IWACU 511

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IWACU N°511 – Vendredi 28 décembre 2018 – 2000 Fbu Quartier INSS, Avenue Mwaro n°18 Bujumbura - Burundi Tél. : 22258957

Gitega, capitale politique

Possible ou utopique?

Interview exclusive avec Gérard Birantamije

ÉDUCATION

AU COIN DU FEU

POLITIQUE P.5

Avec Juvénal Ngorwanubusa

P.12

Kirundo : Des chiffres alarmants sur les abandons scolaires

P.15


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LA DEUX Editorial

Vendredi, 28 décembre 2018 - n°511

En coulisse

Sur le vif

Le cœur du Burundi battra-t-il à Gitega ? Par Abbas Mbazumutima Directeur adjoint des rédactions

G

itega n’en finit pas d’attirer, de fasciner avec ses possibilités illimitées d’extension. Cette ville du centre du pays qu’il faut dorénavant appeler ’’capitale politique’’, semblait depuis longtemps prédestinée à un grand dessein. L’ancien président de la République, feu JeanBaptiste Bagaza, un visionnaire, l’avait compris mais il n’aura pas le temps d’accomplir son projet. L’idée est intéressante donc. Mais un bémol : les infrastructures nécessaires pour la concrétisation de ce rêve ne suivent pas le rythme des déclarations des grands hommes de ce pays, qui ont, en tout cas jusqu’ici, jeté l’ancre à Bujumbura. Pour rappel, ce ne serait pas la première promesse non tenue. La liste est loin d’être exhaustive mais il y a eu par le passé ’’aéroport international de Bugendana’’, une voie ferroviaire régionale Dar es Salaam–Isaka–Kigali–Keza–Gitega–Musongati, etc. Tous ces beaux projets sont restés aux chapitres des déclarations de bonnes intentions. Pas un mètre carré de piste d’aéroport et encore moins une traverse pour le chemin de fer. A Gitega, quelques nouveaux quartiers sont certes viabilisés, à un rythme soutenu, mais le chemin est encore long pour accueillir et loger tous ces fonctionnaires qui devraient migrer vers la capitale politique en cas de délocalisation. J’allais oublier, quelques dignitaires devront apprendre à faire le grand écart, écartelés entre leurs foyers à Bujumbura et leurs ’’nouveaux points d’attache’’. Cette situation risque d’être budgétivore en moyens de déplacement, sans compter d’autres dégâts collatéraux sur des familles « éclatées » : écoles des enfants, explosion des frais de ménages contraints à vivre séparés, etc. Ce n’est pas facile de voler la vedette à Bujumbura qui a plus d’un tour dans son sac pour séduire. En concubine, face à sa vieille rivale et ne doutant point de ses charmes, Bujumbura se dit en son for intérieur : «J’ai un palais flambant neuf, de beaux villas poussent comme des champignons, j’ai le lac, le mukeke, … Et Toi, Gitega, t’as que tes silos et tes avocats!» Et d’enchaîner sur un ton moqueur : «En tous cas, ma petite, tu t’es regardée, tu me fais de la peine, t’as beau être le joli nombril (avec piercing, si tu veux) du pays mais le cœur du Burundi battra encore plus longtemps pour moi. Il battra à Bujumbura». L’histoire contemporaine africaine nous apprend que rares sont les pays qui ont bien réussi le transfert de leurs capitales. Quelques exemples : Après leurs sessions parlementaires à Dodoma, les élus du peuple tanzaniens s’empressent à retourner au bord de l’océan indien, à Dar es Salaam. Le cœur de la Côte d’Ivoire bat toujours à Abidjan et pas à Yamoussoukro. Au Nigéria, la délocalisation vers Abuja n’a pas été aisée, il y a eu des résistances… Lagos est dans tous les cœurs des Nigérians. Malgré le décret, j’ai peur que Bujumbura, comme capitale, ait encore de beaux jours devant elle.

François Ngeze, ancien ministre de l’Intérieur sous le président Buyoya, a comparu, jeudi 27 décembre, devant le procureur général de la République à Bujumbura. Il a été interrogé pour la deuxième fois, depuis lundi 24 décembre, sur le dossier de l’assassinat du président Melchior Ndadaye.

Culture : Les concerts de Meddy, chanteur rwandais, reportés Le chanteur rwandais Médard Jobert Ngabo, connu sous le nom de Meddy, ne se produira pas comme prévu à Bujumbura, les 29 et 30 décembre. L’équipe de cette star a fait savoir, jeudi 27 décembre, que ses concerts étaient reportés, reprogrammés pour des raisons de sécurité. Bruce Melody, un autre chanteur rwandais, n’a pas aussi répondu présent au concert qu’il allait animer le jour de Noël.

Laurent Irakoze, © Droits réservés

Affaire Ndadaye : Comparution de François Ngeze

En hausse

P

our avoir remporté le prix du meilleur étudiant étranger en Chine.

En baisse

Elie Niragira, représentant légal du lycée technique de Buterere,

Plus de 2800 chiens vaccinés Dans le cadre de la célébration de la journée mondiale de la vaccination du chien, plus de 2800 chiens, sur plus de 40 mille que compte le Burundi, ont bénéficié du vaccin. Une campagne de vaccination organisée, à la mi-décembre, aux chefs-lieux de 17 provinces.

Image de la semaine

P

our avoir fait disparaître les dossiers individuels de certains élèves et changé le nom de l’école sans l’accord du ministère de l’Education.

Un chiffre

93 est le nombre de cartons de serviettes hygiéniques distribués par le FNUAP au ministère de l’Education.

Source : Ministère de la Santé Une pensée

« Le contrôle des émotions autorise une cohabitation amicale et constructive. » Les ménaces de la rivière Ntahangwa ne sont pas totalement écartées

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Gilbert Choulet


L'ÉVÉNEMENT

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Gitega, est-elle prête pour devenir la capitale politique ? Le Conseil des ministres de vendredi 21 décembre a adopté le rétablissement de la capitale à Gitega. Beaucoup de Burundais saluent le projet bénéfique en terme de décentralisation, mais estiment qu’il est hâtif et peu planifié.

S

urprise. A Gitega, tout indique qu’il n’y a pas eu de préparation à la hauteur de l’ampleur du méga projet. Déplacer une capitale politique n’est pas une mince affaire. Les habitants de la « future capitale » s’interrogent notamment sur les infrastructures qui abriteront les services de l’Etat, qui seront bientôt délocalisés. Quand bien même Gitega serait en avance par rapport aux autres villes de l’intérieur du pays, elle reste une petite ville en termes d’infrastructures. Le Sénat a certes déjà acquis quatre immeubles. Le bâtiment de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) accueillera les services du bureau. La salle polyvalente de la commune Gitega, dont les travaux de finition sont en cours, les sessions. Les deux constructions, toutes presque prêtes, se situent sur le boulevard du triomphe. C’est la route qui va du monument du prince Louis Rwagasore, héros de l’Indépendance et passant devant les bureaux de la commune. Cette salle polyvalente, en passe d’être retapée avec une couche de peinture, se trouve en face de la commune. C’est sur l’autre côté de la route bitumée. Sa construction a été financée par le budget général de l’Etat via le Fonds national d’investissement communal (Fonic). Le gouvernement, dans le cadre de sa politique de soutenir les communes pour leur autonomie, accorde à chacune, via son budget, une somme de 500 millions Fbu par an. La province mettra à la disposition des représentants du peuple deux des six buildings qui abritent des services administratifs et techniques provinciaux. Construits sous la deuxième République dans la perspective du déplacement de la capitale, le président Bagaza prévoyait d’en faire des bureaux pour les services gouvernementaux. Cinq ministères devront aussi être établis dans la ville de Gitega. Les ministères de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Elevage, ceux de la solidarité et

de l’Education et le ministère de la décentralisation.

Une décision «malvenue» Pour les cadres des ministères qui feront l’objet de décentralisation, le déplacement de la capitale n’augure rien de bon pour eux. Un d’entre eux, cadre au ministère de l’Education, déplore sous couvert d’anonymat, qu’ils seront contraints d’être séparés de leurs familles. Selon lui, cette séparation entraînera beaucoup de dépenses : «je suis en train de rembourser le crédit de construction de ma maison à Bujumbura. Et je devrais louer une autre à Gitega». Cette mesure nuira à la vie de bon nombre de familles. Un autre, employé au ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, ayant requis l’anonymat, abonde dans le même sens. «Nous ne pouvons pas certes abandonner le travail. Mais la capitale délocalisée dans la ville de Gitega, nous aurons du mal à vivre au quotidien notre vie de pères, de mères, d’épouses et de maris».

La population appelle aux investissements L’autre grand inconnu pour les habitants de la ville de Gitega, c’est de savoir si les autorités du pays y installeront leurs domiciles principaux. En principe, une

C’est dans cette salle polyvalente de la commune Gitega que les sénateurs se réuniront en session.

capitale politique jouit du prestige d’être la demeure de l’élite dirigeante. Il en est ainsi pour Bujumbura. Théoriquement, il devait en être de même normalement pour Gitega. N. K., tenancier d’une boutique au quartier Nyamugari, espère que la province bénéficiera de cette délocalisation en termes de développement. Cet homme ressortissant de la province Rutana espère brasser des affaires : «Ce sera possible car cette ville aura entre autres habitants, des familles qui auront beaucoup d’argent. Le pouvoir confère des moyens à ceux qui l’exercent et c’est tout à fait

normal qu’ils se distinguent des autres, notamment dans la consommation. » Un enseignant du secondaire, habitant au quartier Nyabututsi, rappelle sous anonymat que la capitale doit être le centre de rayonnement notamment culturel. Il parle de la nécessité de construction à Gitega de bonnes écoles, des bibliothèques, etc., pour les enfants des dirigeants au moins. «A moins qu’ils laissent leurs familles à Bujumbura, sinon Gitega devrait être doté d’infrastructures culturelles importantes». Tous les deux appellent le gou-

vernement, à l’origine du projet, à s’investir particulièrement pour le développement de la ville de Gitega. Sans quoi, Bujumbura restera dans les faits, en plus de son statut de capitale économique, la vraie capitale politique du Burundi. Emile, habitant le quartier de Shatanya, s’attend, quant à lui, à la construction des hôtels, des salles de conférences, etc. Les habitants de Gitega pourront profiter ainsi du déplacement de la capitale chez eux. Les jeunes chômeurs auront de l’emploi, le niveau de vie sera plus ou moins relevé. Il ajoute aussi la nécessité de la poursuite de l’asphaltage des routes dans la ville pour en faire une capitale digne et le pavage des avenues dans les quartiers. « Cela fait plusieurs années que nous attendons la réalisation de ce projet». La ville de Gitega connaît aussi de fréquentes coupures d’eau. C’est le prince Louis Rwagasore qui décida, à la suite de sa victoire aux législatives du 18 septembre 1961, que Bujumbura soit la capitale. Fraîchement devenu premier ministre, à un journaliste de l’Agence française de presse (AFP) qui lui demandait si le gouvernement allait être basé à Gitega, il répondit : «La capitale, c’est Bujumbura». Gitega est en passe de devenir la capitale politique du Burundi. C’est un beau projet. Mais, est-elle prête ? Egide Nikiza

Au moins trois buildings, de ceux qui abritent les services provinciaux, seront pris en raison du déplacement de la capitale.

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L'ÉVÉNEMENT

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Réactions • Evariste Ndayishimiye : «Les politiciens seront à l’aise à Gitega, loin du bruit des boîtes»

L

e secrétaire général du Cndd-Fdd se dit satisfait du transfert de la capitale politique à Gitega. Il assure qu’il va faciliter les bonnes relations entre le gouvernement central et l’administration locale. Il servira aussi au rapprochement de l’administration aux citoyens. «Si le gouvernement est à Gitega, ça répond correctement au souci du Cndd-Fdd.» Evariste Ndayishimiye s’étonne que certains Burundais considèrent la fixation de la capitale politique à Gitega comme « si c’est quelque chose de nouveau ». Et d’ajouter : « Gitega était la capitale du Burundi, Bujumbura, la capitale du Rwanda-Urundi et Kigali, celle du Rwanda.» Le secrétaire général du Cndd-Fdd défie quiconque trouvera un document du déplacement de la capitale du Burundi de Gitega vers Bujumbura. «Montrez-moi un seul document qui dit que Gitega n’est plus la capitale, que la capitale c’est Bujumbura. On ne sait pas par quelle voie la capitale du Burundi a été changée».

Pour M. Ndayishimiye, le retour de la capitale à Gitega c’est « remettre les choses à la normale ». Entre autres avantages, la ville destinée aux activités économiques sera séparée de celle du jeu politique. «Il n’y aura pas de distraction envers les opérateurs économiques. Les politiciens vont être aussi à l’aise, sans beaucoup de bruit des gens qui sont dans les boîtes». Il n’y aura pas de la perturbation de la planification des activités politiques.

• Kefa Nibizi : «Une bonne décision mais… » Le président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri salue la mesure du gouvernement. Se trouvant au centre du pays, Gitega est accessible pour les Burundais, peu importe d’où ils viennent. Bujumbura est frontalier de la République démocratique du Congo, un pays toujours instable. Cela entraîne des répercussions sur la capitale, par ricochet sur tout le pays. «C’est très compréhensible alors que la capitale soit délocalisée au centre du pays ». Néanmoins, Kefa Nibizi indique que ce projet devrait être précédé par d’autres. Le déplacement de la capitale suppose l’existence des infrastructures. L’autre point, c’est en rapport avec le logement des fonctionnaires dont les services seront délocalisés. Ceux qui ont des maisons d’habitation à Bujumbura, devront en louer à Gitega.

• Léonce Ngendakumana : «La concrétisation sera difficile» Le vice-président du parti Frodebu doute que le gouvernement ait des moyens pour faire de Gitega la capitale politique. Le pays s’enfonce de jour en jour dans la pauvreté. Il fait face à beaucoup de difficultés d’ordre financier. «La concrétisation sera difficile». D’après cet ancien président de l’Assemblée nationale, peut-être que les autorités se contentent de la prise de la décision et veulent laisser la mise en application à leurs successeurs. En outre, M. Ngendakumana doute de l’existence d’une planification : «Personne ne sait s’il ne s’agit pas du souhait». Le pouvoir en exercice a déjà annoncé plusieurs projets mais qui n’ont jamais abouti.

• Athanase Karayenga : «Une bonne décision qui devrait être étalée au moins sur 10 ans » Ce journaliste burundais et ancien conseiller du président Bagaza en charge de la communication se dit satisfait de la mesure du déplacement de la capitale politique à Gitega. «Il occupe la même place pour le Burundi que le cœur dans le corps humain. C’est vraiment le centre du Burundi. Quelqu’un qui vient de Kirundo et quelqu’un d’autre en provenance de Makamba, ils y arriveraient tous en même temps». Gitega est aussi stratégique par rapport à Bujumbura en matière de sécurité. «Bujumbura est à portée de canon d’Uvira, ou de toute la plaine de la Rusizi, côté de la RDC». En plus, le climat est plus agréable à Gitega : «Il fait moins chaud, moins de moustiques aussi ». Un autre avantage économique considérable, les gens n’y pensent pas malheureusement, quand il y aura des chemins de fer qui relient le Burundi

à la Tanzanie et au Rwanda, les liaisons se feront à Gitega. «En raison du relief, Bujumbura ne peut pas être relié à ce chemin». Ce vieux briscard du journalisme burundais dit que le plus gros problème à Gitega reste l’approvisionnement en eau : «On peut faire des barrages d’eau sur la Ruvubu et la Ruvyironza pour alimenter Gitega». Il conseille aux autorités de ne pas imaginer une grande ville en taille. Athanase Karayenga rappelle que le président Bagaza était à deux doigts de proclamer Gitega, capitale du Burundi. «Je pense que sa motivation était sécuritaire. Et aussi pour rapprocher l’administration des Burundais des campagnes. C’est lui qui le premier a décentralisé le ministère de l’Agriculture». E.N.

Trois questions à Jean-Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du président Nkurunziza

E

xiste-t-il à Gitega des infrastructures à même d’abriter les ministères délocalisés ? Tous les services qui déménageront auront des bureaux. Le ministère de l’Agriculture et de l’Elevage se suffit lui-même. Il travaillera à l’Institut de recherche agronomique et zootechnique (IRAZ). Le ministère de l’Intérieur occupera l’immeuble de l’Institut géographique du Burundi (IGEBU), etc. La délocalisation de la capitale à Gitega s’inscrit dans la concrétisation de la Vision 2025. En plus des cinq ministères, les commissions notamment la CVR, la Cnidh, la Ceni, la Commission nationale de l’Unité et de la Réconciliation, seront décentralisées à Gitega et dans d’autres provinces. Gitega, sera-t-il le palais principal où vivra la famille présidentielle ? La concrétisation de fixation de la capitale politique à Gitega ne se fera pas d’un coup. C’est un processus, elle est envisagée sur une année. Et en plus de Gitega, comme capitale politique, Bujumbura jouira du statut de capitale économique. Le Burundi aura donc deux capitales. Nous ne pouvons pas nous prononcer pour le moment au sujet du palais où vivra

la famille présidentielle. Mais comme le chef de l’Etat a des enfants qui font leurs études à Bujumbura, on ne pourra pas, à mon avis, les faire abandonner l’école. Le président de la République a droit d’usage de ses différents palais. Il en a trois pour le moment, à Bujumbura, à Gitega et à Ngozi. Le gouvernement prévoit aussi d’en construire un autre à Rumonge. Gitega fait face à plusieurs défis, manque d’infrastructures, coupure d’eau, etc. Que prévoit le gouvernement ? Le ministère des Travaux publics envisage déjà de grands travaux pour doter la ville de Gitega des infrastructures. En plus, il y a des initiatives privées pour accompagner la mesure du gouvernement. A titre d’illustration, le parti au pouvoir est en train d’y construire un grand complexe. La construction d’une maison culturelle est aussi prévue dans la ville de Gitega. Concernant le problème d’eau, cette question se posait dans les provinces du nord, elle a trouvé des solutions suite à l’adduction d’eau et il en sera de même pour Gitega.

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E.N.


POLITIQUE

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Interview exclusive

Gérard Birantamije : «Un embrasement déboucherait sur une guerre interne internationalisée» du Burundi, un embrasement déboucherait sur une guerre interne internationalisée, ce qui suppose divers jeux d’alliance au niveau régional. Or, nous sommes dans une région qui en a déjà expérimenté plusieurs (Ouganda avec implication active de la Tanzanie; Rwanda avec implication de l’Ouganda; Congo avec implication de l’Ouganda et du Rwanda notamment).

Depuis la crise de 2015, les relations entre Kigali et Bujumbura vont de mal en pis. L’escalade verbale inquiète les observateurs. Iwacu a rencontré un spécialiste des questions sécuritaires. Eclairage.

D

epuis quelque temps on assiste à une surenchère verbale entre Kigali et Bujumbura. Il y’a lieu à craindre un embrasement ? Si, bien sûr. Les mots sont porteurs de maux. Et tous les conflits naissent des contacts et des discours échangés, surtout des gestionnaires au sommet de l’Etat. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela Quand les mots prennent racine dans des faits ou des allusions aux faits du passé, les ingrédients discursifs peuvent alimenter des ressentiments, des non-dits, des peurs, etc. Ces derniers débouchent généralement sur le dilemme de sécurité. Chacun veut être plus sécurisé et plus fort que l’autre. Et finalement ce dilemme peut mener au conflit ouvert. C’est ce qui semble s’observer. Progressivement, les deux pays se traitent déjà d’« ennemis .Un mot très chargé symboliquement.

En d’autres mots, il suffirait d’une petite étincelle pour l’embrasement ? Vous savez, toutes les guerres entre les Etats, tout comme les guerres civiles, ont toujours été le fait d’une petite étincelle. La Première Guerre mondiale est directement liée à l’assassinat du prince héritier de l’Empire austro-hongrois par un fanatique panslaviste serbe. Dans la région, le génocide des Tutsis rwandais a été déclenché par l’attentat contre le jet présidentiel, de même que la guerre civile au Burundi reste associée à l’assassinat du président Ndadaye.

Bien évidemment, ces différents assassinats ou attentats n’auraient pas conduit aux guerres s’il n’y avait pas d’antécédents. Donc il faut voir derrière les causes immédiates, les causes lointaines. Mais à qui profiterait un tel embrasement ? Pour comprendre tout embrasement, il faut pouvoir se situer sur une dyade conflit-intérêt. Et ici votre question reste interpellante. A mon avis, ni le Burundi ni le Rwanda n’en profiterait pour l’instant. Pour deux raisons principales. La première est liée à la proximité géographique et historique

qui ferait que chacun des deux pays subisse les conséquences d’un conflit qui affecte l’autre, son voisin. L’exemple c’est la crise de 2015 au Burundi qui continue à alimenter des passions conflictogènes entre les deux pays. Autant dire que si l’embrasement advenait, aucun des deux pays n’en serait épargné pour plusieurs générations en termes de répercussions sur le plan interne (flux de réfugiés, ralenti des relations commerciales, interopérabilité des bandes de criminels, répercussion sur la structuration des oppositions internes, etc.). La seconde est d’ordre géopolitique. Dans le contexte actuel

Si on suit votre analyse, en cas de conflit, il y aurait donc un jeu d’alliance qui se construirait à l’aune des intérêts directs ou indirects entre les Etats, c’est cela ? Oui, l’histoire regorge d’exemples. Or les intérêts à défendre au Burundi, même s’ils ne manquent pas, sont tout de même minorisés par rapport aux intérêts découlant de la stabilité sous régionale. Par ailleurs, le Rwanda serait sans doute porté à protéger ses acquis même si cela peut exiger de passer par des moyens belliqueux. En d’autres mots, c’est toute la sous-région qui est concernée… On marche sur des œufs. Il ne s’agit pas d’une affaire entre les hommes, d’une simple petite colère d’un chef d’Etat, cela concerne des Etats. Même si des accrochages peuvent exister, il faut éviter l’embrasement. Propos recueillis par Abbas Mbazumutima

«Le dialogue est déjà terminé, il ne reste qu’à y mettre un point final»

L

e rapport présenté par le facilitateur dans le conflit inter-burundais au médiateur Museveni n’est pas celui établi par les Burundais, mais par ceuxlà d’Europe. Ce qui prouve qu’il y a un agenda caché », a déclaré le secrétaire général du parti Cndd-Fdd, ce lundi 24 décembre, en marge d’une conférence de presse sur les réalisations annuelles de ce parti. Evariste Ndayishimiye se dit étonné dudit rapport : « Ceux qui ont pris part au dernier round se sont écartés des points préfixés sur l’agenda. Au lieu de statuer sur la feuille de route qui leur avait été transmise par le gouvernement et les politiques burundais, ils ont plutôt monté un complot pour le renversement du gouvernement.» Interrogé sur ce que son parti compte faire en 2019 pour un bon dénouement du dialogue, M. Ndayishimiye est catégorique : «Le dialogue externe est déjà

clos, il ne reste qu’à y mettre un point final. Ceux qui sont concernés par les élections ont déjà mis en place une feuille de route.» Pour le secrétaire du parti Cndd-Fdd, le rendez-vous allait ainsi permettre de discuter sur le contenu. Nous n’aurons rien à ajouter à la feuille de route, poursuit-il, nous allons suivre et échanger sur leurs propositions. «S’il n’y a pas des choses cachées, la finalisation de la feuille de route pour conclure le dialogue ne prendra pas plus de 2h.» Le secrétaire général du Cndd-Fdd appelle les Burundais se trouvant à l’extérieur du pays à rentrer pour continuer le dialogue interne. Celui-ci est permanent et concerne tout Burundais, « à l’exception de ceux poursuivis par la justice ». «Les questions de développement ou des droits de l’Homme des Burundais se débattent au pays». Edouard Nkurunziza

Evariste Ndayishimiye : «S’il n’y a pas des choses cachées, la finalisation de la feuille de route pour conclure le dialogue ne prendra pas plus de 2h.»

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POLITIQUE

Vendredi, 28 décembre 2018 - n°511

Nyanza-lac

Des jeunes se regardent en chiens de faïence Un mois après l’arrestation de 7 personnes, dont 3 jeunes d’Amizero y’Abarundi sur les collines de Mugerama et Rangi et le vol du drapeau du parti Sahwanya Frodebu, il s’observe un climat de méfiance entre jeunes affiliés aux partis politiques. De notre correspondant au Sud, Félix Nzorubonanya

D

es informations recueillies sur la colline de Mugerama, en commune de Nyanza-lac et confirmées par des activistes des droits de l’Homme indiquent que trois personnes ont été arrêtées par la police sur cette colline, vendredi 30 novembre. Egide Bucumi, James Ciza et Lazare Rumambo alias Judas de la coalition Amizero y’Abarundi ont été arrêtés sur cette colline. Trois tenues militaires neuves ont été saisies chez Lazare Rumambo par la police. Sa famille parle d’un montage fait de toutes pièces contre cet ex-combattant des Forces nationales de libération (FNL), aujourd’hui démobilisé. Toutes ces personnes sont aujourd’hui détenues au cachot au chef-lieu de la province Makamba où leurs dossiers sont en train d’être instruits par le parquet. Selon ce dernier, elles sont poursuivies pour atteintes à la sureté intérieure de l’Etat. Le 22 novembre dernier, quatre personnes, deux membres du parti d’Agathon Rwasa et deux autres du Front pour la libération nationale pro Joseph Karumba, aujourd’hui en exil, ont été arrêtées par la police sur la colline Rangi, zone Muyange, en commune Nyanza-lac. Toutes ces personnes sont poursuivies pour collaboration avec des groupes des malfaiteurs, selon des sources policières. Félix Ndirikirirenza, représentant du parti Sahwanya-Frodebu en province de Makamba, indique qu’il y a trois jours leur drapeau se trouvant au chef lieu de la commune Nyanza-lac a été volé par des Imbonerakure. Ce drapeau vient d’être remis au parti Sahwanya- Frodebu grâce à l’implication du chef de zone Nyanza-lac. Mais les auteurs de ce vol ne sont pas poursuivis, regrette le responsable de ce parti dans la province de Makamba. Dans la zone Kabonga, certains jeunes qui avaient fui la crise de 2015 et qui se sont rapatriés, indiquent être pointés du doigt par des Imbonerakure. Il leur est fait grief d’être proches des partis de l’opposition qui ont organisé des manifestations en mairie de Bujumbura. A.N., de la colline de Nyabigina dans cette zone, indique s’être rapatrié il y a 3 mois du camp de Nyarugusu en Tanzanie après avoir fui la crise de

Vue du chef-lieu de la commune Nyanza-lac.

2015. A son arrivée, les jeunes du parti au pouvoir le suspectent de faire partie d’un groupe de malfaiteurs. « Ils suivent tous mes déplacements, mes activités. Ils se croient plus patriotes que les autres. Cela ne rassure pas et ne favorise pas le rapatriement d’autres jeunes réfugiés ». Et de demander qu’il y ait un cadre de dialogue afin que le climat de confiance mutuelle soit rétabli.

Des réunions d’échanges s’avèrent urgentes B.N., un jeune du parti au pouvoir, assure qu’ils ont des informations faisant état de recrutements des malfaiteurs dans les camps de réfugiés des Burundais en Tanzanie. Pour des raisons de sécurité, souligne-t-il, il est normal de suivre de près le comportement des jeunes rapatriés, surtout ceux qui sont dans les partis de l’opposition. Dans la zone de Mukungu, les jeunes des partis de l’opposition indiquent s’être résignés face au comportement des responsables des jeunes du parti au pouvoir qui ne tolèrent aucune activité des partis de l’opposition. M.B, un jeune membre d’un parti de l’opposition dans la zone Mukungu, a peur de s’exprimer publiquement par crainte de représailles. Il soutient que les Imbonerakure procèdent à des arrestations, font des patrouilles nocturnes et des fouilles-perquisitions et passent à tabac des gens soupçonnés de commettre des infractions.

Joseph Ndayishimiye : « L’exclusion à base politique pour accéder à l’emploi est une réalité. »

Il regrette que le chef de zone Mukungu appuie et même encourage les bavures de certains jeunes. « Ils ne sont pas poursuivis pour les torts et bavures qu’ils commettent ». Un autre jeune d’un parti de l’opposition dénonce le non recrutement des jeunes de l’opposition en cas d’opportunités de travail dans leur commune. « Ce sont uniquement les jeunes du parti au pouvoir qui sont recrutés, ce qui est frustrant et regrettable ». Ce jeune réclame un débat autour de la problématique de l’accès à l’emploi. Jean-Marie Nduwimana, administrateur de la commune Nyanzalac, n’a pas voulu réagir sur l’état de cohabitation des jeunes affiliés aux partis politiques dans sa

commune. Il nous a renvoyés au gouverneur de la province de Makamba. Il indique avoir reçu des instructions du ministère leur recommandant de laisser les gouverneurs de province s’exprimer sur des thématiques en rapport avec la politique, la sécurité, l’économie etc. Il signale que les différents responsables des partis politiques convoitent cette commune. Celle-ci compte plus de la moitié de l’électorat de toute la province de Makamba. Certains activistes des droits de l’Homme, rencontrés dans cette commune, indiquent que des réunions d’échanges entre autorités administratives, responsables des partis politiques, police, justice, confessions

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religieuses et organisations de la société civile s’avèrent urgentes pour assainir la situation. Pour B.E., le climat d’intolérance politique qui s’observe au niveau de certaines collines de la commune est dû surtout au manque d’un dialogue permanent entre différents acteurs clés dans le processus électoral. Les responsables des confessions religieuses demandent aux responsables des partis politiques de ne pas politiser la problématique foncière. « Cela serait toucher une corde sensible qui peut remettre en cause la cohabitation pacifique et la réconciliation ». *Article produit en collaboration avec la Maison de la Presse


POLITIQUE

Vendredi, 28 décembre 2018 - n°511

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CECAB

Une déclaration qui gêne mais…. Peur dans le pays, nonrespect de certaines libertés, méfiance entre les politiciens, etc. Des inquiétudes soulevées par les évêques catholiques du Burundi, le jour de Noël.

L

a conférence des évêques du Burundi(CECAB) n’est pas allée de main morte, le jour de la naissance du Christ. Dans sa déclaration lue dans toutes les églises catholiques du pays, ces évêques se disent préoccupés. Selon eux, avec l’Accord d’Arusha, le pays était sur une bonne lancée. Ils citent entre autres le niveau satisfaisant de la liberté d’expression, l’espoir né avec la mise en place de la Commission Vérité Réconciliation (CVR), le rapatriement libre et volontaire des réfugiés, etc. Ils s’agissaient-là des signes porteurs

d’espoir et qui avaient permis au pays d’avoir une bonne réputation internationale. « Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », déplorent-ils. Les évêques catholiques du Burundi trouvent qu’actuellement, la situation n’est pas rassurante. «Entre les politiciens y -a-t-il un climat de confiance qui leur permet un dialogue franc pour débattre des problèmes qui hantent le pays? N’y a-t-il pas à l’intérieur du pays des gens qui vivent dans la peur et qui n’osent pas s’exprimer car intimidés […]?», s’interrogent-ils. Concernant la réconciliation des Burundais, ces prélats se demandent si la Commission Vérité Réconciliation (CVR) reste toujours fidèle à cette mission. Quid du respect de la laïcité de l’Etat burundais ? En effet, motivent-ils, certaines personnes sont contraintes à un culte qui n’est pas le leur. Et ce, par peur de perdre des avantages matériels et politiques. Pour eux, forcer quelqu’un à un culte auquel il

Les évêques catholiques du Burundi signataires de la déclaration.

n’adhère pas est une violation de la loi, de la liberté religieuse. Via cette déclaration, ils se demandent si les chrétiens qui font de la transhumance religieuse

par commodité économique ou peur d’être persécutés ne risquent pas de basculer dans l’idolâtrie? Et d’appeler enfin les Burundais à l’unité, à éviter les divisons de

toutes sortes et à ne pas tomber dans le culte des idoles quels que soient les avantages en retour.

Réactions • « De fausses perceptions »

A

un certain âge, j’ai compris que les évêques catholiques ne sont ni Dieu, ni Jésus ou ni Anges », a réagi Willy

• « Un message d’une importance capitale »

Nyamitwe, conseiller principal en charge de la communication à la présidence de la République. Dans son tweet mercredi 26 décembre, il affirme qu’ils sont aussi sujets à des fausses perceptions sur le Burundi. Et de déplorer que l’histoire du Burundi et de la région des Grands-Lacs est malheureusement jonchée de moult faux pas de leur part. « Heureusement que la majorité des chrétiens catholiques comprennent que la perception historique des évêques n’est ni dogme de foi ni enseignement ex-cathedra, mais juste une perception qui est sujet de débat ».

• « C’est leur droit»

Tatien Sibomana, acteur politique de la coalition des indépendants « Amizero y’Abarundi », se dit satisfait de cette sortie des évêques : « Nous avons accueilli leur message avec enthousiasme. Ce message est d’importance capitale à plus d’un titre.» D’après lui, au vu du pourcentage de la population chrétienne qu’ils encadrent spirituellement, leur message se veut sans précédent dans le contexte actuel. Quant aux points qui suscitent nombre de questionnements,

il soutient qu’ils correspondent aux préoccupations du moment. « Les esprits ne sont pas actuellement sereins. «Nous sommes maintenant dans une grave crise née de la violation de l’accord d’Arusha». Pour ce politicien, le principe de la laïcité de l’Etat a volé en éclats. Les cadres de l’Etat ou les membres des partis politiques n’ont pas de liberté de culte. «Ils sont entraînés par contrainte dans des manifestations religieuses».

• « Un message à prendre au sérieux »

De son côté, Kefa Nibizi, président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri, estime normal que des évêques aient à dire sur la gouvernance du pays. «C›est leur droit». Il rejette néanmoins toute idée de manque de confiance entre les politiciens. Sous l’initiative du forum des partis politiques ou encore par l’institution d’Ombudsman, des cadres de rencontre existent. Quant à la liberté d’expression, M. Nibizi se dit être satisfait de la situation actuelle. «La liberté d’expression est garantie. Simplement, il faut une amélioration»

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« Les évêques catholiques ont fait une déclaration importante. Au niveau de notre parti, nous considérons que c’est un message à prendre au sérieux », confie Pierre-Claver Nahimana, président du parti Sahwanya-Frodebu. Il soutient qu’ils sont intelligents et cultivés. « Ils ne peuvent pas faire une déclaration sans preuves, sans avoir mené leurs propres investigations.» A ceux qui les accusent de

se mêler dans la politique, M. Nahimana souligne qu’il est très difficile de faire le point sur la vie du pays sans parler de la politique. Par ailleurs, il signale que l’église catholique a une assise dans le pays. Pour lui, les Burundais devaient se servir de cette déclaration pour améliorer la situation socio-politique du pays. Edouard Nkurunziza & Rénovat Ndabashinze


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Les battantes de Kayogoro Les femmes de la commune Kayogoro ont compris l’importance de la solidarité. Réunies dans des coopératives, elles font de l’élevage et visent une autonomisation financière.

L

undi 24 décembre, le ciel est nuageux. De petites gouttes de pluie tombent. La population se presse pour acheter des vivres et des habits. Elle prépare la célébration de la fête de Noël le lendemain. Des mouvements de va-et-vient... 10h.Colline Kibara de la zone Bigina. Vingt-cinq femmes se sont mises ensemble pour lancer la coopérative KEREBUKA (Soyez actifs) à Mibanga, sa sous-colline, au début 2017. Trois principales activités s’y déroulent : l’épargne, l’élevage des porcs et la culture des haricots grimpants. Espérance Ndayishimiye, la chargée de sensibilisation, parle d’une contribution par membre et par semaine d’au moins 1000 BIF. KEREBUKA a commencé avec 6 porcs. Réparti dans 6 familles à ses débuts, cet élevage est en plein essor. Trois des porcs ont déjà mis bas une vingtaine de porcelets. Chaque membre de la coopérative a reçu un porcelet. Selon Mme Ndayishimiye, ces femmes préoccupées par leur autonomie financière s’impliquent beaucoup dans le développement de la coopérative. «Autrefois, la femme était considérée comme un enfant qui ne peut rien, qui attend tout de son mari. Malheureusement, la moindre mésentente entraînait la fermeture du robinet. De même en cas de décès du mari, certaines familles traversent en véritable chemin de croix.», déplore-t-elle. Pour elle, les coopératives permettent de relever ce défi.

oppement et le temps d’être des spectatrices est révolu. Nous devons nous battre au même titre que les hommes pour le bien-être de nos familles». A son domicile, une petite étable qui abrite des chèvres toutes grasses. « Elles appartiennent à la coopérative. Il y a deux ans, nous avons commencé le projet avec trois chèvres. Pour le moment, nous en sommes à sept». Derrière l’étable, la verdure d’un champ de haricots grimpants prouve la fertilité du sol. «Le fumier de cet élevage est utilisé dans ce champ», tient à expliquer Mme Bukuru. Les membres de ces coopératives ne sont pas que des femmes mariées. Les filles-mères qui ne savaient pas à quel saint se vouer s’y sont également intéressées. Vêtue de beaux pagnes jaunâtres, Linda (pseudo), témoigne : « J’ai été enceinte alors que j’étais en 9ème et l’enfant a été rejeté par son père biologique. J’ai été contrainte d’élever seule un enfant que je n’avais pas prévu. Après l’adhésion à cette coopérative, j’ai pu subvenir à mes besoins et à ceux de mon enfant.»

L’administration rassure L’action de l’association se heurte sans cesse à la faiblesse

Daphrose Bukuru montrant les sept chèvres de leur coopérative sur la colline Gasenga.

des moyens disponibles. « Nous n’avons aucun soutien, nous comptons sur nos propres moyens», se désole Mme Bukuru. «Ainsi, si notre bétail est attaqué par les maladies, nous ne trouvons pas de médicaments». Il y a des réticences de certains

maris par rapport à l’autonomie financière de la femme. Ils les empêchent de participer dans des associations par crainte de perdre leur autorité dans les familles. Les responsables des deux coopératives appellent les différents acteurs sociaux à appuyer leurs

Les membres satisfaites des réalisations Une appréciation partagée par Nahimana, l’une des membres de la coopérative KEREBUKA. Elle se réjouit de l’existence de cette dernière. «Le crédit que j’ai contracté m’a permis de commencer un petit commerce. C’est florissant, j’espère célébrer les fêtes de fin d’année sans problèmes avec mon mari même si de son côté il n’apporte rien», confie-t-elle, tout sourire. Elle ajoute qu’elle profite énormément du fumier pour ses champs. Terimbere Mukenyezi (Femme, progresse) est une autre coopérative. Basée à la colline Gasenga limitrophe de Kibara, celle-ci compte 30 membres. «Elle sert de cadre d’échanges et de réflexions sur les différentes questions qui hantent la société, comme la pauvreté», explique Daphrose Bukuru, la coordinatrice. « Nous sommes des artisanes du dével-

Espérance Ndayishimiye devant l’étable qui abrite le porc mâle parmi ceux de leur coopérative sur la colline Kibara.

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projets. Leur demande s’adresse notamment aux bailleurs de fonds pour leur procurer des moyens financiers et matériels. Ces battantes sollicitent en outre le soutien de l’administration. Celle-ci devrait sensibiliser les hommes et les femmes sur l’importance des associations féminines. Zachée Misago, administrateur communal de Kayogoro, ne tarit pas d’éloges sur les réalisations des femmes réunies dans des coopératives ou associations. Il évoque notamment le paiement des taxes sur leurs produits qui profite énormément à la caisse communale. « Les femmes sont des forces vives pour développer le pays. Allez consulter dans les marchés, vous verrez qu’elles dominent». Cet administratif évoque, à titre d’exemple, l’agrandissement et la réhabilitation des routes, moyennant des vivres ou de l’argent versés à des associations féminines. L’administrateur communal de Kayogoro affirme qu’il ne ménagera aucun effort pour sensibiliser les femmes sur l’importance de travailler ensemble. Et de les encourager à l’unité : «L’’union fait la force et elle est la clé de l’autonomisation financière.» Plus de 700 coopératives et associations agro-pastorales sont agrées au niveau de la commune Kayogoro. Lors de notre passage, le chiffre de celles exclusivement féminines n’était pas disponible. Jérémie Misago


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Le leadership féminin, un tremplin pour le développement du pays Aucun développement n’est possible sans l’implication de la femme. C’est l’avis des jeunes filles, femmes et hommes leaders des provinces Bubanza et Bujumbura. C’était lors des formations organisées, du 17 décembre au 20 décembre 2018, dans le cadre du projet « soutenir les femmes leaders d’aujourd’hui et de demain pour faire avancer la paix au Burundi». Un projet de Search for common ground (SFCG) financé par United Nations Peacebuilding Fund (UNPBF).

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n ne peut pas se prévaloir soi-même leader. C’est la communauté qui te désigne comme tel au regard de tes qualités», relèvent les participants à ces ateliers de formation. «Dans le passé, un leader était assimilé à un homme riche, mais aujourd’hui, même un pauvre peut être un leader dans la communauté». Selon les participants, être un leader est inné mais aussi on peut acquérir les qualités d’un bon leader au cours de la vie. Ils trouvent également que les femmes ont été longtemps écartées des affaires de la communauté. «Les femmes ont déjà franchi un pas pour être des leaders dans leurs communautés mais il reste un long chemin à faire». En commune Bubanza, cette formation avait été organisée par les associations Dushirehamwe et le Réseau des organisations des Jeunes en Action (REJA). Dans les communes de Mukike et Mugongomanga en province Bujumbura, c’étaient les associations Dushirehamwe et le Collectif pour la Promotion des Associations des Jeunes (CPAJ). Dans chaque commune, on avait invité une quarantaine de jeunes filles, femmes et hommes leaders. Ils ont été choisis parmi les différentes appartenances ethniques, socio-économiques, politiques et culturelles. Les grandes thématiques abordées étaient le leadership, la résolution pacifique des conflits, le plaidoyer et le réseautage ainsi que la masculinité positive.

«Les femmes peuvent faire des merveilles!» Pour Adeline Kanyange, conseillère chargée des questions administratives et sociales en commune Bubanza, ce projet arrive à point nommé dans cette période où le pays s’achemine vers les élections de 2020. Elle espère que les femmes se mobiliseront pour ces échéances électorales : «Si les femmes ne se font pas élire, leurs voix ne porteront pas loin.» Adeline Kanyange se réjouit que ce projet mette en avant les jeunes filles : «C’est une bonne chose pour le pays. Le Burundi se développera si les hommes et femmes travaillent en synergie». Elle exhorte les autres femmes à se consacrer beaucoup plus aux activités de développement mais aussi politiques. Stany Bantereke, chef de zone

En commune Mugongomanga, les participants à cette formation sont satisfaits des nouvelles connaissances acquises.

Les leaders en formation lors des travaux en groupes.

Ijenda en commune Mugongomanga, trouve que les talents des femmes ne sont pas suffisamment exploités. «Certains hommes ont des idées des temps révolus. Ils doivent plutôt soutenir les femmes au lieu de les stigmatiser». Le chef de zone appelle les femmes à se présenter massivement aux élections de 2020

afin d’intégrer les institutions qui seront élues. Il s’engage à aider dans la sensibilisation des femmes et jeunes filles de sa zone afin qu’elles puissent ellesaussi devenir des leaders dans la communauté. D’après Emelyne Nzeyimana, responsable du parti Cndd-Fdd sur la colline Mayuyu en com-

Emelyne Nzeyimana : «En cas de conflit, nous essayons de nous asseoir ensemble afin de trouver une solution sans qu’il y ait confrontation.»

mune Mukike, la plupart des conflits qui s’observent dans cette localité sont liés à la politique. «En cas de conflit, nous essayons de s’asseoir ensemble afin de trouver une solution sans qu’il y ait confrontation». Cette jeune fille d’une vingtaine d’années fait savoir que ce n’est pas toujours facile. «Ces nou-

Adrien Katihabwa : «Parler de développement sans les femmes est utopique. Elles doivent être impliquées au même titre que les hommes.»

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velles connaissances vont beaucoup nous aider pour résoudre pacifiquement nos conflits». Elle demande aux autres jeunes filles d’adhérer massivement aux partis politiques. « Dans ces organisations, on peut apprendre beaucoup de choses. Cela nous permet aussi de faire avancer nos revendications». Marie Rose Habonimana de la colline Mayuyu indique que dans leur association « Twunge Urunani », elles mettent en avant le dialogue pour régler leurs conflits. Cette jeune fille est convaincue que ces nouvelles connaissances acquises au cours de cette formation vont être très bénéfiques pour son association et pour sa communauté. «Je vais les partager avec mes amies pour qu’elles n’aient plus peur de s’exprimer en public et de participer efficacement aux développement du pays». C’est aussi l’engagement d’Adrien Katihabwa de la commune Bubanza : «Les femmes chefs de colline, administrateurs ou chefs d’entreprise ne sont pas nombreuses. Nous irons sur les collines pour les sensibiliser afin de remédier à ce problème qui prévaut depuis belle lurette.» Pour ce trentenaire, les femmes sont les piliers du développement des ménages en particulier et du pays en général. «Parler de développement sans les femmes est utopique. Elles doivent être impliquées au même titre que les hommes». Signalons que ce projet couvrira 7 provinces à savoir Bujumbura mairie, Bujumbura Rural, Bubanza, Kirundo, Makamba, Cibitoke, et Kayanza. Fabrice Manirakiza


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Un générateur électrique de 250 KVA pour soutenir les services de l’hôpital de Muyinga L’hôpital de Muyinga a reçu, ce mercredi 19 décembre 2018, un don d’un générateur électrique de 250 KVA offert par le PNUD et acquis grâce aux financements de l’Union Européenne, de la Belgique, de la France, de la Suisse et des Pays-Bas. Un don qui vient renforcer les services de laboratoire, des salles d’opération d’accouchements, de conservation de certains médicaments sensibles, des vaccins, de stérilisation et de néonatologie.

C

e don a été octroyé pour assurer la continuité d’approvisionnement en électricité à cette formation hospitalière qui souffre de coupures intempestives de courant électrique qui ont des répercussions négatives sur son fonctionnement, alors qu’il abrite l’un des six (6) laboratoires du pays, dotés d’un appareil pour le dosage de charge virale. Les hôpitaux des districts de Giteranyi, Gashoho, Mukenke, Buhiga, et Cankuzo des provinces voisines de Kirundo, Karusi et Cankuzo recourent aussi aux capacités de cet hospice, qui fait partie des laboratoires en réseau de la communauté des pays de l’Afrique de l’Est (CAE). Pour Oscar Ntirubarwango, chef du service de laboratoire, c’est un gain pour son service qui ne va plus enregistrer de retard ni de perte de réactifs : « quand le courant se coupe pendant une analyse, nous faisions recours au système de secours fonctionnant avec des batteries. Mais ce système ne durait qu’une heure. Cela causait la perte de réactifs parce que quand la machine s'arrêtait, nous devions recommencer l’analyse car, certaines analyses durent plus d’une heure». Quant à Odile Kanyange, cheffe du service de néonatologie, ce sera un atout pour les machines qui fournissent de l’oxygène aux bébés nés prématurément : « Les couveuses que nous utilisons ici ont besoin de courant électrique. Et quand le courant de la Regideso se coupe et que notre ancien générateur est en panne, les bébés ne peuvent plus recevoir l’oxygène fourni par ces machines. Maintenant nous allons pouvoir alimenter nos couveuses sans interruption». Le directeur de l’hôpital de Muyinga salue quant à lui ce don qui vient renforcer les capacités de son hôpital. Pour lui, il n’y aura plus de problème au niveau énergie car ce générateur est assez puissant pour alimenter tout l’hôpital :« Lorsqu’il y a coupure d’électricité, certains services en souffrent notamment les services de laboratoire, de chirurgie et la néonatologie. Il pouvait arriver que le courant se coupe pendant une opération et malheureusement, notre ancien générateur n’était pas assez puissant pour couvrir tous les services de l’hôpital. On devait alors

De gauche à droite : « Le repésentant de l’ambassadeur de UE, le représentant résident a.i du Pnud au Burundi, le directeur des infrastructures sanitaires et le directeur de l’hôpital de Muyinga devant le groupe électrogène. »

approvisionner alternativement les différents services. Actuellement, nous sommes content parce que ce nouveau générateur pourra alimenter tous les services.” Il demande néanmoins un soutient pour sa maintenance notamment au niveau du carburant : « le groupe qu’on avait avant consommait 5 litres de carburant par heure mais le nouveau va presque quadrupler la consommation (18 litres par heure) et cela va impacter le budget de l’hôpital. Si les partenaires nous aident pour ce qui est du carburant, cela pourrait réduire nos dépenses qui sont en grande partie consacrées à l’achat des médicaments. » Selon Alfredo Teixeira, représentant résident a.i du PNUD au Burundi, ce matériel vient renforcer les services offert par cet hôpital notamment dans son service mère-enfant : « Avec le concours de l’Union Europée-

nne, de la Belgique, la France, les pays-bas et la Suisse, il a été convenu que le groupe électrogène soit transféré à l’hôpital de Muyinga pour sécuriser l’approvisionnement en électricité et pérenniser les appareils de dosage de la charge virale. Ce matériel va également participer à renforcer l’accès à des services équitables pour la santé de la mère et de l’enfant plus particulièrement la prise en charge précoce des nouveaux nés des mères séropositives. Il appelle également les partenaires à se joindre au PNUD pour développer ensemble un programme de renforcement de l’infrastructure électrique des centres de santé, grâce aux énergies propres renouvelables en ciblant notamment : les salles d’accouchement, les blocs opératoires, les pharmacies, y compris la pérennisation de la chaîne du

Une des couveuses qui seront alimentées par le nouveau générateur électrique

froid pour les produits sensibles et les laboratoires. Pour Xavier Pavard, qui a représenté l’Union Européenne, la remise de ce générateur est un symbole de l’évolution des changements de l’aide au développement de la plupart des bailleurs. Il est revenu sur l’importance de l’énergie comme facteur indispensable au développement. « Je ne pense pas qu’on puisse prétendre au développement économique et social sans fournir de l’énergie. Et c’est encore plus vrai pour le fonctionnement d’un hôpital, que ça soit pour les accouchements, les opérations chirurgicales, le laboratoire, la conservation de certains médicaments et les vaccins, il faut de l’énergie, de l’électricité en continu », a-t-il martelé. Il promet que son organisation va tout faire pour que ce groupe électrogène reste fonction-

nel notamment en ce qui concerne le carburant : « Beaucoup d’actes pratiqués dans cet hôpital requièrent un accès à l’électricité. Au-delà du matériel lui même, il y a l’entretien nécessaire et une consommation de carburant. On va s’attacher à ce que cet investissement soit durable. Pour toutes ces raisons, je suis impatient de le voir en marche, assister les patients de l’hôpital et de la population au sens large ». Dans son mot de circonstance, l’ingénieur Déo Niyonkuru, Directeur des infrastructures sanitaires et équipements au Ministère de la Santé publique et Lutte contre le SIDA, remercie les partenaires pour ce don inestimable. Il demande également aux bénéficiaires d’en faire bon usage : « Il s’agit d’un geste éloquent de soutien à la riposte au VIH en général et au service de qualité en matière de suivi des personnes vivant avec le VIH Sida sous traitement antirétroviral en particulier. J’exhorte les responsables sanitaires du bureau provincial de Muyinga de s’en servir utilement dans l’intérêt non seulement de la province susdite mais aussi des provinces voisines qui y achemineront les échantillons. » Il recommande aussi au programme de lutte contre le Sida et la tuberculose de suivre de près la problématique de maintenance des appareils de mesure de charges virales et à leur utilisation optimale. Il leur recommande également la mise en place d’un circuit de transport efficaces et efficient des échantillons.

Représentant résident a.i du Pnud au Burundi : « Ce matériel va soutenir les services de la santé de la mère et de l’enfant

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Université de Ngozi, bientôt dotée d’un campus virtuel

L

es enseignants de l’Université de Ngozi ont suivi, du 18 au 22 décembre 2018, une formation sur la mise en place et la gestion de l’enseignement à distance. « Les technologies d’information et de communication sont en train d’entrer un peu partout, surtout en Afrique. Et Ngozi ne devrait pas rester en arrière », dira le chef de département d’informatique de l’Ecole Normale Supérieure de Bertoua au Cameroun, expert AUF et animateur de la formation. L’objectif de la formation est de donner aux enseignants des compétences pour mettre des cours en ligne suivant les standards de la formation à distance au niveau mondial. Ce formateur fait remarquer que plusieurs universités aujourd’hui adoptent des formations mixtes, à savoir enseignement physique en présentiel et un enseignement à distance où l’étudiant peut suivre les cours depuis sa chambre ou ailleurs. Ce campus virtuel permettra aux étudiants des facultés, départements et filières que comptent cette université de pouvoir suivre les cours à distance, souligne-t-il. Un des participants, André Nyandwi chef du département de droit, se réjouit de

l’introduction de cette nouvelle technologie à cette université. Il signale avoir déjà utilisé ce programme sans avoir assez de connaissances. Aujourd’hui, il assure être mieux outillé, même si le temps alloué à la formation est insuffisant. « Je vais initier certains exercices pour que les étudiants puissent être informés de l’existence d’une méthode nouvelle

qui permet d’étudier à distance. » Quant à l'Abbé Apollinaire Bangayimbaga, Recteur de l’Université de Ngozi, il estime que l’intégration de ces nouvelles technologies est une nécessité. « Avec la carence des professeurs, ce dispositif de formation à distance multipliera les chances d’avoir des professeurs qui peuvent entrer dans le campus virtuel et dis-

penser des cours sans se déplacer. » Soulignons que cette formation à l’endroit des professeurs a été organisée par l’Antenne Afrique des Grands-Lacs (AAGL) de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) en collaboration avec l’Université de Ngozi, membre de l’AUF depuis près de 18 ans, selon le recteur. Des certificats de participation ont été

délivrés aux 13 enseignants ayant suivi les modules sur la mise en ligne et gestion de cours distants et aux 2 informaticiens qui ont suivi le module sur l’installation et l’administration de la plateforme de gestion d’enseignement distant, MOODLE. Ces certificats étaient doublement signés par M. Alexis Kwontchie, Directeur de l’AAGL, et le Recteur de l’Université de Ngozi.

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Avec Juvénal Ngorwanubusa Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Juvénal Ngorwanubusa.

V

otre qualité principale ?

particulièrement secouée depuis les indépendances. J’associe à cet hommage les noms de ses collaboratrices Maja Schaub et Ana Tognola.

L’humour. A un interlocuteur qui demandait un jour au sage malien Amadou Hampaté Bâ : « Que pourrait donc nous apporter l’Afrique ? », il avait répondu : « Le rire que vous avez perdu ». Je suis moi-même un raconteur d’histoires que mes interlocuteurs jugent plaisantes. Et tant mieux ainsi par les temps qui courent. Votre défaut principal ? L’optimisme. Je suis désolé pour ceux qui pensent ou croient qu’il s’agit là d’une qualité. Etant moimême d’un naturel optimiste, j’ai progressivement intégré la définition qu’en donne Voltaire dans Candide, à savoir « la rage de croire que tout va bien quand on est mal ». Car pendant les moments de découragement, surtout lorsque la politique nous joue des tours, j’ai beau asséner à mes interlocuteurs que ça ira mieux demain, mais j’avoue que j’ai de la peine à convaincre. La qualité que vous préférez chez les autres ? Le souci des autres. Ceci transparaît dans les réponses que je donnerai aux autres questions. Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ? La vantardise. La grandiloquence des politiciens démagogues qui s’entendent parler et qui croient que, parce qu’ils occupent une parcelle du pouvoir, ils accèdent automatiquement au savoir. La suffisance de ces matamores qui se déplacent sous la protection d’un contingent de policiers et de militaires, canons tournés vers les passants apeurés, et qui une fois démis de leurs fonctions officielles et rendus à la vie ordinaire, découvrent, à vrai dire sans beaucoup de surprise, que non seulement personne ne leur en voulait, mais encore que tout simplement, en dehors de leur cercle

restreint d’amis, personne ne les connaissait. L’imposture de ces usurpateurs qui n’ont pas mis le pied à l’université ou qui l’ont fréquentée en empruntant des raccourcis, mais qui s’appellent pompeusement professeurs et prétendent savoir tout maîtriser en l’absence d’une spécialité quelconque. La mégalomanie de toutes ces personnes devenues riches par accident et qui changent immédiatement de fréquentations, bref cette race de parvenus qui se croient sortie de la cuisse d’Imana lui-même. Je leur proposerais pour méditation cette parole de sagesse de nos aïeux : « A l’opulence succède la misère noire » (Inyuma y’inyungu haza akanyarire ». La femme que vous admirez le plus ? J’ai compris qu’il ne fallait pas parler ici de la mère de mes enfants, mais je n’en pense pas

moins. Des femmes d’exception ont existé et existent à travers le monde et ont comme noms Simone de Beauvoir, Simone Veil ou Michelle Obama… Mais il y en a d’autres qui manifestent leur grandeur par des actes en dehors de toute publicité. Je pense par exemple à Madame Brigita Züst. Voilà une femme de nationalité suisse, donc native d’un pays dont les relations historiques avec l’Afrique sont relativement récentes, qui met ses propres fonds et d’autres qu’elle recherche auprès de différents bailleurs, à la disposition de Sembura, une plateforme vouée à la promotion des Lettres dans la région des Grands Lacs Africains. Rien ne l’y obligeait à première vue. Mais elle le fait pour rendre la littérature non seulement désirable mais aussi utile, car elle est convaincue que l’écrivain a une responsabilité dans la résolution pacifique des conflits dans une région qui a été

L’homme que vous admirez le plus ? J’en admire beaucoup. De ces hommes et femmes qui se sont dépassés, il y en a plusieurs dans le monde et en Afrique comme Nelson Mandela. Malgré nos chicanes, tous les Burundais font chorus pour faire du premier ministre Louis Rwagasore leur personnalité-bannière. J’ajouterai la figure d’Epitace Bayaganakandi, ce politicien développementaliste et proche du peuple, auquel j’ai consacré un opuscule intitulé « Epitace Bayaganakandi : un destin d’exception ». Mais ici je parlerai d’un autre burundais auquel la plupart de mes compatriotes ne s’attendent peut-être pas forcément : Léonard Nduwayo. Ce jeune juriste fraîchement diplômé de l’université Lovanium à Kinshasa est Procureur de la République du Burundi au début des années 1970. C’est le procès politique à relents régionalistes autour de l’affaire dite Ntungumburanye qui lui offre l’occasion de dévoiler ses qualités d’homme intègre. Alors que des militaires et des civils pour la plupart originaires de la province de Muramvya et ses environs sont suspectés de menées subversives et de comploter contre le président Micombero et son régime réputé dominé par les ressortissants de la province de Bururi, Léonard Nduwayo prononça un courageux réquisitoire resté mémorable pour éviter que des innocents soient immolés. Il démonta un à un les arguments de l’accusation, en démontrant qu’à supposer même qu’il y ait eu l’intention de fomenter un coup d’Etat, la loi burundaise ne punissait pas les intentions, en l’absence de preuves d’un début d’exécution. Si des peines de mort et autres peines de travaux forcés furent pronon-

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cées à l’encontre des prévenus, il n’en demeure pas moins que cette plaidoirie permit à Micombero de trouver une voie de sortie et de les acquitter finalement. Cet acte de bravoure posé par un magistrat lui-même appartenant à la sphère du pouvoir de l’époque, me semble n’avoir pas été apprécié à sa juste valeur. Pourtant si à toutes les heures sombres de notre histoire il y avait eu d’autres Léonard Nduwayo, peut-être que son cours aurait changé. Certes il fut désigné au Conseil National des Bashingantahe et présida le Comité National Olympique, mais il n’a pas à mon goût reçu l’honneur qu’il méritait. Je donnerais son nom à une rue de Bujumbura… Votre plus beau souvenir ? Les années de licence à l’université catholique de Louvain à Leuven en pays flamand (19751977). Retrouvant dans l’équipe enseignante, des professeurs que j’avais connus comme visiteurs en candidature à l’Université Officielle de Bujumbura (UOB), je découvris une proximité que je n’avais pas connue auparavant entre le corps professoral et les étudiants. Je goûtais les délices d’une ville universitaire où tout semblait être fait pour les étudiants. S’il existait encore quelques cafés où les noirs n’étaient pas admis, le racisme n’y était pas exacerbé. Je jouissais pour la première fois d’une réelle autonomie, notamment financière, ce qui ne gâte rien. Ainsi, je pouvais payer de ma bourse un billet d’avion pour rentrer en vacances au Burundi. Votre plus triste souvenir ? Paradoxalement, mon plus mauvais souvenir remonte à cette même époque. En arrivant à Louvain je fus accueilli par un certain Isidore Ndikuriyo, originaire comme moi de Kiganda. On le surnommait « Cachalot », sans doute parce qu’il nageait divinement. Mais il se fit qu’après un


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mêmes potentialités sont en passe de le réaliser chez eux.

peu plus d’un mois après mon arrivée à Louvain, mon ami et logeur mourut dans un accident de voiture sur la route de Louvain-la-Neuve où il allait féliciter des compatriotes qui défendaient leurs mémoires de Licence. Je courus à l’Administration Générale de la Coopération au Développement (AGCD), l’organisme belge gestionnaire des bourses d’études pour les étrangers et, avec d’autres, à l’Ambassade du Burundi à Bruxelles pour demander le rapatriement du corps, ce qui fut fait. Quelques temps après, l’AGCD m’écrivit une lettre pour me féliciter de m’être occupé de ce dossier alors que je venais à peine d’arriver en Belgique. Mais cet épisode m’avait secoué. Quel serait votre plus grand malheur ? C’est ce qui fut le plus grand malheur de nos ancêtres : vieillir dans la solitude et le dénuement. En kirundi cela se disait Kwipfuza iyo wageze, pour exprimer la nostalgie des jours heureux où ils furent de vaillants guerriers respectés de tous, entourés de leur progéniture, au milieu d’un enclos plein de vaches. Le départ des enfants, le veuvage, le manque, ne fût-ce que d’un petit-fils, pour aller puiser de l’eau au marigot le plus proche et leur faire la cuisine, tout cela leur ôtait la dignité à telle enseigne qu’ils étaient réduits à quémander des biens et des services, même auprès de gens qu’ils méprisaient, bref, « demander à qui on a refusé » (Gusaba uwo wimye). Beaucoup n’y survivaient pas. Pour moi-aussi ce serait le plus grand malheur que de mourir comme un vieux lion que ses congénères abandonnent dans la brousse parce qu’il ne peut plus chasser et le laissent à son sort. Le plus haut fait ` de l’histoire burundaise ? La victoire de simples paysans burundais, armés de flèches sur les hordes de l’esclavagiste omanais Mohamed Ben Khalfan dit Rumaliza, Mwezi Gisabo étant roi du Burundi. Ceci prouve s’il en était encore besoin, que la ferme détermination pourrait venir à bout de toutes les forces du mal. La plus belle date de l’histoire burundaise ? Je dirais comme tout le monde 1er juillet 1962, date où le Burundi a recouvré sa souveraineté nationale. Mais ce peuple gentilhomme qui chantait à gorge déployée « Burundi bwacu », en lieu et place de la Brabançonne ne savait pas qu’il allait vite déchanter. La plus terrible ? Ce n’est pas une date mais une période couvrant à peu près une année : juillet 1971-juillet 1972. Ce fut véritablement un annus horribilis. Toutes les contradictions internes de la jeune République s’étaient donné ren-

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Votre chanson préférée ? Je n’en ai pas en particulier. Mais je suis dans ce domaine assez conservateur. Ce sont les chansons des années 1970-1980, qui me donnent envie de les fredonner. Car la définition canonique de la musique qui est « l’art de produire et de combiner les sons pour le plaisir de l’oreille » ne convient pas forcément à tous, dès lors qu’elle fait appel au principe de plaisir.

dez-vous pendant cette année. Commencée avec l’arrestation de prétendus putschistes sur fond de régionalisme en juillet 1971, elle se poursuivra avec l’arrestation de l’ancien roi Ntare V, sur fond d’antimonarchisme en mars 1972, pour atteindre son point d’orgue le 29 avril 1972 sur fond d’ethnisme. C’est pourquoi le gouvernement formé par le premier ministre Albin Nyamoya à la mijuillet 1972, fut accueilli avec soulagement. Le métier que vous auriez aimé faire ? « Non, rien de rien, Non ! Je ne regrette rien », chantait Edith Piaf. Je la paraphraserais volontiers en disant que moi-même je ne regrette rien sous ce rapport. Car j’ai exercé le métier de mes rêves. Encore à l’école primaire, lorsque le maître nous demandait ce que nous voulions faire une fois grands, tous-moi y compris- nous répondions « prêtre » ou « mwalimu instituteur ». C’est vrai que j’ai fréquenté le Petit Séminaire de Kanyosha jusqu’à la fin du cycle inférieur des Humanités. Mais, même si je l’avais soigneusement dissimulé à l’abbé recteur du séminaire lors de mon recrutement à Kiganda, ce n’était pas parce que je voulais devenir un digne successeur de Melchisédech, mais simplement pour y faire des études, les écoles secondaires n’étant pas légion à l’époque. En revanche, je suis devenu enseignant. Depuis la fin de mes études, à part un intermède passé au gouvernement (20052007), je n’ai fait qu’enseigner à l’Université du Burundi, avec des missions de visiting dans d’autres. Je ne pense pas qu’un métier autre que l’enseignement m’aurait épanoui. Il paraît même que j’ai tendance à l’exercer partout où je passe, même en dehors des auditoires. Votre passe-temps préféré ? La lecture. Tant la lecturecontrainte lorsque je prépare mes enseignements ou mes publications scientifiques, que

la lecture-plaisir. Je ne dédaigne aucun genre : littérature, essai de sciences humaines, ouvrages philosophiques ou politiques. Tous ceux qui me connaissent savent que je ne bouge pas de chez moi les dimanches. Ce n’est pas pour faire la grasse matinée mais pour m’adonner à la lecture. Votre lieu préféré au Burundi ? Kanyami. C’est la colline la plus méridionale de la Province de Muramya, dans la commune de Kiganda, aux portes de Rusaka en province de Mwaro. C’est là qu’a été enfoui mon cordon ombilical. Quand j’étais petit, il n’y avait aucune infrastructure. Ni route, ni école, ni centre de santé. Mais peu à peu, avec certaines bonnes volontés comme Silas Rumbete, Venant Ntahonsigaye et d’autres - dont la liste serait trop longue pour cette feuille de papier- nous avons fait que le chef-lieu de la zone Kanyami prenne l’allure d’une belle bourgade. C’est en qualité de représentant de Kanyami que j’ai été par intermittence de 1981 à 2005, membre du Conseil consultatif communal, puis du Conseil communal de Kiganda, Vice Président de l’Amicale de Kiganda et membre du Conseil d’Administration de la Société d’exploitation du marché de Gatabo. Et si mes amis m’ont donné le surnom de « Kigandien », c’est que je ne l’ai pas volé ! Il ne se passe pas un mois sans que je fasse un saut à Kanyami. J’y investis selon mes faibles moyens. Je profite de cette occasion pour remercier le Cercle de Développement de Kanyami, présidé par Oscar Ndikuriyo, de m’avoir décerné un Certificat d’Honneur, sous l’égide de l’Administration dans le cadre du développement durable de la localité, en reconnaissance de mon attachement à leur terroir. Bien sûr que comme partout, à Kanyami il ne manque pas d’irréguliers qui, ayant pris un verre de trop au cheflieu de la zone dont j’ai vu la création, profèrent des propos qu’ils regrettent le lendemain. Il est aussi vrai que ma colline natale héberge quelques malfrats qui récoltent

dans les champs d’autrui ce qu’ils n’ont pas semé. Mais je me venge d’elle en l’aimant toujours. Je souhaiterais y être enterré. Le pays où vous aimeriez vivre ? Au Burundi assurément. Hubert Juin, écrivain belge francophone, parlant de son pays, écrivait dans Le repas de Marguerite : « On pense que c’est petit chez nous ; et il y a du vrai dans ce propos, mais il y en a là-dedans à voir, à entendre, à comprendre, que ce n’est pas la peine de courir plus loin… ». Je dirais la même chose du Burundi. Mais, pourra-t-on me rétorquer, le Burundi est un pays en proie à ses démons depuis 1962, dans lequel quand la crise cesse momentanément, elle fait place à l’interbellum et où les réflexes identitaires réapparaissent comme le monstre du Lockness… Eh bien, même avec cela, je répondrai encore et toujours le Burundi, me faisant fort de la sagesse de nos ancêtres qui disaient : « Nul ne renonce à téter sa mère sous prétexte qu’elle a la gale » (Ntawanka kwonka nyina ngo arwaye amahere). J’ai beaucoup voyagé et j’ai constaté qu’on n’est nulle part plus heureux que chez soi. D’ailleurs même quand je faisais mes études à l’étranger, j’achetais le billet de retour avant de passer les dernières épreuves. Le voyage que vous aimeriez faire ? En Australie, car si je connais les autres continents, je n’ai jamais été en Océanie. J’y voyagerais volontiers mais pour revenir à mon point de chute, le Burundi. Votre rêve préféré ? Voir le Burundi embrasser la modernité sans s’écarter de sa culture. Moyennant une volonté politique, ce rêve ne devrait pas tarder à devenir une réalité, car des pays voisins dotés des

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Quelle radio écoutez-vous ? Cela dépend des émissions. J’écoute la RTNB pour l’émission Ninde ?, Les radios privées pour les informations locales, RFI ou BBC pour les informations internationales. Sinon je zappe sur les différentes chaînes de télévision. Avez-vous une devise ? Ne pas lâcher. C’est cette devise qui me soutient lorsque je suis confronté à un travail ardu, notamment pour terminer une publication. Votre souvenir du 1er juin 1993 ? La surprise. Comme d’autres sans doute, j’avais pensé, peutêtre naïvement, que le Président Pierre Buyoya allait récolter les dividendes de sa politique d’unité et réconciliation, amorcée au lendemain des événements de Ntega et Marangara à l’Assomption 1988. Un gouvernement de l’unité, la mise sur pied d’une Commission Nationale chargée de l’unité nationale, une charte de l’unité, des places de l’unité un peu partout …, il avait un bilan à défendre. D’ailleurs tous les pronostics, dont par exemple faisait état Radio France Internationale, le donnaient gagnant. C’était donc un sentiment de surprise, dénué de tout autre, car il en va ainsi de la compétition politique. Ceux qui ont éprouvé un sentiment de déception devaient plutôt prendre acte et attendre les échéances suivantes. Je condamnerai toujours tout changement de régime opéré dans la violence. C’est pourquoi, après l’assassinat du Président Ndadaye le 21 octobre 1993, en qualité de représentant de la ligue des Droits de l’Homme Sonera, j’ai signé avec d’autres responsables d’Organisations de la Société Civile, une pétition en faveur du retour à l’ordre constitutionnel. Votre définition de l’indépendance ? Je définirais l’indépendance par ce qu’elle n’est pas. Ce n’est pas se recroqueviller sur soi, céder au complexe du mille-pattes, inyongori. Lorsqu’il se sent en danger, il se recroqueville sur luimême, se roule en boule croyant se protéger. Mais il devient encore plus vulnérable, car on le balance


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AU COIN DU FEU

plus facilement au loin d’un coup de pied. L’indépendance ne se conçoit pas en dehors de la solidarité internationale, de l’interdépendance. On est indépendant pour assurer le bien-être collectif, défendre l’intérêt général. On n’est pas indépendant pour malmener son peuple à huis clos et ensuite déclarer aux éventuels témoins : « circulez, il n’y a rien à voir ». De même, le « nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » de Sékou Touré dans son discours historique de 1958, doit être repensé. Un peuple n’est pas libre quand la majorité ne parvient que difficilement à manger une fois par jour. Pour revenir au Burundi, voici ce qu’écrivait en 1994, Jean Ghislain, ancien Administrateur Territorial belge au Burundi, notamment à Muramvya, en épilogue à son livre intitulé L’arrivée des Européens au Burundi : « Hélas, l’indépendance va rapidement plonger le Burundi dans le désordre, la gabegie, le déclin économique, les intrigues, les arrestations arbitraires, le déni de la justice, la guerre civile, la dictature et les massacres socio-ethniques. C’était payer cher et inutilement une indépendance prématurée et manigancée par les théoriciens de l’ONU ». Autant je m’inscris en faux contre les affirmations faisant état d’une prétendue « indépendance prématurée » et de pseudo-« manigances de l’ONU »-mais on n’en attendait pas moins d’un un ancien colonial nostalgique- autant je trouve parfaitement fondé le reste du constat. Il le faisait en 1994, et je défie quiconque de le démentir 25 ans après. En tout cas je fais miennes les deux dernières phrases de son essai : « Chaque peuple peut évidemment se gouverner lui-même. La question est de savoir comment ». Votre définition de la démocratie ? Pour tenter de définir un tant soit peu la démocratie, je me référerai comme tout le monde à la Grèce antique. Non pas pour y chercher l’étymologie de ce mot. Un mot n’a pas de sens étymologiquement, il en a dans son contexte. Des Grecs, jadis demandaient au sage Solon « Quelle est la meilleure Constitution ? » Il répondit : « Ditesmoi d’abord pour quel peuple et à quelle époque ». Il en est de même de la démocratie. Celle qui convient pour le Burundi devrait s’inspirer de l’Ubuntu. Et il n’y a pas mieux que l’abbé Michel Kayoya pour définir ce concept. Dans Sur les traces de mon père, il le décline en termes d’humanisme (ubupfasoni), de souci de l’autre, de dévouement affable (ubuvyeyi), et de justice

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(ubutungane) qui est la composante majeure de l’Ubuntu. La démocratie c’est ce régime politique qui empêche à l’homme de devenir un loup pour l’homme, mais au contraire qui en fait un compagnon agréable. Bien sûr que les élections restent incontournables pour accéder au pouvoir en démocratie. Mais il leur faut un supplément d’âme. Ce sont ceux qui l’ont confinée aux seules élections qui l’ont viciée ou appauvrie. On peut être élu sans être démocrate, et la montée des nationalismes à laquelle on assiste aujourd’hui en Europe, en constitue un exemple parlant.

recherche scientifique. Avant les pour standardiser notre langue : leurs semblables, surtout dans la années 1990, parler d’ouverture un dictionnaire, une grammaire, peine ? Oui, la bonté existe. Moid’universités privées était perçu une poétique et une rhétorique. même je l’ai rencontré à travers comme une trahison vis-à-vis Et je n’aurais pas inventé le fil des partenaires dont les rapports de la seule université publique à couper le beurre ! Toutes les vont au-delà du purement proqu’était l’université du Burundi. académies commencent par là. fessionnel, comme par exemple Je me souviens du tollé provoqué Nous n’écrivons pas le kirundi Marc Quaghebeur, le Directeur vers les années 1995-1996 lorsque de la même façon et de plus en des Archives et Musée de la Litfut dévoilé un projet de création plus nos jeunes le parlent d’une térature de Bruxelles, éditeur et d’une « université catholique assez piteuse façon (hama, ni préfacier des mes publications. du Nord ». Mais depuis qu’au Pensez-vous à la mort ? bon…). Et pourtant nous avons la Burundi les universités privées Oui, mais ce n’est pas une obseschance d’avoir une langue à nous font partie du décor familier, tous. Mais comme dit la sagesse sion. J’y pense même occasionça part dans tous les sens. Chapopulaire : « Celui qui porte une nellement, lorsqu’elle emporte cun veut une université à lui ou belle perle blanche autour de son par exemple un jeune dans la chez lui comme si la quantité cou est le seul à ne pas la voir » force de l’âge et que je la trouve des établissements supérieurs (Uwufise ikirezi ntabona ko cera). par conséquent injuste. Je me primait l’exigence de qualité. Devenu ministre de la Cul- dis alors « qu’ai-je fait pour être On n’a pas eu le temps d’évaluer ture de Charles de Gaulle, André épargné » ? Je ne crois pas que ma Votre définition leur pertinence, leur viabilité, les Malraux s’était investi dans mission de former et d’informer de la justice ? moyens de leur fonctionnement, la dissémination des maisons les jeunes et de leur partager mon Pour moi, c’est celle qui était le mode de recrutement des prodes jeunes et de la culture dans expérience soit accomplie. Mais incarnée par l’institution des fesseurs qui s’imposerait à tous, toute la France. Je suivrais ce bon si la mort venait me cueillir, à sages Bashingantahe. Tous les l’adéquation éducation-emploi, exemple, car il faut rendre au condition qu’elle ne me fasse pas Burundais devraient se sentir surtout en termes de planificapeuple sa culture. Pour ne pas la languir dans l’antichambre de la fiers de cette institution d’autant tion des ressources humaines et confiner à quelques espaces où douleur, je la suivrais sans états plus qu’elle est un phénomène des besoins essentiels. La deuxdes touristes viennent se repaître d’âme, en toute ataraxie. sui generis au Burundi, inconnu ième mesure serait d’arrimer d’une culture folklorisée. Comme chez nos voisins, même chez ceux l’enseignement supérieur Si vous comparaissiez c’est déjà le cas pour l’agriculture, qui nous sont culburundais aux devant Dieu, la santé, l’éducation… je créerais turellement les « Je parie qu’il n’y a standards interque lui diriez-vous ? des directions provinciales de la plus proches. Je nationaux. Car C’est une question difficile. Elle culture. nulle part au monde, j’ai l’impression suis triste lorsque implique que l’on se place sur le j’entends des une université dont que nous vivons terrain de la foi. Elle sous-entend Croyez-vous débats oiseux encore en autarque l’on doive d’abord affirmer si à la bonté humaine ? la Bibliothèque entre ceux qui cie à l’heure de Oui j’y crois. Et par la même oui ou non on croit en l’existence ne dispose pas tiennent à mainla mondialisaoccasion je conteste cette max- de Dieu. A cette dernière, je de service de prêt tenir le concept de tion. Les offres ime de La Rochefoucauld qui réponds sans ambages que pour « Bashingantahe » comme à l’université de formation, affirme qu’il n’y a pas de vertu moi Dieu existe. Je suis sous ce et ceux qui veulent les statuts des désintéressée et que derrière rapport quelque part voltairien. du Burundi ». lui substituer celui e n s e i g n a n t s , tous les actes vertueux se pro- On a longtemps fait un mauvais de « bagabo ». C’est les critères de file un calcul intéressé. Pour procès à Voltaire, en le présentlâcher la proie pour l’ombre. Les recrutement et de promotion des lui, l’intérêt, appelé « amour ant pour un athée, mais il n’en deux termes sont interchangeenseignants peuvent s’inspirer de propre » serait le moteur de est rien. Il fut déiste comme ables, et l’essentiel n’est pas dans ce qui se passe ailleurs, car qui dit toute activité humaine, comme il l’exprimait dans sa célèbre le mot mais dans la chose. Et université dit universel. Il en est qui dirait : « pas d’intérêt, pas métaphore de l’horloger. Si vous la chose c’est cette manière de de même des services offerts à nos d’action ». Moi je pense que c’est voyez une horloge, c’est qu’il ya trancher les palabres qui bannit étudiants. Je parie qu’il n’y a nulle le fait d’un esprit pessimiste. un horloger, et si l’univers existe, l’humiliation et recherche la conpart au monde, une université Sinon quel serait le sentiment c’est que c’est Dieu qui l’a mis ciliation et la réconciliation. Celle dont la Bibliothèque ne dispose sous-tendant l’action du Docteur là. La croyance en Dieu lui était qui rend une justice équitable et pas de service de prêt comme à Mukwege qui répare les femmes dictée par la raison. C’est l’Eglise, qui, même lorsqu’elle frappe l’université du Burundi… 24 heures sur 24, à son hôpital surnommée l’infâme, qui était sévèrement « gukubita intahe de Panzi, si ce n’est la bonté ? Ce dans son collimateur car selon mu gahanga », c’est dans l’objectif Si vous étiez ministre de la médecin qui a entamé ses études lui, elle prétendait en connaître de promouvoir le « vouloir vivre Culture, quelles seraient vos à l’université du Burundi, ne plus que Jésus lui-même. Moi je ensemble », cher à Renan, et non deux premières mesures ? s’est pas donné par simple con- crois en l’existence de Dieu et d’assouvir des haines ataviques, Je rendrais hic et nunc opérascience professionnelle ni pour en l’Eglise et je ne doute pas que comme on l’observe hélas parfois tionnelle l’Académie rundi. Les mériter le Prix Nobel de la Paix je comparaitrais un jour devant de nos jours. textes portant son organisation qu’il a reçu à juste titre. Et de Dieu. Et je lui dirai : « Il vous a existent. Mais depuis la monarquel sentiment procède l’œuvre plu que sur terre j’appartienne à Si vous étiez ministre de chie, les textes existaient, même de Madame Marguerite Baranki- une génération sacrifiée, n’ayant l’Enseignement Supérieur et si l’abbé J.B Ntahokaja n’a pas reçu tse en faveur d’enfants orphelins connu ni la paix ni le développede la Recherche scientifique, le soutien nécessaire pour la faire qu’elle ne connaissait pas à Ruy- ment. Fais que ceux que je laisse quelles seraient vos deux prefonctionner. Je lui assignerais igi et ailleurs ? Et cette solidarité là-bas obtiennent une amélioramières mesures ? la mission d’élaborer les outils des Burundais pour soutenir tion de leur sort ». Je m’interdirai justement de Propos recueillis par prendre des mesures trop hâtives Egide Nikiza et non concertées. Dans une vie antérieure, j’ai été ministre de la Fonction Publique, du Travail rofesseur Ordinaire à l’Université du (roman, 2012), «La littérature de langue et de la Sécurité Sociale. J’ai telBurundi, Juvénal Ngorwanubusa est française au Burundi» (2013), un essai qui lement privilégié le dialogue au né à Kiganda-Kanyami en 1953. Il est a reçu le Prix «La Renaissance Française», docteur en Philosophie et Lettres (Philologie décerné en 2014 par l’Académie des sein de la tripartite « GouverSciences d’Outremer de Paris, et de «Le nement-Employeurs-Travailromane) de l’Université Catholique de Louregard étranger: l’image du Burundi dans leurs », que pendant deux ans vain. A l’Université du Burundi, il a occupé les littératures belge et française»(2014). (2005-2007), il n’y eut jamais de les fonctions de doyen de la Faculté des Présent sur la scène politique burundaise, grève, alors que le droit de grève Lettres et Sciences Humaines, de titulaire de Juvénal Ngorwanubusa a été ministre de la était reconnu à l’époque, comme la Chaire Unesco en Education à la paix et Fonction Publique, du Travail et de la Sécus’il s’agissait d’un moratoire. résolution pacifique des conflits, et de con- rité Sociale de 2005 à 2007. Il préside le La première mesure qui serait seiller du Recteur chargé de la Coopération. parti «Mouvement de Rassemblement Le professeur Ngorwanubusa est auteur, d’ailleurs à ma portée serait donc pour la Réhabilitation du Citoyen (MRCentre autres, de «Les années avalanche» d’organiser un débat national sur Rurenzangemero). l’enseignement supérieur et la

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Bio express

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ÉDUCATION

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Kirundo

Abandon scolaire : Des chiffres alarmants L’année dernière, sur près de 280000 cas d’abandons scolaires, 21.000 sont enregistrés à Kirundo. C’est la province la plus touchée. La pauvreté est mise en cause.

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arents et responsables des écoles de Kirundo soutiennent que la pauvreté est l’une des principales causes des abandons scolaires. Cette province du nord du pays est la plus touchée par ce phénomène. Gordien Sirabahenda, directeur de l’enseignement dans la commune de Busoni, signale que les trois premières ECOFO à enregistrer un nombre élevé d’abandons scolaires sont de cette commune. Gérard Ngarukiyinka, directeur de l’ECOFO Kibonde, la première à enregistrer un effectif élevé d’abandons scolaires dans la commune de Busoni pour l’année scolaire 2017-2018, évoque la faim comme cause principale : «J’ai constaté que certains enfants sont venus s’inscrire à l’école pour bénéficier de la nourriture de la cantine scolaire. Comme elle fonctionnait mal, ceux qui étaient venus juste pour manger ont abandonné massivement.» Ainsi, sur 647 élèves inscrits en première année, 222 ont abandonné pendant l’année scolaire 2017-2018. «Durant cette même année scolaire, l’ECOFO Kibonde comptait 2294 élèves inscrits. 549 ont abandonné, dont 222 de la première année ». M. Ngarukiyinka évoque aussi l’ignorance des parents : «Il y’a des parents qui n’encouragent pas leurs enfants à aimer les études parce qu’ils ne savent pas les bienfaits de l’école.» Jacqueline Mukamwezi, 53 ans, une habitante de la zone Gisagara dans la commune de Busoni, confie que trois de ses enfants ont abandonné l’école. « Comme la situation financière n’était pas bonne, j’ai demandé à mes enfants d’abandonner l’école pour chercher de l’argent afin de subvenir aux besoins de toute la famille ». Et de préciser ’ : « Avant la détérioration des relations entre le Burundi et le Rwanda, nos enfants abandonnaient les écoles pour chercher du travail au Rwanda. Mails ils n’y vont plus, ces jours-ci. Ils préfèrent aller pêcher dans le lac Cohoha pour survivre ». Un autre parent, un habitant du centre de la commune de Busoni, dira que les enfants de la localité de Kibonde abandonnent l’école pour gagner un peu

Gérard Ngarukiyinka : « Certains enfants sont venus s’inscrire à l’école pour bénéficier de la nourriture de la cantine scolaire.»

d’argent. « Certains s’adonnent à l’extraction des minerais, » précise-t-il.

Des abandons qui mobilisent le gouvernement La commune de Busoni est la plus touchée par ce phénomène dans la province de Kirundo. « Les trois premières ECOFO à avoir enregistré le plus de cas sont situées dans cette commune ». Le ministère de l’Education a organisé, du 17 au 22 décembre 2018, une campagne de lutte contre les abandons scolaires et les grossesses en milieu scolaire au niveau national. « Le gouvernement ne supporte pas qu’il y ait des enfants qui se fassent inscrire en septembre pour quitter l’école, deux mois plus tard, comme on est entrain de le constater. Nous lançons une campagne de sensibilisation, mais surtout d’échanges sur les stratégies pour réduire sensiblement ces abandons scolaires », a martelé Edouard Juma, porte-parole du ministère de l’Education. Ce cadre du ministère évoque, entre autres causes de ces abandons scolaires, les grossesses non désirées en milieu scolaire, le faible niveau de revenu des parents et le traumatisme infligé par certains enseignants à des élèves, les poussant à abandonner l’école. « Nous espérons que les résultats après le parcours de toutes les provinces permettront de dégager une stratégie qui permettra de rabaisser de manière significative les taux d’abandon scolaire », conclut-il. Pierre Emmanuel Ngendakumana

Edouard Juma : « Une stratégie sera dégagée afin de rabaisser de manière significative les taux d’abandons scolaires.»

Cas d’abandon scolaire dans la province de Kirundo Année Scolaire

DCEFTP

Garçons

Filles

Total

2017-2018

BUSONI

2648

2363

5011

BUGABIRA

2317

2213

4530

KIRUNDO

1757

1580

3367

VUMBI

1509

1757

3266

BWAMBARANGWE

1060

1021

2081

NTEGA

995

839

1834

GITOBE

876

845

1721

11162

10618

21810

Total/DPEFTP

Source : Direction Provinciale de l’Enseignement de Kirundo.

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ENVIRONNEMENT

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Commune Ntahangwa

Des dépotoirs s’improvisent Dans plusieurs endroits de la commune Ntahangwa, des décharges publiques de fortune se constituent au vu et au su de la population. Ce qui inquiète les administratifs.

A

la 14ème avenue, quartier Mirango II, zone Kamenge, une décharge a pris ses quartiers. Des restes d’aliments pourris, des épluchures de manioc, de pommes de terre, des sachets et bouteilles en plastique, etc. Un lieu d’aisance pour certains. Une odeur suffocante s’en dégage. Des mouches, des asticots y grouillent. A proximité, une chambrette pour deux jeunes femmes, dont l’une a une fillette de 5 ans, qui tiennent une cafétéria. A moins de deux mètres de cette montagne de déchets ménagers, il y a un salon de coiffure, des boutiques où l’on vend des tomates, des avocats, etc. Les clients nous fuient. Il leur est difficile de tenir dans une telle odeur. « Nous sommes obligées de déverser beaucoup de litres de lait frigorifié », se lamente Anitha, la trentaine, responsable de la cafétéria. En pleine journée, des mouches envahissent leur chambrette, dont une partie sert de cafété-

ria. « En cas de pluie, la situation devient intenable ». Un jeune coiffeur fait le même constat : « Les clients nous disent que nos salons ne sont pas propres, alors que le mal vient de ce dépotoir. » Il précise que le gros des déchets y est jeté la nuit. « C’était un lieu de transit des déchets ménagers avec un portail ». Tous affirment que les associations chargées de les acheminer vers Buterere ne fonctionnent plus. La zone Ngagara n’est pas épargnée. Au quartier 6, sous les mangues bordant l’avenue Mwambutsa, un autre dépotoir improvisé. Non loin des buildings de ce quartier, des avocats et ananas pourris, des bouteilles et sachets en plastique, des mottes d’excréments humains, etc. Situation similaire à l’intérieur des quartiers. Aux bords des avenues, des sacs remplis de déchets ménagers sont déposés dans l’espoir que des camions viennent les ramasser. « Nous n’avons

Un dépotoir en face d’une cafétéria, à la 14ème avenue, quartier Mirango II, zone Kamenge.

pas de choix. C’est très difficile de laisser tous ces déchets pourrir dans nos cuisines », confie une mère de famille, rencontrée à la 13ème avenue, quartier Kamenge. Elle craint pour la santé de la population.

Une source de survie Ces dépotoirs sont une manne pour certains. De vielles femmes et des hommes y récupèrent des restes d’aliments, des particules de charbon, des sachets et bouteilles en plastique, des sacs usés, etc.

« C’est avec du charbon récupéré ici que je parviens à vivre. J’utilise une partie pour la cuisson, une autre est vendue pour avoir de la farine de manioc que je partage avec mes trois petits enfants », témoigne une mère croisée sur place. Cette veuve dit ne pas avoir le choix : « C’est ça ou mourir!» Un autre jeune affirme que c’est grâce aux bouteilles en plastique et aux petits tiges métalliques qu’il subvient à ses besoins. « Je fais des tours sur différentes décharges. Et je parviens à avoir une petite somme d’argent pour me nourrir ».

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Quant à la cheffe de zone Kamenge, elle reconnaît que c’est une situation nocive. Mais elle souligne la part de responsabilité des habitants du quartier Mirango II : « Pour la plupart, ils ont refusé de payer 2000 BIFF pour la salubrité.» Pour ce, les associations chargées de collecter les déchets ménagers ne passent plus dans ce quartier. Elle appelle les habitants à prendre conscience du danger et partant de payer cet argent pour que leur quartier soit salubre. Rénovat Ndabashinze


AU CŒUR DU PAYS

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Région Ouest

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Cibitoke

Marché de Rugombo : Les commerçants s’impatientent Deux mois après son inauguration, le marché de Rugombo est toujours fermé, au grand dam des commerçants. L’administration communale tranquillise. De notre correspondant Jackson Bahati

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es centaines de commerçants attendent la distribution des stands à l’intérieur du marché de Rugombo, en province de Cibitoke, construit en étage au chef-lieu de la commune. Selon des sources sur place, le coût de la construction de ce marché moderne s’élève autour de deux milliards BIF. Il a été construit par la société Etudes et Constructions du Bâtiment, des Routes et des Ouvrages Hydrauliques (ECBROH) sous le financement de la Banque Africaine pour le Développement (BAD). Depuis le 10 octobre 2018 dernier, jour de son inaugura-

Région Nord

Les commerçants demandent l'ouverture de ce marché

tion, rehaussée par la présence du président Nkurunziza, nombre de commerçants attendent

impatiemment que ce marché soit fonctionnel. A l’extérieur, expliquent ces

commerçants, les denrées alimentaires et autres articles sont souvent abîmés par le soleil ou

emportés par le vent. Ainsi, les commerçants travaillent à perte. Ils ajoutent que durant cette période pluviale, certains ne travaillent pas, craignant la pluie. La population se dit étonnée du retard enregistré alors que le marché a déjà été ouvert. Les uns commencent à penser que ce retard est peut-être dû à certaines incompréhensions entre les commerçants et l’administration. Ces dernières seraient liées aux listes modifiées afin de distribuer les stands à des membres influents du parti au pouvoir. Les habitants de la commune de Rugombo demandent que l’attribution des stands soit faite dans la transparence, dans le strict respect des listes. Béatrice Kaderi, administrateur de la commune de Rugombo, demande à ces commerçants de faire preuve de retenue car les listes sont en train d’être revues. « Les stands seront attribués aux commerçants qui remplissent les conditions exigées ». Et ce pour prévenir des cas de magouille lors de la distribution des stands.

Muyinga

Plus question de mendicité ? Depuis peu, des handicapés de Muyinga se sont regroupés en associations dans la perspective d’un collectif. L’apprentissage de métiers et la conscientisation les ont poussés à tourner le dos à la mendicité.

ne ferait pas de différence avec les associations des personnes valides», indique Richard Muhigirwa, représentant du collectif. Fonctionnel depuis 2015, le collectif a canalisé les aptitudes des handicapés dans l’apprentissage des métiers de couture, de menuiserie, de l’agriculture et d’élevage. Chacun a été orienté dans le domaine qui lui permettra de travailler aisément avec son handicap.

De notre correspondant Apollinaire Nkurunziza

Atout psychologique

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ls veulent prendre part à des organes de prise de décision. Leurs associations sont mixtes. Handicapés et non handicapés. Gagner la complémentarité et éviter la discrimination seraient deux raisons majeures de la mixité. «Ce dont je ne suis pas capable est fait par quelqu’un d’autre qui en est en mesure», expliquera un des responsables du collectif des handicapés. Malgré la mixité, les membres du comité doivent, à 60% et plus, être des gens avec un handicap physique. «Le président et le trésorier doivent exclusivement être des handicapés. Sinon, elle

Ils disent avoir fait depuis longtemps objet de discrimination et de mépris. Les gens voyaient en eux des mendiants incapables de réaliser leurs desseins sans leur concours. « Quand on passait devant un bureau administratif pour chercher des documents ou conseils, un administratif nous prenait pour des mendiants. On ne voyait en nous que la mendicité.» regrette un jeune paralytique. Heureusement, disent-ils, ils sont traités aujourd’hui avec des égards. Ils se sont adonnés aux différents métiers et font vivre leurs familles. D’après eux, actuellement, personne n’est dans la rue pour mendier. Ils se sont con-

Les jeunes handicapés à l’école des métiers

venus de redorer leur image en évitant la mendicité : «Quelqu’un que l’on retrouve dans la rue, nous l’approchons pour lui donner des conseils afin de rejoindre les autres dans des associations et apprendre un métier». Par ailleurs, ils se réjouissent de leur participation dans des travaux communautaires de développement. Le président du collectif assure qu’ils ont construit des escaliers adaptés aux handicapés au bureau communal, au Tribunal de Grande instance, au guichet unique, etc. En plus, ils ont planté environs

200 arbres pour la protection de l’environnement au bord de la route Muyinga-Gitega. L’administration provinciale affirme la bonne collaboration avec les handicapés. Pour le conseiller du gouverneur chargé du développement, il n’y a généralement plus de mendiants. «Je ne vois que deux mendiants : un aveugle et un malade mental». Ces handicapés réclament des places dans des comités de développement et organes de prise de décisions. Selon eux, quand ils ne sont pas représentés, ils sont oubliés lors de l’élaboration des

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projets de société. «Les autres ne savent pas quels sont nos propres besoins. Ils prennent des décisions dans la généralité sans tenir compte de nos infirmités. » Cependant, l’administration provinciale les oriente vers les partis politiques pour accéder à des postes. «Qu’ils militent pour des partis politiques. Ce sont eux qui puissent les placer dans tel ou tel poste. Sinon, pas de places exclusivement réservées aux personnes vivant avec un handicap», précise le conseiller du gouverneur.


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SPORT

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Basketball

Dynamo, l’aboutissement… Vainqueur du championnat de l’ACBAB, de la Coupe des Héros et de celle du président, les verts et blancs réalisent une saison pleine. De bons résultats, en grande partie, fruit de l’investissement de son staff.

Ngozi seraient de probables nouvelles recrues.

La clé de la réussite, un vestiaire soudé

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es supporteurs du club Dynamo sont unanimes. La saison 2017/2018 restera parmi les années les plus fastes pour leur équipe. A l'origine,un collectif bien rôdé, mais aussi et surtout un nouveau président, en la personne de Joe Dassin Rukundo. « En bon manageur, il a su insuffler du sang nouveau aux instances dirigeantes du club », salue Mao, fan de l’équipe. A ses côtés, des jeunes, pour la plupart d’anciens joueurs formés au club, qui savent ce dont a besoin l’équipe pour gagner. Outre que le club attire, dans son escarcelle, les meilleurs joueurs du pays, d’aucuns saluent le management de Dynamo. « Au cours de

Dynamo, vainqueur de la 2ème édition de la Coupe du président

ces deux dernières saisons, on n' a pas vu une équipe aussi anticipative sur les besoins des joueurs que Dynamo », affirme Armel, un fan d’Urunani. Le moment

venu, observe-t-il, ses dirigeants n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour s’attacher les services d’un bon joueur. Comme en témoigne le recrutement

d’Erade Mugisha en provenance de Target de Ngozi et de Shebe, ancien sociétaire de Muzinga. Selon certaines sources, Richard de Mutanga et Amani de Target

L’expérience ayant montré que seuls le mental de gagneur et les individualités ne suffisent pas, les dirigeants du club ont misé sur la cohésion du vestiaire. « L’équipe, c’est le collectif. Chacun doit être disponible pour l’autre », rappelle le coach. Outre la discipline qui doit être de rigueur, se soutenir socialement permet de rester soudés. « Une parmi les autres clés qui ont fait que le club garde sa quintessence, même après 50 ans. ». L’unité retrouvée, le club rêve grand. Dans sa ligne de mire, le prochain tournoi de la Zone 5. Un rendez-vous pour lequel ils doivent être à 100% pour arriver le plus loin possible. «Au vu de l’effectif qui gagne sans cesse en expérience et de la mobilisation de tous les fans, c’est un objectif à notre portée », soutient le coach. Dans l’attente de nouveaux challenges, les verts et blancs peuvent se targuer, après presque une décennie sans trophée majeur, d’avoir enfin pu asseoir leur suprématie sur le basketball national. Hervé Mugisha

Football

Primus ligue : les rebondissements n’en finissent pas Après la déconfiture des trois leaders au classement, mercredi 26 décembre, d’aucuns se demandent ce que réserve la suite du championnat.

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igle Noir qui est surpris par Kayanza United (2-1) au stade Ingoma de Gitega, Musongati, au stade Prince Louis Rwagasore, incapable de stopper l’armada offensive de Rukinzo (4-1), les mauves et blancs de Vital’o qui coulent face au réalisme de leur hôte Ngozi City (2-0), etc. La 20 ème journée a été riche en surprises. Après presque un mois sans engranger le moindre point, Messager Bujumbura a épaté tout le monde avec un football alléchant en venant à bout de Bumumaru FC (2-1). D’une façon générale, cette 20 ème journée, a permis aux équipes du milieu du tableau de grap-

piller quelques points au classement. Parmi ces dernières, Ngozi City. Quatrième à deux points de Vital’o avant le match qui les opposait, les protégés d’Eric Mubaya, avec leur convaincante victoire, ont retrouvé le podium. Actuellement, ils sont à 7 unités de Musongati (2ème) et 16 points d’Aigle Noir, le leader.

Possible revirement de situation ? Hormis Aigle Noir, pour l’instant solide leader au classement (48 points), ses poursuivants directs, en cas de défaites répétitives peuvent se voir éjecter de leurs places. En l’occurrence Vital’o et Ngozi City et dans une certaine mesure Musongati FC. Tout cela, au grand bonheur des supporteurs. « C’est tellement unique cette saison. Parce qu’une telle situation ne fait que davantage nous tenir en haleine », laisse entendre Hassan, fan d’Olympic Star de Muyinga. Une évidence, car à ce stade, chaque équipe veut consolider sa place. Ainsi, avec plus de 10 équipes

En cas d'une autre défaite, Musongati FC risque d’être éjectée de sa 2ème place

à 20 points, bon nombre de supporteurs redoutent d’éventuels revirements de situations. «Avec la Coupe du président qui se profile à

l’horizon, on verra si les nouveaux promus vont maintenir le cap». Une pique à l’endroit de Bumamuru FC, Kayanza United

et Rukinzo FC fraîchement promus, qui ne cessent d’alterner le bon et le moins bon. H.M.

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Bubanza

Les ménages agricoles plus que jamais investis dans la protection du sol Grâce au projet d’appui à la productivité agricole(PAPAB), les ménages agricoles se frottent les mains. Depuis le lancement dudit projet en 2016, ils témoignent que leur vie s’est considérablement améliorée.

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ercredi 19 décembre 2018, le projet PAPAB a organisé une campagne de plantation des plants fruitiers, agroforestiers et forestiers en province Bubanza. Une activité qui a concordé avec la célébration de la journée nationale de l’arbre. Les activités proprement dites se sont déroulées sur la colline Kirengane en commune Rugazi. Du pied de la colline, les bénéficiaires du projet ont planté plus de 1000 plants. Il s’agit des cèdres, grevillea et callianda, manguiers, orangers. Ces plants viennent des pépinières aménagées par la communauté elle-même après la formation et la sensibilisation dudit projet sur son importance dans la protection et la restauration du sol cultivable. Jean Bosco Kararenga, un des bénéficiaires du projet, ne cache pas sa joie. « Ce projet nous a conscientisés et appris à protéger notre sol en plantant des arbres fruitiers et agro-fruits dans les champs. En creusant les haies antiérosives et les courbes de niveaux.» Il témoigne qu’avec ce projet dorénavant la protection du sol est plus indispensable pour avoir une bonne récolte. Avant de poursuivre : « N’eût été ce projet, l’érosion dégraderait davantage nos sols, surtout la terre cultivable ». Une aubaine, confie-t-il, grâce aux formations du PAPAB, j’ai planté dans mes champs des arbres fruitiers et agro forestiers. Mais aussi et surtout, j’ai tracé les courbes de niveau et haies antiérosives. Cet habitant indique qu’il s’est convenu avec ses voisins de reboiser toute la colline avec 8600 plants restant dans les pépinières. Il ajoute également que dans les jours à venir, ils planifient de planter des arbres sur les berges de la rivière Musenyi. Elle sépare la commune Mpanda et Rugazi. Ce projet a déjà touché 18 collines de la province Bubanza. Après cette activité, les participants dans cette campagne de plantation d’arbres ont visité

Jacques Sabimbona explique son plan intégré paysan de 5 ans

des réalisations de la communauté avec la facilitation et l’accompagnement du PAPAB sur la colline Kayange de la même commune. Jacques Sabimbona, un des 35 paysans innovants choisis au début du projet pour bénéficier des formations dudit projet sur l’approche « Plan Intégré Paysan », ou Mboniyongana, se dit satisfait. Ce père de huit enfants reconnaît que sa vie a changé grâce ce plan. Les changements se remarquent dans tous les domaines de la vie familiale. A ce niveau, il explique que pour atteindre leurs objectifs, la communication entre lui, sa femme et ses enfants importe beaucoup. D’ores et déjà, ils s’organisent dans les tâches familiales et dans l’exploitation agricole. « Avant, nous ne pensions pas à planifier l’avenir. Quand nous trouvions de quoi manger, nous ne nous souciions pas du lendemain. Cette mentalité nous empêchait de prospérer.» D’après ce père de famille, cette approche lui a permis d’abord d’intégrer sa femme et ses enfants dans planification de son avenir. «Désormais, nous planifions ensemble toutes les activités pour que notre vision soit une réalité dans 5 ans. » Il soutient que ce plan leur a permis d’évaluer leur capacité, leurs forces et tout ce dont ils ont besoin pour atteindre leurs objectifs dans la vie future.

tarit pas d’éloges des bienfaits du PAPAB. « Avant que ne débute PAPAB, notre vie ne ressemblait pas à celle que nous avons actuellement.» Il révèle que sa famille vivait toujours du jour au jour, mais, désormais, ce n’est plus le cas. « Tout est sur papier, tout est comptabilisé.» Il indique que depuis qu’ils ont adopté l’approche PIP–Mboniyongana, sa famille tient un livre de caisse enregistrant ses dépenses et ses recettes « Un instrument qui nous permet de savoir la santé financière de la famille.» La visite s’est poursuivie dans son champ de haricots et manioc où il applique les pratiques culturales modernes acquises dans les formations du PAPAB.

Dans ses champs, il y a des arbres fruitiers : avocatiers et orangers. Aujourd’hui, il utilise les semences sélectionnées. Il applique la méthode de semis à la ligne. Pour lui, cette technique à plusieurs avantages. Tout d’abord, elle permet d’économiser les semences par rapport à la méthode semi à la volée : « 8 kg suffisent alors qu’auparavant j’utilisais 25kg dans un champ de même superficie». Une preuve qu’elle contribue à augmenter le rendement, tout en facilitant le sarclage. Avant de confier : « Si les aléas climatiques sont propices, j’espère doubler ma production » D’après lui, cette nouvelle

approche a permis aux membres de sa famille de changer de comportement. Elle a fait de cette famille un modèle à suivre sur cette colline .Il témoigne qu’outre la sensibilisation, ses voisins commencent petit à petit à emboîter son pas. « Dorénavant, ils sollicitent mes conseils ». La visite s’est clôturée sur la colline Gatura en commune Bubanza. C’est également un sentiment de satisfaction pour la population bénéficiaire de cette colline. Jean Bosco Surwavuba y habitant soutient que grâce à la formation et de visites d’expérience, son terrain de 30 ares de manioc lui donne 2 tonnes de récolte alors qu’auparavant, il ne produisait que 200 kg. « Maintenant, je peux avoir de quoi nourrir ma famille et vendre.» En plus des champs de manioc planté en trous de captation, il a planté des arbres fruitiers notamment les manguiers et avocatiers. Il en compte plus d’une centaine. Le projet d’appui à la productivité agricole (PAPAB) est un projet mis en œuvre dans sa deuxième composante par un consortium de sept organisations non gouvernementales à savoir : IFDC, OXFAM, ZOA, Alterra, ADISCO, OAP, Réseau Burundi 2000+. Ce projet s’exécute dans 6 provinces : Bubanza, Bujumbura, Cibitoke, Makamba, Muyinga et Rumonge. 14 communes en sont bénéficiaires. Il s’agit de Bubanza, Musigati, Rugazi, Nyabiraba, Kanyosha, Mubimbi, Makamba, Nyanza lac, Muyinga, Mwakiro, Rugombo et Mabayi.

Une grande satisfaction chez les bénéficiaires Devant les responsables administratifs et ses voisins, il ne

Jean Bosco Surwavuba montre la production du manioc planté dans un trou de captation

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