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Un défi : révéler l'identité fromagère israélienne

Noémie Richard est une jeune femme qui vit d’une passion tout à fait originale : l’art et la manière de fabriquer le fromage. Elle s’est donné pour mission de dévoiler au monde ses secrets de fabrication.

Noémie, qui a fait son Alya depuis un an et demi, nous a fait partager son expérience lors d’une conférence à l’Institut Français de Haïfa. Nous avons rencontré cette sympathique et brillante entrepreneuse.

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LPH : Noémie Richard, comment êtes-vous entrée dans le monde des fromages ?

Noémie Richard : Je suis française et toute ma famille paternelle est originaire des Alpes. Cela m’a permis d’être régulièrement au contact de la nature. Dans le cadre de mes études en agroalimentaire, j’ai eu l’occasion de participer à divers stages. Grâce à une expérience au Canada, en particulier, j’ai pu entrer dans le domaine de la fabrication de produits laitiers. Fraîchement diplômée, j’ai obtenu un poste en Amérique du Sud, où je me suis trouvée en contact avec des fromagers.

Qu’avez-vous fait en Amérique du Sud ?

J’ai créé au Chili l’École du fromage, puis mon activité s’est déployée en Argentine, en Colombie et au Pérou. Dans ces pays, les fromages ne sont pas de la qualité de ceux que l’on trouve en Europe. Mais c’est justement cela qui est intéressant, car après avoir été dans la production pure, après avoir appris toute la technique de transformation du lait et pris connaissance des nombreux dérivés que l'on peut obtenir à partir d’un même lait, cette expérience et la possibilité qui m’a été offerte de créer une École du fromage m’ont conduite à découvrir d’autres aspects lll lll du monde du fromage, et notamment comment le « mettre en scène » et quelles sont les meilleures façons de le déguster. J’ai également dû développer l’analyse sensorielle, et en premier lieu le goût. Il s’agit en fait de se mettre dans la peau des chefs, des sommeliers et des acheteurs.

Voir arriver une jeune spécialiste du fromage les a mis d’emblée en confiance ?

Mon origine française était un bon point de référence, mais j’ai tout de même dû faire mes preuves. À travers mon école, je représentais la société Savencia, anciennement Bongrain (à l’origine du célèbre « Caprice des dieux »). Cette entreprise, qui fournit une grande variété de fromages de France, mais aussi d'Espagne, d’Italie ou de Suisse, a eu l'intelligence de miser sur une stratégie éducative. Il est important, dans le contexte d’une école fromagère, d’avoir une sensibilité et une ouverture à la production locale et à des habitudes de consommation spécifiques. Faire découvrir à certains pays les spécialités fromagères d’autres pays les pousse à s’en inspirer et à être plus performants.

C’est ainsi qu’en Israël, en Galilée précisément, une dizaine de fromagers s’inspirent vraiment des fromages français, au point que la ressemblance avec certains de nos fleurons est parfois troublante, même pour ceux dont les papilles sont très aiguisées. Quelquefois, les fromagers israéliens font évoluer certaines recettes et proposent des fromages frottés à l’huile d’olive, par exemple. Selon le lieu d’origine du lait, le fromage s’exprimera d’une façon différente.

Mais la technicité fromagère reste une science très pointue en France, et les fromagers israéliens passent forcément par une étape française dans leur apprentissage.

La qualité des fromages passe-t-elle impérativement par la performance technologique ?

La machine aide à la régularité, à la consistance, et à faciliter des processus. Mais sans machine, on peut réussir de très bons produits artisanaux.

En ce qui concerne la reconstitution d’un Brie, d’un Camembert ou d’un Roquefort, il est vrai que le goût ne peut que s’approcher d’un fromage de fabrication française, ne serait-ce que du fait de l’origine du lait produit par des vaches qui pâturent les trois quarts de l’année, ce qui influe sur la consistance et la composition en matière grasse du lait propre à ces régions.

Qu’est-ce que les Israéliens attendent de vous : que vous les aidiez à développer leurs propres fromages ou que vous leurs appreniez à reproduire les fromages français ?

Le vrai défi, c’est d’arriver à trouver l’identité fromagère israélienne, plutôt que de copier des fromages étrangers, même si cela reste intéressant. La démarche consiste à dévoiler le terroir à travers les fromages. C’est comme pour le vin. Certains cépages français ne marchent pas en Israël. Les Français ont su produire leurs vins à partir de leurs critères climatiques et environnementaux. Par exemple, le pinot noir peut difficilement être reproduit en Israël. Les cépages sont trop fins et délicats pour les climats israéliens. L’inspiration française doit guider la technicité, mais parvenir à une imitation ne doit pas être l’objectif final.

Est-ce que les impératifs de cacherout peuvent nuire à la qualité des fromages ? Et la cacherout estelle un critère généralisé en Israël ?

Pour produire un fromage cacher, il faut des ingrédients cacher. Le lait est généralement surveillé, et il faut trois ingrédients principaux pour fabriquer la majorité des fromages : le sel, la présure et les ferments. Il y a deux types de présures : la présure animale, qui provient de l’estomac des ruminants, et la présure microbienne, qui est très facilement contrôlable et cachérisable parce qu’elle est fabriquée en laboratoire. En Israël, la présure animale est surveillée par les institutions de cacherout, et elle est permise si elle provient d’un estomac de bovin. Selon la Halakha, on autorise la coagulation du lait par une présure animale, celle-ci ne faisant pas partie de l’estomac du bovin. Mais ce processus est beaucoup plus cher et plus restreint. Et de toute façon, la présure animale ou végétale n’a pas d’influence sur le goût du fromage ; sa fonction est seulement une fonction de texture : elle fait coaguler le lait. On peut faire de très bons fromages cacher, aussi bons que les non cacher.

Vous avez fait votre Alya il y a un an et demi. Qu’estce qui vous a conduite en Israël ? Auparavant, j’étais assez éloignée de mes racines juives – je suis juive par ma mère. J’ai vécu sept ans en Amérique du Sud, puis en Angleterre, et c’est à Londres que s’est réveillée ma spiritualité enfouie. J’y ai découvert les valeurs du judaïsme. À partir de là, pour moi, vivre en Israël est devenu une évidence. J’ai donc décidé de faire l’Alya. Je n'étais pas sans savoir qu'Israël est un pays émergent en termes de de qualité de production du fromage. Il y a une demande d’amélioration de la part des producteurs et un intérêt croissant des consommateurs.

Comment se passe votre intégration ? L’hébreu est-il au rendez-vous ?

Il avance plus lentement que l’espagnol ou l’anglais, car je poursuis mes activités avec l’Europe, mais je compte bien m’y atteler. En attendant, mon compagnon, qui est israélien (tochav 'hozer), m’aide pour mes différents projets, notamment celui de « Gvinag » (fusion de « gvina » et de « fromage »), une structure israélienne que nous avons créée ensemble pour accompagner les fromagers. Nous faisons régulièrement des interventions dans le domaine de l’éducation et de l’information. Nous organisons des master classes sur les fromages israéliens, des événements privés, des ateliers, des tiyoulim, pour le grand public et les professionnels. n

Pour plus d’informations : www.gvinage.fr

Propos recueillis par Béatrice Nakache

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