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Du symptôme à la thérapie
Les problèmes peuvent toujours être décrits comme le fait de ne pas avoir appris ou de ne pas avoir acquis les compétences adéquates pour faire face aux circonstances de la vie présente ou passée. Une personne qui est en train de se noyer, en fait, manque de la compétence de nager. Bien que ce manque trouve toujours son origine dans le passé, la solution, elle, ne réside pas dans le passé. En effet, cette compétence ne peut être acquise que dans le présent, et non dans le passé. De même, la compétence de vie fondamentale consistant à créer du bonheur, ne peut être apprise que dans l'instant présent. C’est la compétence existentielle, également appelée sagesse, dont il est question dans ce livre. Dans une perspective psychanalytique traditionnelle, un problème peut toujours être décrit en terme de transfertd’une émotion d'une expérience d'une situation ou d'une personne dans le passé à une autre expérience dans le présent. Ainsi, une femme qui, adolescente, a subi un comportement sexuel non désiré de la part d'un membre familiale peut, adulte, ressentir une aversion « inexpliquée » pour tout contact sexuel. Une personne qui, jadis, a eu un malaise dans un tunnel peut en garder une phobie, une sorte d'allergie psychologique aux tunnels. C'est ce qu'on appelle un transfert négatif. Un transfert positif serait, par exemple, celui d’un enfant qui a eu comme animal de compagnie un gentil chien et qui par la suite a toujours gardé un penchant pour les chiens. « Comprendre » un symptôme, c'est donc « comprendre » un transfert.145 Un symptôme est une porte d'entrée vers un problème. Si nous l’ouvrons, nous trouverons toujours quelqu'un qui a peur ou qui est en colère. Lorsqu'on demande à une personne qui ressent une humeur ou une émotion particulière (peur, dégoût, colère...) à quel âge renvoie cette émotion, souvent, elle peut donner un âge. Parfois aussi, le souvenir d'une situation passée peut ressurgir. Les gens peuvent ainsi comprendre qu'ils se retrouvent dans une sorte d'état enfantin qui a été déclenché par des événements ou des problèmes actuels. Souvent,
145La notion de "compréhension" doit être utilisée avec la prudence nécessaire ici. Si nous pouvons « comprendre » qu'une personne mordue par un chien puisse développer une phobie des chiens, il est clair que ce ne sera pas nécessairement le cas pour toutes les personnes mordues par un chien et nous pouvons tout aussi bien « comprendre » qu'une personne ait oublié l'incident après quelques heures ou quelques jours. Il est complètement impossible de prédire si une personne donnée qui a été mordue par un chien développera également une phobie. De même, nous comprenons qu'une grippe est causée par le virus de la grippe, mais il nous est impossible de prédire si une personne donnée contractera également la grippe au contact du virus de la grippe. Ce manque de prévisibilité est évidemment une limite sérieuse au statut de notre « sciences » humaines.
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les gens sont émotionnellement liés au souvenir d'une expérience passée qui explique leur réaction. Cette approche est également appelée une « régression en âge ». Pour certaines personnes, beaucoup de leurs réactions proviennent de ces « vieilles émotions refoulées ». Elles vivent, pour ainsi dire, dans le passé. Dans ce contexte, nous avons introduit la notion de système immunitaire psychique et de la tentative de satisfaire une faim psychique du passé. En effet, de telles réactions basées sur le passé peuvent devenir un schéma automatique, comme une réaction allergique qui empêche de vivre dans le présent. Prendre conscience de ces schémas automatiques et les nommer peut être un premier pas vers une plus grande responsabilisation à propos de son propre comportement. En s'observant soimême, on prend déjà une certaine distance vis-à-vis de son propre comportement. Cela peut aider à comprendre qu'une certaine réaction a plus à voir avec un comportement appris dans l'enfance qu'avec la réalité actuelle. Sur la base de ces considérations, on peut dire qu'une thérapie comprendra toujours une ou plusieurs des quatre étapes de base suivantes : 1. la découverte d'un événement initial (le « traumatisme »), 2. l’acceptation des expériences douloureuses de l'événement, 3. comprendre comment le symptôme protège le patient de la reviviscence de ces expériences douloureuses, 4. aider le patient à comprendre que l'ancien danger n'en est plus un, que la douleur est comme une douleur fantôme et qu'il existe de meilleures façons de se protéger. Les trois premiers points ont pour but de circonscrire le problème et de le déconstruire en significations sous-jacentes. Dans le meilleur des cas, cela conduit à une prise de conscience du conflit sous-jacent, invitant le patient à mieux le saisir et à parvenir à d’autres conclusions, plus constructives, ce qui auparavant était rendu impossible par la superstructure symptomatique. Freud avait déjà prévenu ses disciples qu'au début d'un traitement, ils devaient se demander s'ils avaient bien quelque chose de mieux à offrir au patient que la « solution » (symptomatique) que celui-ci avait déjà trouvée. Étant donné que seul le dernier point conduit réellement au changement, un nombre de courants thérapeutiques, notamment les approches dites « orientées sur la solution », part du principe que seul ce dernier point est réellement essentiel pour changer un comportement symptomatique. Bien que, dans la plupart des cas cela soit vrai, de nombreux patients cherchent quand-même une réponse à la question du « pourquoi ». En effet, les gens souhaitent « comprendre » et recherchent un semblant de cohérence historique et de causalité linéaire dans leur vie. Il est donc raisonnable d'aborder cette question, à condition de pouvoir le faire dans un délai acceptable de quelques séances. Après tout, on peut perdre beaucoup de temps à « faire remonter à la surface » le « matériel refoulé » et cela peut même signifier que les « vrais » schémas pathogènes ne sont pas suffisamment visibles et abordés. Outre le statut toujours incertain de la réponse à la question « pourquoi », on peut supposer qu'il est plus facile de voir qu'il n'y a plus de danger ou qu'il y a de meilleures façons de se protéger si l'on comprend ce qu'était réellement le danger redouté. Toutefois, il convient d'accorder la plus grande attention au quatrième point. Si nous considérons le système émotionnel comme un système immunitaire, alors le quatrième point consiste à récupérer en quelque sorte la mémoire d'un événement passé. Le
système immunitaire psychique a toujours réagi à ce souvenir par une réaction allergique, car il a été scellé comme étant « dangereux ». L'étape suivante consiste à ré-enregistrer le souvenir en question, mais cette fois avec un autre sceau, une autre signification afin que le système immunitaire psychique n'y réagisse plus de la même manière. Cela revient à neutraliser l'allergène psychique en y collant, pour ainsi dire, un autocollant vert signalant « sans risques - bon pour usage » au lieu d'un autocollant rouge signalant « danger – ne pas utiliser ».
Ceci est l'essence même de la méthode PRI d'Ingeborg Bosch, mais aussi de méthodes comme le « recadrage » ou le travail sur les sous-modalités en PNL. Parmi les autres méthodes basées sur le même principe figurent l'EMDR, l'EFT, le travail corporel émotionnel, l'analyse transactionnelle, le dialogue vocal ou les constellations familiales. Ainsi, la suggestion est toujours la suivante : « Avec cette méthode, vous serez en mesure de gérer votre passé différemment et votre passé n'aura plus aucun pouvoir sur vous. » Si une telle suggestion est faite par une personne faisant autorité, comme un médecin ou un thérapeute, la conscience du patient fera le reste. Cette dimension « hypnotique » est présente dans toute thérapie et même dans toute interaction humaine. En médecine somatique, ce fait est connu sous le nom d'effet « placebo ». La manière dont cela fonctionne reste cependant inconnu. En effet, le fonctionnement de notre pensée symbolique reste un mystère. Mais c'est aussi le cas lorsque nous avons l'intention de réaliser une activité quelconque. Nous ne pouvons guère faire plus que formuler une intention et faire confiance à notre organisme pour l'exécution. Ce phénomène a déjà été décrit précédemment comme « l'illusion de l'utilisateur ».146 D'un point de vue « méta thérapeutique », les « techniques » thérapeutiques utilisées, les représentations, les symboles, les métaphores, ne sont donc pas essentielles. Toute interaction avec la personne concernée qui s'accompagne implicitement ou explicitement d'un réaménagement du paysage symbolique, peut conduire au résultat souhaité.
D'un point de vue philosophique et existentiel, le point quatre peut être considéré comme le passage d'une image de soi, d'une vision du monde ou d'un paradigme à un autre, notamment du monde de l'enfant d'hier à celui de l'adulte d'aujourd'hui, de la dépendance et de l'absence de choix à la liberté et à la responsabilité. D’un point de vue du vécu, cela
146 Nørretranders, Tor. The User Illusion. New York: Viking Penguin, 1998. Dennett, Daniel. Consciousness explained. Allen Lane, The Penguin Press, 1991.
signifie la transition d'un paysage mental symbolique ou métaphorique à un autre. Cependant, tout changement de l’image de soi ou de la vision du monde s'accompagne de sentiments d'incertitude et de peur. Les patients (ou d'autres personnes) auront souvent du mal à abandonner leur ancienne façon de voir des choses, car il s'agissait malgré tout d'une structure familière confortable qui se présentait quasi automatiquement (« inconsciemment »). Tant que la souffrance reste dans certaines limites acceptables, le coût du changement semble plus important que le désagrément de cette souffrance. C'est pourtant cette étape créative qui rend le progrès possible. Les problèmes indiquent que les limites d'un modèlede pensée ont été atteintes. Par conséquent, les problèmes ne doivent pas simplement être éliminés ou supprimés (comme c'était le cas avec le comportement symptomatique), mais doivent plutôt être accueillis et considérés comme les bienvenus, car ce sont des opportunités d’apprendre et de s’améliorer. *** La thérapie existentielle consiste à apprendre à faire face aux réalités de la vie de manière mature : la peur, l'incertitude, la solitude, le sens de la vie. De plus elle doit apprendre aux gens que la vie est maintenant, que les gens possèdent des capacités créatives et ne sont pas le produit involontaire de leur passé et que la vision de/sur l'avenir est plus importante que la vision du passé.147 Une thérapie devra donc toujours naviguer entre le fait de considérer le problème comme un problème purement isolé de l'individu, en dehors de/hors tout contexte social, ou le fait de considérer le problème comme un problème d'influences externes dont le patient est la "victime" innocente. La méthode de la thérapie sera déterminée par la vision philosophique de l'homme qu'a le thérapeute. Pour un thérapeute d'inspiration existentielle, l'homme est un mystère, un individu totalement unique et libre qui est responsable de la conception de sa propre vie à chaque instant. Pour un thérapeute plus inspiré par les philosophies résumées sous le nom de "Structuralisme", l'homme est dans une large mesure déshumanisé et réduit à un simple produit de son passé et de son environnement, en tant que mécanisme déterminé par la causalité, sans aucun libre arbitre/choix. Nous pouvons aussi embrasser un problème comme une mère embrasse un enfant difficile. Après tout, un
147 La thérapie existentielle est étroitement liée à la philosophie existentielle développée, par exemple, par des philosophes tels que Heidegger et Sartre. Cette philosophie considère la vie comme une conception/création/construction de soi/auto-conception. L'homme est obligé de donner lui-même une direction et un contenu à la vie. Il n'y a pas d'essence, seulement une existence. L'homme doit se créer lui-même. Voir par exemple Mia Leyssen, Time for the Soul, Lannoo, 2008. Voir également : Irvin Yalom, Existential Psychotherapy, New York : Basic Books, 1980. Voir aussi les romans psychothérapeutiques de cet auteur fascinant : La cure de Schopenhauer, Quand Nietzsche pleurait, Le bourreau de l'amour, Momma et le sens de la vie, des lectures fascinantes, une à une !
soi-disant "problème" est une possibilité, une invitation à réfléchir plus profondément et à parvenir à de nouvelles compréhensions et à une plus grande maturité, tout comme Einstein a vu dans les problèmes du modèle de pensée de Newton une opportunité de parvenir à/concevoir un nouveau modèle. Chaque patient doit donc être un peu un Einstein dans sa vie personnelle.Ceci est également la base de tout art martial oriental : ne pas "combattre" l'énergie de l'adversaire, mais plutôt l'utiliser pour parvenir à une solution. La psychologie positive stipule que dans chaque patient qui souffre, il y a/se cache un individu sain et intact.148 Le "patient" ne souffre pas d'une maladie, mais d'un malentendu.
Parfois, il s'agit simplement de faire prendre conscience aux patients que la "solution" à leur "problème" est déjà présente dans leur propre vie. En effet, les patients ne présentent pas toujours et partout le comportement problématique. Souvent, ils fonctionneront étonnamment bien dans certaines circonstances. Cependant, ils pensent généralement que c'est normal et ne remarquent pas qu'ils font preuve des mêmes compétences qu'ils pensent manquer dans d'autres circonstances. Si quelqu'un dit qu'il ne sait pas nager ou qu'il manque de confiance en lui, mais qu'après enquête, il s'avère "par hasard" qu'il sait nager ou qu'il se comporte de manière très assurée/assertive dans certaines circonstances, cela montre qu'il possède/dispose déjà la/de la compétence en question. Il doit alors n'y voir qu'une compétence inhérente qu'il peut aussi apprendre à utiliser dans d'autres circonstances, plutôt qu'un comportement déterminé par le hasard. (In de nederlandse versie ontbreekt een i in vaardigheid). Par exemple, des patients semblent tout à fait être capables de se passer de leur comportement addictif dans certaines circonstances (par exemple, pendant une grossesse, une hospitalisation ou des vacances). Pensez à l'histoire, mentionnée plus haut, de la dame avec une dépression, qui a pu à la vue de son petit chat s'ouvrir à la beauté de celui-
ci.149
148 Il s'agit d'une paraphrase de la thèse psychanalytique selon laquelle toute personne saine est un patient qui ne se connaît pas lui-même. 149 C'est la base de la "thérapie centrée sur les solutions" de Steve de Shazer, entre autres. Voir de Shazer, Steve. Les clés des solutions en thérapie brève. New York-Londres : W.W. Norton & Company, 2001. Cette approche a été adoptée, entre autres, dans le "modèle de Bruges", voir : Le Fevere de Ten Hove, Myriam. Korte therapie. Anvers, Apeldoorn : Garant, 2009..