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Mars 2018

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Les adeptes de Zebiya sont de retour

Repor tage • •

Comment sont-ils accueillis par la population Que veulent-ils

Iwacu est allé rencontrer les fidèles de la « prophétesse » de retour sur les collines

Littérature

Enquête Mourir de boire La fabrication clandestine de boissons l’alcoolisées est un fléau national

Pge 12

Quand le théâtre s’invite au bar

Pge 24


EDITORIAL UN FLÉAU PRESQUE NATIONAL Par Antoine Kaburahe

D

ans la tradition burundaise, boire est un acte très « social ». Tout se dit, se négocie autour d’une cruche de vin de banane ou d’un verre de bière (aujourd’hui). Sauf que la bière industrielle coûte très chère pour une population appauvrie, en proie à la misère et au désespoir. Alors, les « pauvres » buveurs se rabattent sur des alcools fabriqués clandestinement à la portée de leur bourse. De véritables poisons. Chaque région compte ses spécialités. En menant cette enquête sur la fabrication et la vente clandestine de ces « liqueurs », Iwacu veut attirer l’attention des autorités sur ce fléau presque « national » et toutes les couches de la population sont concernées. Ces alcools non seulement détruisent les ménages mais aussi la santé des gens. Enfin, dans cette édition, Iwacu est allé retrouver les ouailles de la « prophétesse » Zebiya contraints au retour sur leurs collines d’origine. Nous avons rencontré des fidèles fatigués par cette vie d’errance, ponctuée de massacres depuis le Burundi vers la RDC, le Rwanda. Ils se disent

heureux d’être « chez eux »,mais restent fermes sur leurs convictions, même les plus inexplicables, comme ce refus de faire vacciner les enfants. Certes, la liberté de culte est garantie par la Constitution, mais refuser de profiter des avancées de la médecine ( vaccination) est un signe évident que ces croyances rétrogrades peuvent être même dangereuses. Mais il faut faire preuve de

psychologie et d’empathie. Avant tout, il faut considérer les adeptes de Zebiya comme des victimes et les traiter comme tels. En attendant, saluons la générosité manifestée sur les collines pour accueillir ces hommes, femmes et enfants de retour de la lointaine Kamanyola en RDC… Jusqu’ici, la réintégration se passe plutôt bien.

SOMMAIRE L'ÉVÉNEMENT : Les adeptes de Zebiya sont de retour......................................................................................................................................................3-11

NOTRE DOSSIER : Mourir de boire........................................................................................................................................................................................12-21

LITTÉRATURE : Rencontre : Freddy Sabimbona : «Le théâtre s’invite au bar !»............................................................................................................24-27 Musique : Francophonie, Kidumu : «Mon hymne à la paix, d’il y a presque 20 ans, vaut toujours» .........................................28 Sculpture : «Où est l’os ?»........................................................................................................................................................................29

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NOTRE DOSSIER

Les adeptes de Zebiya sont de retour

Le 12 mars 2013, à Businde(Kayanza), lieu de leur sanctuaire, des affrontements entre la police et les ouailles de Zebiya se soldent par des morts. Neuf fidèles sont tués par la police. Businde est une boucherie. Un terrible carnage. Peu après, Zebiya entre en clandestinité. Une vie d’errance commence. Des témoignages disent que la voyante et ses adeptes vivent en RDC, du côté de Kamanyola. Zebiya et ses adeptes vivent en paix, retirés dans l’immense RDC. Pendant quelques années, ils se font oublier. Jusqu’au 15 septembre 2017, Kamanyola est une terre d’asile. En tout cas, les fidèles de la voyante de Businde croient y avoir trouvé un havre de paix. Ils cultivent la terre et prient. Mais Kamanyola sera leur nécropole pour une trentaine d’entre eux. Vendredi 15 septembre, 37 fidèles de Zebiya, sont massacrés par des militaires congolais. Et l’errance va reprendre. Les adeptes de Zebiya quittent le Congo

pour demander refuge au Rwanda. Mais ils refusent l’enregistrement biométrique , et la vaccination des enfants. Des pratiques « sataniques ». Les autorités rwandaises restent fermes. Ainsi, plus de 2500 adeptes de la prophétesse Euzébie Ngendakumana alias Zebiya sont refoulés du Rwanda. Le premier groupe a foulé le sol burundais le 1er avril 2018. La réinstallation sur les collines d’origine n’est pas toujours facile et les relations avec les voisins compliquées. Un reporter d’Iwacu est allé rencontrer ces hommes et femmes aujourd’hui installés sur leur terre natale. Malgré la fatigue, les privations, une vie d’errance ponctuée de massacres, ils restent fermes dans leur foi aveugle dans l’enseignement de leur « prophétesse » et leurs convictions parfois incompréhensibles. Par Fabrice Manirakiza, envoyé spécial

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L'ÉVÉNEMENT

De Kamanyola à Bugendana Entre méfiance et joie de retour, la difficile réinstallation des adeptes de Zebiya

Les adeptes de Zebiya ont été renvoyés sur leurs collines d’origine

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ommune Bugendana, une trentaine de Km de la ville de Gitega. Au chef-lieu de la commune, une pluie fine tombe. Sur la RN 15 (Gitega-Ngozi), la route divise la petite bourgade en deux. Le spectacle vaut le détour. Sur plus de 200 mètres, des deux côtés de la route, des quartiers de viande, des cuisses de bœufs pendent et balancent doucement aux vérandas des bars. Des brochettes grésillent sur des braseros fumants. Les vendeurs de brochettes, communément appelés «vétérinaires», cinq ou six brochettes à la main, courent partout à la recherche des clients. Ils n’ont pas peur des voitures qui

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passent sur cette route. Ils interpellent les voyageurs : « Voilà une bonne chair!» (Umusoso mwiza nguyu !), «Abagomba umushishito ni ngaha ! », «C’est 1000 Fbu seulement!» (Ni igihumbi conyene !), «Le kilo, c’est 6000Fbu !» (Ikiro ni bitandatu !) Certains voyageurs achètent une ou deux brochettes pour la route, d’autres déclinent l’offre. «C’est la capitale de la grillade», confie Jean Marie, un boucher de Bugendana. Cependant, aucune brochette de chèvre à la ronde. Depuis la peste des petits ruminants, il est interdit de vendre la viande de chèvre ou de mouton. Sur les deux côtés de la route, de nombreux cabarets sont alignés. Les gens

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y dégustent la bière et une bonne brochette. «Y-aurait-il des adeptes de Zebiya qui sont revenus du Rwanda?» Ils sont même nombreux, répond un tenancier de bar. «Il n’y a même pas une semaine, on a déposé plus d’une centaine sur cette même route», précise-t-il. D’autres consommateurs, certains un peu éméchés, viennent se joindre spontanément à la discussion. On sent que certains habitants ne portent pas les adeptes de Zebiya dans leur cœur. On les qualifie de « déviants », « d’illuminés », « d’insurgés » et autres qualificatifs dégradants. «L’Etat devrait prendre des mesures drastiques à leur encontre.» D’autres essaient de les défendre. «Chacun est libre de prier comme il l’entend.»


L'ÉVÉNEMENT

A la rencontre des adeptes de Zebiya

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l faut aller sur la colline Kibungo. C’est à plus de 5 Km du chef-lieude la commune. D’après les gens de Bugendana, c’est dans cette localité où se trouve un grand nombre d’adaptes de Zebiya. Pour y arriver, il faut prendre une moto. Il a plu et la route est glissante. Il faut bien s’accrocher au motard. Arrivé à une école primaire, on nous indique au moins trois ménages. Sauf que personne ne veut parler. Une jeune fille, revenue du Rwanda, me regarde comme si je tombais de la planète Mars. Sans un mot, elle rentre dans la maison. Elle n’en sortira plus. «C’est comme ça depuis qu’elle est revenue», chuchote son petit-frère. Dans les autres ménages. C’est la même méfiance. Personne ne veut parler et encore moins se faire photographier. «Certains ne sortent pas de leurs maisons. Ils passent leur temps à prier», racontent les habitants de Kibungo.

Joseph, l'ancien catéchiste

Frustré, un peu découragé, Joseph Ndayisaba : «Nous avons été bien accueillis par nos voisins malgré les je tombe sur un homme âgé sarcasmes de certains.» qui me suggère de tenter ma Sur la colline Kibungo, la plupart des «délaissées» semblent accepter cette situachance avec « Joseph. » Ce dernier habite à environ un kilomètre. J’y adeptes de la prophétesse Zebiya sont des tion. Mais certains habitants doutent que femmes. Claudine (nom d’emprunt) est cela puisse durer. vais à pied, avec un guide. On rencontre Joseph dans la rue. Il porte une jeune femme d’une trentaine d’années. un pantalon un peu usé, un pull et des Elle était partie en RDC avec ses deux enTolérance zéro pour les fants. De retour depuis une semaine, elle babouches trouées. prières de groupes Joseph Ndayisaba est très connu sur cette n’a pas encore réintégré son ancien foyer. Alerté, le chef de la colline Kibungo, accolline. Cet homme de 60 ans est marié Elle vit chez son frère. Ce dernier la tolère compagné par une dizaine de personnes, et père de deux enfants. Il fut longtemps malgré «ses caprices » comme il le dit. «Je s’approche doucement pour entendre professeur de religion dans les écoles se- ne peux pas faire autrement. Elle est de la notre conversation avec Joseph Ndayicondaires. Il était aussi catéchiste. «Il était famille.» Le mari de Claudine a épousé saba. Rassuré, lui aussi participe à la disbeaucoup aimé par les prêtres avant de virer une autre femme. Ils ont déjà un enfant. cussion : «Ma fille est revenue elle aussi avec vers Zebiya», confie un habitant de Kibun- La situation est confuse. «J’attends», dit-elle ses trois enfants. Je l’ai accueilli car elle ne go. «C’était aussi un grand cultivateur», se simplement avant de vaquer à ses occupa- peut retourner chez son mari», indique Jean tions. Elle nous ignore complètement. souvient un autre. Bararufise. Il fait savoir qu’il est en train La situation de Martha est toute autre. de chercher une solution car son gendre vit Joseph Ndayisaba accepte de parler. «Nous avons été bien accueillis par nos voisins.» Il Son mari l’a accueillie à bras ouvert. «Elle avec une autre femme. «Il paraîtrait qu’ils raconte qu’il était parti au Congo en 2015 ne m’avait pas abandonné. Elle s’était consa- se sont mariés légalement. Je fais toujours avec toute sa famille. Il dit que certains crée à la prière, ce qui est une bonne chose des enquêtes.» Léonidas Nyabenda, son voisins leur amènent de quoi manger en en soi», confie son mari avec philosophie. adjoint, se dit très content car sa fille lui est attendant la prochaine récolte. Toutefois, Pour Martha, si c’était à refaire, elle le ferait revenue « intacte. » Manière de dire qu’elle il déplore les sarcasmes lancés par certaines encore une fois. n’a pas été enceinte. personnes à leur passage. «Cela ne nous Joseph Ndayisaba comprend les hommes Ces deux parents parlent de brebis gaatteint plus car nous en avons l’habitude.» A qui se sont remariés après le départ de leurs leuses. « Elle n’a pas changé mais elle ne la vue de Joseph, les langues commencent femmes. «Ce sont elles qui sont parties de leur consomme pas tous les aliments. Par exemple, un peu à se délier. Mais personne n’accepte propre gré. Elles n’ont pas été chassées. Les elle refuse de consommer n’importe quel sel», hommes ne sont pas à blâmer.» Les femmes confie Léonidas Nyabenda. «La première d’être photographié.

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L'ÉVÉNEMENT

Dans la ville de Gitega, les administratifs à la base parlent d’un casse-tête

fois, elle a dormi le ventre vide. Elle était même furieuse qu’on ait donné du sel à ses enfants», souligne le chef de colline. Cet administratif à la base assure qu’il peut tolérer tout cela mais pas les rassemblements pour prier. «Nous allons les pourchasser car ils ont été prévenus.»

En ville, c’est une autre paire de manche

«Je ne veux plus la voir. Qu’elle me donne mon enfant tout simplement», s’exclame Simon (nom d’emprunt), un habitant de la ville de Gitega. Sa femme est partie depuis trois ans avec leur dernier-né. Il est allé plusieurs fois en RDC pour la ramener en vain. Il a alors décidé d’épouser sa bellesœur. «C’était impossible de s’occuper des autres enfants étant seul.» Pour le moment, la jeune femme a trouvé refuge chez une connaissance. «Je ne peux rester chez mon amie indéfiniment. Je dois réintégrer mon foyer coûte que coûte car le divorce n’est pas encore prononcé. » Jean Pierre, quant à lui, indique qu’il vit un cauchemar depuis que sa femme, licenciée et professeur dans un lycée de Gitega, est revenue. «Je ne dors plus.» Il doit tout le temps surveiller sa femme. Cette dernière veut déménager avec les enfants. La cause d’après elle : ses enfants consomment des aliments de Satan. «Elle ne veut pas que les enfants mangent du pain ou aillent à l’école.» La dame a exigé de discuter d’abord avec le directeur de l’école pour s’assurer que ses enfants ne seront pas vaccinés. «Cette situation perturbe trop mes jeunes frères et sœurs», confie le fils aîné. Leur père ne sait plus quoi faire. Dans un autre quartier périphérique de la ville de Gitega, une famille est divisée. La maman, en partant, a embarqué ses quatre jeunes enfants et quatre autres nièces et neveux. «Notre cadette est morte lors du massacre de Kamanyola. Ma cousine est devenue handicapée à cause des balles qu’elle a reçues 6

», témoigne un membre de cette famille. Depuis le départ, un mauvais climat règne dans cette famille. «Depuis son retour, ma mère reste cloîtrée dans une maison à part où elle organise des séances de prière toute la journée. Elle ne vit plus avec mon père. C’est pénible.» D’après les administratifs à la base dans la province Gitega, cette situation est devenu un casse-tête. «Si elle n’est pas traité avec doigté, elle risque d’exploser d’un moment à

Euzébie Ngendakumana alias Zebiya s’entretenant avec Iwacu en 2012

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l’autre.» Pour les parents, c’est encore plus dur. «Mon fils n’a même pas 30 ans mais il a déjà des cheveux blancs plus que moi», déplore un parent du quartier Nyabututsi. Selon un autre parent de ce même quartier qui a recueilli la femme et quatre enfants de son frère, il faudra beaucoup de temps pour que ses neveux et nièces recouvrent la santé. «Leur mère me complique la tâche avec ses exigences alimentaires».


L'ÉVÉNEMENT

«Avec ou sans Zebiya, notre foi ne changera pas d’ un iota!» Les adeptes de la «voyante » Zebiya sont plus déterminés que jamais. Interrogés, plusieurs d’entre eux affirment qu’ils n’ont jamais vu Zebiya ni au Congo ni au Rwanda. D’après eux, cela ne change rien.

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n ne sait pas où elle est. La dernière fois que je l’ai vue, c’était à Businde», indique un jeune avocat d’une trentaine d’années qui était parti en RDC en 2015. Selon plusieurs adeptes interrogés, ils n’ont jamais vu leur «prophétesse.» «Nous avons entendu qu’elle a fui la persécution mais nous n’avons aucune autre information», raconte Joseph Ndayisaba. Ces adeptes de Zebiya persistent et signent : «Que ça soit sur la colline bénie de Businde ou chez nous dans nos maisons, nous continuerons à prier.» D’après ces adeptes, les gens se trompent sur leur compte. «Nous ne suivons pas la personne de Zebiya. Ce sont ses prédications que nous suivons», indique un d’entre eux. «Qu’elle soit vivante ou morte, peu importe. Les enseignements de Businde nous guideront toujours», renchérit un ancien fonctionnaire de l’Etat. A la question de savoir la place qu’occupe Euzébie Ngendakumana dans leurs croyances, la réponse est sans équivoque : «Pour moi, Zebiya est une prophétesse comme Elie, Jérémie, Isaïe et les autres prophètes de la Bible», répond Joseph Ndayisaba. «Même si l’Eglise Catholique a du mal à l’admettre, Dieu passe par elle pour nous parler», renchérit notre jeune fonctionnaire. «Tout ce qu’elle a prédit, nous le voyons aujourd’hui», ajoute notre jeune avocat. Ces adeptes de la voyante de Businde sont convaincus que c’est l’Eglise Catholique qui les a «vendus». «Les prêtres ne comprennent pas comment Dieu peut passer par une simple paysanne comme Zebiya au lieu d’eux qui ont fait de grandes études.»

Pas d’enregistrement biométrique encore moins de vaccins

Les adeptes de Zebiya persistent et signent : «Que ça soit sur la colline "bénie" de Businde ou chez nous dans nos maisons, nous continuerons à prier.»

Ces fidèles de Zebiya abhorrent un certain nombre de choses notamment des aliments fabriqués industriellement, les vaccins et l’enregistrement biométrique. Ce dernier est l’une des causes de leur refoulement par le gouvernement rwandais. D’un fidèle instruit à un simple paysan, les explications qu’ils donnent sont les mêmes.

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Les adeptes de Zebiya en train de prier à Businde

«Les agents de Satan utilisent les puces électroniques pour contrôler les gens. On ne pouvait accepter cela», raconte Marc, un ancien professeur du secondaire. D’après lui, il y a un super ordinateur se trouvant en Belgique chargé de collecter des données sur les gens. «A partir de là, on peut téléguider des personnes pour leur faire faire des choses qu’ils ne veulent pas et même commettre des assassinats.» Du coup, poursuit-il, le Saint-Esprit qui nous guide d’habitude est relégué aux oubliettes et c’est la machine qui prend le contrôle. Quant aux vaccins, des explications ne manquent pas. «Afin de changer de stratégies, les puces électroniques ont été liquéfiées pour les transmettre par vaccin.» La même explication vaut aussi pour les aliments fabriqués dans les usines. «Ces puces électroniques sont également mis dans les boîtes de conserve. C’est pourquoi nous consommons des aliments fabriqués localement.» Ces fidèles de Zebiya disent ne pas craindre les maladies même pour leurs enfants. «La puissance de Dieu est supérieure à celle des hommes», explique le jeune avocat. La

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preuve, assure-t-il, certains d’entre nous n’ont pas été vaccinés mais ils sont toujours en vie. « Vaut mieux laisser votre enfant au Seigneur qu’à Satan.»

Retour à Businde?

Ces adeptes de Zebiya sont confiants pour leur avenir. «Nous sommes dénigrés partout où nous passons. Nous avons l’habitude. Nos familles nous ont reniés, cela ne fait rien. On nous traite de fous, cela ne nous atteint pas. Nous avons été emprisonnés, Dieu ne nous a pas abandonnés. Nous triompherons toujours.» Quant au retour sur la colline Businde, ils restent évasifs. «Attendons d’abord pour voir comment évolue la situation», indiquent certains. «Le cas échéant, nous suivrons les lois du Seigneur et rien d’autre», ajoutent d’autres. Tous plaident pour qu’on les laisse prier comme ils l’entendent. «Après tout, nous sommes des citoyens burundais qui doivent bénéficient des mêmes droits que les autres.»


L'ÉVÉNEMENT

ECLAIRAGE

«Il faut les ramener à la raison avec patience» Iwacu s’est entretenu avec le Dr Aloys Toyi, sociologue et professeur dans différentes universités, sur le cas de ces adeptes de Zebiya et comment traiter cette question aussi sensible.

Pour le Professeur Aloys Toyi, il faut les ramener à la raison avec patience car ils sont pour le moment obnubilés par leur foi

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n tant que sociologue, comment expliquez-vous ce « phénomène » ? Je situe ce cas dans le cadre général des sociétés africaines qui peinent à transiter de la tradition vers la modernité. A propos des adeptes de Zebiya, il y a deux hypothèses. Soit ils sont tombés sous le charme d’une personne charismatique, soit il s’agit des gens en mal d’identité spirituelle qui ont trouvé quelque chose sur laquelle s’agripper spirituellement. Ils sont dans la nécessite de se faire une identité qui les positionne socialement et d’avoir un visage.

Et la position du gouvernement ?

Que pensez-vous de l’attitude de l’Eglise Catholique?

C’est une question extrêmement difficile à traiter. Ce sont des gens qui bénéficient des mêmes droits, y compris les droits spirituels, au même pied d’égalité que tout autre citoyen. Mais il y a aussi des devoirs du citoyen a l’égard de la société. Mais comment le faire comprendre à des esprits radicaux dans l’exercice de leur foi? On doit leur faire comprendre qu’il y a un minimum, un standard commun de règles pour qu’une société puisse exister et qu’ils doivent impérativement et scrupuleusement les respecter indépendamment de leurs convictions religieuses. Vraiment, il faut les ramener à la raison avec patience, raison obnubilée pour le moment par leur foi. Je pense que le temps va décanter la situation.

Pour dissuader ce genre de rupture, par ailleurs inévitable, et consciente de sa situation de force au niveau de l’espace sociétal burundais, elle ne peut pas perdre son temps à discuter sur les questions de foi et de pratique religieuse avec une brebis, selon la même Eglise, qui s’égare et qui égare une poignée d’adeptes, par ailleurs insignifiante, en face d’une masse de fidèles catholiques dans le bercail. Vu la situation de pleine déconfiture dans laquelle se trouve notre société au point de vue des valeurs, elle a raison d’être ferme.

Devant un conflit entre un individu et une institution en situation de force morale réelle, le choix et clair. L’Etat va aider l’Eglise a ramené la brebis égarée dans le bon chemin. Une Eglise dans l’Eglise, ça ne marche pas. Ou ils sont catholiques et ils respectent les injonctions de la hiérarchie officielle ou ils créent leur propre Eglise et demandent d’être agréés officiellement. Comment alors traiter cette question?

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L'ÉVÉNEMENT

Le calvaire congolais Les adeptes de Zebiya menaient une vie très dure à Kamanyola mais paisible. Jusqu’au jour fatidique du 15 septembre 2017. Ce jour-là, plus d’une trentaine d’entre eux sont tués par les FARDC (militaires congolais). Ils en gardent un souvenir douloureux.

Les dépouilles sont allongées dans la rue sous les regards stupéfaits de leurs concitoyens

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hacun a fui de son côté. Seulement, nous nous sommes retrouvés en RDC sinon les motifs de la fuite étaient différents», Eric (nom d’emprunt), un jeune licencié en Droit qui dit avoir été converti quand il a vu l’hostie descendre du ciel jusque dans les mains d’Euzébie Ngendakumana, le 12 août 2012. Ce jeune a décidé de fuir en 2015 après avoir purgé deux fois une peine de prison dans un des établissements pénitenciers du pays. «C’est au Congo où il y avait beaucoup de nos frères. Les adeptes de Zebiya sont partout.» Eric indique qu’il n’a pas été inquiété à la frontière burundo-congolaise. La population congolaise était aussi accueillante. «Nous avons commencé par louer des maisons à Kamanyola», raconte Jean Claude (nom d’emprunt), 34 ans, ancien enseignant au 10

primaire. Le prix du loyer variait entre 10 et 20 dollars par mois. Eric partageait une maison de deux chambres avec cinq autres jeunes burundais.

Une vie de dur labeur

Pour survivre à Kamanyola, il fallait travailler. Très dur. «La plupart de gens survivaient en cultivant les champs des Congolais», confie Jean Claude. La paie était de 1000 Francs congolais par jour. Moins de 1 dollars US. «C’était très difficile pour les gens qui venaient de la ville sinon, pour nous, il n’y avait rien d’inhabituel», indique Joseph Ndayisaba. Samson (nom d’emprunt), un cultivateur de la colline Bitare en commune Bugendana, se souvient que ça

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l’amusait, dans un premier temps, de voir «des gens qui ont fait des études et qui avaient une bonne situation au Burundi travailler pour 1000 francs.» Après un certain temps, ils ont commencé à louer des terres. Ces fidèles de Zebiya faisaient aussi du petit commerce dans la ville. Ils vendaient du riz, de la farine de maïs, du sucre et autres articles de première nécessité. «On pouvait avoir 1000 ou 1500 francs par jour. Comme on ne recevait pas d’aides, je pouvais nourrir mes enfants», raconte une maman de la ville de Gitega. Pour les jeunes encore plus forts, ils faisaient le métier de taxi-vélos. Certains avaient leurs propres vélos, d’autres travailler pour les Congolais. «On pouvait avoir 3000 francs par jour mais c’était trop fatiguant», confie le jeune licencié en Droit. «Certains


L'ÉVÉNEMENT policiers ne nous facilitaient pas la tâche. Ils nous soutiraient tout le temps de l’argent», renchérit Jean Claude.

Le jour où tout a basculé

D’après Joseph Ndayisaba, il y avait 37 chambres de prières où les adeptes de Zebiya pouvaient se rencontrer. Cette bonne cohabitation va changer quand quatre d’entre eux sont arrêtés. Il s’agit de Dieudonné Nimbona, Didace Ntamavukiro, Libère Riyazimana et Athanase Ntakamurenga. Ces arrestations enflamment la localité. «Un d’entre nous est allé les voir mais on l’a informé qu’ils ont été transférés ailleurs», témoigne Eric. Spontanément, les adeptes de Zebiya s’organisent. Ils affluent vers le lieu de détention. «On voulait savoir où ils sont, la réponse a été de nous tirer dessus», se souviennent-ils. Les gens couraient de partout. Ils ne savaient pas où aller. Les gens tombaient comme des mouches sous les balles des FARDC. Avec des larmes dans les yeux, Eric se souvient de ses amis de chambre. «Claude, Pacifique et Donatien sont tombés sous mes yeux. Je Les blessés soignés dans les hôpitaux de Bukavu et Goma n’oublierai jamais ce moment.» Les Burundais commencent à Des jours difficiles prendre des pierres. «On ne pouvait pas resdans le camp ter les mains croisées alors que nos concitoyens D’après des témoignages de ces adeptes, les sont en train de mourir. C’était de la légi- militaires congolais ont tenté de «voler » les Massacrés, acculés, en débandade, les adeptes de Zebiya se réfugient vers la base time défense», témoigne Joseph Ndayisaba. cadavres. de la Monusco. «On entendait les cris des blessés sans rien faire. Certains sont morts dans des douleurs atroces. D’autres ont eu la chance d’être évacués à Bukavu ou à Goma», se souvient Eric. «Personne ne peut décrire la douleur qui se lisait sur les visages des familles. Ça faisait mal au cœur.» Leurs relations avec les Congolais commencent à se détériorer. Aucun Burundais ne pouvait circuler hors du camp. «Les Congolais qui passaient tout près du camp nous lançaient des menaces.» Comble de malheur, la nourriture leur est coupée à cause de leur refus de s’enregistrer biométriquement. La faim, les menaces, la pression pour s’enregistrer, ils décident de plier bagages. Sous l’escorte de la Monusco, ils se réfugient au Rwanda où Après le massacre, les adeptes de Zebiya passent des jours difficiles dans des abris de fortune ils seront refoulés quelques jours après. w w w . i w a c u - b u r u ndi .o r g / aba kunzi @ i w a cu- bur undi .or g

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NOTRE DOSSIER

Mourir de boire

C’est un problème « national ». En ville, à la boissons fabriquées selon des normes comcampagne, beaucoup de Burundais se réfu- merciales pourraient générer des revenus. gient dans l’alcool pour noyer leurs soucis. Faute de s’offrir les bières industrielles, les Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Parfait Gahama, Clarisse Shaka, Rénovat Ndabashinze, gens se rabattent sur des boissons prohiFélix Haburiyakira, Lorraine Josiane Manishatse et bées, fabriquées dans la clandestinité. Ces Arnaud Igor Giriteka. liqueurs font des ravages sur la santé des Coordination : Antoine Kaburahe et consommateurs, déstructurent les familles Léandre Sikuyavuga , créent le chaos. Les reporters d’Iwacu sont allés à la rencontre des fabricants et des consommateurs. Ils ont interrogé les autoGraphiste : Ernestine Akimana rités qui luttent contre le fléau. Mais ces Traitement des photos : Onesphore Nibigira 12

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NOTRE DOSSIER

Une gamme variée de boissons Les boissons alcoolisées prohibées font des ravages au sein de la population. Dans les villes comme dans le Burundi profond. Le mélange des éléments ne suit parfois aucune règle. Leurs conditions de fabrication laissent à désirer. Sur le marché, un éventail de produits est proposé aux consommateurs.

K

anyanga, umunanasi, umuraha, umukororajipo, ikwete, umugorigori, ikibarube, umudiringi, igiti, umungazi,…Toutes ces boissons sont fabriquées de façon rudimentaire et, la plupart du temps, dans des conditions d’hygiène exécrables. Légalement prohibées, elles sont pourtant souvent vendues au vu et au su de la police et de l’administration. Consommées sur tout le territoire national, leurs noms changent selon les régions. Mais les ingrédients restent globalement les mêmes. L’ ‘’Umudiringi’’ est fabriquée avec de l’eau, du sucre et du thé. On y ajoute de la levure. Dans certaines provinces comme Bubanza, certains fabricants se servent même des engrais chimiques agricoles comme levure pour permettre une forte et rapide fermentation. La période de fermentation varie entre 4 jours et une semaine. «Certains vendeurs de ces boissons n’attendent même pas deux jours», confie Marius, un fabricant de cette boisson de la zone Kamenge en commune Ntahangwa en Mairie de Bujumbura. D’après lui, pour 100 litres d’eau, il met 17 kg de sucre. Il ajoute ¼ kg de thé et 100 g de levure.

Des effets nocifs pour la santé

La boisson ‘’Umuraha’’ est fabriquée, quant à elle, avec des ananas. «J’utilise autant d’ananas que je veux. Je les pile et je les mélange avec de l’eau», raconte Jean Paul, un fabriquant d’Umuraha en province Cankuzo. Le mélange est par la suite filtré. «On utilise parfois une moustiquaire neuf.» Le jus récupéré est mis dans un fût. On y ajoute du sucre et de la levure. Le fût doit être hermétiquement fermé. Ce dernier est mis à côté d’un feu. «Avant, la période de fermentation était d’un mois voire même 3 mois. Aujourd’hui, on commence

Le maire de la ville de Bujumbura, Freddy Mbonimpa, en train de déverser des sacs plastiques de Kanyanga saisis

à la consommer après 3 jours.» La boisson Umuraha est très prisée dans les provinces de Ruyigi et Cankuzo. Pour l’Ikwete’’ ou «Umugorigori», on mélange la farine de maïs et de l’eau jusqu’à obtenir une pâte. On laisse cette pâte pendant 3 jours ce qu’on appelle «Gukandika». Au quatrième jour, on met sur le feu un demi-fût communément appelé «Igikarango», on y verse un peu d’eau et on y ajoute la pâte qu’on avait préparée avant. On malaxe avec une pelle pendant un certain temps. Le mélange est versé dans un autre fût. On y rajoute un ferment qui est pour la plupart du temps de l’éleusine. Après 2 jours de fermentation, la boisson est prête à la consommation. Dans les provinces de Ruyigi, Cankuzo, Muyinga et ailleurs, les habitants ne considèrent pas l’Umugorigori comme une boisson prohibée. «C’est une boisson traditionnelle comme le vin de banane», indique une consommatrice de la commune Cendajuru en province Cankuzo. Le ‘’Kanyanga’’ est une boisson extrêmement forte qui est consommée sur tout le territoire national. Les fabricants de ce produit prohibé se servent de la farine de maïs avec des déchets d’écorces pourries des maniocs et couverts de moisissures. «On met ce mélange sur le feu. Le fût doit être her-

métiquement fermé pour éviter que la vapeur sorte», raconte un fabricant de Kanyanga de la province Ruyigi. La vapeur est récupérée dans un autre fût relié à l’autre fût par un tuyau. La vapeur redevenue liquide est réchauffée encore une fois dans un autre fût, lui aussi hermétiquement fermé. Sa vapeur est également récupérée dans un autre fût à l’aide d’un tuyau. «Cette opération est renouvelée autant de fois. Ça dépend de la qualité de Kanyanga que tu veux avoir.» Les conditions d’hygiène dans ces miniusines de Kanyanga sont déplorables. Parfois, les fûts et les tuyaux dont ils se servent sont rouillés. Les effets sur les consommateurs de ces boissons sont très inquiétants. Les consommateurs maigrissent à vue d’œil à cause de l’inappétence, la peau devient noirâtre ou transparente, les jambes gonflent et à la fin les consommateurs ne parviennent plus à marcher. «Ils présentent des œdèmes au niveau des joues, des orteils, des pieds, des jambes et des bras. Certains ont des difficultés à accomplir des rapports sexuels», confie un administratif de la commune Cendajuru. Certains perdent presque la raison et s’adonnent à des scènes obscènes sur la place publique. Fabrice Manirakiza

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Aimable Nahishakiye : « L’alcool est mon meilleur ami » Une consommation excessive de ces boissons peut conduire le consommateur dans un état de dépendance. Iwacu a rencontré un accro d’ « Umudringi».

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riginaire de la sous-colline Rugegenge, colline Gihinga en commune Kayokwe de la province Mwaro, un endroit réputé dans la fabrication et la commercialisation des boissons prohibées, Aimable Nahishakiye est un alcoolique dépendant d’«Umudringi». Une boisson interdite fabriquée à base du sucre, du thé, de l’eau et de la levure. Il raconte qu’il la consomme depuis son enfance. Finaliste de l’école secondaire au Lycée communal Kayokwe en 2013 et homologué à l’Institut pédagogique appliquée (IPA) dans le département des mathématiques, il mène aujourd’hui, la vie d’un simple « paysan. » Sa forte dépendance à l’alcool l’a empêché de suivre les études universitaires. Il s’occupe de petits boulots : cultiver les champs des voisins, faire le veilleur, ou aide-maçon. M. Nahishakiye confie qu’il s’est inscrit trois fois à l’université du Burundi. « Comble de malheur, je n’ai jamais dépassé deux semaines d’études après l’inscription.» Impossible de résister à l’appel de l’alcool. « Faute de moyens financiers pour me procurer de l’alcool, j’ai préféré retourner chez moi où la consommation est presque gratuite. Mon grand-père, mon père ainsi que nos voisins fabriquent, commercialisent et consomment cette boisson depuis longtemps. C’est ainsi que l’alcool m’a entraîné vers la dépendance . » Selon son témoignage, M. Nahishakiye souffre quand il manque sa boisson. Il a des tremblements, manque de sommeil, de concentration et de force. Pour être satisfait, révèle-t-il, il consomme au moins cinq bouteilles de cette boisson par jour. Il ne peut pas passer toute la journée sans prendre au moins deux bouteilles. Cet amateur explique que ces boissons coûtent moins cher que les boissons industrielles ou traditionnelles reconnues par la loi. « Une bouteille d’ «Umudringi » de 72 Cl se vend à 600 Fbu alors qu’une bouteille de la bière Primus coûte 1 600 Fbu. » Il exhorte le gouvernement à soutenir les fabricants de ces boisons pour qu’ils puissent améliorer leur fabrication afin d’éviter des maladies pour les consommateurs. 14

Aimable Nahishakiye : « Les boissons prohibées coûtent moins cher.»

De la consommation à la fabrication

A défaut de continuer ses études universitaires, Aimable Nahishakiye s’est lancé en 2014 dans la fabrication et la commercialisation de cette boisson. Un business qui génère des bénéfices, selon ses propos. « Le coût de production d’un fût de 100 litres de cet alcool s’élève à 50 mille.» Mais avec cette

Témoignages des anciens amis de Nahishakiye

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’après N.N, un de ses amis depuis l’école primaire, M. Nahishakiye était un garçon fort, intelligent et bon footballeur. Les autres écoliers le surnommaient « Chaka, le lion » à cause de sa force et de son gabarit. Actuellement, il est difficile de le reconnaître. Il a perdu du poids et il est faible. « La consommation excessive des boissons prohibées a corrompu son esprit. » F.N., un autre ami déplore l’ivresse de M. Nahishakiye. « Quand nous étions à l’école

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quantité, le bénéfice minimum est de 40 mille Fbu. Trois ans plus tard, il a dû suspendre la fabrication des boissons prohibées. Pour cause : les fouilles régulières de la police et les amendes exorbitantes infligées aux fabricants et aux consommateurs des boissons prohibées. Mais il assure que ses voisins n’abandonneront ni la fabrication ni la consommation de cet alcool. Parfait Gahama

secondaire, précisément au Lycée Mwaro, il passait trois ou quatre jours chez lui sans la moindre permission des éducateurs. Il oubliait parfois le chemin qui mène à l’école. Parfois, il dormait dans la brousse. » Deux semaines après son orientation à ce Lycée, il a été un renvoyé temporairement pour une durée de deux semaines. Alors qu’il était finaliste, il a été renvoyé définitivement : il était resté quatre jours de suite chez lui. Sans autorisation. P.G.


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SOCIOLOGUE

Une société « émasculée » Violences conjugales, irresponsabilité familiale… Ces boissons sont un désastre pour la société, particulièrement la famille, explique un sociologue.

Pour ce sociologue, les consommateurs des boissons prohibées sont dénués de toute responsabilité familiale.

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eux raisons principales sont à l’origine de la consommation de ces boissons prohibées d’après le sociologue Désiré Manirakiza. Du point de vue anthropologique, il existe un lien social entre la société burundaise et l’alcool. Généralement, les Burundais sont enclins à consommer beaucoup d’alcool. « Et ce n’est pas seulement la boisson qui est importante mais ce lien autour de la consommation de l’alcool. » Cependant, observe le sociologue, consommer l’alcool ne suffit pas. Il faut se soûler. Montrer que l’on a bu, suffisamment. Cependant, depuis un certain temps, explique-t-il, il est difficile pour un Burundais moyen de pouvoir trouver de l’argent pour se payer une « vraie » bière (Amstel, Primus, etc.). Certains optent alors pour une boisson beaucoup moins chère mais qui soûle très vite. Consommer l’alcool donne l’illusion de résoudre les problèmes. Ils pensent qu’en se soûlant, on va pouvoir oublier ses soucis financiers, familiaux, etc. « Deux verres de ces boissons suffisent pour être ivre », affirme Dr Désiré Manirakiza.

Alors que pour une primus il faudrait tout un casier pour s’enivrer. M.Désiré Manirakiza affirme que peu importe la prohibition, les gens consommeront toujours ce genre d’alcool. Même ceux qui sont censés faire les contrôles (les policiers) ne résistent pas toujours. Dans certains villages, témoigne le sociologue, il y a toujours eu une entente informelle, une certaine complicité entre les autorités (elles mêmes parfois consommatrices) et les producteurs de ces boissons. Ceci explique le manque de fermeté pour combattre la production de ces boissons . Les consommateurs de ces boissons prohibées sont plus accros que les buveurs de la bière industrialisée, « classique. » M. Manirakiza estime que les causes de la dépendance résident probablement dans la composition de ces boissons.

Conséquences sociales fâcheuses

Pour le sociologue, les grands consommateurs des boissons locales prohibées (kanyanga, umugorigori, umunanasi, etc.) sont généralement dépourvus de toute responsabilité.

Pire, s’il a une famille, il y a toujours des problèmes dans le ménage : la violence conjugale, violence avec les enfants, etc. Le conjoint n’est jamais là. Bref, il affiche une irresponsabilité totale auprès de sa famille. Quand il a la chance de gagner un peu d’argent, il court chercher sa dose. « Imaginez alors un village où sur 100 personnes, 80% consomment ces boissons. C’est une société foutue.» Les consommateurs n’ont plus ni le temps ni la force de travailler. Ils passeront leur temps dans des débits de boissons. Sur le plan socioéconomique, la production baisse. Le sociologue souligne que pour se rendre compte de l’ampleur de l’impact sur la société, il faut analyser les effets sur chaque famille. Le ménage c’est en effet le noyau de toute la société. Les troubles familiaux dans un ménage se répercutent sur toute la société. « Ce sera une société émasculée. » Une société affaiblie, où la production baisse, où les enfants sont abandonnés à eux-mêmes. Une société caractérisée par des chicanes familiales, des mauvais traitements, des violences… Clarisse Shaka

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Tu bois, le foie et le cerveau trinquent ! Ces boissons alcoolisées prohibées sont des produits très toxiques. Ils endommagent principalement le foie. Un médecin explique.

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r Janvier Nihorimbere classe ces boissons au même niveau que les liqueurs, avec plus de 40% d’alcool. D’après lui, certaines d’entre elles (Kanyanga par exemple) sont produites par distillation. Il n’y a même pas de brassage. « Elles sont de loin plus dangereuses que la bière », précise ce médecin. Il dénonce des produits très toxiques qui touchent principalement le foie, organe vital dans le fonctionnement de l’organisme. La cirrhose, l’ascite (ventre rempli d’eau)… plusieurs maladies graves du foie auxquelles les grands consommateurs ne peuvent pas échapper, d’après Dr Nihorimbere. Si le foie est touché, poursuit le médecin, le cerveau est menacé forcément. La fonction du foie étant essentiellement de détoxiquer les aliments ou boissons pour empêcher l’acide de monter au cerveau. « D’où ces troubles comportementaux chez les consommateurs, similaires à ceux qui consomment la drogue. »

L’estomac et les reins, pas en reste

Pire, cela peut entraîner le sujet dans un coma éthylique (due à l’alcool) par inhalation ou hypoglycémie pour ceux qui en consomment sans avoir mangé. Le risque de mort n’est pas à écarter. Ce médecin affirme que certaines de ces boissons comme « umunanasi » ne sont pas bien fermentées. Le processus de fermentation se poursuit donc dans l’organisme. Cela peut être dangereux pour l’organisme. L’estomac n’est pas en reste. La grande quantité d’acide contenue dans ces boissons provoque les ulcères d’estomac. Ce n’est pas tout, prévient encore Janvier Nihorimbere. Le foie contribue en grande partie au métabolisme. Il maintient le bon fonctionnement des autres organes comme les reins et le cœur. S’il ne peut plus assurer ses fonctions, ces organes sont aussi en danger. Dr Janvier Nihorimbere signale enfin des conséquences à long terme pour ceux qui deviennent accros: troubles érectiles et impuissance à la longue, asthénie physique (faiblesse, tremblements du corps, perte de poids…).La liste est loin d’être exhaustive. Clarisse Shaka

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Pour Dr Janvier Nihorimbere, les consommateurs de ces boissons prohibées mettent en danger leur foie, un organe vital.

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Les boissons prohibées désormais pénalisées Le code pénal burundais du 29 décembre 2017, en ses articles 520 à 523, punit les fabricants, les vendeurs et les consommateurs des boissons prohibées.

Mme Béatrice Nibaruta, administrateur de Cendajuru

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onstituent des boissons prohibées au sens des dispositions de la présente section les boissons alcoolisées ou non alcoolisées fabriquées artisanalement au niveau local ou importées, classées comme telles en application des dispositions de l’ordonnance du ministre ayant la santé publique dans ses attributions », stipule le code pénal révisé dans son article 520. D’après l’article 521, §1, leurs fabricants et vendeurs sont punis de la servitude pénale d’une année à deux ans et d’une amende de cinq cent mille à deux millions de francs burundais (Fbu). Ce qui n’épargne pas les consommateurs. Selon l’article 522, « ils sont punis de la servitude pénale de trois mois à six mois et d’une amende de dix à deux cents mille Fbu », précise l’article 522 du même code. Une fois coupables de cette infraction, les forces de l’ordre et de sécurité et les administratifs sont doublement punis. « Ledit

code double la peine des infractions prévues aux articles 521 et 522 de ces catégories de personnes ».

Vers l’éradication effective ?

Dans certains coins du pays, des administratifs se mobilisent désormais pour lutter contre les boissons prohibées. A Cendajuru, province Cankuzo, ‘’Umuraha’’ ou ‘’Umunanasi’’ et ‘’Kanyanga’’ ont été trop consommés pendant un certain temps. Aujourd’hui, Béatrice Nibaruta, administrateur communal affirme que le combat est en train d’être gagné. « En collaboration avec les forces de sécurité, les Eglises, les partis politiques, une campagne de sensibilisation a été menée.» Il était question de montrer les méfaits de telles boissons. Et puis, il y a eu une phase pour traquer tous les fournisseurs. « Une amende allant

de 500 mille à 1 million de Fbu leur a été infligée. » Néanmoins, Mme Nibaruta indique que le paiement d’une amende seulement n’a pas été très efficace. En effet, certains considéraient ces amendes comme une sorte de permission. Ce qui a poussé l’administration à changer de tactique en déversant ces boissons et en emprisonnant les vendeurs et consommateurs appréhendés. Selon l’administrateur, les résultats ont été positifs. Les conflits dans les couples ont sensiblement diminué et les anciens consommateurs ont désormais plus de temps pour aider leurs épouses à labourer, à s’occuper des affaires familiales. Mme Nibaruta estime néanmoins que le combat n’est pas encore totalement gagné : « Quelques poches de résistance existent encore et des consommateurs s’approvisionnent dans les communes limitrophes comme Gisuru,

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NOTRE DOSSIER Mishiha et Cankuzo. » Elle appelle à une synergie avec les administratifs de ces communes pour éradiquer totalement ces boissons. A Mwaro, la lutte aboutit à des résultats encourageants. Adrien Ntwunzwenimana, administrateur de la commune Nyabihanga, indique qu’il s’agit d’un travail sans relâche. En effet, il arrive des cas où ces boissons semblent disparaître et, après un certain moment, elles refont surface. D’après cette autorité, les quantités saisies sont déversées et les vendeurs remis aux officiers de police judiciaires (OPJ) pour confectionner les dossiers.

Les Eglises s’impliquent dans la lutte

L’intervention de l’Eglise catholique dans la lutte contre ces boissons prohibées n’est pas négligeable. « Nous avons organisé des séances de sensibilisation pour montrer les conséquences sur la santé, l’économie familiale et la sécurité dans les ménages de la consommation des boissons prohibées », confie Abbé Juvénal Nkenguburundi, curé de la Paroisse Mbogora, dans la commune Nyabihanga. D’après lui, les consommateurs d’Umunasi (vin d’ananas) présentent cerAbbé Juvénal Nkenguburundi, Curé de la Paroisse Mbogora tains signes : peau jaunâtre, ventre gonflé, d’autres semblent souffrir du kwashiorkor, etc. Cela finit par entraîner consommer ces boissons avant d’avoir « On se retrouvait dans les marais, tout près la mort. L’Abbé Nkenguburundi indique que la droit à un sacrement. Cette sanction, selon de la rivière Kayokwe. Dans certains cas, le consommation de telles boissons ruinent le curé, pousse beaucoup de gens à se res- vendeur nous installait derrière sa maison et plaçait des guetteurs. » les familles. « Des hommes vendent clandes- saisir. Mieux, un jour, ils ont mis un bidon de tinement les récoltes de haricot, de maïs, des 20 litres sur un brancard en faisant semDes stratégies pour ne pas blant bananes, pour avoir de l’argent à boire.» d’aller inhumer une personne. « Nous L’ivresse entraîne des conflits dans les être appréhendé l’avons bu en toute tranquillité au milieu du couples et crée le chaos dans les familles. Interrogé, un ancien consommateur de Le curé de la Paroisse Mbogora orga- la colline Mubuga, commune Nyabi- cimetière ». nise des réunions de sensibilisation avec hanga, province Mwaro dit que n’eût- S’exprimant sous anonymat, ce père de le comité paroissial. « Nous avons fait des été la pression de l’Eglise, il n’aurait pas famille affirme qu’il n’hésitait pas à vendre descentes dans les succursales, sur les collines abandonné ces ‘’drogues’’. « Je ne pou- sa récolte de haricot ou de maïs pour achepour inviter nos chrétiens à abandonner ces vais pas passer une journée sans prendre ter cette boisson. « C’est grâce à la sensibilisation, aux conseils du Curé, que j’ai pu me drogues-là ». au moins deux bouteilles d’Umunanasi’’.» Le curé affirme que la tâche n’a pas été Il se rappelle même qu’un jour, il a passé la ressaisir ». facile. « Certains nous ont catégoriquement nuit en pleine nature croyant qu’il était à Il précise que les notables s’impliquent ausdit qu’au lieu d’abandonner ces boissons, ils la maison. Et quand les policiers ont com- si dans cette lutte. « Quand on te suspecte d’avoir bu ces boissons, on te met en quaranpréfèrent ne plus revenir à l’église ». mencé à pourchasser les vendeurs et les L’Eglise exige même des redevances consommateurs, certaines stratégies avaient taine. » Rénovat Ndabashinze ‘Impongano’’ aux chrétiens accusés de été instaurées pour ne pas être repérées.

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NOTRE DOSSIER

Une norme pour rentabiliser les boissons prohibées Aujourd’hui, chaque fabricant travaille à sa façon. Or, il faut respecter des normes très strictes pour pouvoir commercialiser officiellement ces boissons.

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our mettre en valeur ces boissons, il faut leur trouver une norme de fabrication», indique Dr François Havyarimana, directeur du Bureau burundais de normalisation et de contrôle de la qualité (BBN). Pour la boisson prohibée « Kanyanga », explique-t-il, il faudrait d’abord analyser, du point de vue chimique, ses constituants et savoir ceux qui sont nuisibles à la santé humaine. Cette boisson contient en effet du méthanol, nuisible à la santé. D’autres boissons contiennent de l’éthanol. «Il faut purifier cette boisson en enlevant ses mauvais constituants » Du point de vue microbiologique, il faudrait arriver à préparer un produit sans bactéries nuisibles ou un produit avec une charge bactérienne tolérable. Quand les gens mettent le Kanyanga dans une bouteille, ils risquent de l’embouteiller avec des bactéries dangereuses pour la santé humaine. Par ailleurs, comme le Kanyanga est une liqueur, il faut chercher une norme sur les liqueurs et voir si le Kanyanga respecte

celle-ci. « De cette façon, la boisson sera certifiée, puis commercialisée. » Pour chaque produit, il faut trouver une norme de qualité qui lui est applicable. « C’est cette norme qui sera suivie dans la fabrication et dans le contrôle de la qualité ». Avant de se lancer dans la fabrication de n’importe quel produit, il faut avoir une norme. M. Havyarimana invite les personnes intéressées à se renseigner auprès du service chargé de la documentation et de l’information sur les normes. «C’est la norme qui vous indique les paramètres qu’il faut mesurer pour voir s’il est bon ou mauvais ».

Qu’en est –il de la boisson dite « Rugombo » ?

Le directeur du BBN indique qu’il existe des gens qui mélangent cette boisson avec du sucre, du tabac ou des briques. D’après lui, ce mélange a de lourdes conséquences sur la santé humaine. Les consommateurs, ont des œdèmes des pieds, des ventres gonflés, des cheveux transformés, etc. «La mi-

crobiologie de ce mélange n’est pas contrôlée.» Pour ce qui est de « Urugombo », l’autorité du BBN, recommande aux brasseurs de se regrouper en associations ou coopératives. De ce fait, le BBN pourra analyser la préparation de cette boisson afin de pouvoir leur octroyer un certificat. Aujourd’hui, chacun brasse à sa façon, et il est difficile de contrôler la qualité et de donner un certificat à chaque brasseur. Il donne l’exemple de «IMENA », une boisson brassée à base du jus de banane et qui est maintenant certifiée. Il précise qu’il y a des associations qui ont déjà introduit des demandes pour que le BBN analyse si leurs produits sont de bonne ou de mauvaise qualité. Dr. Havyarimana fait savoir que ses services sont en train d’élaborer une norme pour les boissons traditionnelles. Sans norme, insiste-il, vous ne pouvez pas prétendre faire le contrôle de la qualité. Et de conclure : « Sans norme, vous risquez d’arrêter injustement la commercialisation d’un produit ». Félix Haburiyakira

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RENCONTRE

Dr. François Havyarimana : « Le BBN a du mal à couvrir le territoire national » Faute d’un personnel suffisant et d’équipement, le BBN, l’organisme ne parvient pas à analyser tous les produits fabriqués localement comme prévu par la loi.

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omment fonctionne le BBN ? Le BBN comprend quatre services : Le service de Documentation et information sur les normes. Il est chargé de déterminer les normes qu’on peut utiliser pour certifier différents produits fabriqués au Burundi. Quelqu’un qui veut manufacturer un produit doit consulter les techniciens de ce service pour lui indiquer les éléments qui doivent composer ce produit. Il s’agit également du service du Normalisation et métrologie. Ce dernier est chargé d’élaborer les normes pour chaque produit. En plus de la normalisation, il est chargé de vérifier les instruments de mesure sur tous les produits commercialisés au Burundi. Ce service doit se rassurer que les normes de la qualité et de mesures sont respectées. Le service de Formation et assistance technique aux entreprises. Il se charge de former les entreprises dans le but de comprendre les procédures pour fabriquer les produits remplissant les normes de qualité. Il est également chargé de guider les commerçants et les importateurs d’importer les produits de bonne qualité. Enfin, le service de Certification qui consiste à attester que les produits fabriqués localement remplissent les normes de la qualité. Comment certifier un produit ? Le service de certification doit se référer sur la norme établie par le service de Documentation et Information sur les normes. Ce dernier compare les normes de qualité d’un produit et les résultats du laboratoire. Il peut refuser de certifier les produits si les résultats prouvent que ce produit ne remplit pas les normes de qualité fixées par le BBN. Quel est votre personnel et quelle est sa qualification ? Le BBN a une cinquantaine de personnes, y compris moi-même, les veilleurs et les plantons. On a un personnel insuffisant alors que le BBN doit couvrir tout le territoire national. Nous avons des chimistes qui travaillent dans le laboratoire de Chimie, les biologistes pour le laboratoire de micro20

biologie ainsi que les techniciens et les ingénieurs qui travaillent dans le laboratoire de métrologie. Nous avons également un ingénieur en génie civil qui travaillera dans le laboratoire des matériaux de construction qui n’est pas encore opérationnel. Quid de votre équipement ? A part le travail administratif, tout le travail du BBN se fait sur terrain. Or, nous avons deux vieilles camionnettes qui tombent souvent en panne. Il nous est donc impossible de couvrir tout le Burundi. Heureusement, dans le budget annuel de 2018, le gouvernement a prévu de nous acheter deux voitures. Le projet COMESA va également nous donner deux autres camionnettes. Là, nous pourrons plus ou moins fonctionner. Mais, ça ne sera pas aussi suffisant pour un bureau de normalisation qui doit contrôler les produits commercialisés sur tout le territoire national. Le manque d’équipements des laboratoires constitue également un grand défi pour le fonctionnement du BBN. Est-ce que le BBN parvient à analyser tous les produits fabriqués localement? Non, le BBN ne peut analyser que certains produits. Pour les autres, nous faisons recours aux laboratoires externes nationaux, notamment les laboratoires de l’Isabu, l’Université du Burundi, de la CNTA… Comme ces derniers ne sont pas aussi bien outillés pour analyser tous les paramètres nécessaires pour assurer la qualité d’un produit, nous faisons recours aux laboratoires étrangers. Nous collaborons souvent avec les Bureaux de normalisation des pays membres de l’EAC. En ce moment, c’est le fabriquant de ce produit qui doit payer les frais d’analyse. Quid des produits importés ? Comme le BBN n’a pas les moyens de contrôler la qualité de tous les produits importés, le gouvernement du Burundi a signé un contrat avec une société suisse, So-

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ciété Générale de Surveillance (SGS) pour contrôler la qualité des produits importés au Burundi. Pour les produits importés qui portent la marque de certifications de l’un des bureaux de normalisation des pays membres de l’EACA, le BBN ne fait pas un autre contrôle. Les pays de l’EAC ont signé une convention y relative. Quels sont d’autres défis? La population Burundaise n’est pas sensibilisée sur la nécessite de consommer des produits qui remplissent les normes de qualité. La majorité de la population Burundaise ne tient pas compte de la certification avant d’acheter les produits. Dans nos campagnes contre les boissons prohibées, nous avons constaté que les gens n’osent pas dénoncer les fabricants de ces boissons. Votre appel à la population burundaise ? Nous appelons l’administration à la base, la police ainsi que les journalistes de s’impliquer davantage dans la lutte contre la fabrication et la commercialisation des boissons prohibées. Certainement que les administrateurs locaux savent les fabricants de ces produits. Lorraine Josiane Manishatse


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Quid sur le piratage des produits certifiés ? La certification des produits par le Bureau burundais de normalisation et de contrôle de la qualité (BBN) ne les immunise pas contre la contrefaçon. Certains produits, par des tours de passe-passe, sont piratés et parviennent sur le marché.

Des cartons de jus non certifiés saisis par les agents du BBN.

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elon François Havyarimana, directeur du BBN, son bureau n’est pas responsable de la propriété industrielle des produits. Son job est de s’assurer que la qualité du produit est bonne. Néanmoins, il atteste que les produits contrefaits sèment la confusion à ses agents. « Les contrefacteurs use de beaucoup de tacts pour nous échapper » reconnaît-il. Normalement, il existe un partenariat entre tous les bureaux de contrôle de la qualité de l’Afrique de l’Est. Si un produit est certifié par un de ces bureaux, il est homologué dans tous les autres. Du coup, certains individus trafiquent les logos de ces instances et les accolent à leurs produits. Echappant ainsi aux contrôles. C’est le cas du jus« Heavy mango ».Sur les bouteilles de cette boisson, les fabricants avaient mis une marque de certification de l'Ouganda et sur d’autres celle du Kenya. Après vérification dans les bureaux de normalisation des pays respectifs, le constat a été que ce jus n’était pas certifié. Le BBN délivre des certificats de conformité sur tous les produits fabriqués sur le territoire burundais. Leur durée de validité est d’une année renouvelable. Certaines personnes « mal intentionnées » peuvent s’approprier illicitement la certification.

Comme l’explique M.Havyarimana, ils peuvent recourir aux techniciens des sociétés ayant leurs marques certifiées en les achetant. « Comme ça, on trouve deux produits avec un même label sur le marché, mais fabriqués par deux entités différentes ».

Contrefait mais souvent certifié

En outre, il indique qu’il est difficile de débusquer ces malfrats car ceux qui commercialisent leurs produits ne pipent mot sur l’identité des fournisseurs. L’original et le contrefait se trouvent entremêler sur des étalages. Cela s’observe souvent pour les boissons non alcoolisés comme l’eau minérale ou les jus. Pour toute question de piratage, le service habilité est la direction de la propriété industrielle. Ce dernier a pignon sur rue au ministère du commerce et de l’industrie. M. Havyarimana affirme « S’il signale un cas de piratage, le BBN prend acte et suspend la certification». Il étaye ses affirmations par un cas survenu entre deux entreprises qui produisaient une même boisson non alcoolisée. L’un avait copié presque tout le design de la bouteille, allant même jusqu’à emprunter presque la même appellation.

Bien que la qualité de la boisson de ladite entreprise ait été approuvée, le certificat devra être suspendu. Le viol de la loi sur la propriété industrielle justifie la sanction. En effet, si une société désire se mettre à l’abri de telles mésaventures, il faut qu’ elle enregistre sa marque auprès de la direction de la propriété industrielle. «Sinon si vous ne la protégez pas, n’importe qui peut le fabriquer n’importe quand sans être inquiéter » assène M. Havyarimana. Du côté des commerçants, le BBN leur recommande de s’approprier une liste des produits certifiés avant de les acheter. Au cas où des produits non certifiés sont saisis sur leurs étalages, les vendeurs se disent victimes d’une injustice. « C’est une grosse perte pour nous, nous ne sommes pas des fabricants de ces produits, le BBN devrait s’adresser à nos fournisseurs » s’est lamenté l’un d’eux. C’était lors d’un coup de filet réalisé par le BBN en collaboration avec la police. Une multitude de marques de boisson notamment Juice vivaqua, Coriandre gingembre, Raha tangawizi, Girubuzima gingembre, Umuhimu Tangawizi, Marakouca, Hozagara Urwarwa rw’iwanyu, avait été saisie. Arnaud Igor Giriteka

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Une francophonie haute en couleur au Burundi !

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e Burundi a fêté la Francophonie et la langue française du 16 au 25 mars 2018 !

Une cinquantaine d’activités se sont déroulées toute la semaine sur l’ensemble du territoire. Ces activités réaffirment et rehaussent l’appartenance du Burundi à l’espace francophone. Conférences, spectacles, dictées et quiz, cinéma francophone, concert se sont succédés tout au long de la semaine… Ce programme très riche a pu être déployé grâce à la contribution et à l’engagement de l’ensemble des partenaires francophones au Burundi : le gouvernement du Burundi et notamment le Ministère des Relations Extérieures et de la Coopération Internationale Quiz de la Francophonie à Matana (MRECI) ainsi que le Ministère de l’Education, onze représentations diplomatiques et consulaires, trois écoles internationales, l’Institut français du Burundi et l’Alliance franco- Francophonie, l’Histoire de la Francophonie, les valeurs de la burundaise de Gitega, cinq associations burundaises de promotion Francophonie et la diversité de la langue française. de la Francophonie, l’Agence universitaire de la Francophonie, Par le relais du Ministère de l’Education, ces aspects ont pu être l’Université du Burundi et le CELAB, cinq partenaires du secteur évoqués avec les enfants dans une école fondamentale pilote par province. Les écoles internationales belge, congolaise et française à privé… Bujumbura se sont aussi associées à la démarche. Les organisateurs ont aussi souhaité une Francophonie qui rayonne Tout l’intérêt était de sensibiliser les enfants sur le fait qu’ils font sur l’ensemble du territoire burundais. Grâce aux animations partie intégrante de cet espace et de cette communauté francophone menées dans les écoles et au relais des associations francophones – et…qu’ils en sont l’avenir. Alliance franco-burundaise de Gitega, Association burundaise des Le questionnaire final (Quiz) validait, tout en s’amusant, ces enseignants de français, Club RFI, Club Flambeau de la littérature, notions abordées en classe (voir encart). Union des étudiants pour la création littéraire en langue française Les plus grands, au post-fondamental et à l’Université, ont pu mesurer leur habileté en grammaire et en orthographe sur des (UNECLF)… toutes les provinces ont été visées par les activités. textes français, belges ou congolais qui leur étaient proposés dans le La Francophonie est l’affaire de tous. Et il y avait des événements cadre d’une Dictée de la Francophonie. pour toutes les ambiances et pour tous les publics ! Les activités ont été plus solennelles le 20 mars 2018, Journée Le pique-nique au Petit Bassam en inauguration de cette semaine a Internationale de la Francophonie. réuni plus de 200 personnes de tous âges et de tous horizons autour Le Ministre des Relations Extérieures et de la Coopération de savoureux mets congolais, belges, ivoiriens, maliens, suisses, Internationale, l’Ambassadeur Alain Aimé NYAMITWE burundais… Une atmosphère très conviviale qui laissait présager inaugurait ainsi la Journée en rappelant que : « Pour le Burundi, la Francophonie n’est pas juste un patrimoine légué par l’Histoire et de bons moments à venir… encore moins juste un lien linguistique. En adhérant à l’Organisation Le climat était plus studieux – mais néanmoins ludique ! - lorsque, Internationale de la Francophonie, le Gouvernement du Burundi a pendant la semaine, les élèves des écoles fondamentales ont abordé voulu rejoindre un espace d’échange, de commerce, de solidarité et de avec leurs enseignants quelques notions sur la géographie de la relations internationales ; un espace culturel de dialogue, d’ouverture et de générosité. » Il faisait ainsi écho à l’Ambassadeur de France au Burundi, Laurent DELAHOUSSE, qui rappelait que le français « n’est pas la langue de l’Autre mais bien votre autre langue » reprenant alors les mots du Président de la République française en novembre dernier à l’Université de Ouagadougou : « Il y a bien longtemps que cette langue française, notre langue, n'est plus uniquement française… Elle est aussi vecteur de formidables opportunités de richesses culturelles, de création, d'imaginaire en commun mais aussi d'opportunités économiques parce que nous aurons un espace linguistique d'une puissance inédite à travers tous les continents et au premier chef en Afrique ! ».

Pique-nique de la Francophonie

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Ces allocutions annonçaient et introduisaient parfaitement les propos de la table-ronde sur « le français : une langue, des opportunités » qui a été animée par six panelistes devant un parterre d’étudiants et de personnalités. Le panel était constitué de l’Expert international Francophonie


été animée par un collectif de slameurs, la chanteuse congolaise Kinjaah et la star burundaise Kidumu qui ont enflammé un public enthousiaste de près de 1000 spectateurs, essentiellement des étudiants.

Cérémonies du 20 mars et table-ronde inaugurées par SEM le Ministre des relations extérieures et de la coopération internationale

Expertise France, le Directeur Général de la Francophonie et de l’intégration régionale au MRECI, le Directeur de l’Antenne régionale de l’AUF, l’Ambassadeur de Chine au Burundi, un conseiller de l’Agence pour la Promotion des Investissements au Burundi et un conseiller du Ministère à la Présidence en charge de l’EAC. Ces intervenants ont pu exposer comment la langue française et la Francophonie sont aussi des vecteurs concrets d’opportunités commerciales, culturelles, scientifiques, diplomatiques…notamment pour la jeunesse burundaise (voir encart).

(Source : La langue française dans le monde 2014)

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84 Etats et Gouvernements membres de l’OIF. Les pays membres de l’OIF représentent 16% de la population mondiale, 14% du revenu brut mondial, 20% des échanges commerciaux 274 millions de francophones sur les 5 continents L’Afrique au cœur de la Francophonie. 55% des francophones sont africains. Potentiellement 715 millions de francophones en 2050 dont 85% en Afrique 5ème langue mondiale, 3ème langue des affaires, 4ème langue sur internet 2ème langue la plus apprise avec 125 millions d’apprenants par an 900 000 professeurs de français Langue officielle internationale : Nations-Unies, Union Africaine, Union européenne, OMC…

La Francophonie dans les écoles !

Testez vos connaissances sur la Francophonie ! 1- Quand le terme «Francophonie » est-il apparu? 2- Quelle est l’association, créée en 1961, qui soutient la coopération entre les universités francophones ?

Ils sont considérés comme « les pères fondateurs de la Francophonie ». Qui sont-ils ? 5- Quel événement organisé tous les 4 ans met en compétition les jeunes francophones sur des épreuves sportives, artistiques et culturelles ?

3- Qui est actuellement le/la Secrétaire Général(e) de la Francophonie

6- Après la France, quel est le pays où l’on compte le plus de francophones ?

4- Quatre personnalités ont été les premières à proposer, dès les années 1960, la constitution d'une communauté francophone ?

7- Quelle est la chaîne de télévision mondiale en langue française diffusée auprès de 55 millions de téléspectateurs chaque semaine dans près de 200 pays ?

Réponses

Quelques informations sur la Francophonie

…Et ainsi nous maintenons le fil francophone… jusqu’à la prochaine édition 2019 de la Semaine de la Francophonie !

1- 1880. Le terme a été inventé par le géographe français Onésime Reclus 2- l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) 3- Michaelle JEAN 4- Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Hamani Diori (Niger), Habib Bourguiba (Tunisie), Norodom Sihanouk (Cambodge) 5- Les Jeux de la Francophonie. Les derniers se sont tenus en 2017 en Côte d’Ivoire. Les suivants se tiendront en 2021 dans la province canadienne du Nouveau-Brunswick 6- La République Démocratique du Congo (33 millions en 2014) 7- TV5 Monde

La semaine s’est achevée en fanfare – ou plutôt en musique – avec un concert exceptionnel organisé au Campus Kiriri de l’Université du Burundi. La scène a

La richesse des activités menées ne saurait être ici reprise exhaustivement. Aussi, une page Facebook « Francophonie au Burundi » a été créée à l’occasion de cette semaine de la Francophonie 2018. Mais, dans la mesure où la Francophonie ne se résume pas qu’aux festivités du 20 mars, cette page continuera d’être alimentée tout au long de l’année pour rendre compte, aussi, des actions structurantes menées au long cours en faveur de la Francophonie et de la langue française…

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LITTÉRATURE

EDITORIAL

Quand les planches trinquent … avec le comptoir Sacrés artistes ! Du théâtre dans un bar. La question est de savoir s’ils peuvent faire un bon ménage ou s’il ne faut pas s’attendre à des scènes de ménage. Le choix de cette troisième édition du festival ’’Buja Sans Tabou’’ est à première vue insensé, bizarre, voire iconoclaste, anticonformiste. Il faut être ’’fou’’ pour y penser. Difficile de comprendre ce choix opéré par le moteur de ce grand rendezvous culturel devenu un ’’must’’. Mais somme toute, l’idée est originale. C’est tentant. Le théâtre s’invite au bar. Ce sont les acteurs qui vont vers le public pour communier autour d’un thème, d’une pensée, d’idées reçues, de quelques interdits en passe de passer à la postérité…et in sæcula sæculórum. Freddy Sabimbona, l’initiateur de ce festival explique : «Il faut sortir le théâtre et la culture des lieux habituels connus et faire en sorte que pour cette fois, ce soient

les acteurs qui aillent vers les gens et non l›inverse». Son idée est très osée : «Et pourquoi ne pas aller à la rencontre du public, des gens là où ils ont l’habitude de passer les bons moments entre amis comme les bars ?»

Avec ce théâtre servi sur un plateau, Freddy et ses amis ont une autre idée derrière la tête. Ils comptent sur l’interaction avec le public, l’échange, juste un bon moment de liberté d’expression. Ces acteurs et comédiens entendent à chaque représentation susciter un débat : «On n’est pas là pour dire aux gens comment penser, loin de là. Notre but, c’est de dire aux gens qu’il faut penser et exposer sa réflexion, ses doutes. Aucun sujet tabou. Mais on n’est pas là pour choquer. Juste passer un bon moment agrémenté par la magie des mots les frissons du théâtre». Ceci revient en quelque sorte à la formule classique consacrée pour le sixième art : «Castigat ridendo mores». Châtier les mœurs par le rire, une forme de catharsis. Et le menu de cette troisième édition du festival ’’Buja Sans Tabou’’ est très alléchant.

RENCONTRE

Freddy Sabimbona : «Le théâtre s’invite au bar !» Avec la troisième édition du festival ’’Buja sans tabou’’, son initiateur en même temps moteur de la troupe Lampyre, bouleverse, à coup sûr, certaines habitudes. Il expérimente une nouvelle recette : le théâtre va vers le public et non le contraire.

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’annonce faite par le directeur artistique de cet événement culturel de l’année à l’avant veille du lever de rideau 24

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Abbas Mbazumutima


LITTÉRATURE Pour le directeur artistique du festival ’’Buja Sans Tabou’’, ce qui est primordial, c’est d’oser délier sa langue et parler, il ne faut pas rester à la surface mais aller en profondeur, mettre le doigt là où ça peut faire mal. «Le but n’est pas de faire mal mais d’amener les gens à discuter, à échanger, dire je suis d’accord ou je suis contre».

Le menu

Freddy Sabimbona (devant le micro) : «On n’est pas là pour choquer mais pour échanger»

est audacieuse, surprenante: «Les pièces se jouent, non pas dans des salles habituelles mais dans certains lieux de rencontre conviviale, les bars. Dans ce genre d’endroit, le client est roi, dit-on. Le public ne l’est pas moins, il faut le servir». La formule est très osée et c’est l’innovation de cette 3ème édition de ce grand rendezvous culturel: «Faire vivre ces lieux particuliers l›espace d›une soirée en y faisant résonner les mots et en y faisant ressentir les émotions du théâtre». Pour Freddy Sabimbona, un passionné du 6ème art, ce grand rassemblement, une belle mosaïque de diversités, vise la paix, la réconciliation et l’échange par le biais du théâtre, de la danse et d’autres formes d’expression artistique. «Notre rôle, c’est comme un vecteur de sociabilité et de cohésion entre les gens». Ce festival «permet de donner un espace d›expression libre aux artistes sans tabou et sans censure sur des sujets de société comme la politique, la religion, le sexe, etc.» L’objectif selon ce féru de théâtre, est d’œuvrer à valoriser le potentiel artistique du pays. «Buja Sans Tabou’’, c’est libérer la parole, ce n’est pas donner des leçons mais amener le spectateur à réfléchir.» Notre but, fait-t-il remarquer, ce n’est pas de dire aux gens comment penser, en leur indiquant que ceci est bien, que cela est mauvais. «Nous sommes ici pour dire aux gens qu’il faut penser, que c’est important de penser, il faut briser le tabou pour susciter un débat». Selon ce féru de théâtre, il n’est pas question de choquer, de provoquer mais créer un espace de discussion. «Il faut que la

parole puisse avoir son importance dans notre société. Après les gens peuvent aimer ou détester le spectacle».

Parmi les innovations de cette 3ème édition du festival ’’Buja Sans Tabou’’, il y a des formations sur la danse contemporaine sous la direction de Wesley Ruzibiza, chorégraphe et metteur en scène dans ’’Sage comme Sauvage’’, Cette pièce se moque des hypocrites, qui ne tarissent pas d’éloge en votre présence mais qui n’hésitent pas à vous calomnier, à médire, à vous maudire, une fois le dos tourné. Au programme, il y a aussi un atelier de jeu d’acteur piloté par le Burkinabé, Noël Minoungou. Et ce n’est pas tout, il y a aussi une formation sur la mise en scène et surtout sur la scénographie avec Patrick Janvier. Freddy Sabimbona est émerveillé. Selon lui, c’est un nouveau métier au Burundi, une nouvelle

La danse contemporaine au menu de la 3ème édition de ’’Buja Sans Tabou’’ w w w . i w a c u - b u r u ndi .o r g / aba kunzi @ i w a cu- bur undi .or g

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LITTÉRATURE narrateur évoque le souvenir malheureux d’un frère disparu de manière banale. Il est battu à mort par des vigiles pour une canette de bière volée dans un supermarché. C’est tout un travail de mémoire, de deuil, de sublimation. L’affiche, c’est aussi la pièce Liebe (amour) de Marshall Mpinga Rugano où une femme vit l’enfer avec ses souvenirs, ses hantises, ses cauchemars. Son passé douloureux ne passe pas. Ces malheurs lui pourrissent la vie, un drame.

Une interaction avec le public

dimension dans le théâtre. «Le fait de créer une ambiance sonore et visuelle pour accompagner le texte va révolutionner le théâtre burundais. Les œuvres d’art conçues pour agrémenter le texte, rendent la pièce plus vivante pour le bonheur du public». Avec plus de 40 acteurs et artistes venus de France, du Rwanda, du Burkina-Faso, de la RDC, de la Belgique et bien sûr du Burundi avec 4 compagnies nationales, ce sont des moments inoubliables garantis.

guerre civile qu’a vécue ce Pays du Cèdre. Au programme, figure la pièce de Laurent Mauvignier Ce que j’appelle oubli. Le

Que de chefs-d’œuvre

Sur la palette de la 3ème édition du festival ‘’’Buja Sans Tabou’’, est Il y a la pièce d’Ali K. Ouédraogo, Les Sans, inspirée du livre, Les Damnés de la terre de Frantz Fanon. Tiibo et Franck, deux camarades de lutte se retrouvent après 10 ans de séparation. Franck, révolutionnaire dans l’âme, entend relancer la lutte par le boycott de la fête des indépendances. Il réclame une indépendance sans concession. Mais il découvre vite que son ancien camarade et allié a retourné sa veste, ’’du bon côté’’. Les deux camarades de lutte se mettent à palabrer, chaque protagoniste veut convaincre l’autre du bien-fondé de sa réflexion sur le monde et partant de son choix. A l’affiche, il y a également Tais-toi et creuse, une œuvre de Hala Moughanie avec une mise en scène de Linca Lyca Mugisha tire son inspiration de vie de misère menée au Liban par une famille, il y a également en filigrane la 26

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L’autre pièce toujours ovationnée est le chefœuvre d’Aristide Tarnagda, Musika. Elle nous plonge à l’Est de la RDC avec ses guerres incessantes avec comme corollaire des femmes violées, des mineurs qui crèvent dans les galeries à la recherche du coltan, un minerai indispensable dans la fabrication des téléphones portables. Parmi les grandes affiches de ce festival, L’Espèce humaine, une pièce de Robert


LITTÉRATURE

Une scène de la pièce Umugore n’umugabo

Antelme jouée par Maylis Isabelle Bouffartigue et le comédien rwandais Diogène Ntarindwa alias Atome. Il s’agit là d’une mise en scène des extraits de ce livre qui nous amène dans les camps de concentration nazis. La vie d’un déporté, avec ses angoisses, ses craintes, la faim,… est décrite dans les moindres détails. La pièce dramatique, Les passions unies de Thiery Nkinzo expose la vie de la jeunesse africaine en proie aux manipulations et au désœuvrement avec toutes les conséquences possibles. Tout est en slam. A l’affiche, il y a également la pièce, Délestage, qui raconte la vie d’un irrégulier Congolais, passionné du foot européen, arrêté à Bruxelles. Les policiers qui l’interrogent, sont des fans des Diables rouges. Leur passion semble les unir mais l’équipe nationale belge est battue par Les Pays de Galles. Le pauvre congolais est transféré, son calvaire ne fait que commencer.

Umugore n’Umugabo

’’Buja Sans Tabou’’, c’est aussi la deuxième représentation de la pièce Umugore n’Umugabo (La femme et l’homme. Ndlr) de l’actrice Laura Sheilla Inangoma. Elle s’est mise à écrire. C’est une étoile de la troupe ’’Les Enfoirés de Sanoladante’’. C’est son premier coup d’essai. Ovationnée, la pièce, est en en passe de devenir un coup de maître. La mise en scène assurée par Freddy Sabimbona est originale, elle allie danse avec Florette Gateka et musique avec Yves Kami. Le texte, en français, en kirundi et en anglais, est tout un réquisitoire sur les interdits de la culture burundaise vis-à-vis

Sheilla Inangoma, la joie après la présentation de sa pièce

de la femme burundaise, des préjugés et des clichés à son égard. Les hommes présents dans la pièce prennent tantôt partie pour leurs sœurs se mettant même dans leur peau, tantôt se surprennent par leur pointe d’ironie, à être des défenseurs de ces traditions pas toujours tendre avec la femme. Juste avant les extraits de la célèbre pièce féministe "Les monologues du vagin" d’Eve Ensler, la pièce se ter-

mine par une sorte de complaintes de femme déclamées par un jeune homme. Pour toute réponse, au lieu d’un réconfort, un refrain repris en chœur par tous les acteurs hommes et femmes, sous une musique de Kami, rappelant à la jeune burundaise que la lutte est loin d’être gagnée. «Retiens-toi et sèche tes larmes, jeune fille, tu n’es pas la première (à souffrir) et tu n’es pas la dernière !»

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LITTÉRATURE

MUSIQUE

Francophonie, Kidumu : «Mon hymne à la paix, d’il y a presque 20 ans, vaut toujours»

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’appel à la non-violence, à la réconciliation, à la tolérance, à l’unité et à la concorde contenu dans le tout premier tube pacifiste du célèbre chanteurcompositeur burundais, Kidumu, ’’Uwo yaramenje’’ (’’Celui-là a commis des abominations’’, Ndlr), est toujours d’actualité. Jean-Pierre Nimbona a tenu à le rappeler à l’issue de son concert donné au campus Kiriri samedi 24 Mars devant un parterre d’étudiants et de diplomates. Cette star burundaise vivant à Nairobi était invitée pour les festivités clôturant la semaine dédiée à la Francophonie.

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Au moment où le Burundi traverse une zone de turbulence politique, et se prépare à vivre de grands moments, ce message est toujours nécessaire. «Les crises répétitives que le Burundi a connues devraient servir de leçon. Il faut mettre un terme au cycle de violence». Devant une salle qui reprenait en chœur les mots de cette chanson, Kidumu a marqué une pause pour communier avec ce ’’public à majorité intellectuelle’’. C’était pour raconter les circonstances de sa composition : «C’est au dortoir au lycée de Kayanza, la crise bat son plein, des tueries,

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des embuscades, des scènes de pillages. La désolation, des morts un peu partout». Il poursuit son récit : «Une inspiration me vient en tête, je prends ma guitare, j’aligne quelques notes et voilà une mélodie. Je me mets à écrire le texte et c’est parti ». Ironie du sort, la chanson ne sera produite qu’en 2000 alors qu’il est exil à Nairobi. «Il n’y a jusqu’à présent que l’audio. J’hésite pour le clip parce que dans ma tête défilent plusieurs images : des machettes, scènes de pillages, des massacres, des embuscades, le supplice du collier. Difficile de mettre tout cela dans un clip».


LITTÉRATURE

SCULPTURE

«Où est l’os ?» Plusieurs sculpteurs burundais ayant leurs stands au Musée vivant n’ont qu’un rêve : conquérir le marché régional. Leurs objets d’art dont les statuettes et des bijoux en os de Floribert Minani font sensation. Découverte.

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entré dernièrement de la Tanzanie, cet artiste était parti avec Jackson Ndihokubwayo, Uwizike Rachel, Victor Hasabumutima et Salomé Nibirora. Chacun a sa touche personnelle. Ils étaient invités à la foire de Mnazi Mmoja Ground, à Dar es Salaam, par la Confédération Est Africaine des organisations du secteur informel (EA-Ciso).

Le succès de leurs œuvres et surtout les talents de ce sculpteur commence à dépasser le territoire national et à conquérir la sousrégion. Elle est tombée sous le charme de la finesse des objets d’art exposés. «Nous avons fait des affaires, nous avons eu beaucoup de clients. Des grands journaux de Dar es Salaam, des chaînes de télévision comme Africa 24 et même des autorités

tanzaniennes sont venues voir nos œuvres», s’émerveille Floribert. Sa particularité, ses objets d’art et surtout ses figurines fabriqués en os. L’os est sa matière première à côté du bois. Mais il préfère l’os. Et ce sont ses statuettes, ses colliers et autres bijoux en os qui sont les plus prisés. «Tout le monde s’arrête et devient curieux devant mon stand et cherche à savoir comment je parviens à ciseler, à polir et à modeler ma matière première jusqu’à avoir telle œuvre d’art », fait savoir ce sculpteur. Au bout de l’effort, la récompense et la renommée : «On commence à nous inviter un peu partout, nous avons des commandes. Nous avons même signé des conventions de partenariat pour donner des formations et initier d’autres artistes». Des foires pareilles, fait-il savoir, sont une tribune pour le rayonnement de notre art et c’est notre pays qui marque des points. «Même le Chef de l’Etat m’a accordé une audience d’une demie heure. Des autorités tanzaniennes se sont montrées intéressées de même que le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda ainsi que son premier vice-président, Agathon Rwasa». Selon ce sculpteur, quand les gens à l’étranger s’intéressent aux œuvres d’art burundaises, cela peut porter loin l’image du pays et contribuer à redorer l’image de notre chère patrie.

Floribert : «Notre art peut contribuer à redorer l’image du pays»

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