La Puce n° 108

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Nos pratiques

ces thématiques, de pouvoir changer de regard sur les situations de handicap/validité, les autres, soi-même... Restituer le vécu d'un groupe de parole n'est pas une chose évidente à faire dans la mesure où la règle de confidentialité pose des limites claires à ce qui peut en être dit. Mais l'engagement mutuel au secret a pour fonction de garder dans l'intimité du groupe les propos personnels tenus par ses membres ; il concerne donc le contenu des échanges, et pas nécessairement leur dynamique. Puisqu'il est possible de parler de la façon dont un groupe de parole s'est déroulé sans rien révéler du contenu précis de ce qui a été dit, l'intention de ce texte est la même que celle qui a présidé à la mise en place de cet espace : partager ce qui ne se partage pas d'habitude.

groupe risque d'instrumentaliser l'espace et lui faire perdre une partie de la liberté qu'il peut offrir. Une fois ces constats dressés, nous avons pu reprendre le fil de la discussion dans un climat plus serein. Pour la troisième et dernière rencontre, nous nous sommes recentrés sur la thématique du vécu de la vie sexuelle en situation de handicap. La confiance revenue, la parole a davantage circulé, ce qui a permis à des personnes qui s'étaient peu exprimées jusqu'alors de prendre leur place dans l'échange. Nous avons clos cette rencontre par un bilan sous forme de tour de table où chacun a pu dire comment il avait vécu sa participation à ce groupe. En ce qui concerne l'animation, un élément supplémentaire est venu complexifier la dynamique de groupe : la différence de statut des participants dans l'institution (usager/professionnel), qui se double d'une différence de situation (handicap/validité). Les interactions semblant plus compliquées à vivre de ce fait, la posture d'animation adaptée a dû faire une place plus grande au rôle de médiation ou de régulation.

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Impact de la parole Lors de la première séance, la parole a circulé de façon extrêmement libre, à la surprise générale. Cela a créé une ambiance très agréable et détendue, presque euphorique. L'impression dominante était que tout pouvait être dit et entendu, comme s'il n'y avait plus aucun danger à parler librement, voire plus aucun tabou. Mais après cette parenthèse de liberté verbale, le quotidien a repris son cours et certaines personnes se sont rendues compte que ce qu'elles avaient dit ou entendu avait modifié sensiblement la façon dont elles étaient vues par les autres et/ou leur propre regard. Des tensions sont alors apparues entre certains professionnels et usagers. Ce problème a donc été parlé à l'entrée de la deuxième séance, où l'ambiance nous est apparue lourde et teintée de méfiance. Ainsi, nous avons pu repérer que ce qui avait été vécu comme positif par certains apparaissait à d'autres négativement. Des personnes ont alors dit leur regret d'avoir révélé des choses intimes, compte tenu des conséquences observées par la suite. Ce temps de « régulation » a permis de mettre en évidence la nécessité de mesurer l'impact que toute parole peut avoir dans un groupe, sur les autres comme sur soi-même. Le risque pris en parlant de son intimité doit pouvoir être conscient puisque ce n'est que la personne qui parle qui peut décider de ce qu'elle souhaite dire aux autres ou pas. Nous avons aussi pu remarquer que les statuts, rôles et situations des uns et des autres n'avaient pas disparu totalement, produisant des interactions particulières entre les membres du groupe. Par exemple, certains propos ont pu être plus ou moins consciemment influencés par le rôle professionnel ou le besoin de rassurer les autres ou de leur faire plaisir. En principe, dans un groupe de parole, la participation est surtout liée à l'envie ou au besoin de s'exprimer dans un collectif. Le fait de parler avec une intention particulière vis à vis d'une personne ou d’un

Reconnaissance mutuelle De tout ce qui a été dit et vécu pendant ces trois rencontres, nous retiendrons : des modifications dans les représentations des situations de handicap ou de validité, et dans celles des possibilités de vivre une relation amoureuse, notamment avec une personne valide, quand on est en situation de handicap; une meilleure connaissance mutuelle entre professionnels, entre usagers, ou entre professionnels et usagers, avec pour effet particulier de faire apparaître aux yeux de certains usagers des aspects de la vie privée des professionnels (difficultés entre autres) qu'ils n'imaginaient pas ; le constat qu'il est possible de faire tomber certaines barrières dans les relations entre professionnels et usagers, d'humaniser ces relations, sans abolir les places et rôles de chacun ni perdre en respect mutuel ; une prise de conscience des possibilités, des effets, et des limites de la parole individuelle au sein d'un collectif ; le sentiment largement partagé d'être entré dans un processus de communication groupale qui donne envie d'être poursuivi et approfondi. Au delà de l'intérêt qu'un tel dispositif peut représenter pour les personnes qui y prennent part comme pour l'institution dans laquelle elles évoluent, il faut aussi y voir pour le Planning Familial un mode de mise en œuvre particulièrement efficient de notre politique relais. En effet, le meilleur moyen pour les professionnels de comprendre et de soutenir ce que propose notre association en termes d'espaces de parole n'est-il pas d'en faire personnellement l'expérience ? n Béatrice Cascales

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LA PUCE à L’OREILLE n Juillet 2011


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