Le Mahorais n°226

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N°226 du Mardi 18 novembre 2008

LOCALE

Ymane Nadjib, première mahoraise à l'EN3S PORTRAIT

Ymane Nadjib, née Alihamidi, petite fille de la célèbre Zéna M'Déré qui s'est battue pour une Mayotte française, est la première mahoraise à intégrer l'Ecole Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale (ENSSS), plus connue sous le nom de EN3S. Il suffit d'échanger quelques mots avec elle pour comprendre pourquoi. Cette visionnaire de la vie et de l'économie mahoraise est amenée, telle son illustre grand-mère, à occuper de grandes fonctions un jour dans l'île au lagon. Elle s'apprête pour l'instant à suivre ses 18 mois de scolarité en métropole.

S

i sa ville de naissance et sa scolarité de primaire furent strasbourgeoise, son père mahorais et sa mère anjouanaise ont voulu positionner leurs enfants dans une identité culturelle claire, tout en leur donnant une vision d'avenir : elle pose devant une photo-cadeau de son père "toujours viser loin". « La cherté des voyages ne nous permettait de rentrer que de temps en temps à Mayotte, et c'est à l'âge de 11 ans que mes parents ont

Zéna M'Déré, Mayotte française, le combat de sa vie.

souhaité s'y installer pour créer la première entreprise de déménagement, DTSI puis Madétrans ». C'est donc à l'issue d'une scolarité dans le secondaire et un bac passé à Mayotte qu'Ymane Nadjib intègre HEC. « Il n'y avait pas de grosses différences de niveaux à l'époque car nous n'étions pas beaucoup à arriver jusqu'en terminale et les professeurs qui venaient à Mayotte à l'époque étaient exceptionnels, le faisaient par vocation en arrivant avec leur bâton de pèlerin ». Une maîtrise de droit privé en poche, elle décide de revenir à Mayotte avec mari (ingénieur en thermique industrielle) et enfant pour « participer à cet édifice en construction qu'était, en 2003, l'annonce de l'arrivée de l'assurance maladie à Mayotte ». Elle est désormais responsable du pôle administration générale qui regroupe 24 agents. Le directeur de la Sécurité sociale en 2003, Félix Fortuné essaie de dynamiser le personnel en lui offrant la possibilité de passer le concours d'entrée de la prestigieuse EN3S, et, 5 ans après, la première candidate de l'Histoire de la CSSM et la seule domienne de l'année, en la personne d'Ymane est reçue dans cette école qui est l'équivalent de l'ENA pour la fonction publique. « Ce concours est un retour sur investissement du combat de nos grand-mères » explique celle dont les deux pieds sont ancrés dans la tradition : « la richesse des pauvres est une tête bien faite disait ma grand-mère et, lors du grand oral du concours, j'ai défendu mon parcours en expliquant qu'un baobab ne peut pousser s'il n'a pas de bonnes

racines, c'est-à-dire que mon évolution et mes décisions prennent naissance dans mes racines mahoraises et anjouanaises ». Cette femme de tête, reçue 14ème sur 200 à l'issue des sélections et examens, va maintenant passer 18 mois à Saint Etienne pour suivre sa scolarité, tout en étant toujours salariée CSSM. « Mon fils vient avec moi, et si j'entreprends tout ça, c'est bien grâce à mon mari qui me suit et me stimule car je n'aurais pas pu réussir ce concours seule sans son aide et l'encouragement de mes parents. » C'est une femme moderne qui travaille en salouva tout en argumentant sur « l'avenir de Mayotte qui appartient aux femmes si des hommes peuvent les soutenir », un pur mélange de traditions et d'avenir. Un de ses rêves est qu'il y ait des candidatures de Mahorais qui, en externe, se présentent au concours de cette grande école pour laquelle il faut quand même un niveau IEP ou entrée à l'ENA. A la sortie, l'EN3S délivre un diplôme de master en ingénierie de la protection sociale et les heureux lauréats seront dispatchés sur un poste d'agent de direction, pas forcément dans la région d'origine. Elle ne reverra donc ses collègues et collaborateurs, qui la soutiennent : « tu portes tous nos espoirs », que dans quelques années. Ymane se sent aujourd'hui redevable des encouragements des directeurs successifs comme MM. Fortuné et Perrier et montre une grande admiration, outre sa grand-mère, pour Sarah Mouhoussoune, présidente de la CSSM et conseiller général de

Ymane Nadjib “L'avenir de Mayotte appartient aux femmes”.

Dembéni qui « a travaillé pour s'en sortir ». Sa vision de Mayotte est tournée vers l'avenir comme sa grand-mère qui s'est battue pour cette île et qui pourtant, 3 jours avant de décéder lui confiait son inquiétude pour Mayotte, qu'elle rejoint : « La départementalisation est logique dans le cadre de l'évolution statutaire mais avons-nous été bien préparés ? ». Elle rejoint dans ce sens la réflexion de l'ethnologue Sophie Blanchy pour qui les Mahorais s'autocensurent en éludant leurs traditions, qui vont revenir au galop dès la départementalisation votée. Elle est inquiète de voir les traditions se perdre à Mayotte, parce qu'elles sont orales et donc par manque d'écriture de son Histoire. Son avenir est en tout cas lié à celui de Mayotte : « Je

reviendrai dans 5 ans pour faire quelque chose pour l'évolution de Mayotte : tout est possible, on avait qu'un seul énarque, il était anjouanais, mais est décédé. Il faudrait un énarque mahorais qui ait une vision des besoins pour Mayotte : il n'y a pas d'encadrement des étudiants mahorais en métropole, moyennant quoi, ils reviennent tous vers le tertiaire et un bac+4 ne trouve plus de travail. Alors qu'il n'y a par exemple, aucun exploitant agricole qui ait fait des études et qui pourrait penser l'organisation de notre territoire en la matière ». Des idées pour l'avenir de son île, Ymane Nadjib, en a plus d'une dans son sac et son retour sera la promesse d'une réelle réflexion de l'organisation de l'évolution mahoraise. Annette Lafond

Mardi 18 novembre 2008

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