pour moi… Passez une agréable soirée ». Mon verre avalé, je ramasse la boîte d’allumettes laissée sur la table par Donall. Un numéro de téléphone que je décrypte à l’aide de notre clef personnelle et me voilà dans une chambre d’hôtel. Sur le lit repose un billet d’avion pour les USA est coincé entre les pages d’un passeport, une liasse d’argent : cent mille dollars ! De vrais billets, il serait dangereux de se balader avec des faux et deux paquets de cigarettes. Le tout posé sur des vêtements propres et repassés. « Où étais-tu ? Tu en as mis du temps ! —Offres-moi une cigarette, je suis à sec… » Il me tendit le paquet sans me lâcher des yeux comme craignant que je m’envole comme par magie. Pschitt ! « Tu comptes me cacher la vérité ? —Lesquelles ? » Et il éclata de rire, laissant dévoiler ses pattes d’oies. Mon cœur bat vite, trop vite. Depuis ces derniers épisodes, il devient difficile de contrôler mon rythme cardiaque. Il caressa ma joue et ma main se posa sur la sienne. « Tu auras encore besoin de moi là-bas. —Et en quoi ? Les Américains ont un grand sens des conventions. Et puis Indech Mc Gerailt sera là pour veiller aux grains, séparer le bon blé de l’ivraie. Ces Amerloques sont habités par leur quête mystique et feraient de Washington leur nouvelle Babylone. Il ne

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s’agit que d’un aller-retour et je ne vois pas en quoi tu me serais utile là-bas. Quel nom m’as-tu trouvé ? Non, je ne peux pas… —Tu ne peux pas quoi ? Tu es capable de tout, alors pourquoi tiens-tu à voyager incognito ? Au moindre souci on interviendra. —Comme vous l’avez fait à Belfast ? J’étais à deux doigts de… —De quoi ? Perdre la face ? Tu voulais finir décapiter comme McNeil ? Mon rôle est celui de protéger nos agents quelque soit la méthode et les moyens. A moi seul je suis le gouvernement et Mark Lewinsky collaborera avec toi s’il sait que tu es ma régulière ». Cette dernière remarque me fit détourner la tête. Il pleuvait toujours dans ce foutu pays et Arrington retourna à son fauteuil, croisa les jambes l’une contre l’autre et tapota la semelle de sa chaussure gauche à l’aide de son briquet.. « Tu es ma régulière et…cela ne semble pas te convenir. —J’ai passé une sale journée et demain j’ai un avion à prendre. —De toutes les confidences que tu as confiées à Lochlainn à Belfast, lui as-tu dis pour nous deux ? Non bien évidemment, si professionnel, si entêtée ; cela ne t’a pourtant pas empêché de compromettre ta couverture et celle de notre agent infiltré, celles des agents de la CIA et l’on devrait te laisser continuer ? —C’est l’idée que je me fais du service ». Il cessa tout mouvement et suspendu dans son geste me sonda froidement avant d’exprimer profondément. « Encore l’un de tes énigmes ? Qui est Ruadh Murray ?

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—Un putain de nom sur une damnée lettre. —Et que disait cette lettre? —Voilà que tu te mets à douter de ma loyauté, Katrin ? Tu devrais rentrer chez toi, prendre ton brandy et te glisser près de ton autre régulière sans chercher à me nuire ». Il éclata de rire et se pinça l’arête du nez. « Tes leçons de moral sont d’un rafraichissement. Pour un peu je me serai cru à la prison de Crumlin Road. Tu t’y es fait des amis là-bas n’est-ce pas ? Attends, voir…il feuilleta son carnet à la recherche de tom. Est-ce que le nom de Murrough Doyle te dit quelque chose ? —Est-ce que tu plaisantes ? —Réponds seulement par oui ou par non ». A quel jeu voulait-il que je joue ? « Alors je vais te rafraichir la mémoire… —Ce n’est pas nécessaire. Ma réponse est non. Non pour tour ce que tu essayeras de me faire dire. Si tu veux coucher avec moi viens vite avant que je ne change d’avis…Après tout, tu es le seul à savoir comment me faire jouir ». Epuisée je glissais sous ma couette et la tête soutenue par la main je tapotai sur l’oreiller pour l’inviter à me rejoindre. Il ôta ses souliers et s’allongea sur le dos sans même se déshabiller. Arrington a les cheveux doux et j’apprécie son parfum, j’ai toujours apprécié son odeur. Les émotions et les sentiments, voilà presque toujours ce dangereux cocktail qui vous trahit quand votre âme primitive ne parvient à se cacher et allongée sur la poitrine de Katrin, je veux me projeter dans la lumière et m’y fondre à jamais.

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« Tu sais que si je pose le pied à Washington, il est possible que je ne revienne pas. —Pourquoi ? Notre Clay Levinson t’aurait-il définitivement tapé dans l’œil ? Il y a deux ou trois trucs que tu dois savoir sur lui. Tout comme toi il a différentes couvertures et avant que tu te remettes de ton imminent succès, il sera déjà loin. Qu’est-ce que tu fais ? —Apparemment je te fais toujours bander. Tu as envie de moi ? » Ma main caressa son sexe durcit par le désir. Il maintenait les jambes croisées comme pour s’interdire de flirter avec l’ennemi. Sa main retint mon ardeur et en une fraction de seconde il redevint l’homme que j’avais séduit à la terrasse d’un café, il y a de cela des années. Alors je grimpai sur lui. Pourtant il n’avait pas l’intention de se laisser dominer. Ce n’est pas sa nature de se laisser fléchir. « Je l’aime. Ce sentiment t’est inconnu. —Tu as besoin de moi. Sans moi tu n’es rien. Cependant je ne suis pas sans ignorer ce que McGill t’a fait subir sous l’ordre de Fingen. L’esprit humain peut tout supporter à condition qu’il le rejette. Le corps humain pour fonctionner consomme des protéines qu’il rend sous forme de matières fécales. Toute cette haine, je peux la canaliser ou l’utiliser pour défaire certaines organisations paramilitaires. —Derek Clarkson savait. —Non il n’a fait qu’interpréter tes silences. —Cela commence à se préciser. Tu es Ruadh Murray. Non, ne dis rien ! » Mon index se posa sur ses lèvres et mes mains encadrèrent son visage aux pommettes saillantes.

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A présent qu’allait-il se passer ? Il pouvait me tuer, m’étrangler dans cette chambre d’hôtel et laisser tous ces indices derrière moi. Il ferait en sorte de rendre la scène crédible et faciliter le travail du médecin légiste. « Il n’y aura aucun vol en partance pour Washington n’est-ce pas ? Tu prévois un autre dénouement et…si Mc Neil a eu moins de chance, je ne vois pas en quoi Ciaran était un obstacle pour le gouvernement. Etait-ce une façon de lui témoigner votre sympathie ? Où est-il ? » Il quitte le lit et je fais de même, ramassant ma robe jetée en bas du lit et sous laquelle se tenait un pistolet. Anticipant sur mon geste, il pose son pied sur ma main, me gifle et récupère l’arme sans que je puisse l’armer. Il m’attrape par le poignet, me colle sur le fauteuil pour m’y menotter. Enfoiré ! « Il y aura bien un vol à destination de Washington mais tu n’y seras pas. Ciaran est à Belfast et il a besoin de toi. Ensuite tu me reviendras, naturellement, une fois que tu auras tout fait péter. On ne peut pas déchiffrer de codes si l’on n’a pas de clef et tu es la plus efficace des munitions si l’on parvient à obtenir cette clef. Et cette clef c’est Fingen. Genann Fingen ». Le 15 février 1972 Roan Stuker me dévisagea, la mâchoire serrée et les cheveux gras tirés en arrière ; la guerre civile ébranlant Belfast l’oblige à redoubler de prudence et retranché à Shankill Road une sorte de nouveau Fort Alamo. Des deux côtés on comptait de nombreuses victimes : blessés légers ou graves ; sans parler des bus incendiés, pavillons brûlés, rues entières soufflées par des explosions de bombes. Lui et ses

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sbires sèment la terreur et règnent dans le quartier en Gengis Khan. « Je n’ai pas compris ce que tu voulais Mc Cullen. Un nouvel arrangement ? Le dernier ne t’aurait pas convenu ? Des tas d’événements incontrôlables sont survenus au cours de ces derniers jours et je sais que rien de tout cela ne provient du hasard. Quelque chose ou quelqu’un à provoquer ou précipiter ces événements. Et je n’aime pas qu’on me prenne pour un amateur. —Je ne suis pas Riagal. —Oui lui n’aurait pas eu les couilles de monter Mc Gill contre Genann Fingen. Un joli coup de maître. Sans parler des 10.000£ d’armes vendu à l’une de tes relations à Ardoyne et qui actuellement occupent ma cave. Tu croyais que McIosa ne me mettrait pas dans le coup ? Tu croyais qu’il garderait tout pour lui ? —Je me moque de ce que tu crois. McGill est à l’hosto en soins intensifs et il aura bien vite besoin d’un cercueil à sa taille quand la presse apprendra dans quelles malversations il a trempé. Il ne sera pas difficile de chiffrer à combien s’élève la totalité de ses recettes. Les armes vendues par mes soins ne rapportent d’un très faible pourcentage de son chiffre d’affaire. —Qu’est-ce que tu en sais ? —Je travaille là-dessus et je m’en sors plutôt bien ». Stuker caressa son bouc. Il fut l’un des premiers à me prendre au sérieux. J’ouvris mon sac pour y verser le contenu sur la table. Il me fallait des cigarettes. J’avais déniché pour 21£ un pantalon en tweed aux longues jambes évasées et ma veste au col peau de mouton m’offrait une protection non négligeable dans le froid

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polaire dont fut frappée l’Irlande en ce mois de février 1972 ; l’écharpe nouée en plusieurs tours autour de mon cou me faisait pencher à Farrah Fawcett et sa légendaire grâce. Mais laissons la mode de côté pour revenir à Roan Stuker et son implication dans l’affaire Fingen. « Tu sais pourtant comment a fini l’autre pute de Summer Love. —Elle s’appelait Catherine Doole ! —Et je m’en branle. Elle a eu moins de chance que toi apparemment. Et tu veux que je te dise pourquoi. Elle commençait à poser trop de questions. Toi tu as plus de jugeote et une aptitude à rester en vie. Prends ça comme un avertissement. —J’ai quelque chose pour toi. Tiens… » L’enveloppe glissa sur la table de formica. Il l’ouvrit pour découvrir des photos et un enregistrement microfilm. « Qu’est-ce que c’est ? —Vois ça comme une avance. Une photo n’a jamais rien prouvé mais si on l’ajouter à un enregistrement on obtient un joli cocktail détonnant. J’ai pensé à juste titre que tu saurais quoi en faire. —As-tu une idée de ce qui peut t’attendre si Fingen apprend que tu m’as revu ? Non, tu n’as aucune idée. Il va se ramener avec une dizaine de Provos et ils font faire une sorte d’expédition punitive et il y aura des victimes, des morts et des disparus ; tu te ramènes ici à Belfast et des petits potes de la RUC n’interviendront pas. Pas cette fois-ci. Et j’imagine que cela t’excite ? —Terriblement. Il semble que je sois née pour atteindre pareille stimulation et en donner tout autant. On dit que tu es l’une des dernières personnes à avoir vu Ciaran

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Mc Cullen, mon frère. Où est-il ? Je ne me répéterai pas deux fois ». Il sourit, laissant dévoiler ses incisives taillées comme celles des vampires. Peutêtre était-il le descendant de Dracula ? Il en avait l’apparence avec ses cernes creux et rouges, son démoniaque rictus et son incroyable regard capable de vous faire comprendre que vous êtes en sursis tant qu’il a décidé que vous l’étiez. « Est-ce une question de vie ou de mort ? Il y a-t-il des photos et un microphone quelque part à New Lodge ou sur la Fallsroad ? Si c’est le cas et bien je ferai de cet endroit ton caveau. Toutes les issues sont bloquées, il y a assez de protestants parmi les pires postés dehors prêts à passer du bon temps avec toi avant de te découper en morceaux et d’aller te jeter dans la première auge à cochons de l’Antrim et… si tout cela rime à quelque chose que toi seule ait imaginé alors tu seras la première servie. Fingen aurait du te buter depuis Crumlin Road où tu croupissais. Tu n’aurais manqué à personne, crois moi et surtout pas à ton frère. —Je continue à croire que tu suces la mauvaise personne ». Il se jette à mon cou et d’une main m’étrangle ; c’est très douloureux et le cerveau manque bien vite d’oxygène. « Je ne suis pas si clément que tu le crois. Et si je venais à te laisser partir, tu ne pourrais pas quitter Shankill Road sans une poignée d’Orangistes prêts à t’arracher tes derniers aveux. Est-ce que tu comprends ce que je dis ? C’est bien… » Je crache mes poumons, les larmes aux yeux. Je bave, je crache, j’éructe. Mc Gill se serait montré plus tendre. La tête vacille et pendant de longues secondes, je garde

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les yeux fermés afin de maîtriser cette douloureuse respiration. « Ton frère a fait le con et ceux de l’IRA l’ont abattu. Faut-il être spécialement idiot pour vouloir récupérer une dépouille des estomacs putrides des porcs ? —C’est mon problème et il n’y a que moi que cela regarde. Jette un œil dans mon sac. Tu y trouveras un objet d’une grande importance que tu n’as pas su remarquer tout à l’heure….Voilà, tu brûles, tu y es…cette chevalière est censée appartenir à Ciaran, mais ce n’est pas la sienne. Il avait le doigt plus fin. —Ce problème concerne directement l’IRA. Tu frappes à la mauvaise porte. —Cette bague était à ton doigt avant de se retrouver au sien. Avant cela elle aurait connu un autre propriétaire, gageons qu’il s’agisse de Mc Neil. Ses bourreaux l’ont exécuté et l’un d’eux a gardé ce bijou en trophée avant de la céder à mon frère. Il l’a acceptée sans se douter que Riagal verrait en lui un traître. Une délicieuse combine pour l’éloigner de vos sordides échanges de capitaux. Que savait-il qui vous ait tant effrayé ? En fait je reste persuadée que cela fallait plus de 10.000£ et quand on y pense on devient plus spirituel. —Tu ne peux pas modifier le cours de l’histoire. Tu es tout sauf spirituel ». Je ne pouvais modifier le cours de l’histoire…Il y a bien une personne à pouvoir le faire. En quittant le QG de Stuker, les blindés de l‘armée roulait à vive allure dans les rues où les mômes jetaient des pavés par-dessus les barbelés. Bien souvent les pavés ressemblent à s’y méprendre à des explosifs, de gros pétards causant des cratères aussi larges d’une roues de la General Motors. « A mort les

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Papistes ! Fichez-nous la paix ! » Il me fallait baisser la tête et avancer vite. Une voiture s’arrêta à ma hauteur. « Montes dans cette voiture ». Il ne manquait plus que lui pour que mon bonheur fût total : Derek Clarkson dans un complet noir et le chauffeur me poussa gentiment à bord. « Je n’ai vraiment pas le temps alors fais vite ! —Comment as-tu trouvé Londres ? —Ennuyeux. Et toi ? Comment l’as-tu trouvé ? On dirait que le retour a été difficile pour toi. En réalité j’aurai pu me plaire à Londres, vous autres Anglais êtes si…plaisants à analyser. Je suis sérieuse et quand le gouvernement en aura terminé avec moi je vais tenter une reconversion dans un cabinet psychiatrique en tant qu’analyste bien entendu. Cela devrait te rassurer. —Les fous ignorent qu’ils le sont tant qu’on ne vient pas perturber leur équilibre. Tu n’aurais rien à gagner à nous fréquenter et parfois une certaine distance s’impose au risque de finir soi-même interné dans ce grand asile qu’est l’Angleterre ». J’éclatai de rire. Clarkson se prêtait à une seconde humoristique et cela m’enchanta qu’il puisse faire preuve d’autodérision. Il me tendit une flasque d’alcool, du whisky que j’avalais avec joie. Le petit remontant de la matinée et puis Clarkson redevint Clarkson. « Tu sais pour Ginger, n’est-ce pas ? Tu savais qu’elle marchait sur une poudrière dont tu as mis le feu. L’effet fut désastreux. Quant à ce Colin Maloney il intéressait très sérieusement les Provos. Il développait des photos des plus compromettantes présentant notre Ginger avec les sbires de Conall Fingen. Ces

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hommes n’ont pas le sens de l’humour, tu as pu t’en rendre compte par toi-même. Ce Duncan McGill est des plus démonstratifs. —Cela te fait plaisir, on dirait. Ce sourire en dit long sur ce qui se passe dans ta tête. En dehors du vide sidéral, les deux neurones qui te restent te conduisent directement aux exploits de McGill. Tu devrais plutôt te féliciter d’avoir flairé la bonne piste, à moins que…je t’aie facilité la tâche à quelques jours de Démétrius. Je t’ai apporté la tête de Fingen sur un plateau et pour cela j’ai du exécuter la danse des sept voiles. Tu sais quoi ? Les Américains m’ont fait une proposition que j’ai refusée et je ne peux pas faire un pas sans que la CIA soit informée de tous mes faits et gestes. Débarras-m-en. —Et ensuite ? Qui pourra assurer ton transfuge ? Le MI6 n’en a pas l’intention, tu as sabotés ses plans alors…Fingen sera heureux de te retrouver et de te saigner pour de bon. —Je suis terrorisée. —Tu devrais l’être mais j’imagine que tu as une porte de secours puisque tu prends de tels risques ». Je venais à le trouver bel homme ; l’adrénaline vous faisait voir les choses autrement. Boucles brunes tombant sur son large front et ses traits fins et droits, ses grands yeux de chat un brin sarcastique. Il savait ce qu’il faisait, cela le rendait si sûr de lui au point d’abaisser sa garde. Ils sont si prévisibles. « Tu anticipes chaque coup donc tu dois savoir où l’on te conduit. Tiens c’est pour toi. Tu en auras besoin ». A l’intérieur du sac plastique se trouvent une perruque blonde à franche, des comprimés dans une boite sans étiquette et

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des munitions en plus de l’arme à poing ; la tunique est si fine qu’on pourrait penser qu’elle a été taillée dans du papier de soie. La voiture s’arrêta dans un quartier pavillonnaire et l’on me laissa remonter la rue seule, laissant pendre mon sac en cuir le long de ma jambe. A l’adresse indiquée se tenaient de grosses voitures noires à vitres teintées et après y avoir sonné, un molosse à moustache et au crane rasé ouvrit. « Qu’est-ce que tu veux ? —Le fou se croit sage et le sage se reconnait fou ». Une réplique de Shakespeare de sa pièce « Comme il vous plaira », voilà le mot de passe et le type me laissa pénétrer les lieux. Fumée de cigarettes et de cigares, rires de femmes un peu pompettes, tintement du cristal, pas étouffés sur les tapis persans. « Les toilettes s’il vous plait, j’ai besoin de me rafraichir ». Une femme rousse me dévisagea de la tête aux pieds avant de tenter un sourire. Une amie de Cora Fingen. Dans peu de temps elle donnerait l’alarme et les autres molosses ne tarderaient à me tomber dessus. J’ai toujours mal aux côtes depuis que l’autre m’a frappé et il se puisse que j’en ai une brisée. On verra cela plus tard. Dans les W.C je trouve dans la cuvette un cylindre contenant des papiers et une seringue contenant un liquide jaune. Mon plan d’évacuation. L’idée est bien de disparaître ici. Trois secondes plus tard Cora vint frapper à la porte avant de se retourner vers son amie rousse. « Tu es sûre qu’elle était là ? —Oui je te jure. Elle est forcément ici, elle ne peut s’être envolée ! »

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Cora a du avoir apprécié le cadeau envoyé par mes soins 33 de l’intersection entre la Donegall et Linehall Street, chez Rosemund Parks. Une adresse où elle se rendait fréquemment réduit en cendres ; cette chienne de Cora savait plus que quiconque qu’un simple caillou pouvait faire dérailler un train lancé à pleine vitesse. L’explosion du bâtiment restait une ombre sur le tableau de l’intronisation de son époux auprès de son oncle. Tous savaient que Rosemund Parks était la maîtresse de Riagal Fingen, fille d’un politicien du Sinn Féin et qui ne portait pas les Fingen dans son cœur. Seule dans ce grand couloir Cora tourna sur elle-même, si parfaite dans sa robe cocktail. Pour elle j’étais morte. Cependant pour être femme moi-même je savais qu’il faut à jamais se méfier d’une épouse ambitieuse et déterminée à vous faire choir de votre piédestal. A l’étage je trouvais la chambre à coucher. Les comprimés somnifères furent substitués aux miens, dans la table de chevet je trouvais des notes jetées pêlemêle et au carbone ; rien d’intéressant en somme et j’allais sortir quand Genann Fingen apparut en haut de l’escalier. Il ne fut pas surpris de me voir là assise dans son fauteuil. « Je n’ai pas osé troubler ta réception, mais ton absence va se faire remarquer. Si tu es venu chercher ton arme, elle est toujours dans le troisième tiroir de ta commode. Mais rassures-toi je ne suis pas venue d’éliminer. Pas avant le dénouement final et le tombé de rideaux ». Il se servit un verre de whisky entreposé dans une jolie carafe aux goûts de Cora. Elle avait de l’argent, elle pouvait se le

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permettre et le commerce parallèle de son époux comptait double, voire triple ; Al Capone état tombé grâce au fisc. Appuyé contre le meuble, il me dévisagea froidement avant de reposer le verre sur le plateau d’argent. « Ta couverture est compromise mais tu continues à fanfaronner à Belfast comme si de rien n’était. J’aurais du t’abattre depuis longtemps et ce ne sont pas les occasions qui ont manquées. Si je te bute, le MI6 va me tomber dessus et j’irai croupir en prison pour le restant de mes jours. Tu avais tout calculé, hein ? Tout dans le moindre détail. Quel genre de névrosée es-tu ? —Tu as couché avec moi, tu devrais le savoir ». Il ne souriait plus, les mâchoires serrées. Oui il avait raison sur un point : il allait croupir en prison pour le restant de ses jours. Le regard des hommes reste le véritable reflet de leur âme et le sien me fait entrevoir l’Enfer de Dante. Il s’octroie une cigarette sans même me tendre le paquet. « Jamais plus d’un partenaire à la fois. Mes amants ne se plaignent jamais de mes prestations, pourquoi serais-tu le seul à déroger à cette règle ? T’ai-je déçue ? —Alors comme ça, tu travailles pour les Services Secrets britanniques ? Ils n’ont pas tardé à répliquer quand tu t’es retrouvée avec la queue de McGill entre les jambes. J’ai compris à quel point tu es importante pour eux. Le problème c’est que tu l’es également pour moi. Tant que tu restes près de moi…j’ai de l’influence sur mon frère et dans cette partie d’échec chaque pion compte. —Et quel pion suis-je donc ? »

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Il avance vers moi pour me caresser la joue. Et là dans la salle de bain il me pénètre si fort que je suis le point de m’évanouir, il ne cherche pas à jouir mais bien à me faire mal de l’intérieur ; il est si brutal, j’ai mal aux cotes et alors que je perds connaissance, il prend ma bouche, avalant ma langue et caressant mon palais et mordant mes lèvres. Il grogne et la tête sur son épaule, je tente de recouvrer la raison sans vraiment y parvenir. Mon sexe brûle. Un volcan en fusion. Sa main attrapa ma gorge. Il veut que je le regarde. Il se raidit, il va jouir et comme ses semelles glissent sur le carrelage, Genann Fingen me retient fermement pour se répandre en moi. On reste un petit moment l’un dans l’autre. La seringue se trouvait dans mon sac et je n’avais qu’à tendre la main pour la saisir et la planter dans le cou de Fingen. Mais je voulais savoir ce qu’il ferait ensuite. « J’ai une petite réception à superviser. Toi et moi c’est…retrouve-moi ce soir si tu es toujours en vie. Tu sais où n’est-ce pas ? Et là tu verras quelle place tu occupes sur l’échiquier ». Indech McGerailt est là, les mains dans les poches. Au loin j’aurai pu le confondre avec Dalaigh Lochlainn… » Oh attends, je vais t’aider un peu ! » Il attrapa mon sac kraft rempli de cochonneries en tout genre et au moment où on allait atteindre le dernier palier, il me bouscula contre la paroi grillagée derrière laquelle on apercevait les gosses de ce quartier défavorisé jouer avec des barres de fer. « Pourquoi n’étais-tu pas dans ce foutu avion ? Tu as fait monter une autre femme à bord et ce genre d’humour fait mouche peut-être auprès du MI6 mais on ne semble

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pas avoir apprécié la plaisanterie outreAtlantique. Je continue à croire que tu nous prends pour des amateurs. —Lewinsky a du recevoir mon courrier. Tous deux nourrissons une relation des plus exclusives et je me plais à imaginer un futur plus passionné car alors je n’aurais plus à le convaincre. —Que contenait cette lettre ? » Dans ses bras, trois kilos d’explosifs sous forme de nitroglycérine, d’acide nitrique et de magnésium ; le tout interdit à la vente mais facile à se procurer si l’on nourrit un réseau sérieux de receleurs horspaire. Indech McGerailt l’ignore naturellement mais il voit à mon regard que quelque chose cloche. Une simple étincelle et BOUM ! « Il y avait quoi dans cette putain de lettre ? Actuellement mes agents dormants ne peuvent plus passer de messages car leurs boites aux lettres sont à la merci du MI6 ! Une petite enflure s’amuse à du contre-espionnage et l’on nous demande de rester ici alors que nous avons une arme appuyée là contre notre tempe, déclara-t-il en joignant le geste à la parole. Alors j’aimerai savoir ce qui te donne le droit de jouer avec la vie de mes hommes ». Lewinsky le sait. C’est mon assurancevie. Doucement je reprends le sac sans lâcher McGerailt des yeux. Ronald Myers cet autre enfoiré de l’Agence doit rager làbas dans ce beau bureau et va donner l’ordre à Lewinsky de ne pas prendre au sérieux mes menaces. Une longue discussion va s’en suivre et conduire à une mauvaise décision. Je vous le dis : ils sont si prévisibles. Mais Lewinsky est plus malin que la moyenne et il va mener sa propre enquête, soit appeler une dizaine de

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personnes de New York à Baltimore, de Los Angeles à Tucson et de Panama à Tel Aviv, avant de rabattre en dernier à l’ambassade française d’Algérie. C’est comme une grenade dégoupillée. Tout le monde détale au moment où elle va exploser.

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Enregistrement n° 11 : L’idée est d’éclaircir un peu quelques points, notamment sur la personne de Neeson Mc Farell, A l’époque soit en 1968, il distribuait des pots de vin à hauteur de 200£ aux députés de Westminster et sur le compte de Tara LeeGraham, on trouva pour 500£ sterling étalé sur plusieurs mois. Mc Farell recevait l’argent des citoyens de l’Ulster pour le remettre ensuite aux Anglais ; il blanchissait l’argent pour le compte de la Mafia, de Riagal entre autres. Ciaran vint me chercher à midi quinze dans sa vieille Ford aux suspensions douteuses. Il a un œil tuméfié, le résultat d’une soirée bien arrosée. « Tu prends le volant ? » On roule sur du Jefferson Airplane et battant la mesure je songeai à ce que l’on ferait après. « J’ai des infos sur qui tu sais. —Et c’est qui cette personne que je suis censée connaître ? Ne parles pas par énigmes, tu sais que je n’aime pas cela Ciaran. Alors c’est qui ce type ? » On roule en plein Eire au milieu des moutons, de la tourbe et des bocages de pierres, l’humidité est telle qu’elle infiltre à travers la carrosserie du vieux véhicule déglingué et puis il faut se taper plus de 300 miles pour espérer voir quiconque : fermier, gosse ou vieille femme édentée assise sur un banc à attendre que le temps s’écoule. « Mc Farrell. Tu disais t’y intéresser. Il se rend à Dublin dans trois jours pour l’un de ses meetings concernant les Civils Rights de l’Ulster. Il y aura la presse locale et quelques personnalités de Dublin. Ce pourrait-être l’occasion pour toi de l’interviewer.

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—Ecoutes Ciaran. Je n’ai pas de pot avec les hommes que je suis censée interviewer et ne me demande pas pourquoi. A croire que je les fais fuir. C’est quoi le problème avec moi ? —Tu es trop directe. —Quoi ? » La chaussée est tellement défoncée par ici que le véhicule fait des bonds dans les ornières laissées par les roues des lourdes charrettes. Aucune difficulté à imaginer ce que fut ce coin de monde au siècle dernier car depuis cent ans, rien n’a changé pas même la mode de ces Irlandais parlant un gaélique dont eux seuls en connaissent le sens. « Tu es barjo Niahm. Il faut toujours que tu en fasses des tonnes ! —Des tonnes ? Non, je pense être juste. J’appuie seulement là où cela fait mal. Qui t’a rencardé sur Mc Farrell ? Avec qui astu couché ? Le questionnai-je en gloussant. Allez ! Crache le morceau ! —Tu ne peux pas t’empêcher hein ? —Tu me caches des infos, par conséquent il est dans mon bon droit de savoir et de te questionner. —Mc Farrell a des tas d’alliés ici comme ailleurs et il te sera impossible de l’approcher si tu n’as pas une carte-presse et une poignée de Dollars pour solliciter l’attention de ses gorilles. Pour 10£ par semaines on peut louer une chambre à Dublin. —C’est trop cher ! —Là n’est pas le problème. J’ai trouvé notre logeuse et elle prend 10£ par semaine et refuse de négocier le prix. Il faudra établir un reçu et envoyer le tout à une adresse qui pour le moment nous est inconnu.

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—Encore une énigme. Une de plus et je te dépose ici. Est-ce clair pour toi ? Depuis quand Ruadh Murray te rencarde-t-il en personne ? La logeuse. L’adresse et ces consignes. Tout cela c’est bien du Murray. Et il demande quoi cette fois-ci ? Un kidnapping ? —Tu as tout compris. Cela ne sera pas une balade de santé. Il faudra l’approcher, l’interviewer et le déplacer hors de Dublin. —Ce sont dans nos compétences ». Dans la chaumière située sur le littoral est nommé Nephing Beg, je nettoyais mon arme, un Springfield dernier modèle, un magnifique bébé que j’affectionnais tout particulièrement ; j’ai descendu trois moutons hier à 200 pieds de distance respectives. Ciaran a dépecé les ovidés que l’on servira ce soir, demain et tout le reste de la semaine. Une voiture arrive, plein phares et stationne non loin de la falaise. « Détends-toi c’est Stuker. —Tu lui as dit de passer ici ? Niahm, la prochaine fois on se concerte avant d’en venir là ! » Et la porte s’ouvrit sur lui notre Anglais préféré portant une écharpe ocre sur un vieux manteau aux bords élimés ; il porte un bouc soulignant ses traits anguleux et j’arrive à le trouver amical quand il se détend complètement. Il donne toujours l’impression de se prendre du jus et son regard électrisant d’ailleurs en atteste la preuve. « Alors c’est ici que vous vous planquez ? Le bateau a accosté à dix heures et si je suis là c’est bien pour flanquer une ouste à notre ennemi en commun, lança ce dernier en s’installant à la table. Si le plan échoue vous vous retrouverez dans une vrai merde, si vous

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atteignez votre but, alors nous sabrerons le champagne ensemble. Quels sont vos ressources, —Illimité, répondit Ciaran en lui tendant un gobelet de Whisky. Il a 23 ans d’âge et par chez nous, on le sert dans des gobelets d’argent. C’est un rituel et il ne faut pas piétiner les traditions. —Nous avons des armes, de l’argent et un réseau de petites souris prédisposées à rafler la part du gâteau et non pas les miettes. —Tu es qui toi ? —C’est ma sœur Niahm, c’est elle que vous avez eu au téléphone la semaine dernière au sujet de cet entretien. Et puis vous vous êtes déjà rencontré à Derry en 1969 lors de la Bataille du Bogside. —De combien d’argent disposez-vous ? —A cette époque vous étiez Lesley Davies et informateur de l’IRA ; maintenant que les présentations sont faites, nous disposons d’un million de dollars. Est-ce assez selon vous pour attirer la sympathie de l’UDR ? —Hum…pour un million vous obtiendrez l’accréditation de Murrough Doyle mais pas la mienne. Disons que…je peux vous faire gagner du temps, or chaque seconde passée à Belfast compte énormément ; je pourrais vous faire éviter les endroits infestés d’explosifs en échange de quoi…des armes d’une valeur de dix milles livres devrait suffire. —Des armes ? Seulement des armes ? Ciaran m’interrogea du regard avant d’avaler cul-sec le contenu de son verre. Cela pourrait se faire si vous acceptez le recèle. Quelle adresse avez-vous ? —Fingen. C’est la seule que je connaisse.

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—Fingen ? Mon cœur s’emballa. Genann Fingen ? » Mon regard croisa celui de Ciaran et je me souviens des Etats-Unis et de la mafia Irlandaise de Baltimore. Bingo ! « Il travaille pour Riagal mais on peut les corrompre, lui et son frère. Cela vous coûtera beaucoup d’argent et si vous vous exposez à un tel risque mieux vaut pour vous que vous trouviez de quoi les faire chanter. L’aîné s’essaye à la politique depuis une vingtaine d’année quand le benjamin lèche le cul de Riagal ; son anus lui servirait d’entrée au Sein Finn. —Et comment approcher ce Fingen ? —Dalaigh Lochlainn est sa nouvelle recrue. Une petite frappe de Derry, champion de boxe et assez malin pour déjouer les plans visant à envahir la France par les Forces Alliées. C’est un fin stratagème qui sait pertinemment où poser le pied. Duncan McGill est son second. Sers moi un autre verre veux-tu ! Il me connait sous l’identité de Stuker et…il a une dette envers moi. Il vous sera d’une aide précieuse. —Quelle est la véracité de ces infos ? Pour beaucoup vous êtes mort et enterré, tiendrez-vous là une sorte de vendetta ? Auquel cas nous conjuguerons nos affaires pour éradiquer toute corruption et rétablir la vérité ». En juillet 1971, l’Irlande connait une vague de chaleur sans précédent et à Dublin, pour la première fois depuis un millier d’années, les Irlandais se plaignent de cet étourdissant soleil. Je porte une robe bleu-chasuble et des bottines en veau lassés de couleur grise ; dans ma besace, mon dictaphone et mon nécessaire de maquillage. Les journalistes affluent de

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partout et il faut jouer des coudes pour avancer au milieu de cette assemblée. Mon frère se tint là dans le couloir, le béret visé sur la tête. Il me fait signe, alors je glisse vers l’escalier, monte jusqu’au deuxième étage de la City Hall impressionnant bâtiment de style néo-baraque, trésor architecturale soulignant l’influence édouardienne sur les autres édifices de cette ville. La salle est prévue pour accueillir une centaine de convives triées sur le volet. Un banquet y est prévu à cet effet et quelques serveurs s’agitent pour les derniers préparatifs. Mc Farrell allait venir et je ne voulais manquer cela en rien au monde ; depuis le temps qu’on envisageait cette rencontre ! J’en frissonne. La chaleur rentre par la fenêtre et dans le bureau avoisinant la salle municipale, je me déshydrate à l’aide d’un jus d’orange fraîchement pressée quand une marée humaine apparait dans un tonitruant déballage de rires, de commentaires ; de parfums, senteurs naturelles ou artificielles. Dans l’entrebâillement de la porte je distinguais enfin la silhouette de Mc Farrell ; il ressemble à un adolescent, fluet gaillard aux épaules larges et puis sa bouche tombe, un rien boudeur, visage angélique aux joues rondes qu’une main maternelle aimerait pincer ; oreilles quelques peu décollées et puis il est là à me fixer dans ce costume gris anthracite dans lequel il parait flotter à première vue. Il a fait bonne impression sur le reste des citoyens de l’Eire cependant il ne reste pas moins un tricheur ; « On m’a dit que vous vouliez me voir. De quel journal dites-vous être ? J’avoue ne pas avoir retenu ».

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Il chassa d’un revers de main ses aspirants, des nantis d’Irlande, au complet, peigné, rasé de près aux allures de dandy ; son escorte composée de député de l’Antrin cirant les pompes de Westminster par le biais de cet homme juvénile et jovial. Allons-y, attaquons ! « Un journal indépendant, sans prétention aucune. Mr Mc Farrell j’ai pensé qu’une entrevue s’imposait quand j’ai vu que vous étiez ami intime de Shane McLay. Vous partagez les mêmes idées n’est-ce pas ? —Où voulez-vous en venir ? » En fait il est ni jovial, ni juvénile ; juste un sale con tiré à quatre épingles, jouant les noceurs et les prédicateurs, le genre d’hommes que vous adorez détester. Ces petits yeux cupides, ces yeux de fouine me déshabillent. Il a accepté l’entrevue sur un critère physique ; il aime les femmes sculpturales, à la beauté sauvage, des femmes de caractère capables de lui tenir tête. En fait, il me dépasse d’une demi-tête et je devine des muscles sous sa chemise de soie bleu-acier. Son regard se durcit et la bouche en cul-de-poule concentre son attention sur la fenêtre entrouverte. « Shane Mclay est votre ami n’est-ce pas ? —Vous êtes originaire de Dublin ? Vous avez grandi ici ? Il attrapa une poignée de cacahuètes pour les porter l’une après l’autre à sa bouche. Et vous n’êtes jamais êtes jamais allé dans l’Ulster. Vous faites du journalisme de proximité et vous récupérer les échos dans les couloirs. Miss McCullen… —Appelez-moi Niamh s’il vous plait… et moi je vous appellerez par votre petit prénom…Neeson. Ensuite nous trouverons

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un endroit loin des regards indiscrets pour apprendre à se connaître, ma main glisse sur son sexe, ferme, dur et long ; il ferait un amant formidable, si réceptif à mes effleurements. Oui je n’ai jamais quitté Dublin mais je suis ambitieuse et j’apprends vite…A son oreille, je poursuis sur le même ton, à savoir langoureux et voluptueux. J’ai des échos de couloir susceptibles de vous plaire, concernant Conall Fingen. Ne dites pas l’ignorer celui-ci, on vus aurait vu déjeuner ensemble à Belfast la semaine dernière. Alors si vous cherchez à placer vos fonds dans une valeur sûre, six cent Livres sterling devrait suffire. —Qui vous laisse croire que je m’intéresse à pareil sujet…Niahm ? » Mes doigts experts glissèrent plus habilement sur ses bourses. Il est à point et il me suffirait d’une petite pichenette pour le faire avouer l’inavouable. Langoureusement je lèche le lobe de son oreille, puis le croque ; néanmoins il se crispe et sa main stoppe la mienne posée sur son entrejambe. « Six cent livres sterling, dites-vous ? Et quelle garantie, je veux dire, est-ce que le Times ou The Sun pourraient faire chou gras des renseignements que je serais prêt à vous soumettre ? —Il faut un investissement de base, Neeson. Et six vent me semble convenable ». Je me dégageai de lui pour me servir un verre de citronnade à la table servant de bar pour quelques privilégiés. Dans la grande salle, les festivités se poursuivaient sans le principal concerné et la cigarette au bec, je souris en découvrant la boite de préservatifs remontée sur le dessus de mon bric-à-brac.

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« Mais je peux encore trouver un autre partenaire comme ce Shane Mclay. Vous êtes tous deux sujets de Sa Majesté et fort à parier que le Times appréciera vos aveux. Et puis vous n’avez plus rien à perdre…un homme respectable comme vous, toujours prêt à se montrer conciliant face aux exactions de l’IRA. Oh, mais qu’est-ce que je raconte là ? Et bien voilà, j’avoue. La situation de Conall Fingen m’a mise la puce à l’oreille. —Quelle situation ? » Il venait de mordre à l’hameçon, ce beau gros poisson et j’allais me délecter de sa chair un petit moment, appréciant chaque morceau tel le dernier repas du condamné. « Enfin cela ne sera bientôt plus un scoop, ricanai-je en fixant le plafond, les volutes de fumée filant vers la fenêtre. Bien vite il sera lynché et brûlé vif pour ses crimes ». Neeson Mc Farrell me dévisagea, les sourcils froncés. Cette déclaration le tient en haleine mais il est prudent et ne se laissera pas séduire pour six cent Livres sterling. Il va exiger plus Il ne me connait pas et dans ce milieu, on ne croit en personne et tout la subtilité consiste à faire semblant afin de rallier les plus sceptiques à sa cause. « J’ai besoin d’en savoir un peu plus sur vous. —Oh, Neeson, soupirai-je en m’asseyant dans un confortable fauteuil de style élisabéthain. Le temps s’est de l’argent, beaucoup d’argent en ce qui vous concerne et pour six cent Livres vous en obtiendrez le triple en alimentant la rumeur. On peut parler de contre-information mais dans notre cas, tout est fondé et repose sur des témoignages bien réels qui devant la Cour

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Suprême peut basculer en la faveur du plaignant, en l’occurrence : vous ! —Et combien en avez-vous proposé à McLay ? —Le problème sera vite résolu si vous acceptez mon aide. —Non, non ! Je refuse !» La ligne vient de casser. J’ai perdu mon poisson. Il ne me reste plus qu’à en jeter une seconde et espérer qu’il revienne flirter avec l’appât. Il se dirige vers la porte déterminé à me ficher dehors. « Alors vous le soutenez corps et âme ? —Qui donc ? —Je vois. Alors nous en resterons là. Désolé de vous avoir fait perdre votre temps. Si toutefois vous changez d’avis… je vous donne une demi-heure après quoi vous n’entendrez plus jamais parlé de moi ». Il a refusé. Cet imbécile à refuser. Il protège Conall Fingen et dans ce milieu tout se sait. Un simple coup de fil et l’on retrouve votre corps quelque par le long d’une berge, nue et étranglée pour ne pas dire torturée par les illustres membres de l’IRA Provisoire. Murray nous a dit de le liquider. Il crèche dans une coquette maison de Dublin chez un notable dont on taira le nom. Une petite fête avait eu lieu en son honneur, une dizaine de voiture stationnait dans la rue. On a tiré à la courte paille. Le hasard veut que cela soit moi. « Désolé pour toi Niahm. —Non, il faut bien que quelqu’un le fasse proprement. Donnes-moi le paquet de Lucky Strike et donnes-moi vingt minutes. Arranges toi pour engloutir le plus de véhicules ». Vingt minutes plus tard, six voitures eurent l’aile défoncée et les heureux

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propriétaires sortirent constater les dégâts. La vieille Ford de Ciaran n’était plus en état de rouler. Il alluma un bidon d’essence et sortit du véhicule avant d’y mettre le feu. Quant à moi après être passé par la porte de la cuisine je montai à grande vitesse l’escalier pour pénétrer dans la chambre de McFarrell. Assis sur le rebord de son lit il ne m’entendit pas rentrer, alors je l’ai étranglé à l’aide d’une ficelle. Il a hoqueté tout en cherchant à m’atteindre. Je l’ai allongé sur son lit avant de poser la cigarette sur son oreiller. Jamais la police locale ne sera assez maline pour déterminer la véritable nature de ce crime. La maison allait brûler et ce Mc Farrell avec. L’idée est de filer à Derry pour en savoir un peu plus sur ce Dalaigh Lochlainn, nouvelle recrue de Fingen selon les dires de Stuker. Alors on quitte notre planque et on file en auto-stop ; la meilleure façon pour nous d’en connaître un peu plus sur les vedettes locales. « Lochlainn ? Biensûr on le connait dans le coin ! Fanfaronna un poivrot en roulant au pas sur les routes offrant un décor comme nul autre. J’aime l’Irlande et pourtant je vais la trahir. Le vieux nous saoule avec les résultats sportifs des lévriers mais nous continuons à faire bonne figure jusqu’au suivant. Et puis un van de Hippies s’arrêta sur la chaussée. « Vous allez à Derry ? Alors montez avec nous ! » A Derry je suis tellement défoncée qu’il m’est impossible d’enquêter sur Lochlainn. Mais il y a cet autre type : Derek Clarkson à qui je demande du feu. Il a le regard sans pitié d’un félin prêt à vous sonder au plus profond de vous-même avant de vous tailler en pièces. Le feu ardent de la lutte

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pour la survie Strongle for Life si cher aux Amerloques brûle en lui. « Vous êtes de Dublin ? Vous êtes bien loin de votre base ». C’est bien mon contact. Un type envoyé par Murray pour j’ignore quelle obscure raison. Il pourrait être un vampire que cela ne m’étonnerait pas, car tout passe par son étrange regard bordé de pattes d’oies. Sa voix est étouffée et plaisante à entendre. « Qu’êtes-vous venue faire à Derry ? —Tout comme vous. M’assurer que l’on y meure bien et que certaines résurrections n’ont rien à envier à celle du Christ. Vos yeux sont incroyables, on a du souvent vous le dire ! —Que leur trouvez-vous d’étrange ? —Ils accrochent et retiennent l’attention comme nuls autres avant eux. Pourquoi riez-vous ? —Je pourrais dire la même chose des vôtres ». Voilà les présentations sont faites et je remercie Murray pour cet interlude digne d’un roman du XIXème siècle lors duquel romantisme et suicide faisaient bon ménage. Je me damnerai pour ce regard… il me plait bien et ne manque pas de le lui faire savoir. « Une véritable papiste alors. —Je vous demande pardon ! —Vous êtes catholique. Il n’y a que les catholiques à aborder fièrement la Croix du Christ sur la poitrine. Et je suppose que vous partiez en guerre contre les Forces du mal représentées par les Loyalistes et les Orangistes de Derry et de Belfast. Une Djihads convaincue de détenir la vérité. Les dernières Croisades furent un véritable fiasco si on n’en juge par le travail fastidieux des historiens.

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—Vous parlez souvent religion avec vos amis ? —Jamais ! Mais comme vous n’êtes pas mon amie et que vous ne le serez jamais il m’est complètement égale de vous froisser. Le tabac vous tuera comme il a eu raison de ce Mc Farrell. Quoi Vous ne lisez jamais les journaux ? On l’a retrouvé mort à Dublin, un vulgaire incendie causé par une cigarette mal éteinte. —On dirait que cela vous ébranle. —Et bien pas vous ? —Je suis émue par beaucoup de choses mais pas pour cela. —L’Algérie doit vous manquer ? —Qu’est-ce qui vous fait penser que je suis une ressortissante française ? —Votre mode d’exécution. C’est si net, précis et parfait. Les Français ont eu recours à pareille méthode afin de débusquer les traîtres. Est-ce que le nom d’Ali Mebarki vous dit quelque chose ? Peut-être Ayadi ? Bouziane ? Talbi ? Ikhlef ? —Non, jamais entendu parler. —Vraiment ? Et Bendjama ? Si Aissani était encore en vie, il me parlerait de vous et de l’impression que vous leur avait laissée à tous. Aujourd’hui je travaille pour la RUC et le MI6 me demande de vous laisser carte blanche. J’ignore ce que l’on attend de vous mais si vous cherchez à nous entourlouper, je serais où vous trouver ». Murray m’a vendu au MI6, alors je suis en colère. Comprenez-moi bien, j’agis seule et voilà qu’on m’attribue un officier de la RUC capable de faire capoter mes plans. Règle n° 1 : Ne laisser jamais laisser quiconque vous faire obstacle. Je suis en colère. Règle n° 2 : Ne jamais laisser

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quiconque prendre conscience de votre faiblesse. Parfait ! Alors passons directement à la Règle n°6 : Ne jamais frapper le premier. Toujours attendre l’opportunité de le faire. Indech Mc Gerailt se gratta l’arrière du crâne. Les derniers clients quittèrent le pub suite au couvre-feu fixé par l’administration. « Je ne vois toujours pas pourquoi Mc Farrell. Il était inoffensif ! —Qu’est-ce qui t’échappe tant ? Il y a une réception ce soir chez Fingen et je ne veux en rien la manquer. Tu sais ce que disait le Fou dans le Roi Lear ? Quelle est la différence entre un bon Fou et un mauvais Fou ? Aujourd’hui je t’apporte la réponse ? Le temps qu’ils mettent à rire de leurs propres blagues. —Si tu es pleine d’humour que t’apprêtes –tu à faire, que nous puissions rire ensemble ? —D’accord ! Alors viens avec moi ! »

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Enregistrement n°12 L’enregistrement n°12 concerne la disparition de McNeil et de Ciaran. Tuer est une chose mais faire disparaître des corps en est une autre ; pour moi McNeil ne représentait aucune menace, seulement il devenait dangereux pour un type comme lui de rester en première ligne. Clarkson l’a fait disparaître et je l’ai compris quand ce dernier fit allusion au fait de perdre un peu de son intégrité en me fréquentant. Ils ont fait de même pour Ciaran et l’IRA a gobé cette histoire montée de toute part par l’esprit tordu de Clarkson. Le 11 février 1972, Stuker venait de se trahir. La bague de McNeil retrouvée sur Ciaran et lui disparaissant peu de temps après. Quelles pistes devais-je suivre ? Celle de Stuker me sembla être toute tracée et alors Flaitri Gowan vint à moi, lui et son fort accent cockney et loin de tout regard indiscret se confia le plus naturellement du monde : « McNeil te faisait confiance, alors je dois pouvoir en faire autant. Ciaran est toujours en vie, tout comme le lieutenant McNeil. Tout ça c’était l’idée de Clarkson. Il n’est plus tout à fait le même depuis que Riagal refuse de collaborer. Tu saisis ? Le vol d’armes a fait grand bruit, l’UDR a riposter en incendiant des voitures et six bombes ont éclatés en l’espace de deux jours seulement. Aucune trêve possible tant que Stuker batifolera avec l’IRA sur le dos de la Special Branch ou de la RUC. —C’est aussi mon avis. Pourquoi avoir mis autant de temps pour venir faire un brin de causette? Pour attraper de gros poissons il faut un plus gros appât et Murrough Doyle est l’appât. La CIA veut

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s’en servir contre Stuker pour démanteler le réseau Fingen. Ma source pense qu’il est possible d’en venir à bout de cette organisation. Qu’en pense la RUC ? —Ton acheteur d’armes sur Ardoyne a marqué les billets. Dix mille livres ! La somme que devait Ciaran a Fingen. Ce qui correspond à la vente d’armes, à savoir le stock de Fingen n’est-ce pas ? Si les armes avaient été marquées l’IRA serait remontée à toi. —Je n’ai rien à voir avec ce vol. Je n’ai fait que servir d’intermédiaire. Pourquoi irai-je me corrompre dans pareil recèle ? Ton Clarkson n’a pas les idées claires, sans vouloir remettre en cause son légendaire pragmatisme. Et si tu veux tout savoir, j’ai marqué les armes. Votre nouvelle preuve à conviction. Le numéro de série, la provenance et…leur empreinte. J’ai des contacts en Libye prêts à m’en expédier d’autres, en plus grande quantité. Pour cela il me faudrait le soutien de ce ploutocrate de Mulryan, à la date de mon choix évidement. Il est de son intérêt d’accepter. —Viens, je vais t’offrir un verre ». Trempée comme une soupe je le suivis à bord du Benshee à l’ambiance des plus glauques ; les rares clients, le nez dans leur chope de Guinness, d’Ale et de whisky ne nous virent pas nous installer près d’une fenêtre en ogive aux gros carreaux de couleur rappelant les vitraux d’une église. Là Gowan commanda deux Gins et les bras croisés sur sa poitrine plongea son regard bleu interrogatif dans le mien. La pluie battait furieusement la chaussée et les véhicules passant le long de la rue envoyaient d’importantes gerbes d’eau vers les façades rouges. Mon blouson rembourré de fourrure posé sur le

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dossier de la chaise, je frottai mes bras pour les réchauffer. Le Gin allait me faire du bien. « D’où connais-tu Mulryan ? —Tu dis vouloir me faire confiance alors contentes-toi de m’écouter. Quelques soient les personnes que je connaisse et la façon à laquelle j’ai conclu une affaire avec ces dernières, ne te regarde en rien. Je fais le même travail que le tien mais je prends plus de risques et si demain je venais à me faire tuer, ma famille ne recevra aucune indemnité compensatrice car comme tu peux t’en douter je n’ai pas d’état civil. Je suis ici que pour une durée déterminée, alors ne me fais pas perdre mon temps ». On apporta notre Gin. Flaithri Gowan ne me lâchait pas des yeux. Il boxait comme amateur, catégorie poids plume et pouvait envoyer un homme au tapis en moins de temps qu’il faut pour le dire. Alors une femme, pensez-vous bien…j’expirai profondément avant d’avaler une gorgée de ce tonifiant Gin. « On raconte pourtant que tu viens d’Algérie. Tu aurais grandi dans les hauts plateaux, tout près du Djanet, à quelques miles de la frontière libyenne, ce qui explique la provenance de tes armes. —On ne t’a pas promu officier de la RUC pour rien, Sherlock. —Je sais autre chose sur toi. Baltimore, août 1968 ». Comme pour une partie de poker je dois feindre l’ignorance. Pourtant…Baltimore en 68, c’est Genann Fingen et Searlas Byrne rassemblés sur le territoire américain pour discuter armes. Ce jour-là je promenais Kitty quand la berline noire s’arrêta au n°23 de la rue dans ce quartier

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pavillonnaire donnant sur un parc qui pourrait à s’y méprendre ressembler à une réserver naturelle. Et là Fingen descend, la cigarette coincée entre ses fines lèvres. La voiture est immatriculée dans l’état de du Rhode Island et sans plus attendre, je rentre dans la baraque où Ginger m’attend, la chevelure noire corbeau et le visage dissimulé derrière de grosse lunettes œilde mouche à écailles. La parfaite jeune étudiante de bonne famille, issue de la Middle Class et résidante sur le campus de Yale. Elle me tend le casque d’écoute. « Ils viennent de rentrer et Byrne parle d’un super coup ». Je saisis l’un des écouteurs et assise derrière l’écran, j’augmentai le son de la transmission pour ne rien perdre de leur conversation et Byrne parlait, ou plutôt murmurait : « des millions à se faire…tu ne peux pas rester en dehors de ça ! Fingen, tu as besoin de ce fric ! —Et les Fédéraux ? —C’est bon on s’en occupe. Pour le FBI on est irréprochable. On paie nos impôts, on déclare ce qu’il faut déclarer au fisc et nos armes à feu sont déclarées. L’échange se tiendra à New York, courant de semaine prochaine. Une occasion en or ! —Qui sont les voisins ? —Oh des familles ordinaires sans histoires. Un couple de retraités au 21, un avocat et ses trois mouflets au 22 ; au 24, on a un jeune couple venant de New York, au numéro 20, on a également une famille d’irlandais. Le père a fait carrière dans le milieu pharmaceutique et sa fille étudie à Harvard. —La fille au chien ? —Non, là tu parles de la ravissante McCullen. Putain ! Une fille comme ça on

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n’en voit nulle part. Elle étudie le journalisme à New York et descend ici le week end pour discuter avec la fille aux grosses lunettes. Le voisinage est plutôt cool par ici ». Fingen m’avait ainsi remarqué. Ginger souriait, heureuse que notre réputation puisse être établie ici, dans cette chaleureuse résidence où mère de famille côtoyaient avec la grande des insouciances des criminels établis ici depuis la Prohibition, des fils de mafiosi qu’on avait oubliés parce que « rentrés » dans l iniquité. Balivernes ! Kitty, mon golden retriever posa sa tête sur ma jambe et me fixait de son regard passionné. Oh oui ! Il y avait de la passion dans son regard. Brave petite chienne. Ginger avala son café noir en griffonnant NEW YORK sur son carnet posé sur ses cours de littérature étudiée dans cette prestigieuse université. « Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ? —J’aimerai me dégourdir les pattes. Et arranges-toi pour que McCullent soit là ce soir. Je veux passer du bon temps ici ». Peu de temps après Searlas Byrne, Bartley Fitzgerald et Vaughan Leach vinrent sonner chez les Mulligan et Ginger alla leur ouvrir. « Niahm, c’est pour toi ! » Et sans me presser j’arrivais, les cheveux défaits et les chaussons aux pieds dans le rôle de la parfaite Américaine, perdue dans ses moments de détente. « On organise un barbecue ce soir et l’on s’est dit qu’il vous plairait d’y participer. —Ce soir, non. Nous sommes attendus ailleurs. En fait nous allons au Sachem, c’est un bar où ils proposent de la bonne musique et c’est notre lieu de rendez-vous. Une prochaine fois peut-être ».

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Je leur claquai la porte au nez. Au Sachem on a dansé comme des folles jusqu’à ce que Fingen fit son apparition tenant le bras d’une plantureuse blonde aux yeux révolver. Il n’arrêtait pas de lui susurrer des trucs à l’oreille et elle d’éclater de rire, la paille tenue avec grâce entre le pouce et l’index. Bien souvent il regardait de mon côté. Il fit porter une bouteille de champagne à notre table avant de s’y rendre. « De si jolies femmes ne peuvent rester seules. Que dites-vous d’un peu de compagnie ? » Il s’assit en face de moi sans me lâcher des yeux. Il mâchait un chewimg gum avec ardeur ; il était pourtant si parfait dans son costume noir. Cheveux tirés en arrière, sourire carnassier et regard de tueur. Combien de malheureux a-t-il foudroyé de son regard bleu-acier ? Il fronça les sourcils, les bras dépliés à leur jointure et posés sur le dossier de la banquette. « Tu laisses tes amis en plan, ce n’est pas très cool. —Justement je me disais que ton amie pourrait aller leur tenir compagnie. C’est Ginger c’est ça ? Barres-toi cinq minutes le temps de faire connaissance avec cette charmante créature ». Ginger partit, je le fixai à mon tour avant de me servir une flûte de champagne. « Qu’est-ce que tu veux ? —Un mot d’encouragement. Et son sourire alla d’une oreille à l’autre. J’ai de l’argent à dépenser. Six milles dollars, vois tu et je suis un peu frileux. Fitzgerald dit que tu as de bons tuyaux. Alors écoutesmoi bien McCullen, je ne veux pas de fédéraux au cul et encore moins des fouilles-merdes comme le shérif B.

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Williamson et ses sbires. Tu penses pouvoir faire quelque chose ? —C’est dix mille dollars. —Non six mille et pas un dollar de plus ». Alors mon regard glissa vers la piste de danse où quelques couples remuaient sur de la Funk. Aretha Franklin mettait toujours tout le monde de bonne humeur. « Tu es en Amérique ici et pas dans ton Belfast natale. —Je crois que tu ne m’as pas compris, s’appliqua-t-il à déclarer en avançant vers moi, le regard plein de menaces. Je me fous de savoir avec qui tu bosses, seul compte le résultat et d’après Leach…ce que tu proposes est très bandant ». Son regard se fit plus lubrique et glissa jusqu’à mon entrejambe. Il s’approcha de moi pour baiser mon cou et glisser sa main vers mon sexe. Il a les mains douces et cela me surprend de la part d’un poseur de bombes de l’IRA. Je risque de jouir s’il continue. Sa langue fouilla l’intérieur de mon oreille. « Si tu paies d’avance, je peux tout d’obtenir dans l’heure. —De quel genre de joujoux disposestu ? —Le meilleur du marché et comme tu es Irlandais et ami de Fitzgerald, je peux te faire une démonstration dehors…tout de suite. —C’est très alléchant. Qui sont tes clients ? —Des Afro-Américains pour la plupart. Black Pantheras et ils sont redoutables en affaires. Ils représentent 77% de ma clientèle, les autres sont des Chinoaméricains, des Latinos et 12% seulement sont originaires d’Irlande. La Black

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Liberation Army dispose de gros moyens et l’IRA devrait suivre leur exemple. —Tu es aussi dans l’import-export ? —Non mais je m’intéresse à la politique de l’Ulster ». Mes joujoux étaient entreposés dans le coffre de ma voiture et Fingen admirait le matos. Il y en avait pour plus de dix mille dollars et son attention se porta sur des explosifs liquides dont le nom scientifique pourrait vous causer le tournis plus que leur odeur des plus nocifs. « Ces produits sont interdits à la vente. Tu commence à me plaire McCullen et si je t’avais à mes côtés à Belfast, mes ennuis seraient réduits de moitié. Qui te les procure ? —On les fabrique sur place. Nous avons des laboratoires clandestins sur la côté ouest et est des Etats-Unis. Combien t’en faux-il ? Je peux livrer à Belfast mais cela équivaut à 40% de plus sur le prix initial. Tu fais quoi là-bas à Belfast ? —Tu ne me poses aucune question d’accord ? —Il me faut savoir pour te vendre le bon produit. On ne fabrique pas une bombe comme on fabrique du savon ; il y a des mesures de sécurité à respecter et je ne voudrais pas que par ta faute, tout un quartier de Belfast soit balayé, rayé de la carte. —Tu te ferais du souci par les Loyalistes ? Ou ces fanatiques de la DUP ? On ne fait pas de sentiments dans certains quartiers et certaines zones tampons sont devenues de véritables poudrières. Tu devrais t’y rendre pour te donner une idée du chaos qui y règne. Si jamais le cœur t’en dit, saches que…je pourrais te

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recevoir…chez moi tout le temps que durera notre transaction. —Pourquoi ? Je sais qui tu es Fingen. D’après Byrne, la CIA a raison de te filer le train. Il te tend un piège. La proposition que Byrne te fait signera ton arrêt de mort. —D’où tiens-tu ces informations ? Byrne travaille pour moi et je le connais depuis des années. Il ne prendrait pas un tel risque. —Alors rends-toi à New York et laissestoi piéger. Peut-être que le gouvernement t’extradera en Irlande, cependant je doute que l’IRA remue le moindre petit doigt pour alléger ta peine. —Et pourquoi tiendrais-tu tant à me venir en aide ? Serais-tu une sainte ou quelque chose dans ce genre ? » Alors j’éclatai de rire, un bon rire franc qui le surprit et le dérida par la même occasion. Moi, une sainte ? Il ferma le coffre de la voiture, m’attira loin du parking et me tendit une cigarette ; j’allais me perdre dans le bleu de son regard virant vers le gris et sous le porche derrière la porte de service, il m’étudia tout à loisir. « Comment dois-je t’appeler alors ? —Ne m’appelle pas. —Je pourrais avoir besoin de toi plutôt qu’on ne pourrait le penser. Viens avec moi à Belfast ». Il déposa un long baiser sur ma joue. Il ne prend pas la menace de Byrne au sérieux. Voilà comment trois jours plus tard j’ai vendu Searlas Byrne à la CIA ; un important stock d’armes chimiques fut retrouvé dans une planque du Rhodes Island. Pauvre Byrne ! Il devait croupir dans une prison fédérale jusqu’au restant de ces jours.

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Voilà ce qu’on pouvait dire de ce mois d’août 1968. « Et d’après toi que s’est-il passé à Baltimore ? —Fingen et toi avez conclu un pacte ? Est-ce lui ce Murray auprès qui tu prendrais des instructions ? —Lui ? Murray ? Il est trop sage pour être ce Murray. Mais si tu veux une confidence, penches toi un peu par ici…A New York j’ai appris beaucoup de choses sur la CIA et leur méthode de recrutement et vous seriez surpris par leur efficacité. —Où veux-tu en venir ? » Il ne comprenait rien, du moins pas assez vite ; combien vaudraient-ils de morts pour que la Special Branch prenne ses dispositions. Le gin commença à faire son petit effet, quand soudain la porte s’ouvrit sur Gall O’Mara, Hennessy et Alton ; seul O’Mara gagna notre table pour s’installer près de moi. « Stuker dit que tu veux me parler. —Probablement. Mais cela sera de façon très brève ». Shit ! On m’a tendu un piège. Un putain de piège. Comment ai-je pu être aussi… bête ? Pas assez méfiante, trop confiante. A peu près sûr que les types de la RUC et de la DUP soient dehors à m’attendre pour me passer à tabac. Alors je joue mon vatout. Le col du manteau relevé sur son cou, Gall O’Mara a des allures de marin sortit de son cargo pour se rincer le gosier dans l’un de ces tripots mal famés de BelfastEst. D’ailleurs il pue le poisson frit. « Mais Stuker pourrait vouloir nous surprendre. Il l’a déjà fait et recommencera si on le lui donne les moyens. —La ferme ! Et écoutes-moi petite salope ! On sait que c’est toi qui a buté

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McFarrell ! On veut juste que tu nous donnes le nom de ton commanditaire et Stuker dit que tu es prête à causer ». Quelqu’un s’amusait à distiller des informations aux quatre vents, quelqu’un d’assez malin pour ne pas éveiller les moindres soupçons. En faisant cela, cette personne voulait s’assurer que je ne trouverai aucune porte de secours ; un peu comme prisonnière d’un labyrinthe et privée du fil d’Ariane. Murray ? Il me fallait trouver ce fils-de-pute au plus vite. « McFarrell avait certainement des ennuis bien plus grave que ces petites transactions bidons pour ne pas dire son blanchissement d’argent des plus lucratifs. Répliquai-je aussi naturellement qu’à un groupe de potes avec lequel je prends un verre sur le All Along The Watchtower de Jimi Hendrix. Désolée les gars mais je ne peux pas vous aider sur ce coup-là. —Quand je te vois McCullen je me dis que Duncan n’a pas été jusqu’au bout. Il aurait du t’enculer plus sec afin d’expulser toute cette merde de ta bouche. —Il a essayé, mais vois où cela l’a amené, O’Mara. Vous autres radicaux avaient besoin de modération ». Je griffonnai un numéro sur un bout de papier que je glissai à Gall O’Mara. Il l’étudia le sourcil froncé. Il allait appeler et cela lui prendrait dix bonnes minutes avant qu’on lui transmette l’info. Au bout du combiné…Siomon Mc Iosa. Il allait le baratiner un petit moment avant de lui raccrocher au nez. Furieux O’Mara s’empressera de me retrouver pour discuter de la conversation eue avec l’auxiliaire de Fingen. Indech Mc Gerailt me suit à la trace et il me remet une enveloppe Kraft avant de

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démarrer sur les chapeaux de roue. Le papier dit : Don’t miss DZ ! J aime les énigmes mais à petites doses et il n’y a que la CIA a marcher avec des anagrammes. Je squatte une chambre dans un hôtel miteux et je suis tellement courbaturée que je renonce un moment à prendre une douche. Jefferson Airplane et leur White Rabbit passe sur le poste de radio. Ce que Gowan ignore c’est la raison pour laquelle j’ai fait arrêté et tué Searlas Byrne. Bartley Fitzgerald me renseignait à l’époque, disons qu’il faisait souvent la navette de New York City à Baltimore afin de rabattre de gros clients au n°20 de la rue. On me les avait toujours décrits comme des types dangereux et pour les avoir vu à l’œuvre je peux également l’affirmer. Bref ! Ils allaient me gêner dans mes projets et tout particulièrement Byrne impatient de travailler en plus étroite collaboration avec Fingen. Sachant qu’il le solliciterait pour du plus lourd je n’ai pas résisté à la tentation de saboter ses plans et pour se faire je l’ai remis aux autorités locales, fédérales et à plus grande échelle, nationale. Il aurait croupir dans cette prison quand j’ai pensé à juste titre que mort il allait inquiéter les Provos de Belfast plus que la CIA occupée à se caresser le nombril. Fingen aurait pu craindre que Byrne balance toute son organisation, mais cet idiot de Byrne ne l’a pas fait ; or il avait eu bien des occasions de se montrer raisonnable. Dans la petite salle de bain, j’ôtai mes boucles d’oreilles quand du bruit me tint en alerte. Je pris mon arme pour ôter le cran de sûreté quand on frappa à la porte. « McCullen c’est moi, ouvres-moi ! »

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McLay ? Le verrou sauta ainsi que les deux chaînettes. « Il faut qu’on cause ma grande ? —Qu’est-ce que tu fais là ? Et qui t’a remis cette adresse ? » Tout aurait pu être naturel mais pas cette cravate à cette heure de la soirée. Il venait de la serrer, le nœud était trop parfait pour une fin de journée. Une veine barrait son front et cette expression je la connais : il avait pour mission d’exécuter une tâche pas très reluisante. « Je connais tout le monde dans cette ville et il n’est pas difficile de te retrouver en ce moment. —Je n’ai jamais dit que je me cachais ». Je m’assis sur le rebord du lit pour délasser mes cuissardes. Enfin…donner l’impression que j’opérais une sortie vers ma salle de bain. Il est nerveux, je le sens ; il vient de fumer une cigarette ce qui ne lui ressemble pas en dehors des repas. Je le trouve plus sombre que d’habitude mais toujours aussi autoritaire. La presse l’aime parce qu’il a du chien. Peu d’hommes sont capables d’avoir une telle paire de couilles. L’IRA. L’UDA et la Special Branch, il les a tous enculé. « Et puis je n’ai rien contre toi Shane. —Je le sais ». Il m’a giflé de toutes ses forces. Je ne compte plus le nombre de baffes que je me suis prise depuis…et bien depuis qu’on me croit l’assassin de JFK, Martin Luther King et de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Bientôt on me tiendra responsable d’avoir assassiné Gandhi. « Il y avait quoi dans l’enveloppe que tu as remise à McIosa ? —Tu le sais très bien… » Il a saisi mes cheveux pour me maintenir contre lui et

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me frapper si le besoin s’en faisait ressentir. Ce Murray sait comment me faire tomber du précipice. Plus il les emmener à moi et plus il précipite ma chute. McLay me jette contre le lit avant de déboucler le ceinturon de sa ceinture. Puis il m’encule moi aussi. Chacun de ses mouvements de hanche me fait songer qu’il me faille prendre ma retraite. Oui je rêve d’élever des moutons. Il prend ma bouche tout en me pénétrant avec profondeur. Il est possible que je jouisse avec lui. Je couine de plaisir à chacun de ses assauts et il m’étrangle car il sait que j’en éprouve un réel plaisir. « Tu n’es qu’une salope. —Oui…mais c’est ce qui te fait jouir ». Il reprend ma bouche en grognant. Ma main s’accroche à la cuisse de son pantalon quand son sexe devenue une trique, me burine, plus rapidement cette fois. On jouit en même temps ; il a eu le temps de monter sur moi et répand sa semence dans mon anus en ahanant, le bras en tenaille autour de mon cou. Il reste un petit moment ainsi comme pour être certain de ne rien laisser à quai. « Conall Fingen est venu te voir n’est-ce pas ? Il voulait s’assurer que tu le soutiendrais si McIosa avait dans l’idée de diffuser ce que l’on sait. Et tu as eu peur, ce qui explique ta présence ici ». Il se leva d’un bond pour remettre son ceinturon. La veine a disparu de son front mais en est apparue une autre au niveau du cou. « Je vais quitter ma femme, tu le sais. —Non je l’ignorai, comme j’ignorai que tu avais des soucis dans ton couple. —Vraiment ? Shane Mclay me dévisagea froidement, le rictus au coin des

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lèvres. Elle aurait reçu une lettre anonyme avec des clichés à l’appui ». Murray. Encore lui. Pour un peu je me serais mise à rire. Que cela pouvait-être tragique pour McLay ! Allait-il me tenir responsable de son divorce ? On s’est envoyé en l’air trois fois et quatre si l’on compte ce soir, cela ne fait pas de nous de supers amants. Je m’allume une cigarette et lui prend mon paquet pour s’assoir près de moi et se perdre dans ses pensées. « Je vais me retirer de la politique. —C’est toujours ce que tu feras de mieux. Si tu te sépares de ton épouse, ce qui risque fort d’arriver, la Presse va te démonter et…je me suis toujours demandé ce qui n’allait pas entre McFarrel et toi. J’admets que Ginger ne sera pas morte en vain si Conall Fingen pouvait avoir le bon sens de suivre ton exemple ». McLay enfouit sa tête entre ses jambes et les mains posées sur sa nuque luttait contre ses vieux démons. « Combien en veux-tu ? —De quoi parles-tu ? Je ne veux pas te faire chanter Shane ! Je t’ai révélé au pieu parce qu’avec ta femme cela devait être très médiocre et je ne t’ai pas piégé contrairement à ce que tu crois. On n’a fait que s’envoyer en l’air et je te dois beaucoup pour Crumlin Road. C’est vrai ! J’ai apprécié que tu viennes à mon secours. —J’ai des enfants et je ne veux pas qu’ils soient éclaboussés par un énième scandale. Alors donnes-moi ton prix ». Il pleuvait à verse. Les voitures envoyaient des gerbes d’eau en direction des trottoirs et je glissai dans une cabine téléphonique, tenant dans ma main l’enveloppe de notre Indech McGerailt. Ces petits cons de Langley avaient le sens

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de l’humour. On m’envoyait la copie d’un rapport complet, celui de Catherine Doole datant du 3 juin 1971 et je peux vous dire que cela m’emmerde que des fonctionnaires véreux puissent jouer aux bons flics avec ceux qu’ils appellent des repris de justice. Le téléphone sonna un moment avant que l’on ne daigne répondre. « Pourrais-je avoir Lochlainn ? —Oui c’est moi. Qui le demande ? —Je savais que tu reprendrais du service. Je suis plutôt soulagée de l’apprendre. Belfast est d’un ennui en ce moment. Tu es toujours là ? Où se tient la petite fête du benjamin des Fingen ? —Il est préférable que tu ne viennes pas ». Un CLIC se fit entendre. Un petit malin écoutait notre conversation et le sourire apparut sur mes lèvres. Il pouvait s’agir de Fingen, Riagal ou autre Provos soucieux de préserver l’intégrité du groupe. Et puis je vins à penser à mes moutons. « J’ai acheté des fleurs aujourd’hui. —Heureux de l’apprendre. —Je savais que cela t’intéresserai. En fait j’ai relu le livre de Virginia Woolf narrant la journée de Mrs Dolloway et de ce pauvre Septimus et tout comme Mrs Dollaway j’ai eu envie d’acheter des fleurs. Si tu les sentais tu les trouverais délicieusement agréables. —Qu’est-ce qui te fait croire que j’aime les fleurs ? —Et bien l’une de tes ex, Natalie que tu aurais rencontrée en 68. Dois-je donner plus de détails ? Alors j’ai relu Dolloway et j’ai pensé à ce pauvre Spetimus que Virginia Woolf prenait plaisir à torturer. —Pourquoi tu me parles de tout cela ?

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—Et bien parce que j’ignore si je dois offrir ces fleurs à Cora Fingen. Il n’y a plus de fleuriste d’ouvert à cette heure-là et je ne peux pas venir les mains vides. —Non. Cora est sensible au pollen. —Tu sembles bien la connaître. —Natalie l’est également. Elle a du te le dire d’ailleurs ? Oublie cette idée de fleurs ». Il avait compris. Comment un être aussi brillant que mon Dalaigh pouvait-il travailler pour le MI6 ? Une voiture venait de s’arrêter sur le trottoir d’en face et un type avec un ciré en sortit en tirant sur ses gants. Les hommes de Conall Fingen me serviraient d’escorte jusqu’aux portes de l’Enfer. « Oui ce genre de détails ne m’a pas échappé. Alors je ne torturerai personne avec mes fleurs ce soir. Dalaigh, je…je crains avoir un léger contretemps, disons que c’est stupide mais j’ai déchiré ma robe, et je n’ai rien de séant à me mettre excepté si vous n’avez rien contre une tenue plus affriolante. —Viens comme tu es. Un rien t’habille. —Avant que je ne raccroche dis-moi si tu as apprécié la fin de Mrs Dolloway. Pour ma part je le trouve si prévisible. Les faibles finissent toujours pas se retirer du jeu. Je vais jeter ces fleurs, après tout leur entêtante odeur finisse par m’écœurer. —Si tu n’as rien d’autres à me dire je te laisse ». Il a raccroché avant moi. Pour nous le pollen représentait des explosifs, Mrs Dolloway n’était autre que la CIA ; Septimus le personnage fictif de Virginia Wool, Catherine Doole ; Cora comme Natalie, les deux frères Fingen. Je me suis allumée une cigarette des plus calmes. Le type avec ses grosses bajoues et ses favoris

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censés les masquer à frapper à la vitre de la cabine. Quelque part Murray devait jubiler : La Chasse aux Sorcières aurait bien lieu. Conall Fingen baissa la vitre de la berline et me fit signe de rappliquer. « Ramènes-toi McCullen. La petite soirée de mon frère ne pourrait commencer sans toi ! » Ah, ah, ah ! On démarra sous une pluie battante et Fingen me tendit une flasque de whisky que je déclinai pour concentrer mon attention sur la chaussée. Oui j’avais eu raison d’évoquer ce « léger contretemps » car la voiture bifurqua vers les quais de Belfast et après deux checkpoint, s’arrêta non loin d’une grue dont le bras pendait vers la rivière. « Toi tu descends. McCullen et moi avons à discuter…Tu es très en beauté ce soir. Tu projette de débaucher mon frère avec de tels artifices ? —Oui j’ai sorti toute l’artillerie. Encore une fois il y en aura pour tout le monde. Cependant un détail me turlupine. Pourquoi Maloney ? Vous l’avez torturé seulement pour la forme, pour vous entretenir un peu avant de perdre l’assistance de McGill car peu de temps après il est devenu incontrôlable. Est-il possible que Maloney ait renseigné McGill quant à de possibles transactions ? —Le gamin s’est fait payé pour jouer au con. Possible qu’il n’ait pas su s’arrêter. Il faudrait interroger tes potes de l’UDA pas moi. C’est bien Stucker ton contact n’estce pas ? Lui et ses enfoirées de gonzesses orangistes, des petites pisseuses qui sabotent nos efforts et mettent un point d’honneur à baiser avec nos filles. —Alors vous savez qu’ils n’ont pas eu à se donner du mal avec moi. J’ai une

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prédisposition à saboter les efforts de l’un ou l’autre et je met un point d’honneur à baiser avec les plus chanceux d’entre vous ». Conall Fingen me fixait intensément, tirant profondément sur sa cigarette. Il pouvait dire vrai concernant Mahoney mais dans ce milieu il ne fallait pas prendre pour acquis leurs déclarations. Il bluffait comme tous les autres et son cadet m’avait initié aux règles de ce mortel poker bien avant que je fasse mon entrée en Irlande. « Alors ? Pourquoi tenir à cette entrevue des plus privées ? » Avé Maria se diffusait sur les ondes. Il fallait bien être papistes pour s’adonner à pareille écoute. « Tu as vu Stucker dernièrement et j’ai une proposition à te faire. Elle concerne la petite forgerie mis en place par ton frère. Tu sais qu’il y a investi 10.000£ et je sais que tu lui as remboursé la totalité de l’argent en vendant des armes à Stucker. L’argent était maqué et c’est ainsi que j’ai su pour qui tu travaillais. On parle d’un certain Ruadh Murray et on va finir par savoir qui se cache derrière ce nom. —N’y comptez pas trop, j’ignore moimême qui est ce Murray. —Vraiment ? Ce n’est pourtant pas ce que pense Owain Donall. Il travaille pour toi celui-là n’est-ce pas ? Nous sommes parvenus à le faire parler. Tu l’as recruté à New York et ni toi ni moi ne pouvons mettre en doute la véracité de ses propos ». Il prêchait le faux pour obtenir le vrai. C’est Ciaran qui avait causé par Owain Donall que je savais être à Londres. Londres. Alors ce Murray pouvait également y être. Mon rythme cardiaque

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s’accéléra et je résolus de dire la vérité. Ma vérité ! « Effectivement j’ai rencontré un Owain Donall au cours de mes études et on a sympathisé. En fait je dirais que nous nous sommes rencontrés à Chicago et il m’a appris à boire de la Dr Pepper et à apprécier le blé soufflé. Lui venait de l’Oregon et… —Je me fiche pas mal de tout cela. Je me fiche de savoir un détail de ta putain d’existence, ce que je veux c’est ce Murray, tu piges ? En échanges de toi, tu ne seras plus inquiétée. Ni toi, ni ton frère ». Alors j’ouvris mon sac pour en extraire un petit carnet contenant des données chiffrées qu’un citoyen lambda comme Fingen ne pourrait déchiffrer sans clefs. « J’ai la certitude que Mowgli cherche à nous entuber. Lui seul fricote avec nos intermédiaires et il nous faut le liquider avant qu’il n’ait dans l’idée de nous vendre à Baghera. Dois-je continuer ? J’ai ici six pages contenant des informations susceptibles de vous faire plonger pour tentative de meurtre et meurtre prémédité si l’idée vous prenez de vouloir passer à l’acte. Cette déclaration remonterait à avant-hier soir peu après votre entretien avec McLay et j’ai quelque part dans un endroit tenu secret, ses aveux signés. Alors je ne pense pas que vous soyez en mesure de négocier quoique se soit avec moi. Ma mort vous plongera dans une longue et pénible incarcération et l’IRA ne sera pour vous qu’un vague souvenir de luttes intestines pour le pouvoir. Regardez Conall, tout figure ici…page 3 j’ai également ceci : Nous passerons à l’action quand le moment nous sera le plus

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profitable. Et pourquoi pas ce soir hein ? Supprimer Ginger ne vous aura servi en rien, cela reviendrait à couper la mauvaise tête de l’Hydre de Lerne. Mais assez parlé de moi ! Quel est donc ce plan Conall ? » Il voyait rouge et nerveux jeta sa cigarette par la fenêtre, faisant signe à son sbire de rappliquer. Lui, s’assit en faisant couiner le cuir sous ses grosses fesses. Ils me faisaient perdre mon temps. « Alors ? Ferons-nous équipe ce soir ? » La réception de Genann Fingen donnait dans la démesure. Il savait recevoir. Sa Cora un peu moins. Elle m’ignora superbement quand son époux vint me saluer. « J’apprécie que tu sois là. Lochlainn m’a prévenu de ton léger contretemps et il n’y a pas la moindre importance que tu viennes les mains vides. Tu es ici chez toi d’accord. —Où sont les toilettes ? J’ai besoin de me laver les mains ». Au premier étage je trouvais le lieu d’aisance et suivit par cette garce de Cora, je décidais de ralentir le pas. Fermement elle m’attrapa par le bras et à son regard je sus qu’elle allait me tuer. « Tu as couché avec mon mari sale catin ! Il a tout avoué et de quel droit osestu te ramener ici ? Tu n’es qu’une sale pute ! » Et elle me gifla. Je n’avais plus qu’à tendre l’autre joue comme son Christ mort en croix et dont les enseignements pourraient avoir raison de moi. « De quel DROIT ? Et je sais des tas de choses sur toi qui raviront la Special Branch Niahm McCullen ! Et pas seulement ces gradés des renseignements ! On sait maintenant pour qui tu travailles et je pourrais te tuer maintenant pour que tout cela finisse mais mon petit doigt me dit

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que tu n’as pas encore joué ta dernière carte. —C’est exact. L’on ne peut rien te cacher. —Non, absolument rien, ricana cette dernière l’œil brillant et un franc sourire sur les lèvres. Je veux que tu me dises pourquoi tu es ici, chez moi ! —Quoi Murray, ne te l’a pas dit ? —Il ne m’a pas parlé de cela. Il a seulement dit que tu serais ici et qu’il était dans mon intérêt de te laisser vivre. D’autres après ce soir se chargeront de t’expédier en Enfers. Où est-ce que tu vas ? —Aux toilettes. Peut-être veux-tu m’accompagner ? —Je n’en ai pas fini avec toi ! » Attachée par une jarretelle, j’avais une arme silencieuse et dans l’armature de mon soutien gorge une ampoule contenant du poison, du cyanure en forte dose ; le reflet renvoyé par le miroir présenta une ravissante femme aux antipodes du monstre que j’étais. Oui j’étais un monstre assoiffé de sang ! Il me faut moins de dix minutes pour monter ma bombe artisanale et la programmer pour dans deux heures. Celle-ci allait péter et faire un raffut de tous les diables. Deux heures et je pourrais enfin partir. En lorgnant par la fenêtre je reconnus la silhouette de Ciaran près des voitures et éclairés par un réverbère. Que faisait-il là ? « Niahm, il faut qu’on parle… —La fête sera terminée dans deux heures Lochlainn. Tu pourrais essayer d’en profiter maintenant. Quoi ? Oh non, ne me dis pas qu’il t’a contacté toi aussi ! Je parle de Murray… »

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Il m’attrapa par le bras pour me plaquer son l’escalier. J’espérai qu’il me dise vouloir partir avec moi avec ce grand feu d’artifice. Je l’espérai tellement mais qui se préoccupe du devenir d’un monstre ? Quelqu’un de sensé me fuirait au plus vite. « Je te parle des fleurs que tu comptes offrir à la maîtresse de maison. Seulement cela reste une mauvaise idée. Ciaran est dehors. —Je le sais oui et je me félicite de son retour parmi nous. —Tout cela c’est un piège. Stucker l’a soudoyé. Si tu penses encore qu’il est incorruptible alors méfies-toi de celui que tu croyais être ton allié. Il a un plan différent du tien et cela peut remonter à ce qu’il s’est passé au n°20 de la Washington Street de Baltimore. Tu vois ce que je veux dire. Vaughan Leach a parlé à Scotland Yard et il a donné des noms dont celui de Ciaran McCullen qui se fait passer pour ton frère, follement épris de sa présumée sœur. —Alors toi aussi tu t’as bien contacté ». Ce Murray balancé des informations de plus en plus précises, faisant chanter mes anciens contacts des Etats-Unis. Il était entrain de m’enterrer vivante. Oui véridique : Ciaran m’avait aimé et je l’en avais dissuadé. Il était ambitieux et excellait dans la forgerie, cependant son amour pour moi le rendait imprévisible parce que jaloux. J’aurais du m’en débarrasser depuis longtemps. « Je me fiche de tout cela Niahm seulement je voulais te dire que… » Que quoi ? Partirait-il avec moi ? Mon cœur battait à vive allure et ce bref silence était détestable.

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« …que toi et moi nous n’aurions jamais du nous rencontrer. Pas de cette façon et ce n’est pas au goût de certains bonnets de ces mouvements paramilitaires ou des organisations officielles dont je ne peux citer le nom mais que tu n’es pas sans ignorer ». Alors je vins à penser à Katrin. Depuis le début il déchiffrait mes codes après s’être servi de mes clefs ; la cryptographie n’avait pas de secrets pour lui et il surveillait le moindre de mes faits et gestes, manipulant Ciaran et…depuis les Etats-Unis il m’espionnait, lisant mon courrier codé et se régalant de mes exploits. Il avait permis le transfuge d’anciens agents du KGB et après ce soir il ferait sortir à jamais Lochlainn de ma vie. « Katrin ne compte plus me voir. Et tu étais au courant ? —Il sait tout de toi et il utilise sa propre force pour la retourner contre toi. Tu ne sortiras pas vivante de cet endroit. Maintenant je ne t’ai rien dit, tu as une heure quarante avant de trouver la sortie ». Moins de cela même. Ciaran à l’extérieur, les Fingen à l’intérieur je devais trouver une parade comme l’avait si justement conseillé Lochlainn. Les invités se rassemblèrent autour du couple Fingen car Genann appelait au silence souhaitant porter un toast. Le doux tintinnabulement du cristal apaisait presque mes nerfs. Il allait parler de politique et remercierait son parti et blablabla blablabla. Le verre de champagne à la main je glissai vers la sortie suivie du regard par Conall Fingen. Sur le perron, à l’abri des gouttes de pluie je fumai paisiblement dans l’espoir de voir surgir Ciaran. Et il est là impeccable dans son costume et cravate.

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« Tu m’as manqué ». On s’est serré dans les bras. « Toi aussi » Répondis-je me laissant caresser la jouer par ce félon. On est là à s’observer. Il est gêné tel un gosse après avoir fait une grosse bêtise et s’attendant à ce que la punition tombe d’une minute à l’autre. Il baisse les yeux et sa grande mèche cache ses yeux fatigués. « Niahm, je suis désolé. —Comment se porte Katrin ? C’était son idée la mise en arrêt de ton activité auprès de Fingen et naturellement je n’ai pas cru à ton décès. Ce sont des amateurs Ciaran, mais toi tu es bien plus malin, c’est la raison pour laquelle je t’ai choisi pour me seconder. Notre plan reste inchangé jusqu’à cette dernière minute où tu es venu me faire tes excuses. J’ai toujours confiance en toi Ciaran. —Je…je ne veux plus travailler avec toi. —Il est ici n’est-ce pas ? Et on t’a demandé de me servir ce baratin pour te permettre un transfuge vers un nouvel Eldorado. Tu ne peux accepter Ciaran. —Je le sais. Je le SAIS ! Seulement je… » Allait-il se mettre à pleurer ? Non, pas Ciaran, à moins qu’il soit acculé sans autre choix que celui de mordre le premier. « Je n’en suis plus capable Niahm. Tu aurais pu venir me chercher, mais tu ne l’as pas fait. Tu savais où j’étais, mais…tu n’es pas venu. J’ai attendu, chaque seconde, chaque minute, mais tu continuais à jouer les indifférentes ! Et ça…je m’attendais à plus de considération de ta part ». Ils lui ont lavé le cerveau. Il est là pour m’exécuter, pour laver le linge sale en famille. La belle histoire. Je ressens de la lassitude. L’esprit de Ciaran est en mille morceaux et le regard de Katrin le trahit en

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désignant un véhicule stationné dans la rue. Celle de ses bourreaux, celle de Katrin et je tape à son carreau. « Vous avez du feu ? » Le chauffeur me fait signe de monter à bord et je m’exécute en laissant une fois de plus Ciaran derrière moi. Etair Mulryan ordonne à son chauffeur d’avancer. « Tu sais pourquoi on est ici ? Ton Murray nous a contactés. Cela te fait quoi d’être un super-héros ? C’est bien ce que tu es ce soir, invincible et doté de superpouvoirs, celui de faire ressurgir ton frère du néant ; celui de faire trembler Conall Fingen et mettre à terre Stucker. Tu n’as plus d’ennemis devant toi excepté ce Murray. —Il n’a jamais été mon ennemi. Je dirais même que nous formions une sacré équipe. Attendez-vous à un mariage dans les jours qui viennent et bien-sûr vous y serez invités. —Et ferez-vous de nouveau sauter son bateau ? Et effacer toutes les preuves de votre commun passé ? » Il tenait ce récit fictif de Ciaran ou de Lochlainn. L’un l’ayant appris de l’autre, je savais par conséquent que Mulryan était tombé dans le panneau. J’éclatai d’un bon rire franc. C’était risible non ? « Vous tournez en rond. Je pensais qu’au moins vous connaitriez l’identité de Ruadh Murray. Etrange non ? Nous en sommes au point de départ et cela doit vous rendre nerveux. —Pas si sûr. Une partie du mystère nous est dévoilé. Ciaran s’est montré très conciliant. Garez-vous ici Peter. Nous avons un colis à prendre ». Là devant ce pub, nous attendîmes. Un groupe de filles sortirent de l’O’Malley en

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gloussant. Dans ce quartier huppé de Belfast, les filles portaient ce qui se faisait de plus chic en matière de mode. Des hommes les rejoignirent tout aussi éméchés et Etair Mulryan les regardait, faisant tournoyer son zippo entre ses doigts. La musique de Jimi Hendrix nous parvenait par intermittence à chaque fois que l’un ou l’autre entrait ou sortait de l’O’Malley. Peter pianotait sur son volant, battant la mesure tout en me lorgnant dans le rétroviseur. Katrin sortit du pub accompagné par Roan Loghlin dit Billy mon receleur. Il lui tapota l’épaule avant d’entrer dans la voiture sans même me saluer. « Tu prends tout de suite sur la gauche Peter, cela nous évitera de passer par les grands axes et ainsi éviter les check point ». Et Katrin posa une enveloppe sur mes genoux. C’est lourd et je n’aime pas ça : les surprises. En même temps j’essaye de m’y habituer car au cours de ses 48 heures, on ne manque pas de me surprendre. « C’est pour toi, ouvres-le ». Le Peter en question roulait à vive allure sans prendre le temps de marquer les arrêts, comme pressés d’arriver à bon port. Et je tombe de nues face à ce que je vois. « Et qu’est-ce que ces photos prouvent ? Laissez-moi vous éclairer Sherlock Holmes, vous étudiez la calligraphie japonaise ? Ce t idéogramme signifie harmonie. Vous savez que ma mère travaillait comme traductrice à Kyoto. Le hasard voulut qu’elle croisa cet homme, le professeur Dean Mayer. Je ne peux rien dire de plus sur lui. —Nous savons et nous aimerions vous l’entendre dire.

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—Quoi donc ? Ne m’embarrassez pas avec vos sous-entendus. Peter vous me déposerez au prochain carrefour. Vous savez Katrin je vous aime bien. Tout ce mystère sur votre personne… c’est très excitant. Pour le KGB vous fûtes un ennemi de choix et l’on n’a pas hésité à vous décorer pour vos brillants états de service. Je sais que vous avez torturé cette femme. Comment s’appelait-elle déjà ? Semanova ? Natalia Semanova ? Oui c’est ça ! Pourquoi l’avoir torturée Katrin ? Auriez-vous manqué de soif froid ? —Ce Dean Mayer a vécu à Brrooklyn, poursuivit Etair Mulryan attendant ma réaction. Il s’est rendu à Baltimore à trois reprises et précisément au n°20. Fingen et toi l’avez exécuté. Il y a quoi entre toi et ce type ? Tu nous en parle ? —Il donne une réception ce soir et je ne veux en rien la manquer. Peter, je descendrai ici ! Merci… » Oui il s’arrêta sur l’accotement du trottoir mais Katrin ne bougea pas d’un cil. Interdite j’éclatai de rire, serrant ma pochette sous mon bras. Baltimore. Année 1968. De toute évidence le MI6 transmet les infos à la Special Branch et ces enfoirés ont envoyé Flaithri Gowan pour me cuisiner un peu. C’est l’histoire du chien qui se mord la queue…Aretha Franklin passe dans ma tête et j’ai envie d’un bon joint pour atteindre cette sorte d’état lymphatique. Passionnant comme histoire n’est-ce pas ? Le regard bleu-vert de Katrin plongea dans le mien et pendant un bref instant j’y lu du mépris pour les salopes de mon espèce. « Oh ! Attendez ! La mémoire me revient…je sais à présent qui est ce Searlas

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Byrne et pour quelle raison il fut assassinĂŠ !

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Enregistrement n° 13 : Belfast a l’heure du chaos. Cela ne sent pas bon et les rapports entre les britanniques et loyalistes se détériorent ; les ghettos barricadent les quartiers des loyalistes depuis l’été mais depuis le Bloody Sunday cela va de mal en pis. Les catholiques nord-irlandais organisent grèves et manifestations. La maison de Fingen a sauté ce 16 février 1972 a minuit quinze et je ne fus pas sur place pour admirer le résultat : 22 blessés et 5 morts. La presse s’est immédiatement emparée de l’affaire et on m’a chargé de me rendre sur place pour prendre des clichés et interroger le voisinage. L’An Probacht pour ce drame très au sérieux. Fingen est à l’hôpital au chevet de sa poufiasse et il est là la tête entre les jambes. Il y a des chances pour qu’elle ne s’en tire pas. J’ai envie d’une cigarette et il me rejoignit dans le couloir. « C’est triste ce qu’il vient de vous arriver. —Tu le crois vraiment ? » Il répondit froidement, la voix pleine de colère et son regard gris me défigura avant de tirer profondément sur sa cigarette. « Peut-il s’agir des types de l’UDR ? Ou de l’UDA ? Tous des salauds ! Fingen, tu devrais aller négocier avec Stucker ou lui coller une balle dans la tête. Il en sait trop sur toi et pourrait te compromettre, tu le sais. Si tu ne fais rien il recommencera jusqu’à ce qu’il ait ta peau. —Où étais-tu hier soir ? Pourquoi es-tu partie ? —Quoi, Ciaran ne te l’a pas dit ? Je n’ai jamais cru en sa mort, alors tu comprends à quel point fut grand mon soulagement.

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Naturellement il n’a rien souhaité me dire, alors je suis sortie pour essayer de comprendre ce qui pousse un homme à détruire un autre individu et j’ai compris. Dieu ne nous a pas fait égaux les uns des autres, l’histoire au fil des civilisations et des époques nous l’a démontré. — Arrêtes tes conneries ! Arrêtes, je te dis… et la main de Genan Fingen se referma sur ma gorge et il serra de toutes ses forces, tout en me cognant contre le mur, je vais te dire ce qu’il cloche chez toi. Tu n’as jamais eu le cran de lui demander d’aller se faire voir. Aujourd’hui il te la met bien profond et sa grosse bite remonte jusqu’à tes amygdales et tu sais ce que ça le fait bander. Il prend son putain de pieds et toi seule peut l’arrêter dans son délire paranoïaque ! » Il me projeta brusquement contre le mur et serra ma gorge plus fort encore au point de me faire perdre connaissance. Je le frappe et le griffe mais il serre plus fort. C’est ici que je vais mourir. Au secours ! « Dis-moi ce que l’on éprouve à cet instant ? Demanda-t-il en fouillant mon entrejambe, tu aimes toujours que je passe par là ou je peux encore te baiser…tu aimes ce genre d’affection, selon les dires de McGill. On dirait que je ne te fais plus aucun effet. —Je songe à ce que tu n’as pas fait Genan. Tu avais un plan et Cora n’en faisait pas partie. Tu n’ignores pas de quelle façon est mort Searlas Byrne. La CIA n’a pas montré beaucoup d’égard pour cet agent de l’IRA et j’apprends tout à fait par hasard que Dean Mayer a été tué. Dean Mayer et tu sais qu’il comptait pour moi. Alors je vais devoir me montrer très…contrariée et Mark Lewinsky aura

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intérêt à revoir son plan afin de neutraliser tous les tordus de ton genre socieux de raccourcir mon espérance de vie. —Des tordus de mon genre ? Tu te prends pour une super woman ma grande. De nombreuses personnes dépendent de toi et tu formalises avec de prétendus assassinats. Or il n’y a pas de plan, il n’y a jamais eu de plan. Ma femme est allongée dans ce lit entre la vie et la mort et mon devoir est de veiller sur elle comme un bon mari le ferait. Où en es-tu avec le tien ? Songes-tu à divorcer pour ainsi fuir avec ce Lochlainn. —Je n’ai pas de plan. Et…je ne suis pas mariée ». Il se dégagea de moi en souriant, impeccable dans son imperméable noir, c’était le Fingen que j’avais connu à Baltimore. Il écrasa sa cigarette sans me lâcher des yeux. Il ne me croit pas. Ruadh Murray, probablement. Lui ne sait se taire. La belle aventure. Il me caresse le menton et mes lèvres, ses caresses sont très subjectives et il enfonça son index dans ma bouche. « A qui tu ferais croire cela ? Il cherche à te sortir d’ici et c’est son droit. Alors je t’aiderai à finir ce que tu as commencé ; Attends-moi ici, j’en ai pour une minute ». Il est retourné dans la chambre de Cora et a posé un oreiller sur sa tête. Voilà comment se débarrasser d’un intrus. Elle s’est débattue un bref instant avant de rendre l’âme. Fingen m’a tapoté la joue pour me prouver que je pouvais lui faire confiance. La confiance est primordiale dans les rapports humains et j’ai passé un appel au journal pour leur dire que je m’absentais deux jours durant. Indech McGerailt a toqué à la vitre. Qu’est-ce que

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ce peigne-cul me voulait encore ? Le service de contre-espionnage de la CIA remettait cela. Ils employaient la désinformation pour m’anéantir. Indech colla un papier contre le plexiglas : une adresse y figurait et sans traîner je m’y rendis. Il était là derrière une assiette de fish and chips. Une bonne bière consommée de moitié ; il me fit signe de m’assoir et poursuivit son déjeuner sans même me regarder, puis il repoussa son assiette et s’alluma une Malboro. « Nous arrivons au dernier acte et le rideau va bientôt se fermer ; ce n’est qu’une question de temps. Tu veux boire quelque chose ? Mademoiselle ! Apporteznous du vin ! Allons-y pour du Bordeaux ! Tu apprécies le vin n’est-ce pas ? Je sais qu’il en propose du bon ici. —Si j’avais su qu’il eût s’agit d’un déjeuner romantique je me serais habillée autrement, répondis-je en ôtant mon manteau trois-quarts à col de renard gris. Le reflet renvoyé par le miroir de la salle de manger de son restaurant gastronomique me présenta comme une femme portant un chignon sage et du khôl soulignant mes yeux en amande. Une danseuse étoile russe du Bolchoï. —Je vois bien que tu n’es plus avec nous Niahm. Tu es ailleurs, à des annéeslumière d’ici et plus tu t’éloignes et plus difficile sera le retour dans notre dimension ». Alors j’éclatai de rire, la main devant mes lèvres carmin puis je piquai une frite dans l’assiette de Mcgerailt. « Vous voudriez me voir kaput toi et Ronald Myers et Mark Lewinsky, principaux acteurs de cette mystification.

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Tu as reçu mon enveloppe j’imagine. Je n’avais pas l’intention de vous la communiquer mais les événements actuels m’y nt contraint ». Le vin arriva et McGerailt joue les connaisseurs. Pathétique. Pourtant il y a bien longtemps que je n’ai bu du bon vin, et celui-ci n’est pas mauvais. Il me ramenait des années en arrière. Mais je ne sais plus trop dans quel contexte. « Pourquoi es-tu ici McCullen ? —Pour vous aider à y voir plus clair. En temps normal vous y êtes incapable Indech. Vous avancez avec des œillères et combien de temps selon vous avant que la cavalerie ne survienne ? Clarkson attend le feu vert du MI6 pour m’arrêter et les Services secrets de sa Majesté attendant que vous bougiez votre cul pour ne pas avoir à se salir les mains si les événements venaient à prendre une tournure plus « politique », ce que tous ces messieurs de Westminster ne veulent absolument pas. Oui Indech, tu sais à quoi je fais allusion. —Non, tu n’as pas compris ma question. Pourquoi es-tu ici à tenter une diversion. Parce que tu nous manipules depuis le début. Tout est bidon de A à Z et tu pourrais continuer indéfiniment à ce jeu-là sans que nous puissions prévoir la fin. Et je sais que tu prends ton putain de pied en déplaçant chacun de tes pions sur ce vaste échiquier. Qui fera quoi ? Qui ira où ? Et puis….comment se débarrasser de la femme de Fingen devenue trop gênante ? Racontes-moi un peu. Raconte comment tu y es parvenue ». Je me contente d’un sourire et retourna à mon verre. « La force de persuasion hein ! Le premier que l’on soupçonne est le mari

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dans les cas de décès, l’enlèvement et de sévices corporels. Le médecin parle d’un décès naturel : ses fonctions vitales auraient cessés de fonctionner peu après le passage de son époux ce matin. En fait, peu de temps après ton passage. On pourrait t’arrêter pour complicité dans l’assassinat de cette femme et nous aurions la justice de notre côté. Contrairement à tous tes cas d’assassinat, tu n’as pas d’alibi McCullen. Quand les bombes éclatent ce sont les paramilitaires que l’on montre du doigt mais dans le cas de ce genre de meurtre…on a son auteur. —Alors ? Qu’attendez-vous pour l’arrêter ? —Ah, ah, ah ! Et ton plan comprend-il un coup de théâtre ? Oui, de toute évidence. Est-ce que l’agent Arrington est un bon époux ? —Comment pourrais-je le savoir ? —Tu l’as épousé ». Derrière une blonde alluma une cigarette. La même postée devant mon squat non loin du John Knox presbytere. Alors je me dis que la CIA relâche un peu sa vigilance ; du moins voudrait-elle le faire croire. Arrington dit Katrin. Non. Je ne pense pas l’avoir épousé. McGerailt leva la main pour commander son café. « Tu t’essayes à la désinformation Indech ? —Ciaran dit que tu l’as épousé. —Ciaran n’est plus lui-même depuis son séjour à la RUC. Qui pourrait le blâmer de déformer la réalité ? Quant à cet Arrington, c’est un zombie incapable de distinguer ce qui est vivant de ce qui est mort. Inchech, tu es trop romantique, ah, ah ! —Tu espérais un transfuge, hein ? Tu as cru que tu pourrais t’en tirer en faisant

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diversion mais c’était sans compter sur le soutien de Ciaran dans cette affaire. En tant que coupe circuit, votre coopération devait être exemplaire ; à la place de cela Ciaran tient lieu de saboteur. T’attendais-tu à cela ? —Naturellement. C’est un jeu d’échec dont il nous faille analyser toutes les attaques éventuelles de notre adversaire. Assez parlé de moi ! Où comptes-tu t’installer après l’Irlande ? Ne me dis pas que tu n’as pas réfléchi à ta reconversion ? Tu ne seras pas toute ta vie un agent de la CIA. Pourquoi ne pas retourner dans ton Montana natal et aider maman avec sa pension de famille ? » Avec quelle intensité me fixa-t-il ? Il y a bien longtemps que j’ai appris à interpréter ces regards et celui-ci signifie : Tu ne sais sien de ce que tu devrais savoir, alors fermes-la avant que je t’envoie au tapis ! « Et que devient Christy Monroe que tu trouvais bandante si je ne m’abuse ? A-telle finie par épouser Lloyd Flyming ? C’était bien engagé pourtant…toi et elle. Que te reprochait-elle Indech ? —Tu n’as plus rien à faire ici. On te donne six heures. —C’est bien assez pour lâcher les toutous de la CIA. Je t’en serais reconnaissant si tu acceptais de m’escorter jusqu’à Ardoyne ». Une pluie diluvienne s’abat sur Belfast. Pas un temps à mettre un chien dehors et pourtant toutes les salopes de la CIA me filent le train ; la grande cagnotte est pour bientôt et tout le monde veut être de la partie : la Royal Ulster Constabulary, les membres de la Ulster Defense Association (rencardés par je ne sais qui), l’Ulster Volunteer Force, Oranve Volunteers pour

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les loyalistes et du côté des républicains, on retrouve l’Irish Republican Army marchant main dans la main avec la Provisional Irish Republican Army.A travers mes jumelles, je surveillais les mouvements des troupes en notant l’omniprésence de la Royal Army à chaque coin de rue. J’écrasai ma cigarette en songeant à Searlas Byrne. Il ne m’avait pas prise au sérieux trop concentré sur le sale coup qu’il se préparait à faire. Je me souviens de sa barbe taillé en bouc et de son crâne rasé, un sale type toujours prêt à vouloir se mettre sur le devant de la scène. Toujours est-il qu’il n’aura pas pu profiter de son succès. Siomon Mc Iosa m’ouvrit et écarquilla les yeux en me voyant. « Par tous les saints ! Qu’est-ce que tu fiches ici McCullen ? Vas-y rentre ! Riagal porte le deuil de sa nièce adorée et tu penses bien qu’il ne va pas tarder à exploser, déclara-t-il en versant du whisky dans deux verres. Alors qu’est-ce que tu vas faire, hein ? Te tirer une balla dans la tête et faire porter le chapeau à Fingen ? —Pourtant tu sais pourquoi je suis ici. Je viens finir un sale boulot commencé il y a quelques années de cela. Du whisky…et ton préféré en plus ! Pour toi c’est jour de fête n’est-ce pas ? J’ai toujours pensé que tu n’étais pas à ta place ici. L’IRA te sousestime McIosa. —Ils savent que tu es ici ? —Tous sont occupés à regarder du mauvais côté de la route. Tu es nerveux on dirait. Aurais-tu eu de la visite avant la mienne ? Je suppose qu’il s’agissait d’un dénommé Ruadh Murray, pris-je le temps d’articuler. Alors qu’as-tu appris sur moi ?

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—J’ai reçu un appel oui. Un dénommé Murray comme tu l’as deviné et il m’a chargé de te liquider. Tu peux croire ça ? Un parfait inconnu m’appelle et me demande d’abréger ton existence. Il a parlé d’une forte somme. Un paquet de fric. Ce n’est pas bon signe pour toi car je suppose que ce Murray ne sait pas arrêter à moi. —Tu pourrais rien avoir à te reprocher mais me descendre uniquement pour le magot en te disant que tôt ou tard on m’aurait troué la peau. N’est-ce pas ce à quoi tu penses McIosa ? Tu peux me parler franchement, on est de vieux amis non ? » Avec quelle intensité me fixa-t-il la cigarette se consumant entre ses doigts boudinés. Je trouvais qu’il avait de la classe, il avait toujours eu de la classe ; un peu comme ces siciliens de la Little Italy ou les géorgiens de la Little Odessa. Un style inimitable et qui en dit long sur le magot qu’ils récupèrent dans leurs petites transactions alimentés par la drogue, la forgerie et les putes. Derrière ce regard confiant se cachait un tueur. On savait le soin qu’il portait à torturer les adversaires de son boss. Il a un certain talent à ce qu’il fait et c’est bien ce qui le rend unique. « Tu aimes toujours la musique ? Joplin et Dylan ? Ils te font toujours de l’effet ces Amerloques ? Ah, ah ! Tu sais je t’aime bien. Si, si ! Tu as toujours une longueur d’avance sur les autres et tu es encore bien jeune pour finir en taule. Tu sais que je me fais du souci pour toi. —August Dillane. Tu sais qui il est n’est-ce pas ? —Jamais entendu parler ». Il me mentait. Il avait tout intérêt à préserver les arrières de COnall Fingen pour le cas om la RUC laisserait tomber ses poursuites. Et

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il mentait délibérément pour pouvoir avoir une porte de sortie pour le jour où on viendrait le chercher pour fraudes. « C’est moche non ? Cet homme est un mystère pour tout le monde. Je ne veux pas avoir de sang sur les mains et toi non plus. Enfin je suppose… Ce Dillane aurait donc à voir avec Tara Lee-Graham chargée de blanchir l’argent de l’IRA. Dilane pourrait être une fausse identité pour masquer une personne médiatique et de notoriété publique. —Oui cela pourrait-être ton gars. Pourquoi tu t’intéresses à présent à ce Dillane ? Encore un mystère à résoudre, hein ? » Il ne nia pas l’existence de Tara LeeGraham, ayant abaissé sa garde après que j’eus évoqué Murray. Un homme qui n’a rien à se reprocher, creuserait dans sa tête en se disant ne pas connaître cette LeeGraham pour commencer et ensuite il aurait démenti connaître ce Dillane. Alors je me levai et arpentai la pièce, touchant à un bibelot puis à un autre. Lui relooker mon popotin et mes longues jambes interminables. Il aurait pu trier et m’abattre de sang-froid et dans le dos. Il aurait ensuite dit à la police : ne pas me connaître et m’avoir surpris chez lui à le voler. Aretha Franklin me vint à l’esprit et tout en fredonnant l’un de ses tubes je le vis saisir une arme à feu. « On ne sait pas tout dit McIosa, poursuivis-je en me retournant prestement vers lui, le sourire aux lèvres. On pourrait de nouveau coopérer et c’est plutôt une belle opportunité pour toi de te voir franchir la ligne d’arrivée sans personne derrière toi. Pas même…Roan Stuker.

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—Il a quoi ce Stuker ? Je croyais que tu avais réglé ce problème avec nos vedettes de l’UVF. Tu bluffais c’est ça ? Rien de ce que tu as dit n’était vrai, hein McCullen ! Je bosse avec Riagal depuis des années et on va enterrée sa nièce, ce qui apparemment risque de causer quelques dégâts dans son raisonnement. Il n’est pas idiot au point de penser que sa nièce est morte de façon naturelle. Toute cette l’histoire l’intrigue. —Toutes mes condoléances pour sa nièce mais admet que tu dois anticiper vingt coups à venir comme un bon joueur d’échec. A toi de savoir anticiper ». Je m’assis sur ses genoux comme le feraient ces filles dans les bar-à-putes, une façon pour moi de me le mettre dans la poche. Je sortis une enveloppe de ma veste et la lui glissa dans la sienne. « Un petit acompte de la part de Neeson Mc Farrell. A prendre ou à laisser ! » Gall o’Mara e levé les yeux au ciel en me voyant arriver dans son pub, talonné par les petites soubrettes de Derek Clarkson, soucieux d’avoir sa part du butin. Il est là au milieu de ses sbires et le col du manteau relevé sur son cou avala cul-sec son whisky, fit signe à la patronne de lui remettre un verre et il glissa vers moi, le sourire aux lèvres. « On dirait que tu aimes vivre dangereusement McCullen après ce qui est arrivé à Cora Fingen on pensait que l’IRA se tiendrait à carreau. Que s’est-il passé au juste ? A combien s’élève la prime pour voir les Fingen morts ? La RUC a fait sa petite descente avec des moyens dignes d’un assaut de Gengis Kan. —Ah, ah ! Et vous avez du faire dans votre froc. Certains détails vous ont

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échappé et…je me suis faite de nouveaux amis. Regardes un peu par-dessus mon épaule. Les types de la RUC, ceux de la CIA et plus loin le MI6. Ils craignent que quelque chose leur échappe et cela pourrait-être toi…Gall ». Il me dévisagea en souriant, le rictus au coin des lèvres. Il me servit un verre que je fixai comme s’il venait de me servir un verre d’arsenic ou de la ciguë, c’est plus classe la ciguë et Socrate ne m’aurait pas contrarié à ce sujet. Pour témoin de mon trépas, pas de Appollodore de Phalère, ni Criton et son fils Critobule, ni Hermogène, Epigénèes, Eschine et compagnie ; il n’y aurait que cette bande de soiffards collés à leur bar, les gros bras servant d’escorte à Gall O’mara et les patrons du bar au fort accent gallois. « On ne joue pas dans la même cour de récré fillette, répondit ce dernier en mâchant son cure-dent. Je ne veux pas que tu t’imagines qu’on te filera un coup de main quand tu seras dans le pétrin. —Oh quel dommage, moi qui attendait tout de vous. Alors je me contenterai de ce verre de consolation Je n’ai pas trop de temps Gall, alors si tu pouvais me dire ce que je suis venue entendre on gagnerait en efficacité. —Et que veux-tu entendre ? —Dis-moi ce que tu sais au sujet de la mort de Ginger. Tu étais aux premières loges n’est-ce pas ? Alors je suis curieuse de savoir qui a commandité ce meurtre. —Connais pas, désolée. Et je m’en tamponne le coquillard. Dis-moi plutôt ce que tu fichais chez Fingen le soir de l’explosion ? Une faible charge à ce qu’on raconte. Du travail de professionnel.

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—A ce qu’on raconte, tu dis ? Et qui raconte cette chose ? Ruadh Murray ? » Il ricana, suspendant son geste, puis il avala cul-sec et me sonda. Il aurait pu se sentir en confiance, accuser le coup et passer à autre avec l’assurance d’un funambule ; à la place de cela il eut ce petit rictus à la commissure des lèvres qui en dit long sur son degré de stress. La RUC le tenait au colbac et je le savais fait comme un rat depuis l’explosion de la baraque de Fingen et la mort de Cora, nièce de Riagal. The answer my friend is blowing in the wind, the answer is blowing in the wind… La porte s’ouvrit alors sur Derek Clarkson en chair et en os. Il y a bien longtemps que je ne l’avais vu et il tenait une mine superbe. Un bel esthète avec ses grands yeux verts, ses traits fin et ses belles boucles brunes tombant sur son large front. « Fitz ! Sers-moi quelque chose… » Et il se tourna vers moi comme s’il venait enfin de me remarquer. Tout cela fut si bien orchestré que je me devais d’applaudir cette délicieuse mise en scène. Des retrouvailles dignes d’un Staline et d’un Mussolini en 1940. « Niahm, ça fait un bail non ? « Et j’éclatai d’un rire franc et acceptant sa cigarette. Oui on avait tellement de choses à se dire comme après avoir fait l’amour ; chacun veut savoir si l’autre à apprécier, se jauger gentiment et se gonfler d’orgueil si le partenaire en question a pris son pied. « Tu as un emploi du temps surchargé en ce moment Niahm, tu ne chômes pas un instant et on se demande comment tu fais pour tenir. Tu dois bien avoir un secret. Tu

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ne peux pas être ici et là-bas au même instant. Si ? —Et vous ? Comment faites-vous pour toujours finir par me retrouver ? Des contacts possibles dans l’IRA ? A mois que vous connaissiez tout le monde dans le coin. Des indics capables de tourner leur veste. C’est une question de point de vue, mais moi je trouve que vous gérer bien. —Ah oui ? » Des pattes d’oie cerclaient ses yeux verts et comme Gall O’Mara venait de partir en catimini j’en conclus que tous se donnaient la main pour traverser la chaussée jugée dangereuse. Il fouilla dans sa poche et en sortie des microfilms, les mêmes filés à McIosa. Tout sourire semblait perdu à jamais. « Dis-moi un peu ce que c’est que ça ! Des preuves pour ton inculpation à venir ? —Naturellement. La Special Branch ne peut parvenir rester intègre dans cette histoire ; il faut qu’elle s’immisce dans la vie des autres et sans crier gare pénètre l’intimité des irlandais et s’invite à leurs confessions de foi. Que ferais-tu Clarkson si tu apprenais à te servir d’un flingue ? —Je ne me suis jamais posé la question mais maintenant que tu en parles… possible que je me mette en quatre pour débusquer les terroristes et les mettre à l’abri d’eux même, répondit-il en souriant l’œil brillant et les nerfs d’acier, imperturbable étant donné la situation actuelle. Et toi Si tu savais fabriquer des bombes, t’amuserais-tu à aller les faire péter chez Fingen ? —Je ne me suis jamais posé la question moi non plus, mais maintenant que tu en parles…possible que je fasse faire le boulot par un autre. Il n’y a pas que le message qui compte, il y a également

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l’expéditeur et le messager. Je dirais que personne n’est innocent dans cette situation. Pourquoi Ginger ? —Elle était avec toi à Baltimore non ? » Il venait de marquer un point. Je fronçai les sourcils devant tant de précision historique. Quelle merde avait-il encore remué ? Ils se vendaient les infos entre eux à défaut de pouvoir cerner les messagers. « Alors j’en déduis que vous l’avez torturée, salement amochée et ensuite vous faites porter ce crime à l’IRA. Est-ce là vos méthodes habituelles ? —Le gouvernement nous paie pour obtenir un certain résultat quelque soit la méthode utilisée et il est possible que mes hommes aient cogné un peu fort mais elle était encore en vie quand elle a quitté nos locaux. Erreur d’appréciation ». De nouveau je fronçai les sourcils en faisant tournoyer une allumette entre mes doigts, le temps de faire rassembler les esprits à Clarkson. Il ne pouvait commettre cette faute, non pas lui ! Mon estime pour lui en prit un sacré coup et silencieusement je tirai sur ma cigarette sans lâcher l’allumette des yeux. « Alors vous avez laissé l’IRA le dépecer ? Il aurait été plus simple de contacter Ruadh Murray et de le soudoyer. —Nous pensons que cet homme n’existe pas. Tout cela n’est qu’une mise en scène destiné à saper nos efforts McCullen. Il n’y a jamais eu de Murray, hein ? —Alors faites rappeler vos hommes et laissez-moi poursuivre. Vos intérêts sont bels et biens gardés et nul n’ébruitera vos respectives bavures tant que…je serais en vie (je me levai d’un bond) Vous pourriez faire quelque chose de stupide comme cesser de rechercher ce Murray. Pourtant

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n’est-ce pas lui qui vous ai remis cette enveloppe ? Gardez la foi Clarkson, il n’y a qu’elle qui vous sauvera ». Et je partis voir une vieille connaissance le Père Padraig Donovan et en me voyant ce dernier émit un léger grognement pouvant signifier : Les Sept plaies d’Egypte mais pas elle ! Et je le gratifiai d’un sourire. « Pouvez-vous entendre ma confesse mon père ? « Il me dévisagea de la tête aux pieds en m’invitant à me rendre aux confessionnaux et là dans l’obscurité j’inspirai profondément. « Vous souvenez de la conversation que nous avons eu en 71 ? Vous m’avez alors parlé d’un Cheval de troie et je vous ai menti sur toute la ligne. Je ne suis pas celle que vous pensez que je sois. Je n’ai pas grandi à Dublin. Je veux être en paix avec moi-même, trop de gens ont souffert depuis que je suis ici. Peut-être est-ce en raison de mon incapacité à ressentir la douleur ? —Mais tu es catholique et par conséquent tu crois en la rédemption ce qui expliquerait ta présence ici. —J’ai menti par omission. Je n’avais pas eu le choix et puis j’ai entendu dire que Fingen est passé vous voir dernièrement et vous avez entendu sa confesse comme vous entendez la mienne aujourd’hui. Mon père, je… je suis fatiguée de me débattre face à ce courant qui nous pousse vers les abimes, ces vagues destructrices et meurtrières semblables à un tsunami. —Je comprends ton désarroi, tu es dans une mauvaise passe Niahm et c’est le devoir de l’Eglise de soutenir ses ouailles. Que de faut-il ? Un bon lit et une soupe bien chaude ?

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—Non il me faut autre chose que vous seul pouvez m’offrir. » En quittant l’épicerie je tombai sur Ciaran. On aurait dit qu’un train venait de lui rouler dessus ; mine hirsute, fatigué et complet froissé, cheveux défaits et barbe de trois jours. « Salut, petite sœur ? Tu…tu as une seconde ? Demanda ce dernier en reniflant bruyamment, je peux t’offrir un café si tu veux ? » Et je le suivis jusqu’au Belfast’ Inn, une espèce de refuge pour ouvriers des chantiers navals, pas le genre d’endroit qui aurait inspiré Keats. Un bateau entra au port en faisant retentir sa sirène et sur les docks, la vie suivait son cours. « Qu’est-ce que tu veux me dire Ciaran ? —Tu es très en beauté ». Pas plus que d’habitude ! J’avais coiffé mes cheveux en couronne et je portais l’un de ses pantalons pattes d’éph qui me donnait l’air d’une hippie sortie tout droit d’un magazine de mode. « Merci. Je ne peux pas en dire autant de toi. Tu donnes l’impression de sortir de ton lit et tu aspires de la pitié. —Oui je vis des moments difficiles. Mais tout va mieux maintenant et je peux encore être utile. Donnes-moi une seconde chance et je saurai la saisir. —Jusqu’où es-tu capable d’aller ? Tu n’es plus toi-même et moi aussi je connais quelques moments difficiles. Tu n’es pas sans les ignorer. Il n’y aura donc pas de transfuge pour toi ? —Je ne t’ai pas donné ! C’était compliqué pour moi mais je ne t’ai pas donné ! Répondit-il en tremblant, l’écume au coin de la bouche et son œil gauche battait indépendamment de l’autre. Ne me laisses pas sur le carreau.

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—je n’en ai pas l’intention, seulement tu aurais du accepter leur marché. Tu es dans leur toile et ils s’amusent avec toi avant de te dévorer telle l’arachnide et tu as ruiné toutes tes chances de succès. —Je sais, j’ai merdé avec la forgerie ! McGill disait que tu avais une idée derrière la tête, il savait ce que tu mijotais et il voyait envoyer un message à Fingen et pour cela il avait besoin de fonds. J’ai fait ce que je pensais être juste de faire. Et Fingen a pensé que je le volais ! —McGill s’est pris une balle dans la tête… —Mais il est encore e vie ! Il pourrait vouloir terminer ce qu’il a commencé et… la balle n’a fait que l’effleurer. Ne me dis pas que tu l’ignorais ! —Bien-sûr que non ! Répondis-je froidement en écrasant ma cigarette dans le cendrier. La special Branch savait pour Ginger et moi, ils savaient Baltimore et si ce n’est pas toi c’est Ruadh Murray et tu sais pour quelles raisons ? Ce Murray a peur que je le compromette, alors il attaque de toute part afin de m’affaiblir et… —Toutes ces conversations au sujet de ce Murray ! Pourquoi ne pas le rencontrer, hein ? Pourquoi en pas en venir à une confrontation physique Niahm ? —Oui tu as raison…je vais lui proposer une rencontre pour discuter de tout cela. Et pourquoi pas ce soir tient ? En attendant, prends soin de toi Ciaran, le devoir m’appelle, déclairai-je en baisant sa joue, j’ai été flattée de te revoir». Pire que cela. J’avais rendez-vous avec la mort. Ceci dit, rien d’inhabituel à mon quotidien ; j’avançai sur des braises, visage découvert et à tout moment ces

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petites tapettes de l’IRA ou de la Special Branch pouvait faire feu sans le moindre état d’âme et alors que je quittai Ciaran, je sentis l’étau se refermer sur moi. Ginger tuée par l’IRA pour une raison que j’ignore : intimidation, menaces ? Notre boîte aux lettres changeait en permanence, difficile pour moi de rester vigilante dans tous mes déplacements et je tenais à jour dans ma tête, tous les renseignements susceptibles de jouer en ma faveur : le nombre d’agents de la Spectial détaché à la filature, la marque de leur véhicule et leur numéro d’immatriculation, l’aspect des agents et leur degré de nervosité surtout. Sitôt qu’ils me perdaient de vue, un nouveau dispositif se mettait en place. Je trouvais un pli au nouveau lieu de rendez-vous et en l’ouvrant j’y lus mon ordre e mission : Murray me demandait d’en finir au plus vite avec Fingen. Sur le toit de l’immeuble je préparai mon arme, la cigarette coincée entre mes lèvres. Agir, c’était là ma seule mission et l’œil dans le viseur, il me fallait attendre et l’abattre. Le doigt pressant la détente je me préparais à le faire quand au dernier moment je compris. J’étais la cible principale. C’était moi qu’on voulait…morte. En assassinant Fingen, le piège se refermerait indubitablement sur moi. Peter Arrington disait tenir une piste concernant Murray et je pensais à toute cette mise en scène : le présumé assassinat de Duncan et l’intervention du MI6, mon infiltration en Angleterre et le fait que ni la CIA, ni le MI6 ne bougent le moindre petit doigt alors que je leur avais apporté les preuves de mon innocence et de la culpabilité de Conall Fingen. Si je tirais, la CIA rentrerait

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en action en arrêtant mes sbires et ainsi tirant une croix sur cette affaire. Je m’allumais une autre cigarette en souriant. Les enfoirés ! Ils m’avaient envoyés Ciaran pour entendre ma dernière confession et je perdis dans un éclat de rire nerveux. Soit ! Ils avaient tous tors de me sous-estimer ! En commençant par ce Peter Arrington, notre Katrin-national jouant les prédicateurs. Or j’avais prévu le coup. La dernière carte à abattre si le vent venait à tourner et je n’avais qu’un appel à passer pour que tout s’enclenche de part et d’autre de notre monde dit civilisé. Un coup de fil et ensuite je partirai tenir mon élevage loin de ces braconniers. Genann Fingen monta dans sa voiture et au dernier moment leva le nez persuadé que la mort viendrait le frapper. Lui aussi avait tourné sa veste, ayant accepté l’offre si alléchante du MI6. Si je l’abattais, sa famille serait innocentée, mais si je ne tirais pas…alors il se verrait contraint à se défendre lui-même, accusé d’avoir vendu la mèche. Cela me contrariait que l’on puisse me prendre pour une amatrice. Il était hors de question de tomber dans le panneau ! On ne m’aurait pas facilement. Il pleuvait à verse quand je décidais de rallier ma planque et m’y tenir au chaud le temps que la Special Branch concentre son attention ailleurs. Allongée sur le lit de camp je léchai le papier de ma cigarette à rouler. Satané bordel ! Murray voulait m’avoir à l’usure et je me fichais de savoir s’il jouissait chaque fois qu’il pensait à moi. J’allumai ma cigarette quand une détonation retint mon attention. Je braquais mon télescope vers la source du

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bruit ; d’ici personne ne pouvait me voir, une planque parfaite pour surveiller les moindres faits et gestes de McGerailt. La CIA en ce moment était à cran. J’attendais qu’ils commettent leur bourde ppour passé à l’action. Ils finissent toujours par passer à l’action. Ce fut Ciaran qui descendit de voiture Que faisait-il là ? Il allait tout faire capoter. Les Anglais le tenaient par les couilles. Il pouvait encore s’en tirer avec une balle en pleine poire ; quelque part c’était lui rendre service. The Answer my Friend is blowing the Wind, the Answer is blowing in the wind! Dirait Joan Baez. Ce Murray les avait tous rencardé ici, à l’adresse de ma planque, comme pour une annonce d’un tir aux carnards dans une foire. Je partis acheter des clopes ; il m’en fallait. Soairse me dévisagea et glissa deux boites d’allumettes en plus du paquet de Marlboro. Un code entre nous signifiant : Les Anglais patrouillent. Danger. Ok, je laissais un penny sur le comptoir, Soairse me tendit un journal sportif sans rien ajouter d’autre. Je marchais le long de la plage ; un vent fort soulevant mes cheveux, des embruns froids et salés me fouettant le visage. L’horizon se confondait avec le ciel gris, d’une nuance bleu acier. Pas âme qui vive ici ! La cabane du pêcheur se tenait dissimulé derrière les dunes et on ne pouvait y accéder que par voie pédestre. Engoncée dans ma gabardine, je remontais vers l’abri sans lever le nez de mon col. En ouvrant la porte je ressentis l’odeur âcre du tabac et quand ce n’était pas MON tabac je supportais très mal celui des autres. En me voyant ressurgir du néant

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Etair Mulryan se leva, tirant sur sa veste taupe pour l’ajuster sur ses hanches. « Ils veulent conclure une trêve avec toi Niahm. L’IRA et la CIA d’après nos informateurs et il serait judicieux d’accepter. Notre gouvernement ne tient pas à participer davantage aux frais, ce qui exclut toute tentative d’extraction d’informations ; —Oh pitié ! Vous avez court-circuité Ciaran ! Il n’est plus l’ombre de lui-même et empeste à plein nez le foutre de vos queues et je n’aime pas ça !! Je n’aime pas ça du tout ! Il était doué pour la forgerie et vous ignoree l’argent que nous avons perdu avec votre négligence ? —Lui seul c’est mis dans la merde, lança Arrington, debout devant la petite lucarne servant de fenêtre ; debout les mains dans les poches. On est face à un sérieux problème. La Special Branch ne veut rien négocier avec nous et nous avons du leur prouvé ta loyauté envers le gouvernement. —N’allez pas remettre ça ! Je devais abattre les Fingen mais….je ne l’ai pas fait et vous savez pourquoi ? J’ai de nouveau une conscience, un petit Gemini cricket dans mon esprit qui me dit que faire et que penser et dans pareil contexte, il est plus que nécessaire, voire vital d’avoir un peu de lucidité. » Je surpris le regard de Mulryan glissé vers celui d’Arrington. Aucun de ces deux hommes ne me voyaient comme une sainte, aucun d’eux ne voulaient me voir en vie excepté si je leur apportai quelqu’untéret ; aucun de xes fonctionnaires ne me supportat parce que trop directe. Je m’assis dans le vieux fauteuil club rapiécé et me colla une clope entre les lèvres. Le cendrier devant moi

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débrdait ; une montagne de mégôts se dressant fièrement vers les poutres apparentes de ce vétuste endroit puant le poisson, le bois humide et le sel rongeant le métal des qunicaillerie des portes. « As-tu seulement le choix ? Les Provos sont hargneux et ils digèrent mal la pillule. Tu sais très bien de quoi on veut parler Niahm : la mort de Cora selon eux n’est pas tout à fait due au hasard. Tu avais carte blanche pour une autre action et tu as fichu la pagaille et la confusion la plus totale dans la tête de ces paramilitaires qui posent des bombes sans plus attendre les pourpalers et les ordres de cessez le feu. C’est le chaos à Belfast et on aurait pu éviter cela si tu t’en étais tenu au plan ! —Je ne me souviens pas avoir collaboré avec vous. En ce qui me concerne je continue à prendre des risques en cherchant des informations sur Dillane et la mort de Ginger….Vos amis de la CIA veulent des informations que je ne suis pas en mesure de leur apporter, alors j’exloite d’autres pistes. » La porte s’ouvrit sur Dalaigh Mac Lochlainn, des plus seyants dans son costume gris et chemise rose corail. Plus on est de fous et plus on rit ! En même temps je me disais que tout cela faisait partie de leur plan, soit attendrit le monstre en lui offrant quelque chose de gracieux à bouloter. Et Dalaigh en soupirant s’assit près de moi, les sourcils froncés. Un silence s’installa entre nous. Arrington sortit les mains de ses poches. « Si l’on te disait qui est Dillane, cela changerait quelque chose entre nous ? —Assûrement ! » Etair fit tourner la boite d’allumettes entre ses doigts, les lèvres serrées.

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« On pourrait à avoir à négocier cette information. Dans ton cas, cela te rapporterait le gros pactole. En même temps il semblerait que tu sois en bon terme avec Indech Mc Gerailt. Que veut-il savoir sur Dillane ? —Il bossait avec Tara Lee-Graham pour le blanchiment d’argent et en potassant sur le sujet j’ai compris que cet homme caméléon, cupide et pragmatique pouvait avoir ses entrées dans l’UDA, aussi bien qu’à la Special Branch et Shane Mclay a l’étoffe idéal pour endosser cette identité plus que complexe. —Et pourquoi lui quand un autre de l’UDA pourrait tout à fait convenir ? Questionna Dalaigh en feuilletant son petit carnet. C’est un peu simpliste ton raisonnement, on pourrait s’attendre à mieux de ta part. —Pas si l’on en croit la conclusio de McIosa. Les Provos ont toujours su faire preuve de persuassion et pendant que vos petites danseuses et pisseusees de la Specal faisaient toutes sortes de cabrioles et de pirouttes et bien, des types comme Siomon McIosa tentait de rétablir l’ordre dans leur fief. Les faits ne mentent pas. Vous retrouverez ces mêmes conclusions auprès de Roan Stuker, Murrough Doyle et autre ayant mené de loin ou de près des traites avec McLay. —Cela ne dit pas qu’il fasse croire en votre Eglise ? Railla Dalaigh sans lever le nez de son carnet. Parce qu’on est censé faire quoi aujourd’hui, hein ? Attendre que tu trucides tout le monde en te fasant passer pourl’archange de la mort ? Ne crois pas avoir le contrôle, t’en tirer sans être mise à l’épreuve. »

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Il se leva et je le suivis du regard. Il alla se poster à le fenêtre et Etair Mulryan reprit la conversation, penchée vers moi. « Oui. Alors on fait quoi maintenant ? Clay a raison. On se trouve être face à un problème de taille ; On vous a laissé carte blanche mais cela n’a pas modifié pour autant la course du vent. » Dieu que cela m’ennuyait ! D’abord ce rendez-vous au milieu de nulle part et ensuite ce pseudo-procés. Arrington seul ne parlait pas et ce silence m’agaçait plus que tout le reste. Je m’allumai une cigarette et la jambe repliée sous ma fesse je songeais avant tout à gagner du temps. Le temps s’est ce qui manque toujours. Alors qu’allait être la suite des événements ? Un grand silence s’installa entre nous. Un grand silence pendant lequel j’analysais les issues. Or il n’y en avait aucune. Ces hommes me tueraient proprement, ils mettont ensuiite mon corps dans un canot de pêche qu’ils laisseraont dériver au large. On lira dans la presse locale : corps d’une jeune inconnue retrouvée sur la côte de tel village….ou peut-être n’aura-t-il rien à mon sujet. Il fallait s’attendre à cela avec ces hommes. « Est-ce qu’on a fini là ? J’aimerai ne pas louper mon bus pour Belfast, à moijns que vous ayez prévu de faire taxi ? » Le bus arriva et s’arrêta à la brone. Cinq personnes s’y trouvaient à bord. Un vieillard et son épouse, un couple avec une gosse. La gosse me fixait. Installée dans le fond je lorgnais du côté du littoral. C’était apaisant cette virée ; qui peut croire que je trouverais à m’apaiser loin de la civilisation ? La gamine conitnuait à me fixer de ses grands yeux inquisiteurs et

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moi de la saluer cette petite, mais elle me lança un regard dédaigneux, du genre : Je sais qui tu es alors ne fais pas semblant d’être quelqu’un d’autre ! Je fouillais dans mon sac à la recherche de mon paquet de clopes. Il me tardait de retrouver Belfast et sa crasse, les insultes qui pleuvent à l’égard des Forces en faction ; l’odeur de pneus brûlés et de pisse pour ne pas dire de merde dans certains quartiers catholiques mis à sac par les Britanniques. Plus nous avançions vers la capitale et plus le nombre de passagers augmenta et dans moins de vingt minutes nous atteignimes Cave Hill, celle belle colline qui surplombe Belfast. Il y eut un contrôle non loin de McArt’s Fort où en 1795, des presbytériens se réunirent pour leur Indépendance. Les soldats montèrent à bord du car pour vérifier nos identités. « S’il vous plait, mademoiselle ! » Je tendis mes papiers à un sergent au regard dur qui me dévisagea sans la moindre pudeur. Ce dernier devait avoir une vingtaine d’année à tout casser ; il lut mon identité avant de partir me signaler à son supérieur resté à l’extérieur. La petite me fixait. Cela finit par me rendre nerveuse. Puis trois hommes montèrent à bord lourdement chargés. « Veuillez nous suivre sans faire d’histoires s’il vous plait ! —Pourquoi ? Mes papiers sont en règle !» On me poussa vers un blindé tandis que le car repartait sans moi à son bord. Ma carte d’identité passait de mains en mains. « C’est toi Niahm McCullen ? Questionna un grand sec à moustache. Tu débarques là comme ça la bouche en fleur et tu te persuades que tu n’auras pas

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d’ennuis avec les autorités ? Mettez-la dans le camion ! » On me jeta un sac de jute sur la tête et on m’embarqua, sans autre forme de procès. D’être encapuchonnee me terrifia et déjà je commençais à suffoquer ; On roula assez longtemps pour que j’éprouve l’envie d’uriner. Sans ménagement on me fit descendre pour me guider à ‘lintérieur d’un bâtiment. Puis on me fit assoir toujours sans ménagement. Un type marcha près de moi, s’alluma une cigarette, quitta son examen pour attraper un combiné. « Nous avons intercepté votre colis comme prévut….ouais elle se tient devant moi….un sacré beau morceau. Dommage qu’on doive s’en débarrasser….Oui, nous ferons le nécessaire ! » Il raccrocha et plus rien. Toujours cette odeur de clope et ce bruit de succion sur le filtre. Et puis une odeur m’était familière. On ôta ma cagoule et la lumière de la lampe m’éblouit vivement. « Pourquoi ne pas l’avoir tué ? Tu avais toutes les raisons de le faire mais tu ne l’as pas fait. On finit par trouver le temps long tu sais. Pourquoi être revenue à Belfast si ce n’est pour arpenter les rues de cette sinistre cité ? Me faudra-t-il de nouveau négocier avec toi ? Je vais finir par manquer de temps. —Estce que c’est cela qui te contrarie, Clarkson ? —Tu sais bien que non. Mais je suis très en colère. On a passé un accord toi et moi et je peux fermer les yeux sur ton petit traffic de devises mais pas sur tes autres petits crimes comme tes assassisnats à la bombe que tu as perpétué sur le sol britannique.

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—Rien ne prouuve que se fut moi. —Je connais tes méthodes, ta façon de faire. —Oh que non ! Tu ne sais rien de moi et cela t’agace. Je te transmets de fausses informations et tous les autres fonctionnaires de la couronne sont assez stupides pour tomber à pieds joints dans le panneau. Il te faut comprendre que la vérité est ailleurs. » Il éteingit la lumière, s’avança vers moi, posa la main sur pon épaule et souleva mon menton de son autre main. « Finalement il y a du bon d’être sous surveillance. Murmura-t-il. Je ne te demande jamais comment tu vas et tu sais pourquoi ? Il faut voir cela comme un signal d’avertissement, une mise en garde pour te contraindre à rester sur le droit chemin ; une façon pour nous autres de ne jamais manquer de compassion envers toi, ce genre de faiblesse causerait notre perte à tous ; A la première occasion tu nous réduirais à néant. Je sais comme il est dangereux de s’approcher du prédateur affamé au risque d’y laisser sa peau. J’ai mis du temps à comprendre mais à présent tout est limpide. —Vraiment ? Alors surprend-moi. Qu’as-tu découvert qu’il vaille la peine d’être vendu comme information confidentielle aux agents du MI6 ? —Tu sais tout comme moi qu’il a assassiné Catherine Doole travaillant pour la CIA, tout comme il a monté cet assassinat sur la personne de Ian Mc Neil mais ceci n’était qu’un écran pour masquer ses actions. Cette divertion fut sans précédent et j’admire son génie. Il n’était pas potentiellement dangereux jusqu’à ce qu’il se mette à contrecarrer nos plans ;

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Tes informations auraient pu sauver des vies mais les preuves de sa culpabilité ont été tour à tour été détournées de leur nature propre. Nous n’avions aucune raison de te laisser à cet homme mais au vu de ses antécédents, il nous parait important de faire autrement. —Et pourquoi vouloir faire autrement ? Il serait absurde de vouloir gâcher la surprise ! On dirait que tu ne sais plus à quel saint te vouer, à croire que dans l’histoire tu aies quelque chose à te reprocher. On pourrait mettre sur table les armes d’Ardoyne en 72, la non-assistance de Miss Doole dont vous saviez qu’elle participait outragement à ce bal des horreurs ! Vous saviez mais vous n’avez rien fait et aujourd’hui tu me tiens à ta merci dans cette immonde cave à tenir les brides de conversations pour mieux de disculper de ton manque d’égard envers nous autres. Si tu veux des aveux écrits tu les auras mais ne me fais pas de faux procès, tu es bien mal placé pour me juger ! —Tu as cette capacité a tout tourner à ton avantage. C’est probablement sur ce critère-là que Murray t’a débauchée. —Il n’a que faire de moi, je ne suis qu’un pion parmi tant d’autres ! —Sa pièce principale, je dirais. Ce qui n’est pas rien. Pourquoi vouloir minimiser ta participation ? N’es-tu plus sûre de tes sentiments envers cet homme ? Lui se passionne toujours et encore de la petite chose qu’il a créer, murmura Clarkson au creux de mon oreille. Tu n’es pas un pion entre ses doigts crochus, tu es bien plus que cela. Il sait exactement où tu es et près de qui tu te diens à cet instant précis. Il m’a fallu du temps pour parvenir à penser

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comme lui, anticiper et surtour pénéntrer le moral de personnes comme toi, des personnes infiltrées dans cette cellule. —Que de certitude ! Tu n’as pas pensé qu’on pouvait t’avoir mis sur une fausse piste ? » Clarkson s’assit en face de moi, les bras croisés sur sa poitrine, le regard lointain. Il ne bluffait pas, je le vis à son regard. Pourquoi ne pas m’avoir cuisiné en présence de ses autres sbires ? Parce qu’il savait que cela pourrait se jouer contre lui ; ses sentiments pour moi le rendaient vulnérable. Le gouvernement se passerait de ses services s’il savait que Clarkson se tenait mêlé à cette sordide histoire. Luimême n’état pas en sécurité. Son nom revenait plusieurs fois dans un rapoprt rédigé par McLay et ce dernier ne se dérangerait pas à le faire tomber s’il osait se montrer loquace aux sujets des élections de 68. Il ôta sa veste et en gilet devant moi, se passa la main dans les cheveux le plus calmement possible. « Combien de temps avant que la Special Branch ne devine qui se tient derrière le nom de Murray ? Je suis là pour passer un accord avec vous. —On commet tous des erreurs et…. » Il ouvrit une enveloppe kraft pour brandir une photographie me représentant enfant en compagnie de Roan Stuker. Mon cœur battit la chamade. Non, il ne bluffait pas. Mais alors qui ? Murray répandait toutes les informations à tout vent et aculée je ne pouvais faire semblant. « N’est-ce pas toi sur la photo ? La CIA serait surprise de savoir quel lien t’unit avec cet homme. Cette photo nous apporte les preuves de la culpabilité. Mais je pourrais me vanter de connaitre la vérité.

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Les dénommés Searlas Byrne, Bartley Fitzgerald, Vaughan leach sont connus pour avoir fait un peu de zèle sur le territoire américain et une certaine Nora O’Mara aurait tué Searlas Byrne en prison. Ensuite il lui fut facile de fuir ici en Irlande sous une fausse identité. Lui, ce Murray, n’a cessé de s’occuper de toi et a guidé tous tes pas jusqu’à moi. Il me tarde de le voir croupir dans une prison….et toi avec. —Je ne vois pas de quoi tu parles Clarkson. Cette gamine pourrait être n’importe qui. Je suis Niahm Mc Cullen et je suis bien moins impressionnante que tu voudrais le faire croire. Tu devrais me relâcher maintenant avant qu’il ne soit trop tard. McLay pourrait à tout moment vouloir parler, ouvrir sa grande bouche et tout balancer à la presse parce que pris par les couilles par Genann Fingen. C’est lui qui tient les rênes du pouvoir dans cette ville et il est des plus en colère contre tous ceux qui osent se dresser contre lui et sa famille. —Ton commanditaire semble vouloir faire surface et il sait comment mettre ce dangereux animal qu’est Genann Fingen à terre. Ton amant semble avoir beaucoup d’humour ! —De qui fais-tu allusion ? —Sa femme s’envoyait en l’air avec un type de la RUC. Une dangereuse alliance pour Riagal et les Fingen mais pourquoi l’avoir tuée ? Cette question m’a interpellé. Genann ne devait pas mourir dans cet attentat, sinon tous se seraient dit que le principal responsable se tenait du côté de l’UDA n’est-ce pas ? Vous le vouliez vivant et c’est bien ça VOTRE erreur.

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—Possible. Quel est donc cet accord dont tu me parlas ? » De nouveau il se perdit dans ses pensées. Me sentant des plus vulnérables, je ne baissais pas le regard pour autant. « Vraiment tu l’ignores ? Je veux que tu renonces à lui et lui, renonce définitivment à toi. C’est aussi simple que cela. » Je partis dans un franc éclat de rire. Il était le premier à me demander ce sacrifice. Allais-je accpter ? Murray m’avait tout donné : une identité, de la passion dans tout ce que j’accomplissais et une raison de vivre. Il était mon mentor, mon maître et mon pygmalion. Le regard ténébreux, vert de vipère de Derek Clarkson me défigura avec une certaine attention, s’attendant peut-être à ce que je lance un : J’accepte ! De tout cœur Mr Clarkson ! Quand est-ce qu’on baise toi et moi ? « Tu as appris à feindre l’indifférence Aden et c’est pour cette raison que je te veux avec moi ! » Aden§ Il m’avait appelé Aden. A lui de sourire à présent. Il savait qui j’étais et tendrement il caressa ma joue. « Accepte le marché et sauves ton ami de lui-même. Il est bien ton ami celui-ci non ? et non ton amant n’est-ce pas ? Il saura te remercier pour ce sacrifice car quand un membre est malade il faut savoire prendre la décision d’amputer. Je crois savoir que Clay Levinson est ton genre d’homme et t’es-tu demandé ce qu’il se passerait si Murray l’apprenait ? Possible qu’il fasse éclater une bombe où crèche Lochlainn alias Levinson. Ni toi ni moi ne voulons être responsable des égaremets de ton ami, tu saisis n’est-ce

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pas ? Je veux une réponse claire McCullen : acceptes-tu mon deal ? —Pourquoi vouloir me faire chanter ? De toute façon je disparaitrais avant que tu n’ais envisager une suite plausible dans les renseignements britanniques. —Hum….je ne suis pas si certain. J’ai un mauvais pressentiement. Tu fais son sale boulot et trop de personnes ici rêvent de te voir sous terre. Ils sont tous très en colère et si j’étais toi j’éviterais de frictoter du côté de l’UDA. » Dans la rue es blindés passèrent à grande vitesse. Quelque part une bombe venait d’exploser. Serrant mon sac à main contre mon ventre je me faufilais d’une rue à une autre sans oser lever les yeux au ciel. L’odeur du souffre du sang et de la pisse gagnèrent mes narines ; on se serait cru dans une quelconque place de Syrie. Cette ambiiance ne me plaisait plus ; non pas qu’on me fasse suivre sans cesse mais bien parce que dans ma tête, le choas régnait depuis peu. Clarkson m’avait appelé par mon prénom de baptême…. Les militares de la British Army m’arrêtèrent par deux fois pour vérification de papiers et en quatrième vitesse je montais les marches de l’escalier conduisant à mon squat ; Là j’ouvris la porte pour tomber sur Dalaigh Mac Lochlainn. « Mon Dieu ! Qu’est-ce que tu fais là ? J’’aurais pu t’abattre ? Comment sais-tu que je vivais ici ? » Il quitta le vieux sofa défoncé pour marcher vers moi. « Tu es censée avoir terminée depuis deux jours et…..bientôt je ne pourrais plus rien pour toi. C’est Ciaran qui m’a filé ton adresse.

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—Ciaran ? Il est OUT, comment peut-il savoir où je crèche ? Tu sais comme moi qu’il renseigne la RUC maintenannt et la Special Branch. Il est difficile pour moi de lui faire de nouveau confiance. Tu veux manger quelque chose ? J’ai acheté de quoi diner. » Il se gratta le nez et là je compris qu’il attendait autre chose de moi. Je posais les provisions sur la table et ôta mes souliers. Rien à voir avec le reste mais j’avais besoin de prendre un bon bain. « As-tu du nouveau sur la mort de Ginger et de Maloney ? » Il inspira profondément avant de prendre une clope et de s’assoir sur l’accoudoir sans me lâcher des yeux. Je pouvais me montrer familière avec lui mais si je baissais trop vite ma la garde je risquerai ensuite de le regretter par la suite. « Euh….j’ai interrogé Conall Fingen sur le sujet et Clarkson et tous sont arrivés à la même conclusion : ils auraient été assassinés par l’un des groupuscules protestants, ces paramilitaires qui sévissent à l’extérieur. Fe lieutenant Flaithri Gowan les a interrogé et j’ai pu étudier le procésverbal de près. Mais il pourrait s’agir d’un coup monté. —Merci. Merci pour tout cela Dalaigh ! Tu es sûr de ne pas vouloir manger un morceau ? Moi je crève la dalle, arguai-je enfonçant un morceau de brioche dans la bouche —Il n’y a pas de quoi ! On est censé se serrer les coudes tous les deux. Tu n’es pas d’accord ? » Je me perdis dans ma réflexion avant d’aller me réfugier en cuisine. Sil venait à me rejoindre, je lui dirai de s’en aller définitivement. Les sentiments que je

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nourrissais pour lui pouvaient causer causer sa perte et la minne. Il ne tarda pas à me rejoindre et avant qu’il n’ouvre la bouche j’étais déjà à m’allumer une clope collée contre la gazinière, des plus agitées. « Ecutes Dalaigh, je ne veux pas te para^tre grossière, ni cavalière mais il n’est plus possible de continuer ainsi ! J’ai fait le tour de la question et pour moi tout cela est….dangereux. Je crains ne pas être fréquentable. Je sais que c’est dans le cas de notre mission mais tout bien considèrer je ne veux plus de ton aide. C’est déja assez compliqué comme ça, alors on ne peut compliquer davantage ce mic-mac. —De quoi parles-tu ? C’est une blague ? Je ne voulais pas t’en parler de peur de t’effrayer mais un type m’a appelé ce matin. Il disait se prénommer Murray. Et il m’a dit que si jamais tu venais à me tenir ce genre de propos c’est que tu avais un quelconque rapport avec Roan Stuker. J’avoue ne pas avoir tout compris. Ce Murray m’a dit de me méfier de toi car sitoit que tu aurais prononcé cette sentence-ci, tu chercherais à brouiller les pistes en nous balançant à l’IRA. Ai-je raison d’avoir peur de toi ? —Non, c’est faux ! Pourquoi vouloir vous balancer ? —De la même façon que tu as éradiqué ce Searlas Byrne de la surface du monde ! Tu n’as pas besoin de tout autre mobile pour en finir avec moi. —Non, ce Murray est rusé ! Il fera tout pour que tu te mettes à douter de moi et ensuite il…..j’ignore ce qu’il fera mais….c’est ainsi qu’il procède, tu dois me croire ! Ce que je ressens pour toi est….c’est l’ultime acte avant la tombée

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du rideau et je tiens à ce qu’on salue la foule main dans la main. —Alors il n’y a que cela pour te tenir en haleine ? Détruire et mettre le chaos, je ne suis ici qu’à la demande d’une tierce personne cherchant à mettre la lumière dans ce foutu merdier et pour rien de plus ; ce n’est en rien une récréation et je refuse de te laisser faire quand la vie d’iinnocents en dépend. Maintenant que je sais qu tu es vraiment…. Nous en resterons là toi et moi, d’accord ? » A dix heures du matin, je me rendis au pub le Murburry., situé dans un quartier protestant et j’y commandé un café et le quotidien. Ma présence ici suscita la curiosité de tous les hommes attablés dans ce pérlimètre ; on ne me lâchait pas des yeux et n’importe qui aurait fui en courant, n’importe qui mais pas moi. Il me fallait attendre et me montrer patiente. Finit par arriver Roan Stuker. Il commanda un café avant de glisser sournoisement vers moi. Toux deux fixions l’écran de télé. J’en étais à mon troisième café. Il se pencha alors pour mieux me regarder. « Tes petits copains de la RUC sont dehors mais on pourrait penser que cela ne t’inquiète plus .tu les fais venir à Shankil Road et il souffle ici comme un vent de contestation. Il n’’y aura pas de cessez-le feu possible entre nos deux communautés et… je crois que tu aimerais savoir comment Doyle a calmé les ardeurs des Provos ! —Je ne veux pas l’entendre, non ! On m’a fait une proposition et je ne saurais la refuser. Il y a ce Murray d’un côté et de l’autre ce désir d’en finir une bonne fois pour toute avec ces assassins ; il était question d’en finir avec eux mais plus le

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temps passe et plus je m’interroge quant à mon profit. —Tu risques de décevoir ce Murray. Il a mis tant d’espoir en toi. Es-tu certaine de vouloir en rester là ?» l m’interrogea du regard avant de me saisir par le cou pour m’attirer à lui et baiser mon front. Quand la porte s’ouvrit sur l’officier Flaitrhri Gowan et ses sbires qui prirent place non loin de moi. Mon cœur s’emballa et plus encore quand Gowan récupéra mon journal pour venir s’assoir près de moi sans chercher à retenir Stuker qui passa près de lui en le narguant d’un regard conquérant. «On a tous foi en toi Mc Cullen alors ne nous trahis pas. Notre réputation n’aura pas cependat à souffrir de ton insuccés et Arrington le premier s’inquiète de la suite à donner aux événements. Il est inquiet et je le comprends.» Vraiment ? Que savait-il de tout cela ce fonctionnaire de mes deux ? On pouvait toujours le laisser croire ce qu’il voulait, cela ne changerait rien à mes problèmes d’organisaton. La sécurité passait avant tout. Et quand il s’agissait de ma propre sécurité, je ne voulais pas qu’on vienne me dire que faire. Je n’étais pas une diva mais je voulais vivre et voire accomplir mon œuvre. « Il te voulait quoi Stuker ? —Si seulement je le savais, soupira-je repoussant ma tasse de café devant moi. Je suis un peu dans son quartier non ? Alors la question serait plutôt : qu’est-ce que je voulais à ce Stuker ? Mais je ne vais pas t’apprendre à faire ton métier et diriger un interrogatoire digne de ce nom. —Fingen doit se rendre dans deux heures à une conférence de presse à

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quelques pâtés d’ici. cette fois-ci essaye de ne pas le manquer, déclara ce dernier glissant vers la porte d’entrée. Oh et avant que je n’oublie….une de nos sources dit que tu as prévu de nous fausser compagnie. On verra qui a eu raison de te faire confiance ! » Vous savez une chose, tout cela n’est que de façade. Nous sommes tous à vouloir la même chose et certains s’attendent à ce que d’autres réalissent les sales besognes à leur place. De tout côté l’on me donnait des informations que je devais traiter, analyser et évaluer ; on me demandait d’abattre Genann Fingen de sang froid. Abbats-le et tu auras la vie sauve. Cela ne me convenait pas, rien ne me convenait dans ce monde dans lequel les bureaucrates, les technocrates ne prenaient plus le temps d’évaluer les risques d’une prescription. Shane McLay me laissa entrer dans son cabinet de travail. Il me dévisagea froidement ceci dit, pas certain de comprendre les raisons de ma présence ici et il prit soin de refermer la porte derrière. « Tu as du cran de venir ici. —Je croyais que tu devais démissionner de la politique. Prendre ta retraite. Force de constater que tu es toujours là. Avec ta femme….alors mon prix va augmenter. Je suis lasse d’attendre quelque chose qui manifestement t’est sorti de la tête. Tu veux probablement contacter ta femme une dernière fois avant qu’elle ne quitte Belfast avec tes mômes ? —Qu’est-ce que tu as fait ? Ne me dis pas que…. —et si ! Il me manquait un ingrédient essentiel pour permettre de relever ce plat qui est censé s’apprécier froid. Et c’est

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ingrédient, ce tout petit détail qui fait la différence, je l’ai trouvé et cela me procure une telle joie que je ne peux dissimuluer davantage mon enthousiame. Je devais le partager et….j’ai appelé ta femme avec tout le respect que je lui dois. » Il paniqua et la tête entre les mains s’écroula sur sa chaise. Il resta là un petit moment et assise sur le rebord de la table, je fouillai à l’intérieur de mon sac pour lui tendre une enveloppe contenant une autre lettre. « Tu devrais la lire avant de contacter ton avocat, c’est le résumé de sa colère. Elle était particulièrement….agitée. Maintenant il te faudra faire sans elle. Pour de bon, Shane. —Et que veux-tu ? —Tu sais très bien ce que je veux et je ‘t’avais prévenu des démmages que cela engendrerait mais on ne te changera pas Shane. Tu as deux heures ! » Il me fallait mettre ces vedettes au pas et cela me prenait beacoup de temps et de l’argent. Une telle armée devait être galvanisée, chouchoutée, récompensée et je finissais par comprendre ces gens de pouvoir, excités par l’appât du gain. Vous finirez bien par me trouver sympathique moi aussi. Or je suis tout sauf sympathique. Siomon McIosa vous le confirmera ; il est en ce moment à me fixer de son regard de fouine ; il sait que je suis prête à tout faire sauter. Ce n’est à présent qu’une question de temps. Ma cible, Genann fingen ne va pas tarder à arriver. ila fait appel à la presse depuis qu’on le soupçonne d’avoir assasiner sa femme. Or j’ai bombardé la presse de clichés meettant en scène Cora et les vedettes de l’Uda dont son amant connu de ce monde de gens-foutre. J’allaumai une

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cigarette en écoutant Janis Joplin et derrière le volant de la voiture je battais la mesure, sans cesser de lorgner du côté de l’immeuble abritant le Palais de Justice de Belfast. On frappa à la vitre du vieux véhicule. Oh, non Indech McGerailt ! Rien que lui arborant un franc sourire conquit. Lentement je baisai la vitre sans le lâcher des yeux. Il me voulait quoi encore celuilà ? « Il y a un soucis ? Dis-moi ce que je peux faire pour toi ? » Il ne répondit rien se contentant de plaquer ses cheveux bonds sur son crâne de Californien entêté et convaincu d’apporter la lumière à sa nation de cow-boys. « On peut discuter ? —Pas maintenant ! —C’est au sujet de Ciaran. Laisses-moi entrer dans ta voiture, qu’on puisse discuter…. (Il s’installa alors sur le siège passager) Il est passé aux aveux.La prochaine fois choisit mieux les membres de ton équipe. Selon ce dernier tu aurais poussé fingen à tuer son épouse et un certain Murray approuve ses dires. Tu te trouvais à l’hopital le même jour que lui, ce qui corrobore parfaitemetn avec la version de Ciaran. —J’ignore comment il a pu le savoir. Lui et moi n’échangons plus rien. C’est son droit de vouloir tout balancer mais il se trompe. On ne peut faire confiance ni à la CIA, ni à ce Murray. Quand t’a-t-il contacté ? —Cela ne te regarde pas. il m’a seulement dit que tu aimais jouer et que tu allais chercher à baiser la CIA avec des pseudos-révélations sur Fingen. Tu ne comptes pas l’abattre c’est bien ça ? Il serait pourtant si simple de le faire. »

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Mon regard plongea dans le sien. Il cherchait à m’impressionner, une fois de plus bluffé comme il savait si bien le faire. J’avais mis assez de plastique sous la voiture de McIosa pour le faire sauter. Ensuite on suspectera Mclay d’être passé à l’acte pour éviter que le scandale ne vienne l’éclabousser. Indech fronça les sourcils ; il s’était attendu à ce que je réponde. Je ne lui donnerai pas ce plaisir. «Cette ville est un problème. Tous ces militaires qui essayent d’instaurer un semblant d’ordre….Ce matin dans ma rue un sniper a abattu un type. Puis deux. Puis trois. Des soldats dans leur bel uniforme kaki. Il a fait un beau carton. Il pouvait s’agir de Kinstry. Il travaille toujours pour vous n’est-ce pas ? Cela devrait te rassurer de savoir qu’il est toujours loyal à votre agence. Mais tu ignores la fascination que suscite l’odeur des billets de banque. Kinstry abat tous dissidents se trouvant être sur mon chemin. En quelque sorte il couvre mes arrières. —Et c’est la meilleure solution que tu ais trouvé pour restér en vie ? Tant que tu te déplaces tout se passera bien. On connait les adresses de toutes tes planques parce qu’il nous les a fournies ! On sait que tu abats les hommes de Fingen les uns après les autres en faisant passer cela pour des faits terroristes venant des protestants. On t’entend arriver à douze miles en amont et…. —Je ne suis pas ton ami Indech et tu es un petit emmerdeur ! Peût-être que tu dis la vérité sur tout ça mais j’ai un doute quant à la véracité de tes propos. Et tu veux que je te dise pourquoi ? Le MI6 m’a contacté. Ils ont des méthodes plus courtoises pour rentrer en contact avec

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vous et j’ai appris que vous étiez toujours autant fasciné par ce Dillane. » McGerailt se redressa légèrement sur son séant, geste qui trahit son attention ; quelque part il attendait à ce que je lui révèle cette information. L’index au bord de ses lèvres il fit semblant de concentrer son attention à un détail de la rue comme cette femme poussant son imposant landau, ou ces gosses jouant à faire la guerre, ce chien errant pissant contre une poubelle toute cabossée. Plus loin sur les marches du palais de justice, des amas de piétons se formèrent. La presse venue pour interviewer Fingen. Il me fallait me joindre à eux. Le temps m’était compté. « Si cette investigation est toujours en vigueur, rendez-vous à 15heures au Yeat’s ! Kinstry ‘indiquera le chemin. Tu peux lui faire confiance. » Pretement je m’approchais du groupe de journalistes, portant un enregistreur en bandoulière ainsi qu’un appareil photo Nikon autour du cou ; pour l’occason je m’étais faite belle, à savoir tunique bleuacier et collants gris, capeline en feutre et sac à main de faux-cuir bleue. Avant de mourir, je voulais que Fingen eut un souvenir pas trop mal de ma personne. Il y a des moments où j’arrivais à me trouver délicate, sensible aux besoins de mon entourage. Jamais on ne me reprocherait mon manque d’altruisme ! Genann Fingen sortit du palais de Justice entouré par tous ses sbires restant et de nouveaux dont j’ignorai l’identité. D’abord il ne m’aperçut pas tout de suite, trop occupé à chercher son escorte des yeux. Bingo ! Ses yeux le trahirent. A bord d’une voiture devait se tenir son frère. S’il me voyait ici, ils enverraient ses hommes pour m’abattre

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sans sommation, là dans cette rue à la vue de tous. Devais-je prendre le risque ? Si cet enfororé donnait l’ordre de m’abattre, une balle en plein citron, Kinstry et Donall ouvriraient le feu en rétour. Leur cible serait les frères Fingen. Sous cette capeline personne ne pouvait m’identifier, pas même mes collaborateurs. Profitant d’une brève divertion suscitée par un journaliste un peu zélé, je m’approchais de Genann Fingen. Ses gorilles tentèrent de me repousser. « Monsieur Fingen ! Monsieur ! Pensezvous venger McFarrel ? » Immédiatement il se retourna et notre regard se croisa. Il aurait pu me désigner du menton ou du doigt ; il se sontenta seulement de ralentir, lâchant une longue volute de fumée par ses narines. J’imagine à quelle vitesse devait battre son cœur. Que ferait-il maintenant qu’il se savait démasquer ? Son sourire carnassier apparut sur son visage et un rire sardonique s’achappa de sa poirtrine. « Je ne ferais aucun commentaire à la presse ! » Déclara-t-il avant de monter dans sa voiture conduite par Duucan. Ce dernier reprenait du service. Un sourire apparut également sur mes lèvres. La voiture de McIosa explosa sitôt que ce trufion mit le contact. Comment avaisje fait sans me faire remarquer de tous ? Le système se déclenchait au fonction du poids du chassis ; plus le chassis pesait sur les essieus et plus le sysème d’’explosif devenait sensible. J’e l’avais bidouillé la veille quand tous me croyaient chez moi. Le départ de Dalaigh masqua mon absence. Aucun de ces gugusses n’avait pensé que j’allais être assez stupide de sortir après son passage et surout en me sachant sur le point d’accomplir mon

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dernier élan de générosité aux citoyens de Belfast. La voture soufflée par la violente explosion monta haut dans le ciel. Les explosions avaient toujours ce côté irréel. Donc elle s’éleva pour mieux redescendre dans un fracas assourdissant sous une ardente nuée rouge. Ce fut la panique et tous se jetèrent à terre pour éviter débris et projectiles filant autour de la zone d’impact. La voiture de fingen s’arrêta dans l’arrière d’une autre voiture et je choisis ce moment pour partir. Cela ne m’impressionnait plus. Il me fallait six minutes avant que la British Army ne boucle le secteur. A l’heure et à l’endroit indiqués McGerailt m’attendait à sa table. Il avait du penser que je ne viendrais pas et il s’étit consolé en offrant un verre à une blonde. Sans même m’annoner, je m’assis entre eux et je fixais la femme pour l’inviter à s’en aller. « Tu veux vraiment savoir ce qu’il s’est passé là-bas ? Je suis prête à tout te confesser si toi tu acceptes de m’en dire plus sur Ginger, tu dois en avoir appris sur sa mort depuis. —Penses à ton extradition Niahm. Tu n’es plus en mesure de nous demander quoi que se soit. Tu as épuisé ton crédit d’éclaircissements. Tu ne devrais pas fumer autant, on va finir par te mettre sur des rails et te faire bouffer du charbon par pelletées entières. —Je ne te savais pas si amusant Indech. J’imagine que tes formateurs à Langley t’ont dit de manifester de la joie quand tout est terminé. Des types comme Myers et Lewinsky auraient pu te former mieux que cela. J’ai cru comprendre que Lewinsky

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t’ensence un peu trop. Tout à fait entre nous Indech (en me rapprochant de lui) tu n’es pas fait pour ce job. Tu es trop lisse et on lit en toi comme dans un livre ouvert. J’ai changé d’avis à ton sujet. Tu es trop entété pour être sauvé. —Ah, ah ! Je veux que tu me dises ce que tu sais sur Dillane. Je sais que l’as mis dans ton pieu celui-la aussi. Existe-t-il encore des hommes à Belfast que tu n’as pas baisé ? Tu devrais songer à organiser une fête pour tes anciens amants, on gagnerait du temps pour ce qui est de la réconcilation possible entre ces deux communautés. —Tu parles comme un Américain. Je parie que quand toi tu le fais, tu dois penser à moi. Ce qui expliquerait toutes tes bizzareries qui se manifestent chez toi. Donne-moi une bonne raison de continuer à te faire confiance. Pour Arrington….tu n’es pas prêt à débourser le moindre cens pour m’extirper de ce bazar. Si je comprends bien il n’y aura pas d’extraction, hein ? —Qui est Dillance ? » Le ton de sa voix devint plus autoritaire. Peut-^re en avait-il asez d’essuyer mon mépris ? Le type du bar lorgna dans ma direction, je savais qu’il dissimulait une arme à feu derrière son comptoir et qu’il n’hésiterait pas à s’en servir contre McGerailt si ce dernier venait à me manquer de respect. A tout moment cet agent d’infiltration, enfin pseudoagent, pouvait péter es plimbs. Si près du but, pouvait-il vraiment manquer de lucidité ? « Une information contre une autre, c’est ainsi que l’on procède par ici. » Lassé mon interlocuteur tourna la tête comme pour s’assurer que personne ne

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l’écouterait, se pencha vers moi et sortit de l’intérieur de sa veste un papier qu’il fit glisser sur la table à la surface grasse. Par provocation je n’ouvris pas l’enveloppe, soutenant mon regard dans le sien sans sourciller. « Tu n’es pas le seul à vouloir essayer. Qu’est-ce que ce Murray aurait dit de moi quand tu as eu la bêtise de prendre l’appel ? —Comment s’es-tu qu’il m’a contacté ? Comment sais-tu que nous avons pu échanger un appel téléphonique ? » Le silence se fit entre nous et toujours sans sourciller, j’écrasai ma cigarette dans le cendrier, récupéra l’enveloppe, la décacheta et vit des photos mettant en scène Bartley Fitzgerald, Vaughan Leach en compagnie de Ginger. Ma Ginger. Celle de Baltimore. Fitzgerard trainait dans toutes sortes de combines, d’arnaques, de macabbés rendus inidentifiables grâce à ses rats des faubourgs noirs et durs de Belfast. Je ne l’aimais pas, je ne l’avais jamais aimé. Il avait abattu McNeil au moment où nous commencions à nous apprécier. Lui et Leach seront mes prochaines victimes. A moins que ces petites frappes me trouvent avant. Ils auront pu prendre l’avion, un billet allerretour Belfast-New York pour venger Searlas Byrne. Le sourire apparut sur mes lèvres. « Et ensuite ? —Tu ne devines pas ? Ton ami Ginger. Son véritable nom est…. (Il sortit un bille de la poche de sa veste) Brianni Coaughey aui a laissé tomber le Mac pour faire plus américain. Elle t’a hébergé à Baltimore et elle s’est tapée Fitzgerard qu’elle renseignait. Elle avait su vite fait savoir

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vers qui se tourner pour obtenir certaines informations susceptibles de plaire à la CIA. Elle a joue gros jeu mais l’Irlande cela n’a jamais été son truc. Il faut y voir un symbole de la suprématie américaine en matère de renseignements. Fitzgerard descend McNeil et quand Clarkson l’apprend….il le fait éliminer. Tu veux savoir pourquoi ? —La deuxième partie de ta version ne tient pas la route. Que viendrait faire Clarkson dans cette histoire ? —Oh, allons McCullen ! Je ne te croyais plus réfléchie, je vais finir par penser que le cerveau de ton gang est Meallan Cleary ! Fais marcher ta tête, déclara-t-il penché vers moi, les sourcils froncés. Clarkson a un putain d’égo. Il est pourri jusqu’à la moelle et il savait que Ginger avait les moyens de faire pression sur lui. Cette petite était plus dangereuse qu’elle ne le laissait crore. La Special Branch a alors fait ce qu’il fallait pour la faire taire. —Et cela t’a pris tout ce temps pour trouver ça tout seul ? Indech, je ne t’ai pas fait venir là par hasard. Ce bar c’était notre repère à Ginger et à moi. On y venait souvent, tu sais. Le problème est que cet endroit a fini par devenir un relais pour les expatriés. —Ah bon je croyais qu’il s’agissait d’un repère pour les amoureux de la poésie.» Je ne relevais pas sa blague, perdue dans mes pensées. En meme temps que répondre à son humour foireux ? On pouvait s’attendre à mieux de sa part. N’était-il pas Indech McGeraillt cet empêcheur de tourner en rond ? Sans le lâcher des yeux je me mis à imaginer tout ce que je ferai une fois arrivée à destination de ce long voyage.

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« Ginger et moi on était comme les deux doigts de la main….cela n’a l’air de rien comme ça mais on a fait du ménage et chacune avait sa spécialité. Tu en penses quoi Indech ? Tu penses que tout cela aurait pu se passer autrement ? —Tu l’as butée elle aussi ? Niahm ? Qu’est-ce que tu as fait ? Elle bossait pour nous et on avait décidé toi et moi de la jouer à la loyale. Pourquoi l’avoir éliminée ? —Dillane n’a pas voulu être ennuyé par Ginger. A quoi crois-tu qu’on joue ? A colin-maillard ? Il est temps que tu ailles rendre visite à McLay avant qu’il ne démissionne. Il aura certaienemnt des tas de choses à te dire ! Passe une bonne journée ! »

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Enregistrement N°14 : Belfast ne dort plus. Partout des explosions. Le 14 juillet 1972, Les Provos abattent trois soldats britanniques et la British Army abat un membre de l’Ira Provisoire et un membre de l’OIRA. C’est un sacré bordel quand on y songe. Devraiton rester cloitré chez soi pour autant ? Le téléphone sonna et Maddén décrocha. «Allô ?....oui elle est ici ! Qui la demande ? (cette dernière arriva vers moi en trainant des pieds) Un certain Clarkson pour toi ! » Vraiment ? Je saisis le combiné à pleine main, la cigarette coincée entre mes lèvres. J’avais décidé de rendre visite à Maddén Mag Ghabban ma vieille amie. Il ne pouvait décidément pas se passer de moi ; pour preuve cet appel passé de bonne heure entre le muffin de Maddén et son immonde breuvage qu’elle ose appeler du café. « Je peux quoi pour toi Clarkson ? Je suis étonné que tu m’appelle maintenant, cela en vaut-il seulement la peine ? —Je ne prendrais pas la peine de t’appeler si ce n’était important Niahm, tu ne crois pas ? —On peut voir ça comme ça. » Je m’interrompis quand Maddén apparut tenant ma tasse de café à la main qu’elle posa délicatement sur la table près de son téléphone. Pensait-elle vraiment que j’allais lui sauteer au cou pour ce genre d’attention ? Une fois qu’elle aurait le dos tourné, je balancerai le café dans le pot de fleur posé là, dans l’endtrée. « Important à quel point ? —Ramènes tes fesses au siège de l’’UDR et tu comprendras ! Disons dans une heure…. »

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Il me raccrocha au nez et revint Maddén, le sourire aux lèvres. « C’est qui ce Clarkson ? Un prétendant ? Il avait une voix tout à fait charmante en passant. Celui la tu ne devrais pas le laisser sans aller. Ce Dalaigh était très bien….un peu mystérieux ceci dit. On n’arrivait jamais à savoir ce qu’il pensait de tout cela. Quoi, tu pars déjà ? La prochane fois que tu viendras je te ferai un plat spécial de notre région…. » Je descendis l’escalier quatre-à-quatres mais au moment de pousser la porte j’eus une drôle d’impression, un étrange pressentiement. Derrière la porte il y avait quelque chose de louche. Il y avait une autre sortie au bout du couloir. Si je sortais maintenant et à découvert, mon corps serait alors criblée de balles. On savait que je me trouvais être là, les informations se diffusaient très vite dans ce coin de Belfast. Derrière le carreau de la vitre j’en eus la confirmation. Un peu dépôli certes, mais le carreau permettait de voir sans être vu. Ils étaient bien là dans leur voiture. Deux voitures devant l’immeuble et probablement deux autres de l’autre côté. Bordel de merde ! Me fallait-il remonter chez Maddén et appeler du renfort, à moins qu’il ne se trouve déjà sur place. Comment le savoir ? Prenant mon courage à deux mains je sortis pour me diriger droit vers la voiture grise dans laquelle se tenait Bartley Fitzgerard. Ce dernier me fixait un curedent dans le bec et un chapeau posé sur ses cheveux blonds. Regard de tueur qui vous déshabille froidement. « Monte dans la voiture McCullen ! » Pas question de m’exécuter ! il venait envoyé par Clarkson sans l’ombre d’un

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doute. Si je montais dans cette voiture on retrouvera mon corps découpé en mille morceaux, de la bouffe pour cochons, comme lui-même le diraiit. « Je ne t’ai pas dit de monter dans cette bagnole conasse ? » Volà qu’il m’insultait à présent ! C’était trop facile pour Clarkson. Il se trouvait être en haut de la chaine alimentaire au même titre qu’Arrington et McGerailt. On lui enverra la facture avec une belle note disant : Ennemie mise hors état de nuire. « Il faut le demander plus gentiment Fitzgerard. Il faut que tu me donnes envie de le faire. Je veux pouvoir me sentir en sécurité et ce n’est pas dans ta vieille caisse roulante que je pourrais me sentir en sûreté. Je pourrais prendre panique et activer un détonateur situé dans mon corsage. Et….Boum ! Soufflée ta vieille cabarde. —Je te donne trois secondes pour ramener tes fesses ici ! » Siffla ce dernier en me lorgnant du coin de l’œil. En fait il craignait qu’on puisse l’identifier. Sa présence n’avait donc rien d’officiel aux yeux de l’UDR. Je pouvais encore gagner quelques secondes sur mon précieux temps. Une voiture passa à proximité ; celle de Genann fingen en personne. Oui c’était bien lui ! Elle sationna près de celle de Fitzgerard. « Je n’ai pas été trop long ? C’est avec moi qu’elle vient et ti tu as un problème, on peut arranger ça ! Ouvres-lui la porte qu’on s’arrache d’ici avant qu’il ne me vienne l’envie de les expédier en Enfer ! » Dans la voiture se trouvait êre Duncan McGill, mais à choisir je préférais de loin leur compagnie à celle de Fiztgerard connu pour être stupidement borné, imprévisible

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et acharné dans sa bêtise. La voiture roula à travers le quartier sans que personne ne vienne à échanger divers sujets. J’eus quand à moi l’impression de marcher dans la vallée de la mort. Puis la voiture s’arrêta près d’une épicerie. « Vous trois allez me chercher ce qu’il faut pour déjeuner avec une invitée de marque ! Toi aussi McGill ! (Une fois la orte fermée sur les trois gusses, genann se tourna vers moi) Je préfère qu’ils n’entendent pas ce que j’ai à te dire, Niahm….Il m’a tout raconté et j’ignore pourquoi je continue à te faire confiance. Ce chignon te va très bien. Tu t’es faite belle pour pour dernier jour sur terre ? —C’est à peu près ça. Tu ne croyais tout de même pas que j’allais partir en sousvêtements et cheveux sales ! Je suis contrariée d’apprendre le décés de McIosa. C’était un bon élément. —ne te fous pas de moi, je sais que tu es derrière tout ça ! Shane McLay n’y était pour rien. Oui, on l’a retrouvé mort et pas de mort naturelle si tu vois ce que je veux dire. Il s’est vidé de son sang dans sa baignore et ce n’est pas plus mal ainsi. » Il m’interrogea du regard mais je me tins indifférente à cette nouvelle. McLay mort serait le début d’une Chasse aux Sorcières dans l’enceinte du gouvernement britannique. « C’est encore toi n’est-ce pas ? Tu savais qu’il ne survivriait pas à cette pression exercée par les hommes de Clarkson. Il t’a suffi de le pousser à s’éliminer comme tu l’aurais fait à sa place pour éviter qu’un autre ne s’en charge. —C’est toi qu’ils veulent Genann et il y a longtemps que j’aurais du te tuer. A

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présent je suis devenue aussi dangereuse que toi. Laisse-moi leur parler. —Non, déclara ce dernier en secouant la tête de gauche à droite, on m’a chargé de te ruer et je ne vais pas y réfléchir à deux fois. Pas aujourd’hui. » Il me bondit dessus pour m’étrangler. Je suffoquais, incapable d’empêcher ses mains meurtières de faire leur office. Je me débattais quand la portière s’ouvrit et claqua un coup de feu. Des morceaux de cervelle éclaboussèrent la cabine et se répandirent partout sur mon corps ; Une main alerte m’extirap du véhicule pour me faire monter dans une autre. Avais-je réalisé ce qui s’était passé ? Les autres Provos n’eurent pas le temps de réagir ; dans cette rue les militaires les prendraient immédiatement en chasse. Meallan Cleary conduisit prudemment entre les chicanes de la Britisha Army et dalaigh me jeta un trench pour y dissimuler le sang et la cervelle de genann Fingen. « Pourquoi n’as-tu pas tiré la première ? Déjà que tu aurais du le buter hier. Vas chier ! Ce fils de pute s’est chargé de McLay quand cet idiot a cherché à le faire chanter. —Ce n’était pas mon plan ! Cela ne devait pas se passer ainsi ! Cleary, tu le savais toi, alors dis-moi un peu ce que tu fiches ici ? —Murray m’a contacté et il y a un changement de plan, Niahm. Désolé de te le dire ainsi, dans pareil contexte mais la cible maintenant c’est toi. » Moi ? C’était une blague là ? MacLochlainn venait d’abattre Genann fingen et les Provos l’avaient vu agir. Où il qu’il aille, un écriteau se tiendrait au-

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dessus de sa tête indiquant : Homme à abattre ! Homme à abattre ! Il était grillé et il était clair qu’à présent, nous étions tous deux, des cibles vivantes. Plus de temps à perdre avant que l’Armée ne s’en charge aussi. Dalaigh se retourna vers moi pour me tendre un semi-automatique. « Dans mons d’une heure ils vont fermer certains quartiers et se mettrent à arrêter de façon arbitrare ce qui leur paraitront suspects. Nous n’avons pas le temps pour nous arrêter et encore moins te faire une beauté ! —Et qu’est-ce qui me dit qu’il me faille vous faire confiance ? —Ok ! Gare la voiture là, Cleary. Merci. D’accord je vais être franc avec toi Niahm. Tu ne me plais pas. tu es le genre de femme arrogante et dangereuse car si sûre d’elle. Tu nous as fait perdre notre précieux temps, tu as compromis nos couvertures et anéanti nos missions en moins de temps qu’il faut pour le dire. J’ai du faire équipe avec toi parce qu’on m’a ordonné de le faire. Tout cela ça me dépasse, vois-tu ? On me colle une novice sur le dos, un pseudo agent d’infiltration et je devrais être à ne rien dire, te laisser tout gérer et fermer ma gueuile. Attends, s’il te plait ! Ne m’interromps pas ! J’ai failli y rester une bonne dizaine de fois par ta négligence et…tu oses me demander si tu dois me faire confiance ? —Tu viens d’abattre Fingen, sous mes yeux ! Et tu trouves cela déplacé que je veuille m’interroger sur mon devenir en tant que suspect ! —Je vois. Tu aurais préféré qu’il t’étrangle et jette ta dépouille devant les bâtiments de l’UDR ?

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—Où est-ce que Murray t’a contacté ? Pourquoi vouloir m’éliminer ? —Explique-lui Cleary ! » Il se tourna face à la route, le cure-dent à la commissure des lèvres. « Et bien….il m’a contacté ce matin pour me faire part de ses inquiétudes face à tes récents exploits. Ce sont les mots qu’il a employé et je retranscris mot pour mot. Elle n’est plus en mesure de faire quoique se soit et elle représente une sérieuse menace pour le reste de l’organisation. Je n’ai pas cherché à en savoir plus. Et puis il m’a dit que….Mclay venait de s’ouvrir les veines dans sa baignoire et que Fingen risquerait de te tomber dessus. —Et comment avez-vous fait pour me retrouver ? Non, en fait je connais déjà la réponse. Clarkson m’a appelé quand je me trouvais être chez une vieille connaissance. Il disait vouloir me voir dans une heure, soit maintenant dans treize minutes ! Ce Murray cherche à tester ma solvabilité et cherche dans un dernier élan à saper mes efforts ! Cleary on doit s’en tenir au plan ? —Quel plan ? Tu vas tous nous faire buter ! Il n’y a pas de plan qui tienne ! Décolé, mais le voyage s’arrêtre pour toi maintenant ! » Le voyage s’arrête pour toi maintenant. Le voyage s’arrête pour toi ! C’était un code convenu entre nous. Pour le cas où il nous faudrait ruser pour s’en sortir. Choisir entre vivre et mourir. J’avais choisi de vivre. J’ouvris la portière avec fracas pour me retrouver dehors. Un hélicptère passa au-dessus de notre tête. Les autres me rejoignirent dans une ruelle à l’abri des yeux perçants de la British Army. Et Cleary me jeta un pistolet et j’ai tiré dans

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la jambe de mac Lochlainn. Il hurla sa souffrance et retenu contre le mur m’interrogea du regard. « Je t’ai pourtant averti de ne plus t’approcher de moi ! Ne t’inquiète pas, la balle n’a fait qu’effleurer l’os. Tu auras ta médaille pour ça ! Désolé, mais moi aussi j’ai des ordres ! » Cleary et moi on baisa contre ce mur suintant après qu’il m’eut giflé. Ses mains serraient mon cou me privant d’oxygène. Ma vision s’obscuricit au point de ne plus rien dscerner autour de moi. Il passa une ceinture autour de son cou et me tendit l’extrémité pour lui aussi s’approcher de l’asphyxie. Son visage devint rouge, une veine apparut sur son front, il sembla manquer de forces et à plusieurs reprises du me clouer contre le mur. En suffoquant il jouit par rafales successives. Il nous falalit atteindre ce genre d’orgasme. Ma bouche se posa sur ses lèvres frémissantes à la commissure desquelles, un filet de bave s’échappait. L’orgasme fut intense pour moi aussi. Il me reposa à terre et referma son pantalon. « L’autre fingen n’a pas mordu à l’hameçon. Quand il va apprendre la mort de son frère il va aller faire un carnage du côté de l’UDR. McIosa, McLay et maintenant Fingen. Le MI6 risque de nous poser quelques problèmes en voyant dans quel état leur revient Mac Lochlainn. Cela nous laisse donc peu de temps pour agir. Nos planques ne sont plus sûres et Clarkson va se mettre à aboyer dans tout sens. —Non, il restera tranquille tant qu’il ne sait rien de mes agissements. S’il avait voulu me tuer il aurait eu l’occassion de le

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faire. Or cela n’est pas dans son attention, il a d’autres projets pour moi. —ne sois pas tendre avec lui. Arrignton et lui disent vouloir laver leur linge sale en famille. C’est ce qui m’iinquiète un peu…. » Il ouvrit une valise pour en sortir un cylindre coincé dans la mosuse protectrice de cet objet récupéré dans l’une de ses nombreuses planques. Il me tendit une enveloppe et le contenu du cymondre. « Tu vas faire remettre ceci à Arrington avec mes compliments. Il pense avoir trouvé qui se cache derrière le pseudonyme de Murray et quand il va recevoir ceci….il va se mettre à paniquer au point de se faire dessus. A l’heure où je te parle il interroge Roan Stuker. Mais tout le monde sait qu’il ne parlera pas et ce qu’il sait, il l’emportera dans sa tombe. » Meallan referma sa valise et me dévisagea de la tête aux pieds. Pensait-il me rassurer en disant cela ? il posa son front contre le mien avant de poser sa bouche sur la mienne. « On se voit dans deux jours. Tâches de rester en vie ! Ah, autre chose…. Arrington a des photos de toi chez lui. Ce Murray les lui a envoyées. Elle te représente dans la chambre de Stuker. Il va chercher à en savoir plus. Alors fais-le un peu mariner. » Il m’embrassa cette fois-ci entre les deux yeux. De nouveau, il me faudrait rencontrer Arrington et avancer avec prudence sachant qu’il détenait Roan Stuker dans l’enceinte de leur établissement. Au moment où j’alalis quitter cet endroit connu de nous seuls, Meallan me suivit : « Si tu décides de vivre, il te faut trouver le talon d’Achille de ton ennemi ! »

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Arrington connaissait mes intentions : celles de sortir du jeu sans user d’un seul coup de feu. D’autres exécutaient cette lourde tâche à ma place ; d’autres pllus fragiles psychologiquement et incapables de réfléchir par eux-mêmes. Les militaires vérifièrent mes papiers et ensuite me laissèrent repartir. A présent je me déplaçais sous une autre identité. Dans la rue, une voiture brûlait et des pompiers se trouvaietn être à pied d’œuvre pour éradiquer les flammes prenant dans le capot du véhicule ; des victimes gisaent au sol, criblées de balles. On me demanda de contourner l’obstacle. Les gens curieux et ceux transitant dans cette zône jetaient un regard suspicieux vers les autoirités locales. Alors ensuite, je me rendis dans une cabine située dans Shankill road. Le numéro je le connaissais par cœur. Une secretaire prit l’appel puis le transmit à Peter Arrington. « Je suis en vie comme tu peux t’en doûter. Clarkson a cherché à me contacter en fixant un rendez-vous dans son office, mais la mort de Genann Fingen à modifier cet entretien. —Où es-tu ? Dois-je venir te chercher ? —Tu aurais des photos de moi en compagnie de Stuker d’après ce que je sais. Avant d’arriver à Belfast, j’ignorai qui il était. Tu me crois toujours Arrington ? Quelque part il y a quelqu’un qui cherche à vous nuire et mon devoir est celui de vous aider à y voir plus clair. » Il insista pour me voir dans un endroit clos fermé aux regards extérieurs et choisit pour cela ce qui lui servait de bureau : une pièce exigue à faible éclairage, loin de l’image d’un bon bureau payé par le

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gouvernement de sa Majesté. Il me présenta une chaise un peu bancale, je vis en cela une mise en scène digne des plus grands dramaturges britanniques : pièce sombre, faiblement éclairée par une baie vitrée et un bureau en noyer recouvert de piles de dossiers. L’acteur principal de cette fable, portait un gilet marron sur une chemise blanche retreoussée sur ses avantbras et faisant ressentir la rousseur de ses cheveux peignés sur le côté. Il ne cherchait pas à m’impressionner, seulement à me faire comprendre qu’il acceptait de se mettre à nu pour découvrir une partie de la vérité. Il me fixa avec intensité. « Que s’est-il passé avec fingen ? Pensait-il vraiment que tu passerais à l’acte ? Il savait depuis le début que tu finirais par le tuer et ce n’était qu’une histoire de timing. C’est presque ça le problème. Tout est si parfait, si bien interprêté qu’il me parait impossible de penser que tout cela provienne d’un seul et même cerveau. Ce Murray est impressionnant comme tu l’es également. —C’est pour me flatter que tu dis cela ? Tu as une petite amie Arrington ? Une femme à laquelle tu tiennes ? La vérité est que tu es trop sentimental. Un peu trop d’ailleurs. Corriges-moi si je me trompe mais la dernière fois que tu as toeturé une femme, cela ne s’est pas bien passé. Les soviets ont la peau dure mais sous leur carapace se trouve un cœur qui bat…peutêtre imperceptiblement mais… qui bat toutefois. Dans le cas de fingen….il n’en avait pas. —Finalement ne crois pas que l’on se finalement si bien. Il y a des zones d’ombres de ton côté. Pourquoi avoir

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descendu Mcfarrel de ta main et pas les autres ? » En d’autres circonstances je n’aurais rien trouvé à redire mais là, je me sentis vidée comme après qu’on vous dise que le Père Noël n’existe pas. Quoi ! Alors on m’aurait menti ! Cette pensée me fit sourire et pour une fois je décidai de ne pas m’allumer de cigarettes. Il faisait chaud à l’extérieur et on crevé littaralement de chaud à l’intérieur. Je me perdis dans la contemplation du ventilateur suspendu au plafond, tournoyant très lentement dans la salle avoisinante où travaillaient quelques malheureux fonctionaires. Tout cela n’était qu’une mise en scène. Dans quelques secondes, les portes laisseront surgir des militaires en tenues kaki, le fusil d’assaut braqué sur moi. On m’ordonnerait de lever mes mains et de me rendre. La salle était si silenceuse qu’on pouvait entendre voler une mouche. Toute vie avait cessé pour uniquement se concentrer sur le geste de Peter Arrington, celui qui me condamnerait ou pas. « Tu sais pourquoi j’ai accepté ton invitation dans cet endroit ? Je voulais savoir jusqu’où tu pousserais la fantaisie. J’ai presque failli te croire arrington. » Un type passa derrière la baie vitrée, celui-ci portait un costume noir et remit un dossier à une pseudo-secrétaire qui s’empressa de se lever sans même le consulter. Il lorgna de notre côté et le téléphone d’Arrington se mit à sonner. Une bien détestable sonnerie car stidente et si agressive. Il décrocha pour s’exprimer en monosyllabe. Le temps pour moi de rassembler mes esprits. J’avais déplacé tous mes pions et il me restait la tour à

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abattre avant de glisser victorieuse vers le roi. A peine eut-il raccroché que je me hasardais à lui poser une question. « Alors qu’est-ce que Scotland Yard a finalement trouvé d’intéressant ?3 Il s’exclafa. Je savais qu’il ne parvenait plus à respirer correctement et pour m’en convaincre je restais focaliser sur sa cravate. Sa main pianota sur le rebord de son bureau et il prenait sur lui pour ne pas resserrer le nœud (coulant) de son accessoire de mode masculine. « Qu’ont-ils fini par découvrir ? Une liste de noms correspondant à des tractations financières ? Ou bien la confirmation que ce n’est pas de ma main que tous ces hommes ont péri. J’aimerai tant que tu leur dises de rentrer chez eux, déclarai-je en me penchant vers lui, je me sens concerné par les vies humaines et je n’ai pas la consience tranquille de vous savoir à Belfast quand partout vos petits patrons du contre-espionnage fouillent partout à la recherche d’indices que même Sherlock Holmes en personne n’aurait pu manqués. Tu devrais rentrer chez toi, Arrington. —et ne pas assister à la fin du dernier acte ? C’est un peu précipité, non ? —Tu sais bien que je ne laisse rien au hasard. Tu ne sais pas ce que tu cherches mais moi je l’ai trouvé depuis longtemps. Parfois je me surprends à ressassr le passé et me dire ce que je serai devenue si je n’avais pas suivi cette voie. —Celle de la vengeance et de la rédemption ? Il y a autour de toi des personnes qui te voit comme un démon avant de te voir comme un ange. Le père padraig par exemple….il a pris ta confession n’est-ce pas ? Tu as été à lui

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pour te confesser et cela faisait-il donc parti de ton personnage ou bien était-ce cet autre créature cohabitant dans ton esprit ? Penses-tu qu’à cet instant Dieu puisse vouloir t’exaucer ? —A vrai dire….je ne me suis jamais posé la question. Penses-tu qu’il me faille de nouveau me confesser ? Ai-je l’air de croire en quelque chose de spirituel ? C’est admettre que tu fasses de novueau fausse route. Ciaran n’est pas un bon indic. Vos méthodes ne prennent pas sur lui comme elles ne prendront pas sur Stuker. —C’est regrettable oui. J’ai compris que cet homme ne pouvait pas être Murray. Tu veux savoir pourquoi ? C’était avec lui que je m’entretenais à l’instant au téléphone. Il demande à ce qu’on te garde près de nous le plus longtemps possible. » Il bluffait. Il me faisait marcher dans le seul but de vérifier ma capacité à tromper leur vigilance, de passer outre leurs ordres venant du contre-espionnage. Arrington poursuivit d’un ton plus neutre encore, s’efforçant de soutenir son regard acier dans le mien et ses fossettes marquées gagnèrent en relief ; il esquivait un sourire. « Murray n’a visiblement pas l’intention de te voir partir avec lui. Tu as selon lui quelque chose à me remettre ? » Alors lentement je sortis l’enveloppe de mon sac pour la lui tendre et sans me lâcher des yeux, il l’ouvrit, la consulta rapidement. Aucune expresson n’apparut sur son visage d’un naturel hermétique à la moindre expression. Il referma le papier avec soin pour le poser devant lui. Il se passa de longues secondes avant qu’il ne manifesta verbalement le contenu du courrier. Derrière la baie vitrée chacun des hommes à la solde du gouvernement retint

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sa respiration, feignant d’avoir une occupation digne de ce nom : on décrochait des appels téléphoniques, se transmettait des documents, agrafait des papiers entre eux…sans jamais cesser de lorgner de notre côté. La tension fut à son paroxysme pour qui assitait à la scène d’un point de vue extérieur. Il décrocha le combiné téléphonique, composa un numéro et attendit qu’on prit l’appel. « Apportez-moi le dossier Aden foster, s’il vous plait ! » Il raccrocha, pianota sur le rebor de la table. La sueur coula le long de ma colonne vertébrale. Il passa sa main sur son gilet comme pour en réduire la moiteur. Extraordinaire est la capacité de l’homme a se régénérer ? Le Phoénix ne rénait-il pas de ses cendres ? Le sourire appartut sur ses lèvres ciselées. « As-tu vu Murray ces derniers jours ? —Pourquoi cette question ? » Une femme aux larges hanches entra sans me saluer, tendit le dossier à Arrington et partit, suitant par tous les pores et sifflant par le nez. Sans me lâcher des yeux, Arrington ouvrit le dossier pour ensuite faire glisser une feuille vers moi que je parcourai brièvement avant de la lui remettre. « Et ensuite ? —Il s’agit des aveux écrits de ton chouchou, ton petit protégé et cela ne marchera pas pour toi. —C’est ce que tu crois. A ta place je n’en serais pas si sûre. Ma situation est défendable. Sinon, pourquoi serais-je ici à te tenir compagnie. C’est une situation que tu as ainsi dire, fantasmé. » Lentement je me levai, marchant avec grâce à la faon d’une Mara-Hari dans

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l’exercice de ses fonctions pour m’assoir sur ses genoux et baiser son front, à califourchon sur son entrejambe. Il se mit à grogner quand ma bouche avide de baisers glissa sur son nez et ses lèvres ourlées. « Qu’allons-nous devenir toi et moi ? Non ! Regardes-moi ! Ce Murray nous prend tous deux pour des amateurs et le scandale risque d’éclater si l’on ne prend pas de radicales mesures pour…. » Il ne me laissa pas poursuivre et retint brutaleemnt mon poignée à m’en couper la circulation du sang. « Tu es très attachée à cet homme n’estce pas ? Mais je pense dire que tous tes efforts auront été vains si tu venais à apprendre qu’il t’a trahit pour rallier au gouvernement. Le service du renseignement a réclamé plus d’argent au Trésor et cette charge nous a été octroyée. Un bon salaire pour ce Murray, argua ce dernier debout devant la table, tirant sur son gilet pour se donner plus de panache. Le ministre semble être conquis par son succès mais il l’est un peu moins concernant nos rapports avec les Américains. Tu vois à ses yeux et aux nôtres, tu représente une réelle menace diplomatique, poursuivit peter assiss sur le rebord de la table. On dirait qu’il t’a devancé et prit une bonne avance sur toi. —Oui ciela tombe sous le sens, finis-je par avouer en repensant au contenu de l’enveloppe : ces foutus diplomates britanniques disaient ne pas vouloir négocier avec les terroristes ; pourtant cette liste de tractations soulevaient le détail des pots-de-vins versés à quelques uns de mes acolytes. Tous avaient reçus de l’argent, sauf moi. Quant à mon

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intervention ici je n’étais plus certaine de son impact psychologique en dehors du fait que notre Arrington et sa flegme légendaire acceptait de vouloir perdre du temps en ma compagnie causant de la pluie et du beau temps ; une façon déguisée de gagner du temps malgrès tout. « Que vous a révélé Tucker au cours de son interrogatoire ? —Rien qui ne vaille la peine d’être mentionné. —Il est paranoäique et se persuade que le monde entier en a après lui. Avant d’être Stuker il était autre chose de plus conventionnel. Il était barbant et ennuyeyx, un vrai fonctionnaire ce Leslie Davies. C’est bien que tu ais pu voir sa véritable nature. » Il me fixiat de ses grands yeux verts. Il ne voyait peut-être pas où je voulais en venir. Il devait garder à l’esprit que j’étais versatile ; il m’était impossible de rester en place tout comme un gaz détonnant placé près d’une source de combusion. « Je ne crois pas qu’il t’ai contacté. Tu n’as rien à lui proposé et il ne serat pas si clément envers toi si tu n’avais pas été une légende sur le front soviétique. C’est bien sous le nom de Katrin que l’on te respecte et il est peut-être temps pour toi d’envisager la retraite. Pour ce qui est des Américains, je vous en fais cadeau, ils ne valent rien de toute façon. —Maintenant que Fingen est mort, plus rien ne te retient ici. Tu envisages de prendre quelques vacances c’est bien ça ? Où iras-tu Aden ? Qui se souciera de savoir où tu te caches ? » Il posa une clef sur la table. « Les Provos te font porter le chapeau quant à la mort de Fingen. On ne pouvait rêver à meilleur

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dénouement n’est-ce pas ? Il te faudra de nouveau fuir. » En quittant l’immeuble je ne fus pas surprise de trouver le comité d’accueil tenu par Clarkson. Il me fit signe à distance m’invitant poliment à monter à bord de son véhicule. Il demeurait tendu, le visage fermé avec cette expression de grande contrariété. « Tu dois adorer ça ? Arrington va être licencié par ta faute et à l’heure où je te parle le gouvernement envisage de faire le grand ménage après un récent courrier envoyé au Premier Miinistre. —Je l’ignorais, répondis-je perdue dans mes pensées. Tu oublies que je ne suis qu’une étudiante en littérature et pigiste pour un journal du coin. —Ah, ah ! Il y a une rumeur que tu dois connaître selon laquelle Murray aurait embrassé les cileux en évoquant le fait qu’il puisse y avoir une taupe au seine de notre gouvernement. Y es-tu pour quelque chose ? » Alors je plongeai mon regard dans le sien. Son regard de vipère me sondait et je crus y déceler de l’amusement derrière son masque de cire. Il me tendit son paquet de cigarette tandis que la voiture roulait paisiblement dans les rues de cette poudrière. J’acceptais la cigarette sans le lâcher des yeux. « De quoi as-tu échangé avec Arrington ? —Des derniers potins. Fingen est mort et ce n’est pas moi qui ai appuyé sur la détente. Je voulais lui faire cracher le morceau mais on a préféré à juste titre le passer sous silence. Pourtant je le tenais. —Lui aussi peut se vanter de te tenir. Il nous a donné Ciaran pour uen bouchée de

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pain et maintenant il négocie ton prix avec la hiérarchie. Il va falloir que tu songe à te trouver un nouvel employeur. » Mon cœur se mit à battre fort. Il avait raison. Les immeubles défilaient sous nos yeux et sur les trottoirs les passants nous fixer avec intensité. A tout moment une bombe pouvait exploser ou bien un tireur d’élite pouvait nous prendre pour cible. Partout les paras de la British Army quadrillaient les rues, le bérét rouge enfoncé sur leur crâne. « Comment comptes-tu t’y prendre pour le coincer avant qu’il ne te coince et te fasse tomber pour recèle et vente d’armes illégales sans parler de la forgerie et du blanchiment d’argent ? —Pour l’instant je l’ignore. Peut-être que Fitzgerard pourrait être la solutiion ! Il a tout ce que je veux et bien plus encore. Quelque soit mon prix, il acceptera sans se poser la moindre quesiton maintenant que Searlas Byrne n’est plus de ce monde. —C’est ce dont vous avez parlé avec Arrington ? De sa part, cela me surprend il est facinée par ton pouvoir d’attraction et il s’agite dans son bocal en décrivant de grands cercles et frétillant de temps en temps pour remonter respirer à la surface. Il se dénène comme un pauvre diable pour te plaire et cet entrain a causé sa perte. Apparemment ce Murray n’apprécie pas qu’on marche sur ses plats de bande. —Tu agirais de même si tu avais un brin de jugeotte. Où allons-nous ? La destination doit-elle restée secrète ? Tu sais bien que je n’aime guère les surprises. —Celle-ci va te plaire. J’ai beaucoup travaillé pour obtenir ce résultat. » On me conduisit au siège de la RUC et après avoir franchi un dédale de couloir et

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Clarkson me précéda dans une salle sombre et… là mon cœur cessa de battre en voyant Dalaigh Mac Lochlainn attaché à une chaise, nu comme un vers et la tête penchée au-dessus de ses jambes ensanglantées. Gowan debour derrière Dalaigh lui leva brutalement la tête ; l’un de son œil était tuméfié et le sang coulait de son nez et de sa bouche. Il n’était plus conscient. « Ce n’était pas nécessaire. —Moi je pense le contraire. Il dit avoir pressé sur la détente encouragé par ton ami Meallan Cleary, il semblerait que tu sois devenue incontrôlable et Mac Lochlainn nous a été d’un grand concours. On n’aurait pus s’attendre à mieux de sa part. N’est-ce pas Gowan ? Attache-la sur la chaise. » Et son sbire Gowan m’attrapa par le cou pour m’obliger à m’assoir et je n’ai pas pu lutter. Il me frappa encore et encore jusqu’à me mettre KO. N’étant plus capable de respirer, je me mis à tousser pour chasser le sang de ma gorge. « Cette fois-ci il ne te sauvra pas. Personne ne te sauvera, murmura Clarkson à mon oreille. Tous les hommes qui tenaient le plus à toi sont morts et l’ironie du sort c’est que c’est toi qui nous a simplifié la tâche. Vas-y Gowan, arracheslui des aveux ! » Il m’a de nouveau frappé. Je me suis évanouie face à la douleur. On me réveilla à grand seau d’eau glacée. Le sang gouttait sur mon chemiser.ils me mentaient. Jamais Lochlainn ne m’aurait balancé ! Je me fis dessus quand Gowan souleva mon menton. « Réveilles l’autre. Ils auront certaineemnt des choses à se dire. Debout mon garçon ! Tu as un peu de compagnie.

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—Quest-ce qu’elle fait là ? Ellle….elle ne devrait pas se trouver ici ! Il vous faut la relâcher ! C’est de la pure folie ! Gowan ! Gowan, ne merde pas ! Tu dois la relâcher ! Clarkson ! Il est encore ici à Belfast et vous ne pouvez le provoquer de la sorte ! —J’ai jamais pensé que tu étais un papiste, encore moins l’un de ces Irlandais de Derry. On sait qui tu es Levinson. Tu n’as plus de couverture et si tu sors on te retrouvera vidé de ton sang dans un caniveau. Les Provos en ce moment n’ont pas le sens de l’humour. Quant à cette salope, son temps est révolu. Après notre entrevue, plus personne ne se souviendra d’elle. Elle aura choisi le mauvais camp, déclara ce dernier en ma caressant la tête. Elle n’a jamais rien représenté pour nous autres sujets britanniques. Maintenant tu peux sortir de son personnage Levinson et nous dire ce que tu as appris sur ce Murray. —Si tu avais voulu cette information Clarkson tu aurais du t’adresser à la bonne personne. Je ne suis qu’un sous-fifre. Tu devrais le savoir. —Elle n’a jamais rien reprentée pour nous et par sa faute des types comme Arrington et Mulryan ont été invités à démissionner. Il en sera de même pour toi, ce n’est qu’une question de temps avant que le couperet ne s’abatte sur ta nuque. —D’accord. D’accord ! Nous avons pris un mauvais départ vous et moi mais nous sommes appelés à lutter ensemble contre le terrorisme et….ce Murray court toujours. —Il va accourir ventre à terre quand il saura que sa belle nous tient compagnie.

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—Si tu veux un conseil Clarkson, relâches-la pendant qu’il est encore temps ! —Et pour la laisser s’en tirer à bon compte ? Non ! Il n’en est hors de question ! Mumura ce dernier penché devant mac Lochlainn. On va collaborer une toute dernière fois. N’est-ce pas ton point de vue Niahm ? Tous les trois, nous avons des choses à nous dire. Et nous allons commencer par le commencement. Quand as-tu décidé de coucher avec Murray ? Cela t’est banal de baiser avec le premier venu mais là…. Tu t’es tapée le gros lot. Cela doit flatter ton égo, non ? » Ce dernier quitta la pièce sombre pour aller prendre le téléphone. Levinson glissa son regard dans le mien. « Tu m’en veux ? Questionnai-je la machoire démise. —Tu me demande si je t’en veux ? Pn marche sur des œufs là Niahm et Arrington n’est plus de la partie. Sans Arringoton les choses se compliquernt. Il va falloir qu’on se serre les coudes et… ; Clarkson est entrain de péter un cable. Il ne tiendra pas longtemps à ce rythme-là. Est-ce que ça va ? Niahm ? Surtout restes avec moi. Tu m’entends ? —Oui….je veux seulement…. Rentrer. —Rentrer ? Où ça en Amérique ? —Non. Ici à belfast. Dans ce modeste appartment que je partage avec les rats et les cafrds. J’ai besoin de prendre une douche ou peut-être un ban. Et toi ? Tienstu le coup ? —L’important c’est toi, d’accord ? » Clarkson revint en compagnie de son sbire. Il croisa les bras sur la poitrine et me fixa sans sourciller.

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« J’ai ordre de te laisser sortir. C’et ordre vient d’en haut. Apparemment tu as des amis hauts placés et nous avons tort de te sous-estimer. Tu vas rentrer chez toi Niahm ? Tu vas retrouver tes petits amsi du Maryland. Et tu leur raconteras tes exploits en Irlande. Combien tu as été efficace pour démenterler un réseau d’armes à feu et peut-être tu te sentiras plus forte mais une fois la fête terminée tu reviendras vers nous pour en vouloir plus. Et je sais que tu reviendras Niahm, c’est une évidence. »

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Enregistrement N°15 : Vous savez comment je fonctionne. Il n’y a aucun mérite à faire ce que je fais. Murray me disait toujours de suivre mon instinct. Alors j’ai pris soin d’enregistrement cette conclusion. Suivre son instinct. La CIA retrouvera ses cassettes, les agents les enregistreront comme d’authentiques pièces à conviction et on passera à autre chose. Je rejoignis Washington D.C et dans le bus je suivais du regard les monuments comme le Capitole, Lincoln place, etc. Ici personne ne se souciait des emmerdes des Irlandais, ils avaient tant à faire avec les Afro-américains ; ces derniers défilaient dans les grandes artères de la capitale scandant en une seule voix leurs droits pour les années à venir. Le paquet sous le bras je sortis du bus public pour gagner le batiment de la CIA quand on me retint par le bras. Meallan Cleary se tenait là. La surprise devait se lire sur mon visage ; « Tu es en vacances ? —Oui et elles sont bien mérités. Et toi ? —Est-ce vraiment terminé ? Penses-tu devoir y retourner ? —c’est la CIA qui t’envoie me demander cela ? Questionnai-je sans le lâcher des yeux. Tu veux qu’on ailler prendre un café ? » Voilà comment l’on se retrouva tous deux à bore un café noir tout en suivant un match de baseball à la télévision. Personne ne se souciait de nous, l’Irlande était bien loin oour nous. Cleary ne cessait de me sourire, dévoilant sa belle rangée de dents. « Crois-tu que ces provos te remercieront ?

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—Je n’ai pas fait ça pour obtenir leur pardon. Je veux seulement qu’on me voit comme une sainte. Ils n’ont pas focrément gardé un bon seouvenir de moi. Quant aux autres….imposible de savoir ce qu’ils mijotent de leur côté. —Alors tu seras heureuse de savoir qu’Arrington a essayé de te joindre avant ton départ. « Et je me redressai sur mon séant, piquée par la curiosité. Cleary se pendan vers moi. « Il m’a dit avoir une piste sur Murray. —Et tu l’as cru ? » Ce cernier haussa les épaules. Depuis le début Cleary s’était tenu dans mon ombre et il s’avéra être un atout de choix dans cette partie d’échecs. Il savait qui questionner, qui filer et qui mettre sur le banc de touche. Cleary semblait être si heureux comme dans cette chanson de jBuffalo Springfeld dont le titre m’échappe pour l’heure. « Et pourquoi ne le croirais-je pas ? » For What Its Worth, je tiens la chanson de Buffalo Springfield. Et je souris à mon tour. « Tu crois qu’il peut avoir raison? Tout cela pourrait être le fruit de son imagination. Murray pourrait ne jamais avoir existé. Pauvre Ginger. Elle n’aura jamais saisi un traitre mot de cette affaire. Mais ce qui est certain c’est que nous avons fait ce qui était à faire. —Je crois aussi. » On quitta le bar pour se séparer dans cette meme rue et j’aurais tout donné pour voir l’expression de panique sur le visage des guignols de la Cia. Indech McGerailt se tirera les cheveux en recevant mes microfilms contenant des heures et des heures d’enregistrements des albums de Jimi Hendrix, Joan Boaz et confrères. De

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leut côté le MI6 pleurera mon départ et les petits génies se couvriront de honte quand ils penseront avoir trouvé la planque de ce Muray et là, il ne trouveronts qu’une peluche abandonnée portant un bavoir sur lequel est brodé le nom de Murray. Pour l’IRA Provisoire, la surprise sera de taille : eux qui pensaient s’en tirer à bon compte devront courir bien vite avant que la Special Branch ne les serre pour fraudes fiscales. Le monde ne pouvait pas tourner mieux. Comme dirait Ben E. King dans son Stand by Me, je suis de cette humeur-là. Et puis Murray doit me rejoindre. Je suis là à léttrendre sur le quai de la gare quand de son côté il me cherche des yeux dans cette foule. Vous le reconnaittez sous les traits de Dalaigh Mac Lochlainn et de Levinson. Avec fougue on s’embrassa et je sais que demain sera un autre jour. Pardonnez de ne pas avoir été tout à fait honnête avec vous mais….je suis ainsi et on ne me changera pas. Essayer de trouver la vérité, vous ne la trouverez jamais ! FIN “”

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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