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LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT.ES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL
COLLABORATEUR.RICES RECHERCHÉ.ES

6 ACTUALITÉS
6 Le campus : en bref par Jade Talbot
12 ÉDITORIAL
10 Édito par Emmy Lapointe
14 DOSSIER
14 La ruine : universelle, intime, intemporelle par Frédérik Dompierre-Beaulieu
30 Ce qu'il reste de nous par Emmy Lapointe
36 Le gel d'une fourmilière par Sabrina Boulanger
76
LUDIQUE
76 Les jeux à surveiller pour mars par Ludovic Dufour
SOCIÉTÉ ET SCIENCES
48 Nos vaines agitations par Marilou Fortin-Guay
50 État de l’armée canadienne dans une période turbulente par Ludovic Dufour
56 La retraite à 64 ans : indispensable selon Macron, injuste selon les syndicats par Julianne Campeau
60 What makes [les Fangirls] beautiful par Jade Talbot
64 Fleuve, comment vas-tu ? par Marie Tremblay
66 Chat GPT : véritable coup de tonnerre par William Pépin
74 Que nous réserve l'espace en 2023 ? par Sarah-Kate Dallaire
ARTS - LITTÉRATURE
78 CHYZ 94.3 par l'équipe de Chyz
82 Il n'y a plus de pont pour s'effondrer par Malika Netchenawoe
Le campus : en bref
Janvier aura été plutôt tranquille pour l’Université. Ces dernières semaines, cependant, on a pu observer un peu plus de mouvements. Le Rouge et Or s’est d’ailleurs démarqué en athlétisme en se taillant une première place sur le podium, autant chez les femmes que chez les hommes, puis l’équipe masculine de basketball a connu une série incroyable de 6 victoires consécutives. L’Université s’est également penchée sur son futur en mettant en place des consultations pour sa Planification 2023-2028. Outre la planification, l’Université est présentement en période de négociations avec le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL).

En route vers les championnats
À seulement deux rencontres avant les éliminatoires, l’équipe féminine de basketball n’a pas à s’inquiéter. Étant actuellement en deuxième place du classement avec une fiche de 9 victoires et de 5 défaites, l’équipe est assurée de participer aux éliminatoires. Le scénario est exactement le même pour l’équipe masculine, qui a connu une séquence de 6 victoires consécutives au début de l’année. Au volleyball, les Lavalloises ont encore deux parties à l’horaire avant les éliminatoires et rien n’est encore joué. Présentement en quatrième position du classement RSEQ, elles sont suivies de près par Sherbrooke qui possède la même fiche qu’elles, soit 8 victoires et 8 défaites. Du côté des Lavallois, il ne reste qu’une partie à jouer et ces derniers sont assurés de participer aux éliminatoires. Avec une fiche de 10 victoires et de 5 défaites, ils sont présentement troisièmes au classement du RSEQ (N.D.L.R. : Au moment de la parution de ce magazine, les éliminatoires seront en cours pour le basketball et le volleyball). Alors que les saisons de basketball et de volleyball tirent à leur fin, celle du soccer intérieur vient de commencer. Chez les femmes, le Rouge et Or occupe la première place au classement du RSEQ avec une fiche de 3 victoires et aucune défaite alors que les hommes sont présentement deuxièmes avec une fiche d’une victoire et une nulle.
Le Rouge et Or se taille une place sur les podiums
En athlétisme, le Rouge et Or a accueilli ses adversaires au PEPS le samedi 4 février dernier. Avec un score final de 187 points pour les hommes et de 161 points pour les femmes, les Lavallois.es ont dominé la compétition. Nos deux équipes ont remporté 14 médailles d’or, 9 médailles d’argent et 7 médailles de bronze, pour une récolte totale de 30 médailles, les plaçant toutes les deux en tête du podium final. Du 3 au 5 février avait lieu le Championnat provincial du RSEQ à Trois-Rivières. En cumulant le pointage de toutes les épreuves, les hommes ont terminé la rencontre avec 472 points et les femmes avec 511,50 points, pour un total de 983,50 points. Ce résultat a permis au Rouge et Or d’obtenir la troisième place derrière les Gee-Gees et McGill. Au terme du Championnat, notre
équipe a récolté 4 médailles d’or, 4 médailles d’argent et 9 médailles de bronze. Le Rouge et Or se rendra également au Championnat canadien U Sports qui aura lieu à Victoria du 23 au 25 février.
Vers 2023 et plus loin encore
En ce début d’année, l’Université a mis en branle divers moyens afin de consulter la communauté universitaire et ses partenaires en vue de la Planification 2023-2028. Cette planification vise à définir les grandes orientations, plus précisément élaborer un plan d’action que doit mettre en place l’Université pour l’horizon 2023-2028. Trois forums ont eu lieu et des questionnaires ont été mis en ligne afin de recueillir les idées et visions de la communauté universitaire. La planification se concentre sur six chantiers, soit les études tout au long de la vie; savoirs, sciences et société; un campus vibrant; services de proximité, simplifiés et personnalisés; enclencher la deuxième vitesse en développement durable et assurer le bien-être de notre communauté. Le plan d’action résultant des consultations sera dévoilé le 20 avril prochain.
Vote historique au SPUL
Le 20 janvier dernier, les membres du SPUL se sont rencontré.es à l’occasion d’une assemblée générale pour voter un mandat de grève dans le cadre des négociations du renouvellement de leur convention collective avec l’Université Laval. Les négociations, qui ont commencé en décembre dernier, sont présentement dans une impasse, l’Université refusant de faire des concessions sur les revendications des syndicats. Ces dernières touchent principalement la charge de travail, la rémunération, la liberté universitaire et la sécurité d’emploi. Plus de 630 professeur.es se sont présenté.es à l’assemblée, une participation record. Au terme de l’assemblée, les membres ont voté en appui à une grève de deux semaines si les négociations n'aboutissent pas avant le 20 février. Il s’agit de mandat fort, 96 % des membres ayant appuyé la proposition (N.D.L.R. : Au moment de la parution de ce magazine, les professeur.es de l’Université auront évité la grève ou la déclencheront).
ACCOMPAGNEMENT AUX DROITS ÉTUDIANTS
Savais-tu que l’ÆLIÉS a un service dédié à t’accompagner pour faire respecter tes droits étudiants?
UN SERVICE POUR TE GUIDER DANS TES DÉMARCHES
Service d’accompagnement aux droits étudiants
EST:

Est responsable des dossiers relatifs aux droits des membres sur le campus
Encadre et accompagne les membres en ces matières et ce, dans la confidentialité et le respect.
Peut vous conseiller sur les manières de régler un conflit d’encadrement ou une situation problématique freinant l’atteinte de vos objectifs académiques.
N’EST PAS:
Les employés de ce service ne sont pas des avocats et ne peuvent pas exercer un acte légal réservé aux membres du Barreau du Québec.
Disponible en présentiel à la MMS ou par courriel: aide.droits@aelies.ulaval.ca
Tous les membres de l’ÆLIÉS peuvent contacter le service d’accompagnement aux droits étudiants pour obtenir des conseils et de l’accompagnement dans la résolution de problèmes.
Pour plus d’informations écris à: aide.droits@aelies.ulaval.ca
Connaissez-vous votre association et ses services ?
Aujourd’hui, nous allons vous parler de notre émission Question de savoir et du service d’accompagnement en droit étudiant de l’AELIÉS !
L’émission Question de savoir, c’est votre demi-heure d’actualité sur l’éducation supérieure présentée par l’Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures (ÆLIÉS). Enjeux politiques, vie universitaire, recherche scientifique, perspectives d’avenir et bien plus sont à l’honneur dans ce rendez-vous hebdomadaire mettant en vedette les étudiant.es membres de l’AELIÉS.

L’émission se déroule chaque mercredi à partir de 11 h sur les ondes de CHYZ 94,3. Si vous voulez participer, écrivez-nous directement à l’adresse suivante : communications@aelies.ulaval.ca
En ce qui concerne le service d’accompagnement en droits étudiants de l’AELIÉS, celui-ci comprend : -un accompagnement et des conseils en matière de droits étudiants par courriel ou lors de rencontres;
-une aide lors d’exclusion de programme;
-une aide lors d’accusation de plagiat (explication des procédures et aide au besoin, participation en tant qu’observateur. trice au Comité de discipline si l'étudiant.e le souhaite);
-de l’information et une aide concernant les révisions de note;
-une aide lors de situations de conflit avec des professeur.es, notamment lors d’encadrement à la recherche;
-une possibilité d’aide lors de la recherche d’informations relatives à un service de l’Université Laval.
Pour accéder à ces services, voici les horaires :
-à l’AELIÉS : le mardi et le jeudi de 9 h à 12 h et de 13 h à 17 h ainsi que le mercredi de 9 h à 12 h;
-à distance : le lundi de 10 h à 14 h ainsi que le mercredi de 13 h à 17 h.
Se brûler les doigts
C’est dépassé Baie-Comeau et même Godbout, ce n’est pas très loin du phare de Pointe-des-Monts, mais moins proche du fleuve, plus dans les terres. Une fois, en s’y rendant avec papa, on a vu un bébé ours sur le chemin. Moi aussi, si j’étais un bébé ours, je me tiendrais dans les bleuetières. C’est parce que y’a eu un incendie y’a quelques années ici que y’a une bleuetière me dit papa. Je dois avoir 10 ans ou plutôt 11 comme c’est l’été, et je ne comprends pas le lien que mon père tente de faire, mais ça y est, pour toujours, j’associerai le feu aux bleuets.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chefJ’ai sept ans, mon frère me montre à éteindre une chandelle avec ses doigts. Il les lèche d’abord, puis pince le haut bleuté de la mèche. À ton tour. Je lèche mes doigts longtemps, je compte jusqu’à trois dans ma tête, à go, j’approche rapidement mes doigts en pince, mais à quelques millimètres de mon objectif, je sens une chaleur que mon corps semble être incapable de ne pas fuir. Aujourd’hui encore, je passe mes doigts dans les flammes, mais la mèche bleue, j’évite.
J’ai huit ans, je suis au lac Humqui. Il fait noir, je porte un chandail de laine que mamie m’a tricoté. Il y a un trou près de l’épaule droite depuis hier, un tison a fini sa course à la jonction du vert et du brun. Ma tante Suzanne beurre une tranche de pain et l’installe dans son petit compartiment de métal avant de me tendre la tige. Je l’approche près des flammes, mais je sais que comme les guimauves, le pain cuit mieux près des braises.

Les braises, c’est plus chaud que les flammes, jamais dans l’eau si un adulte ne surveille pas, ce sont là toutes les certitudes de mon été au lac.
J’ai neuf ans, je suis chez papa cette semaine. Je descends de mon lit mezzanine avant que mon père n’ait à me réveiller, je traverse le court couloir et atterris dans le salon. Je m’assois sur le divan, mes pantalons de pyjama arrivent à la mi-cuisse et je n’aime pas la sensation gaufrée du divan sur ma peau. Papa arrive de la cuisine, il passe derrière le meuble, lève mes jambes, s’assoit et les repose sur lui. C’est rien de grave, mais y’a eu un feu hier soir dans le bloc de ta mère. Ta mère et ton frère vont bien, André aussi, le reste du bloc, l’appartement aussi. C’est seulement le voisin d’en bas. Je ne dis rien, estce qu’on peut avoir peur de quelque chose qui s’est déjà produit ? Quelques jours plus tard, j’apprendrai que le voisin d’en bas s’est endormi
et qu’un mégot de cigarette a enflammé le divan, il était déjà mort à l’arrivée des pompiers. J’apprendrai aussi que mon frère et ma mère ont dû sauter par-dessus les flammes de l’escalier pour descendre, l’image la plus nette que je n’ai jamais vue. L’odeur de la fumée n’est jamais partie, les coulisses noires au rez-de-chaussée non plus, les fenêtres du voisin mort sont restées placardées jusqu’à ce qu’on déménage en juillet de cette année-là.
J’ai 10 ans, je suis avec maman, mon frère, mon beau-père, mamie et papy, c’était juste avant qu’ils ne deviennent très vieux. On est dans le sous-sol du Bungalow à L’Ancienne-Lorette, papy me laisse mettre les bûches dans le foyer, je joue avec la tige de fer pour faire tomber les bûches et les voir se rompre dans un éclat de cendres. C’est l’heure des cadeaux ou l’heure des cadeaux est passée, il fait une chaleur sèche

et absorbante, ce sera le dernier Noël avec mon frère.
J’ai 13 ans, maman plaque mes cheveux avant de partir pour l’école. Elle n’accroche jamais mes oreilles, je ne suis pas crispée. Il me semble que tous les fers plats sentent toujours le brûlé. À peine est-il éteint que ma mère le débranche. Il faut aussi attendre qu’il refroidisse avant de le mettre dans l’armoire.
J’ai 16 ans, je suis à la baie de Beauport avec les gens de ma classe. Ça fait 5 ans qu’on est ensemble. Les examens sont finis. On fait un feu, mais je pense qu’on n’a pas le droit. On brûle nos notes de cours. Je pensais que ce serait ça un feu de joie, mais si c’est ça, je suis déçue. Les gars éteignent ce qu’il reste de flammes avec de la Pabst. La moitié de nos feuilles n’ont pas brûlé à cause d’eux, je les aurai détestés jusqu’à la fin.
J’ai 21 ans, il y a une série d’incendies criminels dans Limoilou. J’ai peur que la maison de Béatrice fasse partie de la liste.

J’ai 25 ans, la fleuriste ferme dans huit minutes, j’ai le temps de me rendre, je sais qu’elle a reçu un nouvel arrivage de chandelles. Feu doux. Je dépasse les quelques portes qui me séparent de la toute petite boutique. J’entre, tout est tellement exigu que je ne fais pas dix pas que je suis déjà près de la caisse avec les chandelles. Il n’y a que quatre odeurs, je choisis jasmin et cèdre. L’option du pourboire est automatique sur le terminal de paiement, je doute, doit-on laisser du pourboire sur les chandelles chez une fleuriste ? Je ne prends pas de chances, j’en laisse. 34$ plus tard, je suis chez moi, je prépare des bols poké, je mets un peu de parfum. Je ne laisse que la lumière du poêle ouverte et j’allume quatre chandelles. À la dernière, celle que je viens d’acheter, le dessus du briquet commence
à me brûler le pouce, mais je persiste jusqu’à voir la mèche en bois commencer à se noircir. Je me rappelle les mots de la fleuriste, il faut mettre le couvercle pour l’éteindre, pas souffler dessus et moi qui lui ai répondu, oui, le triangle du feu, couper l’oxygène, une notion de début de secondaire revenue comme ça à moi. Je m’assois en attendant que ma copine rentre du travail. Je regarde la cire de la chandelle couler sur le chandelier qu’elle a fait.
Toute la cire s’accumule de façon informe. Je passe un doigt dans la flamme, la prive un peu en oxygène, elle oscille, c’est moi qui la menace, elle qui brûle des maisons, qui crée les bleuetières. Elle tremble un peu, je joue avec la cire qui avale mes empreintes. Quelque chose comme un entre deux, quelque chose qui attire, qui rend fébrile, qui aspire et qui recrache, quelque chose qui détruit et reforme, quelque chose de dangereux et de prometteur.
La ruine : universelle, intime, intemporelle
La ruine, ce terrain si vaste dont je n’avais certainement pas mesuré l’étendu et la portée avant d’y poser le pied. Sans prétention, cet article n’en est pas un exhaustif. C’est plutôt grâce à divers entretiens et exemples qu’il tentera de saisir ce motif en arts et en littérature à travers les époques et les genres, par le prisme de représentations, de temporalités et d’interprétations singulières. Sans grande présentation ni conclusion, quelques fragments seulement.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu, cheffe de pupitre aux arts

Apogée, temporalités et projection : entretien avec Anne-Julie Richard
Avant de faire le grand saut, je trouvais pertinent d’envisager la ruine selon une perspective historique plus large des arts visuels. Lors de notre entretien en ligne, Anne-Julie Richard, chargée de cours et doctorante en histoire de l’art à l’Université Laval, m’explique que malgré la récurrence du motif à travers de multiples époques, « la ruine connaît son apogée aux 18e et 19e siècles, et ce n’est pas un hasard. » Effectivement, « à la suite des premières fouilles archéologiques des sites de Pompéi et d’Herculanum, on redécouvre l’Antiquité sous des formes fragmentaires. L’Antiquité se présente donc sous forme de ruines, et elle fascine toute la communauté intellectuelle et artistique européenne. À ce moment, l’art visuel est contrôlé par le système académique, c’est-à-dire que l’académie comme institution est responsable de l’enseignement de l’art. Par cet enseignement, elle transmet tout un système de valeurs en hiérarchisant les pratiques artistiques, en fonction des médiums, des formats, des genres, par exemple. Dans ce contexte, la peinture de ruines devient un genre autonome au même titre que le paysage ou encore que la nature
morte. Il y aurait donc le.la peintre paysagiste, mais également le.la peintre ruiniste. Le genre de la ruine se hisse juste au-dessus du genre du paysage : il serait considéré plus complexe en raison d’un ensemble de lignes brisées, plus dynamiques et difficiles à représenter. Ainsi, la ruine constitue un réel phénomène de mode au 18e siècle. On peut entre autres penser aux grands jardins des vieux palais européens tels Versailles ou Schönbrunn, qui se dotent de ruines artificielles, soit des ruines construites de toutes pièces. Cela va faire débat, mais on le fait pour encourager les visiteur.euses à ressentir l’expérience de la ruine, même si elle était complètement mise en scène. De plus, les 18e et 19e siècles, qui représentent l’époque de l’apogée de la ruine, constituent le moment des premiers mouvements artistiques en arts visuels. Ce seront donc le néo-classicisme et le romantisme qui se déploient sur l’ensemble du continent européen. La ruine devient un motif récurrent autant dans l’un que dans l’autre, et se module en fonction des deux mouvements. Néanmoins, elle demeure essentiellement la même ruine qui converge vers le même genre d’expérience, à la fois mélancolique et sublime. »

Mais qu’en reste-t-il depuis le dernier siècle ? C’est qu’il y a eu, à l’époque contemporaine, un changement de paradigme face à la manière d’appréhender la ruine, de la représenter, et plus encore face aux discours et aux réflexions qu’elle met en œuvre.
« Alors que la ruine se faisait aux 18e et 19e siècles le réceptacle de méditations philosophiques sur le passage du temps, la ruine du 20e siècle permet quant à elle de refléter les ravages de la guerre. De manière très simple, on peut dire qu’il y a deux types de ruines : une ruine du temps et une ruine de la guerre. Dans le champ artistique, on remarque un déplacement au cours du dernier siècle.
Si, aux 18e et 19e siècles, on valorise davantage la ruine du temps en raison d’une expérience qui serait doucement mélancolique, on se montre également très critique face aux ruines créées par la guerre qui produiraient des pensées terribles, une expérience affective plus désagréable. Ce n’est pas quelque chose que l’on aurait souhaité voir dans des jardins, par exemple. Au 20e siècle, la tendance s’inverse. Le motif de la ruine devient un outil qui nous permet de parler de la guerre.

Ce que j’avance dans mon mémoire de maîtrise, c’est qu’il y aurait un troisième type de ruine. Il est toutefois difficile d’en attester, parce que c’est une forme qui se déploie actuellement. J’ai tout de même observé, chez trois artistes québécois, le recours au motif de la ruine non pas pour discourir sur un passé qui s’évanouit lentement ou un présent de décombres et de catastrophe, mais plutôt pour exprimer une véritable anxiété quant au futur. C’est ce qu’on pourrait appeler l’écoanxiété ou la solastalgie. Je crois que c’est une peur qui gagne les esprits de notre génération et que la ruine se fait justement un miroir fantastique de cette peur. »
Malgré l’émergence de ces deux types de ruine, il faut comprendre que l’apparition de nouveaux modes de représentation ne rend pas nécessairement les précédents caducs et inutiles : il faut plutôt les concevoir dans une optique de cohabitation, comme quoi l’un ne remplace pas l’autre. En ce sens, la ruine du temps conserve ainsi de sa force et de sa portée, et, surtout, renvoie au principe d’entropie, une notion fort éclairante lorsque vient le temps de comprendre le symbole de la ruine et son ampleur :
« Il faut savoir que j’utilise souvent l’entropie pour parler de la ruine du temps, type omniprésent aux 18e et 19e siècles, bien que, selon moi, elle survive encore sous des formes élargies à l’époque contemporaine. L’entropie est en fait un principe physique transposé au champ de l’art qui correspond au retour de toute chose à l’état d’indistinction. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’entropie existe bien avant sa théorisation par la physique : elle est là avant que l’on soit capable d’en parler. Elle serait l’une des lois naturelles qui organisent notre monde. On la retrouverait même depuis la genèse : pour moi, quand Dieu dit à Adam ‘‘Tu es né de la poussière et tu redeviendras poussière’’, c’est un moment où on retrouve cette idée d’entropie, bien qu’on ne l’aborde pas comme telle. On retrouve également cette notion du côté des ekphrasis de Diderot sur les ruines du peintre Hubert Robert. Encore une fois, elle n’est pas nommée directement. Je pense cependant que c’est d’elle que Diderot nous parle lorsqu’il affirme que tout périt, que tout s’anéantit et que tout passe devant les ruines de Robert. »

Jusqu’à présent, il m'apparaît que la ruine, d’abord et avant
tout, est intimement liée au temps, comme si, de nature, ils étaient indissociables : « Face aux ruines ou à leurs fragments en définitive, nous laissons nos fantasmes peupler un temps devenu matériau onirique, un temps décomposé et recomposé, un temps sorti de ses gonds. Bribes de mondes ou traces mnésiques, les ruines n’en finissent pas de virtualiser passé, présent et avenir. » (Bozzetto, 2001). La ruine peut certes se faire porteuse de temps, mais il semble qu’il y aurait, selon Anne-Julie, une nuance à prendre en compte : « Je ne crois pas que le rapport au temps des ruines soit si particulier qu’on aimerait le croire. Par contre, je pense que la ruine à une façon particulière de manifester son rapport au temps. Cela peut s’expliquer par une théorie que Daniel Arasse a exposée dans ses Histoires de peintures, une série d’entrevues radiophoniques. Pour lui, l’objet d’art, peu importe lequel, possède toujours trois temps. À l’extrême du spectre temporel, il y aurait le temps de la création de l’objet d’art; de l’autre, il y aurait le présent, c’est-à-dire le temps dans lequel on peut rencontrer l’objet d’art. Entre ces deux pôles, il y aurait un troisième temps, celui de l’Histoire, du temps qui s’est écoulé entre la création et le présent. En
fréquentant la théorie de Arasse, on réalise que la ruine est un objet comme un autre et qu’elle comporte elle aussi trois temps. Ce qui la distingue des autres objets est plutôt sa fonction signalétique, soit la façon dont le troisième temps, celui de l’Histoire, a marqué matériellement la ruine. On connaît bien la différence entre le temps de la création, où on imagine un bâtiment dans un état de complétude, et la ruine qui se présente à nous dans une forme fragmentée. C’est à l’aune de cette matérialité que la ruine semble indissociable de son histoire, parce qu’elle porte son histoire à même sa matérialité.
En mettant de l’avant ces rapports avec le temps, la ruine ouvre tout un champ de réflexions. Quand on se penche sur le passé de la ruine, on en vient inévitablement à réfléchir à son futur, qui, on le réalise rapidement, serait le miroir du passé. La ruine se veut ultimement un objet de méditations philosophiques, un objet devant lequel on s’arrête pour réfléchir. Plus on réfléchit devant la ruine, plus on constate à quel point elle permet de nouer ensemble une pluralité de temporalités. »
Plus encore, si la ruine peut souvent apparaître comme un symbole de destruction et être synonyme de l’apocalypse, ne peut-elle pas entretenir un rapport au passé de manière moins fataliste ? C’est que, justement, il y aurait plus doux, plus léger à la ruine que le goût amer du monde après sa fin : « Je crois que c’est d’ailleurs le premier mode d’opération de la ruine, en ce sens qu’elle peut opérer une mélancolie beaucoup plus douce. Une des grandes forces de la ruine est sa capacité à nous confronter à notre propre oubli. La ruine est fondamentalement discursive : le passé et l’Histoire seraient ses principaux objets de discours. D’un point de vue sémiologique, la ruine est porteuse d’une série d’indices ou d’empreintes du passé. Si on a la capacité d’identifier les marques de l’Histoire sur la ruine, on demeure incapable de les comprendre avec précisions. On ne sait pas exactement quelle main a retiré quelle pierre ni comment, précisément, la ruine s’est formée. J’ai argumenté par le passé que la ruine devait être comprise comme un signe dysfonctionnel, car elle essaie de discourir à l’extérieur d’elle-même, elle tente constamment de nous renvoyer à quelque chose qui n’est pas elle. Ce quelque chose est tombé dans l’oubli, et, en ce sens, il ne cessera

jamais de nous échapper. Les seuls objets de discours de la ruine deviennent ainsi des concepts philosophiques particulièrement difficiles à appréhender concrètement – le temps, l’Histoire, le passé. En cela, je pense que la ruine est capable, en nous arrachant notre mémoire, de recréer une forme de désir. C’est un mouvement psychanalytique dans lequel on se met à désirer ce qui se soustrait à notre regard. Ce serait donc ultimement ce rapport à la fois à la mélancolie et au désir qui nous permettrait de recréer avec notre patrimoine, par exemple. Étrangement, la ruine peut être une très belle façon de mettre un élément en valeur, de nous donner envie de regarder à nouveau et de fouiller, même en sachant que la quête est un peu vaine. »
La ruine, assurément, nous permet de poser le regard sur un temps révolu. Pourtant, et vous l’aurez compris, la ruine est également complexe et polyvalente, et il ne faudrait pas la réduire à l’état de nostalgie, de vestige du passé : « Si on considère la ruine comme un arrêt sur image, comme plusieurs l’on fait avant nous, on voit que la ruine ouvre à un passé, mais aussi à un futur. Encore une fois, Diderot dira devant les ruines d’Hubert Robert : “Je marche
entre deux éternités”. D’ailleurs, ce peintre du 18e siècle, que l’on nomme “le Robert des ruines”, offre le meilleur exemple de l’articulation entre ce passé et ce futur. S’il peint des ruines gréco-romaines, sa grande innovation est surtout de peindre des ruines anticipées. Un jour, alors qu’il était conservateur au musée du Louvre, Hubert Robert décide de peindre la grande galerie du Louvre en ruines. Pour la première fois, on ne jette pas un regard sur les ruines laissées par d’autres civilisations, mais plutôt les ruines de notre propre civilisation qu’on imagine désormais.» Et, pour comprendre l’émotion suscitée par la ruine et revenir sur cette essentielle entropie, ce serait elle qui permettrait de « faire le lien entre les pierres et les corps. Quand on prend conscience que la ruine nous donne à voir les règles qui organisent notre monde, plus précisément la progressive érosion de toute chose, on réalise que si ces règles s’imposent à d’énormes constructions en pierres qui devraient être plus solides et pérennes que nous, c’est qu’elles s’imposent à nous aussi. Autrement dit, si le temps parvient à dissoudre la grande galerie du Louvre, il arrivera aussi à nous réduire en poussière. Pour cette raison, la ruine est investie d’une

véritable projection anthropomorphique. Je crois que c’est à l’aune de cette projection que la ruine parvient à tirer sa pleine puissance affective. »
D’ailleurs, c’est probablement cette capacité de la ruine à rejoindre les gens et à les émouvoir qui peut expliquer « sa longue survivance, sa réminiscence – même sous des formes détournées – à travers tous les temps de l’histoire de l’art » (Richard, 2021, p. 54) : « L’on trouve dans la ruine non seulement un long mouvement de survivance, mais aussi une capacité à se réactualiser, puisqu’elle traite d’enjeux que l’on considère comme universels, telles notre propre finitude ou notre place dans l’univers. Elle soulève également des expériences affectives intemporelles comme la mélancolie et le sublime, qui sont les deux grandes traditions philosophiques, voire phénoménologiques utilisées pour penser la ruine. Cela fait en sorte, selon moi, que les ruines du 18e et du 19e siècles ont encore la capacité de résonner avec nos préoccupations. Par contre, je crois aussi que les ruines ont une capacité à se renouveler pour se coller aux préoccupations de notre époque : elles sont capables de venir se faire symptômes de quelque chose de plus précis, de plus contingent. En ce moment, notre époque apparaît particulièrement préoccupée par son futur, qu’elle entrevoit quelque peu sous le prisme de l’apocalypse en raison de la crise climatique qui s’accélère. La ruine récupère ces inquiétudes pour se réactualiser. Il y a donc à la fois une ruine qui survit et une ruine qui nous reprend ces mêmes sujets, qui sont déplacés et précisés pour parler plus intimement de nous. C’est de cette façon que la ruine tire sa capacité à être tant universelle que spécifique et intime, surtout. »
Ruine arcanienne : poétique du désastre dans Folle de Nelly Arcan
« Sortie meurtrie d’une relation amoureuse avec un journaliste d’origine française, narcissique et consommateur de cyberpornographie, Nelly, ancienne prostituée et écrivaine, écrit une longue lettre à l’être aimé; le point final du texte est posé la veille de son suicide. Dans cette lettre, Nelly raconte notamment les différentes étapes de la relation amoureuse, de la rencontre à la période fusionnelle en passant par l’essoufflement, l’éloignement et enfin la rupture » (NellyArcan.com, par. 2).
Si la question des corps, de l’antiérotisme et de la féminité comme construction sociale semble occuper la majeure partie de l’œuvre (au masculin) d’Arcan et de sa réception critique, très nombreuses sont les lectures priorisant un
angle thématique, sociologique ou inutilement biographique. Pourtant, l’autrice est également reconnue pour son travail esthétique et formel, composantes que les précédents réflexes de lecture tendent à voiler. Je me suis donc penchée, la session dernière, sur ses textes à titre de systèmes autonomes et, de ce fait, sur les mécanismes d’écriture d’Arcan (réflexion, je l’admets, que je récupère en partie. Hourra.).
Dynamiques langagières et enjeux thématiques Folle, avec étonnement peut-être, se porte particulièrement bien au sujet qui nous intéresse, puisque qu’elle rend justement compte d’une poétique du désastre et de la ruine. Ce qui frappe lors d’une première lecture, c’est la manière dont la narratrice instaure d’emblée une atmosphère qui évoque le déclin en exposant aux lecteur. rices, dès les premières pages, comment elle envisage son rapport au passé ainsi qu’à un avenir crépusculaire et assurément désastreux :

«
À Nova rue Saint-Dominique où on s’est vus pour la première fois, on ne pouvait rien au désastre de notre rencontre. Si j’avais su, comme on dit la plupart du temps sans dire ce qui aurait dû être su au juste, et sans comprendre ce que savoir à l’avance provoque le pire, si on avait pu lire dans les tarots de ma tante par exemple la couleur des cheveux des rivales qui m’attendaient au tournant et si de l’année de ma naissance on avait pu calculer que plus jamais tu ne me sortirais de la tête depuis Nova… Ce soir-là rue Saint-Dominique, je t’ai aimé tout de suite sans réfléchir à la fin programmée depuis le jour de mes quinze ans, sans penser que non seulement tu serais le dernier homme de ma vie, mais que tu ne serais peutêtre pas là pour me voir mourir. Quand on s’est mieux connus, c’est devenu un problème; entre nous, il y avait l’injustice de ton avenir. [...] D’ailleurs si mon grand-père avait été là, à Nova, rue Saint-Dominique, il m’aurait poussé dans tes bras pour donner plus d’élan au désastre; mon grand-père croyait à la beauté des accidentés » (Arcan, 2004, p. 1-2).
Déjà, la narratrice semble formuler une sorte de mise en garde qui s’articule autour de l’anéantissement du sujet, martelant l’impossibilité de reprendre son souffle qui la poursuit sans cesse depuis son adolescence. Enchaînant en un court segment les expressions « désastre », « provoque le pire », « fin programmée », « dernier homme de ma vie », « mourir », « problème », « l’injustice de ton avenir », « accidentés », ce récit en est clairement un de la mort. Mais si l’incipit est écrit a posteriori en mode « post catastrophe » (Clermont, 2019, p. 24) ou post-désastre –notamment grâce l’écart que provoque la comparaison
entre un avant naïf parsemé de « si j’avais su », et une issue tragique –, nombreuses sont les interventions au fil du roman qui montrent une évolution dans sa manière de percevoir sa relation et dans la manière dont la dégradation se met en place, s’impose :
« Si j’ai fait ces choses-là avec toi, c’est peut-être parce que j’ai fini par comprendre que tu serais le dernier à me toucher » (Arcan, 2004, p. 29).
« À ce moment, ton inquiétude me réconfortait, pendant cette période-là, j’ai cru pouvoir vivre au-delà de mes trente ans » (Arcan, 2004, p. 34).
« Avec toi j’ai connu des moments d’engourdissement que connaissent ceux qui sentent venir la mort » (Arcan, 2004, p. 38).
C’est ce caractère qui relève de l’anticipation, de la préparation, mais surtout de la projection, modulant son rapport au devenir plus qu’à l’avenir, qui renforce l’idée du désastre et de la condition qui s’empire. La fin ne se présente pas et ne tue pas tout de suite, elle est trompeuse, elle s’installe insidieusement, s’immisce partout et invite à l’effondrement graduel, ce que soutiennent également les verbes utilisés. En effet, il ne s’agit pas uniquement de concevoir la mort comme un point d’arrivée fixe et cristallisé, mais de l’envisager comme un acouphène, quelque chose qui accompagne ou qui pourchasse, voire qui hante, en ceci qu’elle invite à prendre en compte les moments qui pèsent avant l’instant fatidique, par les mécanismes d’une écriture testamentaire, entre autres. Les références au désastre en train d’advenir et à la destruction abondent dans le roman, rappelant constamment l’idée du compte à rebours qui pèse sur son existence et sa relation avec l’amant.
Mais plus qu’un champ lexical et qu’un vocabulaire qui répètent sans cesse la perte, le désastre et la mort en faisant référence au passé, c’est par sa syntaxe coulante comme le nœud qu’Arcan participe de l’aliénation et de l’essoufflement de sa narratrice et des lecteur.rices, dans une logique d’accumulation, d’insistance, d’amplification et d’emportement morbide par gradation ascendante, et ce, en raison de la logique de libre association et de digression à laquelle elle obéit. Ses phrases reflètent ses pensées et son état d’esprit, et nous entraînent avec elles dans leur spirale. Néanmoins, le travail de la langue chez Arcan, au-delà des considérations esthétiques et stylistiques qu’il sous-tend, traduit la posture fataliste de la narratrice et participe du tissage, en toile de fond, de tout
un imaginaire nihiliste, auquel le roman en vient à se soumettre. C’est un mode de pensée qui berce son écriture en ceci que « [pour certaines personnes comme elle], la question du choix à faire ne se posait pas parce qu’elles étaient tout simplement guidées par la voix du néant » (Arcan, 2004, p. 71). Il y a là toute une dimension cosmique rattachée à l’accomplissement du destin, motif récurrent qu’Arcan déploie grâce à certains personnages-anaphores (Clermont, 2019, p. 53), tel le père de l’amant ou sa tante. Le premier, lui-même fasciné par le cosmos, se pose plus directement comme métaphore de la mort qui, inévitablement, adviendra, alors que la seconde, quant à elle, évoque plutôt le tarot et les oracles, qui pourchassent la narratrice depuis l’enfance par leur mutisme divinatoire, bien qu’elle s’y soit résolue : « Depuis que je suis toute petite, j’ai l’habitude d’être mise en face du manque de preuve de mon existence et je crois qu’aujourd’hui c’est beaucoup plus embarrassant pour les autres que pour moi» (Arcan, 2004, p. 92). Au fil de la narration et de la lettre qui progresse, elle multiplie les allers-retours et mobilise à répétition ces références au cosmos, s’en remettant aux forces et aux instances plus grandes que soi, à la fatalité des astres. Comme quoi son anéantissement ne se résumait pas à une forme de pessimisme, mais qu’il était naturel, souhaité, souhaitable et attendu, les métaphores participant de ce fait de son esthétisation.

Mise en scène du sujet, construction narrative et écriture mortifère
L’entreprise d’écriture de la narratrice, qui se traduit par une démarche épistolaire à une voix avec le modèle de la lettre portugaise, par laquelle « [la] femme qui écrit cherche à atteindre autrui : son destinataire, son amant. Mais à mesure que les lettres se suivent et s’accumulent, la nature précaire de cette communication épistolaire et amoureuse se dévoile de plus en plus, et, après avoir passé par des stades intermédiaires, le discours finit par se révéler comme la parole solitaire d’une passion non réciproque. » (Carrell, 1982, p. 12), est également révélatrice. En effet, les échanges qui auraient pu être possibles en empruntant à l’épistolaire à deux voix ou au polyphonique ne combleraient pas les visées de la narratrice qui tente, en filigrane, d’étirer la relation désastreuse. Si elle est fataliste et place d’emblée son avenir entre les mains d’un destin mortifère, la lettre lui permet de reprendre une forme de pouvoir en s’octroyant une prise de parole qu’elle n’a pas pu avoir dans le cadre de la relation, en s’inscrivant dans « le registre du dernier mot » (Clermont, 2019, p. 21).
La lettre se pose aussi comme mise en scène du sujet écrivant en ceci qu’elle permet à la narratrice de jeter un
regard sur sa relation passée et sur son suicide programmé pour ses trente ans, procédant d’un agencement discursif et énonciatif de l’ordre du commentaire à retardement. En faisant l’inventaire des étapes de la relation, la narration témoigne d’une mise en récit qui s’articule autour de jeux et d’enchâssements temporels complexes contrôlés par la rédactrice, qui se promène entre le passé, le présent et le futur dont la fin fatale est connue d’avance, constituant ainsi une triple tension. C’est notamment par cette tension que s’effectue et se justifie la mise en scène du sujet écrivant, celle d’une Nelly qui « met en scène dans la lettre de suicide son moi “posthume” (Volant), c’est-à-dire l’image savamment construite qu’elle veut laisser dans la mémoire et dans l’imaginaire des survivants après son décès. La protagoniste choisit comme personnage posthume l’amoureuse épistolaire, celle qui, au “nom du grand amour [...] donn[e] [s]à vie comme on dit quand on veut faire comprendre aux enfants que l’amour se paye au prix fort.” (Arcan 2004: 21) » (Savignac, 2017, p.8).
Cette mise en récit, traversée de temporalités plurielles, est entre autres portée par la volonté d’une démarche qui se veut restitutive et pleine de réminiscences, et ce, à partir des ruines métaphoriques du passé. Au-delà du choix déterminant que représente la lettre portugaise à une voix en donnant un accès exclusif à l’intériorité de la narratrice, cet échange unidirectionnel lui permet de se situer entre éloignement et rapprochement, en ceci que même si la présence de l’amant est éphémère, elle peut sans cesse se rejouer à la lecture de la lettre : « [l]a lettre est souvent présentée comme bienfaitrice parce qu’elle met en œuvre une illusion, illusion de présence, illusion de dialogue, voix recréée dans le silence d’une lecture muette. Sa force est celle de la compensation. » (Haroche-Bouzinac, 1990, p. 70).
Plus encore, Folle est un roman épistolaire qui constitue une lettre d’amour après l’amour. Il y a là une énonciation de l’après-coup qui se construit sur la rupture et l’échec de la relation. Elle se raccroche à ce qui n’est plus, enracinant son récit dans la douleur d’un temps passé. Surtout, ce n’est pas l’amour qui motive la narratrice à mener sa lettre à terme. En revenant sur ce qui s’est effondré et aboutissant à la rupture, elle met plutôt en place une poétique de la ruine et du désastre, qui, plus encore, se construit à partir de ce qu’elle était, elle, et de ce qu’elle n’est plus.
« Qui sait si à force d’avoir été touchée, léchée, prise
de tous les côtés, il ne se dégageait plus de moi qu’une odeur de terre brûlée. » (Arcan, 2004, p. 107)
« Mes cheveux qui étaient ce soir-là de couleur naturelle, c’est-à-dire ni bruns, ni blonds, en faisaient partie, mais ils n’avaient rien à voir au fond, ils n’étaient que la pointe de l’iceberg comme on dit quand on veut mettre en garde les aventuriers, quand on veut leur faire comprendre que certaines choses s’épanouissent vers le bas des profondeurs où elles prennent en secret des proportions monstrueuses. Dans le miroir j’ai d’abord examiné mes cheveux sans couleur pour ensuite m’attarder sur les rougeurs qui me couvraient le nez et les joues, et bientôt, il n’y a plus eu dans le miroir que des parcelles de laideur qui se décomposaient dans une variété de tons vers l’infiniment petit. » (Arcan, 2004, p. 154).

Ultimement, avec l’amour et la relation qui se terminent, l’écriture commence. Par ailleurs, l’acte d’écriture ne naît pas dans l’amour, il est d’abord une marque de douleur et de souffrance, comme la narratrice trouve, dans le bonheur de cet amour, l’incapacité d’écrire. De cette manière, l’entreprise d’écriture morbide de la narratrice, point culminant, lui octroie un nouveau pouvoir d’action : elle lui permet de reprendre une forme de contrôle sur la relation terminée, certes, mais elle lui permet surtout une prise de contrôle sur son existence par sa mort programmée. Paradoxalement, on réussit malgré son fatalisme à déceler en elle une forme de libre arbitre, quoique limité et à l’image d’une passivité active : « Il est également prouvé que les gens malades comme moi se prennent eux-mêmes comme cobayes, non pas pour guérir, mais pour ne pas rester passif dans la destruction, c’est une question de dignité » (Arcan, 2004, p. 108). Pour reprendre les mots de MarieMichelle Hovington, « son unique recours pour [s’ancrer] et se positionner face à la vie est de prendre en charge sa mort. » (Hovington, 2013, p. 53). La lettre recouvre en ce sens une double fonction en en étant également une du suicide annoncé.
Mais un autre paradoxe semble émerger de la démarche d’écriture de la narratrice : « [P]uisque le sujet se doit de livrer témoignage; toutefois, témoigner accentue la douleur, meurtrissant toujours et davantage le témoin. Ainsi, tout travail de création engendré à la suite d’un événement douloureux est illustré dans la pratique littéraire contemporaine par sa nature mortifère: le sujet n’y trouve ni réconfort ni libération. Revivre cet événement l’y enfonce davantage et permet à sa souffrance de perdurer » (Hovington, 2013, p.53). La narratrice tient à plusieurs
reprises un métadiscours sur son écriture et les façons dont elle est associée à quelque chose de fataliste et, encore une fois, rattachée à la ruine et au désastre : « il me semblait que ce rêve d’écrire trouvait son origine dans un malentendu, celui de l’autonomie et de la libre expression claironnant la vérité ; il me semblait qu’en écrivant on ne libérait rien du tout, que plutôt on s’aliénait, qu’on se mettait la corde au cou » (Arcan, 2004, p. 172). Si la lettre témoigne de son désir de mort, elle l’y mène également. Par la lettre de suicide, la narratrice accentue l’horizon de la mort qui se met à l’œuvre dans tout le roman et scelle son destin, son avenir depuis toujours impossible.
« Il me semble aussi que cette lettre est venue au bout de quelque chose ; elle a fait le tour de notre histoire pour frapper son noyau. En voulant le mettre au jour, en voulant y entrer, je ne me suis que blessée davantage. Écrire ne sert à rien, qu’à s’épuiser sur de la roche ; écrire, c’est perdre des morceaux, c’est comprendre de trop près qu’on va mourir. De toute façon les explications n’expliquent rien du tout, elles jettent de la poudre aux yeux, elles ne font que courir vers un point final. Cette lettre est mon cadavre, déjà, elle pourrit, elle exhale ses gaz. J’ai commencé à écrire le lendemain de mon avortement, il y a un mois. Aujourd’hui, ça fait exactement un an qu’on s’est rencontrés. Demain, j’aurai trente ans. » (Arcan, 2004, p. 205).
Il y a là une forme de confirmation de la fin, du désastre abouti, du paroxysme de la ruine, qui fait de son écriture une écriture mortifère, même si, dans les faits, la fin de la lettre ne confirme rien, si ce n’est que la fin du temps présent. Mais plus important encore, la question du suicide en soi n’est pas centrale : elle permet plutôt, corollairement, de mieux saisir la fin en devenir à laquelle correspond Folle dans cette idée de la décrépitude, du désastre et des astres qui, depuis toujours et pour toujours, sont de mauvais augure.
Univers science-fictionnels : échange par écrit avec Richard St-Gelais
Encore une fois, c’est ma formation universitaire qui a su m’inspirer cette section sur la ruine science-fictionnelle. En me remémorant mon cours sur les femmes en sciencefiction donné par Richard St-Gelais, professeur au Département des littératures de l'Université Laval, j’ai tout de suite pensé à lui, en me disant qu’il risquait d’avoir des réponses à mes questions, qu’il saurait m’éclairer.
Impact Campus : Lorsqu’on parle de science-fiction, on a beaucoup tendance à penser aux dystopies, aux récits d’anticipation ou (post)apocalyptiques, à quelque chose qui relève du futur et du monde après sa fin, toujours dans cette relation entre le monde que l’on connaît et un monde nouveau, un monde en ruines et un monde meilleur ou un monde à refaire. Si ces modèles semblent, au premier regard, plus propices à traiter du motif de la ruine, du désastre ou de la destruction, quels sont les autres types de récits science-fictionnels qui permettent de mettre en lien la réalité et la fiction, le « hier » et le « demain » ?
Richard St-Gelais : Mon dieu, à peu près tous les récits de science-fiction font cela d’une manière ou d’une autre. Tout dépend évidemment de ce qu’on entend comme lien. On imagine spontanément une relation d’anticipation : un texte écrit à un moment x décrit un état futur de la société, un moment x + n ; par exemple, on publie en 1952 – ou en 2052... – un roman qui se passe en 2097. Mais dans ce texte, 2097 n’a rien de futur : c’est le temps de référence des personnages et de la narration, un présent par rapport auquel notre présent de lectrices et de lecteurs devient un passé, parfois lointain. La perspective temporelle s’inverse.

Certaines œuvres tablent précisément là-dessus pour confronter les personnages à des ruines qui sont tout ce qu’il reste, dans le monde futur, de notre monde. C’est, pour prendre un exemple cinématographique célèbre, les dernières images du film La Planète des singes (le premier, celui de 1968) où le protagoniste, un humain qui se croit sur une autre planète, découvre la Statue de la Liberté à moitié enfoncée dans le sable. Il comprend alors – comme nous, spectatrices et spectateurs du film – que toute cette histoire se passait sur Terre. Ce qui est intéressant, par ricochet, ici, c’est que le passé de notre visionnement doit être repensé : nous imaginions depuis le début une autre planète ; nous devons dorénavant « réécrire » mentalement le film à partir d’une révélation qu’il a bien pris soin de garder pour la toute fin.
Un exemple plus subtil est celui du roman City (Demain les chiens) de Clifford D. Simak (1952), qui se passe dans un futur tellement éloigné que les humains ont disparu, ayant quitté la Terre pour d’autres planètes, et où les chiens qui sont restés ont développé intelligence et langage. Mais pour ces chiens, l’existence des humains, dans le lointain passé, n’est plus qu’une légende... Nous sommes incapables de les détromper, de les empêcher de faire de nous des créatures fabuleuses.
Il y a aussi, par ailleurs, que l’anticipation elle-même vieillit, ce qui finit par brouiller une relation temporelle limpide à l’origine. Pendant 35 ans, Nineteen Eighty-Four (1984) de Georges Orwell, paru en 1949, a été un texte d’anticipation. Puis c’est devenu... quoi au juste ? Pas un roman historique, puisque le 1984 réel n’a pas coïncidé avec le 1984 du roman. Plutôt un futur du passé, un avenir devenu « malgré lui » une sorte de passé parallèle, que nous continuons cependant à lire comme une anticipation – ou plutôt comme la ruine (textuellement intacte mais interprétativement métamorphosée, sans retour possible) d’une anticipation.
I. C. : En quoi les ruines sciences-fictionnelles peuvent-elles être un marqueur temporel, porter le temps ou le détourner, voire proposer un contretemps?

R. S.-G. : C’est peut-être à cause de ma formation de sémiologue, mais je dirais qu’elles le sont en tant que signes, offerts à la considération perplexe d’interprètes qui n’en possèdent pas forcément le langage, et qui dès
lors s’interrogent : De quand cela date-t-il ? Quelle fonction exacte cela remplissait-il ? Quelle signification cela avait-il à l’époque ? Qu’est-il arrivé pour que cela nous parvienne dans cet état ? Pour un édifice, par exemple : était-ce un temple, un palais, une bibliothèque ? A-t-il été rasé lors d’une guerre, d’une révolution, d’un tremblement de terre? À partir de ce qui reste et qui parle un langage qui nous échappe, on essaie de reconstruire un temps qui n’est plus, et qui n’a peut-être jamais été comme nous l’imaginons, parce que la reconstruction est hypothétique. En ce sens, oui, une ruine peut être considérée comme une sorte de « contretemps » qui nous oblige à prendre le temps à rebours, à le remonter – et qu’il se peut que, ce faisant, on élabore un temps parallèle, décalé : un contretemps, cette fois dans le sens d’un « temps contre », contraire sur certains points à ce qui est advenu.
I. C. : En quoi peuvent-elles être un catalyseur à l’expérimentation, à la construction et au développement d’univers et de mondes possibles en sciencefiction ?
R. S.-G. : Un beau cas, ici, est l’œuvre de J. G. Ballard, l’écrivain emblématique de la « New Wave » britannique des années 1960, un ensemble informel d’écrivain.es qui ont tenté de jeter un pont entre la science-fiction et l’expérimentation littéraire, celle des surréalistes ou du Nouveau Roman. Ballard a déjà décrit sa démarche d’écriture comme une sorte d’archéologie du futur, qui consisterait à se pencher sur ce que notre civilisation aurait laissé derrière elle : des artefacts sans lien entre eux (piscines dorénavant vides, carcasses de voitures abandonnées sur une autoroute, etc.) qui refusent de donner lieu à des récits, au sens traditionnel du terme : chez Ballard, on n’a que des fragments d’intrigue, sans véritable amorce, sans véritable dénouement. De sorte que les ruines auxquelles on fait face, en lisant du Ballard, surtout ses nouvelles, ce sont aussi, textuellement, les ruines de la grande tradition romanesque, désormais impraticable :
« J’aime les inventaires. Mais il existe des genres spéciaux d’inventaires. Ce sont des objets étranges, apparemment sans relations les uns avec les autres, qu’on pourrait
trouver sur une plage à marée basse, rejetés d’une épave de bateau par exemple. [...] Des objets qu’on pourrait trouver dans des musées d’archéologie. Ou plutôt le type d’objets qu’on voit sur les photographies de la police : un pistolet, une épingle à cheveux, un bouton ou même des choses encore plus bizarres : des jouets d’enfant, la pelle d’un pêcheur. [...] Votre esprit demande : Comment est-ce que je rassemble cela ? Qu’est-ce qui est arrivé ? Qui sont ces gens ? Qui a produit cette collection d’objets ? [...] Vous voyez, la tradition de la fiction réaliste peut se résumer en trois mots : “Ceci est arrivé.” Ma fiction est plus proche de: “Qu’est-ce qui est arrivé ?” » (Bresson, 1984, p. 176-177).
I. C. : Pendant longtemps, la science-fiction a justement été abordée et définie par son contenu par l’intermédiaire d’approches thématiques, qui ont certes leurs avantages, mais qui ne rendent pas toujours compte de son aspect littéraire. Les ruines et le désastre, comme nous l’avons vu, supposent souvent un rapport au passé, mais sous-tendent également un rapport à l’avenir et au devenir, à la construction et la

reconstruction, ou même au réaménagement auquel la science-fiction procède dans cette vision textuelle et technique de la fabrique des mondes. Comment s’y prend-on textuellement, par exemple, pour établir ce contraste entre l' hier et le demain, entre notre monde et celui du texte, ou entre les mondes évoqués au sein d’un même récit?
R. S.-G. : Ça se fait en quelque sorte « tout seul », ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse pas songer à des formules plus sophistiquées, plus complexes. Dans la formule la plus simple, la plus classique aussi, on imagine un avenir qui regarde son passé, c’est-à-dire notre présent, comme nous-mêmes nous regardons notre passé à nous. Notre temps, notre monde devient alors distant et plus ou moins énigmatique aux yeux des habitants du futur, tout comme on s’est longtemps demandé ce que signifiaient les hiéroglyphes, comment ont été érigées les statues de l’île de Pâques, etc. Sauf que nous qui lisons ces récits voyons clair là où les gens du futur n’y arrivent pas (dans certains textes humoristiques, il s’agit de se moquer des erreurs
d’interprétation des archéologues du futur qui se méprennent sur des choses transparentes pour nous). On se retrouve alors avec une opposition dichotomique entre l’erreur évidente et de la vérité, une opposition qui a quelque chose de rassurant mais de simplificateur, comme tout ce qui est rassurant.

Mais je suis peut-être injuste, car dans certains cas cela peut donner lieu à d’assez habiles effets de défamiliarisation (j’anticipe sur la prochaine question !). Dans le Woman World d’Aminder Dhaliwal (2018), où les hommes sont disparus, une femme trouve un jour une relique du passé: un soulier à talon aiguille. Elle le dessine sur son carnet et l’accompagne d’un commentaire perplexe : « some sort of construction boot to create small holes ? », parce que dans sa perspective, il faut vraiment une raison sérieuse pour porter quelque chose d’aussi inconfortable, comme elle ne peut pas imaginer un monde où cet accessoire sert à encourager le regard masculin. On sourit, mais ce dispositif simple et rusé est parvenu à faire bouger notre perspective.
On peut aussi refuser le rapport spéculaire entre présent
et futur. Il suffit de tenir compte d’un fait évident, mais aux conséquences parfois vertigineuses : il n’y a pas un futur, qui ne connaîtrait qu’un seul passé coïncidant avec notre présent, mais une succession de périodes futures, et donc des passés de ces futurs – des passés dont certains sont, par rapport à nous, des avenirs (moins éloignés que l’autre, mais potentiellement énigmatiques des deux côtés). Deux très beaux exemples de cela, assez différents pour montrer la richesse du territoire narratif qui s’ouvre alors : Icehenge de Kim Stanley Robinson (1984 ; trad. française : Les menhirs de glace ) et Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg (1992).

I. C. : Sur le plan langagier, pourrait-on même parler de ruine sémantique, toujours dans cette optique d’écart et de contraste ?
R. S.-G. : Oui, tout à fait. C’est un peu ce que j’ai essayé de cerner dans les réponses qui précèdent. Il y a effectivement une modernité de la science-fiction qui commence à s’élaborer lorsque les écrivain.es sont passé de l’Histoire conçue comme une succession de faits à
l’Histoire vue comme un feuilleté de sens, avec tout ce que cela implique de distorsions, d’incertitudes, de plongée dans un rapport d’interprétation et de réinterprétation du passé.
Un exemple émouvant est le roman Les mémoires du futur de John Atkins (1955), dans lequel le narrateur, une des rares personnes qui sachent encore lire, découvre un trésor : une bibliothèque entière, préservée dans un caveau, à partir de laquelle il entreprend la rédaction d’une histoire de l’humanité qui s’étale sur des millénaires. Ce qu’il ne réalise pas (mais nous, si), c’est qu’il n’est pas tombé sur des ouvrages d’histoire, mais plutôt sur une collection de romans de science-fiction : La guerre des mondes, Le meilleur des mondes, etc. – et donc que l’« histoire » qu’il transmet à son propre avenir, à ses futur.es lecteur.rices, s’il s’en trouve, est un assemblage plus ou moins rafistolé (car le bonhomme est très habile, à sa façon) de fictions d’anticipation.
I. C. : Outre la représentation du monde en ruines, y aurait-il des procédés narratifs ou littéraires ou des
techniques d’écriture qui proposent des innovations, qui déconstruisent le rapport habituel à la lecture, au texte ou à la narration, qui les mettent à mal et les retravaillent autrement ?
R. S.-G. : Oui, le plus simple étant de traiter le texte luimême comme un document sujet à l’usure, et qui puisse donc se faire ruine (plutôt que de représenter une ruine, comme si le texte était préservé des effets du temps). On y a pensé très vite : dans L’Horloge des siècles, roman d’Albert Robida paru en 1902, un passage reproduit des fragments d’un article de journal dont la déchirure ne compromet pas l’intelligibilité mais qui expose tout de même sa matérialité, et avec elle sa fragilité :
..... toires n’osent plus nier la possibilité catastrophe. Tout indique au contraire nouvelles arrivant à toute minute confirppréhension que l’heure est venue de courages et de nous attendre aux époulamités, en cherchant les moyens vec l’énergie dont nous sommes l’effroyable destin qui nous menace. cherchant à endormir les terreurs (Robida, 1994 [1902], p.27).
Un dernier exemple, un peu différent, ou alors à l’horizon lointain de ce qui s’amorce chez Robida : dans Neverness de David Zindell (1985) le narrateur, qui vit dans un futur fort lointain où l’on communique à l’aide de mystérieux « idéoplastes », se voit monter un objet inconnu, incompréhensible pour lui : un livre. Le paradoxe – tout à fait assumé par Zindell – tient à ce que c’est évidemment un livre, son roman, qui instaure un monde dans lequel l’écriture telle que nous l’entendons est impensable ; comme si c’était par miracle qu’un objet qui fait référence à ce monde sans livres puisse se retrouver entre nos mains, parvenir à nous qui, jusque-là, le lisions comme si c’était la chose la plus naturelle du monde – alors que la lecture est tout sauf la chose la plus naturelle du monde. À plus forte raison, la lecture de récits qui se déroulent dans des temps qui ne sont pas encore advenus.

Références
Arcan, N. (2004). Folle. Les Éditions du Seuil.
Bresson, C. (1984). Ballard chez lui, Science-fiction, no. 1, p. 152-183.
Carrell, S. L. (1982). Le Soliloque de la passion féminine ou le dialogue illusoire, Jean-Michel Place.
Clermont, E. (2019). Poétique d’un désastre annoncé : Folle de Nelly Arcan, mémoire de maitrise, Université du Québec à Montréal. https://archipel.uqam.ca/13457/1/ M16201.pdf
Haroche-Bouzinac, G. (1995). L’épistolaire, Hachette.
Hovington, M. -M. (2013). Histoire d’une douleur : la mort à l’œuvre dans les écrits autofictionnels de Nelly Arcan, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Chicoutimi. https://constellation.uqac.ca/id/eprint/2631/1/030585423. pdf
Nelly Arcan. Folle . Nelly Arcan. https://www.nellyarcan.
com/pages/folle.php
Richard, A. -J. (2021). L’érosion par le temps | Histoire, discours et expérience des ruines en art. ex. situ, no. 27, p. 49-54. https://revueexsitu.com/numero-27/

Robida, A. (1994 [1902]). L’horloge des siècles, Grama.
Savignac, R. (2017). Écrire après la passion : stratégies épistolaires, survivance du temps de l’amour et ironie vengeresse dans Folle de Nelly Arcan , mémoire de maitrise, Université du Québec à Montréal. https://archipel. uqam.ca/9860/1/M14851.pdf
Ce qu’il reste de nous
Je ne peux m’empêcher de conseiller encore et encore, à toutes les fois que j’ai la possibilité de le faire, l’essai de Marie-Hélène Voyer sorti il y a plus d’un an maintenant : L’habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. À la fois un travail rigoureux sur les plans historiques et littéraires, l’œuvre de Voyer est un véritable témoignage du témoignage. Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef
Par son sacrifice dans le cœur de la flamme, l’éphémère nous donne une leçon d’éternité. La mort totale et sans trace est la garantie que nous partons tout entiers dans l’au-delà. Tout perdre pour tout gagner. La leçon du feu est claire : « Après avoir tout obtenu par adresse, par amour ou par violence, il faut que tu cèdes tout, que tu t'anéantisses. »
Ce texte ne se veut ni vraiment un compte-rendu ni une critique, ni une réponse à l’oeuvre. Je l’écris, parce que d’une drôle de façon, je me sens liée à la posture, à l’œuvre de Marie-Hélène Voyer. Je me vois dans son parcours et dans ce qu’elle écrit à la manière d’un négatif. Elle vient de la région de Rimouski, est venue étudier à Québec puis est retournée à Rimouski. Je suis née à Québec, suis partie étudier à Rimouski, puis suis revenue à Québec. Elle écrit ce que je n’écrirais jamais – trop lâche pour faire des recherches historiques et trop craintive d’aborder de près ou de loin les « questions nationales » –, mais écrit ce que j’aime lire. Et peut-être est-ce parce que beaucoup des lieux abandonnés et oubliés qu’elle décrit sont des lieux que j’ai fréquentés, mais son expérience de ceux-ci m’a semblé bien plus collective que personnelle.
Des lieux du rien
La première partie du titre, L’habitude des ruines, est tirée des chroniques d’Arthur Buies, lui aussi familier avec les
lieux de l’autrice. C’est une expression qui, comme le souligne Philippe Dubé dans un article consacré à l’essai, semblait prémonitoire; et c’est à se demander comment aujourd’hui on peut à la fois brandir notre patrimoine bâti comme une constituante majeure de notre identité touristique tout en, au jour le jour, le laissant crouler jusqu’à qu’il soit permis, moralement, esthétiquement ou légalement, de le détruire.
Est-ce que c’est parce que nous ne nous intéressons qu’à la préservation du grandiose, parce que nous mêlons, comme pense Pierre Vadeboncoeur, la grandeur et l’importance? Pourtant, « [n]os maisons banales sont plus riches qu’elles n’y paraissent, car elles témoignent de l’assemblage complexe de nos unions et de nos ruptures, de nos espoirs et de nos déceptions. C’est toute la syntaxe de nos vies, tantôt noueuse, tantôt hachurée, qui s’y dessine. » (Voyer, 32)
Le laid pathologique
Son sous-titre l’annonçait, l’essai de Marie-Hélène Voyer traiterait à la fois d’oubli et de laideur. Il s’agit là, si on les considère comme propres à chacun.e, de deux éléments difficilement généralisables au sens où le fait de se souvenir de telle ou telle chose et l’évaluation esthétique de cellesci dépendent d’une tonne de facteurs, dont l’habitus.
En fait, c’est peut-être le seul point qui m’ait, disons, un peu fait grincer des dents lors de ma lecture : l’amalgame d’une échelle de valeur et d’esthétisme d’un certain patrimoine bâti. Au sujet des nouvelles (plus si nouvelles que ça) constructions derrière le Dix30, mais qui auraient tout aussi pu être n’importe quel autre « nouvel arrondissement », Voyer écrit à partir de photos d’Isabelle Hayeur : « Quel genre de personnes choisissent de bâtir ces lieux maladroitement ampoulés ? […] Impression
persistante que ces maisons signent la fin définitive de toute possibilité de vivre ensemble, de tout sens de la communauté tant elles s’ignorent les unes et les autres avec ostentation, tant elles dessinent une enfilade bègue d’individualités souveraines candidement pompeuses, enfermées dans un espace évidé et sans mémoire. » (Voyer, 2021, p. 63)


Et peut-être que je suis naïve ou que je n’ai pas encore suffisamment vu la destruction autour de moi pour tenir ce genre de propos, mais j’ai envie de refuser le cynisme qui, souvent, et je crains que ce ne soit le cas ici, est porteur d’un certain mépris. Si ce n’est pas dit explicitement comme ça, c’est pourtant ce que semble condamner et tenir pour responsable l’anéantissement de notre patrimoine bâti : le mépris à l’égard de celui-ci et, plus largement, le mépris à l’égard de celleux qui y sont rattaché.es.

Plus encore, si la mémoire, la mémoire matérielle plus précisément, est ce qui motive Voyer à écrire tout ça, il me semble que la laideur, aussi subjective soit-elle, n’a rien à voir avec elle; la laideur est, elle aussi, porteuse de mémoire. Même ce que la majorité s’entend à décrier comme immonde raconte quelque chose. Prenons comme exemple de laideur attestée le brutalisme, un mouvement architectural qui nous a laissé quelques chefs-d’œuvre (à vous de voir si je suis ou non ironique) comme le Grand Théâtre de Québec et le pavillon Jean-Charles-Bonenfant, qui témoigne d’une certaine époque, de certaines valeurs. Le béton était gage de durabilité (très discutable aujourd’hui) et d’économies. De là, on peut voir dans le brutalisme une volonté de se concentrer sur « l’essentiel » et sur la
collectivité même si bon nombre de ses monuments ne plaisent pas à la plupart des regards.
Cela dit, ce que semble reprocher Voyer à la laideur des nouvelles constructions, c’est principalement leur caractère individualiste qui justement tuerait le communautarisme. Or, il me semble que sans cesse nous clamons la mort de la « communauté », le sens de la « solidarité », et pourtant, ces expressions semblent, pour moi, plutôt se transformer et je crois que si nous les voyons mortes ou sur le bord de l’être, c’est sans doute causé par un excès de nostalgie de notre part.
L’autre danger pour Voyer se situerait dans cette idée du pastiche, d’éléments architecturaux d’ailleurs, d’autres

époques, piètrement copiés et rassemblés en une courtepointe désaccordée pour former un ensemble urbain sans véritable sens. Et dans le cas précis du quartier photographié par Isabelle Hayeur, mais qui est un exemple parmi d’autres, les nouvelles constructions ont pu être bâties, parce que d’autres ont été détruites. Et si elles ont été détruites, c’est qu’elles ont préalablement été achetées alors qu’elles dépérissaient et qu’une fois acquises, on les a volontairement laissées se dégrader jusqu’à ce qu’il soit permis de les raser.

Plus encore, ce sentiment de communauté est utilisé par des promoteurs immobiliers qui accumulent les constructions d’appartements intelligents, de pseudo cités-vertes,
mais qui, au final, n’encouragent qu’un communautarisme de façade et un élitisme violent.
Des façades pour des fantômes
Chaque jour de ma sixième année, lorsque mon père me conduisait à l’école, au moment de monter la côte HonoréMercier, mon œil était attiré vers ces deux ruines qui nous accueillaient en Haute-Ville : la bretelle d’autoroute qui fonçait dans la falaise et la façade de l’église Saint-Vincent de Paul. Si le problème de la première a fini par être réglé (les bretelles de l’autoroute demeurant tout de même désharmonisées avec le reste du paysage), celui de la seconde a lui aussi disparu, littéralement.

Après son incendie en 1949, l’église est reconstruite les deux années suivantes. En 1988, elle est désacralisée et mise en vente. Rachetée en 2003 par les Immeubles Jacques Robitaille INC., l’église est toute démolie en 2004 à l’exception de la façade qui devait être partie intégrante de l’hôtel à construire. Pourtant, cinq ans plus tard, la façade tient toujours, abandonnée. Elle est finalement détruite au printemps 2009.

Ce sera un stationnement qu’on mettra à sa place.
Mais même si cette façade-là a été démolie, pour Voyer, ces façades ou ces pierres ou ces bancs qu’on décide d’intégrer à de nouveaux bâtiments ne servent qu’à se
déculpabiliser et à faussement se réconcilier avec un passé que de toute façon, on falsifie et on fétichise à tour de bras. Le Vieux-Québec, ses bâtiments reconstitués et ses représentations folkloriques de la Nouvelle-France n’en sont qu’un témoignage parmi d’autres. Un témoignage parmi d’autres témoignages d’un malaise presque indicible à réconcilier un héritage bâti entre la pauvreté du colonisé et la richesse du colonisateur. Un témoignage d’une société qui en a si grand autour d’elle qu’elle pense qu’elle peut construire en sachant d’avance qu’elle détruira, en sachant qu’elle peut fermer des villages, que de la place, il y en a assez, et que de toute façon, la soif de tentations primavéristes (désir d’expériences nouvelles) est inévitable, alors pourquoi ne pas tenter de l’étancher ?


Si au début de ce texte je disais refuser le cynisme, il semblerait que j’aie, à mon tour, succombé. Pourtant, quand je regarde la photographie des enfants du village du Lac-Louise, je ne peux m’empêcher d’être émue. En 1966, plus de 400 familles y habitaient et 212 enfants fréquentaient l’école primaire. Ces enfants sont à peine plus vieux que mes parents aujourd’hui, et je pense à leurs enfants à eux qui ne visitent jamais le village de leurs parents et qui ne pourront jamais s’y établir même s’ils le souhaitent. Personne n’y retournera et les seules preuves matérielles comme témoin de ce qui a été demeureront ces photographies.

Références
Dubé, P. (2022). Review of [Voyer, Marie-Hélène. L’Habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Montréal, Lux éditeur, 2021, 214 p. ISBN 9782-89833-009-4]. Rabaska, 20, 337–340. https://doi-org. acces.bibl.ulaval.ca/10.7202/1093929ar
Voyer, M.-H. (n.d.). L'habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Lux éditeur, 2021.

Le gel d’une fourmilière
Il fait sous zéro, mais une masse d’air plus chaude et humide est au-dessus de nos têtes –lorsqu’une goutte d’eau en tombe et atteint une surface froide, elle se fige : c’est une pluie verglaçante. Janvier 1998, on vient à peine d’ouvrir notre tout nouveau calendrier que le Québec est secoué par une catastrophe.

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1998 débute en crise
Le verglas n’annonce pas systématiquement la catastrophe ; des occurrences ont lieu chaque année. L’hiver mouillé de la région de Montréal fait en sorte qu’une douzaine de chutes de pluie tombent en moyenne chaque année, de quelques millimètres seulement chaque fois. Au début de janvier 1998, ce sont cinq jours consécutifs de pluie verglaçante qui ont tapissé le sud du Québec de 50 à 100 mm de glace, et le poids de cette spectaculaire accumulation, jumelée aux grands vents, a eu raison du réseau électrique de haute tension, en plus du réseau de distribution. C’est la plus grande panne que connaît le Québec. Et bien entendu, comme la grande majorité des électroménagers, chauffe-eau et chauffages sont électriques, ça pose un problème d’envergure en plein hiver.

À Montréal
La région métropolitaine retient son souffle, mais évite le pire : quatre des cinq postes qui alimentent Montréal voient des ruptures dans leurs lignes, la métropole ne tient plus
qu’à un fil. Le réseau en étoile qui achemine l’électricité de la Baie-James, de Beauharnois et de ChurchillManicouagan forme une boucle plus vulnérable que l’on aurait cru. On construira plus tard la ligne Hertel-des Cantons pour éviter qu’un scénario similaire ne se reproduise.
Et même si on décide de délester le centre-ville pour garder en fonction la distribution d’eau, le 9 janvier, deux des trois usines de traitement sont en panne. Il en résulte une pression très basse dans les tuyaux, trop basse pour que les pompier.ères éteignent des incendies si le besoin y est, et les deux heures d’eau potable restantes font paniquer les dirigeant.es. À ce moment, la population n’en a pas connaissance, car on estime que l’en informer amènerait les gens à faire des réserves personnelles, asséchant ainsi le réseau pour de bon. Le Premier ministre Lucien Bouchard et le PDG d’Hydro-Québec André Caillé devaient s’arracher les cheveux de leur pauvre tête.
5-9 janvier 1998

Au Québec...
24 000 poteaux, 4 000 transformateurs, 1 000 pylônes à la casse et 3 000 km de lignes endommagés
5 millions de personnes affectées par au moins une panne
Dégâts matériels
immédiats : +1 milliard $
Panne la plus longue : 34 jours
12 000 soldat.es déployé.es
454 centres d'urgence ouverts


on craint une panne générale, partout les arbres et les fils s’arrondissent ou cassent, les ponts sont fermés et l’état des routes est abominable. Le paysage est apocalyptique. Certains commenteraient un bel apocalypse, toutefois.
Tous les yeux sont sur Montréal, et tous les moyens sont envisagés pour déglacer et rafistoler les lignes. Scène de film d’action : par miracle peut-être, deux monteurs de lignes réussissent à sauter d’un hélicoptère sur un pylône au-dessus du Saint-Laurent pour rétablir le courant. Montréal l’aura échappé belle – « je n’ai fait que mon travail», disait Jean-Yves Boies, l’un de ces deux monteurs de ligne, selon ce que rapporte Radio-Canada.
À partir de là, Montréal est certainement échevelée elle aussi, mais le vraiment pire a été évité, et le un peu moins pire est derrière : l’eau et l’électricité reviennent, on panse les blessures. Le 18 janvier, les derniers centres d’hébergement de l’île ferment, ils ont terminé leur mission. On passe en mode opération émondage et déglaçage, et la rumeur veut qu’une machine sur trois de la flotte montréalaise rendra l’âme durant le dégagement des infrastructures.

Dans le triangle noir
Si Montréal était sous les projecteurs, elle laissait dans le noir les villes voisines. On a surnommé « le triangle noir » la zone que forment Saint-Jean-sur-Richelieu, SainteHyacinthe et Granby. Les municipalités connaissent d’importants dommages, le monde agricole est atterré. Le bilan est lourd. Chez les producteurs laitiers, des millions de litres de lait ont été jetés, et nombreux ont été les animaux à mourir faute d’électricité, qui sert au chauffage et à l’alimentation. Les chanceux auront pu être des locataires temporaires de fermes voisines ayant des génératrices. Les vergers et très particulièrement les érablières comptent aussi des dégâts majeurs. Les agriculteur.rices ont certainement été des plus touché.es par le verglas, et ont été des dernier.ères à retrouver l’électricité. Et contrairement aux pylônes d’Hydro-Québec qui se seront redressés très rapidement, forêts et troupeaux auront besoin d’années pour se remettre sur pied, impactant de manière non négligeable les pratiques agricoles sur un temps très prolongé.
Les instances au cœur de la zone ont également été grandement ébranlées. Dans une entrevue avec Radio-
Canada, Roger Nicolet, président de la commission chargée d’analyser les événements relatifs à cette tempête, dit avoir été bouleversé par ce qu’il entendait : « Je me rappelle d’un foyer pour personnes âgées dans la région de Granby. Du jour au lendemain, tout le personnel s’est évaporé. Les pensionnaires, en grande partie dépendants, ont été laissés à l’abandon avec personne pour s’occuper d’eux. » (Maisonneuve, 2018) Même chose dans un foyer d’hébergement pour jeunes en situation de handicap : « La maison était isolée. La responsable du foyer était seule avec une dizaine de pensionnaires. Elle était totalement abandonnée. Dans sa municipalité, il n’y avait pas de premiers répondants. Il n’y avait plus de moyens de communication. Elle était au milieu d’un champ de glace, incapable de sortir. Elle ne savait pas d’où allait venir l’aide. » (ibid) Certains échos se font entendre d’une crise à l’autre, semble-t-il.

Les crises
À chaque crise ses visages et ses héros, et le grand verglas se souviendra toujours du duo Bouchard-Caillé, au même titre que Legault-Arruda aura marqué les esprits durant la Covid-19. Le point de presse de 13h qui nous a accompagné.es de 2020 à 2022 avait son précédent en 1998, à 17h celui-là. On comptait sur Hydro-Québec et le gouvernement provincial pour se tenir informé.e des avancées et des dégradations. Cette communication a non seulement le rôle d’informer, mais aussi de rassurer. Et tandis que 2020 aura louangé les préposé.es aux bénéficiaires, en 1998 c’est du métier de monteur.euse de ligne dont on faisait l’éloge. Tout comme les sinistré.es étaient tout particulièrement reconnaissant.es de l’aide des pompier.ères, soldat.es, travailleur.euses des services de la santé, bénévoles, voisin.es, parent.es, ami.es, qui ont travaillé d’arrache-pied en jetant volontiers aux oubliettes les conventions collectives le temps d’une crise.
Fermeture des ponts
Les ponts qui relient Montréal à la rive sud sont fermés préventivement, il n'y a que le tunnel Louis-HippolyteLafontaine qui est praticable. Les ponts sont dangereux, couverts de glace : on craint que des fragments tombent et se fracassent sur des voitures.

Les crises ont de particulier qu’elles perturbent la situation normale d’une organisation et/ou d’une collectivité, et qu’elles représentent une menace pour la survie, le fonctionnement ou la compétitivité de cette/ces entité(s). (Trigueros, 2006, p. 11) Le verglas de 1998 se qualifie de crise par sa magnitude (il a affecté une vaste région sur une durée de plusieurs semaines), par son atteinte au réseau électrique qui garde au chaud les habitant.es et il a été un scénario improbable qui a révélé d’importantes failles, notamment l’absence de plan d’urgence dans beaucoup de municipalités (et la désuétude de celui d’autres). (ibid) Des plans d’urgence poussiéreux, ça va aussi pour les individus ; après le verglas, les gens achètent massivement des poêles et des génératrices pour ne pas connaître les mêmes désagréments, machines qui prendront à leur tour la poussière dans le sous-sol et dans l’esprit jusqu’à la prochaine situation d’urgence… s’ils n’ont pas d’ici là été vendus sur Marketplace (ou l’équivalent non-anachronique de l’époque).



Le caractère déstabilisant et global des crises mène à des enjeux plus grands, qui ont des répercussions énormes et causent d’immenses coûts humains et économiques pour les organisations et la société (Kovoor-Misra et Nathan, 2000). Et bien que les sociétés modernes puissent compter sur de l’aide internationale ou du moins sur de l’aide venant de plus haut, les crises sont plus complexes qu’elles l’étaient puisque les sociétés et leurs systèmes se sont eux-mêmes complexifiés, entremêlant les liens et les dépendances. Pensons aux importations et exportations alimentaires, aux transports, aux différents marchés qui créent une dynamique financière… Malgré tout, les crises
sont aussi des situations qui font ressortir une mobilisation inégalable dans un esprit de coopération et solidarité, tout comme elles mènent à une meilleure adaptation à l’environnement et à un apprentissage efficace de la part des organisations. (Trigueros, 2006)
Solidarités
Dans les temps difficiles, les gens savent se serrer les coudes – la crise du verglas a éveillé cette solidarité au sein de la population, et les citoyen.nes se sont orchestré.es souvent elleux-mêmes. Des génératrices sont mises à commun, les maisons qui comportent un foyer accueillent les proches, des cordes de bois collectives sont créées, des commerces fournissent couvertures et nourriture. Des stations-service qui ont des installations et une génératrice offrent des points de douches pour la population, on voit des magasins comme Rona et Canadian Tire rester ouverts 24 heures sur 24 pour permettre aux gens de se procurer tout ce dont ils ont besoin. C’est mu.es par un sentiment de contribution à quelque chose de plus grand que soi que beaucoup se sont montré.es aussi généreux.euses en temps, en savoir, en matériel, en contribution de toute sorte, et ce depuis partout dans la province. On ne compte plus le nombre de donneur.euses, qui confirme que les citoyen.nes, de par leurs initiatives et leur grand nombre, représentent une pierre angulaire en période d’urgence. Une aura solidaire rayonne, et cet aspect de la crise en a marqué plus d’un.e.
Hydro-Québec. (1998, janvier) [Des gens poussent une voiture prise dans la glace] [photographie] Archives de Hydro-Québec



Entre celleux qui ressortent traumatisé.es de l’expulsion forcée de leur domicile dans des endroits où iels n’ont pas de repères, celleux qui auront eu de lourdes pertes, celleux qui se sont surmené.es au travail pour remettre en marche la société et celleux qui ont adoré goûter à la vie en communauté étroite, on s’aperçoit rapidement de la pluralité des narratifs d’un désastre.

Le risque
Le déluge du Saguenay, la crise du verglas, la catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic et encore la pandémie de Covid-19 sont des catastrophes récentes qui ont contribué à ébranler l’image d’un Québec intouchable. Ce sont des événements aux causes tantôt humaines, tantôt naturelles, parfois un mélange des deux, qui redéfinissent la relation
que nous avons à notre environnement. Vivre comporte son lot de risques, et aucun endroit n’est totalement à l’abri. Les organisations et les sociétés apprennent de ce type de catastrophe et resserrent des normes, prennent des mesures de précaution, affinent des technologies, cartographient des territoires, même si chaque crise surprend et afflige, peu importe la préparation. Et les dommages ne sont jamais que matériels, ils sont aussi vécus individuellement et collectivement, et chacun.e a sa propre tolérance au risque. Ce n’est pas sans raison que sinistre après sinistre on reconstruit ; que crise après crise on afflue vers les centres urbains – les villes sont certes vulnérables par les structures et réseaux complexes dans lesquels elles sont imbriquées, mais elles sont fortes et s’adaptent toujours. On le voit actuellement comme on l’a vu en 2013, en 1998, en 1996, et tant de fois avant. Ni le gel, ni la toux n’empêchent bien longtemps une ville de fourmiller.
Références
Bednarz, N. (2017). Montréal sous la tempête du verglas, janvier 1998. Archives de Montréal. https:// archivesdemontreal.com/2017/12/20/montreal-sous-latempete-du-verglas-janvier-1998/

Hydro-Québec. Verglas 1998. https://www.hydroquebec. com/verglas-1998/
Kovoor-Misra, S., & Nathan, M. (2000). Timing is everything: The optimal time to learn from crises. Review of business, 21(3/4), 31.
Maisonneuve, V. (2018, 4 janvier). Il y a 20 ans, une mer de glace tombait sur le Québec. Radio-Canada. https://ici. radio-canada.ca/nouvelle/1076279/crise-verglas-montrealquebec-vingt-ans-electricite-froid-hydro-crise-catastrophenaturelle
Silva Trigueros, A. (2006). L'apprentissage organisationnel d'après crise, une étude comparative : le verglas en 1998, le tsunami en 2004 et l'ouragan katrina en 2005 [mémoire de maîtrise] Université Laval.















ET SCIENCES
Nos vaines agitations
Par Marilou Fortin-Guay, journaliste collaboratriceIl réside en nous un sentiment si familier qu’on en oublie l’existence. Une agitation en filigrane de nos vies, de nos journées, de chaque minute. Ainsi, elle échappe à notre attention, se dérobe de toute inspection et de toute remise en question. Les turbulences quotidiennes pénètrent notre mental comme l’eau infiltre le granite avant de le faire éclater. Elles nous mènent au confluent de l’océan déchaîné qu’est le monde moderne. Si vous fermez les yeux, la ressentez-vous?
Je n’ai pas encore ouvert les yeux que je cherche à tâtons cette petite plaquette froide et bien lisse que je reconnais même dans la plus totale obscurité. Sa luminosité me transperce les yeux. C’est ça, mon rituel du matin : prendre mon cellulaire, faire défiler l’actualité, Instagram, Facebook, Tik Tok (si je ne l’ai pas supprimé). « La crise du logement existe bel et bien », « Offensive pour sauver le français », « Et l’humanité bordel ? ». Encore, l’agitation est anodine.
Nous nous accommodons d’un environnement qui nous gave d’informations. Par résilience ou par défaut, nous avons l’habitude d’un tourbillon perpétuel. Elle vient peutêtre de là, notre tolérance à l’agitation, de ce flot incessant de nouvelles et de notifications en continu face auquel nous nous forgeons une carapace. Puis, nous devenons trop familier.ères avec les sentiments d’être dépassé.es, stressé.es, anxieux.euses, déprimé.es. Nous sommes trop souvent en proie à une agitation désagréable qui nous parle par la voix de pensées intrusives. Nous pourrions décider d’être plus bienveillant.es en créant des lieux plus tranquilles sur cette planète peuplée de gens à boutte ou au mieux fatigués. Et puis il y a des brèches dans cette grande toile de l’agitation qui brisent le mode par défaut. De petites poches d’oxygène qui ont l’effet de minuscules bouffées de soulagement quand Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd de Lana Del Rey part sur un tempo de 60 battements par minute. Merci, Lana, de jouer si lentement.
Ressentez-vous l’agitation, en fermant les yeux, en méditant ?
Comment méditer ou passer une heure à ne rien faire sans
devenir fou ? C’est qu’à la première inspiration, une pensée surgit du vide, salvatrice de l’oppressant silence, porte de sortie de cet endroit sombre et dépouillé de divertissement. Ne rien faire, c’est mortel, non ? 10 minutes de méditation. 120 respirations. 600 secondes de silence. 800 battements cardiaques. 1001 pensées pour échapper au néant. Ce n’est pas tant la quantité de pensées que leur ténacité à s’accrocher au mental qui surprend. Ou peut-être encore notre impuissance à ne pas les faire émerger. Il ne faudrait pas s’attendre à ce que méditer soit a priori une expérience agréable. Après tout, il n’y a rien de plus étranger à notre ère que d’être assis.es immobile.s en silence. En fin de compte, tout repose sur une volonté de tolérer l’inconfort. À force de patience, de pratique et de concentration, par bribes de secondes, on finit par entrevoir ce qui ressemble à un espace calme et apaisant. Pour celleux qui sont plutôt du type académique, traitons de la professeure Jennifer L. Roberts qui enseigne l’histoire de l’art à Harvard. Comme devoir, elle demande à ses élèves de se rendre au musée et d’y observer un tableau ou une sculpture pendant trois heures. L’exercice est peut-être plus facile que de se fixer l’intérieur de la tête. Il montre néanmoins la valeur de la décélération et de la patience dans un monde qui nous entraîne naturellement vers l’agitation.
S’il est difficile de naviguer ailleurs que sur une mer déchaînée, nous avons la capacité d’ériger des îlots de tranquillité. Ces amas plus sereins, en nous tenant à l’écart au moins le temps d’un naufrage, nous permettent de reprendre une partie de notre vie et de notre précieuse attention. Nos esprits devraient être des refuges pour nous abriter des turbulences extérieures, pas des sources de préoccupation. Nos têtes devraient être plus vides, nos santés mentales en meilleur état. À force de méditer, d’observer une peinture pendant trois heures ou d’écouter Lana Del Rey, l’agitation qui nous tient si mal compagnie deviendra peut-être une vaine agitation.

Référence
Roberts, J. (2013) The Power of Patience. Harvard Magazine . https://www.harvardmagazine.com/2013/11/ the-power-of-patience
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État de l’armée canadienne dans une période turbulente
Bien qu’on l’oublie souvent, l’humanité traverse une des périodes les plus paisibles de son histoire. La propagation de la démocratie, les bénéfices des échanges internationaux, les nombreux forums internationaux où régler les différends et, surtout, la menace d’un arsenal nucléaire terrifiant capable d’éradiquer la population d’un pays, voire du globe entier si l’envie nous en prend, a calmé les ardeurs guerrières de l’espèce humaine. Quoique bien moins fréquente et de plus petite échelle, la guerre demeure malgré ces éléments dissuasifs. On peut penser bien sûr aux conflits qui nous paraissent proches (l’invasion de l’Ukraine), à ceux qui ne semblent jamais vouloir s’arrêter (le conflit palestinien), ou à ceux qui semblent pouvoir éclater à tout moment (la guerre des deux Corées ou le projet d’annexer Taïwan à la Chine). À chacun de ces conflits, menaces ou tragédies, la communauté internationale place soigneusement ses pions sur l’échiquier géopolitique. Le Canada n’échappe pas à cette règle : en tant que membre de l’OTAN, ses engagements sont multiples et depuis le début de l’invasion russe, son implication est croissante. Or, c’est ce même conflit qui a vu bon nombre d’armes et d’équipements être retirés des réserves de l’armée pour être distribués aux forces ukrainiennes. La combinaison d’une situation politique tendue, d’obligations militaires plus nombreuses et d’équipements réduits nous pousse à nous questionner sur la capacité réelle du Canada à remplir ses missions.
Par Ludovic Dufour, chef de pupitre science et société
L’efficacité des Forces armées canadiennes Évaluer globalement l’efficacité de l’armée canadienne est un exercice complexe. Anessa Kimball, directrice du Centre sur la sécurité internationale, résume : « c’est assez difficile de dire, est-ce qu’on est efficace ? Ça dépend littéralement de conflit en conflit et des besoins de la mission ». D’un côté, par exemple, elle juge efficace le soutien canadien prodigué aux troupes ukrainiennes dans le cadre de l’opération UNIFIER. On parle de 35 000 militaires et membres du personnel de sécurité formé.es et entraîné.es par les Canadien.nes. D’un autre côté, la défense de l’Arctique canadien est presque inexistante : « on a des fusils, mais pas plus que ça », image la directrice.
Charlotte Duval-Lantoine, directrice des opérations au bureau d’Ottawa de l’Institut canadien des affaires mondiales souligne pour sa part un problème de culture stratégique. « On n’a pas vraiment de plan clair à long terme », avance l’experte. Les objectifs canadiens étant décidés par le politique, il est difficile d’évaluer réellement leur capacité. Une mission est considérée comme
accomplie si elle remplit les objectifs fixés par le ministre de la Défense ou le Premier ministre. De plus, les Forces armées ont du mal à prévoir leurs besoins technologiques et humains, puisque c’est la joute politique qui peut décider de leurs opérations.
Les deux expertes rappellent cependant qu’on ne peut évaluer les capacités canadiennes seules, car le Canada bénéficie d’un réseau d’allié.es nombreux.ses et puissant.es au sein de l’OTAN. En effet, le Canada ne s’engagera jamais seul dans une opération militaire de grande envergure, « s'il y a une édiction dans la politique étrangère canadienne, c’est justement le multilatéralisme », expose madame Kimball. Est-ce que le Canada peut aller à la guerre avec son armée seule ? n’est simplement pas la bonne question à se poser. Il vaut mieux se demander s’il peut remplir son rôle dans l’OTAN.
Mais alors, quel est ce rôle ? Pour madame Duval-Lantoine, « la priorité des Forces armées canadiennes va être une question d’interopérabilité et de remplir certaines lacunes».
Par exemple, le Canada est équipé de nombreux véhicules blindés légers, de brise-glaces et de navires aptes à transporter des équipements lourds. Le Canada cherche à acquérir « non seulement des équipements qui manquent et que les alliés n’ont pas, mais aussi agrandir l’effectif de certains équipements et de certaines capacités ». L’achat d’avions de chasse F-35 entre parfaitement dans cette optique. Les États-Unis, le Royaume-Uni ainsi que de nombreux autres membres de l’OTAN sont dotés de ces appareils; le Canada ne fait qu’augmenter les capacités de l’alliance en étendant la flotte. De plus, acquérir des équipements similaires facilite les opérations communes. Par exemple, un pilote de F-35 canadien serait parfaitement formé à utiliser l’équipement américain, et la maintenance est rendue bien plus facile, car les appareils étant les mêmes, ils utilisent les mêmes pièces de rechange. « Il faut s’assurer que ces équipements-là s’alignent avec les besoins et les technologies qui sont utilisés par d’autres pays [alliés] », résume la chercheuse.
La détentrice de la Chaire de recherche du Canada sur le
genre, la sécurité et les forces armées, Stéfanie Von Hlatky, rappelle également que le Canada a une place non négligeable au sein de l’OTAN. Bien qu’il n’atteigne pas le niveau d’influence des États-Unis, de l’Allemagne, de la France ou du Royaume-Uni, le Canada reste un allié de choix. L’experte explique que l’obtention des Forces armées canadiennes de nombreux postes de commandement dans des opérations relativement récentes, comme en Irak, en Lettonie ou en Libye, témoigne de la confiance qu’inspire le Canada à l’OTAN ainsi que de son niveau de contribution et d’engagement.
Les problèmes d’effectifs, de recrutement et de rétention
Malgré tout, l’état de l’armée canadienne continue d’en inquiéter plusieurs, notamment au niveau des effectifs. Il manque plus de 10 000 soldat.es dans les rangs, ce qui veut dire qu’environ 10 % des postes sont inoccupés. Madame Duval-Lantoine rappelle que les trois commandants des principales branches de l’armée canadienne – l’armée, la marine et l’aviation – ont soulevé

des inquiétudes quant à leur capacité opérationnelle. De plus, elle souligne que le chef de l’état-major a déjà refusé d’intervenir dans certains cas de catastrophes naturelles par manque d’effectifs.
On remarque de nombreuses barrières au recrutement qui expliquent ce déficit. D’abord, madame Von Hlatky note que la pandémie de Covid-19 a sérieusement ralenti le recrutement. Le personnel était déjà insuffisant à plusieurs étapes du processus, la pandémie a forcé des arrêts de travail temporaires pour plusieurs et a annulé de nombreux entraînements.

Ce processus était et reste d’ailleurs extrêmement lent. Même sans pandémie, les deux expertes, Von Hlatky et Duval-Lantoine, soulèvent que le temps et les délais sont les plus grands obstacles au recrutement : « quand on se retrouve dans une situation où le marché du travail est très actif, beaucoup de gens vont trouver des opportunités de travail avant même d’avoir passé la moitié du temps qu’il faut pour rejoindre le Forces armées », avance cette dernière. Il s’écoule généralement un an entre le moment
de déposer sa candidature et le moment de faire le premier entraînement de base. Elle note également que ce délai est dû entre autres à un problème de gestion des informations, lui-même dû à un manque de ressources informatiques et à un manque de ressources humaines. Bien souvent, les personnes qui sont attribuées à gérer le processus de recrutement sont des personnes en voie de quitter l’armée : il y a donc une forte rotation de personnel et des problèmes de suivi. « En fait, il y a des problèmes de ressources à toutes les étapes du processus de recrutement », résume madame Duval-Lantoine.
Madame Duval-Lantoine remarque également que plusieurs personnes ne croient simplement pas en la mission des Forces armées canadiennes. Elle explique qu’il y a un manque « d’identité opérationnelle », les gens ne savent pas trop ce que l’armée fait. Avant, plusieurs voyaient les Forces armées canadiennes comme étant une force de maintien de la paix; aujourd’hui cette perception est révolue. Selon la chercheuse, nous ne sommes plus engagé.es dans ce genre de mission à aussi grande envergure que nous l’étions dans les années 1990. Stéfanie
Von Hlatky rappelle pour sa part que la réputation des Forces armées a été fortement ternie par la série de scandales d’inconduites sexuelles, ce qui ne la rend pas très attrayante auprès de jeunes, en particulier des femmes.
Outre ces problèmes d’image, la situation économique et sociale ne favorise pas l’engagement dans l’armée. Tant pour les employeurs militaires que civils, le constat est le même : la pénurie de main-d’œuvre frappe durement. Or, cette situation de plein emploi crée une forte compétition pour attirer des employé.es. Tout comme la société civile, l’armée se retrouve donc avec une grande quantité de postes à combler. De plus, la démographie canadienne n’est plus la même, et le groupe qui a le plus tendance à rejoindre l’armée diminue de plus en plus. Charlotte DuvalLantoine explique que ce sont typiquement des hommes blancs, pauvres et vivant en milieu rural qui s’engagent et cette population précise est en déclin, d’abord parce que la population rurale diminue au profit des grandes villes et ensuite parce que le Canada se diversifie de plus en plus. Il faut donc trouver le moyen de rejoindre d’autres groupes.
Revoir comment attirer plus de recrues, comment redorer l’image canadienne et comment accélérer le recrutement est un défi de taille. Les recommandations émises par les trois chercheuses sont autant politiques que culturelles et organisationnelles. Il faut d’abord revoir comment est géré
le système de recrutement pour l’accélérer et l’améliorer. Cette étape nécessite, selon Charlotte Duval-Lantoine, de changer comment l’armée distribue son personnel dans plusieurs activités et de revoir son système de gestion de l’information. Il y a déjà plusieurs années que les Forces armées tentent de changer ce système de gestion sans grand succès.
Ensuite, l’experte recommande une réelle réflexion sur ce que la population canadienne attend de ses militaires. Il faudrait donc revoir le type de missions que les Forces armées poursuivent afin de les faire correspondre à ce que les Canadien.nes attendent pour encourager l’engagement. Elle recommande également un changement culturel de l’armée, non pas seulement au niveau personnel, mais aussi en réévaluant comment les Forces se perçoivent par rapport à la société canadienne, ce qui, à son propre aveu, demande énormément de temps et de ressources.
De plus, elle suggère de déplacer certaines bases militaires vers les grands centres urbains où plusieurs jeunes, qui sont habitué.es à la ville, pourront s’engager dans des conditions qui leur conviennent mieux. Encore une fois, c’est une opération difficile qui demande beaucoup de ressources, mais qui pourrait revoir à la hausse le nombre de recrues.

Stéfanie Von Hlatky observe pour sa part qu’il y a un « missing middle » dans le leadership des Forces armées, c’est-à-dire qu’il y a un nombre élevé de haut.es officier.ères, mais assez peu d’officier.ères moins gradé. es qui seraient utiles à la formation et à l'entraînement de nouvelles recrues.
Outre le recrutement, les expertes ont également plusieurs idées sur la rétention du personnel, car si attirer du nouveau sang peut certainement améliorer la situation, donner aux vétérans les moyens d’appréhender leur carrière avec enthousiasme afin qu’iels restent plus longtemps aura le même effet. C’est en ce sens que madame Von Hlatky propose différentes mesures qui améliorent les conditions de travail des militaires. Elle pense notamment à améliorer la conciliation travail-famille ou à réduire autant que possible les déménagements exigés par l’armée. Encore une fois, ces suggestions demandent un changement de culture et d’approche. Madame Duval-Lantoine nuance cependant que certaines motivations au départ ne peuvent être résolues par cette approche. En effet, les blessures, les syndromes de stress post-traumatique ou simplement le sentiment de ne plus servir son pays dans le cadre de nouvelles fonctions sont des raisons assez communes des départs du service.
Le Canada n’est cependant pas le seul pays à faire face à ce problème. Comme le soulève la chercheuse, le recrutement est problématique dans l’ensemble des pays occidentaux. Si le niveau d’attrition des Forces canadiennes est de 10 %, en Australie, par exemple, ce taux atteint 15 %. Les problématiques se répètent et partout on cherche à donner une nouvelle image de l’armée pour attirer du nouveau personnel. « C’est une chose qu’on voit beaucoup en Ukraine, cette modernisation des forces militaires, on voit les images des femmes qui sont dans les forces militaires », remarque madame Kimball. « Il y a des choses qui changent tranquillement, mais pas assez vite pour être efficaces ». Madame Von Hlatky met cependant en garde contre les comparaisons avec d’autres pays, car si la problématique est similaire, plusieurs pays ont des politiques bien différentes concernant l’armée telles que le service militaire obligatoire.
Évidemment, les militaires canadien.nes sont bien au fait de ces problèmes et plusieurs solutions sont mises de l’avant pour combler ce manque de troupes. En 2022, le ministère de la Défense nationale présentait sa nouvelle
approche de rétention dans le document Stratégie de maintien des effectifs des Forces armées canadiennes. Également, l’enrôlement a été récemment ouvert aux résident.es permanent.es, alors qu’avant il n’était possible que pour les citoyen.es canadien.nes. Bien qu’il soit difficile de mesurer l’impact de cette mesure à court terme, madame Kimball et madame Von Hlatky remarquent pour l’instant une hausse non négligeable des candidatures, quoique Von Hlatky se désole que le processus de recrutement soit encore plus long pour les résident.es permanent.es.
L’équipement canadien
Au-delà des problématiques d’effectifs, s’il veut rester efficace militairement, le Canada doit s’assurer de se munir d’équipement adéquat. On le voit depuis le début de l’invasion russe : le Canada commence à multiplier les commandes. De même, de vieux projets refont surface; la saga des F-35, qui avait commencé avec Harper en 2010 avant d’être annulée par Trudeau à son élection, a fini par s’achever avec l’achat de 88 appareils. Cependant, beaucoup de matériel a aussi été donné à l’armée ukrainienne, donc le nombre d’équipement ne croît pas nécessairement.
Pendant ce temps, les combats font rage en Ukraine et plusieurs armes font leurs preuves. Alors que plusieurs conflits modernes prennent la forme de guerres irrégulières, ici, ce sont deux armées modernes qui s’affrontent et l’on peut donc constater quelles technologies et stratégies font leurs preuves dans ce contexte. Les drones, les systèmes de défense antiaériens, les missiles à longue portée et les armes antichars modernes semblent tous se montrer efficaces du côté ukrainien. Le constat canadien est âpre : nous n’avons rien de tout ça.
Un article de CBC explique que bien que le Canada possède des armes antichars, il ne possède pas de missiles guidés portatifs tels que le Javelin (Dyer, 2022); on doit se contenter du Carl Gustav, non guidé et avec une portée réduite, ou du M-72, incapable de percer un tank moderne. De même, le Canada ne possède pas de missile Stinger, une autre arme portable par l’infanterie et utilisée avec succès par l’armée ukrainienne pour abattre des cibles aériennes (Dyer, 2022).
Souhaitant toujours soutenir davantage la lutte ukrainienne, le Canada a également investi dans un système de défense
aérienne. Seulement, il sera donné à l’Ukraine, tandis que sa propre armée en est privée depuis 2012 (Berthiaume, 2023).

Madame Von Hlatky dénonce d’ailleurs un système d’acquisition défaillant et lent concernant les équipements militaires, mais elle soulève également que le contexte actuel est propice à devenir plus permissif, ce qui peut accélérer ce processus. Cependant, les nombreux engagements canadiens, notamment avec le NORAD puis dans l’Indo-Pacifique, requièrent que des ajustements soient faits pour moderniser ses ressources dans des délais convenables.
Charlotte Duval-Lantoine émet de son côté quelques réserves quant aux comparaisons entre la situation canadienne et le conflit ukrainien. L’Ukraine voit son territoire directement envahi, tandis que les risques qu’une situation similaire se présente au Canada sont assez faibles. Le Canada a plutôt des besoins de force expéditionnaire. Agissant à l’étranger et en soutien à d’autres pays, il doit penser à ses besoins logistiques. Ses équipements doivent être transportables aisément et rapidement.
Même si l’armée canadienne peut sembler dans une situation inquiétante, il faut tout de même rappeler encore
une fois qu’elle repose sur un solide réseau d’alliances défensives qui comprend les États-Unis. Malgré ces alliances rassurantes, revoir l’équipement et les effectifs canadiens ne peut être une mauvaise chose; nous ne pouvons savoir ce que l’avenir nous réserve. Si nous voulons avoir la capacité d’intervenir où nous jugeons bon de le faire, nous devons avoir un minimum de capacités et d’autonomie. Les trois expertes consultées ont souligné l’influence non négligeable qu’a eu le Canada avec ses dons et l’entraînement offerts aux Ukrainien.nes, et ce, avec des capacités somme toute assez limitées. Si nous voulons continuer d’intervenir à l’international, voire retrouver la réputation de force de paix, nous devons nous donner les moyens d’accomplir les missions que nous nous fixons.
Références
Dyer, E. How the war in Ukraine showed that Canada is ill-equipped to fight a modern army. (2022). CBC News. How the war in Ukraine showed that Canada is ill-equipped to fight a modern army | CBC News
Berthiaume, L. Canadian Army waiting for air-defence systems as Ottawa buys equipment for Ukraine. (2023). CTV News. Canada buying air-defence systems for Ukraine before Army | CTV News
Depuis maintenant quelques semaines, j’ai vaguement entendu parler d’une série de grèves et de manifestations ayant actuellement lieu en France en raison d’un projet de réforme du régime de retraite, qui s’avère très impopulaire. Intriguée par ce mouvement, j’ai décidé d’effectuer des recherches afin d’essayer de comprendre la situation actuelle en France, du haut de mes compétences limitées en la matière.
Par Julianne Campeau, journaliste collaboratriceRésumé des événements
Le 29 février 2020, le gouvernement français use de l’article 49.3 de la Constitution française, qui permet qu’une loi soit adoptée sans qu’il y ait de vote, afin de mettre fin à l’impasse dans laquelle se trouve le projet de loi visant à apporter des modifications au régime de retraite. Ce projet a suscité 1100 amendements en seulement deux semaines de discussions.
Mais au moment où la réforme semble être en voie de se concrétiser, le COVID-19 fait son entrée en Europe. Le 16 mars, soit moins d’un mois plus tard, Macron annonce à la télévision française : « Nous sommes en guerre. Toute l’action du gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre la pandémie. De jour comme de nuit, rien ne doit nous en divertir. C’est pourquoi j’ai décidé que toutes les réformes en cours seraient suspendues, à commencer par la réforme des retraites. » Ainsi, pendant les deux années qui suivent, la réforme du régime de retraite est plus ou moins abandonnée afin que le gouvernement puisse se consacrer à la gestion de la pandémie.
Ce n’est que lors de la campagne électorale de 2022 que la question des retraites refait réellement surface. Dans son programme électoral, Emmanuel Macron fait part de son ambition de faire passer l’âge de retraite de 62 ans à 65 ans. Le projet du président sortant est toutefois loin de faire l’unanimité, et ce dernier se rend assez vite compte qu’il pourrait nuire à sa réélection. Il propose donc de faire monter l’âge légal de retraite à 64 ans au lieu de 65. Cet accommodement semble calmer les opposant.es au projet de loi, mais seulement temporairement. En effet, une fois le président réélu, le projet est largement contesté par les syndicats et les expert.es, qui en soulignent l’aspect inégalitaire. Malgré tout, le gouvernement de l’Élysée n’entend pas revenir sur sa décision, jugeant cette réforme indispensable en raison du vieillissement de la population.
C’est le 19 janvier dernier que débutent réellement les manifestations contre la modification de l’âge de la retraite. La mobilisation est massive à travers le pays, le nombre de manifestant.es et de grévistes étant estimé à plus de 1 million. C’est la première d’une série de manifestations et de grèves qui ont lieu à travers le pays dans les semaines
La retraite à 64 ans : indispensable selon Macron, injuste selon les syndicats
qui suivent, et qui risquent de continuer dans les prochaines semaines, les différents acteurs ne semblant pas être sur le point de trouver un terrain d’entente.
Analyse de la situation
En me renseignant sur la fameuse réforme controversée de Macron, je me suis demandée : pourquoi suscite-t-elle un si grand mécontentement au sein de la population française ? Certes, je savais bien qu’apprendre qu’il va falloir travailler deux années de plus avant de prendre sa retraite n’est pas une nouvelle qui risque de susciter des cris de joie, mais je ne voyais pas en quoi la nouvelle réforme était digne de provoquer des manifestations aussi massives. De plus, en me renseignant, j’ai compris que, même si le gouvernement de l’Élysée réussit à faire passer son projet de loi, les Français.es pourront tout de même partir à la retraite plus jeune que dans la plupart des pays en Europe. En effet, les données fournies par le site Internet Toute l’Europe indiquent que l’âge moyen pour prendre sa retraite au sein de l’Union européenne se trouverait autour de 65 ans. Afin de mieux comprendre la controverse autour de cette réforme, j’ai décidé de me
renseigner un peu sur les problématiques les plus souvent évoquées par ses opposant.es. Aussi, dans le but de proposer une analyse aussi objective que possible, j’ai également effectué mes recherches en ce qui concerne les circonstances ayant motivé celui-ci.
Comme il a été mentionné plus haut, la principale raison évoquée par les grévistes lorsqu’iels expliquent leur opposition à la réforme proposée par Macron, c’est le fait que cette dernière serait inégale. En effet, les expert.es semblent d’accord pour dire que ce sont les gens des classes ouvrières qui sortiront grands perdants de ce nouveau régime de retraite. Selon l’Institut des politiques publiques, les retraité.es doté.es de plus petites pensions meurent généralement autour de 72 ans alors que celleux qui détiennent les plus grandes pensions ont une espérance de vie de 84,5 ans. Si on considère le fait que, en France, la pension de retraite d’un individu est calculée en fonction de son salaire durant ses années de travail, on peut ainsi affirmer que les personnes issues de milieux plus aisés vivent plus longtemps que les gens issus du monde ouvrier. Le directeur de l’institut, Antonio Bozio, dénonce cette

situation, émettant le commentaire suivant : « Ces inégalités d’espérance de vie contribuent à une redistribution à l’envers : les pauvres cotisent plus qu’ils ne reçoivent! ». Ainsi, ce report de l’âge de retraite risque d’accentuer les inégalités déjà présentes au sein du régime de retraite français.
Mais qu’est-ce qui peut bien motiver le gouvernement d’Emmanuel Macron à vouloir modifier l’âge légal de retraite ? Premièrement, le vieillissement de la population. Comme ici, la France fait face à une pénurie de maind'œuvre en raison de la pyramide des âges inversée. Le report de l’âge de retraite s’avérerait donc une tentative pour freiner la perte de travailleur.euses dont la France a, comme dans un grand nombre de pays, désespérément besoin. Ensuite, il y a la question des finances publiques. En lisant le magazine Marianne lors de mes recherches, je suis tombée sur les deux phrases suivantes : « Le gouvernement ne s’en cache même plus. La réforme des retraites ne vise pas tant à l’équilibre interne au système de pension, entre cotisations et prestations, qu’à celui, plus vaste, des finances publiques. » (Lévy : 14) J’ai toujours eu un peu de mal à comprendre les affaires liées à l’économie, mais d’après ce que j’ai compris de mes lectures, l’économie française est actuellement déficitaire (l’État dépense plus qu’il ne gagne). En sachant cela, on peut émettre l’hypothèse que le nouveau projet de loi aurait en partie pour objectif d’alléger ce déficit.
Références
Agence France-Presse, « France : un mardi de mobilisation contre la réforme des retraites », dans Le Soleil, (29 janvier 2023), [en ligne].
https://www.lesoleil.com/2023/01/29/france-un-mardi-demobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-5bb1d6bb2b d9991c87cf69eadf5b9260 (Site consulté le 8 février 2023).
Bruckert, Erwan, Éric Mandonnet, Béatrice Mathieu et Philippine Robert, « Trente mois de rebondissements », dans L’Express, no 3718, (6 au 12 octobre 2022), p. 21-24.
Dedieu, Franck, Laurence Dequay et Soazig Quéméner, « Retraites, ce qu’ils ne disent pas », dans Marianne, no 1334, (6 au 12 octobre 2022), p. 10-13.
Dedieu, Franck, Laurence Dequay et Emmanuel Lévy, « Et si on essayait autre chose? », dans Marianne, no 1334, (6 au 12 octobre 2022), p. 15-17.
Fioriti, Joris, « Le mouvement contre la réforme des retraites ne s’essouffle pas en France », dans Le Devoir, (31 janvier 2023), [en ligne].
https://www.ledevoir.com/monde/europe/779931/nouvellejournee-de-greve-massive-contre-la-reforme-des-retraitesen-france (Site consulté le 6 février 2023).
Grob, Sébastien, « Motus sur la situation des futurs retraités», dans Marianne, no 1334, (6 au 12 octobre 2022), p. 14.
Lévy, Emmanuel, « Et si on essayait autre chose? » dans Marianne, no 1334, (octobre 2022), p. 16.
Mandonnet, Éric, « Macron dans le piège de la réforme des retraites », dans L’Express, no 3718, (6 au 12 octobre 2022), p. 20-21.
Tobelem, Boran, « [Carte] L’âge légal de départ à la retraite dans l’Union européenne », Toute l’Europe, consulté le 6 février 2023, [en ligne] https://www.touteleurope.eu/ economie-et-social/l-age-legal-de-depart-a-la-retraitedans-l-union-europeenne/.
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What makes [les Fangirls] beautiful
Bien que les fangirls soient résolument un sujet découlant du monde anglophone, et que l’on en entend peu parler ici, je pense qu’il reste pertinent d’écrire à ce propos. Car qui n’a jamais entendu ici les fans de Justin Bieber ou du pumpkin spice latte être rabaissé.es ? Honteusement, au secondaire, j’ai moi-même tenté de me distancier – je ne suis pas comme toutes les autres filles – de One Direction alors que je consommais (et écrivais – avec ma rédactrice en chef d’ailleurs) en cachette des fanfictions sur le boys band de l’heure.
Par Jade Talbot, cheffe de pupitre actualités

Sur Dictionary.com , on définit un.e fan comme « un.e adepte, un.e partisan.ne ou admirateur.trice d’un sport, d’un passe-temps ou d’une célébrité ». On donne en exemple un fan de baseball ou un grand fan de Charlie Chaplin. La définition est semblable sur le Larousse en ligne (Larousse, 2023). Cependant, lorsqu’on ajoute une dimension plus humaine, soit par l’ajout du suffixe -girl ou -boy, la définition change passant d’une admiration à une obsession, alors que fangirl et fanboy sont définis sur le site comme : « un.e fan obsessif.ve, spécialement des bandes dessinées, de science-fiction, de jeux vidéos, de musique et d’appareils électroniques ». Et si ces définitions semblent déjà plus connotées, elles restent passablement neutres comparativement à celles que l’on peut trouver ailleurs sur Internet.

Au-delà d’une définition tirée d’un dictionnaire, il est intéressant d’explorer comment le terme est perçu et défini dans la sphère sociale. Une visite sur UrbanDictionary.com nous renseignera autant sur les définitions des slangs et expressions utilisés dans la vie courante que sur la société. Il s’agit d’un dictionnaire en ligne où les internautes publient des définitions, ces dernières reçoivent ensuite des votes selon l’appréciation des utilisateur.trices, subjectivité garantie. Le site n’est donc pas du tout fiable au plan
linguistique, mais reste intéressant d’un point de vue sociologique. Et si les définitions sont teintées des jugements et des expériences des utilisateur.trices, l’intolérance et la haine font également partie du portrait. C’est le cas notamment avec les définitions sur les fangirls.
« Une race enragée de femmes qui est obsédée par un personnage de fiction ou un acteur » (5940 mentions j’aime et 935 mentions je n’aime pas), « une fan d’un sujet qui est obsédée à un certain degré avec ledit sujet (souvent malsain) » (513 mentions j’aime et 91 mentions je n’aime pas ), « une femme qui a dépassé la ligne entre une admiration saine et une obsession indécente » (2289 mentions j’aime 599 mentions je n’aime pas), « une fille TRÈS épeurante qui est éperdument amoureuse et obsédée par un homme (réel ou pas). Elles gaspillent les bandes passantes de plusieurs sites liés aux célébrités en commentant excessivement. Elles écrivent d’affreuses fanfictions à propos d’elles mariant et ayant beaucoup d’enfants avec la célébrité. OMG, hawt, hot, like, awesome, love, marry, SQEE et kiss est le seul vocabulaire qu’elles utilisent » (41 mentions j’aime et 34 mentions je n’aime pas) (traduction de l’auteure) (Urban Dictionary, 2023).
Si le Urban Dictionary nous laisse croire qu’être une fangirl est quelque chose de ridicule et de négatif, plusieurs personnes s’efforcent à détruire les stéréotypes et à éduquer la population sur le sujet. C’est entre autres le cas de Shit You Should Care About (SYSCA) qui propose du contenu web et un podcast visant à informer et à intéresser le public à l’actualité et aux enjeux de société. Le contenu est accompagné de photos d’Harry Styles et de sondages quotidiens – « est-ce que les restants de pizza sont meilleurs froids ou réchauffés ? » Il y a un peu plus d’un an, Lucy Blakiston, cofondatrice de SYSCA, publiait un texte – It’s Time To Stop Shitting on Stans – défendant les fangirls des stéréotypes qu’on leur accole.
Hystérique, obsédée et psychotique sont quelques mots utilisés pour amoindrir les jeunes – surtout les jeunes femmes – qui ont géré des communautés, construit des sites web/serveurs/forums, utilisé photoshop, écrit des fanfictions, édité des vidéos et organisé politiquement TOUT POUR L’AMOUR DE LEURS PRÉFÉRÉ.ES. Je suis ici pour vous dire que ces personnes et ces compétences doivent être reconnues pour ce qu’elles sont, plutôt qu’être moquées ou ignorées. – Lucy Blakiston, SYSCA,18 mai 2021 (traduction de l’auteure).
Dans son texte, elle met de l’avant toutes les compétences que développent les personnes qui s’investissent dans leur passion. Il s’agit de compétences comme la gestion d’une communauté, le montage sur photoshop, l’écriture, l’édition, la construction de sites web et de forums, des compétences qui sont utiles dans la vie de tous les jours et qui peuvent être utilisées dans d’autres contextes, comme au travail (pensée pour moi-même et ma rédactrice en chef). Elle plaide aussi pour que toustes puissent être libres d’aimer et d’être passionné.es sur ce qu’iels veulent. Finalement, elle affirme qu’il s’agit d’un enjeu de genre; elle se base notamment sur le double standard que vivent les fans selon leur passion. Un.e fan de quelque chose qui rejoint en grande partie les hommes, comme le sport ou les groupes rock, sera vu.e comme étant passionné.e ou dévoué.e alors qu’être fan d’un.e chanteur.euse pop ou d’un boys band, qui intéressent généralement plus les femmes, sera vu.e comme étant embarrassant.e et juvénile (Blakiston, 2021).
Ils ne sont certainement pas gênés ou honteux d’être un fan de sport (à moins bien sûr que l’équipe soit nulle). En fait, ils peuvent devenir un fan à temps plein en étant commentateur, hôte d’un spectacle d’après-match, ou l’un des autres emplois qui sont recommandés pour les amateurs de sport. Pourquoi les jeunes femmes qui crient lors d’un concert de One Direction sont perçues comme hystériques, mais que des hommes adultes qui crient sur leur télé inanimée ou qui créent des émeutes et causent des millions de dollars en dommages sont seulement vus comme des fans de sport ? – Lucy Blakiston, SYSCA, 18 mai 2021 (traduction de l’auteure).
Qui a dit que les jeunes femmes qui aiment la musique pop – raccourci pour populaire, correct? – ont des goûts musicaux pires qu’un hipster de 30 ans? Ce n’est pas à vous de décider. La musique est quelque chose qui change constamment. Ce n’est pas quelque chose de statique. Les jeunes femmes aiment les Beatles. Vous allez me dire qu’elles ne sont pas sérieuses? Comment pouvez-vous dire que les jeunes femmes ne comprennent pas? Elles sont notre futur. Nos futures docteures, avocates, mères, présidentes, elles font avancer le monde. Les fangirls –elles ne mentent pas. Si elles t’aiment, elles sont là. Elles n’agissent pas « trop cool » pour toi. Elles t’aiment et elles te le disent. C’est génial. – Harry Styles, Rolling Stone, 18 avril 2017 (traduction de l’auteure).
Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène nouveau : depuis des décennies, les fangirls sont vues comme étant folles et embarrassantes. On peut notamment penser aux fans des Beatles. Combien de fois a-t-on vu les images de ces femmes, combien de fois nous a-t-on dit qu’elles étaient complètement hystériques ? Les années 60 ne sont pas bien loin et malheureusement les hommes méprisent encore ces femmes qui sont passionnées. Ces femmes qui achètent affiches, vêtements, magazines à l’effigie de leur groupe favori pour démontrer leur admiration et leur support, ironiquement remplissent les poches de ceux-là même qui les traitent d’hystériques. C’est aussi pourquoi les fangirls sont importantes : avec leur passion et leur dévouement, elles créent (articles promotionnels, littérature,
blog, etc.) de façon à ce que leur passion puisse être produite et consommée au sein même de leur communauté. Ce sont des personnes passionnées, dévouées, créatives, débrouillardes et elles méritent autant de respect que n’importe quel fan. Il est temps de laisser les femmes être passionnées et partager leur amour. Si les hommes critiquent ces passions, ce n’est pas parce qu’ils ont un problème avec les Beatles ou Justin Bieber, c’est qu’ils ont un problème avec les femmes. Malgré les commentaires dégradants et les définitions d’hommes-frustrés-qui-netolèrent-pas-que-les-femmes-aient-une-passion-et-unevie-qui-ne-tourne-pas-autour-d’eux, les fangirls rayonnent, existent et continueront d’exister. Elles sont une douce turbulence.
Références
Blakiston, L. (2021). It’s Time To Stop Shitting On Stans, Shit You Should Care About. https://shityoushouldcareabout. com/article/stans
Crow, C. (2017) Harry Styles’ New Direction, Rolling Stones. https://www.rollingstone.com/feature/harry-stylesnew-direction-119432/

Dictionary (2023). Fan. https://www.dictionary.com/browse/ fan
Dictionary (2023). Fangirl . https://www.dictionary.com/ browse/fangirl
Dictionary (2023). Fanboy . https://www.dictionary.com/ browse/fanboy
Larousse (2023). Fan. https://www.larousse.fr/dictionnaires/ francais/fan/32801
Urban Dictionary (2023). Fangirl . https://www. urbandictionary.com/define.php?term=fangirl
Fleuve, comment vas-tu ?
J’avais trois ans lorsque j’ai foulé la grève de Saint-Jean-Port-Joli pour la première fois. Rapidement, j’ai développé l’habileté de courir sur les rochers inégaux et coupants du bord du fleuve. J’ai ramassé les bouts de verres polis pour en faire des mobiles et collectionné les petites balles d’airsoft que je trouvais lors de mes escapades. Cette innocence s’est tranquillement évaporée et j’ai commencé à remarquer les résidus de toutes sortes s’échouer sur ma grève bien-aimée.
Par Marie Tremblay, journaliste collaboratrice
Des années plus tard, alors que je revenais dans ce petit village, j’ai participé à une activité de sensibilisation sur la pollution du fleuve. Elle consistait à prendre en photo un déchet de façon artistique. Les photos rassemblées serviraient à la création d’une œuvre. Je suis assez indécise dans la vie, alors j’ai eu du mal à prendre seulement une photo, face à la panoplie de déchets qui jonchaient la berge. Même à la suite de cette expérience, je n’avais pas pleinement conscience de l’impact des activités humaines sur ce cours d’eau emblématique. En grandissant, je me suis davantage intéressée à la cause environnementale et j’ai acquis plus de connaissances et de sensibilité sur le sujet. Ce n’est pas le fruit du hasard si j’étudie désormais en environnement et que je compte me spécialiser en environnements aquatiques.
En date de 2010, 80% de la pollution marine provenait des activités anthropiques, selon le Programme des Nations unies pour l’Environnement (Amar, 2010, p.7). Je n’ai pas fait de recherche pour actualiser cette donnée, par peur du chiffre que je pourrais y trouver. L’humain, par la surpêche, l’utilisation de produits chimiques, la pollution atmosphérique (Amar, 2010, p.3) et la navigation (Schloss et al. 2017, p.136), a grandement perturbé les écosystèmes marins et contribué à l’augmentation des stress environnementaux vécus par les populations aquatiques (Schloss et al. 2017, p.135).
Je ne sais même pas par où commencer, car les problématiques sont nombreuses et s’influencent entre elles. L’hypoxie est un stress environnemental important pour les écosystèmes du fleuve et se caractérise par la diminution de la concentration d’oxygène (O2) dans l’eau. Ce phénomène peut causer du stress chez les organismes
et entraîner la mort dans des cas extrêmes. L’estuaire du fleuve est la région la plus affectée par ce phénomène, car le brassage naturel des eaux est plus difficile. L’eau riche en oxygène reste alors en surface et limite les échanges d’oxygène entre les couches d’eau (Schloss et al. 2017, p.137). Le courant froid du Labrador est très important pour l’apport d’oxygène dans le fleuve. Cependant, les changements climatiques ont affecté les courants, menant à une diminution de la présence du courant froid. Ce manque est désormais compensé par l’apport d’eau chaude moins oxygénée arrivant de l’Atlantique (Shields, 2021). En 2021, la concentration d’oxygène observée dans les profondeurs de l’estuaire avait diminué de moitié en trois ans, passant de 20% à 10%. Dans les faits, le SaintLaurent est passé d’une hypoxie sévère à une hypoxie alarmante (Shields, 2021). Le réchauffement climatique est une autre composante qui entre en jeu en raison de l’augmentation de la température de l’eau. En effet, cela a contribué à la prolifération de bactéries aérobies (qui ont besoin d’oxygène). La demande en O2 a donc augmenté alors que ses réserves étaient déjà précaires (Schloss et al. 2017, p.137). Cette diminution d’oxygène peut altérer la croissance des organismes, leur reproduction ainsi que diminuer la biodiversité (Schloss et al. 2017, p.138).
J’enchaine avec l’acidification de l’eau, entraînée par la captation du dioxyde de carbone (CO2) par les océans. Ces derniers absorbent l’excès de gaz rejeté dans l’atmosphère. Le dioxyde de carbone qui se retrouve dissous dans l’océan entre en réaction avec les molécules d’eau et produit des ions H+, une particule acide (Schloss et al. 2017, p.140). Comme mentionné ci-haut, les eaux profondes contiennent moins de O2. Elles ont donc une plus grande concentration de CO2 et sont davantage
affectées par l’acidification des eaux. Il est évalué que le pH des eaux profondes a diminué de 0,2 à 0,3 unité (Schloss et al. 2017, p.142), contre 0,12 unité pour les eaux de surface (Schloss et al. 2017, p.140). Le réseau trophique de l’écosystème, c’est-à-dire les relations alimentaires entre les espèces, sera le plus touché par cette problématique. De fait, l’acide s'attaque aux organismes ayant un squelette en calcaire (CaCO3) comme les mollusques et les crustacés qui sont nécessaires à la stabilité des écosystèmes. (Schloss et al. 2017, p.140).
L’hypoxie et l’acidification sont des réactions chimiques qui découlent de l’activité humaine. En revanche, d’autres activités comme la pêche et la navigation impactent directement la biodiversité du fleuve. En raison de la pêche commerciale, certaines populations de poissons peuvent disparaître localement, c’est-à-dire que l’espèce existe toujours, mais qu’elle n’est plus présente dans un écosystème précis. Cela peut se produire lorsqu’une espèce n’a pas le temps d’atteindre la maturité sexuelle avant d’être pêchée. Souvent, ce sont les gros poissons qui sont affectés, et par conséquent, ils diminuent en nombre. Dans de telles conditions, les organismes ayant des cycles de vie plus courts sont avantagés par leur reproduction. Un déséquilibre se crée au niveau de la chaîne alimentaire en raison du peu de prédateurs et l’écosystème devient instable. (Amar, 2010, p.5).

Je pourrais survoler encore longtemps les problèmes qui perturbent les écosystèmes marins abrités par le fleuve Saint-Laurent. Cependant, je n’ai pas envie de déprimer qui que ce soit. Pour moi et pour une majorité de Québécois. es, le fleuve fait partie de notre identité. Concrètement, des organismes travaillent à la protection, la conservation et le rétablissement des différents écosystèmes. L’organisme
Stratégies Saint-Laurent a pour mission de favoriser l’action citoyenne à travers ses activités. Cela est rendu possible grâce aux douze zones d'intervention prioritaire (ZIP). Chaque comité ZIP s’affaire à la protection d’une zone particulière et à la mise en valeur du territoire. (Stratégies Saint-Laurent, 2011). Avec les mentalités qui ont évolué, je crois que la population veut se réapproprier le fleuve tout en le gardant en bonne santé. L’aménagement de plages urbaines en est un bon exemple et j’ai confiance que nous continuerons à développer un mode de vie qui sera davantage en harmonie avec le monde naturel.
Bibliographie
Amar, R. (2010). Impact de l’anthropisation sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes marins: exemple de la Manche-mer du nord. [VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement, (8). P.1-13. https://id.erudit.org/iderudit/045528ar.
Schloss IR et al. (2017). Impacts potentiels cumulés des facteurs de stress liés aux activités humaines sur l’écosystème marin du Saint-Laurent. Dans : Archambault P, et al. éds. Les hydrocarbures dans le golfe du SaintLaurent : enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Notre Golfe, Rimouski, p. 132-165. https:// notregolfe.ca/.
Shields, A. (2021). Chute abrupte d’oxygène dans les eaux du Saint-Laurent, Récupéré sur Le Devoir : https://www. ledevoir.com/environnement/649758/environnementchute-abrupte-d-oxygene-dans-les-eaux-du-saint-laurent.
Stratégies Saint-Laurent. (2011). Récupéré sur Stratégies Saint Laurent: https://www.strategiessl.qc.ca.
ChatGPT : véritable coup de tonnerre
Si le sujet de l’intelligence artificielle et les enjeux qu’il soulève ne sont pas nouveaux, il semblerait qu’une prise de conscience se fasse de plus en plus sentir dans la collectivité quant à son évolution exponentielle qui est, pour plusieurs, aussi impressionnante qu’inquiétante. L’objectif de cet article est de présenter un survol des avantages et des problèmes qu’implique l’arrivée de ChatGPT dans différents milieux, qu’ils soient intellectuels, artistiques ou encore scolaires. Je présenterai au passage Dall-e, un outil similaire spécialisé dans la génération d’œuvres picturales.
Par William Pépin, journaliste multimédia
À noter que ce texte a été écrit au début du mois de février 2023 et, qu’entre sa rédaction et sa publication, il est probable que certains aspects de ma réflexion entourant l’intelligence artificielle au sens large deviennent obsolètes tant la technologie et l’actualité qui l’entourent progressent rapidement.
Avant de plonger dans le vif du sujet, il convient de présenter OpenAI, la compagnie responsable de la création de ChatGPT. OpenAI a été fondé dans les coulisses de la Silicon Valley en 2015 et se spécialise dans le domaine de l’intelligence artificielle. Six fondateurs sont à l’origine de l’entreprise, dont Elon Musk. Devant les défis qu’impose l’évolution effrénée de cette technologie, le souhait des co-présidents était de travailler sur le développement d’une IA « bénéfique au plus grand nombre (Pontiroli, 2015) ». Évidemment, ces passions angéliques remontent à 2015; aujourd’hui, OpenAI développe en parallèle plusieurs produits, dont ChatGPT et Dall-e, outils puissants et qui soulèvent depuis plusieurs mois de nombreuses inquiétudes.
Quant à ChatGPT, il s’agit d’un modèle de langage qui en est à sa troisième version (GPT-3). Son nom est un acronyme qui signifie Chat Generative Pre-trained Transformer ou « transformateur génératif préentraîné conversationnel » en français. Plus concrètement, ce nom fait référence aux capacités qu’a l’outil de simuler une conversation naturelle tout en donnant l’illusion que l’on s’adresse à un interlocuteur. De plus, l’acronyme fait référence à la dimension de préentraînement de
l’application, essentielle pour que l’intelligence artificielle puisse se construire un réseau de données capable de fournir aux utilisateur.rices des réponses cohérentes (attention : cohérentes, pas véridiques) (Lausson, 2023). La méthode de préentraînement n’est toutefois pas exclusive à ChatGPT, puisque, comme l’explique David Larousserie, journaliste scientifique pour Le Monde, « [l]es technologies d’intelligence artificielle contemporaines appartiennent majoritairement à la famille de l’apprentissage profond ou deep learning » (Larousserie, 2023). Il en profite pour détailler ce que l’on entend par « apprentissage » et « profond » :
« Le terme « apprentissage » se réfère au fait que la relation générale cherchée entre des données en entrées (images, textes, sons…) et en sorties (étiquette, nouvelle image, nouveau son…) est obtenue en variant des millions ou des milliards de paramètres à partir de données entrées/sorties connues. L’adjectif « profond » fait référence à la manière dont sont organisées les unités élémentaires, assimilées à des neurones. Les forces de connexion entre ceux-ci sont calculées par l’apprentissage. » (Larousserie, 2022).
D’ailleurs, en tant que modèle de langage, il est possible pour ChatGPT de fournir des lignes de programmation. Par exemple, je lui ai demandé d’écrire le code d’une visionneuse d’images en JavaScript et de l’insérer dans un gabarit HTML5. Pour l’instant, l’outil se limite néanmoins à de la programmation élémentaire ; après lui avoir demandé de rédiger le script d’un jeu d’échecs en langage
Python, l’outil m’a expliqué que c’était une requête difficile à accomplir, mais m’a tout de même fourni des astuces pour me guider. Au passage, si j’emploie les verbes « demander », « expliquer » ou encore « guider » pour faire référence à mes rétroactions avec l’outil, c’est pour mettre en lumière la dimension conversationnelle de l’échange humain/machine.
Le futur est déjà là

Les bouleversements qu’occasionne l’arrivée de ChatGPT se font sentir dans le secteur des technologies et du web. En fait, la révolution est déjà en train de se faire au moment où vous lisez ces lignes, puisque Microsoft a annoncé le 7 février dernier vouloir intégrer l’agent conversationnel à son moteur de recherche Bing (le mal aimé) ainsi qu’à son fureteur Edge (Lausson, 2023). Microsoft a investi pas moins de 10 milliards de dollars pour rendre possible ce partenariat avec OpenAI, véritable coup de tonnerre dans le milieu des technologies. Plus concrètement, ce changement nous amènerait à revoir notre manière d’effectuer des recherches sur internet, puisqu’il ne s’agirait
plus d’écrire des mots clés dans une barre de recherche pour obtenir une liste de sites web susceptibles de nous intéresser. Désormais, nous n’aurions qu’à demander à Bing de répondre directement à nos questions (à l’aide, bien entendu, de ChatGPT dans les coulisses). En ce qui concerne Edge, il sera possible d’utiliser l’outil d’OpenAI pour commenter les pages web, les traduire ou encore pondre des résumés (Lausson, 2023). Cette nouvelle étape a le potentiel de faire trembler les géants de la tech, avec Google en tête, dont le modèle d’affaires risque ainsi de devenir caduc (Lausson, 2023).
Puisque ChatGPT en est actuellement à sa version 3.5, cela fait en sorte qu’il fonctionne à partir de données accumulées jusqu’à l’année 2021. Or, avec le nouveau modèle intégré aux outils de Microsoft, l’agent conversationnel serait en constante réactualisation et donc à jour, puisque connecté à internet (Lausson, 2023). Ce n’est pas tout : Bing et Edge ne sont pas les seuls outils sur lesquels Microsoft planifie l’intégration de ChatGPT, puisque l’entreprise projette de s’en servir également pour
Word ou encore Outlook. À moyen terme, il serait donc possible de générer des gabarits de courriels ou des lettres de présentation à même ces applications.
La place de l’humain dans tout ça
Les données à partir desquelles ChatGPT élabore ses réponses ne tombent pas du ciel. C’est sans doute de l’ordre de l’évidence, mais l’IA se base en effet sur du contenu généré par l’être humain avec lequel il s’entraîne pour solidifier ses réseaux « neuronaux ». Le deep learning ne peut donc se faire qu’à condition que des données préexistantes soient intégrées à l’outil, ce qui engendre forcément « la reproduction des biais, des stéréotypes, des lacunes présents dans ces données (Larousserie, 2022). »
De plus, la collecte ou le filtrage de données ne se font pas toujours dans des conditions saines; si ChatGPT semble avoir réponse à tout (ou presque), il faut comprendre que cela a un coût humain indéniable. Le Times a en effet révélé au mois de janvier de cette année qu’OpenAI exploite des travailleur.euses au Kenya (par l’intermédiaire de l’entreprise Sama) en les payant moins de deux dollars de l’heure (Perrigo, 2023). Les employé.es en question sont engagé.es pour trier et filtrer le contenu à caractère violent, raciste, sexuel ou encore pédopornographique présent dans la somme astronomique de contenu que l’outil répertorie dans sa base de données, et ce, afin d’entraîner l’IA à repérer les textes problématiques. En plus du salaire inhumain, la charge de travail est immense, puisque chaque travailleur.euse doit lire jusqu’à 250 textes par jour, ces derniers pouvant varier entre 100 et 1000 mots (Perrigo, 2023). C’est pour cette raison que ChatGPT ne
permet pas l’emploi de vocabulaire explicite, car oui : si l’outil fait mine de s’indigner lorsque vous lui parlez de sexe, c’est parce que des gens ont été exploité.es pour lui apprendre à ignorer ce genre de contenu. Comme quoi l’intelligence humaine n’est jamais bien loin.

Le journaliste Alain McKenna, quant à lui, ne cache pas son inquiétude : « [C]haque fois que nous nous amusons avec Dall-E ou ChatGPT, nous contribuons à l’accélération du développement d’une machine qui nous remplacera sans doute un jour dans de nombreuses tâches du quotidien (McKenna, 2023). » Si McKenna n’est pas le seul à exprimer son inquiétude quant aux pertes d’emplois éventuels, Laure Soulier, quant à elle, chercheuse à Sorbonne Université et spécialiste des techniques d’apprentissage profond, rappelle qu’une inquiétude similaire nous habitait lors de l’apparition de Wikipédia au début des années 2000 : « Quand Wikipédia est né, beaucoup de gens disaient : “c’est la fin de l’école”. Et nous avons appris à utiliser ces outils. Avec ChatGPT, je suis assez confiante. Nous allons apprendre à […] travailler différemment. (France Culture, 2023) ».
Enfin, une part de l’inquiétude se comprend en lien avec la puissance de l’outil en lui-même. La prochaine itération de ChatGPT, GPT-4, devrait être en mesure de traiter des quantités astronomiques d’information « en fonction d’un nombre de critères que les rumeurs situent entre 1 et 100 billions (soit entre 1000 et 100 000 milliards de critères) (McKenna, 2023). »
Au-delà des mots
Jusqu’ici, j’ai abordé l’intelligence artificielle par le prisme rédactionnel. Or, OpenAI se spécialise aussi dans le développement d’outils générateurs d’œuvres picturales, soit Dall-e. Le jeu de mots saute aux yeux, le nom évoquant à la fois WALL-E, le personnage-robot de Pixar et le célèbre peintre Salvador Dali (Johnson, 2021). Le symbole est fort: une intelligence artificielle capable d’imiter le style de l’un des plus grands peintres de l’histoire récente. Ici, au-delà de la prouesse technologique aussi vertigineuse que surprenante, une question se pose sur le plan juridique, puisqu’il s’agit ici de copier l’essence esthétique d’un créateur pour se l’approprier. Autrement dit, à partir de maintenant, n’importe qui peut envoyer une requête à Dall-e afin d’obtenir une image qui s’accapare des œuvres antérieures pour en créer de nouvelles, et ce, sans trop de scrupules.
En ce sens, Eve Gaumond, juriste de formation et chercheuse en droit des technologies de l’information, s’intéresse aux enjeux juridiques que suscite l’apparition de ces outils. Elle aborde sur sa page web professionnelle les questions de propriété intellectuelle tout en détaillant au passage la manière dont fonctionne Dall-e, qui, vous le verrez, s’apparente à ChatGPT sur le plan de la collecte de données :
« Dans le cas de Dall-e, ce sont 650 millions de paires images+légendes grappillées sur internet qui ont été utilisées. Ces données ont servi d’exemples pour les réseaux de neurones. À force d’analyser des millions d’images, les réseaux de neurones sont devenus très performants pour réaliser leur petit bout de tâche […] Reproduire ainsi des œuvres dans une base de données pour entraîner un système d’intelligence artificielle constitue-t-il une forme d’exploitation du


travail des artistes ? Les artistes consentent-ils à cette utilisation de leur œuvre ? Reçoivent-ils une quelconque forme de rémunération ? » (Gaumond, 2022)
On comprend que les zones grises demeurent nombreuses à l’heure actuelle et que, sur le plan juridique, la question des droits d’auteur est appelée à changer de paradigme. Il faut comprendre qu’en ce moment, il est très difficile pour un artiste de prouver que ses œuvres ont été utilisées pour alimenter la base de données d’une intelligence artificielle (Gaumond, 2022).
Au passage, il convient de préciser que Dall-e n’est pas le seul outil qui permet de telles prouesses « artistiques ». Il suffit de penser à Midjourney, un laboratoire indépendant dont le fonctionnement est similaire à ce que propose l’outil d’OpenAI, apparu un mois avant ce dernier. Leur grande sœur, Stable Diffusion de la société Stability IA, est l’initiatrice de ce mouvement que l’on peut appeler « textto-image art » (Péloquin, 2022). Force est de constater que cette nouvelle pratique participe à un décentrement de l’action créatrice vers la requête artistique que l’on envoie à la machine, qui s’occupera, à la place des artistes, d’opérer des choix artistiques. Autrement dit, dans un tel contexte, la créativité ne réside plus tant dans le savoirfaire technique et conceptuel que dans la manière d’opérer des commandes, dans l’expertise dialogique avec l’IA, même si l’écriture de requêtes comporte son lot d’expérimentation et de ratages.
Impacts dans le milieu de la recherche
Tel que mentionné ci-haut et pour expliquer comment l’intelligence artificielle fonctionne, il est souvent question de la métaphore des neurones qui permettent de lier des informations de différentes natures entre elles. Or, ces



« neurones », dans le domaine de l’intelligence artificielle, sont souvent opaques, en témoignent les exemples d’illustrations volées ou encore les contenus textuels issus de sources plus ou moins identifiées (ou non identifiables). En recherche, c’est un problème, puisque pour les scientifiques, ignorer la provenance d’une information dans un contexte où l’IA serait utilisée relève d’un manque de rigueur, et qu’il est dès lors délicat de juger le degré d’exactitude des réponses que peuvent offrir un outil comme ChatGPT (Larousserie, 2022).
Ainsi, l’arrivée de ChatGPT bouleverse le milieu de la recherche. S’il est tentant de s’emparer de l’outil pour faciliter le travail des chercheur.euses, il ne faut pas oublier que ChatGPT tel qu’il se présente au public actuellement est lacunaire sur le plan de la véracité de ses énoncés. J’ai moi-même tenté l’expérience en demandant à l’outil de me fournir une fiche de lecture de L’Illusion Comique de Corneille. Ce n’était pas à des fins de triche ou pour contourner l’étape difficile, mais ô combien nécessaire, de l’appropriation textuelle et thématique d’une œuvre, mais bien pour mettre en relation l’analyse de l’outil avec la
somme des discours critiques autour de la pièce de Corneille. Or, il s’est avéré que ChatGPT s’est contenté d’un résumé si superficiel de la pièce qu’il en venait à la dénaturer.
Dans leur article « ChatGPT : five priorities for research », des chercheur.euses proposent à la communauté scientifique de se pencher sur cinq grandes questions jugées cruciales pour la suite : s’assurer d’une vérification humaine accrue en aval des textes générés, adapter les législations entourant la responsabilité et de l’auctorialité des textes, promouvoir une meilleure transparence des outils, mieux comprendre les bénéfices de l’intelligence artificielle, et, enfin, ouvrir le débat sur le sujet le plus tôt possible en incluant la communauté scientifique dans le dialogue (A. M. van Dis, Bollen, Zuidema, Van Rooij, Bockting, 2023). Dès lors, l’idée est, d’une part, d’accepter l’existence des nouveaux outils au lieu de les antagoniser et, d’autre part, de se doter de règles quant à leur utilisation future.

Le plagiat : pas si facile à éviter
Quant au plagiat, dont le sujet a déjà fait couler beaucoup d’encre, les tentatives se multiplient pour identifier les contenus générés par une IA. Or, la tâche est colossale, parce qu’il est facile pour l’instant de contourner les certificats d’authenticité (ou watermarks ) attribués aux textes générés par l’IA (Wiggers, 2022). Toutefois, il semble y avoir un réel souci chez OpenAI de distinguer ce qui a été pondu par la machine et ce qui provient tout droit de la matière grise humaine, et ce, pour plusieurs raisons qui ne concernent pas forcément le plagiat. En effet, une telle démarche vise également à identifier les trolls sur internet, le contenu propagandiste de masse, le vol d’identité numérique, l’hameçonnage ou les détournements malveillants (Wiggers, 2022).
Qui vivra verra
Si les appréhensions sont nombreuses devant les changements et les enjeux que suscite un tel bond technologique, il convient peut-être de se rassurer quant à la menace éventuelle du pouvoir de l’intelligence artificielle et de l’hypothétique ascendant qu’elle pourrait avoir sur l’humain. Même si un scénario à la Skynet n’est, à mon sens, pas impossible, même si des outils comme ChatGPT soulèvent des questions légitimes, essentielles et susceptibles de changer une partie de notre rapport au savoir et même si les craintes sont justifiées, il faut rappeler que toutes les révolutions apportent leur lot d’inquiétudes.
Références
A. M. van Dis, A., Bollen, J., Zuidema, W., Van Rooij, R. L. Bockting, C. (2023, 3 février). ChatGPT : five priorities for research. Springer Nature. https://www.nature.com/articles/ d41586-023-00288-7
France Culture. (2023, 11 février). Les progrès de l’intelligence artificielle vont-ils rendre le travail obsolète ? Radiofrance. https://www.radiofrance.fr/franceculture/ podcasts/l-invite-e-des-matins/les-progres-de-lintelligence-artificielle-vont-ils-rendre-le-travailobsolete-5887764
Gaumond, E. (2022). Dalí c. Dall-e. Eve Gaumond. https:// evegaumond.ca/2022/11/02/dali-c-dall-e/
Johnson, K. (2021, 5 janvier). OpenAI debuts DALL-E for generating images from text. VentureBea t. https:// venturebeat.com/business/openai-debuts-dall-e-forgenerating-images-from-text/
Larousserie, D. (2022, 21 décembre). Au-delà de l’intelligence artificielle, le chatbot ChatGPT doit ses talents d’orateur à l’humain. Le Monde. https://www.lemonde.fr/ sciences/article/2022/12/21/au-dela-de-l-intelligenceartificielle-le-chatbot-chatgpt-doit-ses-talents-d-orateur-al-humain_6155242_1650684.html

Lausson, J. (2023, 22 janvier). Au fait, pourquoi ChatGPT s’appelle ChatGPT ? Numerama. https://www.numerama. com/tech/1239784-au-fait-pourquoi-chatgpt-sappellechatgpt.html
Larousserie, D. (2022, 24 octobre). Intelligence artificielle : les multiples visages du deep learning. Le Monde. https:// www.lemonde.fr/sciences/article/2022/10/24/intelligenceartificielle-les-multiples-visages-du-deeplearning_6147153_1650684.html

Lausson, J. (2023, 7 février). Microsoft intègre ChatGPT partout et pourrait bouleverser le web. Numerama.https:// www.numerama.com/tech/1261842-microsoft-integrechatgpt-partout-et-pourrait-bouleverser-le-web.html
Larousserie, D. (2022, 24 octobre). L’intelligence artificielle, nouveau moteur de la recherche scientifique. Le Monde. https://www.lemonde.fr/sciences/ article/2022/10/24/l-intelligence-artificielle-nouveaumoteur-de-la-recherche-scientifique_6147154_1650684. html
McKenna, A. (2023, 16 janvier). GPT-4, le bond exponentiel après ChatGPT. Le Devoir . https://www.ledevoir.com/ opinion/chroniques/778002/chronique-gpt-4-le-bondexponentiel-apres-chatgpt
Péloquin, T. (2022, 10 octobre). L’art de copier sans payer. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/2022-10-10/ intelligence-artificielle/l-art-de-copier-sans-payer. php#:~:text=Si%20une%20image%20vaut%20 mille,images%20époustouflantes%20à%20l’infini.
Perrigo, B. (2023, 18 janvier). OpenIA used Kenyan workers on less than 2$ per hour to make ChatGPT less toxic. Time. https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/ Pontiroli, T. (2015, 14 décembre). OpenAI, ou l’espoir d’une IA à visage humain. Clubic. https://www.clubic.com/pro/ actualite-e-business/actualite-789448-openai.html
Wiggers, K. (2022, 10 décembre). OpenAI’s attempts to watermark AI text hit limits. TechCrunch. https://techcrunch. com/2022/12/10/openais-attempts-to-watermark-ai-texthit-limits/
Que nous réserve l’espace en 2023 ?
Par Sarah-Kate Dallaire, journaliste collaboratriceChaque année, plusieurs événements, observations et découvertes astronomiques ont lieu, et l’année 2023 n’a rien à envier aux précédentes. En effet, depuis le 1er janvier, plusieurs découvertes ont déjà été accomplies par les diverses agences spatiales internationales, en particulier par la NASA.
Grâce au télescope WEBB, les scientifiques de la NASA ont notamment découvert une nouvelle exoplanète (située dans une zone habitable) semblable à la Terre. Bien que les scientifiques supposent que son atmosphère soit uniquement constituée de gaz, cela représente tout de même une chance pour eux d’en apprendre davantage sur la façon dont la Terre s’est formée, ainsi que la vie qui s’ensuivit.
De plus, le télescope Hubble (NASA) a enregistré de nouvelles images détaillées des derniers instants d’une étoile engloutie par un trou noir. Il s’agit de nouvelles données qui nous permettent de comprendre comment un trou noir interagit avec un astre. Nous avons ainsi appris que l’astre explose et forme un anneau (beigne) de gaz autour du trou noir. Ce gaz dégage de la lumière et de l’énergie pendant que le trou l’engloutit peu à peu.
La NASA a également signé un accord de paix et de collaboration avec le Japon. Bien que l’administrateur de la NASA, Bill Nelson, ait déclaré que les États-Unis et la Chine connaissent à nouveau une course pour la Lune et l’espace, les États-Unis et le Japon ont signé au début du mois de janvier dernier un accord pour la coopération dans l’exploration spatiale et l’utilisation de l’espace extraatmosphérique, y compris la Lune. Cela assure une coopération des deux pays dans le partage de données, de recherches et de portefeuilles afin que la Lune soit explorée uniquement à des fins pacifiques. Bien que l’année ait débuté en force, il reste bien d’autres événements à suivre pour l’année 2023…
La mission JUICE
Initiée en 2012, la mission JUICE (JUpiter ICy Moons Explorer) de l’Agence spatiale européenne a pour but d’explorer Jupiter et ses trois lunes océaniques (qui possèdent possiblement des océans d’eau liquide sous une croûte glacée) : Ganymède, Callisto et Europe. Ces trois lunes seront ainsi classées à titre d’objets planétaires pouvant être catégorisés en tant que possibles habitats pour la vie. De plus, cette mission explorera l’environnement de Jupiter à titre d’exemple pour l’ensemble des géantes gazeuses de l’Univers. Cette mission vise donc à découvrir si la vie est unique à la Terre et si elle peut émerger ailleurs dans notre système solaire et à l’extérieur de celui-ci.
Après son lancement de Guyane française en avril prochain, JUICE effectuera un voyage d’environ huit ans pour atteindre Jupiter d’ici juillet 2031. Dans le cadre de cette mission, le vaisseau spatial de JUICE orbitera autour de Ganymède, la plus grande lune du système de Jupiter. Il s’agira alors du premier vaisseau spatial à orbiter autour d’une lune autre que celle de la Terre.
Cependant, JUICE ne retournera pas sur Terre. Après près de 4 ans de mission, le carburant du vaisseau sera écoulé. La mission se terminera ainsi à la fin de 2035, lorsque le vaisseau impactera Galymède.
OneWeb devrait atteindre son objectif d’ici la fin de l’année
La compagnie britannique fondée en 2019 a pour but d’établir une constellation de 648 satellites autour de la Terre d’ici la fin de 2023. Ces satellites permettront aux gouvernements, aux entreprises et, éventuellement, aux particulier.ères d’avoir accès à Internet, peu importe où iels se trouvent.
En avion, au milieu de l’océan ou en Antarctique, grâce à des bornes connectées aux satellites, Internet deviendra
accessible à l’ensemble de la Terre. De plus, ces satellites de la grosseur d’une machine à laver sont moins coûteux et 150 fois plus rapides que les satellites standards.
OneWeb a actuellement 542 satellites en orbite basse autour de la Terre. Il reste ainsi un peu moins de 20 % des satellites à lancer au cours de l’année. La compagnie est ainsi très confiante qu’elle réussira à atteindre son objectif dans les délais, notamment grâce à son partenariat de lancement avec SpaceX.


Événements astronomiques
Le 14 octobre prochain aura lieu une éclipse annulaire, visible dans toute l’Amérique. Ce type d’éclipse a lieu lorsque la Lune se situe à son point le plus éloigné de la Terre et qu’elle passe entre celle-ci et le Soleil. Puisqu’elle sera éloignée de la Terre, la Lune semblera plus petite que le Soleil et elle n’en couvrira ainsi qu’une partie. Le Soleil produira ainsi autour de la Lune un « anneau de feu » d’apparence noire. Bien que la prochaine éclipse solaire totale n’ait lieu qu’en avril 2024, cette éclipse annulaire n’est pas moins intéressante.
Rappelons cependant qu’il est dangereux de regarder une éclipse lunaire sans protection telle que des lunettes d’éclipse (à ne pas confondre avec des lunettes de soleil standards).
Le calendrier spatial de 2023 nous réserve encore bien des surprises. Il faudra rester à l’affût puisque la science
ne cesse de nous surprendre et, après tout, les nouvelles découvertes surviennent lorsqu’on s’y attend le moins.
Références
Agence Spatiale Européenne. (s.d.). Juice factsheet. https://www.esa.int/Science_Exploration/Space_Science/ Juice_factsheet
NASA. (2023). Hubble finds hungry black hole twisting captures star into donut shape. https://www.nasa.gov/ feature/goddard/2023/hubble-finds-hungry-black-holetwisting-captured-star-into-donut-shape
NASA. (2023). NASA’s Webb confirms its first exoplanet. https://www.nasa.gov/feature/goddard/2023/nasa-s-webbconfirms-its-first-exoplanet
NASA. (2023). October 14, 2023, Solar Eclipse. https:// solarsystem.nasa.gov/eclipses/2023/oct-14-annular/ overview/
NASA. (2023). US, Japan sign space collaboration agreement at NASA headquarters. https://www.nasa.gov/ press-release/us-japan-sign-space-collaborationagreement-at-nasa-headquarters
OneWeb. (2023). Press Release: OneWeb confirms successful deployment of 40 satellites launched with SpaceX. https://oneweb.net/resources/oneweb-confirmssuccessful-deployment-40-satellites-launched-spacex-0
Les jeux à surveiller pour mars

The Day Before
Si les mots « open world MMO survival » ne me rappellent que cette horrible période des jeux de survie en accès anticipé voulant surfer sur le succès de DayZ, le jeu The Day Before semble vouloir redonner un peu de lustre au genre. Le jeu développé par FNTASTIC et publié par MYTONA se déroule dans une Amérique détruite par une apocalypse de zombies (on ne change pas une formule gagnante), où les survivant.es luttent pour leur survie. On nous y promet des combats contre les zombies et parfois entre les survivant.es, de la construction de base, du looting, de la coopération, des armes modifiables, de la conduite de véhicule et un monde immense à explorer, le tout ayant été présenté dans une bande-annonce convaincante et assez jolie.

Wo Long : Fallen Dynasty

Team Ninja nous offre un action-RPG se déroulant dans une Chine médiévale fantastique sombre peuplée de monstres avec Wo Long : Fallen Dynasty. Le.la joueur.euse devra faire face à des créatures démoniaques tout comme à l’humain dans un scénario qui promet des proportions épiques. On propose plusieurs styles de combats et un gameplay bourré d’action où esquives, parades et attaques se mélangent avec la magie. Le jeu est non seulement censé comprendre un mode coopératif, mais également des affrontements contre d’autres joueur.euses dans un système semblable aux invasions de Dark Souls.
Amnesia : The Bunker

Elle nous avait déjà glacé le sang avec le célèbre Amnesia et voilà que l’équipe de Frictional Games nous renvoie dans l’épouvante avec ce nouveau titre. Dans Amnesia : The Bunker, on incarne le soldat français Henri Clément, prisonnier d’une fortification de la Première Guerre mondiale baignée d’une aura de mystère et d’horreur. Explorer ce souterrain sera sa seule porte de salut et l’amènera à découvrir ce qui est arrivé aux résident.es du bunker et à expliquer ce qui rôde dans ces profondeurs. Les développeur.euses promettent un gameplay tendu et terrifiant où les ressources sont comptées et où chaque partie est différente.
System Shock
D’habitude, je ne suis pas un fan de remakes. Je les trouve inutiles et ils n’apportent finalement rien de neuf, à part des graphiques de nouvelle génération. Plus le temps avance, plus cette différence intergénérationnelle devient mince de toute façon. Je me permets cependant une exception ici avec System Shock, qui nous ramène une pièce maîtresse des shooters des années 90, dont l’influence a mené à la création de Half-Life, Deus Ex et BioShock. System Shock nous amène dans un monde de science-fiction où un hacker se retrouve à combattre une IA ayant pris le contrôle d’une station spatiale et transformé ses habitant.es en cyborg. L’IA projetant de faire de même avec la Terre, il ne tient qu’à nous de sauver la planète dans une série de séquences d’actions et de puzzles.

25 ans de CHYZ
ÉMISSIONS RETOUR ET NOUVEAUTÉS
À ta santé
Présentée par le comité SPOT-ULaval, dont la mission est de sensibiliser la communauté étudiante à la santé de personnes marginalisées, chaque émission nous fait découvrir un.e expert.e, un.e travailleur.euse ou une initiative citoyenne s'impliquant en santé globale et communautaire, le tout animé par des étudiant.es.

Table ronde littéraire

CHYZ 94,3, Coop Zone et Impact Campus s’associent pour une nouvelle émission radiophonique de discussions littéraires, animée par Félix-Antoine Audet, tous les premiers jeudis du mois de 11 h à 12 h.
Buena Onda Radio Club

Buena Onda Radio Club, c’est un rendez-vous pour les amoureux.reuses du son dansant de l’Amérique latine, mais aussi pour celles et ceux qui fantasment candidement de se retrouver dans un tout inclus dans les Caraïbes.
Têtes de hockey
Rafaël Côté-Rioux et Félix Duchesne, deux passionnés de hockey, vous décortiquent l’actualité de la LNH, des Remparts et du monde du hockey en général. Abordant ces sujets de façon décontractée, ils s’intéressent au passé, au présent et au futur de leur sport d’hiver préféré. Tous les dimanches, de 19 h à 20 h, écoutez Têtes de hockey, votre rendez-vous hebdomadaire pour une heure d’analyses, de prédictions et de nouvelles marquantes.

SORTIES À SURVEILLER










ARTS ET LITTÉRATURE

Sorties littéraires
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu, cheffe de pupitre aux arts
Suicide total – Julie Doucet – Éditions

L’Association
Quatrième de couverture : Sous forme de leporello, une bande dessinée dans laquelle l’auteure évoque sa rencontre avec un Français avant d’avoir échangé avec lui des centaines de lettres. Tirage limité à 1 500 exemplaires.
N.D.L.R. : Le leporello est un livre plié qui se déplie comme un accordéon.
Avec ou sans Kiki – Denise Brassard –Éditions du Boréal
Quatrième de couverture : De la rue Fontaine à la Coupole, au XXIe siècle, une femme, quadra, montréalaise, esthète, déambule en compagnie d’une ombre. En effet, elle rêve d’écrire un roman sur Alice, Aliki, Kiki, reine de Montparnasse. La muse. L’égérie. La gouailleuse. La chanteuse grivoise. La danseuse de cancan. Le boute-en-train. Kiki la muse de Man Ray, qui a posé pour Foujita ou Modigliani, qui est peintre elle-même. Kiki née dans la misère et qui y est retournée, après avoir écrit ses mémoires à vingt-huit ans.
Trou noir – Roxane Desjardins – Éditions les Herbes rouges
Quatrième de couverture : Ce livre commence au pied du mur. Je n’ai plus rien à dire, je n’ai plus de souffle. Mais on me questionne, on me harcèle : « Qu’as-tu? de quoi souffres-tu? quel mal t’ai-je donc fait? » Et je suis sans paroles, je suis un animal, je suis désolée je ne peux pas. Il faut néanmoins essayer, poursuivre la conversation, reprendre pied. Me saisissant de quelques mots trop gros, j’entreprends de construire des escaliers. Des poèmes qui descendent l’escalier.


Van Reeth – Éditions Gallimard


Quatrième de couverture : L’auteure s’intéresse à la disparition des êtres chers et à la manière d’aborder leur absence. Dans la continuité de son travail d’exploration du réel, elle constate que le chagrin conduit le cœur vers la littérature et la philosophie dans l’espoir d’y trouver une consolation, mais que les mots des autres ne consolent pas. Le drame serait ainsi une suspension provisoire de nos soucis.
Pas besoin de dire adieu – Marie-Sarah Bouchard – Éditions du Boréal
Quatrième de couverture : Prendre le large, se barrer, ficher le camp, n’est-ce pas ce qu’il faut toujours choisir ? Ce premier recueil de nouvelles nous montre des personnages au moment précis où ils refusent de répondre à ce qu’on attend d’eux, en amour, en amitié ou dans leur vie professionnelle. Refusant toute flamboyance inutile, le style de Marie-Sarah Bouchard est aussi élégant qu’économe, d’une lumineuse délicatesse mais faisant mouche à tout coup. La révélation d’une sensibilité aussi vibrante que retenue.
L’oiseau qui buvait du lait – Jaroslav Melnik –Éditions Actes Sud
Quatrième de couverture : Vilnius est le théâtre de terribles crimes. Des jeunes filles sont retrouvées mortes, nues, un oiseau déposé sur leurs cadavres. Toutes venaient d’accoucher, l’assassin avait tété leur sein gauche et coupé les mamelons. Un polar qui interroge l’amour maternel, la dépendance et les croyances auxquelles on se raccroche.
Il n’y a plus de pont pour s’effondrer
La tasse vient se briser contre le mur, laissant des éclaboussures de café que je ne laverai jamais. Je ne sursaute même pas. Le monde tout autour a l’habitude de se fracasser dans mon quotidien. Mon appartement, preuve flagrante du mal qui m’habite depuis ma naissance, n’a rien de réconfortant. Ce qui n’est pas encore cassé le sera dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Mon lit ne tient plus que sur trois pieds. Le quatrième a été remplacé par une boîte de rangement. La plupart de mes livres ont des pages déchirées et le miroir de ma chambre a connu un sort funeste depuis mon emménagement l’année dernière.
À chaque mauvaise nouvelle que je reçois, un proche ou un objet quelconque dans mon champ de vision doit en subir les conséquences. Il me suffit d’être triste pour créer un tsunami dans la salle de bain, de me mettre en colère pour briser un pot de confiture sans même le toucher. Mon environnement réagit à chacune de mes émotions.
Je reste quelques secondes à observer la trace de café qui s’étend jusqu’au sol. J’attends une autre catastrophe, une ampoule qui éclate, le plafond qui s’effondre. Rien ne se passe, juste mon cœur sur le point d’exploser.
Je vais prendre ma veste dans l’armoire de ma chambre, laissant ma tasse derrière moi. Il me faut prendre l’air, éviter l’effondrement au complet de mon appartement. Dehors, le ciel se couvre rapidement. Je prends le même chemin, toujours. Celui qui m’évite les autres piétons. Il n’y aura pas d’autre accident aujourd’hui. Malgré le poids qui s’est installé dans ma poitrine depuis l’incident, je garderai le contrôle cette fois.
Au bord de la rivière Saint-Charles, je décide de traverser le pont. Tout est étonnamment silencieux. Le vent s’est levé, le ciel ne laisse aucun rayon passer. Un mauvais pressentiment me vient.

Ce n’est pas moi, cette fois.
Je continue ma route, repoussant l’angoisse qui me prend tout entier.
Je marche encore quelques mètres avant de sentir quelqu’un m’observer. Je me retourne vers le pont et réalise qu’il n’est plus là. Plus de ville.

Ce n’est pas moi, cette fois.
Le monde s’efface, je voudrais retrouver la colère, la tristesse, la honte, tout ce qui fait bouger mon monde.
Seul le vide me répond, et une silhouette me regarde à quelques mètres de là
S’approche lentement
Familière, terrifiante,
Ce n’est pas moi, cette fois, je supplie.
Ce ne peut être personne d’autre pourtant. La silhouette maintenant à quelques centimètres de moi me dévisage. Mêmes cernes sous les yeux. Mêmes pommettes rougies. Mais dans le regard aucune émotion.
Mon double ne laisse aucun doute : j’ai, de mes propres mains, détruit tout ce qui faisait mon humanité, les turbulences quotidiennes ont laissé place au néant.
Même la peur finit par s’évaporer. Je suis la silhouette dans la grisaille, sans me retourner.
Il n’y a plus de pont pour s’effondrer.
L’efficacité énergétique et la carboneutralité au cœur de nos actions
L’Université Laval est carboneutre depuis 2015 et tente de réduire continuellement ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans cet effort, elle utilise le supercalculateur pour chauffer certains pavillons à proximité.

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