Magazine Iwacu n°50

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OCTOBRE 2018

N°50

La Résolution 1325

Littérature Hommage à deux enfants du pays Pges 16-23

Avancées, défis et perspectives, 18 ans après


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Editorial Résolution 1325. L’heure du bilan Par Léandre Sikuyavuga

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ix-huit ans est l’âge de la majorité dans la plupart des pays. L’individu est juridiquement considéré comme civilement capable et responsable. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté le 31 octobre 2000 une résolution portant le numéro 1325, qui définit le rôle important que jouent les femmes dans la consolidation de la paix. Elle souligne également leur importance dans la participation à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité. Par ailleurs, la résolution prévoit la protection des femmes et des fillettes face aux violences sexistes. 18 ans après, quelle est la situation au Burundi ? Iwacu a mené des investigations, s’est entretenu avec les leaders de plusieurs organisations qui militent pour la promotion et l’épanouissement de la femme. Certes, il y a des avancées, mais des défis restent. Ils sont nombreux, mais ne sont pas insurmontables. Nous pensons notamment à une absence d’une vision commune des femmes sur la question du genre, les lacunes au niveau de la législation nationale, les barrières socioculturelles, etc. Toutefois, même si le chemin reste long, les décideurs sont de plus en plus sensibilisés sur des questions de la participation, la protection, la prévention, le relèvement communautaire, le partenariat et la réinsertion socioéconomique des femmes. Les instances dirigeantes sont interpelées par les organisations féminines pour s’approprier la Résolution. En somme, les femmes contribuent énormément à la survie des familles et des communautés, à l’édifice de la paix et de la cohésion sociale. Leurs contributions sont visibles dans les conflits familiaux, litiges fonciers. Même s’il reste à faire, le constat est que les leaders des organisations des femmes prennent des initiatives pour la mise application de la Résolution 1325. Les piliers de cette dernière sont intégrés dans leurs plans stratégiques. Le tableau n’est donc pas totalement sombre. Les nombreuses initiatives prises par les leaders laissent espérer que le meilleur est à venir pour la mise en œuvre de la Résolution 1325.

SOMMAIRE NOTRE DOSSIER : La résolution 1325 : Les femmes mises à l'honneur ........................................................................................................................................3-15

LITTÉRATURE : Hommage à deux enfants du pays.................................................................................................................................................................16-23

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La résolution 1325 : Les femmes mises à l’honneur Le Conseil de sécurité a adopté en sa 4213 ème séance, le 31 octobre 2000 la résolution appelant les Etats et les Nations unies à plus de considération de la femme.

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iscrimination basée sur le genre, quasi-absence dans des postes de décision, viol utilisé comme arme de guerre dans les zones à conflit, la femme fait face à de nombreux défis. Souvent victime des décisions prises par les hommes, elle n’est ni associée ni consultée lorsqu’il s’agit de trouver solution aux différentes crises, que ce soit au niveau des Etats, des régions ou au niveau international. Pourtant, selon le Conseil de sécurité, les femmes jouent un rôle important dans la prévention, le règlement des conflits et dans la consolidation de la paix. Il est vrai que bien avant cette résolution, différents instruments internationaux se soient penchés sur la question d’égalité de sexe, de parité et de promotion des droits de la femme. Il s'agit notamment des dispositions de la convention sur l' élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard de la femme. « Mais il faut le reconnaître, la résolution 1325 adoptée par le Conseil de sécurité est venue en renfort dans la promotion de la femme,» a indiqué une représentante d’une organisation qui milite pour les droits de la femme qui a voulu garder l'anonymat. La résolution du conseil de sécurité reconnaît toutefois qu’un effort doit se conjuguer non seulement par les Etats mais surtout par le système des Nations Unies. Ainsi, le secrétaire général est prié de prévoir une participation accrue des femmes à la prise des décisions concernant le règlement des conflits et les processus de paix. Le Conseil de Sécurité demande également de nommer plus de femmes parmi les représentants et les envoyés spéciaux chargés de missions de bons offices. Le Secrétaire Général doit absolument tenir en compte les candidatures féminines inscrites dans une liste centralisée régulièrement mise à jour.

La résolution 1325 a été adoptée le 31/10/2000 et comprend 4 piliers à savoir la participation, la protection, la prévention et le relèvement communautaire . de spécialistes des droits de l’homme et de membres d’opérations humanitaires. Il doit en outre communiquer aux États membres des directives notamment sur l’importance de la participation des femmes à toutes les mesures de maintien de la paix et de consolidation de la paix.

La femme au sein des institutions étatiques et internationales

Dans cette résolution 1325, les États membres sont quant à eux appelés à faire en sorte que les femmes soient davantage représentées à tous les niveaux de prise de décisions dans les institutions et mécanismes nationaux, régionaux et internationaux pour la prévention, la gestion et le règlement des différends.

Le patron des Nations unies doit par ailleurs chercher à accroître le rôle et la contribution des femmes dans les opérations des Nations unies sur le terrain, en particulier en qualité d’observateurs militaires, de membres de la police civile,

La parité étant essentielle pour le développement d’un pays, le Conseil deSécurité exhorte les Etats d’accroître le soutien financier, technique et logistique qu’ils choisissent d’apporter aux activités de formation aux questions de parité.

La résolution 1325 demande aux pays membres la fin de l’impunité ainsi que la poursuite en justice de ceux qui sont accusés de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris toutes les formes de violence sexiste et autre contre les femmes et les petites filles. Lors des processus de négociation de paix engagés pour une sortie de crise, tous les intéressés sont priés d’adopter une démarche soucieuse d’équité entre les sexes. Il s’agit notamment lors du rapatriement, de la réinsertion. Et quand il s’agit de la législation dans les domaines de la Constitution, du système électoral, de la police et du système judiciaire, le Conseil de Sécurité encourage l’adoption des mesures garantissant la protection et le respect des droits fondamentaux des femmes et des petites filles. Dans le cadre d’une zone en plein conflits armés, le Conseil de sécurité demande à toutes les parties à un conflit armé de respecter le droit international qui protège la femme. Il demande également la protection contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices sexuels. Agnès Ndirubusa

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Résolution 1325 : Deux plans d’action déjà élaborés, 18 ans après Promouvoir une participation équitable et effective des femmes et des filles dans les postes électifs et non électifs, améliorer la protection et la prise en charge des victimes des VBG, mettre en place des mécanismes de financement et de suivi, etc. Entre autres objectifs du plan d’action de la résolution 1325. Le ministère chargé droits de l'homme et du Genre, les associations féminines s'activent pour sa mise en oeuvre.

Christine Claphe Ntunzwenimana : « La résolution 1325 a renforcé notre plan stratégique »

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hristine Claphe Ntunzwenimana, vice-présidente et porte-parole du Collectif des associations et ONGs féminines du Burundi (Cafob) souligne que la résolution 1325 a renforcé les activités du collectif déjà fonctionnel depuis 1995. « Notre collectif se battait déjà pour la consolidation de la paix, vu que le Burundi traversait des moments cruciaux.» Mme 4

Ntunzwenimana fait savoir qu’à chaque plan stratégique entrepris par le collectif, chaque pilier de la résolution 1325 devrait y figurer. Les 4 piliers de la résolution 1325 sont entre autres la prévention, la participation, la protection et le relèvement économique de la femme. « Ces piliers collent avec la mission du collectif. Nous nous sommes engagés à protéger la femme,

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l’informer, la renforcer en connaissance et la soutenir économiquement.» La vice-présidente de Cafob fait savoir que ce collectif a déjà participé dans deux plans d’action de la résolution élaborés par le gouvernement du Burundi depuis 2012. C’est dans ce cadre que la vulgarisation de la convention pour éliminer toute forme


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de discrimination à l’égard de la femme, la loi sur les violences basées sur le genre et les actions de plaidoyer pour la promotion de la femme ont été menés. Elle ajoute que le collectif a déjà aussi élaboré un guide sur l’intégration du genre dans la mise en œuvre du programme de Réforme de l’administration publique (PNRA). De plus, dit-elle, cela a permis l’élaboration d’une stratégie pour la mise en œuvre des quotas de % des femmes dans les postes non électifs et l’ élaboration d’un guide d’intégration de la résolution 1325 dans les plans communaux de développement communautaire suivi de traduction en langue nationale. Ce collectif des associations féminines a déjà aussi participé dans l’élaboration du plan d’action 2017-2021 pour la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil des Nations unies pour les femmes, la paix et la sécurité. Et Mme Ntunzwenimana d’ajouter : « L’agenda commun des femmes burundaises dans le processus de consolidation de la paix provient des acquis de la résolution 1325 ». Dans le cadre du plan d’action 2017-2021, Cafob est en train de mener un projet sur cinq ans dans 3 provinces (Bururi, Muramvya et Mwaro) dans l’assistance médicale et psychologique des femmes victimes des VBG. « Nous avons trois psychologues affectés dans 3 centres dans ces provinces. »

« Pas de rose sans épines » Mme Christine Ntunzwenimana fait savoir que même si la résolution 1325 a révolutionné la femme burundaise dans la consolidation de la paix et la sécurité, les défis ne manquent pas. Le manque de moyen, un obstacle majeur pour la réalisation de ces plans d’action. Elle donne l'exemple de la loi sur les successions à régimes matrimoniales et libéralités qui soulève encore des remous. « La femme n’as pas encore droit à la terre et le relèvement économique reste un obstacle.» Et d’ajouter : « Elle ne peut même pas demander un crédit parce qu’elle n’a rien à hypothéquer. » Pour ce, le Cafob essaie de faire participer la femme rurale dans la promotion de la sécurité et l’autosuffisance alimentaire. « Les femmes rurales participent dans des coopératives et apprennent de plus en plus le leadership transformationnel, » explique Mme Ntunzwenimana. Cependant, suite aux évènements de 2015, la mise en œuvre de ce plan d’action de la résolution 1325 tourne au ralenti. « Il n’y a plus de bailleurs alors que le collectif avait plusieurs projets. » Ce collectif compte mobiliser les fonds pour accompagner leur plan stratégique qui va de pair avec le plan d’action de la résolution 1325. Mme Ntunzwenimana

Donatienne Girukwishaka : « Le premier défi est lié à l’information et la sensibilisation sur la résolution. »

de renchérir : « Si les moyens ne manquent pas, le collectif va mener une campagne de sensibilisation pour que les femmes, du sommet à la base, participent et se représentent dans les élections de 2020. »

Le chemin est encore long.. Donatienne Girukwishaka, directrice générale de la promotion de la femme

au ministère des Droits de l’homme et égalité des genres indique qu’en 2012, le Burundi a élaboré le premier plan d’action national (PAN) quinquennal de mise en œuvre de la Résolution 1325. Celui-ci est arrivé à échéance avec la fin de l’année 2016. Le deuxième plan d’action a débuté en 2017 et prendra fin en 2021. Même si le premier plan d’action a été élaboré en 2012, Mme Girukwishaka soutient que la femme avait déjà commencé à militer pour ses droits. « Elles étaient présentes dans les

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négociations de l’Accord d’Arusha ». Malgré qu’elles aient un statut d’observatrices, cela a été un grand pas franchi dans le domaine de la promotion de la femme. Dans le processus de maintien de la paix et de la sécurité, le rôle de la femme a été capital. Le premier plan d’action est construit autour de 8 axes prioritaires. Entre autres la participation effective des femmes dans le processus de négociation de paix et opérations de maintien de la paix, égalité et équité en matière de participation des hommes et des femmes dans les postes de prise de décision. Il est construit également sur le renforcement des mécanismes de protection des droits des femmes en période de conflit et post conflit, réformes législatives en faveur de l’égalité de genre. Le deuxième plan d’action (2017-2021) est construit sur 6 axes. Notamment la protection des droits et la prise en charge des victimes des VSBG, l’implication des femmes et la prise en compte des besoins des femmes et des filles dans l’élaboration et la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des programmes post conflits. En outre, il prévoit le financement, la coordination, le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre du plan d’action. Madame Girukwishaka souligne que pour les deux PAN, un comité de pilotage a été mis en place pour guider leur élaboration. Il incluait différents acteurs dont les ministères particulièrement concernés par la mise en œuvre de cette résolution, des agences des Nations unies et des organisations de la société civile. Les actions programmées dans ce plan d’action s’intègrent dans 4 piliers. A savoir la participation, la prévention, la protection et le relèvement économique. De ce fait, le plan d’action de la mise en œuvre de la Résolution 1325 est un autre instrument important dont le Burundi doit se doter. Enfin d’avancer son action en faveur de la promotion et de la protection des droits humains des femmes et des filles. Mme Girukwishaka assure que des avancées significatives dans la promotion et la protection des femmes et des filles sont déjà enregistrées. « L’Etat burundais a élaboré une stratégie nationale de lutte contre les violences sexuelles et une politique nationale genre en cours d’élaboration ». En ce qui est du cadre légal, le Burundi a promulgué un nouveau code pénal prévoyant de plus lourdes peines pour le crime de viol. S’agissant de la participation des femmes, la constitution garantit un quota d’au moins 30% de femmes au sein du gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat. La loi électorale quant à elle étend 6

"La constitution garantit un quota d’au moins 30% de femmes au sein du gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat."

le système de quota au niveau des conseils communaux. Avec les élections de 2010, le Burundi a effectué son entrée dans sa deuxième législature post conflit avec de nouvelles institutions dans lesquelles les femmes sont mieux représentées qu’avant. Ainsi, précise Mme Girukwishaka, à l’issue de ces élections, le Burundi enregistre 38% de femmes au gouvernement, 46% au Sénat et 32% à l’Assemblée nationale. Et d’ajouter que malgré toutes ces avancées, des défis persistent en matière de pro-

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motion de l’égalité de genre. « Le premier défi est lié à l’information et la sensibilisation sur la résolution. Elle était peu connue. Il fallait sensibiliser tout le monde ».En plus, précise-t-elle, le plan d’action n’a pas eu de financement suffisant. C’est pour cela que certains objectifs n’ont pas été réalisés. Diane Uwimana et Chanelle Irabaruta


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Mise en œuvre de la Résolution 1325 : Un bilan mitigé Considérée comme un instrument de plaidoyer pour la pleine participation de la femme à l’ensemble des initiatives de paix et de sécurité, certaines organisations constatent, néanmoins, qu' elle est peu connue par les acteurs concernés et sa mise en œuvre se heurte à certains obstacles malgré les avancées

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a mise en œuvre effective de la Résolution 1325 commence en 2012 avec le plan d’action 2012-2016 exécuté par le ministère en charge des Droits de l’homme et du genre en collaboration avec ses partenaires », indique Augustin Niyongabo, coordinateur national de l’association « Fontaine Isoko » et membre du comité de pilotage. D’emblée, M. Niyongabo fait savoir que la Résolution n’est pas bien connue et intégrée au Burundi. D’où une faible participation des femmes dans la gouvernance politique.De son côté, Alice Nkunzimana, coordinatrice nationale de l’Association pour la promotion de la fille burundaise (APFB), indique que le rôle de la femme dans le maintien de la paix et dans la prévention et la résolution des conflits est primordial. Les femmes vivent au quotidien les conflits. Elles sont en même temps actrices et victimes des conflits. Les femmes, soutient-elle, contribuent énormément à la survie des familles et des communautés, à l’édifice de la paix et de la cohésion sociale. Leurs contributions, faitelle observer, sont visibles dans les conflits familiaux, litiges fonciers.

Des obstacles à sa mise en œuvre De prime à bord, note M. Niyongabo, il y a les barrières socio-culturelles. En effet, explique-t-il, la culture burundaise et les mentalités accordent tout le pouvoir aux hommes. Cela dénote en quelque sorte les complexes qui habitent les uns et les autres, ainsi que le peu de sensibilité au genre chez les autorités investies du pouvoir de nommer des personnes aux postes de responsabilités. Par ailleurs, M. Niyongabo relève le manque de budget pour la sensibilisation. La Résolution n’est pas bien connue par les instances dirigeantes. En plus, il n’y a pas de vision commune des femmes sur la question du genre. Enfin, des lacunes sont remarquables au niveau de la législation nationale. « L’absence d’une loi sur les successions bloque la femme burundaise d’avoir accès à la propriété, et partant son relèvement économique ».

Augustin Niyongabo : « La mise en œuvre effective de la Résolution 1325 commence en 2012 avec le plan d’action 2012-2016. »

Alice Nkunzimana : « Il ne peut pas y avoir de consolidation de la paix sans l’autonomisation de la femme. »

En outre, il estime que les femmes doivent lutter encore pour pouvoir se positionner et accéder aux postes de prise de décision. Néanmoins, nuance-t-il, la femme doit être promue pour sa compétence et non pour sa seule qualité de femme. Pour l’activiste des droits de la fille, le revenu faible de la femme est à l’origine de sa faible représentation et participation dans les instances de prise de décision. Ce faible revenu limite son épanouissement. Et de conclure : « Il ne peut y avoir de consolidation de la paix sans l’autonomisation de la femme. » Avant de marteler : « Tout doit passer par son indépendance économique. »

Des actions sont envisagées

Augustin Niyongabo suggère la vulgarisation de la loi sur les VBG à l’endroit des victimes. Celles-ci doivent savoir qu’elles sont protégées par la loi. Au niveau de la communauté, la Fontaine Isoko prévoit

des mécanismes d’alerte sur les violences sexuelles. Le renforcement des capacités des différents acteurs sur la Résolution 1325. Au niveau de la prévention, l’APFB, à travers son programme « Birashoboka » (c’est possible), a formé des médiatrices dans tout le pays. Cinq filles par communes, médiatrices de demain. En plus, l’APFB prévoit organiser une formation d’un pool provincial pour vulgariser la Résolution.

Des avancées Donatienne Girukwishaka, directrice générale de la promotion de la femme et de l’égalité de genre, reconnaît que la Résolution 1325 n’est pas bien connue par tous les acteurs. Cependant, elle note une certaine avancée dans sa vulgarisation. Et ceci à travers les plans d’action 2012-2016 et 2017-2021. Pour Mme Girukwishaka, le rôle de la femme dans la prévention et résolution des

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conflits reste primordial. Elle subit tous les maux en cas d’éclatement de la guerre. D’où, elle doit être protégée. Et d’interpeller les pouvoirs à prendre en compte les besoins particuliers de la femme. Tout le monde doit être conscientisé sur la pré-

vention des conséquences des conflits sur les femmes. «Il faut que la femme ait accès aux opportunités de la même façon que l’homme. » Donatienne Girukwishaka relève des défis

liés à la vulgarisation de ladite Résolution. « Le plan d’action n’a pas eu de financement. D’où certains objectifs n’ont pas été réalisés ». Félix Haburiyakira et Hervé Mugisha

Genre et Médias: Un palier reste encore à franchir dans les médias « Les femmes sont sous- représentées dans les médias et très peu de femmes traitent des sujets politiques », avance Désiré Ndanziza, Secrétaire exécutif de l’Association Burundaise des Femmes Journalistes (AFJO).

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algré les avancées en matière de promotion de l’égalité des genres au Burundi, il s’observe une faible visibilité de la femme dans les médias que ce soit dans les contenus médiatiques ou dans les instances de prise de décision dans les médias ». Oscillant autour de 9%, le taux des femmes occupant des postes de grandes responsabilités dans le paysage médiatique, d’après une enquête menée par l’AFJO fin 2017 contre 6% fin 2016, celui des femmes journalistes dans le paysage médiatique s’agrandit. Actuellement, il est de 23%, selon cette même enquête. Minoritaires dans les postes de grandes responsabilités, M. Ndanziza déplore qu’elles le soient aussi dans les contenus médiatiques. D’après le rapport annuel du Conseil National pour la Communication(CNC) de décembre 2016, les journalistes présentatrices ne dépassent pas 33,2% contre 66,8% chez les hommes .Une toute autre situation pour les journalistes reporters. « Pour cette catégorie, elles représentent 18% contre 82% pour les homme. » Pire encore, indique ledit

rapport, ce faible taux se remarque quand on considère la femme en tant que personne ressource, les femmes interviennent dans les médias à 15.6% contre 84.4% des hommes. « Et l’on constate que très peu de femmes traitent des sujets politiques dans les médias ». Les barrières socio-culturelles, le manque d’estime de soi et la faible-participation dans des partis politiques sont certaines des causes de cette faible représentativité des femmes dans les médias.

Un pas déjà franchi Malgré ce faible taux de représentativité dans les postes à hautes responsabilités, M. Ndanziza reconnaît le chemin déjà parcouru. Telle l’intégration de la dimension genre dans les programmes médiatiques. A ce propos, il évoque le chapitre 9 de la politique nationale de la communication. « Un des outils clé qui milite pour la parité des hommes et des femmes dans le secteur médiatique ». Outre cette politique, il salue le monitoring effectué par le Conseil National de la Communication qui dégage la dimension genre. Il recommande aux

Les médias, acteurs incontournables pour la vulgarisation de la résolution 1325 Le rôle des medias dans la mise en œuvre de la résolution 1325 est indéniable. En témoigne, leur implication dans la promotion de la participation des femmes dans le paysage médiatique et autres secteurs d’activités. La propagation des droits des femmes, mis de côté, les medias sont indispensables pour la prévention/protection des violences faites aux femmes. Ce, notamment, en les orientant vers les

centres de prise en charge adaptés ou en contribuant à briser le silence sur les cas de viols ou autres formes de violences basées sur le genre. Les medias jouent également un rôle important dans la propagation de méthodes et autres stratégies ainsi que les bonnes pratiques pour le relèvement économique des femmes. H.M

M. Ndanziza : «Parmi les causes de ce désintérêt, les barrières socio-culturelles occupent une place significative »

organisations professionnelles des médias en l’occurrence l’AFJO, de mener un plaidoyer efficace pour l’élaboration d’une charte des medias sensibles à la dimension genre. L’AFJO est confiante qu’avec un leadership féminin au sein des médias, l’intégration de la dimension genre serait effective.A côté des différentes actions de plaidoyer, le secrétaire exécutif de l’AFJO indique que l’AFJO organise des formations pour le renforcement de capacités des femmes journalistes. Le genre et le développement, les droits des femmes, le journalisme sensible aux conflits, la gestion des organisations, l’élaboration des projets et la mobilisation et gestion des ressources figurent parmi les thématiques explorées. Le partage d’expériences avec les autres associations de femmes provenant de divers secteurs étant indispensable, il confie qu’actuellement, en plus des productions médiatiques réalisées, l’AFJO fait le réseautage avec d’autres associations pour plus de résultats. Hervé Mugisha

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Afrabu : « La participation des femmes dans les institutions laisse à désirer » La moyenne de la participation des femmes dans tous les secteurs de la vie nationale est en dessous de 20%, d’après des études menées en 2016 et 2017. L’Association des femmes rapatriées du Burundi (Afrabu) lance un cri d’alarme.

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7% en 2016 et 18% en 2017. Les dernières études commanditées par l’Afrabu sont claires. Elles établissent les taux de participation des femmes dans les secteurs de prise de décision et leur inclusivité dans le processus de paix et de sécurité. Ces études montrent que la diplomatie, le secteur agricole et les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé sont les plus touchés. Les femmes n’y sont représentées qu’à moins de 12% voire 0%. Elles révèlent, par ailleurs, qu’aucune femme ne dirige une université. « Or, c’est précisément dans ces domaines sociaux, vitaux par excellence, que se trouvent des effectifs importants d’employés féminins », affirme l’Afrabu. Pour la coordinatrice de cette association, Marie Concessa Barubike, ce taux de participation des femmes est très faible. Pourtant, elles font le plus grand électorat (plus de 50%), d’après l’étude. Les femmes constituent de surcroît plus de 52% de la population burundaise. Selon cette coordinatrice, c’est dans les postes non électifs que le taux est très faible. « Aucune université n’est dirigée par une femme. Dans les médias, le taux est de 6%. »

La loi muette, le grand défi Une situation qui pourrait s’expliquer par le silence de la loi, notamment la constitution, sur les quotas pour les postes non électifs. Par contre, le taux de participation des femmes dans les institutions est plus ou moins élevé dans les postes électifs comme à l’Assemblée nationale, par exemple, où les femmes sont représentées à 33 %. Car la constitution est claire pour ces postes. Elle exige 30% des femmes. L’autonomisation non effective des femmes, la population qui reste attachée à la culture… sont d’autres facteurs qui bloquent la représentation de la femme dans les institutions, selon Mme Barubike.

Marie Concessa Barubike : « Le taux de participation des femmes dans les institutions reste très faible. »

Dans la communauté rurale, explique-telle, l’autonomisation de la femme laisse à désirer. Quand elle ne participe pas financièrement dans son ménage, elle n’a aucun mot à dire. Elle n’a pas une main mise sur les revenus familiaux. Comme l’adage en Kirundi le dit «Nta jambo ry’umukene » (Traduction libre : Le pauvre n’a pas droit à la parole). C’est ce qui freine la participation de la femme dans les institutions. Elle se sous-estime.

Un pas déjà franchi, cependant… Marie Concessa Barubike évoque une avancée: les femmes commencent à se regrouper dans des associations. Au niveau communautaire, il y a beaucoup d’associations de développement, de lutte contre les violences… Cette émancipation des femmes facilite les organisations œuvrant dans la promotion de la femme de relever davantage l’autonomisation des femmes. Ces initiatives, liées à cette libération des femmes, pourront aider, dans les années

à venir, à relever le taux de participation des femmes dans les postes de prise de décision. Trois principaux défis sont à relever. D’abord, il faut réviser la loi. La constitution devrait étendre les 30% sur tous les postes, électifs et non électifs. Ensuite, les acteurs du développement devraient s’assurer de l’autonomisation effective de la femme rurale. Enfin, il faut assurer la visibilité des femmes leaders modèles qui se sont démarquées. « Nous sommes à l’approche des élections. C’était le moment opportun de faire un zoom sur les femmes modèles à la tête des collines, communes ou provinces pour encourager les autres femmes à se faire élire. » Mme Barubike affirme qu’il existe de nombreuses femmes qui ont fait des actions extraordinaires. Mais dès qu’elles quittent le pouvoir, elles sont oubliées. Clarisse Shaka

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Loi sur les VBG

Très claire mais difficilement applicable A travers la loi No1/13 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre, le gouvernement du Burundi promeut la protection des victimes de ce genre de violations.

Le Centre Seruka est l’une des structures d’accueil des victimes des VBG

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ans tous les cas de violences basées sur le genre, les instances judiciaires sont tenues de requérir, auprès des structures sanitaires compétentes, une expertise médicale, des tests de dépistage de VIH/SIDA et toute infection sexuellement transmissible sur la victime et son auteur, afin de pouvoir évaluer avec exactitude l’étendue du préjudice subi», peut-on lire à l’article 13 de ladite loi. Cette dernière précise que le gouvernement promeut à travers les structures sociales, sanitaires, juridiques et éducatives, la détection précoce des violences basées sur le genre et la prise en charge intégrée des victimes. 10

Cette loi stipule également que l’employé victime des VBG dans ou hors de l’entreprise a droit, sur sa demande et après avis conforme du médecin, à la réduction temporaire ou à la réorganisation de son temps de travail, à une mutation géographique, à une affectation dans un autre établissement, à la suspension de son contrat et à la démission sans préavis. «Les absences ou le non-respect des horaires de travail liés au VBG ne peuvent être justifiés que par une décision médicale.» L’employeur doit être informé dans un délai de 72 heures et l’employé bénéficie d’une garantie de rémunération pendant ces absences.

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Quid des victimes à l’école Cette loi stipule que les écoles doivent prévoir la scolarisation immédiate, dans des sections similaires ou connexes, des élèves victimes des VBG et obligées de changer de résidence ou d’écoles. «Doivent être également pris en compte, les enfants affectés par un changement de résidence provoqué par les actes de VBG à l’encontre de l’un de ses parents.» A l’article 19, il est écrit que l’Etat crée des structures d’accueil et des centres d’hébergement qui s’occupent de la victime dès les premiers instants et la protègent contre


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l’agresseur en attendant une solution adéquate de son problème par l’autorité habilitée. «Dès leur arrivée dans ces structures, les victimes bénéficient des services sociaux d’urgence.» Il s’agit d’un soutien permanent et pluridisciplinaire par des réponses holistiques aux victimes notamment médicale, psychosociale, juridique et leur réinsertion sociale. Cette loi prévoit

aussi que les voisins directs de la victime ainsi que les responsables administratifs ont l’obligation d’intervenir lorsqu’ils ont l’information. Ils doivent aussi prendre toutes les dispositions pour la secourir et la protéger sous peine de se voir sanctionner conformément au Code pénal. «Le règlement à l’amiable des affaires des VBG est pris pour complicité à l’acte de violence. Il

est passible de la même peine que celle prévue pour cette infraction ou ce fait.» L’obstruction aux enquêtes est punie de la même peine que celle prévue pour cette infraction. Si l’auteur de cette obstruction est un agent administratif, une autorité administrative, policière ou judiciaire, la peine est portée au double. De même que la récidive.

Centre Humura de Gitega

«Nous assistons à peu près 1000 victimes des VBG par an» Le centre Humura de Gitega, s’occupe d’environs 1000 cas de violences basées sur le genre (VBG) par an. Les victimes sont essentiellement des femmes mariées qui subissent des violences physiques, psychologiques et économiques.

Sylvie Nzeyimana : «Nous assistons à peu près 1000 victimes des VBG par an»

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a directrice du Centre Humura de Gitega, Sylvie Nzeyimana, une institution qui prend en charge des victimes de violences basées sur le genre (VBG) indique que ce centre accueille à peu près 1000 victimes par an dont 90% d’entre elles viennent des différentes com-

munes de la province Gitega, au (centre du Burundi). «Nous accueillons aussi des victimes venues des autres provinces du Burundi», précise la directrice. La majorité des victimes sont des femmes mariées qui subissent des violences phy-

siques, psychologiques et économiques de la part de leurs maris. «Les femmes cultivent pour subvenir aux besoins de leurs familles, mais leurs maris vendent toute la récolte pour dépenser tout l’argent dans des cabarets et les bistros», témoigne une femme rencontrée à ce centre. «Les

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enfants ne mangent pas à leur faim. Ils ne vont plus à l’école. Toute la famille croupit dans la misère à cause d’une seule personne», renchérit une autre. Le Centre Humura assiste aussi les veuves qui sont chassées par leurs belles familles. « A leur arrivée, nous les enseignons leurs droits en leur montrant qu’elles ont le droit d’occuper les propriétés de leurs défunts maris. Nous transmettons par après leurs dossiers dans les Tribunaux de Résidences», raconte Sylvie Nzeyimana. Selon elle, la majorité des victimes qui visitaient ce centre, les deux dernières années, étaient des jeunes filles violées par les motards, leurs éducateurs, les domestiques, ou encore des inconnus rencontrés dans les rues. Elle se réjouit que le nombre des victimes des violences sexuelles ait sensiblement diminué ces deux dernières années. Toutefois, elle regrette que certaines femmes ne dénoncent pas leurs agresseurs. Elle explique que certaines victimes des violences sexuelles craignent d’être marginalisées dans la société. « Certaines filles pensent que si l’entourage sait qu’elles ont été violées, elles ne se marieront pas. »Quant au Centre Seruka, structure spécialisée lui aussi dans la prise en charge globale (médicale, psychosociale, juridique et judiciaire) des victimes de violences sexuelles, a enregistré plus de 600 cas des VBG en 2018. « Depuis 2003, nous avons accueilli plus de 19.950 nouveaux cas de violences sexuelles basées sur le genre (VSBG) », souligne Goreth Mukiramana, représentante légale du centre Seruka. Selon elle, son institution accueille en moyenne 120 cas de VSBG par mois. «64% sont des mineurs de moins de 18 ans, 16% ont moins de 5 ans à 16%, tandis 37% ont moins de 12 ans». La représentante légale du Centre Seruka fait savoir que 5% des victimes sont des hommes contre 95% de femmes. Cependant, elle indique que le nombre de ces violences a considérablement diminué par rapport à l’année dernière. « Nous avons enregistré 1.199 cas des VSBG en 2017 ». Mme Mukiramana déplore que les facteurs socio-culturels soient l’un des principaux facteurs de la persistance de ces VSBG. « Parfois, les victimes ne dénoncent pas les violences subies». Pour elle, la communauté devrait être en première ligne dans la sensibilisation et la prise en charge de ces cas.

Des CDFC ont été mis en place pour protéger les victimes Donatienne Girukwishaka, directrice générale de la Protection de la Femme et Egalité de Genre au ministère des Droits de l’Homme de Solidarité et de Genre indique que les violences psycho12

Goreth Mukiramana : «La communauté devrait être en première ligne dans la sensibilisation et la prise en charge de ces cas.»

logiques sont les plus rapportées suivies des violences sexuelles et enfin les violences physiques. Pour lutter contre cette violence, le ministère a mis en place les agents des Centres de Développement Familial Communautaires [CDFC] dans toutes les communes du pays. Ils collaborent avec les autorités administratives pour prendre en charge les victimes des violences. « Ils sont aussi chargés de sensibiliser la population sur les méfaits des VBG». Madame Girukwishaka indique

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que certaines victimes de VBG ne sont pas conscientes qu’elles subissent des violences d’où la nécessité des sensibilisations sur les droits de l’Homme. Elle regrette que suite à la culture burundaise, dénoncer les violences basées sur le genre est considéré par certains comme tabou. Fabrice Manirakiza & Lorraine Josiane Manishatse


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Autonomisation des femmes

Des progrès, mais …. Les organisations qui militent pour l’autonomisation économique de la femme au Burundi constatent des progrès en la matière depuis l’adoption de la résolution 1325 des Nations Unies. Mais, elles reconnaissent qu’il reste beaucoup à faire.

Marie Goretti Ndayisaba : « Il y a une nette amélioration par rapport aux années antérieures. »

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près dix-huit ans de la résolution 1325 des Nations Unies, les associations qui défendent les droits des femmes au Burundi se félicitent de l’étape déjà franchie par les femmes burundaises. Marie Goretti Ndayisaba, secrétaire exécutif de l’association Dushirehamwe affirme que les femmes sont conscientes qu’elles doivent participer au développement économique de leur famille. « Il y a une nette amélioration par rapport aux années antérieures. Les femmes évoluent. Elles gagnent de l’argent. » Désormais, elles ne restent pas à la maison attendant le revenu de leur mari. Celles qui habitent les régions surplombant la ville de Bujumbura descendent tous les jours dans la capitale. Elles osent. Elles font du commerce ambulant des fruits. « C’est un bon signe » D’après Marie Goretti Ndayisaba, 352 regroupements de femmes dont les membres avoisinant 10 mille femmes ont été constitués. Actuellement, 66 mutuelles de solidarité ont été créées dans 4 provinces : Bujumbura, la Mairie de Bujumbura, Bubanza et Cibitoke. Chaque mutualité compte 10 femmes. Ces groupements ont reçu un prêt de 250 millions de BIF.

Ce qui a permis à ces femmes d’avoir accès au crédit. Certaines ont déjà commencé à rembourser.

secteur informel. Dorénavant, elles ont le numéro d’identification fiscal et le registre de commerce. Elles opèrent dans le formel.

Immaculée Nsengiyumva, secrétaire générale de l’Association des femmes entrepreneures du Burundi (AFAB), elle aussi reconnaît des avancées. « L’autonomisation et le relèvement économique de femmes a fait des progrès. » Elle indique qu’une microfinance des femmes dénommée « WISE » a été créée pour qu’elles puissent accéder facilement aux crédits. Beaucoup de femmes ont eu accès aux ressources de financements. Elle fait savoir que depuis 2013, 2 113 femmes ont ouvert leurs comptes dans cette microfinance. Grâce au soutien des microfinances CECM et WISE, poursuit-elle, 490 femmes qui faisaient le commerce dans l’ex-marché central qui ont tout perdu commencent à se relever économiquement. « Peu à peu, elles se sont habituées à travailler avec les banques. »

Les défis derrière l’autonomisation de la femme

Selon l'AFAB, les femmes œuvrant dans le commerce informel de huit provinces frontalières ont bénéficié des formations. Depuis 2012, plus de 60% ont quitté le

Malgré les avancées faites, l’association Dushirehamwe et l’AFAB reconnaissent que l’autonomisation économique des femmes burundaises se heurte sur différents défis. « La plupart des femmes burundaises sont des analphabètes. Par conséquent, elle ne peuvent pas profiter des opportunités qui leur sont offertes », fait savoir Immaculée Nsengiyumva, secrétaire générale de l’AFAB. Celles qui savent lire et écrire, regrette-t-elle, n’ont pas de compétences techniques managériales pour créer et générer des entreprises. Cette entrepreneure déplore que suite à la crise de 2015 la majorité de celles qui avaient contracté des crédits n’ont pas pu continuer à rembourser. Certaines d’entre elles ont suspendu leurs activités. Ce qui fait que désormais, les autres femmes ne peuvent pas bénéficier de crédits. Motif:

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Comme il s’agissait d’un fond rotatif, quand elles remboursent, on constitue le fonds et on donne de crédits aux autres. Une fois qu’elles ne remboursent pas, le processus s’arrête. Aujourd’hui, ce fonds de garantie ne fonctionne pas. Immaculée Nsengiyumva évoque également le problème de chômage endémique qui ajoute le drame au drame. Beaucoup de jeunes femmes qui ont terminé les études universitaires ne trouvent pas du travail. En outre, le processus de certification constitue un défi de taille. Cette femme d’affaires souligne que le Bureau burundais de normalisation et contrôle de qualité éprouve des difficultés à certifier certains produits par manque de moyens et de réactifs. Ainsi, cela influe négativement sur celles qui veulent écouler leurs produits. Elle déplore le fait que les femmes qui faisaient le commerce dans les marchés récemment rénovés ne travaillent pas. Elles ne sont pas à mesurer de payer les frais de construction de stands. « Cette somme varie entre 600 mille et 1 million de BIF alors que la majorité de ces femmes ont un capital de à 100 mille.» cela entrave le processus d’autonomisation des femmes. La suspension des ONG étrangères qui soutiennent les associations de femmes y met son grain de sel. Certaines associations de femmes ont suspendu leurs activités par manque de soutien technique et financier. Ces femmes commerçantes n’ont pas d’assurance maladie. Lorsqu’elles ou leurs enfants tombent malades, elles utilisent leurs capitaux pour se faire soigner et s’acheter des médicaments. Quant à Marie Goretti Ndayisaba, secrétaire exécutive de l’association Dushirehamwe, les femmes burundaises n’héritent pas la terre qui peut constituer une garantie bancaire. Ceci prive les femmes d’accéder aux ressources de financements. Elle soutient, en outre, que le secteur financier est déconnecté des femmes rurales. Les banques et les microfinances concentrent leurs activités dans les grands centres. Les zones rurales sont desservies. « Les femmes œuvrant dans le secteur agricole restent confrontées à des défis comme le problème d’accès aux facteurs de production, aux intrants et crédits agricoles » Elle souligne également que les femmes regroupées dans des coopératives se heurtent aux difficultés d’écoulement de leurs productions, à la transformation, au conditionnement et à la vente de leurs produits agricoles.

Les perspectives d’avenir Selon Immaculée Nsengiyumva, secrétaire générale de l’AFAB, permettre un grand nombre de femmes d’accéder aux ressources de financement est le pilier d’autonomisation de la femme. Pour ce faire l’AFAB prévoit constitué des fonds à mettre dans les microfinances pour que les femmes accèdent facilement aux crédits. Ainsi, dit-elle, nous exigerons à ces der14

Immaculée Nsegiyumva : « Permettre un grand nombre de femmes d’accéder aux ressources de financement est le pilier d’autonomisation de la femme. »

nières qu’un taux d’intérêt facilement soit abordable variant entre 10 et 12%. Elle rappelle qu’actuellement, les taux d’intérêt restent très élevés dans les microfinances. Ils varient entre 16 et 24%. Les responsables du projet Nawe nuze de l’organisation FVS Amade Burundi font le même constat. Gordien Hayimana est responsable d'antenne Bubanza pour le programme conjoint de FVS/AMADE en partenariat avec CARE INTERNATIONAL. « Le statut des femmes dans les ménages s’est nettement amélioré. » Depuis la mise en place de ce projet par l’ONG Care International en 2006 jusqu’aujourd’hui, 62 mille femmes ont été formées dans le domaine d’épargne communautaire. A cet effet, explique-t-il, 1 900 groupements de femmes ont été constitués dans 9 provinces du pays où le programme Nawe nuze intervient. Notamment Bujumbura, Bujumbura mairie, Gitega, Rumonge, Bururi, Makamba, Rutana, Mwaro et Bubanza. Pour appuyer ces femmes à accéder facilement aux crédits, une micro finance dénommée « Dukuzibibondo » a été mise place. La capacité d’épargne annuelle de ces femmes est évaluée à 2,3 milliards de BIF. M. Hayimana indique également que le projet Nawe nuze contribue à l’amélioration sanitaire des femmes. Une mutuelle communautaire « Tuzokiratwese »a été créée. Elle est opérationnelle dans quatre provinces. Bujumbura, Gitega, Makamba et Bururi. Le défi majeur est de trouver des moyens financiers. Dans l’avenir, précise M. Hayimana, le programme Nawe Nuze compte étendre les activités dans

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toutes les provinces du pays. Donatienne Girukwishaka, directrice générale de la promotion de la femme au ministère des Droits de l’Homme, des affaires sociales et du genre affirme que l’autonomisation économique de la femme a fait des progrès au Burundi. Un fonds de garantie a été mis en place en 2005 pour aider les femmes à avoir accès au crédit sans hypothèque. Son capital social était de 1 milliard de BIF. « Une goutte d’eau dans l’océan ». Ce montant est presque dérisoire par rapport aux besoins immenses. Il précise que ce fonds est opérationnel dans huit provinces sur 18 que compte le pays. Le défi majeur reste le financement du plan d’action pour la mise en œuvre de la résolution 1325 du conseil de sécurité des Nations Unies pour les femmes, la paix et la sécurité. D’après elle, l’Etat devrait s’impliquer davantage financièrement surtout en augmentant le crédit de la ligne budgétaire destinée à la promotion de la femme. En général, affirme-t-elle, ce sont les organisations internationales qui financent la plupart des projets qui visent le relèvement économique de la femme. Mais aujourd’hui, ces organisations exigent la contribution de l’Etat. Sinon, il ne sert à rien d’élaborer des projets qui restent dans les livres. « Un projet sans budget est un rêve. » Comme perspectives d’avenir, le ministère des Droits de l’Homme, des affaires sociales et du genre compte étendre le Fonds de garantie dans toutes les provinces du pays. Parfait Gahama et Pierre Claver Banyankiye.


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Sylvestre Ntibantunganya :

« Quand on le mérite, on l’impose »

« L

a Constitution qui, elle-même trouve sa source dans l’Accord d’Arusha précise bien que les femmes doivent être au minimum à 30% dans nos institutions, dans tous les organes de l’Etat », rappelle l’ancien président de la République. Selon ses propos, s’il lui appartenait de prendre la décision en ce qui est de la participation des femmes dans les institutions, il irait à la parité. « C’est ça la volonté de Dieu ». Il souligne d’ailleurs que cela faisait partie des préoccupations du président Melchior Ndadaye, héros de la démocratie. « Il avait une vision claire et responsable par rapport à la participation des femmes dans les institutions.» Et de mentionner que le président Ndadaye a été le 1er chef d‘Etat du Burundi, depuis son accession à l’indépendance, à nommer une femme 1er ministre. « C’est lui qui a été le 1er à nommer la première femme gouverneur, ou administrateur. C’est Ndadaye qui a ouvert l’entrée dans les corps de défense et de sécurité des femmes.» Malgré les avancées, l’ancien président Ntibantunganya reconnaît néanmoins que des défis existent. « Mais je pense que ces derniers doivent bien être analysés par le groupe de femmes ellesmêmes. Parce qu’il ne suffit pas de demander qu’on soit ici, il faut donner les preuves qu’on le mérite. Quand on le mérité, on l’impose. » Pour lui, si les femmes dans les partis politiques étaient conscientes de cette réalité, aucun parti politique ne pourrait mener une politique qui donne l’impression de ne pas tenir compte d’elles. Et d’indiquer qu’il existe aujourd’hui un tas de dispositifs qui peuvent aider les femmes à s’imposer comme des acteurs incontournables dans la vie politique et dans la vie sociale. Même si à l’Assemblée nationale, au Sénat les femmes sont à plus de 30%, mis à part la justice, dans les organes inférieurs, ce n’est pas le cas. Le président Ntibantunganya estime qu’il y a donc toute une action de conscientisation, de mobilisation qui devrait être faite. « Non seulement par les institutions, mais aussi par les partis politiques, les administrations locales pour aider les jeunes filles à comprendre dès le début qu’elles ont les mêmes capacités que leurs frères, qu’elles peuvent servir dans n’importe quel secteur de la vie nationale. » Rénovat Ndabashinze

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Hommage à deux enfants du pays Par Egide Nikiza

J

e voudrais mettre au piédestal deux Burundais. Etablis au Canada, nos compatriotes se démènent, chacun à sa façon, pour leur pays et la littérature. Ils ont emmené avec eux dans leur pays d’accueil ce « virus », plutôt cette belle passion : l’écriture, l’amour de la poésie, de la littérature. «Trois ethnies», le texte de Ketty Nivyabandi, une poétesse et activiste des droits des femmes, vient d’être sélectionné pour faire partie du manuel d’apprentissage dans les pays de la Francophonie. Une première pour la littérature burundaise. Par le canal de la littérature, Ketty Nivyabandi fera voyager le Burundi et son image, aux quatre coins du monde. Les élèves des classes de terminale qui partagent la langue française pourront désaltérer à partir d’une source burundaise. Qui dit mieux ? Hommage aussi à Diomède Niyonzima. L’initiative de ce poète, ancien journaliste à Iwacu aujourd’hui établi au Canada, force l’admiration. Il n’a pas oublié d’où il est venu, ses racines, le Burundi. Passionné de la littérature, il va de bibliothèque en bibliothèque au Québec, collecte des livres pour ses compatriotes au pays. Cette entreprise est loin d’être facile. Diomède Niyonzima doit justifier que les bénéficiaires en feront bon usage. Il demande, argumente, convainc, etc. L’envoi coûte cher. Il doit mobiliser des soutiens, trouver l’appui du gouvernement pour le transport vers le Burundi des ouvrages collectés. Diomède Niyonzima est aujourd’hui à son troisième lot. Plus de 35 mille livres sont rangés dans les bibliothèques des centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC). 10 communes sur les 119 que compte le Burundi ont déjà profité de son initiative. Que dire à Diomède Niyonzima ? Simplement, qu’il maintienne la flamme. Le Burundi a besoin de livres pour faire jaillir cette flamme pour les belles lettres. Comme il le dit si bien, l’homme doit nourrir aussi bien le corps que l’esprit. Jeunes et moins jeunes passionnés de la littérature, en voilà des modèles !

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Ketty Nivyabandi, la poésie dans l’âme Les poèmes de Ketty étaient jusque-là déclamés dans des cafés littéraires et autres rencontres artistiques. Cette passionnée des belles lettres vient de faire son entrée dans la cour des grands. Des élèves des pays de la Francophonie apprendront désormais son poème en classe. «Trois ethnies», tel est l’intitulé du poème de Ketty Nivyabandi, une Burundaise, sélectionné pour faire partie du manuel des élèves des classes de terminale des pays de la Francophonie.

Trois jolis sourires,

Elle avale les trois chansons. Trois petits bouts d’enfance s’envolent en éclats.

Trois jeunes destins,

Trois rêves déchiquetés, trois rires muets.

Trois petites filles,

Trois destins étouffés, trois boutons de fleurs écrasés.

Trois ethnies,

Trois éclats de rire qui chatouillent les manguiers. Elles jouent en cercle en se tenant la main, Sandales et peurs au vent, Trois rêves ludiques, Trois chansons. Un deux, trois, elles sautillent, Et petites nattes se hissent à l’horizon. Un deux, trois, elles sautillent, Six petits pieds se posent sur la terre fébrile ;

Trois chants inachevés. Un, deux, trois pleurs identiques s’élèvent dans un ciel désastreux. Trois silhouettes vêtues d’imvutano (*) noir s’allongent, cheveux rasés, âmes calcinées. Trois rêves, Trois plaies. Trois cœurs fendus à jamais. Hutu. Tutsi. Twa. Trois ethnies.

Fraîchement violée par ses fils,

Une seule agonie.

Féconde et porteuse en son sein de l’Infâme.

Un seul fleuve de larmes qui s’écoule et s’écoule, à l’infini.

Un, deux, trois et la terre minée s’ouvre.

Et ce silence

Rugissant et béante,

Le silence lourd et écarlate du sang des innocents.

Purulente de petits monstres, (*) Imvutano : tenue traditionnelle des femmes au Burundi Ketty Nivyabandi n’avait pas de penchant pour la poésie dans son enfance. Grande consommatrice de fiction, elle lui préfère plutôt le roman : «J’ai d’ailleurs des fragments de manuscrit qui se transformeront peut-être un jour en roman, qui sait!». Pour elle, la poésie s’est littéralement imposée à elle par elle-même : «Je crois que je suis et ai toujours été avant tout poétesse dans l’âme». Cette femme âgée de 40 ans, aujourd’hui exilée au Canada, considère chaque lecture comme un voyage, un espace d’évasion et de découvertes dont elle ne peut pas recréer la richesse par la parole. Elle

est de tempérament introverti. Ainsi, elle prend très vite la plume : «L’écriture est naturellement devenue mon meilleur mode d’expression et mon meilleur miroir». Ecrire est pour elle sa principale façon de réfléchir. La plupart de ses textes naissent d’ailleurs d’une interrogation. «Généralement, j’écris mieux lorsque j’ai des questions non résolues en moi ou autour de moi». Elle voudrait tout de même dépasser cette attitude : «J’essaie de ne jamais écrire pour transmettre un message, cela appauvrit l’écriture qui devient un peu propagande».

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Pour Ketty, la poésie exige un contact vivant avec le monde autour de soi, et un idéal vers lequel on tend constamment

Tout vrai poète est engagé Pour Ketty Nivyabandi, l’artiste doit se convertir en avocat des sans voix. Il lui semble très difficile, voire impossible, pour un artiste, de ressentir la souffrance de son environnement et de ne pas tenter d’y répondre par les moyens à sa disposition. Cela va de soi que le chanteur sorte un 18

morceau pour dénoncer, défendre, plaider, etc. Que l’écrivain prenne sa plume pour faire de même, etc. Sur ce, le poète dont les textes ne s’inspirent pas du quotidien de son entourage n’en est pas un. «La poésie exige un contact vivant avec le monde autour de soi, et un idéal vers lequel on tend constamment».

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Mme Nivyabandi ne comprend pas qu’un poète ne soit pas habité par un idéal pour son monde et sa société. «Pour ma part, mon engagement se reflète surtout par les actes que je pose en tant que citoyenne, et parfois par mes textes». Elle confie que même ses textes les plus engagés restent des questions. Celles-ci poussent le lecteur à son tour à s’interroger davantage sur sa société.


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«Etre poète, aujourd’hui comme hier, c’est avant tout accepter d’être incompris. Car les poètes, à la fois mystiques et prophètes, visionnaires et sages, sont avant tout des fous. Fous pour refuser de voir le monde comme leurs sociétés, fous pour choisir de faire d’abord confiance en leur intuition, nourrice de l’inspiration», répond-elle quant à l’importance des poètes dans la société.

La poésie, un genre spécifique Ketty Nivyabandi souligne un trait particulier de la poésie. Celle-ci se distingue du roman par son esprit, son approche et son intention. Le roman analyse le réel, tandis que la poésie cherche à inventer un nouveau réel. Le roman exige une capacité d’observation et d’imagination extraordinaire. Le romancier cherche, par le biais de son imagination, à recréer le réel avec justesse et finesse, pour mieux le décortiquer, mieux le comprendre et mieux l’analyser. La poésie par contre, a une tout autre approche. C’est avant tout une expérience. Elle ne cherche pas à analyser, mais plutôt à condenser le réel, et surtout à créer, le temps d’un poème, une réalité alternative. La poésie est habitée, émue, bouleversée, fascinée par les mystères du monde. Elle suggère une autre vision, plus profonde et plus entière de la réalité. Les poètes entrevoient, sentent et vivent ce que beaucoup autour d’eux ont perdu. Et tout le travail du poète consiste à ramener doucement ses lecteurs vers l’essentiel. «C’est cette autre vision du monde qui la distingue des autres genres. C’est précisément cet aspect qui la rend si vivante et indispensable ». Cette vision, caractéristique d’après elle de la poésie, donne le plus d’espace et d’épanouissement à sa sensibilité, son approche et sa relation avec le monde.

L’usure de l’exil L’artiste, loin de sa terre natale, a vu son inspiration aller decrescendo. Celle qui a bravé en 2015, au plus fort des manifestations contre la candidature du président Nkurunziza, les gaz lacrymogènes et la matraque au risque de sa vie a eu du mal à reprendre l’écriture. «J’étais témoin de trop de souffrances, et vivais ce qui se passait au Burundi pratiquement en temps réel ». Des personnes mortes, disparues comme si elles s’étaient évaporées dans la nature. «On parle très peu des rescapés de 2015, ceux qui ont été blessés, qui sont amputés des parties de leurs corps, et qui resteront handicapés toute leur vie». A cela, elle ajoute la souffrance des Burundais séparés de leur pays malgré eux. Ils voient leurs enfants en souffrir si cruellement, sans raison, alors qu’ils sont complètement impuissants face à ces tourments

Ketty Nivyabandi (2ème à droite) et d’autres passionnés de la littérature avaient initié le café littéraire Samandari, un espace où se croissaient toutes formes d’écrits.

des leurs. «C’est une déchirure si aiguë, si inattendue, qui saigne encore, des années plus tard». «Comment écrire sur cela?», s’interroge-telle. Cette situation l’a laissée gelée d’épouvante et de consternation. C’était une douleur tellement nette, sans ambiguïté, qui n’a suscité en elle ‘‘presque aucune’’ question. «Ecrire me faisait beaucoup trop mal, et je n’avais plus la force d’inventer un autre univers. Celui devant moi était devenu trop réel. Il m’a laissé artistiquement muette». La poétesse dit plutôt s’être tournée dans des campagnes de mobilisation et d’actions pour les droits humains. Celles-là ont un impact direct et immédiat. La volonté d’écrire lui reviendra petit à petit au fil du temps. «Ce n’est que tout doucement, avec le temps qui est le plus clément des pansements, que j’ai peu à peu repris ma plume. Avec beaucoup de mélancolie, mais également de

courage, et de persévérance». Pour elle, cette attitude était aussi une façon de faire la résistance.

Les débuts de la poétesse Ketty Nivyabandi, en plus de son engagement pour la promotion des droits humains en général et des femmes en particulier, est très passionnée de l’Histoire de son pays. Notamment de la monarchie, avec laquelle elle a des liens de par la parenté, et s’en inspire dans son écriture. Le texte dont elle se souvient le plus ancien est un poème qu’elle a écrit dans les années 2000 sur le tambour royal Karyenda (*).

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Le silence de Karyenda C’est un son, Plus ancien que les rives du Tanganyika Plus puissant que ses volcans voisinant en sursaut Plus pur que le chant des jeunes filles en quête D’eau claire dans les ruisseaux de Mbuye. C’est un son singulier qui réveille l’universel en soi, L’inexprimable et l’inachevé à la fois. Un son qui fait traverser Les frontières de l’éternité à l’interpellé… Ceux qui ont fait du silence du cœur leur allié Vibrent avec sa cadence insondable. Rythme mystique, Envoûtant et tenace, Aux échos royaux Et humains aussi… C’est une force inégalée qui gronde, Qui gronde Du haut de Banga, La vieille montagne aux secrets. Verbe sculpté Que vierges huilent Au beurre parfumé Avec ferveur et piété…

[*Karyenda : Tambour mystique et sacré du Burundi, qui avait son propre palais et son épouse (mukakaryenda) et dont le secret demeurait jalousement gardé par une famille précise, de génération en génération. Seul le mwami (roi) avait le

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Danse cryptique Enigme des énigmes Voix des devins Âme d’une illustre contrée Souffle d’un peuple aujourd’hui essoufflé… Ne te tait pas Karyenda Ecoute l’effroi que ton silence Jette dans nos cœurs Silence qui gêne, Silence qui grince, Silence qui gratte, Silence qui rend fou ! Silence d’un peuple déraciné, Brutalement sevré de sa sève… Gronde Karyenda, Gronde, Encore et toujours Pour que l’insensé retrouve son sens Que les mystères reprennent leurs parures sacrées Et que nos cœurs trouvent enfin la paix.

droit de le voir et de s’incliner devant lui. Il représentait l’âme du Burundi car sans Karyenda, il ne pouvait pas y avoir du Burundi] Egide Nikiza


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Qui est Ketty Nivyabandi ?

Poétesse engagée, militante pour l’Ubuntu (l’humanité, la dignité) et le respect des droits humains, et mobilisatrice des femmes lors des manifestations de 2015. Ketty Nivyabandi est née en Belgique en 1978, rentre au Burundi à 5 ans, y passe le reste de son enfance et jusqu’en 1993, où elle se rend en France pour le reste de ses études secondaires et un Baccalauréat en Philosophie. Elle choisit de revenir en Afrique pour ses études universitaires et poursuit les Relations Internationales (faute de Science politique) au Kenya, avec une concentration en Journalisme et Relations Internationales Africaines. Elle rentrera au Burundi après l’université, et, séduite par la vision panafricaniste et citoyenne du journaliste Innocent Muhozi, elle rejoint, en 2003, l’équipe fondatrice de la radio Renaissance FM, comme journaliste et productrice. Ketty Nivyabandi a travaillé comme consultante en communication, notamment avec les Nations Unies en Ouganda, avant de rejoindre l’Ambassade des Etats Unis au Burundi où elle était Directrice du Centre de Ressources et du programme ‘American Spaces’ jusqu’en 2015. Très active sur la scène culturelle, notamment comme co-initiatrice du Café littéraire Samandari et éditrice du premier recueil d’auteurs burundais en 2012 (un ouvrage de réflexion sur les 50 ans d’Indépendance du Burundi), elle est auteure de nombreux poèmes, publiés dans plusieurs anthologies internationales. Fort engagée autour de la crise burundaise depuis 2015, elle est une des fondatrices du Mouvement des Femmes et Filles pour la Paix et la Sécurité, et milite pour le respect des droits humains, particulièrement ceux des femmes, dans nombreux forums internationaux. Ketty est une mère de deux filles, et travaille actuellement pour Nobel Women’s Initiative, une organisation fondée par les Femmes Prix Nobel de la Paix, pour soutenir les femmes activistes pour la paix dans le monde. Elle s’est récemment produite à l’ouverture du Festival international de la Poésie à Berlin en mai 2018 et s’intéresse particulièrement au rôle de la jeunesse dans la création d’une culture politique et sociale alternative et humaniste au Burundi.

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Diomède Niyonzima, le Burundais qui vide Québec de ses livres Malgré la longue distance qui sépare le Burundi du Canada, son pays de résidence, Diomède Niyonzima, collecte les livres à l’intention des jeunes burundais. Il s’est confié à Iwacu.

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ourquoi vous aimez la littérature ?

Pour moi, la littérature est innée, j’ai grandi là-dedans, j’en ai une envie quotidienne et j’en ai une soif que je ne parviens pas à étancher. Mon attachement à la littérature plonge ses racines dans mon jeune âge. J’ai commencé à écrire à l’âge de 15 ans, lorsque j’étais en 8ème année. Par la suite, je suis devenu autodidacte à l’aide de la 2ème chaîne où j’envoyais mes poèmes. Ce sont ceux-là que j’ai collectionnés en 2008 pour en faire une compilation intitulée «Héritiers du Nouveau Monde». Le même amour que j’ai pour la littérature me poussera à écrire deux essais littéraires. Le premier est intitulé «le monde vu d’en haut» et le troisième, puisque je n’ai pas encore terminé de le rédiger, je préfère ne pas le donner. Vivre d’abord, philosopher après, dit-on. Pourquoi vous collectez alors des livres et non des vivres ? L’être humain n’a pas besoin seulement de vivres pour vivre. Il a aussi l’esprit, l’intellect, etc., qu’il faut nourrir. Je canalise personnellement ma contribution à travers les livres. S’il y a ceux qui peuvent aider en donnant de quoi manger, nourrir le corps, ce serait bien et nous nous compléterons dans la mesure où l’un sera en train de nourrir le corps et l’autre, l’esprit. Or, il est de tous connu que le second vit dans le premier. L’un ne peut pas exister sans l’autre. Comment en êtes-vous arrivé à collecter le livre ? Il est de notoriété que les difficultés d’accessibilité à la bibliothèque sont une évidence

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au Burundi. Il n’y a pas de livres dans les écoles, dans les bibliothèques, etc. Des fois, on construit des écoles sans bibliothèques, cela parce qu’il n’y a pas de livres. Comme le défi était posé, il fallait le relever et c’est ce que j’ai fait, c’est ce que je fais. La collecte des livres, c’est ma façon d’inciter la jeunesse à aimer la lecture, à être des rats de bibliothèque. Et à la longue, ils pourront pondre des bouquins, écrire des histoires personnelles, etc. Pour en être capables, ils

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devront avoir lu, lu et beaucoup lu. Quand est-ce qu’a eu lieu la première collecte ? Au Québec, la révolution du numérique est tellement rapide que les bibliothèques physiques tendent à disparaître. Quand je m’en suis rendu compte en 2016, j’ai saisi la balle au bond. Je suis entré en contact avec les responsables des bibliothèques. Cepen-


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dant, je n’étais pas le seul demandeur, il y avait des Maliens, des Haïtiens, etc. Ainsi, il fallait les convaincre surtout les rassurer que les bénéficiaires en feront bon usage. Pour un Burundais, ce n’est pas facile car le Burundi est inconnu d’un grand nombre de personnes au Québec. J’ai persévéré et suis parvenu à amener au pays en tout plus de 35.000 livres. Avez-vous des obstacles au niveau de l’OBR pour faire parvenir les livres collectés ? J’en suis à la troisième collecte. Tout se passe bien, aucune difficulté depuis le Québec jusqu’à Bujumbura. Néanmoins,

cela n’a toujours pas été ainsi. Lors de la première récolte en 2016, l’OBR a exigé de moi de l’impôt. Je n’en avais pas les moyens. J’ai interpellé le ministère de la Culture et avec celui-ci, nous avons signé un mémorandum pour l’exonération des livres que je collectais pour les centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC), un département qui relève de ce ministère. Depuis le deuxième lot, je m’occupe de la collecte et le ministère de la Culture se charge du transport et de l’entrée sur le territoire national. Au moins 10 communes du pays ont déjà bénéficié de mes collectes.

Ne peut-on pas écrire en kirundi et ainsi devenir un écrivain de renom ? Les techniques d’écriture sont les mêmes aussi bien en kirundi qu’en français. Personnellement, je conseille à tout jeune qui voudrait écrire de le faire dans une langue qui lui convient, qu’il maîtrise par rapport aux autres langues. L’objectif d’écrire n’est autre que celui de partager des idées, des connaissances, etc. On ne naît pas écrivain, on le devient. Mais, pour le devenir, il faut un travail de longue haleine, il faut beaucoup lire les autres auteurs. Ce sont ceux-là dont on s’inspire. Egide Nikiza

Ci-dessous un des poèmes de Diomède Niyonzima. Il appelle à la tolérance, au respect mutuel, à la cohésion sociale, etc.

Il te ressemble Regarde-le bien !

Donne-lui l’amour

C’est bien ton image

Tu verras son sourire

Tiens-le donc bien

Fais-lui l’humour

Epargne-le de tout outrage

Tu auras à découvrir

S’il n’est pas de ta couleur C’est dû aux douleurs

Si tu veux le blanchir

Dont il a souffert

Essaie de l’affranchir

Et qui ont provoqué sa pâleur

De toute sorte d’injustice

Montre-lui ta bonté

Garde-le de toutes les souffrances

Même s’il n’a pas ta beauté

Qui pourraient l’évanouir

C’est à cause de la haine

Car il veut s’épanouir

Qui lui a causé mille peines Ces peines ont déformé ses traits Mais il reste ton portrait Si tu dédaignes sa laideur Montre-toi tolérant Ainsi retrouvera-t-il la candeur Si tu le trouves triste Ne sois pas égoïste

Toutes vos différences vont saines Ne l’accable pas de menaces Vous êtes de la même race L’unique et sacrée race humaine Même, Cherchant ta vie sucrée Respecte bien ton image Car elle est sacrée

w w w . i w a c u - b u r u ndi .o r g / aba kunzi @ i w a cu- bur undi .or g

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