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N°44

3.000Fbu - www.iwacu-burundi.org

Janvier 2018

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Se déplacer, un calvaire

Notre dossier Taxes, paperasse, corruption… Les transpor teurs et les usagers sont furieux

Musique Pge 6

S’engager ou dégager. Le groupe Lion’s Stor y en exil

Pages littéraires Pge 22

A la rencontre d’un ambassadeur-écrivain

Pge 28


EDITORIAL POUR QUE SE DÉPLACER NE SOIT PLUS UN CALVAIRE Par Antoine Kaburahe

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a ville s’étend et Bujumbura, comme la plupart des villes africaines, va plus vite que les plans d’aménagement. Pour autant qu’ils existent ou mis en application. Alors, comment se déplace-t-on au quotidien à Bujumbura, dans un contexte de pauvreté très prégnant et quelles stratégies d’adaptation est-on amené à développer ? Iwacu s’est posé la question et approché les différents transporteurs et les habitants. Un constat unanime : se déplacer à Bujumbura est difficile. Très difficile. Les citadins essaient donc de se « débrouiller » comme ils peuvent. Seulement, que ce soit du côté des conducteurs, taxis-vélos, taxis-motos, et autre taxi-voiture ou des usagers, les complaintes sont nombreuses, réelles. Ainsi, tous ces conducteurs dénoncent les « paperasses », taxes et autres contributions. Ils se disent carrément« rançonnés » et travailler à perte. Les associations de transporteurs indiquent que depuis plusieurs années, aucun opérateur privé ne se hasarde à importer un véhicule neuf de transport en commun. Ainsi, avec les taxes , celui qui achèterait un bus neuf pour le transport en commun serait voué à la faillite. Cela explique la vétusté du parc automobile à Bujumbura. Certains bus sont si vieux, que normalement ils seraient bons pour la casse.

Les transporteurs fustigent l’attitude de la police, la corruption, les restrictions des zones de travail… La liste des griefs est très longue. Les usagers, de leur côté, regrettent l’absence d’une véritable politique du transport. Le secteur est presque complètement abandonné aux privés. Se déplacer est incertain et cher surtout. Certains fonctionnaires voient partir le tiers de leurs salaires en frais de transport…

Il est essentiel et urgent de définir une politique globale et durable dans le secteur des transports. L’état doit notamment privilégier le transport collectif dans le but de favoriser l’accessibilité des habitants de la capitale ( et en province) aux emplois, aux marchés, à l’éducation et aux services essentiels. Bujumbura est une belle ville, s’y déplacer devrait être un plaisir…

SOMMAIRE NOTRE DOSSIER : SE DÉPLACER .UN CASSE-TÊTE.........................................................................................................................................3-5 LA MISÈRE SUR DEUX ROUES..............................................................................................................................................6-19 LITTÉRATURE S’engager ou dégager ..............................................................................................................................................................................20-27 Rencontre : Edouard Bizimana, auteur de ’’Nina la reine au cœur brisé’’..........................................................................................28-30

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Se déplacer, un casse-tête

Avec la croissance accélérée de l’urbanisation, l’éclatement de la ville, se déplacer à Bujumbura est une vraie gageure ! La société publique de transport n’arrive pas à faire face à la demande. Le plus souvent, le transport des citadins est assuré par des privés qui offrent un service parfois totalement anarchique (pas d’arrêts identifiés, peu ou pas d’itinéraires, ni d’horaires, des conducteurs peu ou mal formés, etc.) A travers deux reportages, Iwacu vous emmène dans le quotidien de deux habi-

tants de la capitale : un commerçant et un fonctionnaire. A eux seuls, ils montrent le calvaire quotidien des habitants de la capitale. Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Hervé Mugisha, Parfait Gahama, Edouard Nkurunziza, Chanelle Irabaruta, Rénovat Ndabashinze, Clarisse Shaka, Félix Haburiyakira, Eliane Irankunda, Lorraine Josiane Manishatse , Diane Uwimana, Bella Lucia Nininahazwe, Pierre Claver Banyankiye Coordination : Antoine Kaburahe

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CENTRE VILLE

Galère d’un commerçant Taxi, bus, Aimable, le commerçant qui habite au nord de la capitale jongle avec les moyens de transport. Un casse-tête quotidien.

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alerie Diko, avenue du marché, en face de la banque BNDE. Dans une petite boutique au coin de la rue, Aimable, 46 ans, tient un petit commerce. Il habite le nord de la capitale, en zone Kamenge, de la commune Ntahangwa. Dans cette galerie, il vend des produits alimentaires : riz, des pâtes (spaghetti…), haricot, huile, sel, etc. Un peu paranoïaque depuis l’incendie qui 4

s'est déclaré à côté de sa boutique, Aimable préfère rentrer le soir à la maison avec ses produits. « Avec tous les vols subis par mes camarades, je préfère payer un taxi matin et soir, mais rentrer avec mes marchandises. » Une très grosse somme pour ce père de 4 enfants, avec une femme au foyer. Il est le seul à ramener de l’argent à la maison. Pour essayer de limiter ces dépenses, il a trouvé une astuce : « J’ai fait un « deal » avec un taximan de mon quartier qui m’emmène en ville le matin et me ramène le soir à bon prix. » Ce commerçant achète ses produits chez des grossistes au Buja city market, au marché communément appelé Chez Sioni, dans la zone de Buyenzi. Il s’y rend en bus. Le retour lui coûte plus cher. Il doit prendre un taxi. Le bus ne peut contenir toute sa marchandise. Il aurait choisi un « tuk-tuk », moins cher que le taxi, mais

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c’est impossible avec la décision du gouvernement interdisant ce véhicule à trois roues de circuler en plein centre-ville. Pas bon pour les affaires, cette décision ni pour le vendeur et encore moins pour l’acheteur. « A moins de vendre à perte, je dois inclure les frais de transport dans le prix de mes marchandises. » Aimable est de mauvaise humeur ce matin. « Une journée pourrie, » annonce-t-il, bougonnant. Il pleut des cordes et la recette n’est pas au rendez-vous cet avant-midi. « Déjà qu’il est difficile d’attirer les clients par une journée ensoleillée, mais là,… » soupiret-il. Une potentielle acheteuse veut acheter les pommes de terre. Le visage du commerçant s’éclaire. 5 kg sont vendus. La dame s’éloigne, le laissant tout sourire : « J’ai au moins de quoi payer le taxi de ce soir. » Agnès Ndirubusa


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GATUMBA

Chaque jour, un parcours de combattant Jeanne habite à MutangaNord en mairie de Bujumbura et travaille à Gatumba, à 12 km de chez elle. Elle dépense presque un tiers de son salaire dans le transport.

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l est 5 heures du matin. Jeanne (nom d’emprunt) doit se lever. Elle voudrait encore dormir une petite heure… Mais c’est impossible. Les clients ne vont pas apprécier. Notre jeune fille est guichetière dans une des institutions bancaires œuvrant dans la zone de Gatumba. Le réveil est trop dur. L’agent bancaire a dormi un peu trop tard. Et pourtant, elle n’était pas en train de faire la fête. A 6 heures, Jeanne est prête. Belle. Elle ne peut pas passer en ville, car c’est un très long trajet. Elle doit prendre un taxi-moto pour arriver à la place communément appelée «Chanic». Le coût du déplacement est de 1500 Fbu. «Hum! Ce n’est pas rien!», confie notre guichetière. De temps en temps, elle est obligée de prendre un taxi-vélo. Elle doit arriver à la banque à 7 heures. Si le bus arrive à temps, elle le prend pour un prix qui varie entre 500 et 600 Fbu. Parfois le bus est en retard, elle doit prendre un taxi-voiture ou un taxi-moto. Le prix oscille alors entre 2000 et 3000 FBU. Elle n’a pas le choix. «Je ne veux pas perdre mon travail. Je l’ai eu après plusieurs années de chômage.»

Elle n’est pas sûre de rentrer tous les soirs La journée, Jeanne sert les clients. A 19 heures 30, parfois même 20 heures, elle prend le bus pour revenir dans la capitale. Elle paie 700 Fbu. Arrivée en ville, elle prend un autre bus pour rentrer à Mutanga-Nord. « Souvent, j’arrive chez moi aux environs de 21 heures ou 22 heures. Exténuée.» Voilà ce qui explique les réveils très difficiles de l’agent . Parfois, c’est même plus compliqué. Elle embarque dans le dernier bus qui part de Gatumba. Arrivée en ville, plus de bus. « Je suis obli-

gée de prendre un taxi- voiture pour 4000 Fbu ou plus. Parfois, je n’ai pas cette somme sur moi.» Elle fait appel à des amis ou à des membres de sa famille. Il y a pire encore. « Il arrive que j’aie beaucoup de travail. Au moment de rentrer, à Gatumba il n’y a plus de bus qui part vers Bujumbura.» Dans ce cas, il n'y a pas mille solutions. Elle demande bêtement un hébergement pour la nuit à Gatumba. «Des amis. Mais c’est gênant.»

Presque un tiers du salaire

Selon notre jeune célibataire, le bus peut tomber en panne en chemin. « On peut dire qu’ils ne sont pas du tout neufs ces véhicules qui font le transport en commun.» Elle retourne à Gatumba ou elle prend un taxi pour rentrer. « Ce sont des dépenses imprévues qui s’ajoutent, mais aussi une perte de temps. C’est fatigant.» D’après Jeanne, le déplacement lui prend en moyenne entre 70.000 et 80.000Fbu par mois. «C’est trop!» Sans parler du loyer, car elle vit avec d’autres jeunes filles. Et il faut manger. «Il ne me reste presque rien à la fin du mois. Même si c’est pénible, je ne me plains pas. Il y a beaucoup de jeunes qui sont au chômage.» Question : « Difficile de fonder un foyer dans ces conditions? » La réponse fuse après un éclat de rire. «Je n’y pense pas pour le moment.» (Rires.) «Cela ne veut pas dire aussi que je ne le veux pas.» Notre jeune fille dit attendre le bon moment. « Je suis à la recherche d’une mutation professionnelle. Sinon, dans ces conditions, c’est mon foyer qui va en pâtir. » La guichetière espère être mutée ailleurs. Fabrice Manirakiza

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La misère sur deux roues

Les habitants de la capitale ne sont pas contents de la qualité des transports. Ceux-ci ne sont pas heureux non plus : Coûts exorbitants des documents, zones de travail limitées, revenus dérisoires, participation « forcée » aux travaux communautaires et aux marchesmanifestations. Voici quelques-unes des griefs racontés par les conducteurs des taxis-vélos , et autres taxis-motocyclistes. 6

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Une journée avec Gaspard Un reporter d’Iwacu a passé une journée avec Gaspard, un conducteur de taxivélo. Un travail dur, la recette incertaine. lui revient à 1000Fbu. Le repas lui suffira pour reprendre ses forces et attaquer la journée. Il est 10h30. Le temps de bouger afin que midi tombe avec au moins 3500FBU dans la poche. « Avant la mesure nous interdisant de traverser les ponts, c’était facile de gagner même plus de 5000 FBU un avant-midi. Aujourd’hui, c’est la galère. Par chance, si on parvient à manger et avoir 1000FBU à mettre de côté, c’est la manne ».

Faire avec…

La mesure en vigueur de rentrer avant 18h, a sensiblement diminué les recettes des conducteurs de taxis-vélos

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ardi 16 janvier, il est 6 h30. Une journée s’annonce un peu particulière pour Gaspard. Durant toute la nuit, il a plu à Musaga, au sud de la capitale . Il arrive au parking situé à la 12ème avenue, sur la route principale qui mène dans la zone urbaine de Kanyosha. D’habitude, bondée de gens qui vont travailler, l’arrêt-bus est quasi désert. Sous un kiosque, à l’abri de la petite averse qui continue de tomber, Gaspard, dans son for intérieur, se demande confus s’il ne s’était pas levé d’un mauvais pied. « Vraiment, bientôt 7 heures sans le moindre client. »

Cinq minutes plus tard, un élève vêtu d’un uniforme du lycée la Convivialité, visiblement en retard s’amène. « Enfin un client ! » se dit Gaspard avec soulagement. Il se dit que finalement la prière quotidienne du matin sert à quelque chose… Deux allers-retours plus tard, l’idée d’un petit déjeuner peut effleurer ses pensées. «Pour nous le petit déjeuner, c’est comme le carburant pour les moteurs. Pour bien travailler, la moindre des choses, c’est de bien manger », glisse-t-il. Il s’en va commander deux crêpes de 500Fbu, une assiette de haricot de 300Fbu et une petite tasse de thé chaud. Le tout

Ce jour-là, par chance, Gaspard sur sa route de retour au parking croise une vendeuse de bananes. Elle veut se rendre au marché de Ruziba. C’est à une dizaine de kilomètres de la zone. Le temps de négocier, Gaspard a déjà embarqué les bananes. « Une telle course, c’est une aubaine. Tu es sûr d’économiser au moins 5000FBU . » En effet, un taxi lui coûterait 6000 FBU. En aparté, elle confie qu’avec 1000FBU, elle peut rejoindre Ruziba. La course prendra environ 30 min, le temps d’un aller-retour marché de Musaga-marché de Ruziba. A 16h, il a sur lui 4500Fbu. « Dans les conditions actuelles de travail, un versement presque suffisant », se targue-t-il fièrement. En bon père de famille, il veut encore se dépenser avant de terminer sa journée. « Ma femme est enceinte du 2 ème enfant et je n’ai pas encore acheté les habits pour le bébé. Je dois trimer pour rassembler tout le nécessaire». Il voudrait pouvoir monter tous les mois voir les siens. Mais c’est difficile. Il épargne durant plus de quatre mois avant de retourner au village. Gaspard a des rêves. Il se voit troquer son tablier de taxi-vélos pour devenir conducteur de taxi-voiture. Malheureusement, fulmine-t-il, le prix du permis de conduire est très élevé. Avant de se raviser souriant: «Au moins, grâce au métier, je ne suis pas un voleur. » 17h45.Gaspard pédale déjà pour rentrer. Après 18 heures un conducteur de vélo encore sur la route est passible d’une amende oscillant entre deux et trois mille francs burundais. « Une journée bien remplie », se dit Gaspard avec fierté, mais en pédalant plus vite pour aller mettre à l’abri le fruit de son dur labeur. Hervé Mugisha

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NOTRE DOSSIER

Pédaler pour presque rien Trente mille personnes exercent ce métier . Avec les taxes et autres contributions, ils disent qu’ils ne gagnent presque rien.

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elon Emmanuel Nimbona, représentant légal de l’association Solidarité des taxi-vélos du Burundi (Sotavebu), ils sont plus de 12 mille en mairie de Bujumbura. D’après lui, la zone d’action des conducteurs de taxi-vélo se limite dans les quartiers périphériques du centre-ville : « L’Avenue de l’université au nord, le Pont Muha au sud, le boulevard du 28 novembre à l’ouest et l’Avenue Yaranda à l’est.» Cette délimitation ne facilite pas le travail des taxi-vélos. Elle réduit leur revenu, déjà modeste. Juvénal Ndayiragije qui exerçe en zone Nyakabiga témoigne : « Je ne peux pas transporter des clients qui passent par le centre-ville.» Selon ce conducteur, une course coûte en moyenne 500 Fbu. « Le prix d’une course varie entre 200 Fbu et 1000 Fbu.» Son revenu journalier oscille autour de 1000 Fbu. « En moyenne, je gagne 3500 Fbu par jour. Mais je dois verser 1000 Fbu à mon patron. » Sans oublier qu’il doit prendre au moins trois repas par jour car son métier demande beaucoup d’énergie.

Que des problèmes Les conducteurs des taxis-vélos ont plusieurs griefs : des taxes « exorbitantes » des participations obligatoires aux marche-manifestations du parti au pouvoir et les travaux communautaires. La limitation de la zone de travail ne leur plait pas du tout. Ils déplorent aussi les heures de travail qui ont été revues à la baisse. « Nous ne savons plus quoi faire. Acheter un gilet de 13 mille Fbu alors que nous gagnons à peine 1000 Fbu par jour, c’est un casse-tête !», se lamente Pierre Kwizera, un taxi-vélo croisé tout près du marché de Ngagara. Il témoigne qu’une chasse à ceux qui ne le portent pas se fait régulièrement par des contrôleurs de la Sotavebu et la police. « Ceux qui sont attrapés sans gilet voient leurs vélos confisqués et sont obligés d’aller immédiatement se procurer le gilet.» En plus, ils doivent également payer une amande de 5000 Fbu pour récupérer leurs vélos. Ce conducteur demande que le prix du gilet soit revu à la baisse. Jean Nzopfabarushe, un autre conducteur de taxi-vélo exerçant à Bwiza indique que les recettes générées par la vente des gilets 8

Des conducteurs de taxis-vélos lors d'une marche-manifesfestation

sont acheminés vers la Sotavebu et dans les caisses de la mairie. Là où le bât blesse, la Sotavebu fixe unilateramnt les prix des documents exigés. Ce quadragénaire affirme que faute de moyens, certains conducteurs de taxi-vélos ne peuvent pas se procurer un gilet. « Pour survivre, ils n’ont d’autre choix que d’exercer dans l’illégalité.» Mais cette tricherie peut coûter cher. « Une fois attrapés, ils payent 2000 Fbu d’amendes par jour» alors que les recettes journalières des conducteurs de taxi-vélos oscillent autour de 2000Fbu. Jean Claude Kwizera, un conducteur de taxi-velo exerçant à Buyenzi, déplore les impôts et les cotisations exigés par la Sotavebu et la mairie. Surtout les contributions journalières de 100 Fbu qui vont dans les caisses de la Sotavebu. « A ces contributions s’ajoutent les frais de stationnement de 2000 mille Fbu perçus mensuellement par la mairie et les frais d’exploitation des parkings de 1000Fbu par tête et par an. » Avant de lâcher : «C’est dur, dur d’être taxi-vélo.» Pascal Nzirubusa, un autre conducteur de taxi-vélo déplore lui les documents exigés aux conducteurs de taxi vélos. Il évoque notamment la plaque d’immatriculation dont le coût s’élève à 10.000Fbu. « Cette dernière est délivrée par la Sotavebu.» La Sotavebu fixe unilatéralement les montants. M. Nzirubusa souligne que chaque conducteur doit se munir de la carte de membre de la Sotavebu. « Son coût : 3000 Fbu et sa durée de validité est d’ un an seulement.»

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Interrogé, Jean-Bosco Bucumi, chef de département de transport en mairie de Bujumbura, indique que la municipalité n’a aucune responsabilité dans la fixation des prix des gilets et des plaques d’immatriculation. Il affirme que les taxi-vélos ne sont pas gérés par l’administration, mais par leur association, la Sotavebu. Le président de la Sotavebu, Emmanuel Nimubona, lui soutient que le port du gilet a été décidé par la police spéciale de roulage en 2016. C’est surtout pour la sécurité des clients des taxis-vélos. « Le gilet comporte un numéro, ainsi tout conducteur sera facilement identifiable.» Chaque fois que le gilet est déchiré, le conducteur est obligé d’acheter un autre. Sinon, il risque des sanctions. Notamment une amende de 2000 Fbu. Toutefois, il nie que les recettes générées par les ventes des gilets et des plaques d’immatriculation vont dans les caisses de la Sotavebu. Selon lui, ces recettes vont dans les caisses d’une autre association. Mais, il ne révèle pas son nom. « Le rôle de la Sotavebu se limite au contrôle des conducteurs de taxi-vélos s’ils portent ou non le gilet.» Paradoxalement, la vente des gilets et des plaques d’immatriculation se fait dans les locaux du siège de la Sotavebu sis au quartier industriel. Le responsable chargé de la vente affirme qu’il travaille pour le compte de la Sotavebu. Et il précise que les recettes provenant des ventes vont belle et bien dans les caisses de la Sotavebu.


NOTRE DOSSIER

La coupe est pleine pour les taxi-vélos Obligés de participer aux travaux communautaires et aux manifestations du parti au pouvoir, les conducteurs des deux-roues se disent « excédés. » Un bon nombre d’entre eux affirment qu’ils sont contraints de participer à ces activités sur ordre de leurs chefs de parkings. Ces derniers exécutent à leur tour l’ordre des responsables de la Sotavebu. Ezéchiel Hakizimana, un conducteur de taxi-vélo dénonce ce caractère obligatoire. « A la fin de chaque séance, les responsables de la Sotavebu nous donnent un papier en guise de preuve de participation. Si tu es attrapé sans ce document, tu dois payer une amende de 5 000 Fbu .» Avant de confier qu’il ne gagne même pas cette somme par jour.

Il y a aussi ce cahier de contrôle. Son prix est 300 Fbu. Après chaque séance, une signature y est apposée. « Un conducteur attrapée sans cette signature doit payer cinq mille Fbu. C’est à peine que nous gagnons 3 000 Fbu par jour. Nous devons manger, payer le loyer… et voilà une autre charge !», déplore un conducteur de taxi-vélo rencontré dans un parking de la commune Muha. Certes, il comprend la nécessité de rendre la ville propre mais pas au détriment de certains métiers « Et pourquoi nous seulement? Les autres n’ont pas de bras pour travailler ? »,s’emporte-il.

Pas une obligation, une nécessité Le président de la Solidarité des taxi-vélos du Burundi (Sotavebu), Emmanuel

Nimbona, affirme que la participation des conducteurs aux travaux communautaires n’est pas obligatoire. Mais, selon lui, chaque Burundais a le devoir d’assurer la propreté dans sa localité. Parfois, reconnaît-il, l’association appelle les conducteurs des taxis-vélos à participer aux travaux communautaires. Ils doivent alors tous répondre à l’appel. « Il faut soutenir la décision du président de la République qui a instauré les travaux communautaires. » Mais Nimbona trouve injuste que les uns travaillent tandis que les autres dorment ou gagnent de l’argent. « C’est pourquoi cette somme de 2000 Fbu est payée comme amende par ceux qui n’y ont pas participé.» Concernant leur mobilisation aux manifestations du parti au pouvoir, M. Nimbona indique que cette question est du ressort « de l’organisateur. » Parfait Gahama

Les comptes de Vianney Difficile de savoir combien gagne vraiment un conducteur de taximoto. Avec le coût des documents, les amendes, le manque de carburant parfois, les revenus sont tellement incertains

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ifficile de faire les comptes. Nous avons essayé avec Vianney (prénom d’emprunt). Mardi 16 janvier. Il est 11h20, au parking Ntahangwa nord. Il est tout en sueur. Il tourne dans le parking sur sa moto, hèle des piétons qui partent vers le nord de la capitale. Il accepte de nous parler . Tout d’abord, pour lui ce n’est pas un métier. C’est un « calvaire ». Vianney, 31 ans, est licencié de la Faculté des Sciences de l’Université du Burundi. Cela fait trois ans déjà qu’il vit ce « calvaire ». Après ses études, M. Vyingoma n’a pas trouvé du travail. Il s’est essayé au commerce sans succès. Une chance. Il a rencontré un «patron» qui lui a confié une moto. Avec son engin, de 6 heures à 18 heures (heures légales), il dit qu’il peut gagner 30.000 Fbu . De ce montant, il doit déduire 10.000 Fbu comme « versement » quotidien à son patron propriétaire de la moto. Pour gagner 30.000 Fbu, cela suppose que la moto a vraiment roulé, il faut retirer au moins 13.000 Fbu pour le carburant. Le soir, le lavage de sa moto lui coûte 1000 Fbu et 500 Fbu pour le veilleur de nuit au parking. «En moyenne, il me reste autour de 4.000 Fbu par jour» conclut-il, triste. La restriction d’exercer en ville a été le coup de grâce.

Des motards au parking

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NOTRE DOSSIER «Avant, je pouvais garder au moins 8000 Fbu après toutes les charges.» Marié et père d’un enfant, il loue une maisonnette dans la zone de Kamenge pour 25000 Fbu. Vianney dit que « ce n’est pas une vie ». Chaque jour, les motards sont « exposés à de lourdes amendes, on n’y peut rien, en fait on travaille à perte ». Avec les policiers en tenue, en civil, c’est un jeu de cache-cache. En effet, accuse t-il, les policiers abusent de leur autorité en extorquant des pots-de-vin. Des policiers en civil arrêtent les motards n’importe quand et n’importe où. La hantise de tous les motards est de se faire confisquer sa moto par la police. Les motos saisies sont confisquées pour longtemps, parfois plus d’une semaine : « Tout ce

temps d’inactivité est mortel pour nous.» Ceci explique les courses poursuites entre la police et les motards que l’on voit parfois dans les rues de Bujumbura. Il arrive même que des motards poursuivis par la police fassent des accidents mortels… Visiblement écœuré, le licencié en sciences qui tente de survivre avec sa moto dénonce la passivité de l’Amotabu. « Il reviendrait à notre association d’intercéder pour nous, de nous défendre, ce qu’elle ne fait pas. », lâchet-il.

Fatigue extrême Tous les jours, vers 13h, Vianney fait sa pause. A cette heure-là, il y a peu de clients. Vianney va alors dîner à ‘‘Kukabasazi’’,

derrière la Ntahangwa. C’est là que le menu est abordable. De la pâte de manioc et du haricot. 1500 Fbu l’assiette. D’après lui, un motard devrait avoir droit à trois repas au moins par jour. Le travail demande des forces. «Malheureusement, ce n’est pas le cas. »Vianney dit que ce « régime alimentaire insuffisant et déséquilibré » est à l’origine des maladies chez de nombreux motards. D’après lui, il y en a qui meurent de la pneumonie à cause du vent auquel ils font face toute la journée. Tous les soirs, il rentre à Kamenge épuisé, et retrouve sa famille pour le souper. Il dit qu’il est « fatigué, mais n’a pas le droit de tomber malade ». La survie de sa famille dépend de lui, complètement. Édouard Nkurunziza

« La paperasse va nous tuer » De nombreux documents et taxes sont exigés aux motards. Ils sont unanimes pour dire qu’ils n’en peuvent plus.

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vec ou sans documents, le taxi-moto n’est jamais en règle face à un policier. L’essentiel, c’est la disponibilité des billets de banque ». C’est ainsi que V.N, un motard du nord de la ville résume la situation. D’après lui, la liste des documents exigés par la police est longue : la carte d’assurance, le contrôle technique, la carte rose, l’autorisation de transport, etc. Il y’a aussi la taxe municipale de 7500 Fbu par trimestre et les frais de stationnement estimés à 5000 Fbu par mois qui fait bondir les motards. Pour eux, c’est un vol : « C’est injuste de nous demander de verser une telle somme, alors que les motards n’ont aucun parking.» Les motards dénoncent aussi les frais d’assurance. Ils varient, d’après eux, entre 60.000 et 70.000Fbu. Mais ils couvriraient seulement l’achat des pièces de moto et les soins de santé pour le client en cas d’accident. Tous les motards dénoncent les sommes exorbitantes qu’ils payent pour pouvoir circuler librement. «25000 Fbu et 30000 Fbu sont les sommes respectives pour des gilets d’ immatriculation et des casques.» Depuis 2008, ils ont changé de gilets trois fois de suite. «Et chaque fois que les gilets changeaient, une nouvelle couleur définissait chaque commune». Trois fois, trois paie10

Des taxis-motos au parking

ments, accusent-ils. Et disent ignorer la destination de tout cet argent. Accusés d’avoir trempé dans des attaques à la grenade en 2015, les taxis-motos sont interdits au centre-ville. Les ponts qui séparent la ville et les différents quartiers leur servent de limite. Or, c’est dans le centre de Bujumbura qu’ils gagnaient beaucoup d’argent. Abdul Habonimana, un taxi-motard résidant au quartier Mutakura en commune Ntahangwa, dit que ses recettes quotidiennes ont chuté de moitié depuis que le centre-ville leur a été interdit. « Ce transport n’est plus rentable ». Leur métier dans les quartiers périphériques ne rapporte pas. Surtout qu’ils sont interdits de circulation de 18h à 6h du matin. Si le gouvernement veut de l’argent, qu’il retire « les restrictions en vigueur» , disent plusieurs motards. L’Amotabu, leur association qui devrait les protéger est aussi dans le collimateur des motards. Elle est accusée de prélever

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de lourdes cotisations. Contacté, le président de l’Amotabu, reconnaît que chaque membre doit avoir une carte d’identification qui coûte 10.000Fbu. En plus, il doit s’acquitter d’une cotisation de 700Fbu par jour. Pourtant, accusent les motards, l’Amotabu intervient seulement pour les funérailles en cas de décès. Les motards affirment également qu’ils sont contraints de participer aux travaux communautaires ou aux manifestations du parti au pouvoir sur ordre de leurs chefs de parkings. Après les manifestations ou les travaux communautaires, chacun reçoit un reçu qui leur permet de circuler librement le reste de la journée : «Si la police t’attrape sans ce fameux papier, la moto est confisquée », raconte Adelin, un motard rencontré près de la station Top One. Chanelle Irabaruta


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SOTAVEBU ET AMOTABU

Anges gardiens ou Ames damnées Ces deux associations disent défendre les droits des conducteurs des taxisvelos et taxis-motos. Des balivernes !Rétorquent les concernés qui ne sont pas du tout satisfaits.

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dentifier les taxi-vélos, les valoriser et aider dans le respect de la loi », tels sont les objectifs poursuivis par les fondateurs de l’association Solidarité des taxi-vélos du Burundi (Sotavebu), selon Emmanuel Nimubona, son président. Ses activités ont commencé en 2002, mais elle a été agréée le 25 juillet 2005. D’après lui, pour être membre, tout commence au niveau du parking : « Toute personne pratiquant ce métier doit se faire enregistrer chez le chef du parking. Pour cela, un paiement des frais d’entrée sans reçu, une pratique dite (urwinjizo) . Une somme d’argent consommée par les membres du parking.» (En boissons, NDLR) M. Nimubona précise qu’il revient alors au chef du parking d’informer ses supérieurs au niveau de la zone et de la commune. A leur tour, ils donnent le rapport au président de la Sotavebu pour l'enregistrement de ce nouveau membre. « Nous lui donnons alors la carte de membre moyennant un paiement de 3000Fbu. » Une cotisation quotidienne journalière est fixée à 100Fbu, soit 600Fbu par semaine. Les dimanches ne sont pas comptabilisés, nuance-t-il. Aujourd’hui, le président de la Sotavebu confie qu’au niveau national, cette association compte plus de 30 mille membres, dont plus de 12 mille, dans la mairie de Bujumbura. En cas de maladie ou d’hospitalisation d’un membre ou de ses proches, il affirme que cette organisation se charge de payer les frais de soins de santé à hauteur de 30% pour le membre, son épouse et ses enfants. Sur présentation des factures valables. « En cas d’arrestation ou de saisie d’un vélo d’un membre par la police, c’est le chef du parking qui nous informe. Et nous, on se charge des démarches pour sa libération et la restitution de son vélo.»

Emmanuel Nimubona : « Toute personne pratiquant ce métier doit se faire enregistrer chez le chef du parking »

"Valoriser" et "protéger" les taxi-vélos M. Nimubona signale que des réunions d’échanges sont organisées avec les responsables policiers, les conducteurs des taxi-vélos afin que la collaboration soit bonne. Quand un membre de la Sotavebu meurt, l’organisation se charge des funérailles. « Beaucoup de nos membres viennent des provinces. Et quand la mort survient, souvent leurs familles ne trouvent pas les moyens financiers pour venir à Bujumbura », explique-t-il. Il précise que dans certains cas, l’association s’adresse à l’administration communale d’origine pour contribuer dans l’enterrement. Il donne l’exemple de l’administrateur de la commune Kirundo qui, récemment, a donné 50 milles pour l’inhumation d’un conducteur de taxi-vélo originaire de sa commune. Pour mettre en place des organes dirigeants, il fait savoir que dans chaque parking, il y a un comité de sécurité de cinq personnes. Et ces dernières se réunissent pour choisir cinq représentants zonaux, qui, à leur tour, élisent les représentants communaux. D’après lui , dans les provinces, ce sont ces derniers qui choisissent le représentant provincial. Rénovat Ndabashinze

« Un vol organisé »

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omment est-ce qu’une personne qui ne pratique pas notre métier peut défendre nos intérêts ? », réagit I.P, un conducteur de taxi-vélo de Bwiza, approché par Iwacu. Ce jeune homme, la trentaine, trouve que les fondateurs de la Sotavebu ont trouvé une façon de s’enrichir : « C’est tout simplement un vol organisé.» Il s’insurge contre le caractère obligatoire d’entrer dans cette association. « L’entrée dans une association devrait être volontaire mais dès que tu commences à pratiquer ce métier, on t’oblige de cotiser par jour et d’avoir une carte de membre. » Ce qui est plus révoltant, critique-t-il, en cas d’accidents, de vol d’un vélo, … l’association promet d’intervenir. « Mais au finish, c’est le concerné qui doit se débrouiller. » Pour lui, l’intervention n’est pas rapide et dans certains cas comme la mort, la maladie, … elle n’existe presque pas. R.N.

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NOTRE DOSSIER

Amotabu : pour mettre fin à l’insécurité et le désordre Agréée en 2005, l’Amotabu (l’association des motards taximen du Burundi) est née pour mettre fin au grand désordre et à l’insécurité qui régnait dans le secteur . L’association veut redorer un métier qui peut faire vivre des familles.

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’après son président, Jadot Nzitunga, par le passé, les motards étaient battus, volés, voire tués par leurs clients. L’Amotabu est le résultat d’une restructuration de l’ancienne association tombée dans l’incapacité de gérer les motards. D’après toujours le président , cette ancienne association était très mal gérée sur le plan financier. « Arrivé à la tête de l’Amotabu, je me suis retrouvé avec un compte totalement vide. » Les missions de l’Amotabu sont louables. Ainsi, l’association veut éradiquer le désordre. « Nous voulons que les motards travaillent tranquillement sans qu’ils soient tout le temps victimes d’une chasse à l’homme par la police. » Le souci de l’Amotabu est de voir ce métier développé comme dans d’ autres pays. Ailleurs, explique le président, un motard peut avoir une vie décente. Mais au Burundi, il peut travailler plusieurs années sans arriver à bien gagner sa vie. L’Amotabu veut donc former et sensibiliser les motards sur la loi qui les régit. Un motard doit savoir qu’il ne peut pas conduire sans permis et sans tous les autres documents. Ces manquement seraient à l’origine de cette chasse à l’homme dont ces conducteurs sont parfois victimes.

Quid des avantages ? Le président de l’Amotabu cite quelques avantages dont jouissent les membres de l’association. Lorsqu’un motard est arrêté par la police ou que sa moto est confisquée, l’association s’informe des motifs de son arrestation. « Si l’on trouve qu’il est lésé, nous plaidons pour sa libération. » De surcroît, un motard qui a la carte de l’Amotabu ne paie pas le stationnement. 12

Pour le président de l’Amotabu, l’association a été créée dans le but de mettre fin au désordre.

Cette association est ouverte à tous les motards. Il suffit d’acheter la carte de membre qui coûte 10 mille Fbu. Chaque motard cotise 500 Fbu par jour, selon M. Nzitunga. Il souligne que bientôt, l’association va fournir à ses membres une assurance maladie. Le motard ne prendra en charge que

Un motard déçu…

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encontré sur un parking de la commune Muha, un motard ne cache pas sa déception. « Je suis membre juste pour sauver ma peau ! » Il confie qu’il a intégré l’association pour se joindre aux collègues. Aujourd’hui, témoigne-t-il, tu ne peux pas travailler tranquillement si tu n’est pas membre de l’Amotabu. Ce motard affirme qu’ils payent une cotisation de 700 Fbu par jour au lieu des 500 Fbu avancés par le président de l’Amotabu. D’après lui, ils étaient évidemment censés payer 500 à Fbu. « Pour nous, cette différence de 200 Fbu est une grande somme vu ce que nous gagnons par jour. » Ce motard n’y va pas par quatre chemins : « L’association ne nous aide en rien. » Quand la police les arrête, l’Amotabu n’agit pas, contrairement aux dires du président… C.S.

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20% des soins. L’association veut que tous les motards soient membres pour plus de sécurité. « Cela va être une obligation. » L’Amotabu est en plein recensement sur tout le territoire. Elle a déjà recensé 3500 motards. Clarisse Shaka


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Taxis-voitures, ce n’est pas la joie non plus ! Trop de documents exigés pour les taxis-voitures : un casse-tête Trop de documents exigés, des routes quasi impraticables, pénurie et hausse intempestives du carburant, autant de problèmes auxquels sont confrontés les chauffeurs des taxi-voitures. Iwacu va à la rencontre d’un des chauffeurs.

L

es documents exigés sont nombreux et coûtent cher », se lamente Déo Nduwimana, taxi-man rencontré près du parking de « Kira Hospital». Ces documents sont délivrés par différents services. Mais la plupart, explique-t-il, par le ministère des Finances et la municipalité de Bujumbura. D’emblée, M.Nduwimana parle d’une carte d’assurance payée 73 mille Fbu par trimestre à la Socabu. La carte rose délivrée par le service de l’impôt du ministère des Finances moyennant paiement de 40 mille Fbu, une fois pour toutes, à l’Office burundais des recettes (Obr). Le document porte toutes les caractéristiques du véhicule. Il y a, poursuit-il, un document attestant le contrôle technique fait chaque trimestre à l’Office de transport en commun (Otraco) moyennant un paiement de 8820 Fbu et 20.000 Fbu à l’Obr. Ensuite, il évoque l’autorisation de transport qui revient à 2000 Fbu par trimestre. L’autorisation de parking délivrée par la Mairie de Bujumbura payée à 15.000 Fbu par mois. Enfin, la carte municipale délivrée par la Mairie qui coûte 4500 Fbu par mois. « Se procurer et payer tous ces documents amenuise nos ressources », déplore le taximan. Il demande aux autorités habilitées de revoir à la baisse les prix et le nombre de ces documents pour alléger leur fardeau.

D’autres défis……. M. Nduwimana énumère d’autres problèmes rencontrés dans son travail. Il y a surtout les tracasseries avec la police. Cette dernière vérifie à tout bout de champ les documents exigés. En cas de manque d’un document, explique-t-il, une amende de 20.000 Fbu est payée à l’Obr en guise de sanction. L’autre problème, crucial, précise le taximan, est le manque de clients. Par ailleurs, la plupart des routes sont en mauvaise état dans différents quartiers

Déo Nduwimana : «Les documents exigés sont nombreux et coûtent cher »

de la capitale Bujumbura. « Nos véhicules s’usent rapidement » Enfin, la pénurie et la hausse répétitives du carburant les incitent à rehausser le prix ce qui fait fuir les rares clients. Les clients, déplore-t-il, préfèrent emprunter d’autres moyens de transport moins onéreux. « Nous travaillons à perte.»

Un métier différent des autres. « Contrairement aux taxi-vélos et taxi-motos, nous sommes autorisés à circuler partout dans la capitale de Bujumbura 24 heures sur 24 heures », se réjouit M. Nduwimana. Il indique que le nombre de taxi-man n’est pas bien connu. « Nous ne sommes pas enregistrés dans aucune association». Mais, précise-t- il, chaque taxi-man a son propre

parking. Préféré. Ainsi, le « sien », celui de « Kira Hospital compte environ 20 taximan». Une simple course coûte entre 2000 et 2500 Fbu. D’après lui, le coût des autres courses dépend de la distance à parcourir ou de l’entente avec le client. « Nous n’avons pas de gilets », dit Déo Nduwimana mais chaque taxi-man a un badge. « Chacun a payé 5000 Fbu pour s’en procurer ». Il signale qu’un taxi-man qui n’est pas enregistré sur un parking ne peut y stationner. « Néanmoins, il peut y prendre un client à condition de ne pas y retourner.» Interrogés sur le coût des plaques, Déo Nduwimana indique qu’elles sont délivrées par le service de l’impôt du ministère des Finances. « Nous payons 100.000 Fbu à l’Obr pour s’en procurer ». Félix Haburiyakira

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Tuk tuk : Travailler au-delà de 19h Même si des tracasseries ne manquent pas, ces motos à trois roues semblent mieux lotis que les taxis-vélos et taxis-mots. Leurs conducteurs voudraient travailler toute la nuit.

A

u parking des tuk tuk, situé au marché dit du cotebu dans la zone urbaine de Ngagara, Jean Ndaruzaniye, un des conducteurs de ces motos à trois roues attend des clients, les uns sortant du marché et d’autres descendants de l’intérieur du pays. Il est 9 heures du matin.Ndaruzaniye est garé à ce parking et cause avec quelques collègues. Cinq autres tuk tuk sont là aussi à attendre. Avec un sourire qui ne le quitte pas d’ailleurs, il dit qu’il vient de passer 20 minutes à attendre après une course. «Je viens de déposer une cliente au quartier Rohero». Ce n’est pas sa première course , son premier passager il l’a déposé dans la zone Kamenge . Il confie que chaque course qu’il effectue coûte entre 2000 Fbu et 5000 Fbu selon la destination du passager. Ce conducteur de tuk tuk de longue date déplore qu’ils sont obligés de faire des détours pour atteindre certains endroits «lorsqu’ on emmène un client à Musaga par exemple, on doit passer par l’avenue du 28 novembre. On ne peut pas emprunter la route du centre ville passant devant l’ex hôtel Novotel, voie plus directe.» Jean Ndaruzaniye, marié et père de 2 en14

fants, dit qu’il peut gagner près de 5.000 Fbu par jour et un versement au propriétaire du tuk tuk entre 25.000 et 30.000 Fbu par jour. «Avec 20% de ce versement que je touche à la fin du mois, je parviens à faire vivre convenablement ma famille, je ne me plains pas du tout. Je mange trois fois par jour». Vers 13 heures, Jean Ndaruzaniye cherche quelqu’un pour le remplacer ,«un piquet» comme ils disent dans leur jargon. Pour lui, c’est l’heure de se restaurer afin de récupérer des forces. «Dans notre métier, il faut prendre soin de soi sinon, il y a un grand risque de tomber malade. Conduire un tuk tuk, c’est un travail fatigant et exigeant.»

«Il vaudrait mieux qu’on travaille tard dans la nuit» Jean Ndaruzaniye aimerait qu’on prolonge les heures de travail. Cela lui permettrait de gagner plus «J’ai plein de projets pour améliorer les conditions de vie de ma famille. J’aimerais avoir ma propriété ici à Bujumbura. Pour le moment, je suis juste locataire». Il ne comprend pas le couvre-feu qui leur est imposé .« On travaille jusqu’à 19 heures,

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pourquoi on ne nous donne pas le droit de prolonger,d’autant plus que nos tuk tuk sont équipés de feux pour l’éclairage de nuit». Cette décision d’écourter les heures de travail a été prise en 2015 lors de la crise qui a secoué le pays «Avant la crise on travaillait tard la nuit. On ne cesse de nous dire que la paix règne dans le pays, on devrait alors revoir cette décision et nous laisser travailler même la nuit comme on le faisait avant la crise» Ce conducteur de tuk tuk dit qu’il perd beaucoup de temps lors de l’acquisition des documents exigés pour les tuk tuk (assurance, contrôle technique et la taxe communale ainsi que le document sur le stationnement.) Jean Ndaruzaniye regrette aussi qu’il doive faire la queue à la banque une fois par mois pour payer les frais de tous ces documents notamment les frais pour le stationnement de la mairie . « Il faut être en ordre, si tu veux éviter les ennuis avec la police routière». Lui dit qu’il est en règle, car il veut bien retrouver sa famille le soir et clôturer sa journée chargée en leur paisible compagnie. Eliane Irankunda


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Se lever très tôt, le seul choix

FOCUS

L’école appartient à ceux qui se lèvent tôt Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt dit l’adage. L’école aussi. Du moins quand on habite Kanyosha et qu’on étudie dans le centre-ville. Le cas de Lorraine et d’autres élèves force l’admiration.

C

’est une lève-tôt, Anny Lorraine Irambona. Cette jeune orpheline de 16 ans étudie en 3ème scientifique au lycée Notre Dame de Rohero au centre-ville, se lève tous les matins à 5 h 30. Elle et son frère élève au lycée Tanganyika n’ont pas le choix, s’ils veulent être à l’heure et éviter les queues du matin : ils doivent être à l’arrêt bus à 6 heures. D’après elle, 6 heures est le moment idéal pour ceux qui se déplacent en transport en commun depuis cette zone : «Kanyosha est très peuplée et les

moyens de transport restent casse-tête surtout le matin.» Elle préfère se priver du sommeil. Elle se rattrape les week-ends : « Je fais généralement la grasse matinée. Je reste au lit jusqu’à 7 h 30 quand je n’ai pas rendezvous avec des camarades pour étudier.» A 6 heures, les bus attendent les clients. Il n’y a pas encore beaucoup de passagers, « exceptés d’autres élèves et étudiants qui ont le même souci que moi», glisse-telle. A cette heure, les lycéens n’ont pas besoin de jouer des coudes. « Après 6h30, c’est la cohue», témoigne-t-

elle. Les bus se raréfient. Fonctionnaires, commerçants, tous ceux qui se rendent au centre-ville se massent des deux côtés de la route, à l’affût du moindre bus. Ils sont prêts à tout pour avoir un siège. « Ils ne font pas attention aux enfants quand un bus se pointe », dit-elle. Anny Lorraine arrive à l’école vers 7 h 20. Elle n’est jamais en retard. « Au cours du premier trimestre, je n’ai jamais eu un retard. En éducation, j’ai eu une note de 60/60», dit-elle avec sourire. Elle est fière, Anny Lorraine . Et elle le mérite. Egide Nikiza

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RENCONTRE

« Les conducteurs se préoccupent plus de l’argent que de la sécurité » Non-respect de la loi, absence de documents, véhicules vétustes, rencontre avec Roger Bankuwugwira, commandant de la PRSR.

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uels sont les grands défis dans le secteur du transport rémunéré en mairie de Bujumbura ? Le grand défi est la vétusté des véhicules. La plupart sont en mauvais état. Il est vrai que l’on a procédé au retrait de certains d’entre eux, mais, au risque de vider le parc automobile, il y a lieu de constater qu’une grande partie des véhicules en circulation sont vétustes du point de vue technique et physique . Un autre problème est lié à l’appât du gain : des chauffeurs qui se préoccupent plus de l’argent qu’ils vont gagner que de la sécurité générale des passagers et autres usagers de la route. Pourquoi les conducteurs des taxismotos sont remontés contre la police de roulage ? C’est un problème assez épineux . Certains conducteurs n’ont pas les documents et ne remplissent pas les conditions exigées pour faire ce métier. Cela nous pose un sérieux problème même si nous faisons un effort pour les ranger du côté de la loi. Quid des taxi-vélos ? C’est un cas particulier car ce mode de transport n’est pas réglementé. Cela veut dire qu’ils ne sont pas assurés. En cas d’accident, les assurances ne peuvent pas intervenir. Mais tous ces transporteurs ont un point commun : ils ont du mal à se conformer à la réglementation. Ainsi , vous pouvez trouver des conducteurs qui engagent leur véhicule sur la voie publique sans aucun document et sans avoir le permis de conduire ! Quels sont les documents exigés pour exercer ce métier? Les plus importants sont quatre : un certificat d’immatriculation qui permet d’identifier le véhicule, appelé carte rose, un certificat de contrôle technique, une carte 16

d’assurance, une autorisation de transport pour le transport rémunéré et bien sûr le permis de conduire qui est une condition sine qua none. Comment la police collabore avec ces conducteurs ? On a la chance que ces gens soient regroupés au sein des associations des transporteurs. C’est un canal assez intéressant quand nous avons un message à transmettre, ces associations aident à ramener ces gens au respect de la loi. Elles ont des sanctions internes. Les auteurs sont sanctionnés avant même que la police n’intervienne. Ces associations jouent vraiment un rôle très important. Leurs membres font partie du comité mixte de sécurité routière. C’est un cadre qui nous permet de gérer beaucoup de problèmes sans qu’on soit obligé de recourir aux sanctions. Avec ces associations, nous avons des échanges sincères et qui apportent une amélioration de la sécurité routière. Les conducteurs accusent la police d’être trop sévère envers eux… Je crois que c’est une fausse impression. Il est vrai que lors du contrôle routier, il arrive qu’ils se plaignent que l’on est un peu sévère, que l’on exige trop d’eux, mais la vérité est que nous ne faisons aucune exception lorsqu’il s’agit du respect de la loi. Nous insistons sur le respect des prescrits du code de la circulation routière notamment le contrôle de l’état physique de leurs véhicules. C’est déjà une perte si une seule personne ou deux sont victimes d’un accident mais c’est encore plus grave lorsqu’il s’agit des transports en commun. C’est

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pourquoi nous sommes très exigeants pour ce mode de transport. Est-ce que des policiers fautifs sont punis ? Bien sûr. Lorsque nos agents se méconduisent, les sanctions vont de 15 jours de cachot à la suspension, voire à la prison ferme. A part ces sanctions disciplinaires, des fois il y a des dossiers pénaux qui sont ouverts. A ce moment même, il y a deux d’entre eux qui sont emprisonnés pour avoir violé les dispositions légales. Comment la police est-elle engagée à combattre la corruption sur la voie routière? C’est un combat de tous les jours et nos supérieurs hiérarchiques sont largement impliqués. Leur instruction est de faire en sorte que ce fléau soit éradiqué. La tentation est grande mais nous faisons beaucoup d’efforts pour juguler ce problème. Ainsi, par exemple deux policiers accusés de corruption sont en prison à Mpimba. Qu’est-ce vous demandez aux conducteurs des transports publics ? Notre plus grand souhait est que ces conducteurs respectent la loi et pensent à leur sécurité,celle des passagers et autres usagers de la voie publique. Ils doivent aussi respecter le prix du transport au lieu de gagner plus au dépend des passagers. Diane Uwimana


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ATRABU

« Le secteur de transport est en faillite actuellement» Le parc automobile des véhicules de transport en commun est très vieux.Selon le secrétaire général de l’ATRABU, la mesure prise en 2008 par le gouvernement et qui interdit l’importation des véhicules de transport en commun dits « main gauche » est la cause principale du problème

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ous les citadins remarquent que les véhicules de transport en commun dans la ville sont en mauvais état. Parfois nous sommes en conflit avec les agents de la police, de l’administration et du Ministère de transport à cause de ça » regrette Ntirampeba. Pour lui, les véhicules de transport en commun au Burundi sont très vieux à cause de la mesure prise par le gouvernement en 2008 interdisant l’importation des véhicules de transport en commun dits « main gauche ». Ainsi, « 10 ans après cette décision, aucun véhicule de transport en commun n’a été acheté, » explique Ntirampeba. Selon lui, les transporteurs du Burundi ne disposent pas de moyens financiers leur permettant d’importer les nouveaux véhicules exigés par le gouvernement. C’est très difficile, voire impossible pour le moment, insiste-t-il. Il affirme que les véhicules « main droite » coûtent énormément cher. A titre d’exemple, un bus de type Coaster «main droite» avec 30 places s’achète à plus de 200 millions de Fbu tandis un Coaster « main gauche » s’achète autour de 50 millions. Pour les bus ‘Hiace’ avec 18 personnes de type « main gauche » ils coûtent entre 20 et 26 millions alors que le même véhicule ‘main droite’ s’achète à plus de 100 millions. Il regrette que le secteur du transport ne soit pas bien rémunéré pour que les transporteurs puissent changer leur charroi. Il accuse le gouvernement de fixer le prix du transport en tenant compte du prix du carburant seulement et d’ignorer d’autres dépenses qui entrent en jeux pour exercer

Ntirampeba, secrétaire générale de l’ATRABU « 10 ans après cette décision, aucun véhicule de transport en commun n’a été acheté.»

ce métier, notamment le prix des pièces de rechange, les lubrifiants, les taxes et impôts. « Le secteur du transport est en faillite actuellement, » déplore Ntirampeba. Il demande au gouvernement de prendre des mesures allant dans le sens positif visant à relever le secteur, comme la réhabilitation des infrastructures publiques. Tous les conducteurs des bus à Bujumbura ou à l’intérieur du pays sont membres de l’Association des Transporteurs du Burundi (ATRABU). Cette dernière regroupe

également les propriétaires des bus, précise Charles Ntirampeba, le secrétaire général de l’ association. « Toute personne physique ou morale opérant dans le transport rémunéré des personnes peut être membres de l’ATRABU quand il le souhaite. » Il fait savoir que chaque conducteur de bus paie 500 Fbu par jour et une somme de 100 Fbu entre dans les caisses de l’ATRABU. Lorraine Josiane Manishatse

L

’ATRABU joue le rôle d’intermédiaire entre le gouvernement et les transporteurs, selon Ntirampeba. Il se réjouit que grâce à l’intervention de cette association, tous les conducteurs de bus rémunérés ont eu de nouveaux permis biométriques. L’ATRABU en collaboration avec les conducteurs des bus a créé une caisse sociale qui permet de s’entraider. « Dernièrement, les conducteurs de bus ont payé les médicaments d’un chauffeur de bus qui avait eu un accident, » dit-il. Ntirampeba espère qu’ils vont étendre cette caisse pour faire soigner les membres de leurs familles. « Dans notre plan d’action, nous prévoyons de signer un contrat avec une mutualité santé pour nos membres et leurs familles. » L’ATRABU intervient quand un transporteur connaît un accident et que les compagnies d’assurance semblent être réticentes pour payer les indemnités. Lorsqu’un policier ou un administratif commet un abus envers les transporteurs, l’ATRABU engage le dialogue avec les autorités administratives et la police de roulage pour résoudre le problème rapidement. Cette association aide également le gouvernement à vulgariser des lois ou des mesures prises en matière de la circulation routière, selon le secrétaire général de l’ATRABU L.J.M.

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OTRACO

Que fait le gouvernement pour le transport public L’Office des transports en commun (Otraco) peine à réaliser sa double mission de régulateur et d’exploitant. Ainsi, il n’ y a pas de loi spécifique qui répond aux normes internationales régissant le transport au Burundi. commun. Et cela constitue un grand défi ». L’Otraco recommande la mise en place d’une loi spécifique qui montre clairement le rôle de chacun. « Certains exploitants se comportent comme des régulateurs, une loi spécifique éviterait ce désordre ».

L’ignorance, un autre mal qui paralyse le transport en commun

Albert Maniratunga : « Il y’a un manque d’une loi spécifique répondant aux normes internationales »

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n tant que régulateur, l’Otraco devrait effectuer un contrôle technique pour tout véhicule circulant sur le territoire burundais. Pour pouvoir s’assurer que tout véhicule fait ce contrôle régulièrement. » indique Albert Maniratunga, directeur général de l’Otraco. D’après lui beaucoup de personnes qui ont des véhicules considèrent ce contrôle comme un fardeau alors qu’ils devaient s’en réjouir : « Presque tous les Burundais ignorent l’importance du contrôle technique » M.Maniratunga qualifie le contrôle technique de « medical check up » pour le véhicule et rappelle que ça évite les dangers pour tout le monde : « C’est important pour la sécurité des conducteurs, de leurs clients et la protection des biens publics ». Et de souligner aussi le caractère individuel 18

qui prévaut dans ce secteur ce qui complique la régulation. Il se plaint du manque des sociétés regroupant les agences de transport. «Chacun veut voler de ses propres ailes, ce qui est à l’encontre des conventions internationales», lance-t-il. Le directeur de l’Otraco interpelle le Burundais d’emboîter le pas des autres pays en se regroupant dans des grandes sociétés. Ce qui est d’ailleurs recommandé par l’Union Internationale du Transport en Commun(IUTP) « Qu’il se regroupe en société pour faciliter et renforcer la sécurité routière ». Selon lui, il y’a un dysfonctionnement au niveau du transport. Il regrette le fait que l’autorisation de transport soit aux mains de la direction générale des Transports. « Il existe des bus et des véhicules-taxis qui ne répondent pas aux normes de transport en

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Le directeur de l’Otraco invoque l’ignorance qui prévaut dans le secteur du transport en commun. « Qui lit le Code de la route et conduite de véhicule parmi ceux qui font le transport rémunéré ? » se demandet-il. D’après lui, beaucoup de conducteurs considèrent l’obligation d’avoir des documents comme un fardeau. « Alors que c’est pour leur bien ». Avant d’ajouter que beaucoup de gens préfèrent corrompre la police de roulage au lieu de se procurer des documents. « Ils ignorent qu’un jour ils rencontreront l’incorruptible ». M. Maniratunga évoque aussi que le non transfert des véhicules handicape la sécurité du pays et celle du propriétaire : « Un véhicule non transféré ne peut pas être déclaré même en cas de vol». En tant qu’exploitant, on devrait travailler dans le transport urbain et le transport péri urbain. Afin de servir également le peuple le plus reculé du pays. « Malheureusement l’Otraco rencontre des problèmes». Pour le transport urbain, on n’intervient que pour le renfort suite au manque de véhicules suffisants et appropriés au transport urbain. « Malgré les longues queues d’attente qui s’observent sur différents arrêts bus dans le centre-ville surtout le soir, l’Otraco n’a pas de bus appropriés pour régler ce problème» Quant au transport dans le milieu périurbain, Maniratunga évoque des infrastructures routières qui se trouvent dans un état périlleux. Toutefois, il se félicite du service qu’ils effectuent dans le transport en milieux rural. « Malgré les défis, on parvient à servir la population des points les plus reculés, là où les privés ne peuvent pas aller ». Bella Lucia Nininahazwe


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RENCONTRE

Courtier en assurance, un nouveau métier Le courtage dans le domaine des assurances est nouveau au Burundi. Explications d’Astère Girukwigomba, directeur général de Tanganyika Insurance Brokers

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ue fait le courtier en assurance ? Un courtier d’assurance est un intermédiaire entre les assureurs et les assurés. Il est à la fois le mandataire, le représentant et le conseiller de l’assuré. L’assurance est un contrat entre l’assuré et l’assureur ou l’assuré paie un prix appelé primes d’assurance pour couvrir des risques éventuels. En outre, l’assureur est en position de force par rapport à un seul assuré. Du fait que l’’assureur possède des milliers de clients versant une somme importante de primes. Il peut négliger un seul assuré. C’est là où commence le rôle d’un courtier. Comme il apporte une part importante de clients, il permet à l’assuré de se faire entendre. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le courtier en assurance ne s’occupe pas de vendre des contrats d’assurance. Il tient également à vérifier que l’assureur ne se dérobe pas en cas de sinistre. Il doit s’assurer que le sinistre soit réparé à temps et d’une façon équitable. Les primes d’assurance ne sont-elles pas élevées ? Pas du tout. Les taux d’assurance appliqués sont comparables à ceux de l’Europe. Il y a des catégories de risques qui sont plus élevés que les autres. Pour le transport tout risque, le taux est passé de 15 % en 1977 à 0,5 % à nos jours. Ce taux est très bas. Pourtant, les propriétaires de véhicules de transport de personnes, notamment les taxis, les bus et les minibus, paient des primes plus élevées. Ils paient trois fois plus que les autres catégories. Cela est dû au mauvais état de leurs véhicules et au fait qu’ils causent beaucoup d’accidents. Par conséquent, les sociétés d’assurance dépensent énormément pour soigner les blessés, indemniser les décès et réparer les véhicules. Les assureurs paient-ils les sinistres à temps ? Pas toujours. Les assureurs ne sont pas pressés à payer les sinistres, les assurés peuvent attendre plus de 6 ans. Et ceux qui paient, ils le font

tardivement. Dans leur logique, ils pensent que plus ils traînent, plus leur argent placé en banque génèrera des intérêts. Cependant, les assurés sont toujours au tribunal. Souvent, les assurés sont fatigués et préfèrent abandonner leurs dédommagements. Maintenant, il y a une petite évolution. La concurrence a fait que les nouveaux venus paient très vite pour se faire de la place sur le marché. Lorsque les assureurs tardent à payer les sinistres. Que faites-vous ? Lorsque le risque contre lequel l’assuré a payé se matérialise, nous aidons l’assuré pour être indemnisé. Nous recommandons à l’assureur de payer équitablement et à temps. Certains assureurs acceptent de payer en tranches. D’autres peuvent décider de ne pas rembourser. Dans ce cas, le courtier défend les intérêts de l’assuré. En tant que représentant des intérêts des assurés, d’autant plus que nous sommes propriétaires de leurs portefeuilles, nous résilions le contrat auprès de l’assureur défaillant pour le déplacer dans une autre compagnie crédible. Et nous les poursuivons en justice. Comment alors amener les assureurs à payer ? C’est le rôle de l’Agence de Régulation des Contrôles des Assurances (ARCA) qui doit faire respecter la loi, précisant les délais de paiement des sinistres. Cette agence doit s’assurer que les compagnies d’assurance tiennent leurs engagements vis-à-vis des assurés. Le cas échéant, il doit les sanctionner. Malheureusement, cet organe n’est pas efficace. Propos recueillis par Pierre Claver Banyankiye

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LITTÉRATURE

EDITORIAL

Ne demandez pas l’impossible aux artistes ! Une question me taraude: est-ce qu’à force de vouloir tout « baliser », il n’y a pas risque d’instaurer une ’’pensée unique monocorde’’, se réveiller un beau matin avec une sorte d’inquisition, qui va mettre une croix sur tout ce que l’Establishment n’a pas porté sur les fonts baptismaux ? Le risque de jeter un autodafé, un anathème, sur certaines œuvres est là. Dans ma quête pour comprendre, j’ai approché certaines autorités, des analystes, journalistes chevronnés, des observateurs, j’ai contacté des producteurs, des musiciens, des jeunes comme des « vieux »., Ceux-là qui ont tant vu et tant vécu, depuis les régimes autocratiques à l’avènement de la démocratie. S’il est un point sur lequel tout ce beau monde converge, leur dénominateur commun, c’est que certaines créations littéraires ou artistiques acceptées ou tolérées hier, passent très mal ou plus du tout aujourd’hui. C’est une terrible régression. Les Burundais s’accommodaient bien des chansons iconoclastes, ces mots un peu « dards », parfois quasiment des pamphlets. Certaines chansons deviendront même des

cris de ralliement lors de la contestation en 2015. Il faut dire qu’aucun artiste n’a été sollicité pour donner son feu vert à la reprise de ses œuvres. A travers leurs chansons, les artistes vont se retrouver acteurs, malgré eux, d’un mouvement de contestation. Les représailles seront terribles envers les artistes, surtout ceux dont les chansons étaient « utilisées » pendant la période

des manifestations, ils seront contraints à l’exil. Aujourd’hui, des artistes, il ne reste plus que des courtisans, « des griots » pour vilipender les ’’ennemis’’, chanter les hauts faits, vanter la bravoure des autorités. ’’Honni soit qui mal y pense’’. Ceux qui ont refusé de troquer leur muse, s’en sont allés crier ailleurs, loin. Mais est-ce que l’on ne demande pas finalement l’impossible à l’artiste ? Se taire, ne rien voir ou entendre. Quand le pays est à feu et à sang, l’artiste peut-il être sourd et aveugle ? Cela rappelle les ''singes de la sagesse'', les trois figurines de singes, le premier se bouchant les oreilles, le deuxième se couvrant les yeux et le troisième mettant ses mains sur son museau. Depuis la nuit des temps, les artistes se sont inspirés du beau temps certainement, mais la guerre, le mal, la détresse ont inspiré romanciers, poètes, et autres chanteurs. Au Burundi ou ailleurs, il est impossible de ne parler que du beau temps quand ’’mon pays va mal’’ comme dirait l’autre star ivoirienne, Tiken Jah Fakoly. Abbas Mbazumutima

BURUNDI/MUSIQUE

S’engager ou dégager

Une chanson, c’est d’abord et surtout des mots. Et les mots ne font pas toujours plaisir. Dans les pages littéraires de ce début d’année, Iwacu s’interroge et donne la parole aux artistes, aux autorités. Une question essentielle se pose : Peut-on (encore) écrire, chanter librement au Burundi ? On laisse le lecteur tirer sa conclusion. 20

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Victimes du «Halte au 3

ème

LITTÉRATURE

mandat» ?

Plusieurs chanteurs figurent parmi les milliers de Burundais obligés de fuir le pays. Pour cause : leurs chansons reprises lors de la campagne de contestation initiée par la société civile burundaise.

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ourtant, leurs chansons très variées, avec des thèmes inspirés par la situation prévalant au pays, sont pour la plupart antérieures à la crise de 2015 et rythmaient la vie politique. Comment nous en sommes arrivés là. Un analyste qui préfère garder l’anonymat tente une explication: «Au moment où la campagne de contestation du 3ème mandat pilotée par des associations, très déterminées, bat son plein, ces chansons sont d’actualité et les médias s’en emparent pour accompagner leurs productions radiophoniques». La répression de ce mouvement citoyen, pacifique à ses débuts se durcit et frappe plusieurs leaders ainsi que les voix qui le portent. Bujumbura qualifie «d’insurrectionnel» le mouvement et lance des représailles contre ses ténors. Les chanteurs critiques élevés en

« héros » de cette lutte vont faire les frais de cette répression. Les médias qui diffusent leurs chansons ne sont pas épargnés. Dans le collimateur : Les tubes de Lion Story, groupe emblématique avec ses stars comme Urban et Pacy, le ’’flow’’ du rappeur incisif Thomas Nzeyimana alias Mkombozi et les pamphlets de Prophet’s Voice sont ainsi relayés par les radios comme Isanganiro, RPA (Radio publique africaine), Bonesha FM et la Radio-Télévision Renaissance. Menacés, ces musiciens devenus des ”héros” se retrouvent contraints à fuir le pays. Quand ces médias sont « vandalisés » au lendemain du coup d’Etat manqué du 13 mai 2015, c’est le silence radio sur tout le pays. «D’une pierre, deux coups. Morte la bête, mort le venin», dira un politologue sous anonymat.

Désormais, la seule radio qui renaîtra de ses cendres, Isanganiro est bien écoutée, ses diffusions suivies de près pour éviter toute tentative de récidive. Le Conseil national de la communication, un organe de régulation, et l’Amicale des musiciens du Burundi, entendent désormais mettre au pas tous les chanteurs burundais afin d’éviter toute fausse note. «C’est l’instauration de la “pensée unique” en musique», lâche un journaliste senior, il a connu et vécu le monopartisme. Conséquence. Au pays, témoigne le producteur Freddy Kwizera, alias Botchoum, les productions se font rares. Certaines thématiques ne sont plus abordées comme avant et pour les producteurs, du moins pour ceux qui sont restés au pays, le chômage s’annonce.

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LITTÉRATURE

Lion Story: Exodus L’histoire de ce groupe de reggae aujourd’hui en exil en Ouganda est jalonnée de tracasseries de toute nature jusqu’à la persécution. Leurs textes critiques et leurs messages portés par le reggae fustigent tous les travers de la politique. Ils payeront le prix fort cet engagement.

«On n’est pas contre un tel gouvernement mais contre tous les travers»

P

armi les orchestres phares de reggae au Burundi, il y a ’’Lion Story’’. Ce groupe est constitué de plusieurs chanteurs. Ce n’est pas un bloc compact mais des individualités, des électrons libres. Quand vient la campagne pour la libération de Pierre-Claver Mbonimpa, militant des droits de l’Homme (en prison), une chanson de Lion Story, Rekura Umurasta (libère ce rasta) d’Urbain Bwengenikindi, cartonne sur tous les médias. Son refrain, ’’Rekura iyo ntama’’ (Libère ce mouton. NDLR) est sur toutes les lèvres. «Elle cadre bien avec cette campagne pour la libération du ’’Vieux’’ à telle enseigne que l’on croit qu’elle lui est dédiée. Pourtant elle a été composée longtemps avant ces incidents», commente un journaliste en exil sous anonymat. La chanson Izo mbwebwe, (Ces loups) du même auteur, sera ’’mal accueillie’’ par le porte-parole du parti au pouvoir. Urbain ’’implore Jah pour qu’il sauve son peuple de l’invasion des loups’’. 22

Dans les médias, Gélase Daniel, un des ténors du parti au pouvoir Ndabirabe, fustige le tube. La nervosité est à son comble. Un chauffeur de l’agence Volcano reliant (avant son interdiction) Bujumbura et Kigali, sera incarcéré par les services secrets burundais pour avoir joué cette chanson dans son véhicule. Dans son tube Genda, (pars !) le chanteur Patience Igirubuntu alias Pacy Ngomayantare, s’en prend à tout dirigeant véreux, corrompu, qui ne tient pas à ses promesses. La chanson sera jouée par plusieurs médias pour accompagner la campagne contre le troisième mandat. Son auteur et tout son groupe subit des menaces. Un concert sera même interdit par la mairie de Bujumbura. L’exil s’annonce pour le groupe. Malgré tout, les ’’Lion Story’’ resteront fermes et déterminés à poursuivre leur combat. «Mais la chanson ’’Tuzorutsinda’’ (Nous triompherons, NDLR) est vite reprise par tous ceux qui se sont levés pour

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dire non au président Pierre Nkurunziza. C’est en passe de devenir leur hymne», confie une politologue sous anonymat. Le groupe Lion Story reste marqué par son concert suspendu en août 2013 au Club Vuvuzela, à l’avenue du Large. Les fans sont rentrés déçus par la décision du maire de la ville. Le «tapage nocturne» invoqué ne tient pas. Ils sont convaincus que les arguments avancés cachent autre chose : «Il ne s’agit que des alibis, le fond est politique. On croit qu’on roule pour l’opposition. Faux. On n’est pas sa caisse de résonnance». Ces musiciens affirment que leur message est centré sur la paix, la justice, l’amour, le respect de l’autre, le respect des droits de l’Homme. «Les ’’Lion Story’’ existent depuis plus de 16 ans. On n’est pas contre un tel gouvernement mais contre tous les travers, tout ce qui opprime le peuple. Et ce message va continuer. Il faut éviter toute confusion».


LITTÉRATURE

INTERVIEW

Roméo Sikubwabo : «Nos chansons participent à défendre les droits de l’Homme»

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société. Elle est minée par des problèmes socio-politiques de tout genre et c’est toujours la jeunesse qui en paie un lourd tribut.

: Vos chansons sont aujourd’hui censurées, quel est votre sentiment ? Ce n’est pas étonnant si nos chansons sont censurées dans un pays ou la liberté d’expression n’existe plus, ou les médias supposés diffuser nos chansons ont été vandalisés ou manipulés aujourd’hui. Ceux qui censurent la musique sont ceux qui ont peur que les combines contre la population qu’ils sont appelés à servir soient connues. Nous ne vivons pas cela comme un problème mais plutôt un challenge qu’il faut surmonter en tant qu’artistes engagés. Nous en assumons les conséquences car nous savons que la vérité triomphe toujours.

Q : Comment faites-vous aujourd’hui pour faire passer vos messages ?

Q : Est-ce que les gens ou les medias n’ont pas instrumentalisé vos chansons ? C’est vrai que cela arrive que quelques personnes ou médias ne comprennent pas nos messages et du coup, ils les utilisent dans des mauvais contextes. En même temps si nos chansons sont utilisées pour defendre les droits de ceux qui sont opprimés je n’y vois pas d’inconvénient. Par contre, pour les droits d’auteur, c’est un autre sujet.

Nous chantons pour le changement positif et nos messages visent surtout la jeunesse qui est le futur de ce monde. Si l’utilisation de nos chansons va avec notre vision c’està- dire à conscientiser la jeunesse à prendre son futur en mains, je pense que c’est une bonne chose. Ce que nous voulons, c’est que notre musique contribue à la construction de notre

Ils ont essayé de nous séparer de nos fans mais cela ne peut pas marcher car l’énergie qui nous lie est plus forte. C’est plus que la musique à la radio. Nous sommes en permanence avec eux dans leurs maisons, dans leurs voitures, dans leur bureau et surtout dans leurs cœurs. La musique ne peut pas être bloquée par des frontières physiques, elle n’a pas besoin d’un train ou d’un avion pour arriver où elle doit arriver. Aujourd’hui, la diffusion de la musique ne passe plus qu’à travers la radio ou la télé, il y a maintenant les réseaux sociaux qui sont devenus les meilleurs canaux pour la promotion des artistes. Ceux qui pensent que la musique de Lion Story se limite aux frontières burundaises se trompent car la musique est universelle. Nous continuons et continuerons à assumer notre rôle en tant qu’artistes engagés aussi longtemps que notre vie ou la vie autour de nous continuera à nous inspirer.

Mkombozi : «Pas de démocratie quand le peuple a peur de son gouvernement»

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ême si Thomas Nzeyimana, rappeur burundais en exil au Rwanda, se dit aujourd’hui ’’born again’’, il n’a rien perdu de sa verve, de son verbe, de son sens critique toujours en bandoulière, prêt à dégainer. Il fustige l’intolérance et la censure montantes au Burundi. «Ce ’’comité de censure’’ mis sur pied par l’Amicale des musiciens du Burundi avec l’appui du Conseil national de la Communication vient tout gâcher, notre musique se politise», lâche-t-il. «On dirait que c’est pour protéger et mettre à l’abri la classe politique dirigeante des critiques constructives éventuelles». Fin des fins, cette démarche va échouer. «Il ne faut pas que la population se mette à avoir peur de ses dirigeants. Là, il faut dire adieu à la démocratie. Une mauvaise politique ne paie pas». Après la sortie de son single pimenté

’’Nzeyimana’’, ce rappeur reçoit des menaces. Elles se précisent quand des inconnus tabassent et kidnappent son ami et

colocataire, Bienvenu Bizimana alias Elly’s Boy. Il est laissé pour mort quand ses tortionnaires réalisent que ce n’est pas le chanteur recherché. Dans cette chanson, Mkombozi dénonce, sans détour, les abus, les travers, les tracasseries, l’hypocrisie, l’injustice, la corruption, les tueries. Dans son dernier ’’flow’’, la goutte qui fait déborder le vase, ce rappeur affirme connaître les assassins des trois sœurs italiennes de la paroisse Guido Maria Conforti à Kamenge, au nord de la capitale Bujumbura. (Il s’agit de trois religieuses tuées dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées).NDLR. Mkombozi vivra en clandestinité pendant de longues semaines avant de décider, la mort dans l’âme, de fuir le pays. Mais comme il le dit toujours, il est venu de loin.

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LITTÉRATURE

Prophet’s Voice, comme Jean-Baptiste

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Steven Kezamutima : «Nous ne pouvons pas fermer les yeux face aux injustices commises dans notre pays»

out comme les Lion Story, ce groupe composé de 12 artistes ’’à l’image des apôtres de Jésus’’, cartonnent. A la tête de ce groupe Steven Kezamutima, leader du groupe. Les médias diffusent leurs chansons comme Ntawuhora ku ngoma (Tout régime finit par tomber, NDLR), une allusion au roi Hérode, désemparé quand il apprend la naissance du ‘’’Sauveur’. Il y a également la chanson Ingabo za Farao (L’armée de Pharaon). Elle évoque la déroute de l’armée du pharaon lors de sa poursuite pour anéantir les Israélites conduits par le prophète Moïse. Quelques comparaisons avec la brutalité et les violations des droits de l’Homme consécutives à la répression du mouvement contre le troisième mandat du président Nkurunziza en 2015, sont glissées dans ce tube. L’appel en intro du leader de Prophet’s Voice dans cette chanson, est clair : «Que tout le monde le sache, le canon et la matraque sont sans issue. Nous en avons assez d’être malmenés et persécutés». Dans la chanson Amaherezo ya Babiloni (La chute de Babylon), Steven Kezamutima évoque la CPI comme avant dernière demeure des fauteurs de troubles au Burundi. Leurs chansons devenues célèbres continueront à rythmer plusieurs émissions sur certains médias avant leur destruction en mai 2015. Après une longue période de clandestinité, les membres de ce groupe optent pour l’exil.

CNC : Haro sur la musique… ’’grinçante’’ Lors des manifestations anti troisième mandat, certains médias font une large diffusion de chansons dénonçant les violations des droits de l’Homme. Ce n’est pas du goût du pouvoir. Aujourd’hui, l’autorité chargée de la régulation est en mode ’’alerte maximale’’.

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amadhan Karenga, président du Conseil national de la communication, défend ce qu’il qualifie de droit de regard ou de revoir certaines productions. «J’encourage les producteurs, les réalisateurs et les musiciens à sortir des œuvres qui respectent la déontologie, les règles, les textes doivent être bien soignés, revus. Il faut qu’ils viennent consulter le CNC pour savoir si leurs productions sont diffusables». Au commencement, relate Nestor Nkurunziza, journaliste senior et chef de mission de l’ONG néerlandaise La Benevolencija, il y a les manifestations de 2015 pour contester la réélection du chef de l’Etat Nkurunziza. Mais c’est sur fond de chansons de dénonciation de certains travers tournées en boucle par certains médias dans leur animation libre, ’’comme pour servir une cause’’. «Ils croient accompagner ce mouvement citoyen pacifique à ses débuts. Mais faire passer plusieurs fois ces chansons dans un contexte donné, ces tubes deviennent vite des musiques de combat», affirme ce journaliste analyste. 24

Karenga : «Les productions, les textes, tout doit être revu»

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LITTÉRATURE Selon lui, les chansons des ’’Lion Story’’ comme celles de Tiken Jah Fakoly sont très engagées. Ces artistes n’ont pas leur langue dans leurs poches, ils s’indignent et dénoncent. Cette star ivoirienne aura d’ailleurs le temps, à Goma lors de Festival Amani au mois de février 2015, de sympathiser et de communier avec les ténors de ce groupe burundais de reggae, Lion Story, fait remarquer un journaliste burundais, fan de Tiken Jah Fakoly.

représailles du CNC », fait remarquer ce journaliste senior. Pour Ramadhan Karenga, président du CNC, il est impensable que cet organe de contrôle des contenus médiatiques, laisse les administratifs à la base donnés en pâture. «Là, l’intervention du CNC devient musclée. Toute personne qui se croit lésée par une chanson a le droit de porter plainte au CNC. Ceux qui utilisent telle chanson dans un contexte politique particulier, ont tort». Aujourd’hui, laisse entendre Nestor NkuAlerte ! runziza, journaliste analyste, la plupart des médias sur place n’ont plus dans leur Nestor Nkurunziza rappelle un fait : il répertoire certaines chansons critiques. y a une chanson critique passée à la radio «C’est effacé pour éloigner toute tentative de Isanganiro, autorisée à reprendre ses émisles diffuser». sions après sa destruction au lendemain du Approchés plusieurs journalistes produccoup d’Etat manqué du 13 mai 2015, qui teurs sous anonymat sont catégoriques : Nestor Nkurunziza : fait monter le CNC (Conseil National de la «Il n’y a pas à s’attirer les foudres du CNC ou Communication) sur ses grands chevaux. «Plusieurs chansons sont d’autres services, plus expéditifs». Cette musique où l’auteur affirme que les aujourd’hui condamnées» Nestor Nkurunziza tire ses conclusions : administratifs sont corrompus passent « C’est clair, il y a autocensure. Pourtant cerdans l’émission ’’Karadiridimba’’. Le taines chansons condamnées parlent de droits verdict tombe vite comme un couperet : «Ce programme sera de l’Homme. Mais au vu des événements survenus en 2015, beaucoup suspendu pour plusieurs mois. La diffusion de cette chanson sera de journalistes n’osent plus mettre sur leurs grilles ces chansons. Histoire vue comme une récidive d’un comportement de 2015, d’où les du chat échaudé… ».

Bruno Simbavimbere : «Il y a un comité pour donner une certaine orientation aux musiciens»

Bruno Simbavimbere (devant le micro) : «Censure ? Oui, pour certaines compositions»

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ors de la crise liée à la contestation de l’élection du Président Pierre Nkurunziza en 2015, explique Bruno Simbavimbere alias « Member », président de l’Amicale des musiciens du Burundi taxé de « proche du régime » par

ses contestateurs, des médias exploitent certaines chansons des artistes. «Ces mêmes musiciens ne peuvent pas dire avoir composé telle chanson pour critiquer tel régime mais des abus des manquements comme l’injustice, la corruption et les viola-

tions des droits de l’homme», soutient-il. Au cours de cette crise, dit-il, il y aura mauvaise interprétation. En fait, l’interdiction de certaines chansons sur les antennes des radios ne date pas d’hier. Dans le temps, un grand musi-

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LITTÉRATURE cien, David Nikiza connu sous le «L’artiste en souffrira beaucoup jusqu’à nom de Niki Dave, sera malmené, sa mort», regrette Nestor Nkurunziza, incompris. journaliste senior, chef de mission de Son tube se voit frappé de censure, l’ONG néerlandaise d’appui aux méses concerts annulés alors qu’il ne dias, La Benevolencija. s’agit que d’une chanson d’amour, «J’ai parlé à Mkombozi, j’ai échangé un amour manqué. avec les ’’Lion Story’’, ils n’ont jamais Dans un couplet, un seul mot est dit qu’ils chantaient pour critiquer le mal interprété. Il parle de la ’’comgouvernement mais les médias ont mémoration d’une date, le 4 de pris leurs chansons et les ont exploichaque mois en souvenir de la rentées en leur donnant une autre oriencontre avec sa dulcinée. Mais des tation», fait remarquer Member de gens, probablement des conseillers l’Amicale des musiciens du Burundi. de certaines autorités haut placées, Dans le temps, relate-t-il, les textes Kaka Boney : «On nous a trahis» vont déformer le message originel et étaient bien pensés, on prenait le y lire autre chose. temps de réfléchir. «Aujourd’hui, il Ces courtisans soutiennent que ce y a une équipe composée d’anciens musicien rentré fraîchement d’exil veut plutôt évoquer les souvenirs musiciens et même des journalistes pour revoir la composition sombres des événements sanglants du d’avril 1972. et les textes afin de donner une certaine orientation». Approchés, certains membres de ce comité de censure affirment ignorer leurs missions. «Censurer, c’est trahir» Pour le chanteur Kaka Boney, chantre du parti au pouvoir, en exil La chanson, un bel hymne à l’amour, Sinarinzi ko norize, (Je ne au Canada après avoir retourné sa veste, ce comité de censure de savais pas que je pouvais pleurer, NDLR), sera interdite d’antenne l’Amicale des musiciens est une déception totale voire une trahison. pendant tout le régime du Colonel Jean-Baptiste Bagaza.

Cédric Bangy : «Censure ? Une mort assurée pour nos chansons» Ce chanteur qui tentera de déposer sans succès le président de l’Amicale des musiciens est aujourd’hui à la tête d’une sorte de fronde : l’Union des artistes pour le changement(UAC).

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l se dit ’’complètement opposé à toute démarche visant à censurer les œuvres des musiciens. «S’il faut arrêter la guéguerre entre les rappeurs avec leurs coups de gueule, leurs attaques et contre-attaques, d’accord. Mais si c’est pour nous dire quoi chanter, là ça ne va pas», regrette Cédric Bangy. «Fini le temps où le chanteur burundais était libre de s’indigner, de désavouer, de dénoncer, de crier», se désole le président de l’Union des artistes pour le changement. Pour le président de l’Amicale des musiciens du Burundi, si certains concerts de ’’Lion Story’’ se retrouveront annulés ou interdits, c’est pour des mauvaises interprétations données à leurs chansons critiques. «C’est triste avec nos musiciens burundais en exil. La politique vous la faites, vous la faites pas….C’est dommage », lâche-t-il après une longue bouchée d’air. 26

Cédric Bangy : «On veut nous réduire au silence avec ce Comité de censure»

«Nous sommes en train de faire des efforts pour que ces musiciens rentrent au pays. Les artistes ne peuvent pas être condamnés, ils ne sont pas là pour faire de la politique

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mais pour donner des messages. Mais il faut préalablement les écouter pour éviter de leur prêter des intentions, des interprétations».


LITTÉRATURE

Freddy Kwizera : «Il ne reste que le gospel »

L’embryonnaire industrie musicale survivra-t-elle à cette profonde crise ? La question est posée. Une des figures respectée du milieu n’est pas très optimiste.

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a crise politico-sécuritaire de 2015 a frappé de plein fouet la production musicale au Burundi. Aux temps forts de la crise, plusieurs chanteurs décident de partir à l’étranger pour la plupart au Rwanda et en Ouganda où ils se produisent pour gagner leur vie. Dans leur sillage, les producteurs, devenus ’’orphelins’’, suivent le mouvement et s’installent tout près des stars qu’ils ont vues naître et accompagnées. Freddy Kwizera alias Botchoum est connu de tous les musiciens burun-

dais pour sa touche professionnelle comme arrangeur et producteur. Lui ne rejoint pas ses idoles. Il reste au pays où il gère un studio d’enregistrement. Il passe des journées entières devant son mixer clignotant de mille feux et ses écrans plats derrière la baie vitrée en attendant quelques chanteurs. Qui ne viennent pas. Ou si peu. Pour tuer le temps, il visionne quelques clips réalisés avant la crise de 2015. Aujourd’hui, confie-t-il, ce n’est pas comme avant. Soupir. «Il ne me reste que les gens qui font du gos-

pel. Les affaires ne vont pas bien. La plupart de mes collègues producteurs ont plié bagages et sont partis là où ça bouge». Le départ de la plupart de nos artistes, regrette-t-il, est une grande perte au point de vue culturel et financier : «Peu d’artistes viennent se faire produire dans nos studios, du moins ceux qui restent. Même le nombre de concerts a diminué, les managers ont peur de ne pas recouvrer leurs dépenses». Ces paroles, ce n’est pas du blues. C’est la triste réalité.

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LITTÉRATURE

RENCONTRE

Edouard Bizimana, auteur de ’’Nina la reine au cœur brisé’’ Des romans, des recueils de poèmes, des analyses,… l’ambassadeur du Burundi en Fédération de Russie, a plus d’une corde à sa plume. Coup de projecteur sur sa dernière-née : Nina. Q : M. l’Ambassadeur, parlez-nous un peu de Nina… Ce roman est une fiction. Il parle d’une jeune fille du nom de Nina, née dans une famille aisée et qui se lie d’amitié avec un jeune homme, Saba, de classe et d’ethnie différentes. Après avoir tout essayé en vain pour séduire cette fille, Saba décide de se confier à Rumenyi, un puissant marabout de renom mais il ne sera pas utile à Saba. ” …. Les esprits ont déjà lu dans ton cœur. Tu n’as donc pas besoin de leur dire quoi que ce soit car ils voient tout. C’est cette fille, élancée, noire comme le bois d’ébène, qui n’habite qu’à quelques kilomètres de chez toi qui trouble ton esprit. Ah ! Cette fille, qui un jour n’a même pas voulu te serrer la main, cette fille d’une famille très riche, cette fille dont les parents sont venus du sud du royaume, jeune homme, cette fille t’appartient déjà, ferme seulement les yeux dès que tu es dans ton lit et pense à elle. Tu la verras venir se blottir dans tes bras…” Après avoir constaté que le marabout ne cause que des ennuis à Saba et à son père, qui par colère part brûler la case de ce féticheur, Saba décidera de se confier au curé de sa paroisse.

Q : Le curé sera de meilleur conseil ? Ce dernier suggère à Saba de s’impliquer dans les activités de la paroisse pour multiplier ses chances de rencontrer avec Nina. C’est pendant ces rencontres que les deux jeunes gens développent un amour sincère et désintéressé.

Q : Tout est bien qui finit bien quoi ! Une love story et tout est dit ? Non, cet amour sera mis à rude épreuve par la cruauté des traditions. Ni la famille de Saba ni celle de Nina n’acceptent une telle relation. Pour la famille de Nina, celle-ci doit se marier soit à un homme riche de son ethnie et de statut social égal soit à un Muzungu, un Blanc. 28

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Hogogo, le père de Nina est convaincu que Saba fait usage de gris-gris pour charmer Nina. Le Père de Nina profite des troubles dans le pays pour faire tuer Saba.

Q : Un terrible tournant de ce qui semblait une belle histoire… Oui. Nina ne pardonnera jamais à son père. Nina va quitter le toit familial pour mener sa propre vie, loin de sa famille. Pour elle, personne d’autre ne peut lui choisir l’homme de sa vie et Saba reste à ses yeux un homme idéal avec une pureté de sentiments. C’est le début d’une aventure qui finira par emporter la vie de cette jeune fille

Q : Quels sont les thèmes que vous avez voulu aborder dans ce livre ? Le roman parle des aspects différents de la vie : religion, ethnie, politique, guerre, histoire, diplomatie, etc. Le livre se situe entre tragédie, fiction, satire et roman historique. Nina la reine au cœur brisé peut se lire comme une tragédie car il est question de personnages soumis à la fatalité : Nina, le président du parti monarchique, Hogogo (le père de Nina), Saba. On voit Saba, soumis à un conflit intérieur et qui ne sait plus quoi faire pour conquérir le cœur de Nina. Celle-ci quant à elle ne vit que des conflits dans son cœur : avec elle-même, avec sa famille, avec la tradition jalonnée de barrières sociales entre les différentes composantes de la société. Elle rêve de devenir importante, cela la pousse dans des aventures périlleuses. Elle usera de son charme, de son corps pour atteindre des sommités, elle fera l’amour et la guerre pour devenir une reine respectée et riche.

Q : Est-elle authentique quand elle « joue » à ça ? C’est une personne ambiguë en fait Oui, sa vraie nature l’oriente plutôt vers des gens simples et de pureté de cœur et de sentiments comme Saba. Mais la manipulation et le trafic d’influence resteront ses principales armes. Et


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© Droits réservés Les premiers pas de l'évangilisation et de la colonisation

son désir le plus ardent c’est d’avoir un homme qui l’aime et fonder sa famille, un bonheur qu’elle ne trouvera jamais.

Q : Le roman pourrait aussi se lire comme une satire ? Oui, le roman peut se lire comme une satire (exagération, parodie, caricature) car l’auteur utilise ce moyen pour dénoncer, critiquer, se moquer et corriger voire railler des situations. L’auteur dénonce les clichés sociaux qui freinent l’épanouissement des citoyens. Dans l’imaginaire de Hogogo, le père de Nina, celle-ci est considérée comme un capital, un bien matériel qui lui permettra de redevenir riche et garder intact son statut social. Le roman dénonce la guerre, la délinquance juvénile et sénile, les ravages de la drogue et de l’alcool, etc. Nina la reine au cœur brisé peut aussi se lire comme un roman historique car il combine des épisodes de l’histoire avec des personnages et événements réels et la fiction : combinaison d’une histoire réelle et une histoire inventée. «… Les Arabes, menés par Rumariza n’eurent pas beaucoup de chances car les vaillants guerriers du royaume les ont chassés sans ménagement. Les Blancs eux ont su dompter le royaume avant de l’anéantir et s’en approprier. Ces Blancs ont d’abord amené les Bibles pour semer la discorde entre les habitants du royaume et leur dieu Kiranga. Ensuite ils ont introduit le papier et la pièce à tout acheter jusqu’à acheter le fils unique de Dieu plus puissant que Kiranga… »

conquérants blancs qui avaient envahi leur royaume : « … Ils avaient de petits gâteaux qu’ils appelaient le corps du Christ et une boisson de couleur rouge qu’ils appelaient le sang du Christ. Pour les villageois, il devenait de plus en plus compliqué de comprendre comment quelqu’un peut manger le corps du Christ. Comment pouvait-il boire le sang de leur dieu ?...” « …. Avant même de tenter la réponse à la question, un autre jeune garçon, qui avait déjà quelques leçons de catéchèse lui assena une autre question aussi embarrassante que la première : Padiri, tu nous as dit l’autre jour que Dieu a envoyé son fils Jésus-Christ pour nous sauver. Cela signifie que Dieu a une femme ? Et toi, pourquoi tu n’en as pas ? Ici chez nous un homme sans femme n’est pas un homme… ».

Q : Nina la reine au cœur brisé reste tout de même un roman d’amour…. Oui, même si la protagoniste meurt sans combler son désir le plus ardent, la fin du roman montre que l’amour existe au-delà de la mort. « … Quelques années après, deux roses poussèrent sur les cendres de Nina et de ses compagnons d’infortune. Quand le vent souffle, les deux roses se penchent l’une vers l’autre pour se chanter une ode d’amour… » Les deux roses qui se penchent l’une vers l’autre symbolisent Nina et Saba, l’homme qu’elle a aimé jusqu’à ne jamais vouloir se séparer de ses cendres.

Q : Ce roman évoque aussi la colonisation

Q : N’y a-t-il pas des similitudes avec d’autres romans ?

Il y a une grande référence à la venue des premier Blancs dans le royaume, et la colonisation. A travers ce roman, l’auteur expose le mental et la psychologie des autochtones par rapport à ces nouveaux venus et tout cela dans un style romanesque. « … Ce dieu des Blancs devait aussi aimer les œufs, le beurre et le vin, cette boisson à la couleur de sang et que ses agents adoraient tant jusqu’à en boire pendant la cérémonie dans ces grands édifices. Ce dieu-là, devrait avoir une longue barbe blanche et porter des habits blancs, très blancs et propres comme ceux de ses envoyés… » Le roman fait aussi référence à la rencontre des cultures et pose ouvertement les questions des autochtones face aux

Des rapprochements peuvent être faits avec d’autres œuvres littéraires: il y a en effet une extraordinaire coïncidence entre Nina et Néoboulé de Archiloque de Paros. Ce fils d’un ancien esclave tombe amoureux de Néoboulé, une fille d’un riche aristocrate. Ce dernier annule le mariage entre les deux amoureux après avoir trouvé un autre homme « digne de la main de sa fille. Nina la reine au cœur brisé a aussi une certaine ressemblance avec La Reine crucifiée de Gilbert Sinoué. Dans ce roman, Dom Pedro, un prince héritier du Portugal tombe amoureux d’Inès de Castro, une fille sans classe, alors qu’il était destiné à

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se marier avec Dona de Constanza, une héritière du trône comme lui. Leur amour sera totalement «broyé» par la raison d’Etat. Nina, la reine au cœur brisé peut servir de complément au Petit pays de Gaël Faye. Pour ce qui est de la partie consacrée à la diplomatie, c’est plutôt chez Franck Renaud avec son livre-enquête Les diplomates (Derrière les façades des ambassades de France) qui l’a inspirée avec les travers qu’il découvre et dénonce.

Q : Qu’est-ce qui vous a inspiré ? Deux sources : Nina, une série télévisée qui passait sur une chaîne de télévision française (France 2). Il y a également un article du journal Iwacu qui m’a inspiré. Pour ce qui est de la série télévisée, le protagoniste, une infirmière gentille et serviable, se retrouve confrontée à l’hostilité de certains de ses collègues. Elle s’efforce à faire du bien, à être disponible pour servir mais à chaque fois, ses actions sont récupérées et utilisées contre elle. La deuxième inspiration est venue d’un article du Journal Iwacu consacré aux groupes de jeunes filles de la capitale burundaise qui se livraient à la prostitution, à l’alcool et à la drogue, certaines pour faire vivre leurs familles et d’autres simplement pour s’amuser, profiter de la vie. Enfin une petite précision : le livre ne parle pas ni de « clans » ni d’ethnies et doit se lire comme un roman et non comme un livre d’histoire.

Photo de jeunes filles burundaises prise dans les années 1930

Un ambassadeur écrivain

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douard Bizimana est diplomate de formation et de carrière. Il a servi aux Etats-Unis comme premier conseiller d’Ambassade puis en Allemagne et en Fédération de Russie où il est ambassadeur. Licencié en Langue et Littérature anglaises à l’Université du Burundi et à l’Université de Yaoundé I, cet écrivain est détenteur d’un doctorat en Relations internationales, option diplomatie, diplôme obtenu à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun. Il a également fréquenté l’Institut des Etudes Diplomatiques du Caire. A côté de son roman, ’’Nina la reine au Cœur brisé’’, paru aux Editions Scribe en 2017 à Bruxelles, l’ambassadeur Edouard Bizimana est l’auteur du livre, ’’Quelle diplomatie pour les pays post-conflits ? Quelques pistes d’exploration pour le cas du Burundi’’, paru aux éditions L’Harmattan à Paris en 2008. Ce diplomate est également coauteur avec Véronique Barindogo du livre, ’’Burundi, Une vie à la sauvette : savoir porter sa croix’’, paru aux Editions Source du Nil à Lille en 2014. La collection de poèmes, ’’A Sense in Nonsenses. A Look around me’’, parue en 2016 aux éditions Kazan, porte également la signature de l’ambassadeur Edouard Bizimana. .

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