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Quand le Mossad recrute des olim 'hadachim à Tel Aviv
PAR ARI LIVER
Une femme en manteau blanc, capuche relevée, et un homme en costume prennent place. Pour protéger le secret de leur identité, les deux témoins garderont des lunettes de soleil toute la soirée.
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« Nous sommes Sarah et Harry, ce sont des noms d’emprunt, et nous sommes ici pour vous parler de notre métier au sein de ce qu’on appelle “l’agence”. Les questions sont les bienvenues, mais comme vous vous en doutez, nous ne répondrons qu’à une minorité d’entre elles », annonce d’emblée Sarah.
« Bonsoir, j'espère que vous me comprendrez… Mon anglais n’est pas aussi bon que celui de ma collègue. Je suis davantage à l'aise en hébreu et en arabe », poursuit le second agent.
19h
, à l'extérieur d’un bar-restaurant du bord de mer de Tel Aviv, des dizaines de personnes patientent, certaines depuis près d’une heure. « Ils ont envoyé un mail ce matin pour dire que tout le monde ne pourra pas rentrer, la salle n’est pas assez grande », commente une Franco-Israélienne. Pour y assister, deux conditions : avoir entre 20 et 30 ans, et être israélien. À l'entrée, la sécurité a été renforcée : vérification des billets et des cartes d’identité, une femme est même chargée de recouvrir les objectifs des téléphones d’autocollants – « Interdiction de prendre des photos », rappellet-elle à chacun. À l’intérieur, les curieux s’entassent. Ce n’est qu’après une heure de retard et une quinzaine de déçus priés de faire demi-tour que la conférence peut enfin débuter.
La description de l'événement annonçait que deux espions répondraient aux questions des participants concernant leur métier et ses risques. Une conférence alléchante, donc, d’autant que la majorité du public a récemment immigré en Israël et n’en sait que très peu sur les services secrets israéliens, une configuration bien connue des deux orateurs du soir.
Sarah, la trentaine passée, est née à Paris, et ce n’est qu'après des études aux États-Unis et à l'âge de 26 ans qu’elle est arrivée en Israël. « J’ai compris que je devais m’installer ici, que j’y aurais plus d’impact, que j’appartenais à ce pays. Après mon Alya, j’ai repris des études, mais je sentais que mon intégration était incomplète, je voulais moi aussi me battre pour ce pays », explique-t-elle. C’est sans crier gare, dit-elle, que « l’agence » est venue à elle. « Je ne pensais pas convenir, mais finalement, l’agence m’a permis de réaliser mon rêve : j’ai pu avoir un impact sur le monde et ma vie a pris du sens », raconte-t-elle.
Face à l’oratrice, dans la salle, les visages s’illuminent et l’intérêt croît. L’espionne franco-israélienne décrit son métier comme une chance de faire la différence, d’éviter la monotonie et de vivre une vie palpitante, même si, précise-t-elle, « on ne fait pas ce métier pour l’argent ». Une précision qui fait sourire, à commencer par son collègue qui, discret jusque-là, tempère : « Mais nous avons tout un tas de choses qui nous sont offertes : des vols en business class, des vêtements chics, des trajets en taxi, voire en limousine… »
Né à Santiago, Harry, lui, a émigré très jeune en Israël. Après cinq ans d’armée, il s'est orienté vers la psychologie et la criminologie, avant de faire un grave accident de la route. « Cet épisode m’a contraint à me remettre en question. J’ai fait une pause dans mes études et je me suis penché sur ce que je souhaitais vraiment faire. » Son recrutement, l’homme n’en parlera pas, mais il évoquera quelques détails de ses entraînements, deux années intensives pendant lesquelles son mental et son physique ont été mis à rude épreuve, et qui lui ont notamment permis d’apprendre l’arabe littéraire. « Ces vingt dernières années à l’agence ont été les plus passionnantes de ma vie », affirme-t-il.
Sarah et Harry ont des missions similaires : récolter des informations nécessaires pour « sauvegarder » la sécurité du pays. « Comment ? », questionne une jeune femme dans le public. « Nous ne pouvons pas vous donner de détails, répond Sarah, mais nos missions se résument à nous rapprocher de personnes qui peuvent nous fournir ce que nous voulons. »
Pendant près d’une heure, les agents exposent quelques anecdotes et évoquent les qualités primaires requises pour faire un bon agent. Et quand vient le moment des questions-réponses, deux clans se forment : si certains ont été totalement charmés et s’imaginent déjà sur le terrain, d’autres émettent des réserves. « Ce métier n'impacte-t-il pas votre vie privée ? », demande une Américaine employée dans une entreprise de high-tech à Tel Aviv. « Il a un impact, surtout psychologique, mais nous essayons de faire la part des choses. Il y a un prix à payer pour faire ce métier, mais cela n’empêche pas d’avoir une famille et des amis. D’ailleurs, je me suis mariée et j’ai eu des enfants alors que je travaillais déjà pour le Mossad », répond Sarah qui vient pour la première fois de la soirée de nommer le célèbre service de renseignement. « L’agence nous encourage à vivre une vie normale et à nous épanouir dans notre vie privée. D’ailleurs, nous manquons de femmes, alors si certaines veulent nous rejoindre, nous les y incitons vivement », conclut-elle. Le but de cette rencontre se clarifie… « À la fin de la conférence, nous vous donnerons un mail auquel vous pourrez adresser votre CV », lance Harry. De quoi éveiller l’enthousiasme, mais aussi la perplexité de l’audience. « Et concernant le salaire ? », questionne un jeune étudiant d’Amérique du Sud. « On ne fait pas ce métier pour l’argent. Le salaire n’est pas bon », répond Sarah sur le ton de l’humour. Cet argument ne rebute néanmoins pas l’assistance. Une dizaine de personnes se succéderont à la fin de la séance pour poser des questions en têteà-tête aux deux intervenants et donner leurs coordonnées.
L’audience n’a pas été choisie au hasard : des jeunes, pour la majorité bilingues, voire trilingues, et à la double nationalité. « Vous êtes les profils dont nous avons besoin », a plusieurs fois répété Sarah.
Au sortir de l’événement, aucun secret n’aura été dévoilé. Hormis des conseils logiques, les agents n’auront évoqué ni le processus de recrutement qu’ils ont suivi ni les formations dispensées. Ils n’auront pas non plus révélé leur véritable identité.
Voilà comment, un soir de février, le Mossad a organisé une soirée de recrutement dans un bar branché en face de la promenade du bord de mer de Tel Aviv… n
