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D’Millen : pour que tourne la roue de la vie

C’est une belle histoire, celle d’un bâtiment à l’abandon, qui, porté par un élan citoyen et la vision d’une commune, a été restauré avec cœur et âme pour devenir un centre culturel et touristique de premier plan. Tout en devenant une vitrine vivante des énergies alternatives.

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Le site de l’ancien moulin de Beckerich est, non seulement un endroit riche en histoire et beauté naturelle, mais aussi un marqueur du rôle pionnier de la commune en matière de développement durable.

Situé à l’entrée de la localité, à côté d’un superbe étang, ce domaine conjugue la sauvegarde du patrimoine et le développement local par le biais de la culture, de l’écologie et du slow tourisme.

Géré par l’asbl d’Millen, le centre culturel propose un large panel d’activités : conférences, événements, expositions, cours, ateliers… Des visites guidées sont organisées régulièrement, permettant aux visiteurs de découvrir l’histoire du moulin et de mieux connaître les réalisations de la commune dans le domaine des énergies renouvelables. Depuis les années 90 en effet, Beckerich s’est imposée comme un exemple de commune verte, avec comme objectif assumé d’atteindre la pleine autarcie énergétique en 2030.

L’asbl d’Millen a été fondée en 2004 par un groupe de bénévoles très actifs, à l’initiative du bourgmestre

Camille Gira. L’objectif était de redonner vie au site du moulin racheté en 1996 par la Commune, en mettant le focus sur le patrimoine et la nature. Le site du moulin est le point de départ de plusieurs circuits de découverte placés sous des thèmes divers : patrimoine culturel rural, énergies renouvelables, eau, patrimoine religieux… L’ancien moulin se compose de trois bâtiments distincts, rénovés entre 2003 et 2011 par le bureau Beng architectes associés. Les anciennes granges et étables comprennent désormais le restaurant « An der Millen » au rez-dechaussée, ainsi qu’une grande salle de réunion et d’autres salles polyvalentes à l’étage. L’ancienne maison d’habitation du meunier abrite, au rez-de-chaussée, une galerie d’art ainsi que le bistrot traditionnel Millespënnchen. Le sous-sol est investi par un musée témoin de la vie rurale, qui sera transformé en musée des énergies pour 2022. Le musée est enrichi, à l’arrière de la bâtisse, par une roue à aubes, fabriquée récemment, qui tourne à plein régime. Les bureaux de l’asbl sont situés au premier étage de ce même immeuble. Les combles sont utilisés comme atelier pour différentes activités artistiques. Enfin, la rénovation a également remis en état l’ancienne scierie Waxweiler, une vaste structure artisanale dans laquelle se déploie tout un arsenal d’anciennes et impressionnantes machines à découper le bois. Entièrement restaurées par un groupe de bénévoles retraités, les Millepätteren, ces machines, vieilles de plus de 90 ans, sont régulièrement mises en route et utilisées. La scierie fait partie du circuit de la Route du bois, mis sur pied par ➔

Le site du moulin est le point de départ de plusieurs circuits de découverte placés sous des thèmes divers – nature, culture, patrimoine, énergies renouvelables…

Le sous-sol de l’ancienne maison du meunier est investi par un musée témoin de la vie rurale, qui sera transformé en musée des énergies en 2022.

› La rénovation a également remis en état l’ancienne scierie Waxweiler, dans laquelle un groupe de bénévoles retraités, les Millepätteren, font régulièrement fonctionner les machines, vieilles de plus de 90 ans.

l’administration de la Nature et des forêts (ANF). En accord avec le maître d’ouvrage, l’administration communale de Beckerich, les architectes ont opté pour une rénovation douce, associée à la préservation des éléments historiques. Les anciennes structures ont été complétées par des constructions nouvelles au langage clairement contemporain (bois, acier, béton vu). Le défi principal de la rénovation résidait dans l’amélioration thermique qu’il fallait réaliser dans un contexte contraignant à proximité d’un étang et d’un ruisseau. L’isolation des toitures a été superposée aux charpentes qui ont été maintenues. Le bâtiment dispose également d’un zonage thermique par implantation des fonctions. Les caves ont été asséchées et les parois en moellons ont été améliorées par un enduit léger performant. Il s’agit là de solutions thermiques « invisibles », dans le respect prioritaire du patrimoine.

SEPT SIÈCLES D’HISTOIRE

En 1328, Jean l’Aveugle, le célèbre Comte de Luxembourg, cède un moulin situé près du village de Beckerich aux moniales de l’abbaye noble de Notre Dame de Clairefontaine (B). Sous peine d’amendes, les habitants de Beckerich doivent venir y moudre leurs grains, fournir la main-d’œuvre pour les réparations, le nettoyage du ruisseau, le curage et la pêche de l’étang ainsi que le transport des nouvelles meules. À une époque où le pain est la base de l’alimentation, le moulin à farine de Beckerich devient, pendant plus de quatre siècles, le garant d’une intense vie sociale. En 1794, les révolutionnaires français anticléricaux détruisent l’abbaye noble de Clairefontaine et vendent aux enchères tous ses biens, y compris le moulin de Beckerich qui passe ainsi, en 1797, dans des mains privées. Au cours du 19e siècle, les familles Welter, Rausch et Waxweiler exploitent le moulin, tout en augmentant leur patrimoine foncier. Petit à petit, elles complètent leur activité meunière, devenue peu rentable, par celles de scieurs et d’agriculteurs. Au début du 20e siècle, Nicolas Waxweiler et surtout sa veuve, Suzanne Welter, aidée de ses enfants, donnent une nouvelle impulsion au développement des activités du moulin. Ils ➔

EAU ET PRODUCTION D’ÉNERGIE

Témoin du passé, l’ancien moulin rénové n’en est pas moins rattaché aux technologies les plus modernes en matière énergétique. Ainsi, le trop-plein de l’étang alimente une petite turbine hydraulique attenante à la turbine historique. Les bâtiments sont reliés à un chauffage urbain, alimenté par une centrale de biométhanisation et une chaudière à copeaux de bois situés à quelques centaines de mètres. L’apport en électricité est complété par des panneaux photovoltaïques.

› L’ancienne maison d’habitation du meunier abrite notamment le bistrot traditionnel Millespënnchen.

mettent au point une exploitation plus efficace de la roue afin de faire mieux fonctionner la scierie. En 1912, la roue est remplacée par une turbine d’une puissance d’environ 10 kWh qui actionne une dynamo et rend possible la production d’électricité. Cette énergie nouvelle est ensuite distribuée dans le village au moyen d’un réseau de câbles flambant neuf. Grâce à cette production, Beckerich devient un des premiers villages luxembourgeois électrifiés. La tension du courant électrique à cette date est du 110 V continu, combiné avec un système d’accumulateurs à plomb de type Henri Tudor. Pour assurer la fourniture d’énergie électrique à tout le village, chaque ménage n’a droit qu’à une ampoule de 5 Watt. A l’époque, le prix de 1 kWh était de 4 francs, de quoi nourrir une famille pendant une semaine ! En 1924, le circuit électrique est modernisé et passe à du 220/380 V. En 1934, la production d’électricité est cédée en partie à la Cegedel qui construit une ligne de moyenne tension de 15.000 V pour alimenter le réseau Waxweiler. Le moulin Waxweiler devient peu à peu une usine électrique et une scierie, perdant son statut purement rural pour se transformer en un complexe industriel diversifié. En 1926, la famille Waxweiler acquiert une nouvelle scie à ruban de la marque Brenta, toujours en état de marche aujourd’hui. En 1939, l’activité principale est presque exclusivement tournée vers l’exploitation de la scierie et le commerce du bois. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’armée américaine loue la scierie pendant trois mois afin de débiter des poutres pour la construction de ponts. La page industrielle du moulin est définitivement tournée après la fermeture de la scierie en 1975 et la reprise du dernier réseau de distribution d’énergie électrique par la Cegedel en 1984. La dernière propriétaire occupante du moulin de Beckerich s’éteint en 1995. En 1996, conscientes du rôle que cet ancien témoin de l’histoire locale peut encore jouer au sein de la communauté villageoise et de la région, les autorités communales de Beckerich achètent tout le complexe de l’ancien moulin. Elles entament alors un long processus de restauration pour préserver ce patrimoine rural communal, et aussi pour en faire un lieu de mobilisation des habitants autour de la culture et de l’écologie. D’Millen est donc l’exemple d’un objet patrimonial qui a été remis en état par les instances publiques, avec la volonté, non seulement de valoriser la substance historique, mais aussi de lui donner une dynamique et un sens réel pour la population.

› Sources : www.dmillen.lu et le livre

« Le moulin de Beckerich - Sept siècles d’Histoire », Isabelle Bernard-Lesceux (2004).

Entretien avec Albert Goedert

(Beng Architectes Associés), président de d’Millen Asbl

Wunnen : Quelles sont les origines de la restauration du Moulin ? Albert Goedert : En 1996, la commune a racheté l’ancien moulin composé de trois bâtiments des 18e et 19e siècles. Notre bureau d’architecture a été sollicité dans un premier temps pour faire le relevé de mesures et de l’état des constructions. En même temps, la commune invitait la population à prendre part à la réflexion quant à la future affectation du site. Cette participation habitante a toujours été l’un des points forts de la politique communale, notamment sous la forte impulsion de Camille Gira, bourgmestre de 1989 à 2013. Cette consultation publique a fait ressortir plusieurs pistes : faire de l’ancien moulin un point de rencontre pour tous les habitants, en associant gastronomie, culture et autres activités ; conserver le caractère historique de l’ensemble, aussi bien des bâtiments que de la machinerie ; faire du moulin un outil de promotion pour un tourisme doux lié aux thématiques du développement durable et des économies d’énergie. Outre ce processus participatif, une autre manifestation en 2000 a eu un impact déterminant sur la réhabilitation du site, il s’agit de « Jardins à suivre », un projet Leader développé dans les régions nord du Luxembourg. Le principe consistait à mettre en place des jardins temporaires et à accueillir des visites de sites. Beckerich a répondu à cette initiative en englobant tout le territoire communal et tous les habitants, avec une variété de propositions sur le thème des tournesols. Ainsi, un jardinier local a planté des graines d’une cinquantaine d’espèces de tournesols dans les terrains en face du moulin. Après un an, le moulin a accueilli une grande fête des tournesols en guise de clôture de la manifestation ; c’était le premier événement public à se tenir sur le site avant la rénovation. L’événement, qui fut un grand succès, a aidé les habitants à mieux prendre conscience de la valeur du moulin en tant que témoin historique et de sa portée fédératrice.

« Préserver l’existant au maximum, tout en faisant ressortir les ajouts contemporains de façon très claire. »

Albert Goedert

Quels furent les principes directeurs de la rénovation ? Il s’agissait de préserver l’existant ➔

› Les anciennes structures ont été complétées par des constructions nouvelles au langage clairement contemporain (bois, acier, béton vu).

au maximum, tout en faisant ressortir les ajouts contemporains de façon très claire. Par exemple, on entre dans le restaurant par les anciennes portes de la grange qui ont été restaurées, et on retrouve à l’intérieur les enduits de l’ancienne étable. Nous avons conservé tout ce qui pouvait être réparé. Quand il a fallu intégrer un élément nouveau, par exemple un pilier en béton, nous le montrons clairement.

Combien de temps ont duré les travaux ? Le chantier s’est déroulé de 2003 à 2011 en trois phases, chacune portant sur l’un des trois bâtiments sur le site : aménagement d’un restaurant et de la grande salle de réunion à l’étage dans les anciennes granges et étables, rénovation de l’ancienne maison d’habitation du meunier et remise en état de l’ancienne scierie.

Comment les bases ont-elles été posées pour le fonctionnement du moulin en tant que lieu culturel ? En 2004, en parallèle avec le projet architectural, était créée d’Millen asbl, dont le comité d’administration reprenait en grande partie les personnes qui avaient organisé la fête des tournesols. En 2006, la commune établissait une convention avec l’asbl, dans laquelle elle s’engageait à prendre en charge les salaires du personnel nécessaire pour animer le site de façon professionnel et pérenne. L’objectif était de donner les moyens à l’association d’organiser une programmation variée et accessible à tous les publics, comprenant des conférences, des concerts, des ateliers, des expositions, des soirées thématiques ou littéraires… Sans oublier la galerie d’art, dont nous fêtons actuellement le 10e anniversaire et qui jouit d’une notoriété remarquable.

Le statut d’asbl laisse entendre que le moulin bénéficie également de l’apport bénévole de beaucoup… En effet, et dans cette optique j’aimerais relever l’engagement d’un petit groupe de bénévoles retraités, d’anciens électriciens, qui ont remis en état de marche les machines dans la scierie et depuis 2007 font

› L’ancien moulin est englobé dans un paysage naturel d’une grande pureté. Plusieurs circuits de découverte sont organisés régulièrement.

régulièrement des démonstrations lors de visites guidées.

Je suppose que le moulin et toutes les activités programmées attirent un public nombreux et varié… En effet, depuis 15 ans, en moyenne 2000 personnes participent chaque année aux visites guidées sur les thématiques les plus diverses – énergies renouvelables, patrimoine, abeilles, scierie, anciens métiers… Tout un tourisme doux s’est mis en place, avec un public composé à la fois d’habitués et de visiteurs ponctuels. Nous essayons de diversifier le plus possible nos activités, afin d’attirer les profils les plus variés, jeunes, seniors, familles… D’Millen fait partie de l’ADN des habitants de la commune de Beckerich. C’est le centre de rencontre de toute manifestation, la fête nationale, les réunions des commissions, des associations, etc., tout se fait au moulin. Par ailleurs, d’Millen asbl et la commune sont membres de l’ORT – Office national du tourisme centre/ouest Luxembourg. Le moulin est devenu l’un des centres d’attraction principaux du Guttland.

Quels projets pour les temps prochains ? Deux grands projets sont prévus pour le site. L’un concerne la reconfiguration du sous-sol actuellement occupé par le musée des vieux métiers. Au printemps prochain, celui-ci sera entièrement vidé et transformé en musée des Énergies, un musée attractif et participatif. Deuxièmement, nous prévoyons d’aménager dans le grand parking à l’arrière du moulin un jardin-souvenir à la mémoire de Camille Gira. Ce sera un endroit naturel, bucolique, intégrant une petite scène et des œuvres artistiques, ainsi que différents biotopes. Ce jardin-souvenir est un projet qui a été ébauché tout de suite après le décès de Camille Gira, et il transcrit des valeurs qui lui étaient chères : le respect de la nature, la culture et les arts, le lieu d’échange et de rencontre. 

› Photos : P. Lobo

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