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Maria Luisa Guerrieri Gonzaga, ArchitecturaLLighting
QUE LA LUMIÈRE SOIT !
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L’éclairage est de plus en plus reconnu comme un élément fondamental dans les projets d’architecture. Maria Luisa Guerrieri Gonzaga, architecte éclairagiste, partage avec nous sa vision de la lumière et son approche conceptuelle tout en subtilité poétique.
Wunnen : Comment peut-on définir votre travail d’architecte éclairagiste ? MLGG : Mon travail sur le plan de l’éclairage consiste à accompagner le projet avec des solutions personnalisées qui sont définies avec l’architecte et le maître d’ouvrage. La lumière est un élément tellement naturel à nos yeux que souvent on risque de sous-estimer son rôle et son incidence sur nos vies : elle est essentielle à notre bien-être et à notre santé. Elle est aussi un véritable « matériau » du bâtiment qui porte ce paradoxe : il est invisible jusqu’à ce qu’il touche la surface d’autres matériaux. Le travail de l’éclairagiste est de réussir à intégrer et à moduler ce matériau de façon à ce qu’il mette en valeur l’architecture du bâtiment. La conception lumière est, à mon sentiment, un complément créatif de l’architecture. L’éclairage est un partenaire de conception silencieux, améliorant la
« Le travail de l’éclairagiste est de réussir à intégrer et à moduler ce matériau qu’est la lumière, de façon à ce qu’il mette en valeur l’architecture des lieux. »
Maria Luisa Guerrieri Gonzaga, ArchitecturaLLighting

perception et complétant la forme. L’éclairage est une interprétation nocturne des espaces, il leur confère une dimension tridimensionnelle. Il s’agit essentiellement d’individualiser et de créer des hiérarchies lumineuses, et de soutenir de manière homogène les objectifs généraux de tout projet. Il y a un équilibre à trouver entre le clair et l’obscur.
Le métier jouit-il d’une reconnaissance à part entière ? Pour ma part, je suis architecte diplômée au Polytechnique de Milan et inscrite à l’Ordre des architectes et des ingénieurs à Luxembourg, sous mon propre nom. Sur le plan international, je suis inscrite comme éclairagiste indépendante auprès de l’International Association of Light Designers » (IALD), qui assure l’indépendance et la formation de ses membres. L’affiliation de professionnels est limitée aux concepteurs expérimentés et est sujette à la révision du dossier d’un demandeur par ses pairs. Les membres de l’IALD doivent respecter des règles d’éthique et ils ne vendent et n’installent pas d’équipements d’éclairage. Ils interviennent sur des missions complètes ou ponctuelles. Pour la mission qui lui est confiée, le membre est exclusivement rémunéré par la maîtrise d’ouvrage, le maître d’œuvre ou le bureau d’études. Au Grand-Duché, la profession d’éclairagiste n’existe toujours pas en tant que telle. Ainsi, toute personne ayant une carte de visite peut se qualifier de concepteur lumière. Les fabricants d’éclairage, les entrepreneurs en électricité, les distributeurs d’électricité, les représentants de commerce et les vendeurs d’équipements électriques utilisent souvent cette appellation.
Dans quels types de projets êtes-vous appelée à intervenir ? Le conseil en éclairage va du concept à la mise en œuvre. Nos interventions s’adaptent à toutes tailles de projets : lieux publics, musées, habitations, bureaux, aménagements extérieurs, espaces de vente… Nous pouvons être appelés à intervenir sur un élément de l’architecture – la mise en lumière d’un escalier par exemple – comme sur le projet dans sa globalité. Il y a vingt ans, l’attention à l’éclairage était plutôt concentrée dans les espaces de vente (haute couture et joaillerie de luxe), alors qu’aujourd’hui l’éventail inclut les projets les plus différents, allant du centre commercial aux cabinets d’avocats, en passant par des garages, bijouteries, appartements et villas. L’éclairage est maintenant apprécié comme un élément transversal de la vie et de l’esthétique quotidienne, et la mise en lumière est de plus en plus comprise et recherchée. Ces derniers temps, nous avons été également sollicités par des communes pour l’éclairage des espaces ouverts et de rencontre et de leurs alentours.

« La lumière a un effet positif sur la santé, le bien-être et la motivation. Plusieurs études montrent que sa qualité affecte les personnes de nombreuses manières. »
Dans quelle mesure est-il important de « penser » l’éclairage lors d’un projet de construction ou de rénovation ? L’éclairage a longtemps été considéré comme se limitant à des équipements techniques ou à de objets qui venaient s’ajouter à la fin de l’ouvrage architectural. Aujourd’hui, il est de plus en plus reconnu comme un apport conceptuel qui est convoqué déjà en amont du projet. Il est avantageux que nous puissions entamer un dialogue avec le maître d’ouvrage et l’architecte dès les premières esquisses. En participant aux discussions et en comprenant les souhaits qui sont exprimés, nous pouvons déterminer les besoins en lumière pour chaque pièce dans la maison, et intégrer dans les plans de construction la disposition des différents équipements. Il est utile d’élaborer un concept d’éclairage cohérent, mais il est aussi important de ne pas tout figer, de laisser des possibilités ouvertes, des prises et des interrupteurs que les usagers pourront investir à leur gré, selon les besoins qui pourront encore évoluer.
Comment l’éclairage influe-t-il sur la qualité de vie dans un habitat ou lieu de travail ? Un bon éclairage améliore l’ambiance et la désirabilité de ces espaces. Il contribue fortement au sentiment de bien-être des personnes. La lumière a un effet positif sur la santé, le bien-être et la motivation. Plusieurs études montrent que la qualité de la lumière affecte les personnes de nombreuses manières. Par exemple, la satisfaction et la productivité d’un employé de bureau peuvent être positivement influencées par un éclairage bien conçu, qui booste les énergies et améliore la vigilance, la concentration et les performances. C’est justement afin d’assurer un confort visuel optimal que les installations d’éclairage sont soumises à différentes normes, en particulier dans les espaces professionnels, les installations sportives ou les structures sensibles en matière de sécurité. Dans les lieux de travail, il convient d’éviter l’éblouissement, cause d’inconfort et de fatigue. Il faudrait également que l’éclairage artificiel s’adapte à notre rythme circadien, à notre horloge biologique qui définit l’alternance entre l’état de veille et le sommeil, car la lumière commande la sécrétion de mélatonine, une hormone qui contrôle notre sommeil. On parle de systèmes d’éclairage dynamiques qui modifient la composition chromatique sur 24 heures avec un taux de bleu élevé pendant la journée alors que la nuit, on en retire le vert et le bleu pour ne pas perturber l’horloge interne. Il faut toujours garder à l’esprit que nous installons de la lumière pour le bénéfice de ceux qui l’utilisent. Élaborer
Photo : Maria Luisa Guerrieri Gonzaga

un concept d’éclairage implique de jouer avec l’ombre et la lumière, il ne faut pas vouloir tout éclairer, au risque de se retrouver dans une ambiance de clinique ! Un éclairage excessif accentue la fatigue et l’irritabilité. Mais il ne faut jamais oublier le facteur humain. Certaines personnes ont peur de ne pas avoir assez de lumière pour leurs activités quotidiennes. Les besoins varient avec l’âge, l’éclairage d’un logement sera ressenti différemment par un couple âgé que par une famille plus jeune. Il faut donc que le concept d’éclairage permette aux usagers de moduler l’intensité et la qualité de la lumière en fonction de leurs besoins.
Les maîtres d’ouvrage sont-ils plus conscients de ce que peut représenter votre apport ? Depuis quelques années, on parle de plus en plus de la qualité de l’éclairage d’une construction, tout comme de l’acoustique, et le public est de plus en plus conscient de l’impact de ces deux aspects sur le confort d’utilisation. La lumière et l’acoustique contribuent au bien-être d’une habitation, d’un chez-soi, bien davantage que l’accumulation de meubles et d’objets. Il est un fait que les maîtres d’ouvrage sont sensibilisés à ces questions par l’architecte et l’architecte d’intérieur. Une architecture n’est souvent donnée comme aboutie que lorsqu’elle est complétée par un éclairage assorti.
Je suppose que certains principes guident votre approche, tels que l’économie d’énergie, la fonctionnalité, le confort d’utilisation, l’esthétique… Tous ces aspects sont essentiels, bien sûr, mais je parlerais avant tout d’émotion et de poésie. Je pense que le meilleur éclairage est celui qui crée une ambiance, qui distille une émotion, en s’accordant discrètement avec le cadre, en se faisant presque oublier.
Comment équilibrer éclairage artificiel et lumière naturelle ? On commence par imaginer les intérieurs dans le noir le plus complet, afin de mettre en place des éclairages qui vont permettre aux usagers de vivre et de travailler dans le bâtiment, même quand la lumière naturelle est faible. Évidemment, les pièces vont être utilisées 24h/24 et toute l’année, et seront exposées à la lumière naturelle à différents degrés. Il faut donc prévoir des capteurs qui rendront « intelligent » l’éclairage artificiel, non seulement pour ne pas gaspiller l’énergie, mais aussi pour avoir un éclairage confortable et adapté tout au long de l’année. ➔

« Pour moi, le meilleur éclairage est celui qui créé une ambiance, qui distille une émotion, en s’accordant discrètement avec le cadre… »
Je suppose que vous devez être toujours à l’affût des dernières nouveautés en matière d’éclairage et de technologie... Absolument, l’éclairage est un domaine dans lequel les technologies évoluent très vite. Pour fournir des solutions appropriées, les concepteurs lumière professionnels doivent participer à des foires commerciales nationales et examiner les informations sur les produits et les échantillons de plusieurs centaines de fabricants. Étant donné que les professionnels de la conception lumière ne devraient pas fabriquer, vendre, installer des équipements ou toucher des commissions, leurs clients bénéficient d’une conception indépendante, basée sur les compétences techniques et libre de tout conflit d’intérêts. Nous devons être certains que nous proposons des installations et des produits en phase avec les progrès et qui durent également dans le temps et à l’usage.
Comment se déroule votre collaboration avec les architectes ? Dans certains cas, c’est le maître d’ouvrage qui sollicite, dans d’autres, c’est l’architecte. Etant architecte de formation, j’ai beaucoup de respect pour l’architecture et toute nouvelle collaboration est toujours fructueuse. Les choses sont rendues plus aisées par le fait que l’architecte comprend très vite que notre objectif est de mettre en valeur son architecture, et pas du tout de lui « voler la vedette » !
Pourquoi est-il important pour vous d’être inclus dans les réflexions de départ d’un projet constructif ? C’est important parce qu’énormément d’éléments de construction font l’objet aujourd’hui d’une préfabrication ou d’un pré-assemblage avant le chantier. Il faut donc déterminer très en amont les besoins en lumière pour chaque pièce dans la maison, et intégrer dans les plans de construction la disposition des différents équipements lumineux. De ce fait, dans la phase chantier, l’installation précise des boîtiers d’encastrement, des circuits électriques, des câblages, s’en trouvera grandement facilitée. Autant que la phase de conception, la phase des réglages finaux est vitale pour nous. C’est vraiment à ce moment-là, quand tout est en place - les équipements, l’ameublement, les tableaux aux murs, etc.- que nous mettrons la dernière touche à l’éclairage, en orientant un spot sur une surface ou en variant des tonalités de couleur, afin de le mettre au service des intérieurs prêts à l’usage.
Pour finir, quelques conseils afin de réussir l’éclairage d’un intérieur ? Un simple conseil technique qui sera utile pour tout le monde : pour vos installations, prévoyez toujours des câbles à cinq fils au lieu des trois fils habituels. Cela ne sera pas beaucoup plus coûteux, mais vous disposerez de câbles modulables qui pourront se connecter sans difficultés avec tous les systèmes intelligents. En général, n’ayez pas peur de prévoir un élément de plus par rapport à ce que vous imaginez, une gaine vide par exemple pourrait se révéler providentielle pour y glisser un câblage lors d’une possible nouvelle utilisation.
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Photos : Château de Senningen, (MO : Administration des Bâtiments publics), Architecte d’intérieur : NJOY, Photographe : Christof Weber