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Klangkörper de Filip Markiewicz

« JE VOIS CE BÂTIMENT COMME UNE SORTE D’INSTRUMENT DE MUSIQUE »

L’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), en collaboration avec la Fondation da Vinci et l’asbl Art contemporain.lu, a inauguré, le 1er juillet 2021, l’installation artistique « Klangkörper », créée par l’artiste Filip Markiewicz, lauréat du 1er concours Art in Situ OAI.

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Lancé par l’OAI en décembre 2020, ce concours a pour but d’exposer une installation artistique temporaire dans le bâtiment-siège OAI Forum da Vinci. L’œuvre doit être pensée pour entrer en relation avec le site.

Désignés en mars dernier, les deux lauréats de ce premier concours sont Filip Markiewicz et Hisae Ikenaga. L’installation au Forum da Vinci pour trois ans se fera en deux phases, avec un recoupement de 18 mois des deux propositions. « Klangkörper » de Filip Markiewicz est donc la première œuvre à investir les lieux – et restera visible jusqu’au 30 juin 2024 -, tandis que « Reproduction d’éléments » d’Hisae Ikenaga sera installée de janvier 2023 à décembre 2025.

Wunnen : Que peut apporter l’art de plus à une architecture ? Filip Markiewicz : Mais l’architecture, c’est déjà de l’art. Dans l’histoire de l’art, il y a eu beaucoup d’architectes artistes, d’artistes architectes, de musiciens architectes. Je considère qu’il n’y a pas vraiment de grande différence, quand il s’agit de création artistique. L’architecture est un exercice de création, un jeu avec les formes, exactement comme ce que fait l’artiste lorsque, par exemple, il peint un tableau. Il y a des idées et un questionnement qui sont similaires à la démarche de l’artiste. L’art en tant que geste artistique dans un bâtiment entraîne une complémentarité, un dialogue. C’est cette confrontation et ce qu’il en résulte qui peuvent être intéressants.

Dans le cas de ce concours, que pensez-vous du processus qui consiste à convoquer l’art dans l’architecture de façon officielle ? Dans l’absolu, même quand on m’invite à exposer dans un musée, il s’agit aussi de réaliser un geste artistique dans un lieu architectural. Il n’y a pas beaucoup de différence par rapport à ce que je fais ici au siège de l’OAI. Pour moi, ce bâtiment a une forme de « black cube », qui est à l’opposé du white cube muséal. Black cube, cela peut être une référence au black square de Kasimir Malevitch, ce carré noir qui plus tard devait inspirer les minimalistes américains. L’irruption dans l’art contemporain de formes très architecturales. Ici, c’est comme un jeu de Yin et de Yang, ou comme un jeu d’échecs où le noir est dans le blanc, et le blanc dans le noir.

Les mots choisis ont une résonance qui oscille entre politique et poétique… Les quatre mots - Attack, Decay, Sustain, Release – se réfèrent à l’enveloppe sonore ADSR, définie par Vladimir Ussachevsky en 1965, dans le monde de la musique électronique. De nos jours, ces quatre mots se trouvent sur chaque synthétiseur analogique. Ils définissent également dans l’absolu l’enveloppe sonore de chaque son universel. Lorsqu’on les isole, chaque mot peut être interprété comme on veut. Surtout dans l’espace public, un mot comme « Attack » a différentes connotations. Mais c’est aussi cela le défi, provoquer le spectateur, le questionner et l’interroger. Ce qui m’intéresse dans une œuvre d’art, c’est de ne pas se limiter à l’évidence, mais de suggérer, d’inviter à creuser et à chercher… Ces tubes néons constituent un jeu de séduction et de lumière. J’aime fonctionner ainsi, en proposant différentes grilles de lecture.

Les néons sur la façade : un clin d’œil à l’imaginaire des grandes villes éclairées la nuit ? Il y a cet aspect quasi publicitaire… Je m’intéresse beaucoup à tout ce qui touche la société du spectacle, le pop art, le post-pop art, le fonctionnement de la société de consommation. Le fait de fixer un néon industriel à un bâtiment architectural minimaliste, cela interpelle le passant qui peut se demander : est-ce que c’est une nouvelle entreprise, une nouvelle banque ? Tout participe à l’expression : le choix des mots, le choix de la police, les lettres en minuscule, le fait que les mots sont décalés sur la façade, évoquant l’idée d’une partition musicale…

Au final, est-ce que ce n’est pas plutôt la vibration poétique qui vous intéresse… ? A partir du moment qu’on utilise ces quatre mots précisément, le plus facile est de se dire que c’est un message politique. Mais ce qui m’intéresse, c’est d’essayer d’aller au-delà de cette interprétation première, de jouer avec les notions de musicalité, poésie, complémentarité. « Klangkörper », corps de résonance, est un essai artistique conceptuel faisant un pont entre l’univers de la musique et l’architecture. Je vois ce bâtiment comme une sorte d’instrument de musique… 

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